Impact du changement climatique sur la biodiversité marine en Méditerranée
p. 57-70
Résumé
Le changement climatique a un impact indéniable sur la biodiversité et il peut, dans une certaine mesure, modifier la structure des biocénoses. Or, la diversité spécifique en milieu littoral méditerranéen est d’une grande richesse et elle va évoluer avec le réchauffement des eaux. Ce réchauffement affecte les principales biocénoses, qu’elles soient algales ou animales. Des espèces plus thermophiles appartenant à de nombreux groupes zoologiques s’installent actuellement dans les écosystèmes littoraux, sans pour cela éliminer systématiquement les espèces autochtones. Cependant, certaines espèces disparaîtront de la Méditerranée. Il se produira un glissement d’espèces dans la partie septentrionale de la Méditerranée occidentale, mais ces espèces seront probablement toujours présentes dans l’Océan atlantique. Le changement climatique est responsable également de l’apparition d’épizooties qui vont affecter la biodiversité avec la disparition de certaines espèces. Or la biodiversité est un facteur de stabilité des écosystèmes, et un écosystème diversifié présente une meilleure résistance aux attaques de toutes sortes.
Texte intégral
Introduction
1Le concept de biodiversité est apparu à la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED) qui s’est tenue à Rio de Janeiro en juin 1992. Ce concept est étroitement associé à celui de « développement durable ». Le terme de biodiversité provenant de la contraction de diversité biologique, est cependant plus ancien. Il fut utilisé au cours des années 1980 par des naturalistes inquiets de la disparition de certaines espèces.
2La Convention de Rio définit la biodiversité comme « la variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris, entre autres les écosystèmes terrestres, marins, et autres écosystèmes aquatiques, ainsi que des complexes écologiques dont ils font partie. Cela comprend la diversité au sein des espèces, et entre espèces, ainsi que celle des écosystèmes ». En simplifiant, on peut dire que c’est l’ensemble des êtres vivants de la biosphère, de leur matériel génétique et des écosystèmes dont ils font partie qui constitue la biodiversité. L’objet essentiel de l’étude de la biodiversité est de sauvegarder de nombreuses espèces menacées d’extinction à cause des agressions dues aux activités humaines.
3La diversité spécifique en milieu littoral est d’une grande richesse tant sur les côtes atlantiques que méditerranéennes. C’est sur ce littoral que se manifeste en temps normal le maximum de vie, que se rencontrent les lieux de reproduction de nombreux organismes marins. C’est là que vont jouer à plein toutes les nuisances de notre civilisation : aménagements abusifs, rejets polluants, qui ont fait disparaître de nombreuses espèces depuis une cinquantaine d’années.
4La Méditerranée, mer semi-fermée de volume réduit, est cependant d’une extrême richesse spécifique : elle est estimée entre 8 et 10 % de la biodiversité de l’Océan mondial. Le peuplement actuel est surtout représenté par des espèces atlantiques, mais avec un pourcentage élevé d’espèces endémiques, ou encore d’espèces introduites par les activités maritimes. Cependant si la diversité spécifique est importante, la productivité de la Méditerranée est faible, car c’est une mer oligotrophe. Cela dit, la Méditerranée qui occupe 1 % de l’Océan mondial, constitue un modèle de fonctionnement pour cet Océan. Force est de constater qu’après de multiples rencontres, de conférences sur le développement durable, après les propos tenus au sommet de la Terre à Johannesburg en 2002, on est toujours en attente de la mise en œuvre d’une politique cohérente en matière d’écologie.
5S’il est important de médiatiser ce type de conférence, comment peut-on expliquer à nos concitoyens que la France est condamnée par l’Union Européenne, notamment dans ses retards à la réalisation de ses réseaux Natura 2000, réseaux dans lesquels la connaissance et le suivi de la Biodiversité sont essentiels lorsqu’on sait que 80 % de la disparition des espèces sont liés à l’occupation et la fragmentation des territoires par l’homme.
La Biodiversité sur le littoral Méditerranéen
610 000 à 12 000 espèces de végétaux et d’animaux ont été recensées. 650 espèces de poissons dont les 3/4 vivent dans les 50 premiers mètres de profondeur. Toutes ces espèces ont diverses origines (Figure 1 et 2)1.
