La gestion des macrodéchets du littoral en mer Méditerranée
p. 97-115
Résumé
Les déchets abandonnés et qui fuitent des systèmes de collecte et de traitement des collectivités territoriales, appelés aussi macrodéchets, aboutissent en mer, réceptacle final dans lequel ils s’accumulent. Pendant longtemps sous-estimées, les menaces qu’ils font peser à la vie marine ont été réévaluées depuis la directive européenne Stratégie pour le Milieu Marin en 2008. Un Plan d’Action pour le Milieu Marin a été approuvé en 2016 pour la façade méditerranéenne française. Les communes littorales méditerranéennes françaises doivent relever des défis de taille avec une démographie en croissance, une forte attractivité touristique et une pollution importante de ces littoraux par des déchets diffus, provenant des bassins versants et des communes voisines. En effet, les habitants jettent d’autant plus facilement leurs déchets par terre, que le caractère polluant des objets solides et visibles, comme les emballages alimentaires ou les mégots de cigarettes, est mésestimé. Depuis 2020, la loi Anti-Gaspi et d’Économie Circulaire (loi AGEC) prévoit le financement d’actions de surveillance et d’actions préventives et curatives des déchets abandonnés diffus dans les territoires. Pour que ces programmes soient concertés et intègrent la complexité du jeu d’acteurs impliqués, les pouvoirs publics locaux devront avoir une vue globale du contexte local tout en s’articulant avec les plans et les programmes aux échelles régionales et nationales.
Texte intégral
Introduction
1Selon François Galgani et ses coauteurs dans des articles scientifiques et documents officiels, les mots macrodéchets ou déchets marins peuvent être définis comme n’importe quel matériau solide persistant, fabriqué ou transformé, jeté, évacué ou abandonné dans l’environnement marin et côtier. La définition inclut les éléments abandonnés volontairement ou involontairement, perdus en mer et sur les plages, incluant des matériaux transportés dans l’environnement marin provenant des terres et transportés par les rivières, le drainage ou par les égouts ou les vents1. Ils sont appelés macrodéchets pour les différencier des micropollutions. Ils sont solides et visibles à l’œil nu.
2La définition du littoral va varier en fonction de la discipline qui l’étudie. Simple ligne pour le géographe, elle peut remonter très loin dans les terres et descendre assez profond en mer selon des considérations écologiques. Les deux éléments vont s’influencer l’un l’autre. Concernant le sujet qui nous préoccupe ici, c’est surtout le rôle de l’eau, du réseau hydrographique ainsi que les vents et les courants marins qui vont avoir leur importance. Les bassins versants drainent les eaux de surface, les eaux de pluie et les eaux de ruissellement du nettoyage des rues (cours d’eau, fleuves, rivières, égouts, réseaux d’assainissement, réseaux hydrographiques urbains) vers le milieu marin, récepteur final. Une fois en mer, les déchets circulent et se rassemblent dans des zones d’accumulation, par la conjugaison des effets des courants de surface et de fond avec la géomorphologie de la côte et la topographie des fonds marins.
3Pour traiter la question de la gestion des macrodéchets du littoral, il faut comprendre les facteurs déterminants à l’origine de ces déchets, retracer leur parcours avant qu’ils ne deviennent des déchets marins. Comprendre leur parcours et les raisons pour lesquelles ces objets polluants et non biodégradables se retrouvent sur le littoral est un prérequis indispensable à toute perspective de résolution du problème et de mise en œuvre d’actions concrètes et adaptées dans les territoires.
4À l’ère du tourisme de masse, avoir un littoral constitue un avantage économique majeur pour les communes. Mais l’époque étant également à la consommation nomade avec les emballages, les objets à usage unique, au pétrole avec les marées noires, à la mondialisation avec les transports maritimes de marchandises avec leurs pertes de conteneurs, il est de plus en plus difficile de garantir la qualité, la sécurité et la salubrité du littoral. Les communes littorales ont un rôle capital à jouer dans la surveillance, la définition et la mise en œuvre des mesures correctives pour enrayer cette bombe environnementale à retardement. Les déchets qui s’échouent sur les littoraux, par le jeu des vagues, des vents et des courants, peuvent provenir de très loin en mer, mais ils peuvent aussi provenir de la commune littorale voisine ou du bassin versant. Les communes se polluent souvent les unes les autres. Et puisque la majorité des déchets en mer descend des bassins versants, les communes littorales ont une position géographique qui leur permet d’acquérir des connaissances sur les tendances des quantités et typologies de déchets qui pénètrent dans les mers et les océans. Ces informations sont déterminantes et constituent un maillon essentiel dans la chaîne de compréhension des flux des déchets mobilisables par les éléments naturels. Leur contribution à comprendre ces phénomènes d’échouages permet de cibler les origines géographiques des déchets ainsi que les secteurs d’activités économiques impliqués et donc des groupes d’acteurs à l’origine des rejets. Les mesures sur le littoral permettent aussi d’évaluer l’efficacité des actions de réduction menées en amont dans les bassins versant ou plus à la source dans la conception, la production et la distribution des objets.
5Il s’agit ici de préciser quelle est la gestion des macrodéchets du littoral. Mais avant tout nous aborderons la question de la prolifération des objets et de leurs durabilités, des comportements humains à l’origine de cette pollution, des impacts qu’ont ces déchets sur la faune, la flore et les activités humaines puis des solutions qui se mettent en place depuis la directive européenne Stratégie pour le Milieu Marin et enfin comment les communes littorales s’organisent et quelles perspectives se dessinent dans les années à venir.
Des déchets aux macrodéchets
Une croissance démographique et touristique déterminante sur la production des macrodéchets
6L’homme est dans une période de croissance démographique exponentielle depuis 250 ans. L’ère industrielle, avec le développement de l’usage des énergie fossiles, a profondément modifié le monde. Les géologues parlent maintenant de l’anthropocène comme d’une ère géologique dans laquelle nous serions entrés au début de cette période d’industrialisation.
7Ces énergies fossiles sur lesquelles l’être humain a bâti son système sont issues de la putréfaction des « déchets » de la nature. Les conditions naturelles ont permis une concentration très importante de ces énergies fossiles au cours de périodes géologiques favorables à la prolifération des algues et des plantes entre 20 et 350 millions d’années, concentrant, ainsi en quelque sorte, l’énergie solaire grâce à la photosynthèse du règne végétal.
