Le droit de l’auteur sur son œuvre : de la nécessité aux principes nuisibles à la création
p. 79-88
Texte intégral
1Si la protection des auteurs d’œuvres d’art et particulièrement des auteurs d’œuvres musicales, est aujourd’hui fermement armée du côté du droit, donc patrimonialement positive, elle accable le principe de libre création. Les contraintes juridiques qui pèsent sur les auteurs, les artistes, les œuvres et leur utilisation, induites par les règles obtuses qui s’appliquent au droit d’auteur en termes de plagiat et de propriété, constituent en effet une entrave majeure à l’activité de création et nuisent à la libre circulation des œuvres de l’esprit, alors même que ces occurrences méritent d’être encouragées.
2Le domaine est d’ailleurs propice aux paradoxes. Il n’est pas sans signification que des sociétés privées, comme la SACEM, agissant sous le couvert du fonctionnement a priori démocratique d’une « coopérative en gestion collective »1, se soient rapidement (dès 1851 concernant la SACEM), érigées en défenderesses des intérêts des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique. Cette défense doit s’entendre comme l’action systématique d’un service collecteur tentaculaire, dont le statut répond étonnamment à celui d’une Société civile à but non lucratif. Ce service répartit une partie de la manne réunie à l’occasion des prélèvements obligatoires effectués lors des diverses manifestations ou diffusions publiques – hormis les rares exceptions dérivées de l’application de l’article L. 321-8 du code de la propriété intellectuelle – au bénéfice des artistes ou des ayants droit, sans omettre d’effectuer une importante retenue destinée à couvrir les frais pharaoniques de fonctionnement de cette société civile à but non lucratif.
3Il s’agit donc d’une mise en coupe réglée, qui, si elle assure aux compositeurs ou interprètes les mieux diffusés des revenus plus ou moins confortables, répond à une logique commerciale et non à des impératifs artistiques. Le procédé s’avère d’autant plus discutable que la numérisation et la dématérialisation des œuvres, qui concernent tous les aspects de la création artistique et favorisent les vitesses d’échange et l’intraçabilité, rendent obsolètes des méthodes que l’on croirait issues de 19842.
L’œuvre et la notion de propriété
4D’autant que la question de la propriété des œuvres n’est pas nouvelle. Elle est liée à la notion d’auteur, variable selon les époques, qui s’envisage en rapport avec celles de texte, d’œuvre et de lecteur. Même si la civilisation antique, marquée par la figure mythique de l’aède dont le plus célèbre est Homère, accorde une grande importance à l’oralité, on retrouve dès l’Antiquité une conscience propriétaire des auteurs. Celle-ci concernait alors essentiellement la défense des idées, donc de l’immatériel, sans prendre en compte l’économie de la création à proprement parler. En droit romain, c’est essentiellement le support de l’œuvre qui détermine sa propriété, et le profit pour l’auteur se réalisait généralement par la vente de l’œuvre à un libraire qui faisait fonction d’éditeur. La notion de droit d’auteur n’existait pas au sens où nous la connaissons. Vitruve3 défendait la juste rétribution des auteurs, mais Sénèque relève l’ambiguïté de cette situation : « il y a deux maîtres d’une même chose, et comment ? L’un est propriétaire l’autre est usufruitier. Les mêmes livres que nous disons être de Cicéron, Dorus le libraire les appelle les siens, et ne dit pas moins vrai que nous. L’un s’attribue les livres en qualité d’auteur, l’autre en qualité d’acquéreur, et l’on peut dire avec raison qu’ils appartiennent à tous les deux puisqu’ils sont à l’un et à l’autre, mais pas au même titre »4. De plus les lecteurs jouissaient également du contenu de l’œuvre une fois publiée et le support acquis. Cette impossibilité de fait d’un droit de propriété sur les créations littéraires et artistiques à l’époque romaine, a certainement contribué au développement de la pratique du mécénat, l’initiative individuelle se substituant ainsi à l’ordre collectif5.