Flore et faune marines en Méditerranée
La flore
7Le littoral méditerranéen se caractérise par la présence de nombreuses espèces d’algues qui se développent surtout dans la zone la plus éclairée par les rayons du soleil. On les qualifie pour cette raison de photophiles. Elles ont besoin de l’énergie lumineuse pour se développer.
8Elles puisent les sels nutritifs (phosphates, nitrates) dans l’eau de mer, et grâce au gaz carbonique de l’eau et à l’énergie lumineuse, elles réalisent la photosynthèse.
9Il existe de nombreux types d’algues photophiles. Il s’agit des algues vertes ou Chlorophycées comme la laitue de mer par exemple (Ulva lactuca) qui pousse surtout lorsque le milieu est riche en matière organique. C’est le cas des lagunes littorales ou au niveau des rejets d’eaux usées. Le pigment qui les caractérise est la chlorophylle.
10Il existe aussi des algues brunes, chez lesquelles le pigment principal est la phycocyanine, des algues rouges qui renferment des pigments rouges ou carotenoides. Toutes ces algues servent de refuge à de nombreux organismes animaux : petits crustacés comme les puces de mer (gammares), de petits coquillages, mais également de petits poissons comme les blennies. En profondeur se développent des algues qui se contentent de peu de lumière ; elles sont dites pour cette raison sciaphiles. Se situant en début de chaîne alimentaire, les algues sont la nourriture habituelle de poissons herbivores comme les saupes par exemple.
11Certaines algues ne peuvent se développer que dans des eaux propres bien oxygénées et dépourvues de pollutions. Elles constituent en cela de bons indicateurs de la qualité des eaux. C’est le cas d’une algue brune buissonnante qui vit dans les zones battues par les vagues : Cystoseira. Lorsque se manifestent des rejets d’eaux usées, elles sont les premières à disparaître, et elles sont alors remplacées par des ulves ou des algues vertes filamenteuses, les entéromorphes.
La faune
12Cette faune est très diversifiée. Il existe sept à huit mille espèces animales aux origines diverses :
atlantique : l’eau qui pénètre par le détroit de Gibraltar favorise en permanence l’entrée de grandes quantités d’organismes.
indo-pacifique : le canal de Suez permet à des espèces de mer Rouge appelées espèces lessepsiennes (du nom de l’ingénieur qui construisit le canal de Suez : Ferdinand de Lesseps) de venir s’implanter en Méditerranée.
endémique : provenant de l’Atlantique, des organismes se sont adaptés dans des temps très anciens, ont évolué en Méditerranée où ils ont acquis des caractères spécifiques.
13Enfin, avec le développement des transports et de la culture d’espèces marines (aquaculture) notamment, des espèces étrangères arrivent chaque jour en Méditerranée, à l’état de larves ou d’adultes, et un certain nombre d’entre elles arrivent à s’adapter à leur nouvel environnement.
14De nombreuses espèces vivent en pleine eau et font partie du plancton, terme qui signifie errer. Ces sont des espèces microscopiques ou de faible taille qui ont un pouvoir locomoteur assez limité (cils, flagelles, mouvements de contraction du corps), et sont essentiellement portées par les courants. D’autres de plus grande taille font partie du necton. Elles sont douées de mouvements propres ; ce sont de grands nageurs comme les thons, les requins et les cétacés. Tous ces animaux mènent une vie pélagique (en pleine eau), et constituent le pélagos.
15Les espèces qui vivent au voisinage du fond ou sur le fond, mobiles ou fixées constituent le benthos, elles mènent par conséquent une vie benthique.
Effets du changement climatique
16Le changement climatique ne se discute plus aujourd’hui, les divers rapports récents du GIEC en attestent. Pour la Méditerranée, des travaux déjà anciens évoquaient l’hypothèse d’un réchauffement des eaux2. Il a été constaté une élévation de la température des eaux profondes du Bassin occidental de 0,12°C en 30 ans, et qu’en zone côtière cette élévation se fait de façon linéaire.
17Des mesures de la température de l’eau ont été réalisées par exemple en Espagne depuis 1974 sur les côtes de Catalogne, au voisinage de la réserve marine des Iles Medes, et ce à diverses profondeurs. Ces mesures montrent une élévation de la température de +1,24°C en 28 ans, à 20m de profondeur, et de +0,7°C à 80 m3.