8Le pétrole a ainsi notamment permis à l’homme de proliférer en apportant le carburant aux machines et notamment dans le domaine agricole pour cultiver des champs toujours plus grands et ainsi nourrir l’humanité galopante. La population humaine était inférieure à un milliard il y a 250 ans. Pour atteindre les 7 milliards au début du xxie siècle et les démographes annoncent une population mondiale de 9 milliards en 2050.
9Pour trouver des débouchées à toutes les diverses formes du pétrole raffiné, les travaux sur la chimie du pétrole ont conduit à la naissance, au cours du xxe siècle, de grandes familles de plastique. Leurs propriétés inégalées comme leur faible coût, leur malléabilité, leur légèreté, leur imputrescibilité, leur imperméabilité, leur solidité, etc., ont entraîné leur prolifération. Les plastiques sont partout : dans les emballages alimentaires et non alimentaires, les jouets, les textiles, l’industrie automobile, l’aviation et l’industrie maritime, l’agriculture, le secteur médical, la cosmétique, la bureautique, la construction, etc.
10Le modèle socioéconomique de nos sociétés est construit sur la croissance, soit la production de toujours plus d’objets, de transports, de lieux de vente et de consommation. L’envers de cette production, ce sont les innombrables déchets produits chaque jour partout sur la planète. Depuis la moitié du xxe siècle, la production de déchets ne cesse de croître avec l’ère du tout jetable et son cortège d’entreprises qui ont construit leur modèle économique sur la gestion des restes. Les déchets sont plus ou moins bien traités selon les endroits du monde, et même en France, l’un des pays faisant partie du G7, la gestion et le traitement des déchets et des macrodéchets est loin d’être satisfaisante. L’invasion de tous les écosystèmes de notre planète par les déchets solides et visibles et par les microparticules de plastique issues de la dégradation des objets plus gros, témoigne d’un emballement, sans mauvais jeux de mot, d’un système qui semble hors de contrôle. Baptiste Monsingeon parle de l’Homo detritus qu’il met en miroir avec Homo economicus.
11Une grande partie des produits fabriqués, depuis le début de cette ère industrielle, sont durables et pour certains, notamment, les plastiques, non biodégradables. Les détritivores ne savent pas les digérer, les transformer pour les rendre assimilables par les végétaux et ainsi pour qu’ils retournent dans le grand cycle de la transformation de la nature et ils ne cessent de s’accumuler dans les milieux récepteurs souvent fragiles. Ainsi, la mer vient « vomir » sur les plages la partie émergée ce qu’elle n’arrive pas à « digérer ».
Et en Méditerranée ?
12Concernant les communes méditerranéennes françaises, elles concentraient à elles seules, près de la moitié de la population littorale dans les années 90, soit 47,4 %, sur moins d’un quart de la superficie totale2. En 2020, c’est 70 % de la population méditerranéenne qui vit dans des zones urbaines3. Et le tiers de la population globale vit en zones côtières. Ce processus n’est pas près de s’arrêter. La population croît plus vite dans les endroits déjà très peuplés, croissance à laquelle il faut ajouter les mouvements de population.
13La Méditerranée est aussi la première destination touristique du monde avec 360 millions de touristes, largement concentrés pendant les mois d’été et dans les zones côtières, ainsi que 26 millions de croisiéristes par an4.
14La concentration humaine en Méditerranée, associée aux modes de consommation nomade avec son lot de produits à usage unique et l’invention de l’obsolescence programmée, entraînent la production de 184 millions de tonnes de déchets solides par an (soit 1 kg/hab/jour, avec des taux de recyclage faibles) avec des variations saisonnières souvent difficiles à gérér par les collectivités5. En effet, les populations des communes littorales peuvent être multipliées par 10 en saison estivale, avec une consommation nomade privilégiée en bord de mer et de cours d’eau. Le climat méditerranéen est très favorable aux pique-niques en soirée et apéritifs en famille ou entre amis.
15La région Provence-Alpes-Côte d’Azur, quant à elle, connaît un accroissement de sa population qui persiste déjà depuis une cinquantaine d’année et elle continue à attirer. Au 1er janvier 2021, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur comptait 5,09 millions d’habitants.
16Entre 2011 et 2021, la population de la région s’est accrue en moyenne de 0,3 % par an. L’accroissement naturel y a contribué autant que l’excédent migratoire.
17C’est aussi l’une des premières destinations touristiques française avec une fréquentation en 2019, avant la crise sanitaire liée au Coronavirus, de 13 millions de touristes, et une répartition de 61 % de nuitées françaises pour 39 % de nuitées internationales6 et 780 192 croisiéristes accueillis dans les ports7.
Un territoire littoral pollué et révélateur de la manière dont l’homme considère ses déchets
18L’un des facteurs déterminant qui contribue à l’émergence de cette pollution puis à sa prolifération et aujourd’hui à la situation critique que nous connaissons est la façon dont l’homme considère ses déchets et son environnement. La facilité avec laquelle les individus jettent négligemment leurs déchets en dehors des circuits contrôlés informent sur l’idée qu’ils se font de la gravité de ce geste. Il leur paraît, manifestement, anodin.
19Jusqu’à très récemment, la notion de pollution était associée à des produits ou des substances gazeuses ou liquides. Et d’ailleurs, les méthodes d’investigation des laboratoires de recherches ou des industries ont permis d’apporter des normes environnementales faisant références à des seuils de concentrations de molécules chimiques toxiques dans des volumes d’air ou d’eau qu’il ne faudrait pas dépasser.
20Il est plus difficile de concevoir que des objets solides et visibles à l’œil nu puissent avoir un caractère polluant. Les individus qui consomment puis jettent négligemment leurs déchets par terre ne souhaitent pas consciemment polluer. Cela fait des décennies qu’il est accepté par la majorité, sans craindre de sanctions, de jeter son mégot par terre ou dans le sable sur la plage. Depuis ses origines, l’être humain épure par l’eau et par le feu et c’est donc très naturellement qu’il va utiliser les caniveaux, les bouches d’égout, les petites rivières urbaines comme des poubelles. Qui n’a pas vu un fumeur consciencieusement jeter son mégot dans le petit trou d’une plaque d’égout ? Ou encore une maman montrer à son enfant qu’il faut bien jeter son déchet dans la bouche d’égout ?
21Pourtant, il est interdit de jeter ses déchets par terre8 et en 2015 à Paris, puis à Cannes, une amende de 68 euros est appliquée pour un mégot par terre9. À Marseille, les services techniques ont de nouvelles consignes et doivent désormais balayer et ramasser les déchets avant de lessiver les trottoirs avec de l’eau.
