Le régime de la responsabilité en droit maritime tunisien
p. 235-267
Texte intégral
1Il est d’un grand intérêt pratique aussi bien pour les juristes que pour les professionnels du monde maritime d’avoir une idée claire sur l’évolution du droit positif maritime Tunisien depuis la promulgation du Code de Commerce Maritime Tunisien en 1962 jusqu’à nos jours, à la lumière de la législation internationale en vigueur et des décisions les plus pertinentes de la jurisprudence Tunisienne concernant la responsabilité de l’armateur d’un côté et celle du transporteur maritime de l’autre.
2Ces deux types de responsabilité obéissent à des régimes juridiques foncièrement différents : ces divergences se situent aussi bien au niveau du fondement, de la nature et des conditions de mise en œuvre et des limitations et exemptions qu’à celui des applications jurisprudentielles qui se répercutent sur les intérêts financiers et commerciaux des opérateurs maritimes.
3Ce thème central de l’évolution du droit maritime Tunisien va nous permettre de focaliser notre analyse autour du nouveau contexte juridique international en vigueur et à travers les questions cibles soulevées par la jurisprudence. Ces développements seront traités compte tenu des référentiels normatifs, technologiques et commerciaux des transports maritimes à l’instar de la conteneurisation, de l’utilisation des documents électroniques et de l’expansion du transport intermodal.
4L’intérêt d’un tel thème se justifie par l’acuité des litiges qui surgissent entre les professionnels.
5Les difficultés se sont accentuées avec l’entrée en vigueur de la convention de Hambourg et la transposition en droit interne de la convention des Nations unies sur le transport multimodal international de marchandises de Genève, 12-30 novembre 1979 et 8-24 mai 1980 ratifiée par la République Tunisienne et publiée par la loi n° 98-21 du 11/03/1998.
6Aussi est il nécessaire de dégager les spécificités du régime juridique global de la responsabilité de l’armateur à travers les arrêts de la cour de cassation dans l’affaire Amira (I) avant de tracer les contours du régime juridique du transporteur maritime et ses anachronismes à travers les cas de jurisprudence les plus significatifs (II).
I. Les spécificités du régime juridique global de la responsabilité de l’armateur
7Il est évident que l’armateur en sa double qualité de propriétaire du navire et de transporteur maritime est soumis séparément à un régime de responsabilité civile différent.
8Le système juridique de responsabilité de l’armateur instauré par le code de commerce maritime se singularise par un caractère hybride tant au niveau de ses principes, fondements, nature et conditions (A) qu’à celui de son application par le juge (B).
A. Les principes fondamentaux de la responsabilité de l’armateur
9L’analyse approfondie des dispositions du Code de commerce maritime tunisien particulièrement celles des articles de 130 à 163 permet de distinguer d’une part la responsabilité personnelle de l’armateur en sa qualité de propriétaire du navire et les autres types de responsabilité à savoir sa responsabilité civile délictuelle pour les faits d’autrui et des commettants pour les faits et fautes de ses préposés et sa responsabilité contractuelle pour tous les engagements qu’il a contractés.
1. Fondements et nature de la responsabilité personnelle de l’armateur
10Sous le titre I intitulé « de l’Armateur » ; le code de commerce maritime définit dans son article 130 l’armateur « comme étant toute personne assurant l’équipement ou l’exploitation d’un navire à des fins lucratives ou autres ». Cette définition est extensive et trouve son inspiration dans les travaux de Chauveau, alors que le principe de limitation de la responsabilité de l’armateur a été repris du projet de la convention internationale de Madrid de 1955.
11Le régime juridique du CCMT constitue une synthèse des différents systèmes législatifs existant à l’époque et tendant à limiter la responsabilité de l’armateur en s’écartant résolument du principe désuet, exprimé par la règle de « la faculté d’Abandon ».
12L’originalité de cette responsabilité se retrouve dans le principe général à multiples facettes énoncé par l’article 131 CCMT stipulant que tout armateur est « personnellement » responsable dans les cas suivants :
De ses propres faits, fautes ou engagements ;
Des conséquences dommageables aux personnes et aux choses résultant des risques de la navigation et de toutes pertes, dommages et avaries subis par les marchandises transportées ;
Des engagements contractés par le capitaine dans l’exercice de ses fonctions ;
13L’armateur est civilement responsable des faits ou fautes du capitaine et des membres de l’équipage dans l’exercice de leurs fonctions respectives.
14Cette disposition, partiellement inspirée de l’article 46 du code libanais, est originale à plus d’un titre au niveau des conditions de responsabilité des propriétaires que de la nature des présomptions instituées et des limitations.
2. Les conditions générales de mise en œuvre
15Celles-ci couvrent plusieurs situations plus extensives que celles adoptées par la loi française n° 5 du 3 janvier 1967 portant statut des navires qui ne règle que l’unique problème de limitation de la responsabilité du propriétaire du navire.
16L’article 131 CCMT comporte une multitude de situations juridiques :
17Il répond, en effet, non seulement au titre des faits et fautes de l’armateur mais également à ses engagements au sens large ainsi que de toutes les conséquences dommageables aussi bien aux personnes qu’aux choses au sens de l’article 96 COC équivalent de 1384 Alinéa 1er Code civil français.
18Ceci nous conduit à dire que le champ d’application de cette responsabilité est très porteur compte tenu qu’il engage à la fois la responsabilité de l’armateur pour les faits de ses préposés mais s’étend également aux faits et fautes des membres de l’équipage toutes catégories confondues y compris le Capitaine.
19En résumé, l’armateur engage sa responsabilité civile du fait des choses d’une part, pour les engagements qui lui sont personnels en tant que gardien du navire d’autre part et enfin pour autrui (responsabilité du fait d’autrui).
20Les questions qui méritent d’être élucidées sont de savoir :
à quel titre l’armateur-propriétaire d’un navire peut-il engager sa responsabilité civile ?
et à quelles conditions peut-il la limiter ?
21a. À titre délictuel, l’armateur est tenu de tous ses faits fautifs (responsabilité subjective) ou non fautifs (responsabilité objective). Il répond également de toutes ses fautes (nautique prouvée) qu’elles soient en relation avec la gestion commerciale, nautique et technique du navire ou pas (article 131 al 1 CCM).
22Par ailleurs, l’armateur est tenu de répondre civilement de toutes les conséquences dommageables causées par le navire sous sa garde et qui portent préjudice aux personnes (théorie des risques) ainsi qu’aux choses, à condition qu’elles résultent des « Risques de la navigation » (échouage collision, naufrage).
23Plus encore, l’armateur engage également sa responsabilité par le jeu de l’institution de la représentation ou du mandat. Il en est de même de sa responsabilité en sa qualité de commettant pour les dommages causés par ses préposés dans l’exercice des fonctions qu’il leur a confiées.
24b. À titre contractuel, l’armateur est tenu contractuellement des engagements qu’il a contractés à quel que titre que ce soit. Il est également tenu pour les engagements contractés par son capitaine dans l’exercice de ses fonctions tels que les contrats d’engagement maritime du personnel navigant, des contrats de transport, de gérance, d’assistance. Cette responsabilité est soumise à la seule condition de lien de causalité prouvé avec les attributions techniques, commerciales du capitaine (droit commun).
3. Limitation de la responsabilité de l’armateur
25Le principe de la limitation globale de responsabilité du propriétaire du navire se justifiait historiquement par le principe que le navire était considéré comme une fortune de mer, un patrimoine d’affectation. La perte du navire excluait la responsabilité de son propriétaire dans la mesure où le capitaine était considéré comme le seul exploitant de l’expédition maritime et la marchandise était garante du navire et le navire garant de la marchandise.
26Malgré, l’évolution remarquable intervenue dans le commerce maritime, l’institution du principe de la limitation du propriétaire du navire a subsisté en droit Tunisien (les articles 132 à 143 CCMT) en raison de ses origines ayant inspiré le législateur Tunisien en l’occurrence le projet de la convention sur la limitation de responsabilité des propriétaires de navire (Madrid 1955).
27Avec l’entrée en vigueur de la convention de Londres du 19 novembre 1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes (OMI) de nombreux conflits apparaissent avec une panoplie de règles applicables suscitant des interrogations sur les critères de choix du droit applicable :
28Est-ce la loi des parties qui est applicable lorsque la limitation est invoquée dans le cadre de la responsabilité contractuelle ? Celle de la loi du pavillon ? Celle du lieu de conclusion ou d’exécution du contrat ? Ou celle du lieu de la saisie du navire ?
29D’autre part, la convention de Londres de 1976, entrée en vigueur le 1er décembre 1986, a institué des plafonds de limitation de la responsabilité en faveur des armateurs dans le cadre de leur responsabilité délictuelle et contractuelle.
30Ces plafonds s’appliquent en cas de dommages corporels subis par les passagers ou toutes autres personnes à l’exception des marins. Il en est de même en cas de dommages matériels à l’exclusion des dommages nucléaires ou de pollution par hydrocarbures. Ces cas sont régis par des conventions internationales spécifiques.
31Le principe de limitation globale de responsabilité de l’armateur, bien que solidement établi en droit Tunisien, a été largement contesté par les pays chargeurs du fait qu’il est plus profitable aux pays-armateurs qui disposent d’une flotte marchande à forte jauge.
32Sauf exception, le principe général du droit civil selon lequel celui qui cause un dommage à autrui est tenu à une réparation intégrale, n’est pas appliqué en droit maritime caractérisé par son particularisme et l’armateur n’est tenu que d’une indemnité partielle.
33Dans cette optique, la Tunisie a, par décret du 31/12/1992, relevé les plafonds de limitation de la responsabilité de l’armateur, sans pour autant s’aligner sur ceux prévus par la convention de Londres de 1976 de crainte que ses effets ne se répercutent sur le coût du fret et des primes d’assurances au détriment des chargeurs. Aussi, actuellement le plafond de la limitation de la responsabilité de l’armateur est fixé parfaitement en ce qui concerne les créances de réparation des dommages matériels, à un montant global de 150 000 DT par tonneau de jauge brute, et à un montant global de 250 000 DT TJB en ce qui concerne les créances de réparation des dommages corporels.