18Au cours des derniers étés (2019, 2020), des températures élevées et persistantes ont été observées sur le littoral provençal (26° à 60 m dans la baie de Villefranche-sur-mer, 22° à 40 m à la réserve de Scandola).
19Le réchauffement des eaux a une incidence sur la vie marine littorale et en particulier sur les deux écosystèmes clefs de la Méditerranée, les grands herbiers de phanérogames marines : les posidonies et le coralligène bien développé sur les grands tombants rocheux où les espèces fixées sont très sensibles aux changements de qualité du milieu, et notamment de la température. Elles sont sujettes à d’importantes mortalités souvent accompagnées d’épizooties et de remplacement d’espèces autochtones par des espèces plus thermorésistantes.
20Ces changements ont un impact indéniable sur la biodiversité, et ils peuvent dans une certaine mesure modifier la structure de l’écosystème.
Impact sur les herbiers de posidonies
21Les grandes prairies sous-marines qui se développent sur le littoral méditerranéen occupent 7 % de sa surface. En absence de pollutions ou d’agressions (restructuration des rivages, endigages, etc.) les herbiers peuvent s’étendre jusqu’à 35-40m de profondeur, en eau claire. C’est encore le cas en certains secteurs protégés (parc national de Port-Cros, réserve naturelle de Scandola en Corse). L’herbier a régressé sur l’ensemble du littoral méditerranéen, à cause du rejet des eaux usées et des aménagements inconsidérés du littoral. Aujourd’hui se rajoute un nouveau paramètre : le réchauffement des eaux. Il semble qu’il soit responsable en partie de la régression de la limite inférieure de l’herbier dans la baie d’Elbo (réserve naturelle de Scandola), une zone peu fréquentée par la navigation de plaisance. On ne peut donc mettre sur le compte des ancrages le recul de cette limite profonde, ni a fortiori sur le compte des aménagements. Un suivi permanent de température et de turbidité a conduit Romano4 à émettre cette hypothèse.
22D’autre part le réchauffement provoque l’apparition d’une espèce algale filamenteuse envahissante Womersleyella setacea (Céramiale Rhodophycea) en provenance du Pacifique, qui colonise les rhizomes et constitue un tapis d’aspect cotonneux sur les champs de Cystoseira amantacea (Figure 3).
La biocenose du coralligène
23Les tombants rocheux en Méditerranée sont recouverts d’une flore et d’une faune d’une grande biodiversité. Les organismes sessiles qui composent la biocénose sont extrêmement sensibles aux agressions anthropiques et à l’élévation de la température.
24Contrairement aux espèces mobiles, elles ne peuvent s’adapter, à court terme, à de nouvelles conditions physico-chimiques qui dépassent leurs limites de tolérance.
25Il en résulte de véritables catastrophes écologiques. Ce fut le cas lors des épisodes de chaleur persistante en 1999 et 2003.
26Au cours de l’été et de l’Automne 1999, il a été constaté sur 500 kilomètres de côtes du littoral méditerranéen nord-occidental des mortalités massives qui ont affecté essentiellement les grandes gorgones (Paramuricea clavata), mais également d’autres espèces caractéristiques du coralligène comme les éponges, le corail rouge, les bryozoaires, des mollusques bivalves, des annélides polychètes, etc.5.
27Cet épisode catastrophique s’est déroulé sur les côtes de Provence entre la mi-août et la mi-octobre 1999, période durant laquelle les eaux de surface se sont maintenues à un niveau très élevé (environ 24°C), et la thermocline se situait vers 40-45 m de profondeur. Les espèces les plus affectées ont été les spongiaires et les cnidaires. Parmi les spongiaires, ce sont surtout les éponges commerciales (Spongia officinalis) ; chez les cnidaires, ce sont les gorgones pourpres (Paramuricea clavata) (Figure 5) et Eunicella singularis qui ont été les plus atteintes. Les taux de mortalité ont atteint 90 % en certaines stations. La gorgone jaune (Eunicella cavolini), et le corail rouge (Corallium rubrum) ont été moins touchés.
28Les mêmes phénomènes ont été observés sur la côte italienne de Ligurie.
29Pour expliquer cette mortalité catastrophique sur une étendue aussi importante, diverses hypothèses ont été formulées. L’hypothèse d’une pollution accidentelle a été vite écartée. Par contre une hypothèse sur l’origine bactérienne semble plausible6.