22C’est la prise de conscience récente que les déchets plastiques s’accumulent en grande quantité dans les mers et des océans et la découverte des microparticules de plastique qui contribuent progressivement au changement de perception de ce qu’est la pollution. Les objets solides et visibles peuvent représenter une menace pour la vie marine.
23Le mégot de cigarette est l’exemple criant d’une perception erronée de ce qu’est une pollution. Un mégot contient plusieurs milliers de molécules toxiques, il est composé d’acétate de cellulose, soit du plastique, non biodégradable, dont les fibres sont aussi inhalées à chaque bouffée. Ces mêmes bouffées entraînent une accumulation des molécules toxiques dans le mégot qui une fois jeté par terre va relarguer ces produits toxiques dans les eaux de pluie, de lessivage des rues ou dans les cours d’eau puis la mer dans laquelle ils vont s’accumuler.
24Les concentrations de mégots de cigarettes et de petits objets et emballages en plastique qui aboutissent en mer après une forte pluie peuvent être très importantes et constituent alors une pollution majeure, ajoutée à la pollution chronique, quotidienne des déchets qui descendent vers les eaux douces et marines avec les eaux de lessivage des rues ou les pluies de faible intensité.
25Ainsi, la population humaine ne cesse de croître et ce surtout en zones littorales, la production de déchets et notamment en plastique non biodégradable aussi. Ce sont les quantités de ces objets, mégots de cigarettes, emballages alimentaires, objets à usages uniques qui, sortis du circuit habituel de traitement des déchets, posent un problème. Comme le disait Paracelse, « Toutes les choses sont poisons, et rien n’est sans poison ; seule la dose fait qu’une chose n’est pas poison ».
Les quantités et catégories de macrodéchets en Méditerranée
26Le fait que les déchets s’accumulent dans le milieu marin va entraîner des conséquences dramatiques à la fois sur la faune, la flore, la santé des écosystèmes mais aussi sur les activités humaines.
27Les études scientifiques démontrant les effets délétères produits par l’accumulation des macrodéchets dans le milieu marin et leurs impacts sur les espèces et les écosystèmes marins, ont commencé à être menées dans les années 1970.
28En France, c’est en 1992 que l’intérêt scientifique pour ce sujet se précise, notamment avec François Galgani de l’IFREMER, qui publie les premiers résultats sur les estimations des quantités de déchets présents sur les fonds marins du plateau continental français avec, pour le Nord-Ouest de la Méditerranée, 175 millions de déchets. Ils ont été transmis aux médias français en 199810. En même temps étaient découvertes les concentrations de déchets flottants au centre des grands courants océaniques ; découverte qui commence dans le gyre océanique du Pacifique Nord par Charles Moore lors d’une traversée du Pacifique. Fondateur de la fondation Algalita11, il consacrera sa vie à la lutte contre le fléau de la pollution plastique.
29Cette concentration de déchets flottants a été appelée 7e continent par les journalistes, laissant penser qu’il s’agirait d’une concentration telle que l’on pourrait marcher dessus. Or, cette vue de l’esprit est fausse. Il s’agit d’une concentration de déchets flottants visibles à l’œil nu mais aussi d’objets flottants cassés et d’innombrables microparticules de plastique, formant une sorte de « soupe » plastique, le tout s’étendant sur la superficie de la moitié de l’Europe et sur 30 m de profondeur.
30Ces concentrations de déchets dans les gyres océaniques sont présents dans tous les océans du monde. En Méditerranée, des courants circulaires concentrent aussi les déchets, mais ils ne sont pas fixes tout au long de l’année. Des zones de concentration ont été repérées entre les Baléares et la Corse, au nord de la Corse et entre la Corse et l’Italie12.
31Les travaux scientifiques se sont multipliés et les premiers articles sur les microparticules de plastique ont été publiés en 2008. Un article de référence, publié en 2020 par un consortium de chercheurs dont François Galgani, a estimé à 5 250 milliards le nombre de microparticules flottants à la surface des mers et des océans du globe. La Méditerranée fait partie des mers les plus polluées par les micorparticules de plastique avec le golfe du Bengale. Les densités de particules sont ainsi régulièrement au-dessus du million par km2 et avec des valeurs moyennes au-delà de celles des zones de convergence océanique13.
32Concernant les déchets échoués, l’association MerTerre mène des études depuis vingt ans sur la partie est de la Méditerranée française. Les données sur les macrodéchets ont été obtenues à partir de relevés menés par MerTerre sur des plages de la région, ainsi qu’auprès de services techniques de collectivités territoriales, d’entreprises spécialisées et d’associations.
33Une estimation des volumes et tonnages de macrodéchets produits par saison estivale a été tentée en extrapolant les données rassemblées ici à l’ensemble du littoral considéré comme zone de baignade sur la côte de la région.
34Sur la totalité de déchets flottants estimés, 313 m3 sont collectés en moyenne par an sur les 637 m3 estimés flotter devant les côtes au cours de l’été. Les déchets abandonnés sont ceux laissés à même la plage par les usagers et les déchets échoués, ceux en provenance de la mer. Une moyenne de 56 litres par 100 mètres linéaires de côte a été estimée venir s’échouer, chaque jour sur les plages de la région.
35En tout, 34 797 m3 de macrodéchets (déchets flottants, échoués et abandonnés sur les plages) sont générés au cours des 3 mois d’été sur le littoral de la région, ce qui correspond à 7 615 tonnes14. Il s’agit essentiellement d’ordures ménagères pour les déchets produits sur place et de déchets en plastique pour les déchets flottants.
PACA | ||||
Déchets | Moy/saison/PACA en m3 | Moy m3/saison/km | Moy litre/j/100 m | Tonnage Total PACA |
Flottants | 637 | 2,6 | 6,0 | 51 |
Echoués | 12 200 | 50 | 56 | 976 |
Abandonnés | 21 960 | 90 | 100 | 6 588 |
Total | 34 797 | 142,6 | 162,0 | 7 615 |
36Concernant les origines des macrodéchets, elles varient en fonction de la saison. L’été, c’est la fréquentation des plages et des plans d’eau, en dehors de la saison balnéaire, le lessivage des bassins versants et les tempêtes peuvent entraîner des arrivages considérables sur une période courte. Des arrivages chroniques de déchets toute l’année sont dus aux activités en zones urbaines comme le nettoyage des rues, les envols de déchets par fort vent, les marchés souvent situés en centre-ville en bordure des ports. Les anciennes décharges en bordure de cours d’eau et les dépôts sauvages plus récents sont des sources importantes de déchets lors des phénomènes pluvieux intenses. Des arrivages de déchets flottants peuvent provenir d’Italie dans des conditions météo particulières. Le courant liguro-provençal peut transporter des déchets flottants sur de longues distances et apporter des déchets sur les côtes de la région.