5Cette absence de dominium relativement aux produits de la création intellectuelle et artistique se perpétue au Moyen Âge, qui pour des raisons philosophiques et religieuses privilégie le collectif à l’individuel, même s’il s’agit le plus souvent d’auteurs successifs6. Surtout, les œuvres de création relèvent du registre le plus élevé de l’âme et sont considérés comme inspirées de Dieu et lui appartenant, selon Bernard de Claivaux ou Guillaume de Saint-Thierry par exemple7. La notion de saisine, que font apparaître les juristes du temps, fondée sur le droit coutumier importé par les barbares, introduit un droit de propriété en cascade qui finalement, appliqué à l’œuvre, ne fait qu’entériner la tradition romaine8. De plus, les copistes s’accommodaient de l’anonymat quand bien même étaient-ils parfois les auteurs d’importants commentaires. Cet état de fait, conjugué à l’étroitesse du lectorat et aux moyens de diffusion restreints, ne favorisait pas l’émergence d’un droit des auteurs sur leurs œuvres.
De l’imprimerie aux privilèges
6L’invention de l’imprimerie par Gutenberg modifie la donne. Relativement à la situation antérieure, il devenait possible de reproduire une œuvre à plus faible coût et à un nombre plus important d’exemplaires. Les presses se multiplient, dès 1470, à Paris, Londres, Rome ou Bâle. Les conditions d’exploitation de l’œuvre, littéraire d’abord puis musicale, se trouvèrent alors radicalement modifiées et offrirent des perspectives économiques attractives aux imprimeurs, qui dans la dénomination et la fonction se confondent toujours à cette époque avec les « libraires ». Ces mêmes perspectives d’émancipation furent à l’origine de la contrefaçon, soit en l’espèce la publication d’ouvrages par des personnes non habilitées, n’ayant pas acheté l’œuvre à l’auteur. Pour se protéger contre cette concurrence déloyale, les éditeurs réclamèrent des monopoles d’exploitation, destinés à leur permettre de rentabiliser les investissements conséquents qu’impliquent les travaux de révision des manuscrits et les opérations de fabrication des ouvrages, qui furent accordés par le pouvoir royal sous la forme de privilèges.
7Si les premiers privilèges, ou franchises d’exploitation d’imprimerie, apparaissent en Allemagne dès la fin du xve siècle, il faut attendre 1686 en France pour que la loi sur les « privilèges perpétuels » accorde aux libraires des monopoles d’exploitation pour compenser leurs investissements. L’octroi du privilège n’était d’ailleurs pas totalement désintéressé, le prix à payer étant essentiellement d’ordre politique. En effet, la délivrance du privilège induisait un processus de contrôle des publications, c’est-à-dire une censure institutionnelle. À noter également que si à partir de la Renaissance les droits des imprimeurs-éditeurs devinrent considérables, ceux de l’auteur n’étaient toujours que faiblement pris en compte. Le support restait davantage protégé que l’œuvre elle-même, ce qui semble traduire l’impact intellectuel et économique durable du droit romain. L’entrée dans le système des privilèges au tout début du xvie siècle, initia ainsi un véritable carcan qui, à l’époque baroque et classique, finira par nuire à la production artistique. D’une part, le système était discrétionnaire, le privilège étant accordé par le roi. D’autre part il facilitait l’exercice de la censure, toutes les œuvres étant soumises à approbation. Il initiait ainsi un système qui, sous des formes différentes et au prix de quelques aménagements, sévira jusqu’à la fin du Second Empire, et ce malgré les privilèges accordés à titre individuel aux auteurs à veille de la Révolution, qui annoncent les lois de 1791 et 17939, soit la reconnaissance du droit à la propriété intellectuelle d’une œuvre.