30À l’Institut Océanographique Paul Ricard, les scientifiques ont analysé la fréquence d’apparition de certaines bactéries, et notamment des vibrions marins, dans différents prélèvements de gorgones plus ou moins affectées ; ils se sont également penchés sur leurs capacités à induire des nécroses sur des organismes sains. Ces essais ont montré que certaines souches de bactéries appartenant au genre Vibrio sont capables de déclencher très rapidement ce type de nécrose in vitro, alors que d’autres souches en paraissent incapables. Les chercheurs ont également effectué des tests sur ces bactéries à différentes températures : les nécroses surviennent seulement à partir de 22 à 23°C, ce qui confirme le rôle du facteur thermique. Ce rôle est peut-être lié à une augmentation de la virulence du microbe à une température suffisante et/ou une diminution de la résistance de l’hôte dans ces conditions thermiques. Il semble donc bien que l’apparition de nécroses à une température supérieure à 22°C soit favorisée et accélérée par l’activité de certaines souches de vibrions, jusqu’à présent non répertoriées comme pathogènes, mais plutôt comme opportunistes.
31Les connaissances sur les nécessités physiologiques des organismes sessiles sont quasi inexistantes et ne facilitent pas les interprétations. Ainsi, au cours de la même année 1999, des températures comparables à celles de la région marseillaise ont été observées dans la région de Banyuls-sur-Mer, durant plusieurs semaines. Cependant aucune mortalité importante d’organismes sessiles n’a été constatée dans cette région de la côte Vermeille. Il est possible que les populations rencontrant des conditions de vie différentes de part et d’autre du Delta du Rhône aient pu évoluer différemment.
32Dix ans plus tard, on constatait une récupération quelquefois partielle des colonies affectées sur les stations de référence. Cependant, il est probable que ce type de phénomène puisse se reproduire dans les décennies à venir, avec un danger réel pour la survie des espèces sensibles et pour la biodiversité marine de la Méditerranée.
Les communautés de l’ombre
33Il s’agit des peuplements des grottes sous-marines nombreuses sur le littoral marseillais des calanques, bien étudiées depuis les années 60. Ces communautés sont particulièrement vulnérables. Elles sont constituées par des organismes vagiles ou fixés très sensibles aux changements des conditions du milieu, et notamment la température. Il s’agit généralement d’espèces qui vivent normalement à de très grandes profondeurs (1000 m). Dans les boyaux obscurs des grottes de la Méditerranée occidentale, de petits crustacés de l’ordre des Mysidacés avaient été découverts7 ; ils constituaient des essaims très denses. L’espèce décrite par Ledoyer est Hemimysis speluncola. D’autres espèces existent dans les grottes, mais jusqu’à la fin des années 90, H. speluncola a toujours été l’espèce dominante, et souvent d’ailleurs unique dans certaines grottes du littoral marseillais. Et puis, en 1986 une autre espèce y a été décrite, H. margalefi, moins commune cependant. Dans une grotte de l’île Jarre où H. speluncola formait d’immenses essaims dans les années 70, alors que H. margalefi n’y avait jamais été observée, on constate à partir de 1999 la disparition totale de H. speluncola et son remplacement par H. margalefi, plus thermorésistante. Toutes les grottes sont désormais occupées par cette espèce sauf une qui se trouve près de La Ciotat, la grotte des 3PP (car découverte par trois vieux plongeurs !). Cette grotte a des caractéristiques géomorphologiques particulières. Elle piège, à 25m de profondeur, par densité, des eaux froides (13-15°C) toute l’année, alors que dans les autres grottes la température peut souvent atteindre 24°C.
34La grotte des 3PP est la seule aujourd’hui, sur la côte méditerranéenne française, à abriter encore une population de H. speluncola8.
35Epizooties, parasitoses, pandémies. Le changement climatique global et le réchauffement des eaux méditerranéennes favorisent le développement d’épizooties chez de nombreuses espèces. Il existe dans le milieu marin de nombreux virus, encore mal connus, des germes et des parasites en dormance qui sont activés par l’élévation des températures et leur maintien à des niveaux élevés durant des jours, des semaines et des mois.