37Par ailleurs, de récents travaux scientifiques démontrent que 80 % des apports en mer proviennent de 1 000 cours d’eau avec une prépondérance des apports par les petits fleuves côtiers de zone densément urbanisées15.
Les impacts des macrodéchets
38Ces déchets en milieux aquatiques constituent un enjeu environnemental d’envergure. Leurs impacts sont étudiés depuis une quarantaine d’années, surtout dans le milieu marin, avec une accentuation des efforts de recherches ces dernières années. Les thèmes les plus abordés s’inscrivent dans deux grandes catégories : les impacts sur la faune et les écosystèmes et les impacts sur les activités humaines.
39Les mammifères marins, les oiseaux, les tortues marines, les poissons et les invertébrés sont connus pour ingérer les déchets, en particulier les plastiques16. Au moins 32 espèces de cétacés (43 % des espèces existantes dans le monde entier), toutes les espèces de tortues marines, plus de 111 espèces d’oiseaux de mer (36 % des espèces d’oiseaux marins au monde) et de nombreuses espèces de poissons sont affectées17. De même, une modification de la structure des communautés benthiques18, des altérations des substrats19 et le transfert d’espèces exotiques20 constituent des risques supplémentaires d’effets sur le milieu et sur les écosystèmes.
40Des individus de nombreuses espèces peuvent se retrouver piégés dans les déchets flottants ou immergés, tels que des filets, des sacs et bâches en plastique, des cordages, etc. Les animaux ainsi empêtrés dans des déchets ont alors des difficultés pour se déplacer et se nourrir. Il se blessent avec les frottements et deviennent des proies faciles.
41Les filets de pêche abandonnés sont responsables de très nombreux piégeages de toutes sortes sur des animaux de toutes les tailles. Ils sont fréquemment appelés les « filets fantômes » (ghost fishing) dans les publications scientifiques relatant ce phénomène, du fait de la capture continuelle et inutile de poissons pendant un certain temps21. Ce type d’impact est également observé chez les mammifères marins, tels que les phoques et les dauphins22.
42À partir de 2008, la dégradation des matières plastiques en microparticules puis du rejet direct, dans les milieux aquatiques, de microparticules de plastique issus des produits cosmétiques et des eaux de lessivage des machines à laver préoccupent de plus en plus les scientifiques.
43L’ingestion des plastiques est une voie par laquelle des produits chimiques pourraient passer dans la chaîne alimentaire. Le relargage de substances chimiques telles que les nonylphénols (NP), les éthers diphényliques polybromés (PBDE), les phtalates et le bisphénol A (BPA) semble probable mais les risques associés (transfert trophique) sont mal évalués. Les plastiques ont également la propriété d’adsorber les polluants hydrophobes dont les polychlorobiphényles (PCBs) et les DDTs dans l’eau de mer23 favorisant leur transfert vers les organismes24. Les déchets solides véhiculent aussi des virus et des bactéries, appelés « plastisphère ».
44Les impacts de ces déchets sur les activités humaines sont aussi très divers. Leurs présences dégradent les paysages et donc influencent négativement la perception des usagers des cours d’eau et du littoral. Cette désaffection des usagers véhicule une mauvaise réputation des zones dégradées, ce qui implique des conséquences économiques sur le tourisme et accentue l’éco anxiété ambiante.
45Les déchets en milieux aquatiques entraînent aussi des pertes économiques sur les activités de pêche, la réparation des navires qui prennent des déchets dans les moteurs et le nettoyage des sites dégradés. Ils peuvent aussi entraîner des blessures (coupures, piqûres, etc.) et des problèmes sanitaires (infections, maladies) aux usagers des berges des cours d’eau, des plages et de la mer.
Quelles solutions et quels plans pour répondre à ce défi majeur ?
Au niveau national
46En 1996, la Commission Inter Agences de l’Eau commande une étude au CEDRE sur les préoccupations et les réponses des communes du littoral français à ce problème (Agences de l’Eau, CEDRE, 1997). En 2000, c’est pour le Secrétariat Général de la Mer que le CEDRE étudie les stratégies de réponse au problème des macrodéchets rejetés sur le littoral (SGM, CEDRE, 2000). Mais la gestion de ces « petites pollutions »25, ne fait pas explicitement partie de ses missions qui se concentrent sur les pollutions accidentelles des eaux, et les risques associés aux déchets marins n’étaient pas suffisamment compris à l’époque pour que l’État donne des moyens à la hauteur de cette dégradation environnementale. De plus, le CEDRE, missionné pour lutter contre les pollutions accidentelles des eaux, n’est pas armé pour la lutte contre une pollution dont les sources sont très nombreuses et majoritairement terrestres. Cette lutte doit être menée de manière continue car cette pollution est chronique, mais aussi ponctuelle lors des crues qui entraînent des arrivages massifs dans les eaux continentales et marines réceptrices. La question de savoir quel organisme administratif doit centraliser la lutte contre les macrodéchets s’est posée.
47Est-ce le CEDRE, puisqu’un lien étroit existe entre les pollutions chroniques et les pollutions accidentelles ? D’ailleurs, la lutte contre les hydrocarbures ou d’autres pollutions massives accidentelles en mer, sur les côtes et dans les cours d’eau est souvent effectuée à l’aide de matériel de ramassage des macrodéchets. Il est à noter qu’en cas de marée noire, de nombreux macrodéchets sont collectés en même temps que le pétrole. Ils augmentent encore le volume de déchets souillés à traiter.
48Est-ce l’ADEME, opérateur majeur historique de la politique de prévention et de gestion des déchets et acteur engagé dans l’ensemble des axes de l’économie circulaire ? Ou encore les agences de l’Eau, qui sont depuis 1964 des établissements publics de l’État ayant pour mission de gérer et de préserver la ressource en eau et les milieux aquatiques ?
49Pendant longtemps, ces deux organismes se sont renvoyé la balle, disant pour l’un qu’il ne s’occupait pas des milieux aquatiques et pour l’autre qu’il ne s’occupait pas des déchets. Pendant ce temps, ceux-ci continuaient de s’accumuler dans le milieu marin et de le polluer sans que la situation ne soit surveillée.