Le fondement ancien de la notion d’auteur et la reconnaissance progressive de ses droits
8Le concept d’auteur n’est pas pour autant apparu à l’époque moderne. Nombre de sculpteurs signent leurs œuvres dans la Grèce antique et cette pratique se retrouve à Rome, particulièrement dans l’entourage impérial qui sollicitait les créateurs les plus prisés, et ce bien que l’œuvre soit rarement réalisée par une seule main. Comme le rappelle Platon, l’auteur est bien le père de l’œuvre10, et le fait que la notion ne fasse pas alors l’objet d’une consécration juridique n’implique évidemment pas le fait qu’elle n’existerait pas. Quatre siècles avant Jésus-Christ, Aristophane défend cette notion de paternité de l’œuvre en sa qualité de juge du concours littéraire institué à Alexandrie en l’honneur des muses et d’Apollon. Il fit en effet écarter, condamner et bannir de la ville, plusieurs candidats qui avaient produit des textes qui n’étaient que des copies serviles d’œuvres préexistantes11. Quelques siècles plus tard, Martial, qui avait été le nègre de Quintilien et de Pline le Jeune, condamnera également le plagiat dans ses Épigrammes, celui-ci étant compris comme l’appropriation recto tono de l’œuvre d’un autre. Il met directement en cause le droit romain : le fait d’acheter un livre ne fait pas de l’acheteur l’auteur de l’œuvre12. La notion d’auteur est donc très ancienne, mais celle de propriété intellectuelle, littéraire et artistique ne se développa que très tardivement et à reculons, pourrait-on dire, dans son sillage. Et encore, ses premières manifestations, que l’on peut rattacher à l’apparition des privilèges, ne furent-elles dictées que par des soucis commerciaux et politiques qui négligeaient les intérêts de l’auteur, et non par des préoccupations d’ordre esthétique et patrimonial concernant celui‑ci.
9Ainsi, dans un procès devant le parlement de Paris en 1586, relatif à la réimpression parisienne de l’édition commentée du De providentia de Sénèque par Marc-Antoine Muret publié en 1575 à Rome chez Joseph de Angelis, l’avocat Simon Marion, qui s’était spécialisé dans le domaine pour le compte de l’université de Paris, plaida avec succès qu’un ouvrage publié librement à l’étranger était « rendu purement public et de libre impression en France » et que « l’auteur d’un livre en est du tout maître, et comme tel, en peut librement disposer. »13 Cela ne fit visiblement pas jurisprudence : en 1660, le libraire Guillaume de Luynes, obtenait, contre l’avis de Molière qui s’en plaint dans la préface14, le privilège de faire imprimer, vendre et débiter Les précieuses ridicules pendant cinq ans15.
10Cependant, dès le xvie siècle, les autorités vénitiennes, qui avaient institué la propriété intellectuelle par un décret du 19 mars 1474, reconnaissaient le droit exclusif des auteurs sur leur œuvre, la publication de leurs ouvrages étant subordonnée à leur autorisation écrite. En 1544 et 1545, le Conseil des Dix publia un décret interdisant « l’impression de tout ouvrage sans que l’autorisation écrite de l’auteur ou de ses héritiers directs ait été soumise aux autorités de l’Université de Padoue. » Il s’agit probablement de la plus ancienne disposition formelle visant à la protection des droits de l’auteur sur son œuvre, prise en dehors de toute considération du support matériel. Le Conseil précisa également qu’un imprimeur ne pouvait publier ou mettre en vente « un ouvrage, quelle que soit sa langue, sans que son auteur ou ses héritiers directs aient donné leur accord écrit au Bureau de l’éducation de l’université. »16 Cette position est d’autant plus significative que l’imprimerie était alors devenue l’une des industries majeures de la cité.
11C’est l’Angleterre qui, avec la première grande loi consacrant les droits de l’auteur, le Copyright Act de 1710, également nommé Loi de la Reine Anne, reconnaît aux auteurs un droit exclusif de reproduction pour une durée déterminée de quatorze ans renouvelables une fois, ainsi que la possibilité d’enregistrer leurs œuvres sous leur propre nom et non plus sous celui d’un éditeur. En France, l’évolution de la jurisprudence favorise les auteurs, notamment par les positions du Conseil du Roi dans la querelle qui oppose les libraires parisiens attachés à l’exclusivité de leurs privilèges, aux libraires provinciaux qui remettent en cause le renouvellement de ces privilèges. Les deux arrêts réglementaires du 30 août 1777 pris par le Conseil du Roi, établissent en fait ce qui préfigure par certains aspects le code moderne de la propriété littéraire et artistique. Le privilège étant une « grâce fondée en justice », celle accordée à l’auteur prévaut clairement sur celle consentie au libraire. Alors que l’auteur a « sans doute un droit plus assuré à une grâce plus étendue », le libraire ne bénéficie que d’une « faveur […] proportionnée au montant de ses avances ». En particulier, il est reconnu que l’auteur « doit obtenir pour lui et ses hoirs la perpétuité du privilège d’éditer et de vendre ses ouvrages. » Ces arrêts furent confirmés par celui du 30 juillet 1778, qui autorisait les auteurs à faire, pour leur propre compte, imprimer et vendre leurs ouvrages par un libraire sans perdre leur droit perpétuel sur l’œuvre. Si la reconnaissance du droit des auteurs sur leurs œuvres dramatiques, c’est-à-dire sur leurs œuvres représentées, fut freinée en France par l’opposition de la puissante corporation des comédiens, le mouvement était lancé et les jours de l’ancienne librairie comptés.