36C’est le cas d’un parasite qui décime depuis l’automne 2016 les populations du plus grand mollusque bivalve endémique de Méditerranée, la grande nacre Pinna nobilis (Figure 6). Ce parasite de la famille des Haplosporidés a été isolé9 et dénommé Haplosporidium pinnae, car spécifique de l’espèce. Il s’agit d’un organisme unicellulaire qui va agir sur l’appareil digestif de la grande nacre. Apporté par la nourriture planctonique du bivalve, il va contaminer les cellules digestives. Les auteurs ont détecté des cellules uni-nucléées qui peuvent produire des spores toxiques dans les tubules digestifs de la nacre (Figure 7). Ces spores peuvent sans doute persister dans l’environnement pendant une période de dormance inconnue à ce jour, et être transportées vers de nouvelles zones par les courants marins et les eaux de ballast des navires.
37La pandémie a gagné toutes les côtes de la Méditerranée provoquant une mortalité massive de 2016 à 2019, et les seules zones où des populations subsistent sont les lagunes et étangs littoraux où l’on espère pouvoir sauvegarder l’espèce10.
Nécessité de protection de la biodiversité
38Il est bien légitime de se poser la question de la biodiversité, et les raisons pour lesquelles il faut tout faire pour la conserver sont multiples. Certains y verront des raisons éthiques, culturelles voire esthétiques pour justifier des mesures de protection. D’un point de vue scientifique, on peut énoncer plusieurs raisons. :
39La biodiversité est un facteur de stabilité des écosystèmes. Un écosystème diversifié présente une meilleure résistance aux attaques de toutes sortes.
40La biodiversité est un facteur de productivité des écosystèmes. Il a été démontré que les écosystèmes diversifiés sont plus productifs : le nombre de niches écologiques utilisées augmente avec le nombre d’espèces présentes. Les ressources sont ainsi mieux exploitées, ce qui permet une production de biomasse plus importante.
41La biodiversité représente un vaste réservoir de molécules actives encore mal connues qui pourront enrichir la pharmacopée.
42En Méditerranée, il est donc possible de suivre pas à pas l’évolution du milieu marin et de sa biodiversité en réponse au changement climatique. Nos scientifiques sont aux premières loges pour enregistrer les perturbations éventuelles au cours de suivis écologiques réguliers.
43Une plateforme Océans et Climat a été créée. Cette plateforme a pour objectif de regrouper des organismes scientifiques, les universités, des associations et des fondations impliqués pour une meilleure prise en compte de l’océan dans les négociations climatiques. Les thématiques de travail s’articulent autour du rôle majeur de l’océan dans le climat, les effets du dérèglement climatique sur l’océan, ses habitants et le littoral ; les solutions issues de l’océan pour l’adaptation au changement climatique et l’atténuation de ses conséquences.
44Après des années d’efforts, l’accord climatique approuvé à la COP 21, le 12 décembre 2015 à Paris, est un succès pour la plateforme. C’est un événement historique pour la planète puisqu’il intègre enfin l’Océan comme partie prenante de l’équilibre climatique. Cette prise de conscience mondiale fait de l’Océan un élément incontournable des prochaines conférences sur le climat, et la Méditerranée est aux premières loges, comme toutes les mers intérieures plus fragiles que l’Océan ouvert.
Conclusion
45Aujourd’hui, le changement climatique en Méditerranée est une réalité. Le réchauffement se fait surtout sentir dans les eaux profondes où la température est passée en 30 ans de 12-13°C à 14°C. Ce réchauffement affecte les principales biocénoses, qu’elles soient algales ou animales. Au niveau algal outre la Rhodophyte Womersleyella setacea citée plus haut, il faut prendre en compte la Caulerpe (Caulerpa racemosa var. cylindracea), espèce invasive qui contrairement à C. taxifolia est arrivée par ses propres moyens du bassin oriental, en provenance de la Mer Rouge. Si on la signalait il y a une vingtaine d’années dans le détroit de Messine, aujourd’hui elle se trouve partout dans le Bassin occidental et notamment sur les côtes de Provence où elle s’étend au-delà de 30 m de profondeur. Plus opportuniste que C. taxifolia, elle a en plus l’avantage de se reproduire sexuellement. Elle est par conséquent plus difficile à contrôler, et elle occupe aujourd’hui de grands espaces littoraux.
