Introduction au titre II
p. 267-269
Texte intégral
1506. En ce qui concerne les effets de l’exécution ou de l’inexécution de l’obligation de minimiser le dommage, la toute première question soulevée est, bien entendu, celle de la preuve de cette exécution ou de cette inexécution. Aussi lui consacrera-t-on quelques remarques préliminaires. On sait que, selon l’article 1315, alinéa 1er, du Code civil français, « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ». La charge de la preuve incombe, en principe, au demandeur : c’est la règle actori incumbit probatio921. Il appartient donc au créancier de prouver l’existence de son droit. Appliquée à la responsabilité, cette exigence signifie qu’il doit, en principe, prouver le fait dommageable, le dommage et le lien de causalité entre ce fait dommageable et ce dommage. Dans de nombreux cas, le fait générateur de responsabilité ou le rattachement causal du dommage à ce dernier, voire les deux, sont toutefois présumés. En plus des responsabilités dites objectives du fait des choses et du fait d’autrui qui ont prospéré sur le fondement de l’article 1384 du Code civil, tel est le cas notamment en matière d’accidents de travail922 et de la circulation923 ainsi, qu’en matière contractuelle, lorsque le débiteur est tenu d’une obligation de résultat. Quoiqu’il en soit, présumés ou non, ces éléments conditionnent la responsabilité de l’auteur du dommage.
2507. Il peut alors la contester en prouvant, par exemple, que le dommage, dans son étendue finale, est pour partie imputable à la négligence de la victime et qu’il n’est donc pas rattaché au fait dommageable initial par un lien suffisant de causalité. Plus particulièrement, il peut ainsi tenter de démontrer que la victime, qui avait la possibilité de minimiser son dommage, n’a pas pris les mesures raisonnables à cette fin924. Et cette défense devrait être d’autant plus efficace que, comme nous l’avons vu, l’analyse du lien de causalité permet sans trop de difficultés de sanctionner le non-respect, par la victime, de son obligation de minimiser le dommage925. Selon la jurisprudence anglaise, en matière de mitigation of damages, le fardeau de la preuve pèse d’ailleurs sur le défendeur926. La situation ne devrait pas être différente en droit français. Elle découle du jeu du deuxième alinéa de l’article 1315 du Code civil, aux termes duquel « réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le payement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligations ». A supposer que le demandeur ait réussi à faire la preuve de son droit, il appartient au défendeur de prouver le bien-fondé de l’exception qu’il soulève. Il devient demandeur au regard de la preuve : c’est la règle reus in excipiendo fit actor927.
3508. En droit du commerce international, la règle reçoit toutefois des exceptions. Les arbitres y présument parfois l’exécution de l’obligation de minimiser le dommage928. Rendue en 1981, la sentence CCI. n° 3344 a même exigé du créancier qu’il prouve qu’il avait pris toutes les mesures pour modérer son préjudice929. Il fallait, « pour que la responsabilité [du défendeur] puisse être engagée, que la preuve d’un préjudice soit administrée. Or, [le demandeur] n’[avait] apporté aucune preuve du préjudice qu’il [alléguait] ni a fortiori du fait requis par la jurisprudence arbitrale qu’[il] avait pris toutes les mesures pour limiter son préjudice ». La présomption n’est toutefois pas irréfragable. S’il établit qu’il a pris toutes les mesures raisonnables afin de le minimiser, le créancier a, en effet, droit à la réparation de l’intégralité de son préjudice930. Pouvant s’expliquer par la présomption de compétence professionnelle que les arbitres appliquent aux opérateurs du commerce international, la solution est, semble-t-il, cantonnée à ces derniers.
4509. Qu’elle soit prouvée ou, plus rarement, présumée, l’inexécution de l’obligation de minimiser le dommage expose le créancier à deux séries de sanctions. Contrairement à ce qui a parfois été dit à ce sujet931, la perte partielle du droit de la victime à la réparation de son préjudice n’est pas l’unique sanction concevable de l’obligation de minimiser le dommage. Au-delà de la réduction de son indemnité, c’est parfois, de manière plus radicale, la perte de ses moyens d’action qu’elle encourt. L’exécution ou l’inexécution de l’obligation de minimiser le dommage affecte donc non seulement l’indemnisation de la victime (Chapitre I), mais également ses moyens d’action (Chapitre II).