Du droit d’auteur issu de la Révolution à la situation actuelle
12La nuit du 4 août 1789 balaya les privilèges d’Ancien régime, y compris ceux d’auteur et de librairie. Le droit des créateurs sur leurs œuvres fut alors refondé sur de nouvelles bases. Il s’agit désormais d’un droit naturel, lié au droit de propriété « inviolable et sacré »17. La loi du 13 janvier 1791, qui concerne les œuvres dramatiques et musicales et qui est liée au spectacle, souligne cependant la dimension morale et patrimoniale du droit d’auteur. Celle du 19 juillet 1793 a une portée plus générale, et pose le principe que « les auteurs d’écrits en tout genre, les compositeurs de musique, les peintres et les dessinateurs qui feront graver des tableaux ou dessins, jouiront durant leur vie entière du droit exclusif de vendre, faire vendre, distribuer leurs ouvrages dans le territoire de la République et d’en céder la propriété en tout ou en partie. »18 Elle consacre un droit d’exploitation aux auteurs pour la durée de leur vie, puis à leurs héritiers pendant cinq ans, l’œuvre tombant ensuite dans le domaine public. Il y a là une différence majeure entre le droit d’auteur finalement limité dans le temps au profit du domaine public, et le droit de propriété, par nature perpétuel.
13Cependant, l’évolution à partir du xixe siècle s’orienta vers une protection toujours plus accentuée des droits de l’auteur sur ses œuvres, liée au principe de propriété intellectuelle des créations littéraires et artistiques19. La reconnaissance d’un droit moral à l’auteur alla de pair avec un allongement progressif de la durée de protection des droits20, l’extension du périmètre de la propriété littéraire et artistique, l’apparition des droits voisins du droit d’auteur aux interprètes et aux producteurs, ainsi que la mise au point de mécanismes conjuguant l’exclusivité des droits et leur rentabilité avec la diffusion toujours plus large des œuvres21.
14Toutefois aujourd’hui, malgré une législation extrêmement contraignante en termes de droits patrimoniaux, la multiplication des supports et leur dématérialisation, la technologie numérique associée à la rapidité d’Internet, et surtout la communication horizontale, en rhizome – chaque internaute utilisateur devenant lui-même un relais de diffusion – ont porté atteinte aux systèmes propriétaires des œuvres, dont les représentants poussant des cris d’orfraie défendent avec de plus en plus de virulence le pré carré. La loi est dans ce contexte régulièrement violée (droits de reproduction, de destination, par exemple). Il importe donc de considérer que ce mouvement de fond, qui contient certes des aspects qui contrecarrent les intérêts des auteurs et de leurs représentants, mais qui induit surtout des comportements positifs, provoqués notamment par la multiplication et la dématérialisation des supports qui favorisent l’accessibilité des œuvres, entraîne une liberté accrue de création et enrichit l’univers culturel. Tandis que les sociétés gestionnaires tentent de se mobiliser dans un combat d’arrière-garde en s’appuyant sur des lois établies dans un contexte qui n’existe plus, le droit d’auteur actuel est progressivement perçu comme un obstacle au bien culturel commun et une altération de la liberté de création et d’expression, qui est fondamentale.
15C’est ainsi que les lois du 12 juin 2009 et du 28 octobre 2009 actuellement en vigueur, soit les lois dites HADOPI22 1 et 2, exercent par le biais d’une autorité publique indépendante, au nom de la protection des droits des auteurs, un combat psychorigide aux sanctions peu nombreuses23 et peu dissuasives relativement au domaine concerné. Il est même paradoxal que des internautes soient sanctionnés sur le fait de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour empêcher le piratage, après avoir été identifiés par leur adresse IP. François Hollande avait du reste prévu en 2012 la suppression de l’HADOPI, qui n’a pas été possible compte tenu du lobbying des groupes de pression. Il est bien évidemment plus respectueux vis-à-vis des créateurs de se tourner vers l’offre légale qu’il est important de valoriser, mais il n’en reste pas moins que, compte tenu de la situation actuelle et face aux habitudes prises par les consommateurs, une réévaluation de la notion de droit d’auteur s’impose, en l’espèce concernant le piratage sur Internet, la surenchère répressive s’avérant finalement contre-productive.