B. Les applications jurisprudentielles
34Il y a lieu de noter que notre analyse se limitera en Tunisie uniquement à la célèbre affaire Amira qui a été jugée par les tribunaux Tunisiens, vu son importance sur le plan juridique en occultant les litiges qui ont été réglés par transactions amiables et qui ne sont pas d’un grand intérêt juridique. Concernant le droit français nous évoquerons la première jurisprudence qui a appliqué la convention de Londres de 1976.
35L’affaire du navire Amira :
36La jurisprudence Tunisienne a eu à résoudre ce cas d’espèce fort remarquable qui a fait couler beaucoup d’encre1.
37Cette affaire a fait l’objet des plusieurs arrêts de la Cour de cassation ayant adopté des positions diamétralement opposées. Il s’agit d’un litige né à la suite du naufrage du navire en question au cours d’un voyage entre un port russe et une destination turque au cours duquel le navire a subi un accident de mer entraînant la perte totale du navire, de la marchandise et de l’ensemble de l’équipage. Cette catastrophe maritime a eu lieu en mer noire dans des conditions météorologiques peu favorables le soir du 9 janvier 2003. Le navire immatriculé sous TG 917 – Amira BV 935 n° 46 appartient à l’armateur SMA Société Maritime Amira.
38Cet événement est fort significatif à plusieurs titres :
Les tribunaux tunisiens ont, sur la base d’une enquête menée par la Marine Marchande et après le délai légal, prononcé un jugement déclaratif de décès de l’ensemble de l’équipage valant certificats de décès.
Les avocats des ayants droit des victimes ont essayé, en vain, de trouver un compromis amiable avec les Assureurs et l’armateur. La Société Maritime Amira a refusé l’indemnisation, malgré l’organisation de plusieurs réunions sous l’égide du Ministre du transport en raison de l’impact médiatique et social soulevé auprès du public, et des organisations nationales et internationales.
Les ayants droit de certaines victimes ont demandé à la justice de prononcer, par ordonnance sur requête, une saisie conservatoire de la prime d’assurance devant être versée en faveur de l’armateur.
La société « Amira » a interjeté appel pour annuler ce jugement conservatoire sans obtenir gain de cause.
Le jugement prononcé le 2 août 2004, a autorisé le gel de 1,5 million de dinars représentant une quote-part de la valeur assurée du navire naufragé Amira. Cette procédure a été rendue d’autant plus nécessaire, que l’armateur, qui disposait de ce seul navire, était « en état de liquidation ». Outre le fait que les ayants droit des victimes craignaient ne pas pouvoir exécuter ce jugement faute de répondant.
La saisie conservatoire a consisté à bloquer ces sommes « jusqu’au prononcé d’un jugement définitif sur le fond par les tribunaux compétents ».
Les avocats des ayants droit des victimes ont parallèlement introduit sur le fond du litige une action en responsabilité civile auprès du tribunal de première instance de Tunis en date du 05/12/2003 pour faire condamner l’armateur à une indemnisation juste et équitable dirigée contre l’armateur.
Les avocats mandatés par les compagnies d’assurances ont réfuté la responsabilité de L’Assureur.
Les avocats de l’armateur ont invoqué l’incompétence des tribunaux tunisiens ainsi que le principe même de fonder l’indemnisation sur la base des articles 130 et 131 du CCMT en soutenant que le contrat d’assurance P&I prévoit la compétence des tribunaux anglais.
39L’action en justice a été introduite initialement auprès tribunal de première instance de Tunis compétent et la requête introductive d’instance était accompagnée de l’original du jugement déclaratif de décès et de perte de la totalité de l’équipage, du certificat de décès, du contrat d’assurance protection et indemnité et d’une copie certifiée conforme de tout le rapport de l’enquête maritime contradictoire élaboré par la commission désignée à cet effet par arrêté du Ministre du Transport et des Technologies de la communication.
40Cette requête était fondée juridiquement sur la base de la responsabilité civile délictuelle globale de l’armateur à titre principal sur la base de l’article 131 du CCMT et également l’article 101 de même code relatif à l’énumération des créances maritimes et subsidiairement sur la base de l’article 96 du code des obligations et des contrats.
1. Les faits de l’espèce
41Le Cargo Amira a fait naufrage en Ukraine dans la nuit du 9 janvier 2003. Ce navire de construction japonaise immatriculé TG 917 et contrôlé techniquement par le Bureau Veritas au numéro BV930 N46 et administrativement par la Direction Générale de la Marine Marchande Tunisienne appartient au Groupe Poulina qui dispose de plusieurs sociétés filiales dont notamment la société de transport Maritime Amira SMA au capital de 700 000 000 DT.
42Celle-ci a assuré le corps du navire auprès de la Compagnie d’Assurances GAT et a adhéré au club de protection et indemnité Hollandais Intercoastal (Rotterdam) représenté en Tunisie par BUDD-Protecmar.
43La perte totale du navire ayant été dûment constatée, les ayants droit de victimes ont demandé la réparation intégrale.
44En effet, l’armateur est tenu de réparer les préjudices subis au titre de sa responsabilité personnelle engagée pour tous les dommages causés aux personnes et aux choses résultant des risques de la navigation.
2. les questions résolues pour les Tribunaux
45Les tribunaux tunisiens ont eu à se prononcer sur des questions essentielles
a. La compétence
46Le tribunal s’est déclaré compètent en application des dispositions du CCMT selon lesquelles tout navire portant pavillon Tunisien est immatriculé au chef-lieu de quartier maritime qui devient son port d’attache. Ce port d’attache détermine la compétence territoriale et les dispositions d’ordre public du CCMT entraînent la compétence d’attribution. En effet, les articles 161 et 162 CCMT stipulent que toutes clauses contraires aux règles de responsabilité édictées par le Code sont réputées non écrites.
b. La prescription de l’action
47Celle-ci est soumise à l’article 234 CCMT qui fixe un délai de 2 ans pour intenter l’action en réparation.
c. l’inopposabilité d’un contrat étranger
48Les tribunaux ont rejeté l’application des clauses du contrat d’assurance P&I au motif que l’article 162 CCMT considère comme non écrite, toute clause qui aurait pour effet de déplacer le lieu où, selon les règles de compétence établies par le Code de Commerce Maritime ou le Code de Procédure Civile et Commerciales, doit être jugé le litige, et ce, même en cas d’action récursoire ou de pluralité de défendeurs.
Les tribunaux tunisiens ont été divisés puisqu’ils ont prononcé des jugements contradictoires. Certaines chambres ont estimé que ce sinistre relève, bel et bien, des accidents de travail qui sont de la compétence exclusive du juge cantonal alors que d’autres ont appliqué les dispositions du CCMT en indemnisant les demandeurs sur la base de l’article 131. Cette division de la jurisprudence s’est reflétée sur les arrêts de la Cour de cassation qui ont opté pour la consécration de principes diamétralement opposés ce qui a gravement entaché la crédibilité de la Cour de cassation Tunisienne auprès des parents des victimes et de l’opinion publique.
L’un des avocats mandatés par les ayants droit des victimes a soutenu que la majorité des familles des victimes considèrent que les sommes octroyées par le tribunal sont en deçà de leurs attentes.
49L’affaire du cargo « Amira I » constitue un cas jurisprudentiel émergent méritant d’être analysé en profondeur en raison des anachronismes et déviations opérées par certaines chambres de la Cour de cassation en rupture totale avec les réalités modernes des événements de mer de par le monde.
50Cette affaire a permis à la Cour de cassation de déterminer à quel titre le propriétaire d’un navire de commerce ayant subi une perte totale corps, personnes humaines et biens est responsable en vertu des principes et fondements qui lui sont applicables aussi bien au niveau de la compétence, que de la prescription et de la limitation de réparation.
51Néanmoins des zones d’ombre subsistent et méritent une analyse plus subtile pour en déceler les raisons profondes ayant écarté l’indemnisation en faveur de plusieurs ayants droit des victimes.
C. L’affaire du « Vitoria » : la première jurisprudence française sur la convention de Londres de 1976
52Un commentaire intéressant a été publié au n° 476 (octobre 1988) du mensuel DMF. Il est utile de faire référence aux commentaires de la doctrine spécialisée en débutant par un exposé des circonstances du litige en cause à travers les observations de M. Pierre-Yves Nicolas, M. Guillaume Brayeux, avocat et le professeur Antoine Vialard en remarquant que ce cas d’espèce complète l’affaire « Amira ».
1. Exposé des circonstances de l’affaire du « Vitoria »
53Le 23/06/1987, suite à une avarie de barre, le Fuyoh-Maru, navire pétrolier japonais, aborde le navire Vitoria, un pétrolier grec de 16 000 tonnes, alors qu’il remontait la seine près de Saint-Maurice-d’Etelan.
54Le navire japonais, chargé de kérosène n’a pas subi de dommages graves. Par contre, le navire Vitoria qui était en lège, mais non inerte selon la Convention Solas, explose purement et simplement et ses débris furent retrouvés à plusieurs kilomètres du lieu du sinistre sans faire de dommages corporels.
55Le bilan est tragique : 6 morts sur Vitoria parmi lesquels le pilote. Les pertes financières de l’Armateur grec sont énormes (50 millions d’anciens francs) et comprennent notamment le coût de retirement de l’épave, les indemnités dues aux marins et à leurs ayants droit et les frais d’intervention du port autonome de Rouen.
56Le sauvetage, l’assistance et les secours d’urgence sont organisés aussitôt après l’explosion. Plusieurs bâtiments de la marine nationale, un bateau-pompe, deux remorqueurs du Havre et des embarcations légères du Port Autonome de Rouen participent aux opérations de sauvetage de l’équipage et à la lutte contre l’incendie et la pollution. Les pertes financières du Port Autonome, du fait de ces interventions, se chiffrent à près de 3 millions de francs.