50Et c’est en 2008, avec la Directive Cadre Stratégie pour le Milieu Marin (DCSMM) qui définit le bon état écologique du milieu marin à l’aide de 11 descripteurs, dont le descripteur 10 « déchets marins », que les orientations des actions à mener contre cette pollution particulière se précisent enfin. Les États membres vont devoir définir une stratégie et tout mettre en œuvre pour observer une diminution des quantités de déchets présents sur les fonds, dans la colonne d’eau, en surface, échoués sur les plages, des microparticules et des déchets ingérés par des espèces indicatrices. Depuis cette date, la question des macrodéchets a fait l’objet de réflexions dans le cadre du Grenelle de l’Environnement et du Grenelle de la Mer26, puis en 2015 au sein du groupe de travail « déchets marins » piloté par le Ministère de la Transition Écologique.
51Il a alors été nécessaire d’établir un état initial de cette pollution dans le cadre de l’application de cette directive européenne. Concernant les déchets échoués et flottants, ce sont surtout des associations et des gestionnaires des zones protégées qui ont rassemblé les connaissances quantitatives et qualitatives qu’ils détenaient. Cependant, les méthodes de mesures n’étaient pas homogènes et les acteurs disparates. Les résultats sont donc très différents selon les façades maritimes françaises.
52Pour atteindre cet objectif de réduction des quantités de déchets en mer, un certain nombre de mesures concrètes et opérationnelles ont été définies à partir de l’état initial édité en 2012. La question des déchets marins étant à la croisée des politiques sectorielles relatives à l’eau et aux déchets, « les gouvernances et les outils de planification existants dans ces domaines doivent être mobilisés afin de créer des effets de synergie »27. Notamment, un volet « déchets marins » a été intégré dans le Programme National de Prévention des déchets 2014-2020 (PNPD). Et un programme de mesures a été défini pour chaque façade maritime au sein d’un plan d’action pour le Milieu Marin28. Pour la sous-région marine de Méditerranée Occidentale, les principales mesures visent à :
renforcer la prévention et la gestion optimisée des déchets dans une logique d’économie circulaire : mobilisation des filières à responsabilité élargie du producteur, limitation des produits en plastique et à usage unique, démarches volontaires pour les déchets marins prioritaires, planification régionale en application de la loi NOTRE ;
agir sur les voies de transfert des déchets solides depuis les bassins versants vers le milieu marin ;
mieux prévenir et gérer les déchets dans les ports ;
encourager les pêcheurs à participer à des actions de lutte contre les déchets marins.
53En 2018, avec le plan biodiversité, le gouvernement français s’est engagé notamment à « zéro plastique en mer en 2025 ». Et c’est alors l’ADEME qui a été identifiée pour accompagner la stratégie de lutte contre les déchets, en particulier plastiques, depuis la source jusqu’à la mer29.
54En 2019, le Comité Interministériel de la MER (CIMER) a adopté une feuille de route pour réduire les déchets plastiques en mer, avec également l’objectif de « zéro déchet plastique en mer en 2025 » comportant 3 volets : la prévention des pollutions plastiques en amont en renforçant la réglementation et la responsabilité des acteurs, des actions de lutte contre les déchets plastiques sur les voies de transferts, le littoral et en mer et la sensibilisation, l’information et l’éducation.
55Et enfin dans le cadre de la mise en œuvre de la directive européenne relative à la réduction de l’incidence de certains plastiques sur l’environnement (directive SUP) et de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte anti-gaspillage pour une économie circulaire aussi appelée loi AGEC, plusieurs mesures pour lutter contre la pollution plastique ont été fixées. Celle qui aura une incidence déterminante sur les macrodéchets du littoral concerne l’extension de la Responsabilité Élargie des Producteurs (REP) d’emballages vers la prise en compte des coûts de nettoyage et de traitement de certains déchets sauvages d’emballages et de plastiques à usage unique30. CITEO31 a la charge de l’application de l’intégration des nouvelles obligations de cette REP. Une autre REP a été mise en place et aura aussi des conséquences importantes pour aider les collectivités locales. Il s’agit de la REP Tabac afin de gérer le problème de l’abandon des mégots dans l’espace public. La société Alcome, agréée par l’État en août 2021 est l’éco-organisme en charge de cette nouvelle filière.
Au niveau régional
56En Méditerranée française, les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur, Occitanie et Corse ont beaucoup évolué sur la thématique ces 10 dernières années. Le transfert de compétences relatif à la rédaction des plans de prévention et de gestion des déchets ménagers des départements aux régions dans le cadre de la loi portant sur la Nouvelle Organisation Territoriale de la République (NOTRe) en 2015 a été déterminant et a accéléré ce processus. Les plans de prévention et de gestion des déchets sont maintenant inclus dans les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) qui sont des documents stratégiques, prospectifs et intégrateurs, qui sont opposables à certains niveaux de collectivité.
57Ces régions, très touristiques, ont construit leur réputation sur l’esthétique des paysages côtiers et l’attractivité des littoraux et la question des macrodéchets est prise très au sérieux. Prenons l’exemple de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. À partir de 2005, des associations d’éducation à l’environnement et au développement durable, rassemblées dans le réseau Mer par la région, ont coconstruit des programmes éducatifs et pédagogiques auprès des plus jeunes et de sensibilisation des usagers des zones côtières au travers notamment de la campagne éco geste et la création d’outils pédagogiques sur la thématique32. Puis, à partir de 2016, une politique volontariste s’est dessinée avec le programme zéro déchet plastique en Méditerranée en 2030 qui comprend plusieurs volets. L’un des axes d’action consiste à structurer et renforcer les acteurs engagés dans la réduction des déchets sauvages diffus qui peuvent aboutir en mer, en soutenant financièrement MerTerre qui œuvre dans ce sens et notamment au travers de la création d’une plateforme collaborative33. Un autre axe développe une charte zéro plastique portée par l’Agence Régionale pour la Biodiversité qui engage les acteurs de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur à lancer une démarche de réduction de l’usage des plastiques, de tri et d’utilisation de produits fabriqués en matière plastique recyclée. Plus de 200 structures ont signé cette charte en 2021. Et enfin, un troisième axe propose un fonds de dépollution pour « une Méditerranée zéro déchet plastique » qui finance des recherches et expéditions ainsi que des actions de nettoyage. Il a aussi contribué au développement du dispositif « Adopt’1 Spot » porté par MerTerre qui permet à des acteurs, inscrits dans la plateforme, de mener des ramassages de déchets en caractérisant les déchets plusieurs fois par an et de façon standardisée afin d’obtenir des informations utiles et nécessaires à la définition de plan de réduction.