La question du plagiat à la lumière de l’histoire et de la modernité
16Dans le cadre de la défense des droits d’auteur, il faut souligner le flou qui règne en matière de courte citation, d’emprunt, de contrefaçon ou de plagiat dans le domaine de la composition musicale. Les affaires se multiplient et l’on constate que la reconnaissance ou non de l’exception de courte citation concernant une œuvre musicale, ne repose pas sur des fondements irréfutables mais sur des interprétations d’analyses par nature subjectives. Il n’existe pas de référentiel indiscutable permettant d’établir ou d’infirmer une accusation de plagiat. Il n’en demeure pas moins que les anciennes pratiques d’emprunt dans le domaine musical, très courantes, étaient connotées positivement, et qu’elles ont été contestées et judiciarisées au fur et à mesure que les enjeux patrimoniaux devenaient plus importants24. Les procès pour plagiat prolifèrent de nos jours. L’une des dernières affaires livrée par les médias reprend le schéma habituel d’un auteur s’estimant plagié et ayant été lui-même pour la même œuvre accusé de plagiat. Les faits sont inscrits aux États-Unis mais cela ne change guère le fond du débat.
17La chanteuse californienne Lana Del Rey est mise en cause par le groupe de rock anglais Radiohead pour s’être inspirée de leur premier single à succès, Creep (1992), pour écrire sa chanson Get Free, qui figure sur son dernier album, Lust For Life sorti en 2017. Le plagiat porterait notamment sur des enchaînements d’accords présentés dans des styles différents, de la douceur soporifique de la Californienne au rock des Anglais. Les limites entre inspiration et appropriation sont une nouvelle fois mises en débat d’autant que Creep (1992) contient la même suite d’accords que The Air That I Breath (1974) créé par The Hollies. Or ces textes étant écrits dans un système tono-modal utilisant un nombre restreint de notes, de modes et de gammes, les enchaînements étant de plus régis par des règles qui encadrent leur écriture, le fait de rencontrer des périodes pouvant présenter des similitudes ne devrait pas étonner. L’utilisation coercitive qui est faite de la notion d’emprunt, que l’on transforme en fonction des intérêts en jeu en contrefaçon, impose ainsi des freins peu compatibles avec le principe de création, qui constitue l’une des principales activités humaines. Cette utilisation coercitive du droit d’auteur entre en conflit avec les droits fondamentaux que sont la liberté d’expression et celle de création.
18Il est évident que l’histoire des arts, singulièrement de la musique, mais également de la littérature, de la peinture, de la sculpture ou de l’architecture, s’est construite sur le principe de la citation et de l’emprunt. Ces notions doivent donc être envisagées au regard de l’histoire et des anciennes pratiques, quand emprunts et citations, courtes ou longues, étaient considérés comme des marques de respect de la part du citeur envers le cité. La législation actuelle, beaucoup trop protectrice, nuit de fait au travail de libre création, malgré le catéchisme affiché. Cette situation est d’autant plus absurde que les nouvelles technologies placent les auteurs d’aujourd’hui dans une situation similaire à ceux de l’époque médiévale concernant les pratiques de glose et d’innutrition, puissamment facilitées par le Web. Il paraît donc cohérent que les outils développés par les sociétés gestionnaires de droits d’auteurs, qui doivent faire face aux « défis du numérique », se norment par rapport à une évolution inéluctable et prévisible, au risque de n’être que très partiellement performants. Cette évolution devra également entraîner une reconsidération raisonnée des motivations délictuelles concernant le droit d’auteur.
Notes de bas de page
1 https://societe.sacem.fr/presentation.