2. La Procédure Suivie
Dès le 23 juin, le Fuyoh-Maru est saisi conservatoirement à la requête des autorités portuaires de Rouen et de l’armateur du Vitoria.
Le 2 juillet, le Président du Tribunal de Commerce de Rouen autorise la constitution du fonds de limitation en vertu de la convention de Londres de 1976 et en fixe le montant à environ 33 millions de francs.
Courant mois de juillet, le Port de Rouen, dont la créance a été garantie, donne mainlevée de sa propre saisie du navire.
Le 14 août, le Président du Tribunal de Commerce de Rouen ordonne de lever la saisie du navire japonais le Fuyoh-Maru après avoir constaté la constitution régulière du fonds de limitation.
Cependant, le fonds de limitation constitué n’ayant pas couvert l’intégralité des pertes financières de l’armateur grec, ce dernier opéra la saisie conservatoire d’un autre navire de la flotte appartenant à l’armateur japonais en l’occurrence le Terutoku-Maru sur la base d’une ordonnance sur requête motivée « par la perte de la valeur du navire, de la perte de vies humaines, des problèmes de la cargaison, des questions relatives au renflouement de l’épave et de sa récupération ainsi que des implications financières liées à l’abordage afin de garantir l’intégralité des dommages subis par le requérant ».
Pour sa part, l’armateur Japonais dont le navire a été saisi, demande au tribunal la mainlevée de cette mesure conservatoire en invoquant l’article 13 de la convention de Londres de 1976, ce que lui refuse le Président du Tribunal de Commerce de Bordeaux au motif que le fonds de limitation de responsabilité ne couvre que les créances qui lui sont soumises, que, de par la loi, le prix du contrat permettant d’éviter les risques de l’épave du Vitoria, le coût de son enlèvement, de la responsabilité du navire Japonais, sont exclus du Fonds de limitation au même titre que les créances des préposés du Vitoria, s’agissant de contrats d’engagement selon la loi grecque laquelle n’admet pas la limitation de responsabilité.
57Dans ces conditions, le TCB ne fait pas droit à la demande de la société Shinkyu Kisen, propriétaire du navire Japonais saisi.
58Le 8/09/1987, la Cour d’appel de Bordeaux infirme cette ordonnance au motif que les créances de renflouement d’une épave figurent dans celles entrant dans la masse constituant la masse globale limitée et qu’il est inexact de prétendre que la France a exclu cette créance selon les réserves rendues possibles par l’article 18 de la convention.
59Cette décision a été critiquée par la doctrine Française.
3. Les critiques formulées à l’égard de cette jurisprudence
603 types de commentaires ont été adressés à cette première jurisprudence sur l’application de la convention de Londres de 1976 de la part d’éminents juristes.
61a. Pour M.P.Y. Nicolas, la décision de la Cour d’appel de Bordeaux est la première du genre et n’est pas totalement convaincante à deux niveaux :
62Sur le plan des créances invoquées par l’armateur Grec lié aux frais de retirement, du navire Vitoria :
63Selon cet auteur, la convention de Londres pose le principe selon lequel
« … sont soumises à la limitation de la responsabilité…, les créances qui ont pour objet d’avoir renfloué, enlevé, détruit ou rendu inoffensif un navire coulé, naufragé, échoué ou abandonné, y compris tout ce qui se trouve ou s’est trouvé à bord » (art 2, §1, alinéa D)
64Selon P.Y. Nicolas, l’article 2 (première phrase du § 2) a ajouté que si lesdites créances « font l’objet d’une action contractuelle ou non, récursoire ou en garantie, le principe de la limitation s’applique.
65En ce sens, il importe peu que la créance soit invoquée par l’entreprise de relevage elle-même ou par un subrogé qui l’a payée, et exerce un recours contre l’armateur responsable.
66À ses yeux, l’armateur du Vitoria a en réalité invoqué l’application de la deuxième phrase du §2 de l’article 2 de la convention aux termes de laquelle
« … les créances produites aux termes des alinéas D, E et F du §1 ne sont pas soumises à la limitation de responsabilité dans la mesure où elles sont relatives à la rémunération en application d’un contrat conclu avec la personne responsable ».
67Selon le commentateur, ce terrain n’était pas favorable du fait que le contrat de retirement du navire-épave n’a pas été conclu avec la personne responsable, l’armateur du Fuyoh-Maru, mais plutôt avec le propriétaire du navire Vitoria.
68b. M. Guillaume Brajeux, Avocat à la cour de Rouen considère que la première application par les juridictions françaises de la convention de Londres du 19 novembre 1976, présente le scénario de deux propriétaires de navires dont l’un a causé un dommage à l’autre et non pas le cas d’un armateur ayant causé des dommages à divers créanciers ordinaires ou privilégiés de droit public
69La situation est originale : le propriétaire du Vitoria qui prétendait n’avoir pas limité sa responsabilité pour trois types de créances peut-il imposer au propriétaire du Fuyoh-Maru la même absence de responsabilité ? Il affirme que concernant les frais d’équipage, l’absence de limitation ne pouvait pas être imposée à l’armateur du Fuyoh-Maru. Par contre, les frais de retirement du Vitoria devaient être soumis à la limitation. Reste le problème posé par les frais d’intervention du Port Autonome de Rouen et à cet effet, M. Guillaume Brajeux, évoque les conséquences du traitement particulier octroyé par la convention de 1976 aux États et aux personnes de droit public qui doit se limiter à cette catégorie de créanciers favorisés et toute extension aux autres créanciers risque de ruiner le système d’indemnisation patiemment construit.
4. Le concept de limitation de responsabilité en droit comparé
70Ainsi en droit maritime Américain (common law), l’avocat Christopher B. Ken De a soulevé trois idées sur les sources jurisprudentielles du droit américain. La limitation de la responsabilité de l’armateur est réglementée par des lois fédérales mais généralement la jurisprudence est la source quasi-exclusive de droit maritime.
71En outre le droit américain est plus sévère à l’égard des armateurs, des transporteurs maritimes que le droit tunisien français.
72Les règles régissant la limitation de responsabilité sont interprétées avec une grande rigueur par les tribunaux américains. La raison est que les États-Unis est un pays de chargeurs à l’instar de la Tunisie. D’autre part, le droit maritime Américain met l’accent sur la sécurité du navire et sa navigabilité, la « Sea Worthiness »
73Il en fait une notion centrale et impose aux armateurs une stricte obligation d’assurer la navigabilité de leurs navires au bénéfice des marins et toute personne appelée à exercer son activité sur le navire (affaire Amoco-Cadiz)
74Aussi, la faute la plus grave est celle qui viole la sécurité du navire et qui prive aussi bien l’armateur que le transporteur du bénéfice des privilèges, exonérations ou limitations de responsabilité.
75Enfin, le droit maritime Américain accorde une importance aux règles de preuve où la law evidence (théorie des prévues) : Ainsi tout procès donne lieu à discussion approfondie et présentation de preuves qui peuvent modifier les règles de fond.
76Néanmoins, en matière de limitation de responsabilité, c’est à l’armateur qu’il appartient de faire la preuve de l’absence de faute de sa part.
77Après avoir passé en revue le particularisme des règles régissant la responsabilité de l’armateur en droit positif tunisien, il y a lieu de se pencher sur l’autre facette du sujet traité à savoir le régime de responsabilité du transporteur maritime et les vicissitudes de la jurisprudence tunisienne notamment l’entrée en vigueur des règles de Hambourg (II)
II. Les incohérences du régime de responsabilité du transporteur maritime
78L’entrée en vigueur le 01/11/1992 de la convention des Nations unies sur le transport des marchandises par mer, (1978) connue sous l’appellation des règles de Hambourg, et sa ratification par la Tunisie, a introduit au sein de la législation commerciale maritime Tunisienne des modifications substantielles, voire des perturbations qui ont sensiblement affecté le régime juridique de responsabilité du transporteur maritime traditionnellement bien établie.
79En effet, l’article 165 al 3 du CCM définit le transporteur de marchandises comme la personne par laquelle ou au nom de laquelle un contrat de transport de marchandises par mer est conclu avec un chargeur (modification par la loi n° 98-22 du 16/03/1998). Il assimile, à son alinéa 2, l’affréteur qui transporte des marchandises appartenant à des tierces personnes, au statut de transporteur maritime.
80Aussi, le régime de responsabilité propre du transporteur maritime en vertu des articles 144 et suivants du CCM est une responsabilité limitée reposant sur une présomption dont la nature a subi des modifications après la ratification par la Tunisie de la convention de Hambourg.
A. La juxtaposition des régimes du CCMT et de la convention de Hambourg
81Historiquement, l’évolution de la responsabilité du transporteur maritime sur ce point est passée par plusieurs étapes : Elle était fondée selon le code des obligations et des contrats (COC) sur une présomption de responsabilité difficile à écarter semblable à celle de la loi Française « Rabier » du 17 mars 1905. Par contre, l’ancien décret beylical du 16 juin 1942 a institué, quant à lui, une présomption de responsabilité du transporteur maritime avec l’aménagement d’une série de causes légales d’exonération favorables au transporteur. Quant au code de commerce maritime actuellement en vigueur, il établit un régime juridique calqué sur les règles de la convention internationale de Bruxelles du 25/08/1924, pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement.
82L’adoption de la convention de Hambourg a, par contre, introduit au sein de la législation commerciale maritime Tunisienne des bouleversements substantiels ayant défiguré le régime juridique du transporteur maritime applicable depuis 1962.
83Les règles fondamentales concernant le transport de marchandises sous connaissement se basent sur les principes suivants.
Les principes de la responsabilité du transporteur maritime
84a. Ces principes sont articulés autour de sa nature contractuelle résultant de l’article 206 CCMT qui considère que le transport maritime s’effectue par un contrat de transport de marchandises par mer qui est « la convention par laquelle un transporteur maritime s’engage à prendre en charge une marchandise que lui remet un chargeur avec promesse de la délivrer à destination ».