58Ainsi la région est bien engagée dans un renforcement de la prévention et de la gestion optimisée des déchets dans une logique d’économie circulaire préconisée dans le plan d’action pour le milieu marin. Si la définition des démarches volontaires pour les déchets marins prioritaires est possible grâce à l’acquisition de connaissances centralisées à l’échelle régionale et nationale, « agir sur les voies de transfert des déchets solides depuis les bassins versants vers le milieu marin » se mène au niveau local, dans les territoires des collectivités. Ces acteurs sont, en effet, aux premières loges de la confrontation avec cette pollution spécifique et donc de son traitement.
Au niveau local : comment les collectivités répondent-elles à ce défi et quelles sont leurs perspectives ?
59En termes d’effort d’entretien et de gestion publique, c’est au moment de l’extension des congés payés à 4 semaines, au début des années 70, que les communes littorales s’organisent pour garantir des plages propres pour les usagers balnéaires, touristes et autochtones. La motivation est de répondre à une nuisance au tourisme, une pollution dite « esthétique » et non à une pollution majeure. Avant la DCSMM, il n’existait pas de politique publique globale concertée contre cette pollution particulière.
60Les communes sont très inégales face à la pollution par les macrodéchets. Elles sont plus ou moins exposées aux échouages en fonction de la géomorphologie des côtes, des courants, des vents dominants, de la proximité de cours d’eau et de grandes villes, de la fréquentation touristique.
61Les résultats d’un travail de thèse en 2004 sur 37 communes littorales de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur montrent qu’elles sont toutes sujettes à des échouages de déchets toute l’année. Elles s’organisent cependant différemment même si la majorité des communes nettoient leurs plages l’été. Les moyens locaux varient suivant la taille, la longueur du littoral, la configuration et la nature des côtes : rochers, sable, accessibilité à pied et par engins mécaniques. Les zones rocheuses et les digues ne sont pas forcément entretenues alors qu’elles sont très fréquentées lorsqu’elles sont accessibles facilement. Le linéaire nettoyé dépend de son accessibilité et des moyens humains et techniques mobilisables34.
62Les efforts d’entretien sont moins importants en dehors de la saison estivale alors que les pluies et les coups de vent pouvant ramener des macrodéchets sont plus fréquents. La gestion des déchets dans les bassins versants est traitée sous l’angle du risque inondation. Ils ne doivent pas gêner le libre écoulement de l’eau. Ainsi, s’ils ne gênent pas la circulation de l’eau, ils ne sont pas systématiquement retirés. Le problème n’est toujours pas traité comme une pollution majeure mais comme une nuisance au tourisme, une pollution esthétique. Une fois échoués, les déchets peuvent être repoussés vers la mer par des vents contraires avant qu’un nettoyage n’ait été organisé.
63La répartition des compétences sur la bordure littorale est complexe et ne facilite pas la gestion de la pollution par les déchets diffus. En effet, la bordure littorale sur laquelle les déchets s’échouent appartient à l’État. Elle est appelée Domaine Public Maritime, concédée aux communes à leur demande pour les plages les plus fréquentées. Concernant la gestion des déchets et le nettoyage des plages, les compétences sont partagées entre les communes et les communautés de communes. Le traitement des ordures ménagères peut être pris en charge par la communauté de communes quand la compétence du nettoyage des plages est restée aux communes.
64Concernant la surveillance, encore aujourd’hui en 2021, les acteurs qui nettoient les plages ne font pas de relevés systématiques des quantités de déchets ramassées. Ils ont pourtant la capacité d’apporter des informations utiles à la compréhension de l’évolution des quantités de déchets sur la zone littorale. Depuis quelques années, certaines communes et communauté de communes réalisent des études relatives aux déchets dans les réseaux hydrographiques et développent des solutions d’entretien et d’équipement adaptés des réseaux (ex : Cannes, Aix-Marseille-Provence Métropole35). Concernant les fleuves côtiers, la mutation dans la prise en charge de l’enlèvement des macrodéchets est en cours mais reste une problématique complexe.
65Par ailleurs, de nombreuses associations sont actives sur cette thématique et participent aux efforts de dépollution en organisant des opérations de ramassage de déchets littoraux terrestres et marins. Cette tendance s’accroît chaque année, due au retentissement médiatique que connaît aujourd’hui cette pollution particulière.
66Ces acteurs sont aussi progressivement impliqués dans la surveillance et l’évaluation des macrodéchets. Ils sont devenus des acteurs majeurs de la surveillance des déchets échoués et plus largement des déchets sauvages diffus qui peuvent aboutir en mer.
67Il existe deux démarches conjointes et complémentaires pour mesurer les déchets échoués. L’une est pilotée par le CEDRE dans le cadre de la DCSMM, cela consiste à mobiliser les acteurs de terrain, comme des associations et des gestionnaires d’espaces naturels dans le cadre d’un grand programme national de surveillance des déchets échoués. Les données sont rassemblées dans la base de données DALI (Data Litter) développée par l’IFREMER. Les relevés sont réalisés 4 fois par an sur 8 à 10 sites par façades maritimes.
68L’autre est portée par MerTerre, soutenue par le Ministère de la Transition Écologique depuis 2016 et par la région Provence-Alpes-Côte d’Azur depuis 2017, en partenariat avec le Museum National d’histoire Naturelle (MNHN), spécialiste des sciences participatives. Ce projet consiste à acquérir des données en structurant et renforçant la capacité des acteurs engagés dans la réduction des déchets sauvages diffus qui peuvent aboutir en mer. La plateforme collaborative pilote pour la France, www.remed-zero-plastique.org, (ReMEd) est née en mai 2019. ReMed a constitué un maillon fondamental dans le processus de développement de la plateforme nationale Zéro Déchet Sauvage (ZDS) dont elle est devenue une antenne régionale www.zero-dechet-sauvage.org.
69MerTerre a conçu ces outils en étant à l’écoute des besoins et des défis rencontrés par les acteurs contribuant à la réduction des déchets sauvages. En effet, de nombreux acteurs, bénévoles, publics, privés etc. interviennent sur le littoral. Ils détiennent sur les macrodéchets des connaissances précieuses qui peuvent ainsi être recueillies, structurées, validées et complétées. L’analyse de ces données fournit le cadre et les directions à donner aux actions préventives et curatives locales et nationales. Les acteurs locaux peuvent ainsi contribuer aux programmes de surveillance et de définition des plans d’action et d’évaluation des politiques publiques dans les territoires bien identifiés.