2 Cf. le roman de George Orwell.
3 De architectura, livre IX, 1, 3.
4 Sénèque, De beneficis, VII, 6. « In omnibus istis quae modo retuli, uterque eiusdem rei dominus est ; quomodo ? quia alter rei dominus est, alter usus. Libros dicimus esse Ciceronis : eosdem Dorus librarius suos uocat : et utrumque uerum est ; alter illos tanquam auctor sibi, alter tanquam emptor asserit : ac recte utriusque dicuntur esse. Utriusque enim sunt : sed non eodem modo ».
5 Sur ce point cf. J.-Fr. Brégi, Droit romain : les biens et la propriété, Paris, Ellipses, 2009.
6 Le Commentaire des quatre maîtres de la règle de Saint-François d’Assise, œuvre collective en production simultanée, reste une exception. Les quatre auteurs sont cités dans l’incipit (Alexandre de Halès, Jean de La Rochelle, Robert de La Bassée, Eudes Rigaud, auxquels il convient d’ajouter le custode de Paris, Geoffroy de Brie).
7 À noter que, pour les romains, les créations, matérielles ou immatérielles, relevaient d’une idée inspiratrice transmise par les dieux ou un démiurge et non de l’esprit du créateur.
8 Cf. M. Buydens, La Propriété intellectuelle – Évolution historique et philosophique, Bruylant, 2012.
9 Loi des 13 et 19 janvier 1791 sur le droit de représentation publique des œuvres théâtrales et musicales. Loi des 19 et 24 juillet 1793 sur le droit de reproduction des œuvres littéraires et artistiques et musicales.
10 Platon, Phèdre, 275e.
11 Cf. Vitruve, De architectura, livre VII, 5, 6, 7.
12 Martial – Épigrammes, Livre I, 66.
13 Cf. H. Falk, Les Privilèges de librairie sous l’Ancien Régime : Étude historique du conflit des droits sur l’œuvre littéraire, Paris, A. Rousseau, 1906.
14 « C’est une étrange chose qu’on imprime les gens malgré eux. Je ne vois rien de si injuste et je pardonnerai toute autre violence plutôt que celle-là […]. Je suis tombé dans la disgrâce de voir une copie dérobée de ma pièce entre les mains des libraires, accompagnée d’un privilège obtenu par surprise. »
15 P. Olagnier, Le Droit d’auteur, tome I p. 85.
16 Cité par Christopher May, « Venise : aux origines de la propriété intellectuelle », in L’économie politique, 2002/2 (n° 14).
17 Cf. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
18 Loi du 19 juillet 1793, relative à la propriété littéraire et artistique, article 1er.
19 C’est dans la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle de 1883 et dans la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques de 1886 qu’a été reconnue pour la première fois l’importance de la propriété intellectuelle. La convention de Berne a marqué le développement du droit d’auteur au niveau international. Ces deux traités sont administrés par l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI).
20 Actuellement, en France, l’œuvre d’un compositeur ou d’un auteur est protégée durant les 70 années qui suivent sa mort, durée à laquelle il conviendrait d’ajouter les prorogations spécifiques devenues largement obsolètes : 8 ans et 120 jours pour les œuvres publiées entre 1921 et 1947 (prorogation pour la seconde guerre mondiale) ; 14 ans et 272 jours pour les œuvres publiées avant 1921 (prorogation cumulée pour la première et la seconde guerre mondiale).
21 Les principaux textes sont la loi du 11 mars 1957 qui prend en considération les techniques nouvelles ; la loi du 3 juillet 1985 qui modernise la précédente et pose les premières règles concernant les droits voisins, ainsi que le Code de la propriété intellectuelle, la partie législative étant promulguée en 1992 et la partie réglementaire en 1995.
22 Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet.
23 138 condamnations effectuées en huit ans, dont 47,8 % sur les six premiers mois de l’année 2017. Cf. http://www.clubic.com/pro/legislation-loi-internet/hadopi/actualite-835974-hadopi-bilan-8-ans-existence.html. Selon le rapport d’activité annuel 2016-2017 de la Haute Autorité, 889 dossiers auraient été transmis à la justice entre juillet 2016 et juin 2017.
24 À ce sujet, voir M. Signorile, « L’œuvre musicale face aux limites et ambiguïtés de la notion de propriété intellectuelle », in Entre normes et sensibilité. Droit et musique, sous la direction de P. Signorile, PUAM, 2016, p. 361-374.
Auteur
Musicologue
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