85La notion de chargeur ne prête à aucune équivoque. En effet, selon l’article 166 CCMT
« le chargeur est toute personne par laquelle ou au nom de laquelle ou pour le compte de laquelle un contrat de transport de marchandises par mer est conclu avec un transporteur ainsi que toute personne par laquelle ou au nom de laquelle ou pour le compte de laquelle les marchandises sont effectivement remises au transporteur dans le cadre d’un contrat de transport de marchandises par mer ».
86b. Le fondement et l’étendue de la responsabilité du transporteur maritime sous connaissement sont régis par les articles 141 à 149 CCMT et s’appliquent à toutes pertes, dommages ou avaries subis par les marchandises transportées.
87c. La délimitation du champ de la responsabilité est fixée dans le temps et dans l’espace à partir de l’appréhension des marchandises par le capitaine ou les agents du transporteur maritime au port d’embarquement jusqu’à sa délivrance au destinataire au port de destination.
88d. La nature de la présomption légale de responsabilité qui pèse sur le transporteur est une obligation de résultat. Toutefois le même code ajoute une condition : celle d’avoir exercé une diligence raisonnable, ce qui instaure un flou laissant entendre qu’il s’agit en réalité d’une présomption de faute.
89e. Le plafond de la limitation de responsabilité a été affirmé dans son principe et ses montants fixés par l’article 147 CCMT qui dispose que quelle que soit la nature nationale ou internationale du transport, la responsabilité du transporteur maritime ne peut, sauf le cas de dol, dépasser pour les pertes, avaries ou dommages survenues aux marchandises, les sommes fixées par le décret n° 216 du 20/01/1990 : 400 dinars par colis ou par unité habituelle de fret à moins que la nature et la valeur de ces marchandises n’aient été déclarées par le chargeur avant leur embarquement et que cette déclaration ait été insérée au connaissement pour faire foi à l’égard du transporteur, sauf s’il fournit la preuve contraire.
90f. Les réserves spéciales :
91Si le transporteur conteste, pour une raison ou une autre, l’exactitude de la déclaration ou a des doutes sur sa sincérité, il est habilité par la loi à insérer sur le connaissement des réserves spéciales. Celles-ci doivent nécessairement être motivées séparément colis par colis en transférant la charge de la preuve de leur véritable valeur, soit à la charge de l’expéditeur de la marchandise lui-même ou à défaut, du réceptionnaire de la marchandise.
92Il est évident que le système de responsabilité institué par les dispositions pertinentes du CCMT était intimement imbriqué avec les autres règles des professions maritimes.
93Le transporteur, pour bien accomplir ses obligations en vertu du contrat de transport le liant au chargeur ou au destinataire, est lié par les prestations des entrepreneurs de manutention qui assurent le chargement et le déchargement des marchandises transportées par le navire dans l’enceinte portuaire.
94L’entrepreneur de manutention intervient selon l’article 169 du CCMT en qualité de mandataire
« chargé, dans l’enceinte portuaire, de toutes les opérations d’embarquement et de débarquement des marchandises y compris les opérations de mise et de reprise sous hangar et sur terre-plein, qui en sont le préalable ou la suite nécessaire » (modification par la loi n° 98-22 du 16/03/1998).
95Il est également chargé de la réception et de la reconnaissance à terre des marchandises ainsi que leur garde et conservation jusqu’à leur embarquement ou leur livraison matérielle aux ayants droit.
96Aussi, est-il admis que l’entrée en vigueur et la ratification de la Convention de Hambourg par la Tunisie ont profondément déstabilisé les assises du régime de responsabilité institué, jusque-là par le CCMT, ce qui a eu pour conséquence une jurisprudence manquant d’homogénéité à plusieurs niveaux :
97En effet, la Convention de Hambourg, dans son article 5/4 sur le fondement de la responsabilité du transporteur, a opté pour une présomption de faute (faute présumée), fondée sur l’article 5/1 : le transporteur est tenu responsable du préjudice résultant des pertes ou dommages subis par les marchandises mais aussi (ce qui est une nouveauté pour le droit Tunisien) du retard à la livraison à condition de prouver que :
98L’événement qui a causé la perte, le dommage ou le retard a eu lieu pendant que les marchandises étaient sous sa garde selon les termes de l’article 4 ;
99Et à moins qu’il ne rapporte la preuve contraire, que lui-même (transporteur), ses préposés ou ses mandataires ont pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement être exigées pour éviter l’événement et ses conséquences (obligation de diligence).
100Malencontreusement, le système instauré par le CCMT a été « déchiqueté » puisque l’article 5/3/a rend le transporteur responsable en cas d’incendie résultant d’une faute ou d’une négligence du transporteur ou ses préposés, des fautes entraînant un retard dans la livraison. De même en cas d’incendie, une enquête doit être menée conformément à la pratique des transports maritimes, ce qui est déjà une règle suivie depuis toujours en droit maritime tunisien.
101g. les limites de la responsabilité posées par l’article 6 de la convention de Hambourg sont au-delà de celles déterminées par le CCM à savoir 835 unités de compte par colis ou unité de chargement et 2,5 unités de compte par kilogramme de poids brut.
102La liste des divergences est plutôt longue, ce qui a rendu le CCMT anachronique et défiguré par rapport aux Règles de Hambourg, entraînant une grande ambiguïté des solutions due à une dualité de régimes juxtaposés arbitrairement sans uniformisation. La jurisprudence Tunisienne a eu la très délicate tâche de naviguer à travers des textes législatifs affectés de remous pour consacrer une jurisprudence abondante et parfois inquiétante à tous les niveaux (compétence, loi applicable, déchéance, limitation, freinte de route, exemptions) et qui fera l’objet d’une étude détaillée plus loin.
103h. La présomption de responsabilité accentuée du CCMT :
104Le Code de Commerce Maritime a encadré les obligations du transporteur maritime par une présomption de responsabilité en s’inspirant des dispositions de la Convention internationale de 1924 sur le connaissement sans la ratifier. En effet le transporteur maritime demeure responsable de toute perte, dommage ou avaries subis par les marchandises voyageant sous connaissement.
105Ainsi, l’article 145 énonce le principe que le transporteur est garant de toutes pertes, avaries ou dommages subis pour les marchandises pour lesquels il n’aurait pas exercé une diligence raisonnable. Il s’exonère s’il prouve que les causes des pertes ou dommages proviennent des neuf cas limitativement cités.
106En effet, par la mise en jeu de cette présomption, le transporteur est tenu d’une obligation de résultat dont il ne peut s’exempter qu’en prouvant l’existence des cas exceptés. Dans le même esprit et paradoxalement, l’article 145 CCMT a institué à l’encontre du transporteur maritime une présomption de garantie de toutes pertes, avaries ou lorsqu’il est prouvé que le transporteur n’a pas agi en bon père de famille et n’a pas exercé la diligence raisonnable exigée.
107Les causes légales d’exemption du CCMT :
108Le transporteur ne peut s’affranchir de cette obligation de garantie que s’il parvient à prouver que les causes de ces préjudices proviennent des cas exceptés énumérés ou causes suivantes :
1091er cas Les faits, négligences ou fautes du Capitaine, des marins, du pilote ou de ses propres préposés, dans la navigation ou le maniement du navire ;
1102e cas Les vices cachés du navire ;
1113e cas Les faits constitutifs d’un cas fortuit ou de force majeure revêtant les caractères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extranéité ;
1124e cas Les grèves, lock-out, arrêts ou entraves apportés au travail pour quelque cause que ce soit, partiellement ou totalement ;
1135e cas Le vice propre de la marchandise ou défaut d’emballage ou de marque ;
1146e cas Les déchets de route (freinte de route) en volume ou en poids d’après la nature de la marchandise, la durée du voyage, les variations de température et la tolérance déterminée par les usages ;
1157e cas L’acte d’assistance ou de sauvetage ou la tentative faite dans ce but ou encore du déroutement du navire effectué à cet effet ;
1168e cas L’incendie ;
1179e cas Le déroutement justifié du navire après avis des officiers ou des principaux
118La multiplicité des cas exceptés et leurs interprétations incertaines et variées ont donné lieu à de nombreuses zones d’ombre, voire des vicissitudes théoriques et pratiques. Certains cas exceptés d’exonération ont perdu de leur valeur, ce qui a nécessité sur le plan international, des travaux de rationalisation et d’uniformisation tendant à clarifier certains concepts. Le CCMT a prévu que, dans tous les cas exceptés ci-dessus mentionnés, le chargeur est habilité par la loi, d’administrer la preuve contraire en prouvant que les préjudices sont imputés soit à une faute du transporteur (faute personnelle prouvée) soit à une faute de ses proposés non couverte par le 1er cas d’exemption.
119Il s’avère, par voie de conséquence, que le CCMT a prévu des causes variées d’exonération et la seule preuve de l’une d’elles est de nature à écarter sa responsabilité ce qui est différent des cas de la Convention de Hambourg plus ciblés.
120Ces causes légales d’exonération ont été réparties par la doctrine en cause tenant à l’exploitation du navire (faute nautique du capitaine, vice caché du navire, innavigabilité du navire, déroutement du navire par acte d’assistance ou de sauvetage) et en causes imputées à un fait étranger au navire (cas fortuit, force majeure, grèves, entrave au travail, vices de la marchandise, freinte de route, incendie).
121Néanmoins avec l’entrée en vigueur de la Convention de Hambourg, les cas exceptés ont perdu toute signification à l’exception de ceux maintenus par les règles de Hambourg.
122Il convient, par ailleurs, de remarquer que la jurisprudence Tunisienne relative à la freinte de route, par exemple, a été pléthorique et mérite qu’on lui réserve une place de choix.