46D’autres espèces plus thermophiles appartenant à de nombreux groupes zoologiques s’installent actuellement dans les écosystèmes littoraux, sans pour cela éliminer systématiquement les espèces autochtones. C’est le cas de certaines espèces lessepsiennes12. D’autres espèces disparaitront, c’est le cas des espèces d’origine Atlantique (50 % des espèces en Méditerranée). Il y aura donc un « glissement d’espèces » dans la partie septentrionale de la Méditerranée occidentale, mais ces espèces seront toujours présentes dans l’Océan atlantique.
47Nous traversons une ère de réchauffement inéluctable, mais il est possible de limiter le phénomène par des mesures appropriées dans une gestion intégrée du littoral méditerranéen.
48L’écosystème littoral méditerranéen, à l’horizon 2100, sera différent. Il n’en sera peut-être pas plus pauvre pour autant, c’est un nouvel équilibre qui s’instaurera, et l’espèce humaine fait partie de cet équilibre. À elle de le gérer rationnellement.
Bibliographie
Laubier L., « L’énigmatique disparition des gorgones », La Recherche, Spécial Mer, 355, 2002, p. 78-79.
Laubier, L., Perez T., Lejeusne C., Garrabou J., Chevaldonné P., Vacelet J., Boury-Esnault N., Harmelin J.-G., 2005, « La Méditerranée se réchauffe-t-elle ? », Mar.Life, 13 (1-2), 2005, p. 71-81.
Notes de bas de page
1 Figure 1 et 2 extraites de Fragile Méditerranée ouvrage collectif de L’Institut Océanographique Paul Ricard.
2 J. Bethoux et al., « Warming rend in the Western Mediterranean deep water », Nature (London), 347, p. 660-662.
3 J. C. Romano, « Le réchauffement des eaux côtières en Méditerranée nord-occidentale : une certitude sur les 30 dernières années », Lettre pigb-pmrc France, 15 (juin 2003), 53.
4 J. C. Romano, op. cit.
5 J. Garrabou et al., « Mass mortality event in red coral (Corallium rubrum, Cnidaria, Anthozoa, Octocorallia) population in the Provence region (France, NW Mediterranean) », Mar.Ecol.-Prog.Ser., 217, 2021, p. 263-272.
6 Y. Martin et al., « Gorgonian mass mortality during the 1999 late summer in French Mediterranean coastal waters : the bacterial hypothesis », Wat. Res., 36, p. 779-783.
7 M. Ledoyer, « Une nouvelle espèce de crustacé Mysidacé des grottes du littoral provençal : Hemimysis speluncola, nov.sp. », Rec. Trav. Stat.Mar.Endoume.
8 P. Chevaldonné et C. Lejeusne, « Des crustacés cavernicoles victimes discrètes du changement climatique en Méditerranée », Lettre pigb-pmrc France, n° 15 (juin 2003), p. 56-59.
9 G. Catanese et al., « Haplosporidium pinnae sp. nov., a haposporidian parasite associated with mass mortalities of the fan mussel, Pinna nobilis, in the Western Mediterranean Sea », Journal of Invertebrate Pathology, 157, p. 9-24.
10 N. Vicente, « La grande nacre de Méditerranée Pinna nobilis. Un coquillage bivalve plein de noblesse », Sciences Technologies Santé, Presses Universitaires de Provence, 152 p.
11 Y. Pichot et al., « Recherches sur Haplosporidium sp. (Haplosporida, Haplosporidiidae) parasite de l’huître plate Ostrea edulis », Rev.Trav.Inst. Pêches Marit., 43 (4), p. 405-408.
12 v. N. Vicente, article sur les espèces introduites dans cet ouvrage.
Auteur
Professeur émérite, Institut Méditerranéen de Biodiversité et Ecologie marine et continentale (IMBE), AMU ; Institut océanographique Paul Ricard
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les sources complémentaires du droit d’auteur français
Le juge, l’Administration, les usages et le droit d’auteur
Xavier Près
2004
Compensation écologique
De l'expérience d'ITER à la recherche d'un modèle
Virginie Mercier et Stéphanie Brunengo-Basso (dir.)
2016
La mer Méditerranée
Changement climatique et ressources durables
Marie-Luce Demeester et Virginie Mercier (dir.)
2022