Notes de bas de page
921 V. F. TERRE, Introduction générale au droit, 2e éd., Dalloz, 1994, n° 499, p. 420 ; J. GHESTIN et G. GOUBEAUX, Traité de droit civil, Introduction générale, 4e éd., avec le concours de M. FABRE-MAGNAN, L.G.D.J., 1994, n° 644 s., p. 615 s.
922 Toute lésion soudaine et brutale qui se manifeste au temps et au lieu du travail est présumée résulter d’un accident du travail : sur cette question, v. notamment, J.-J. DUPEYROUX, Le déclin de la présomption d’imputabilité, D. 1971. Chron. 81 ; Y. SAINT-JOURS, Accident du travail : l’enjeu de la présomption d’imputabilité, D. 1995. Chron. 13.
923 La jurisprudence rendue sous l’empire de la loi du 5 juillet 1985 considère que l’établissement de l’implication du véhicule terrestre à moteur dans un accident de la circulation déclenche, en principe, le jeu d’une présomption d’imputabilité du dommage à cet accident : Civ. 2e, 8 novembre 1989, Bull. civ. II, n° 200, R.T.D.civ. 1990. 96, obs. P. JOURDAIN ; Civ. 2e, 3 mars 1993, Bull. civ. II, n° 82 ; Civ. 2e, 19 février 1997, D. 1997. 384, note Ch. RADE, J.C.P. 1998. II. 10005, note Ph. BRUN, ibid. 1997. I. 4070, n° 32, obs. G. VINEY, Resp. civ. et assur. 1997, n° 163, obs. H. GROUTEL ; sur cette question, v. également, M. BEHAR-TOUCHAIS, Observations sur l’exigence d’imputabilité du dommage à l’accident de la circulation, J.C.P. 1991. I. 3492 ; P. JOURDAIN, Implication et causalité dans la loi du 5 juillet 1985, J.C.P. 1994. I. 3794 ; R. RAFFI, Implication et causalité dans la loi du 5 juillet 1985, D. 1994. Chron. 158.
924 B. HANOTIAU, Régime juridique et portée de l’obligation de modérer le dommage dans les ordres juridiques nationaux et le droit du commerce international, R.D.A.I. 1987, n° 42, p. 404 ; R. KRUITHOF, L’obligation de la partie lésée de restreindre le dommage, R.C.J.B. 1989, n° 37, p. 53 s.
925 V. supra, n° 310s.
926 Roper c. Johnson (1873) L.R. 8 C.P. 167; Yetton c. Eastwoods Froy (1967) 1 W.L.R. 104; M. ELLAND-GOLDSMITH. La “mitigation of damages” en droit anglais, R.D.A.I. 1987, n° 3, p. 348.
927 V. F. TERRE, Introduction générale au droit, op. cit., n° 499, p. 420 ; J. GIIESTIN et G. GOUBEAUX, Traité de droit civil, Introduction générale, 4e éd., avec le concours de M. FABRE-MAGNAN, op. cit., n° 644 s., p. 615 s.
928 Sentences CCI. n° 2139, 1974, J.D.I. 1975. 929, obs. Y. DERAINS ; CCI. n° 2142, 1974, 1974, J.D.I. 1974. 892, obs. THOMPSON ; CCI. n° 2216, 1974, J.D.I. 1975. 917, obs. Y. DERAINS ; v. également, Y. DERAINS, L’obligation de minimiser le dommage dans la jurisprudence arbitrale, R.D.A1. 1987, n° 13, p. 380.
929 J.D.I. 1982. 979, obs. Y. DERAINS.
930 Y. DERAINS, L’obligation de minimiser le dommage dans la jurisprudence arbitrale, op. cit., n° 15, p. 380.
931 En ce sens, v. R. KRUITHOF, L’obligation de la partie lésée de restreindre le dommage, op. cit., n° 9, p. 22.
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Les sources complémentaires du droit d’auteur français
Le juge, l’Administration, les usages et le droit d’auteur
Xavier Près
2004
Compensation écologique
De l'expérience d'ITER à la recherche d'un modèle
Virginie Mercier et Stéphanie Brunengo-Basso (dir.)
2016
La mer Méditerranée
Changement climatique et ressources durables
Marie-Luce Demeester et Virginie Mercier (dir.)
2022