123En effet, la notion de freinte de route a été citée par l’article 145 al 8 du CCMT comme étant une cause légale d’exonération du transporteur maritime de la responsabilité qui pèse sur lui et ce, dans des proportions et à des taux reconnus par l’usage. Celle-ci est appréciée soit en volume soit en poids d’après la nature de la marchandise, la durée du voyage, les variations de température et la tolérance déterminée par les usages. De par sa nature, la freinte de route (ou déchet de route) est une forme de vice propre de la marchandise. L’expérience portuaire et maritime a démontré que certaines catégories de marchandises telles que l’acide phosphorique, les huiles, les vins en vrac, les farines, les charbons mouillés, peuvent perdre du poids ou du volume lorsqu’elles sont transportées par mer dans certaines conditions atmosphériques et de durée.
B. Les vicissitudes de la jurisprudence tunisienne
1. Les arrêts de La Cour de cassation tunisienne
124Au cours de la réalisation des opérations de transport proprement dites et des opérations commerciales de chargement et de déchargement, les unités de charge telles que palettes, conteneurs et semi-remorques peuvent subir des pertes, avaries ou préjudices, ce qui implique de traiter le contentieux de la responsabilité du transporteur maritime sous l’angle des principales décisions prononcées par les tribunaux Tunisiens et particulièrement par la Cour de cassation en mettant l’accent sur le fondement et les conditions de mise en œuvre de cette responsabilité et ses implications juridiques et financières ainsi que les vicissitudes l’ayant caractérisée.
125La jurisprudence Tunisienne a eu à résoudre une multitude de litiges relatifs à ce sujet important.
126Elle était ballottée entre les dispositions impératives du CCMT et les nouvelles dispositions des Règles de Hambourg applicables en vertu d’une règle constitutionnelle donnant priorité d’application aux traités dûment signés et ratifiés par la Tunisie, ce qui a bouleversé la philosophie juridique du CCMT.
127En effet, il est clair que l’objectif initial des Règles de Hambourg est la recherche d’un juste équilibre dans la répartition des risques entre les transporteurs, les chargeurs et les assureurs maritimes ainsi qu’une division équitable des charges, droits et obligations en matière de responsabilité entre eux.
128D’une manière générale, ladite Convention détermine la limite des plafonds de responsabilité, résout la question de la limite de la valeur unitaire des colis chargés en conteneurs, garantit le droit du transporteur à un plafond par unité de charge en cas de dommage causé par ses employés et élude les litiges relatifs à la validité des clauses concernant le choix de la loi applicable ainsi que les clauses d’élection du for. Ces règles instituent le principe de l’arbitrage en résolvant la question des marchandises en pontée, ainsi que celle des marchandises pour lesquelles aucun connaissement n’est émis. Elles consolident les exemptions accordées au transporteur en cas d’incendie et suppriment les exonérations de responsabilité pour faute nautique.
129Sur le plan international, les Règles de Hambourg introduisent des modifications relativement légères sur la répartition des responsabilités en faisant supporter une dose plus importante au transporteur qu’au chargeur. Néanmoins elle n’opère pas, pour autant, un bouleversement radical du régime de responsabilité en vigueur dans le concert mondial (convention de 1924 sur l’unification de certaines règles en matière de connaissement, et protocole de Visby). Par contre, elle défigure le système institué par le CCMT en y introduisant une véritable cacophonie juridique.
130Face à ces ambiguïtés, le législateur Tunisien a dû faire des modifications par bribes et par à-coups à l’instar de la révision de l’ancien plafond de l’article 147 du CCMT largement dépassé par la conjoncture économique du transport maritime, qui fixait les taux de la responsabilité du transporteur, quelle que soit la nature nationale ou internationale du transport, (sauf en cas de dol) à un plafond de 100 dinars (40 € environ) par colis ou unité habituelle de fret. La loi de 1962 avait prévu qu’un décret pouvait modifier cette somme.
131Cette carence a été partiellement levée par le décret n° 90/216 du 20/01/1990 qui ne tient compte que partiellement des taux fixés par les conventions internationales en vigueur ; et des révisions législatives ponctuelles ont été introduites.
2. Étude des cas jurisprudentiels pertinents
132Ils sont nombreux et variés :
133Ainsi par décision n° 9178 du 21 mai 20052 la Cour de cassation a affirmé le principe que
« La république Tunisienne a ratifié la Convention de Hambourg de 1978 publiée au JORT par décret n° 117 en date du 17/01/1981 et entrée en vigueur en 1992. De ce fait, il existe dans la législation tunisienne des causes d’exemption de la responsabilité découlant du retard dans la livraison de la marchandise transportée ».
134La Cour suprême est allée plus loin encore dans une décision, étonnante et critiquable à plus d’un titre, en considérant que lorsque le transport maritime revêt un aspect international, seules les règles de Hambourg sont applicables. Les règles du CCMT sont, par conséquent, écartées et ne sont applicables que pour le transport entre ports Tunisiens (cabotage national).
135Un autre arrêt portant le n° 9326 du 21/06/2007 (BCC 201) de la Cour de cassation a affirmé le principe selon lequel les règles de responsabilité du transporteur maritime telles qu’édictées par le CCMT s’appliquent exclusivement au transport maritime intérieur entre ports tunisiens et uniquement pour les questions qui n’ont pas été incluses par les règles de Hambourg à l’instar du transport maritime des personnes et à titre onéreux.
136La Cour Suprême affirme : « Attendu que les dispositions du CCMT ne peuvent en aucun cas s’appliquer aux opérations de transport international de marchandises »
137Cette décision a soulevé beaucoup de critiques en raison du fait qu’elle confirme l’abrogation judiciaire pure et simple de toutes les règles impératives applicables à la responsabilité du transporteur maritime, ce qui est à la limite extrêmement audacieux, pour ne pas dire en violation avec la loi et les règles d’interprétation usuelles.
138À l’occasion d’un autre litige la Cour de cassation dans un arrêt non publié (n° 37604 du 30/10/2010) confirme la tendance largement établie de l’application des règles de Hambourg aux litiges enrôlés devant la justice en consacrant le principe suivant :
« attendu qu’en vertu l’article 2 de la Convention des Nations unies sur le transport des marchandises par mer de 1978 et compte tenu, du fait que le déchargement des marchandises tel qu’il figure sur le connaissement s’est opéré sur le territoire de la République Tunisienne, partie contractante à la Convention de Hambourg, d’où il ressort que les relations juridiques dérivant du connaissement dans le litige font nécessairement partie du champ d’application de la Convention de Hambourg, seul texte applicable ».
139À travers ces décisions transparaissent des vicissitudes et une véritable instabilité contestable sur le plan des principes directeurs du régime de responsabilité du transporteur. Aussi une clarification, voire une révision législative profonde ou un « carénage systématique » devient, à notre avis, une nécessité impérieuse pour corriger cette tendance pernicieuse de replâtrage.
3. Analyse de la jurisprudence relative à la mise en œuvre de l’obligation de délivrance
140Il convient de noter que l’évolution de la jurisprudence Tunisienne à ce sujet a connu également plusieurs étapes.
a. Application du CCM
141Parmi les décisions les plus significatives, on peut citer celle de la Cour de cassation du 3 mai 2005 (BCC 245) affirmant le principe selon lequel les règles générales du CCMT sont seules applicables et notamment son article 169 qui dispose que l’acconier opère pour le compte du transporteur maritime, lequel est le seul tenu de l’obligation de délivrance des marchandises et, par conséquent, le seul responsable du bon état de la marchandise jusqu’à sa délivrance au destinataire.
142Dans d’autres décisions, la Cour de cassation a opté également pour l’application de l’article 146 CCMT en affirmant que tout préjudice à la marchandise est présumé, sauf preuve contraire rapportée par le transporteur maritime, l’avoir été entre l’appréhension ou prise en charge de la marchandise et sa délivrance au destinataire3.
143Dans un autre arrêt n° 5190/2006 du 31/01/2007, la Cour de cassation, à propos d’un contrat de transport maritime litigieux se situant entre deux pays différents avec un port de déchargement Tunisien, a énoncé le principe selon lequel
« La Convention de Hambourg s’applique en vertu de ses articles 2 et 15 relatifs aux mentions obligatoires que doit comporter le titre de transport maritime. Il s’avère que parmi les mentions obligatoires, figure la nature générale des marchandises, ses caractéristiques d’identification, la déclaration expresse du caractère spécial des marchandises, le nombre de colis, le poids et la quantité, conformément aux spécifications signalées par l’expéditeur.
L’article 16 ajoute que le transporteur doit insérer une clause de réserve dans le connaissement établissant l’inexactitude des détails de la marchandise, ainsi que les motifs qui l’ont laissé douter, ou si les moyens raisonnables de vérification font défaut, sous peine de la supposer l’avoir considéré comme valables.
Il ressort, selon la Cour de cassation, de la combinaison des deux articles précités, que le transporteur est tenu d’apporter au connaissement, la mention de la nature générale des marchandises et ses caractéristiques d’identification. Cette obligation ne s’étend pas à la garantie des vices de la marchandise, le défaut de sa description ou de sa qualité, qui pèse sur le vendeur expéditeur, le contrôle du transporteur lors de l’acceptation de la marchandise, se limite à la nature générale des marchandises et leurs caractéristiques et ne s’étend pas à leur qualité ou leur conformité aux normes exigées par l’expéditeur. L’absence de vices apparents et cachés couverts par la garantie demeurent à la charge du vendeur expéditeur jusqu’à la livraison, conformément à l’article 228 du CCMT, ce qui n’est pas contraire aux dispositions de l’article 145 CCMT selon lequel le transporteur doit garantir la marchandise… ».
b. Application du CCM conjointement avec la Convention de Hambourg
144Par décision n° 6071 du 9 mars 20054, la Cour de cassation a consacré l’application des articles 169 et 144 CCMT en même temps que l’article 4 de la Convention de Hambourg en affirmant que
« la présomption de responsabilité à la charge du transporteur maritime commence selon l’article 144 CCCMT à partir de la prise en charge des marchandises par le capitaine du navire ou par les agents du transporteur maritime jusqu’à sa délivrance au destinataire »
145Aussi, il s’avère que, concernant l’obligation de délivrance de la marchandise quant à sa durée, la jurisprudence Tunisienne a toujours été constante, contrairement à d’autres questions plus controversées.
c. La jurisprudence relative à la force majeure
146Un survol des dispositions de l’article 145 CCMT, permet de savoir que le transporteur maritime est garant de tous les préjudices subis par les marchandises. Mais il peut s’exonérer en rapportant la preuve contraire dans les 9 cas limitativement énoncés. Ainsi en est-il de l’arrêt de la Cour de cassation du 29 avril 1978 (n° 3977, BBC 72 P 64) qui a admis la force majeure comme cause légale d’exonération de la responsabilité du transporteur maritime à condition de revêtir les caractères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extranéité.