70Les macrodéchets du littoral constituent une pollution majeure visible et dont on peut tracer l’histoire. Ces informations permettent de mieux comprendre la chaîne des facteurs déterminants à l’origine du problème. Le travail d’acquisition de connaissances quantitatives, qualitatives, sur les origines géographiques et sur les secteurs d’activités économiques et les types d’acteurs qui ont commis les rejets est possible grâce à la mobilisation des professionnels, des associations et des nouvelles technologies. C’est un nouveau paradigme de considérer les macrodéchets comme une pollution, et y répondre demande d’avoir une compréhension et une vision écosystémique de la situation. Les responsabilités sont partagées entre le citoyen, le service technique de la propreté et de l’assainissement, les professionnels des grands secteurs économiques comme la restauration rapide, les bars et restaurants, les tabacs, la grande, moyenne et petite distribution, les grandes marques de boissons, de sucreries, de tabac, etc.
71L’extension des REP Emballages, plastique à usage unique et tabac vers la collecte des déchets abandonnés diffus va entraîner une nécessaire structuration des actions à mener, qu’elles se situent en amont dans le cadre d’un diagnostic et d’une évaluation, ou dans celui du traitement des déchets présents ou encore dans la prévention avec la formation des professionnels concernés, l’éducation des jeunes et la sensibilisation de tous les acteurs du socio-écosystème.
Conclusion
72Finalement, la majorité des actions concrètes qui devront être menées comme agir sur les voies de transfert des bassins versants vers la mer et mesurer leur évolution, prévenir, ramasser et traiter les déchets abandonnés diffus, appliquer la logique d’économie circulaire, devront être menées au sein des collectivités locales.
73Pour ces collectivités, le succès d’une politique de lutte contre les déchets abandonnés diffus qui peuvent aboutir en mer dépendra de leur compréhension du phénomène spécifique à leur territoire. Il s’agira de mener des actions intégrées et pilotées avec une vision globale. Pour cela, un diagnostic précis devra être posé, comprenant un dispositif d’évaluation de l’efficacité des actions correctives sur le long terme. Il permettra d’identifier les zones géographiques les plus touchées et donc les secteurs d’activité économique à la source des déchets et les comportements des habitants et des entreprises à leurs origines. La capacité à articuler les actions du secteur de l’entretien des réseaux hydrographiques à celui de la propreté sera déterminant. Ces actions devront être appuyées par une communication auprès des administrés et des touristes afin que ceux-ci ne puissent plus penser qu’il est normal de jeter son déchet par terre et qu’ils peuvent changer de comportement, puisqu’ils ne sont pas seul à le faire. Ils rejoignent tous ceux qui, comme eux, sont en train d’œuvrer pour un cadre de vie plus agréable et pour répondre à cet enjeu environnemental majeur du xxie siècle.
74Finalement, progressivement, une politique globale commence à se structurer. Pour qu’elle soit concertée, des adaptations structurelles vont devoir s’opérer au sein des organisations. Les conditions favorables à la mise en œuvre d’actions concrètes ont été créées grâce à la définition des grandes lignes des actions à mener proposées au niveau national pour s’inscrire dans une démarche européenne. Le pilotage dans les régions se mène grâce à la définition des STRADETT. Un fond pour la prévention et la collecte des déchets abandonnés diffus est dégagé grâce à la loi AGEC et ses nouvelles REP, et la gestion des déchets dans les cours d’eau peut être pris en charge dans certains cas par l’ADEME et les Agences de l’eau au cas par cas.
75Une vision globale concertée demandera donc aux collectivités locales d’inscrire les actions préventives et curatives en cohérence avec la démarche régionale et nationale tout en s’appuyant sur les politiques et outils de protection locaux. Il nous paraît nécessaire qu’une adaptation structurelle s’opère au sein des différentes échelles de gouvernance afin qu’une vision globale concertée soit possible. Une instance de pilotage d’une politique de réduction des macrodéchets aura le recul nécessaire pour une vision systémique permettant d’englober la complexité du socio écosystème impliqué (assainissement, gestion des réseaux hydrographiques, propreté, communication, éducation, formation, réglementation et police, protection des espaces et des espèces, coordination des acteurs locaux impliqués, etc.).
76Les associations sont des acteurs clés dans la mise en œuvre des plans d’actions nationaux pour la réduction de la pollution des eaux Méditerranéennes par les déchets diffus. Elles participent, depuis leurs débuts, aux réflexions et à la construction de ces politiques publiques. Mais elles sont aussi des acteurs essentiels de leur mise en œuvre dans les territoires autant auprès des collectivités territoriales que du public.
Notes de bas de page
1 A. C. Cheshire et al., UNEP/IOC Guidelines on Survey and Monitoring of Marine Litter. UNEP Regional Seas Reports and Studies, No. 186 ; IOC Technical Series No. 83 : xii + 120 p., 2009 ; F. Galgani et al., Marine Strategy Framework Directive Task Group 10 Report Marine litter, JRC Scientific and technical report, ICES/JRC/IFREMER Joint Report (n° 31210 – 2009/2010) , Editor : N. Zampoukas, 57 p.
2 ALITEC, Le littoral : structures et dynamiques de l’urbanisation. Approche statistique et cartographique, 1993, p. 5.
3 PNUE/PAM et Plan Bleu, État de l’Environnement et du Développement en Méditerranée : 10 infographies pour comprendre l’état de l’environnement et du développement en Méditerranée, 2020, p. 5.
4 Op. cit., p. 9.
5 Op. cit., p. 9.
6 https://provence-alpes-cotedazur.com/espace-pro/le-kiosque/nos-etudes/bilan-2019-de-
lhotellerie-regionale/ au 2/09/2021.
7 Tourisme chiffres clés, édition 2019, Côte d’Azur France.
8 Code pénal, art. R. 633-6.
9 https://france3-regions.francetvinfo.fr/centre-val-de-loire/un-megot-jete-par-terre-une-amende-de-68-euros-la-mairie-d-orleans-reflechit-823255.html, publié le 06/10/2015 à 10h16 et mis à jour le 11/06/2020 à 07h35.
10 F. Galgani, « Étude des macro-déchets en milieu marin : une première synthèse », Lettre aux médias, n° 49, communication IFREMER, 1998, 9 p.
11 http://www.captain-charles-moore.org/about/, au 31/10/2021.