4. Les cas exceptés prévus pas le CCM n’apparaissent par tous dans la convention de Hambourg notamment la freinte de route
La jurisprudence « rebelle » relative à la freinte de route
147La freinte de route a fait l’objet d’une jurisprudence abondante en droit positif Tunisien et les juridictions ont continué à l’appliquer alors même que la convention de Hambourg ne l’a pas évoquée.
148C’est en vertu de l’article 145 al 6 CCMT que cette cause légale d’exonération du transporteur maritime est retenue. Ainsi si le transporteur maritime prouve que les pertes, avaries ou dommages ont pour cause des « déchets de route » en volume ou en poids d’après la nature de la marchandise, la durée de voyage, les variations de température et la tolérance déterminée par les usages, il est en droit d’échapper à sa responsabilité.
149Cette jurisprudence a connu une évolution souvent en « dents de scie » et parfois chargée d’ambiguïtés.
150Un grand nombre de décisions mériteraient d’être mis en exergue :
151Ainsi en est-il de la décision civile5 qui a admis la freinte de route en tant que cas légal d’exonération de la responsabilité du transporteur maritime notamment pour certains produits tels que le ciment, le vin, le pétrole et dérivés. Des perturbations sont intervenues au niveau de la position des tribunaux surtout après la ratification de la Convention de Hambourg.
152Cette ratification a divisé la doctrine en deux tendances : La première préconisant le maintien de la freinte de route comme cause d’exonération sur la base du CCMT et des usages, la seconde soutenant pour sa part son exclusion pure et simple sur la base des Règles de Hambourg.
153Un examen approfondi du courant jurisprudentiel permet de constater également une division au sein des chambres de la Cour de cassation au sujet des solutions adoptées à propos de litiges à problématique similaire au niveau des faits, de la procédure et des allégations des parties.
154Certaines appliquent la freinte de route en vertu l’article 145 al 6. D’autres l’écartent en vertu des Règles de Hambourg en motivant leurs décisions sur des fondements bien établis.
155Ainsi, la décision de la Cour de cassation du 27/01/1999, a retenu l’application de l’article 145 CCMT en affirmant que la freinte de route est une cause d’exonération par référence aux usages, aux avis d’experts et aux jugements des tribunaux et compte tenu de l’ensemble des Conventions internationales y compris la convention de Bruxelles du 28/08/1924 non ratifiée, ce qui est très étonnant pour une Cour de droit de se référer à des traités désuets.
156Une autre décision de la même Cour (n° 136 du 25/09/2000), qualifie la freinte de route comme un vice propre à la marchandise par référence à la Convention de Bruxelles. Elle ajoute que la reconnaissance de la freinte de route est unanimement acceptée sur le plan international selon les usages et les coutumes.
157La décision n° 3905/2004 du 07/01/2005 de la Cour de cassation a affirmé que la Convention de Hambourg est applicable au litige concernant un contrat de transport international de marchandises par mer. Elle ajoute que tant que ladite Convention n’a pas précisé des moyens de preuve déterminés pour établir la freinte de route subie par la marchandise lors du transport… ladite Convention, même si elle ne citait pas la règle de la freinte de route, n’a pas interdit son application, chose imposée par la nature de la marchandise et le long trajet parcouru en vertu de l’usage maritime mondial. Par voie de conséquence, la cour de cassation décide que la juridiction de la décision critiquée n’a pas violé les dispositions des Règles de Hambourg.
158En définitive et sans nécessité de citer d’autres décisions aussi étonnantes qu’anachroniques, il s’avère d’une grande importance de mettre beaucoup d’ordre dans la maison du droit maritime tunisien et dans les règles régissant le régime de responsabilité du transporteur maritime pour remédier à la désuétude, voire l’anachronisme qui a atteint les assises essentielles du droit de la responsabilité maritime. En effet, ses spécificités et son particularisme ont été profondément désarticulés par une greffe inadéquate de règles antinomiques.
159Plus de vingt ans après l’entrée en vigueur de la Convention des Nations unies sur le transport international de marchandises par mer, les juridictions tunisiennes ont eu à se prononcer sur plusieurs litiges significatifs qualifiés et commentés différemment :
5. Étude d’un cas spécifique : le litige Cotunav-Office des Céréales
160La Cour de cassation dans sa décision CC 12/07/2007 opposant le réceptionnaire, l’Office des céréales au transporteur, la Cotunav, a affirmé un principe qui mérite à juste titre d’être critiqué.
a. Les faits de l’espèce et la procédure
161L’Office des céréales a, sur la base d’un contrat international, acheté 24 365,325 TM de blé tendre d’une valeur de 593 810,67 $ en coût et fret (c&f).
162Le transport de la cargaison a été assuré à bord du navire le « Kef » appartenant à la Cotunav. Ce navire a effectué le voyage d’un port Turc au port de déchargement de Bizerte (Tunisie) en vertu d’un connaissement émis en septembre 2002. Un manquant de 162,928 tonnes et d’une valeur de 17 431,66 $ a été constaté au port de Bizerte. Le réceptionnaire a exigé la réparation du préjudice à la Cotunav.
163La Cotunav a été désignée responsable, par l’Office, du fait de sa déclaration de la quantité de marchandise chargée au port d’embarquement et dispose, par conséquent, de la possibilité d’une action récursoire contre le chargeur.
164L’examen des arguments en présence permet de constater que le litige porte essentiellement sur l’exécution du contrat de commerce international objet du contentieux.
165La Cotunav est aussi présumée garante de la quantité de marchandise déclarée expressément au connaissement sur la base duquel le fret a été payé (l’article 16 al 3 de la convention de Hambourg).
166Le réceptionnaire (l’office des céréales) s’est pourvu en cassation sur le fondement de l’article 16 des règles de Hambourg demandant le paiement de la valeur du manquant de 17 431,66 $, de la quote-part de l’assurance relative à la marchandise sinistrée, et des frais.
167La procédure antérieure au pourvoi en cassation consiste dans la condamnation par le tribunal de première instance du transporteur maritime à régler la valeur du manquant estimé par l’expert à 24 323,277 TND.
168La Cotunav avait interjeté appel invoquant la freinte de route sur la base de l’article 145 CCMT non abrogé et prétend que le blé tendre transporté par mer est de nature à perdre de son poids par un phénomène naturel au cours de l’expédition maritime et que l’usage portuaire Tunisien le fixe à un taux de 0,50 % du poids réel de la marchandise.
b. Les pourvois soulevés par l’office des céréales
169Ils se résument en 2 points déterminants :
La transgression de la convention de Hambourg et de l’article 123 du code de procédure
La primauté constitutionnelle (art 32) des traités internationaux sur le droit interne.
170Par conséquent, l’Office des céréales déduit que l’article 145 CCMT n’a pas vocation à s’appliquer aux contrats internationaux de transport maritime de marchandises (art 3 de la Convention).
171Par ailleurs, l’Office fait grief à la Cour d’appel d’avoir fondé sa décision sur une disposition inapplicable (art 145 CCMT). Il lui reproche, par la même, d’avoir écarté lapidairement la convention de Hambourg.
172Selon l’argumentaire présenté par le réceptionnaire, l’entrée en vigueur de la Convention de Hambourg entraîne de facto l’abrogation de toutes dispositions antérieures et leur remplacement par les nouvelles règles de la Convention régissant la responsabilité du transporteur maritime. Il appuie sa thèse sur l’article 2 de la Convention dont les dispositions étendent son champ d’application « à tous les contrats de transport par mer » à destination d’un port Tunisien quelle que soit la nationalité du navire ou le port de chargement.
173L’argument présenté par le réceptionnaire dans ce litige est que l’on ne trouve nulle part trace dans les règles de Hambourg quant à la faculté du transporteur maritime de s’exonérer en raison de la faute nautique de son Commandant, de l’équipage ou même de la freinte de route (145 CCMT). Selon l’office, les cas exceptés par le CCMT sont aberrants et l’article 5 des règles de Hambourg a sciemment supprimé la plupart des 9 cas d’exonération du transporteur maritime.
174Le réceptionnaire prétend que l’article 5 n’a en effet maintenu de cette liste que le cas de l’incendie.
175En outre, ajoute-t-il sur la base de l’article 5 alinéas 3 que l’ayant droit à la marchandise qui prétend au dédommagement « peut considérer les marchandises comme perdues si elles n’ont pas été livrées… »
176Cela équivaut donc à affirmer que le transporteur est responsable de la livraison intégrale de la marchandise au destinataire selon l’état décrit au connaissement. Il ne peut s’exonérer de sa responsabilité pour manquant que s’il démontre qu’il a émis des réserves sur le connaissement en vertu de l’article 2 de la convention.
c. L’analyse de la décision de la cour de cassation
177L’analyse de la décision permet de noter que l’article 16 alinéa 3 b de la convention prévoit que
« la preuve contraire (par rapport aux indications figurant au connaissement) par le transporteur n’est pas admise lorsque le connaissement a été transmis à un tiers, y compris au destinataire, qui a agi de bonne foi en se fondant sur la description des marchandises donnée au connaissement ».
178L’Office des céréales soutient que, selon l’article 16 alinéa 3 et à l’exception des indications pour lesquelles une réserve a été faite…, le connaissement constitue une présomption que le transporteur a pris en charge la marchandise telle que décrite sur ce document. La preuve contraire par le transporteur n’est pas admise lorsque le connaissement a été transmis à un tiers
179D’autre part, l’exonération figurant à l’article 145 CCMT est appliquée à des conditions bien déterminées (dans le cadre de la relation du transporteur avec la cargaison). Mais on peut se poser la question primordiale de savoir si les dispositions de cet article ont été tacitement abrogées étant donné qu’elles sont en contradiction avec celles de l’article 16 précité. La Cour de cassation a déjà confirmé dans plusieurs décisions que les dispositions relatives à la responsabilité du transporteur maritime édictées par le CCMT y compris l’article 145 ne s’appliquaient plus aux contrats de transport maritime internationaux de marchandises étant donné qu’elles ont été abrogées par les dispositions de la Convention des Nations unies sur le transport de marchandises par mer du 30 mars 19786.
180Ces décisions ne sont pas aussi bien justifiées qu’on peut le penser et méritent que l’on s’y attarde et laissent le débat ouvert.
181Autre grief du pourvoi invoqué par l’Office, est la transgression des dispositions des articles 542 et 544 COC et la dénaturation des circonstances relatives à la freinte de route :
182L’office invoque un autre grief dans son pourvoi à savoir la référence à des circonstances et lois étrangères : la décision de la cour d’appel s’est basée sur le fait qu’il y a une unanimité des experts et de la majorité des conventions internationales sur le fait que certains produits, comme le blé tendre, subissent généralement un manquant de poids durant le transport maritime et prétend que cette coutume n’est pas prouvée et qu’il n’y a pas de base légale exonérant le transporteur maritime de la freinte de route de 0,5 % pour le blé. La Cour n’ayant pas invoqué un texte juridique ce qui constitue une atteinte à la loi.
183L’importateur indique également qu’il ressort de la jurisprudence comparée, que le transporteur est responsable envers le destinataire de sa faute ou de celle du chargeur pour omission de déclaration réelle de la quantité chargée.
184Dans ce sens, il n’y a aucun usage national ou international qui évoque la freinte de route, ce qui a été soutenu et confirmé par la jurisprudence Américaine et Canadienne7.
185Aussi est-il légitime de s’interroger si ce litige est de nature à être soumis aux chambres réunies en Tunisie compte tenu de l’impact de l’éventuelle décision ?
d. Le recours éventuel aux chambres réunies
186L’article 192 CPCC stipule que
« les chambres réunies siègent chaque fois qu’il s’agit d’unifier la jurisprudence entre les différentes chambres et lorsque l’arrêt rendu est fondé sur un texte devenu inapplicable en raison de son abrogation tacite ».
187On peut se demander alors, si c’est effectivement le cas de l’article 145 CCMT. Les avis des chambres de la Cour de cassation sont contradictoires au sujet de cette question, ce qui nécessite de soumettre le litige aux chambres réunies afin de trancher définitivement cette question et de clarifier les tendances jurisprudentielles.
188Néanmoins, il convient de réfuter certains griefs avancés par l’Office :
189Il est certain que si le principe de la primauté des conventions internationales sur le droit interne ne suscite aucune contestation, il est, toutefois, hasardeux de soutenir qu’elles abrogent les dispositions du droit national, dans tous les cas traités par lesdites conventions. Ce principe ne s’applique pas lorsque ces conventions ne traitent pas de questions qui sont, par contre, réglementées par le droit national (CCMT).
190La raison évidente est que l’on ne peut dire qu’il y a contradiction ou abrogation pour des questions non traitées par lesdites conventions. Il n’y a nullement de contradiction entre le droit interne et ce qui est traité par la Convention de Hambourg. Cette dernière n’a prévu aucune disposition spécifique relative à la freinte de route soit pour l’accepter soit pour la rejeter ce qui milite en faveur de son admission en tant que cas légal d’exonération.
191Il ressort aussi de l’annexe 2 de la Convention de Hambourg intitulée « consensus » adopté par la conférence des Nations unies sur le transport de marchandises par mer, qu’il est entendu que la responsabilité du transporteur en vertu de la présente convention est fondée sur le principe de la faute ou de la négligence présumée. Cela signifie qu’en règle générale, la charge de la preuve incombe au transporteur mais que dans certains cas les dispositions de la convention modifient cette règle.
192Aussi est-il possible de la rejeter lorsqu’il est prouvé que le manquant réclamé est basé sur la freinte de route liée à la nature de la marchandise si elle ne résulte nullement de sa négligence.
193Un autre argument de taille invoqué par l’Office est que l’on ne peut tenir compte de la freinte de route lorsque le manquant total du poids dépasse le taux toléré. Cet argument est rejeté en se fondant sur les dispositions des règles de Hambourg (art 5 alinéa 7) : « lorsqu’une faute… a concouru avec une autre cause à la perte, le dommage… le transporteur n’est responsable que dans la mesure de la perte… qui est imputable à cette faute ». Il en est de même pour la nécessité de prouver l’usage qui détermine la freinte de route. La jurisprudence est claire et stable à ce sujet et se résume ainsi :
« la notion de freinte de route jouit d’une reconnaissance internationale. Par conséquent cet usage général et dominant, que la convention de Bruxelles a consacré et que l’article 54 COC a déterminé, ne nécessite pas de rapporter une attestation le consacrant ».
194Finalement la Cour de cassation énonce le principe suivant :
« Considérant que de la ratification par l’État Tunisien de la convention des Nations unies sur le transport des marchandises par mer du 31/03/1978, par la loi 33 du 28/05/1980 connue sous le nom de “règles de Hambourg” parue au JORT par décret 117 de 1981 en date du 17/01/1981 et entrée en application en date du 01/11/1992, est devenue la seule applicable pour ce qui touche toutes les opérations de transport maritime international. Ses dispositions touchent l’ordre public, qu’il ne devrait pas transgresser, abstraction faite de la volonté des parties, toutes les fois où elle est applicable au sens de son article 2 ».
195Il en découle que le CCMT n’est applicable que dans les cas du transport maritime national (cabotage national). L’on ne peut, par contre, appliquer les dispositions du CCMT aux opérations de transport international de marchandises par mer, que dans les cas suivants :
Si la convention a clairement prévu l’application du droit interne (art 21, 25, 26)
S’il concerne des procédures non réglementées par la convention, comme la procédure de l’expertise et des moyens de preuve.
S’il a été convenu sur la base du connaissement entre le transporteur et le chargeur dans le cadre du transport international des marchandises par mer non soumis à la convention, de le soumettre au droit Tunisien.
lorsque le litige est soumis à la Convention de Hambourg conformément à l’article 2 de cette convention.
196Il convient de mettre en exergue le fait que le CCMT a évoqué 9 cas d’exonération du transporteur maritime dans son article 145. Or la convention de Hambourg n’a pas repris ces cas d’exonération mais a retenu uniquement 2 cas (incendie et sauvetage en mer).
197En fait l’exonération de la responsabilité équivaut à un renversement de la charge de la preuve qui fait disparaître la présomption de faute vis-à-vis du transporteur maritime. C’est le chargeur ou le destinataire qui supporte la charge de la preuve pour démontrer la faute, cause principale du dommage ou du manquant et pour retenir la responsabilité du transporteur comme support de dédommagement.
198Or le transporteur a réaffirmé l’absence de sa responsabilité du manquant survenu à la quantité de marchandise transportée et a invoqué la freinte de route exonératoire au sens de l’article 145 al 6 CCMT.
199La question qui se pose est de savoir si la freinte de route enfreint l’ordre public tunisien d’autant plus que le législateur l’a bien consacré en matière de transport maritime national dans le CCMT basé sur l’équité et la justice.
200Pour que le transporteur s’exonère et repousse sa responsabilité au sujet de la freinte de route il doit :
respecter les conditions exigées ;
l’invoquer lui-même au moyen d’une attestation du port de destination confirmant l’existence d’un usage émanant des services administratifs du port, des syndicats compétents ou de l’expert étant donné que le manquant, même si l’usage le reconnaît, aura un taux variable selon les catégories de marchandises. Il sera déterminé au cas par cas en fonction de la durée du voyage, des conditions météo et leur influence sur ce phénomène ainsi que selon la nature de la marchandise.
201Il est aussi admis que la freinte ne doit pas dépasser un certain pourcentage reconnu et acceptable.
202Si le manquant dépasse ce pourcentage, la freinte de route est rejetée et le transporteur sera dans ce cas responsable de l’ensemble du manquant. La doctrine considère que la freinte de route ne constitue pas une exonération de la responsabilité mais bien une irresponsabilité en démontrant que la même cargaison qui a été déchargée au port de destination et son manquant de poids est due à sa nature.
203Dans l’affaire (Cotunav/ Office des Céréales), le transporteur n’a formulé aucune réserve sur le connaissement relatif aux indications de la marchandise et particulièrement son poids. Il est, par conséquent, tenu responsable de l’exécution de son obligation, comme indiqué au connaissement. L’expertise a démontré que le manquant dépassait le pourcentage de freinte de route acceptable par les usages. Ce qui confirme que la cause du manquant n’est pas la freinte de route.
204L’article 6 des règles de Hambourg a fixé un plafond de dédommagement qu’on ne saurait dépasser, soit 835 DTS pour chaque colis ou 2,5 DTS du poids de la marchandise avariée ou perdue.
205Ce plafond favorable au réclamant sera appliqué, à moins que le transporteur n’accorde un plafond plus important que celui prévu par la convention (art 6 alinéa 4 et art 23 alinéa 2).
206L’unité, selon l’article 6, est le droit de tirage spécial fixé aux États membres du FMI dont la Tunisie est membre.
207Or la demande de dédommagement ne dépasse pas le plafond prévu par la Convention de Hambourg, et le transporteur est redevable de tout le montant réclamé.