12 https://www.nationalgeographic.fr/environnement/2020/06/la-mediterranee-mer-la-plus-polluee-du-monde, octobre 2021
13 F. Galgani et al., « Pollution des océans par les plastiques et les microplastiques », Sciences et Techniques de l’Ingénieur, BIO 9 300, 2020, p. 3.
14 Densité des déchets flottants et échoués (surtout plastique) = 80kg/m3 ; densité ordures ménagères = 300 km/m3 à partir du site suivant : http://www.sindra.org/les-dechets-en-auvergne-rhone-alpes/dechets-non-dangereux/fonctionnement-de-sindra/densite-des-dechets.
15 L. J. J. Meijer et al., « More than 1 000 rivers account for 80 % of global riverine plastic emissions into the ocean », Sci. Adv. 7, eaaz5803).
16 M. R. Gregory, « Environmental implications of plastic debris in marine settings – entanglement, ingestion, smothering, hangers-on, hitch-hiking, and alien invasions », Philosophical Transactions of the Royal Society B 364, 2013-2026 (doi:10.1098/rstb.2008.0265).
17 S. Katsanevakis, « Marine debris, a growing problem : Sources, distribution, composition, and impacts », in T. N. Hofer (ed), Marine Pollution : New Research, Nova Science Publishers, New York. p. 53-100.
18 S. Katsanevakis et al., « Effect of marine pollution with litter on the benthic megafauna of coastal soft bottoms », Marine Pollution Bulletin, 54, p. 771–778.
19 M. J. Donohue et al., « Derelict fishing gear in the Northwestern Hawaiian Islands : diving surveys and debris removal in 1999 confirm threat to coral reef ecosystems », Marine Pollution Bulletin, 42, p. 1301-1312 ; M. Chiappone et al., « Occurrence and biological impacts of fishing gear and other marine debris in the Florida Keys », Marine Pollution Bulletin, 44, p. 597-604.
20 J. E. Winston, « Drift plastic – an expanding niche for a marine invertebrate ? », Marine Pollution Bulletin, 13, p. 348-357 ; D. K. A. Barnes, « Invasions by marine life on plastic debris », Nature 416, 808–809. (doi:10.1038/416808a) ; D. K. A. Barnes & P. Milner, « Drifting plastic and its consequences for sessile organism dispersal in the Atlantic Ocean », Marine Biology, 146, p. 815-825.
21 M. M. Jones, « Fishing debris in the Australian marine environment », Marine Pollution Bulletin 30, 25–33 ; M. J. Kaiser et al., « Catches in “ghost fishing” set nets », Marine Ecology Progress Series 145, p. 11-16 ; J. Brown & G. McFadyen, « Ghost fishing in European Waters : Impacts and management responses », Marine Policy 31, p. 488-504.
22 R. H. Mattlin et M. W. Cawthorn, « Marine debris : an international problem », New Zealand Environment 51, p. 3-6. In J. G. B. Derraik, « The pollution of the marine environment by plastic debris : a review », Marine Pollution Bulletin 44, p. 842-852.
23 E. Carpenter et al., « Polystyrene spherules in coastalwaters », Science 178, p. 749-750. (doi:10.1126/science.178.4062.749 ; Y. Mato et al., « Plastic resin pellets as a transport medium for toxic chemicals in the marine environment », Environ. Sci. Technol. 35, p. 318–324. (doi:10.1021/es0010498).
24 E. L. Teuten et al., « Transport and release of chemicals from plastics to the environment and to wildlife », Philosophical Transactions of the Royal Society B 364, p. 2027-2045.
25 CEDRE, Inventaire et méthode d’évaluation des « petites » pollutions littorales : cas des macro-déchets, Rapport final. Convention pluriannuelle n° 9500075 avec les Agences de l’Eau, 1997, 53 p. ; Etude des stratégies de réponse au problème des macro-déchets rejetés sur le littoral, Rapport final, Secrétariat Général de la Mer. Réalisée pour le secrétariat Général de la Mer R.2000.02.C MG/SA, 2000, 46 p.
26 Rapport du COMOP 14 Grenelle de la Mer, « Fonds macrodéchets », « Recommandations pour un plan coordonné de réduction des macro-déchets flottants ou échoués dans les fleuves, les ports, le littoral et en mer », juin 2010.
27 MEDDE/DEB et DGPR – décembre 2014, document de travail préfigurant un futur plan d’action au niveau national. Atelier « déchets marins » (Programme national de prévention des déchets 2014-2020, Programmes de mesures DCSMM des sous-régions marines, Schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux). 24p.
28 MEDDE/DIRM MED, Plan d’Action pour le Milieu Marin - Sous- région marine - Méditerranée Occidentale - Programme de mesures 2016 – 2021.
29 ADEME, C. Marek, F. Parisot ; ECOGEOS, M. Guyomard, M. Marcoux, M. Rondel ; LEESU, R. Tramoy 2020. Lutte contre la pollution par les déchets plastiques en milieu marin. Rapport final, p. 10.
30 CITEO - ECOGEOS - TEHOP - Direction Réemploi et Nouveaux Services de Collecte, 07/06/2021, Diffusion libre : « Les déchets sauvages diffus correspondent à des déchets dits abandonnés qui pour diverses raisons n’ont pu intégrer le circuit conventionnel de gestion des déchets. Ils sont facilement dispersés et se retrouvent donc dans des milieux très variés, de l’urbain dense au milieu naturel le plus isolé »
31 CITEO naît de la fusion en septembre 2017 d’Eco-Emballages et d’Ecofolio.
32 https://geom-asso.com/?page_id=215 ; et https://issuu.com/phouckert/docs/merterre_livret.
33 www.remed-zero-plastique.org.
34 I. Poitou, Les macrodéchets : une gestion publique empirique. Étude du littoral de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, Thèse de doctorat, Université Aix Marseille, 2004, 426 pages.
35 https://www.suez.com/fr/notre-offre/succes-commerciaux/nos-references/marseille-lutter-contre-presence-macrodechets-littoral-strategie-capture-dediee.
Auteur
Docteur en Aménagement et Urbanisme et biologiste, Directrice de MerTerre
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Les sources complémentaires du droit d’auteur français
Le juge, l’Administration, les usages et le droit d’auteur
Xavier Près
2004
Compensation écologique
De l'expérience d'ITER à la recherche d'un modèle
Virginie Mercier et Stéphanie Brunengo-Basso (dir.)
2016
La mer Méditerranée
Changement climatique et ressources durables
Marie-Luce Demeester et Virginie Mercier (dir.)
2022