6. Les orientations actuelles des Tribunaux Tunisiens
208L’introduction de la convention de Hambourg dans l’ordre juridique maritime Tunisien a créé de la confusion au sein de la jurisprudence ancienne bien établie dans ses assises. Les juridictions chargées de juger les litiges enrôlés se sont trouvées confrontées à une situation cornélienne peu enviable en raison des fondements divergents et des principes régissant la responsabilité du transporteur maritime parfois contradictoires du fait des philosophies antinomiques des deux législations. Des incohérences sont apparues et des décisions contradictoires ont créé une situation peu crédible au regard des intérêts des intervenants dans la chaîne du transport.
209La position des magistrats s’est compliquée, compte tenu de cette dualité de régimes juridiques, de leur caractère hybride, ce qui a mis le juge au pied du mur pour rendre une justice transparente et équitable.
210Aussi, le juge Tunisien a dû faire des acrobaties sur un trapèze de cirque fort dangereux pour trancher certains litiges dont il y a lieu d’en rendre compte à travers trois principaux courants :
Le premier courant minimaliste n’applique que les dispositions du CCMT en écartant les règles de Hambourg.
Le 2e courant maximaliste, plus récent, a, par contre, écarté les dispositions du CCMT pour appliquer exclusivement celles de Hambourg.
Le 3e courant mixte a, en quelque sorte, concilié les deux systèmes en fondant ses décisions sur deux textes diamétralement contradictoires.
211Le courant minimaliste a été le plus dominant depuis la promulgation du CCMT jusqu’à l’année 1992.
212Il se caractérise, en effet, par une tendance constante concernant toutes les questions juridiques relatives à la compétence d’attribution, à la prescription de l’action, à la limitation des plafonds de responsabilité, aux causes légales d’exonération, aux réserves et aux questions de preuve.
213Les juridictions Tunisiennes ont continué généralement à appliquer le régime institué par le CCMT malgré l’entrée en vigueur des règles de Hambourg ce qui a entraîné des craintes au sein des professionnels du monde maritime.
7. Règles de compétence
214Les juridictions Tunisiennes ont écarté l’application de l’article 121 des règles de Hambourg concernant la compétence territoriale.
215Dans un arrêt civil de la Cour de cassation n° 339979 du 10/04/1966, le principe affirmé est que « les juridictions compétentes pour trancher le litige sont les tribunaux Tunisiens en vertu de l’article 2 du CPCC tant que le contrat international de transport a été exécuté sur le territoire Tunisien, outre le fait que le défendeur a élu domicile en Tunisie à travers son représentant. De même l’article 162 CCMT considère comme nul et non avenu toute clause mentionnée sur le connaissement de nature à modifier le lieu de compétence.
8. La prescription de l’action
216Les tribunaux Tunisiens ont écarté l’application de l’article 20 des règles de Hambourg relatif à la prescription de l’action (2 ans).
217La plupart des décisions fondent leurs jugements sur la base de l’article 234 CCMT et l’article 396 COC à l’instar de la décision de la Cour de cassation en date du 14/07/1970 n° 6085 ; n° 3523 du 24/05/1965 ; n° 3550 du 08/06/1981 et n° 5828 du 13/07/1982. Toutes les décisions postérieures ont persisté à affirmer les mêmes principes à savoir que « le délai fixé par l’article 234 CCMT est le délai de prescription de 1 an qui peut être interrompu »8.
9. Les réserves
218Les juridictions Tunisiennes ont opté d’une manière constante pour l’application de l’article 159 CCMT.
219Plusieurs décisions ont abondé dans ce sens :
Arrêt CC n° 21109 du 14/01/2003
Arrêt CC n° 5040 du 17/12/1981
Conclusion
220À travers une jurisprudence tunisienne tumultueuse et parsemée d’embûches, il apparaît que le choix de la transposition, du système des règles de Hambourg au sein de la législation maritime tunisienne, a été faite sans une réflexion mure et sans étude préalable de ses implications juridiques et économiques sur le commerce maritime tunisien.
221Cet état de fait désolant a, en quelque sorte, démembré le régime juridique d’Ordre Public institué par le CCMT en ce qui concerne la responsabilité du transporteur maritime et a affecté sa crédibilité vis-à-vis des opérateurs maritimes étrangers. Aussi est-il d’ores et déjà impératif de procéder à une refonte totale du CCMT pour le mettre au diapason de l’évolution internationale notamment à la veille de l’entrée en vigueur des Règles de Rotterdam.
222En droit français et américain, la cour d’appel de Paris9 dans l’affaire du navire : « Helene-Delmas » a décidé que « les différentes opérations préalables à l’embarquement, acheminement terrestre et entreposage à quai avant mise à bord du navire, font partie intégrante du contrat de transport du transporteur et relèvent de la responsabilité du transporteur maritime.
223Le fait pour ce dernier d’avoir, par suite de l’avarie de son navire, délégué la partie maritime du transport à une autre compagnie qui a établi le connaissement sous son nom, ne peut avoir pour conséquence de l’exonérer de sa responsabilité à raison des avaries survenues au cours de la première phase d’exécution du contrat de transport10.
224La chambre commerciale de la cour de cassation (26/02/1991) a écarté la faute nautique comme cas excepté en décidant dans l’affaire du navire : « Aude » que « la gîte du navire, le désarrimage consécutif d’une partie de la cargaison et le jet à la mer de celle-ci pour éviter la perte du navire ayant eu pour cause une faute de Manutention commise au cours du déchargement, le transporteur ne peut s’exonérer en invoquant la faute nautique au sens de l’art, 4-2 de la convention de Bruxelles de 1924 (sté sud- cargos c/entreprise portuaire d’Oran).
225La chambre commerciale de la Cour de cassation (23/06/1982) concernant un transport maritime international en pontée du navire : « Mercandia-exporter » a jugé
« qu’il y a lieu d’accorder au transporteur maritime le bénéfice de la limitation de responsabilité prévue par la convention de Bruxelles de 1924 sur les connaissements lorsque, d’une part, les connaissements ne comportaient pas de déclaration de valeur et d’autre part, le transporteur maritime n’avait commis aucune faute intentionnelle susceptible de lui faire perdre le droit d’invoquer la limitation de responsabilité »11
226Dans un arrêt de la chambre commerciale du 27/04/1993 concernant le navire de la Cotunav « Moularès » la Cour de cassation française a affirmé le principe que « la personne mentionnée sur le connaissement sous la rubrique « Notify » et qui a reçu mandat du chargeur de recevoir la marchandise est recevable à agir contre le transporteur maritime en qualité de destinataire réel (Cotunav/C/Cie navigation et transports)
227Selon le professeur Pierre Bonassies12,
« l’idée s’affirme de plus en plus fortement dans la jurisprudence française que l’obligation pour le transporteur de faire diligence pour assurer la navigabilité du navire, comme son obligation de procéder de façon appropriée et soigneuse au chargement et au transport de la marchandise sont des obligations essentielles, auxquelles le transporteur ne peut échapper. La transgression de ces obligations entraîne donc sa responsabilité, quelles que soient les circonstances13 ou quelles que soient les clauses figurant au connaissement ».
228D’autre part, M. Bonassies, considère14 que l’événement le plus important survenu en 1992 est certainement l’entrée en vigueur, le 1er novembre 1992, des règles de Hambourg.
229Cet auteur a mis en relief les principaux changements apportés par la nouvelle convention au droit international des marchandises et de s’interroger sur les conséquences éventuelles de cette convention sur les intérêts des transporteurs, chargeurs et destinataires Français.
230Il observe que les règles de Hambourg s’assignent un domaine d’application plus large que celui que se reconnaît la convention de 1924. Elles apportent des modifications au régime de la conclusion du contrat de transport maritime et au régime du connaissement. La notion de réserve est plus claire dans les règles de Hambourg. L’Apport le plus notable à la théorie du connaissement est certainement la lettre de garantie. Selon le professeur Bonassies, ces règles restent en retrait sur la convention de 1924 pour ce qui est des obligations générales du transporteur mais marquent un progrès dans le domaine du transport en pontée.
231L’apport le plus considérable touche le domaine de la responsabilité du transporteur depuis la prise en charge de la marchandise jusqu’à la livraison, ainsi que son fondement puisque sous le régime nouveau, le transporteur ne pourra plus invoquer la plupart des cas exceptés prévus par la convention de 1924. En particulier, il ne pourra plus prétendre s’exonérer en invoquant la faute dans la navigation ou l’administration du navire. Seuls, lui demeurent ouverts, les cas exceptés d’incendie ou, avec des nuances celui d’assistance.
Notes de bas de page
1 Affaire n° 23919/6/2005 du 2/7/2005.
2 RJL, p. 195.
3 C. cass n° 40438 du 21 mai 1996, BCC, p. 73.
4 RJL, 2006, p. 187.
5 Arrêt CC n° 9326 en date du 21/06/2007 RJL, 2007.
6 Arrêts n° 5472-5773-5474 en date du 03/04/2001 n° 8872-2006 du 28/06/2007.
7 W. Tetley, Mamie cargo Claims, Canada 1968 p. 301 et 302.
8 CC décision n° 52312 du 18/02/1998.
9 5e ch. 28/03/1991.
10 SA navale des chargeurs Delmas c/ coopérative ivoirienne Cofruitel et Cie d’assurance la concorde, DMF p. 517.
11 Sté United national development company /c / Sté Mercandia, DMF, p. 26.
12 « Le droit positif français », DMF 1991.
13 Aix-en Provence, 8 novembre 1988, navire Hakko-minerva, DMF 1990, 704 DMF 1991, 95.
14 « Doctrine droit positif français », DMF, 1992, p. 3.
Auteurs
Avocat Prés La Cour De Cassation et Consultant International
Ex-Directeur Central de la Compagnie Tunisienne de Navigation (COTUNAV), Consultant international & Consignataire de Navires
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