Pilotage maritime : régimes de responsabilité du pilote en droit marocain
p. 221-234
Texte intégral
1Depuis que les navires ont été utilisés comme moyen de transport pour effectuer du commerce, le capitaine, représentant l’armateur et chef de l’expédition maritime, a eu besoin de l’assistance du pilote pour guider son navire, afin d’éviter les écueils lors de la navigation à proximité des côtes inconnues pour lui, là où celles-ci présentaient le plus de risques, alors que le pilote en avait une excellente maîtrise1.
2Au fil des siècles, après des années de concurrence anarchique entre pilotes qui se faisaient la course pour proposer leurs services, les États ont organisé le pilotage maritime et l’ont rendu obligatoire dans les ports de commerce, pour les navires dimensionnés au-delà d’un certain seuil2, dans le but d’améliorer la sécurité de la navigation et des accès portuaires. Cette obligation est à présent quasi universelle3.
3Le pilotage maritime est défini par l’article premier4 du Dahir du 20 février 19375 comme étant
« … l’assistance donnée aux capitaines par un personnel commissionné par l’État Chérifien pour la conduite des navires à l’entrée et à la sortie, et pour les mouvements effectués sur rade et dans le port… ».
4Le pilotage est une activité d’intérêt général. L’obligation de recourir à ce service est instaurée pour des raisons évidentes de sécurité et de conservation des domaines publics maritimes6.
5Tout navire, soumis à cette obligation, qui se présente à l’entrée d’un port, ou veut le quitter, doit se faire piloter dans les limites déterminées pour ce port.
6Le pilotage maritime est organisé de manière différente dans le monde entier, mais il est toujours soumis au contrôle de l’État.7 C’est une activité réglementée par de nombreux textes qui constituent une véritable Charte du pilotage.
7Au Maroc, les textes8 en vigueur datent de 1937. Ils ont été « rédigés » pour la réorganisation et le fonctionnement de la Station de pilotage du port de Casablanca.
8À l’occasion de l’exécution de l’obligation de pilotage, différentes responsabilités se manifestent entre les parties. Il s’instaure alors entre le pilote et le capitaine du navire à piloter une relation qui s’analyse en un « contrat de pilotage », mais il s’agit en réalité d’un contrat imposé.
9De ce contrat naissent des obligations pour chacune des parties.
10Le capitaine du navire à piloter doit veiller à ce que :
tous les moyens techniques d’embarquement, ou de débarquement, du pilote répondent aux normes de sécurité en vigueur9 ;
que le séjour du pilote, parfois très court à bord du navire, ait lieu en toute sécurité, depuis l’embarquement jusqu’au débarquement, y compris pendant tout le temps que doit durer l’exécution de l’opération de pilotage.
11Quant au pilote, il vient apporter au capitaine le concours de sa compétence locale. Sa parfaite connaissance de l’environnement peut sembler transformer en routine des manœuvres en fin de compte très délicates.
12Cependant, malgré la compétence et l’expérience de cet « homme du lieu », des incidents peuvent survenir pendant l’exécution du pilotage, et ce pour différentes raisons.
13D’où la problématique suivante qui se résume en deux points essentiels :
14Premièrement, comment concilier entre le volet sécuritaire des ports, la protection de leur environnement et leurs installations, tout en veillant au mieux sur les intérêts commerciaux de la communauté portuaire ?
15Quant au deuxième point, il concerne le cadre juridique applicable en cas d’accident survenu pendant l’exécution de l’opération de pilotage.
16Les textes en vigueur chez nous ne parlent, explicitement, que des avaries survenues au bateau-pilote ; alors que pour le pilote et l’équipage du bateau-pilote, il a fallu rassembler les dispositions de plusieurs textes de droit afin de mettre en jeu la responsabilité de l’armateur du navire piloté. La logique veut à ce que ce bateau-pilote soit équipé et armé par un équipage et un pilote pour pouvoir être utilisable et opérationnel ; on peut comprendre ainsi que si le bateau-pilote est couvert en cas d’accident, le personnel se trouvant à son bord le soit systématiquement.
17En France, par contre, la situation du pilote s’est améliorée, depuis 196910, quant aux dommages que le pilote subit à l’occasion de l’accomplissement de sa tâche.
18Les régimes de responsabilité, traités ci-dessous, sont considérés à l’occasion de l’exécution de l’opération de pilotage ; ce sont ceux envers le pilote ; sans oublier le cas où il n’est pas à bord d’un navire en train d’exécuter une opération de pilotage.
19Pour ce faire, il sera traité du régime de la responsabilité civile du pilote, en invoquant la faute de ce dernier, ainsi que le régime disciplinaire et pénal applicable le cas échéant.
I. Les régimes de responsabilité du pilote
20En tant que marins, les pilotes ont le même statut administratif en ce qui concerne l’embarquement11. À bord des navires, ils se soumettent au Code Disciplinaire et Pénal de la Marine Marchande (CDPMM)12. Dans tous les autres cas, ils se soumettent à l’autorité disciplinaire du Directeur de la Marine Marchande13.
21Les pilotes étant les garants de la sécurité de la navigation dans les zones dangereuses telles que les ports ou les estuaires, ils bénéficient d’un régime de responsabilité qui leur est plutôt favorable14.
22Suivant les Rôles d’Oléron, « le pilote qui, par sa faute, a causé un dommage au navire, s’il n’a de quoy, aura la tête tranchée »15.
23Cette règle vise seulement, suivant la manière forte du Moyen Âge, à inciter le pilote à se prémunir contre les conséquences de sa responsabilité.
24De ce système nous reste aujourd’hui le principe de la responsabilité du pilote, laquelle est fondée sur la preuve d’une faute. Il en subsiste également l’obligation pour tout pilote de fournir un cautionnement qui lui permet de s’affranchir de la responsabilité civile résultant de ses fautes16. Encore le montant de ce cautionnement, modeste17 est-il sans rapport avec l’importance des dommages potentiels18 : le pilote se contente, les textes le précisent, de « contribuer » à la réparation.
25Les bases de mise en jeu de la responsabilité des pilotes et la nature de cette activité sont similaires dans la plupart des pays possédant une législation en cette matière.
26Les textes en vigueur s’appliquent aux incidents survenus au moment où le pilote remplit ses fonctions, donc dans le cadre du contrat de pilotage.
27Ce contrat se forme par la demande du pilote que le navire formule franchement par l’appel qu’il doit lancer dès qu’il entre dans la zone de pilotage obligatoire, ou dès qu’il veut quitter le port.
28La présence à bord est le critère retenu pour faire jouer le système légal de responsabilité à l’occasion des opérations de pilotage.
29Rappelons brièvement, à ce propos, que les pilotes bénéficient d’une exemption de responsabilité, sauf faute lourde. En cas d’abordage avec le navire piloté (armateur), ce dernier est présumé responsable des dommages matériels (bateau-pilote) et corporels (pilote et équipage du bateau-pilote) qui ont pu être occasionnés.
30Cette présomption d’« irresponsabilité » du pilote ne tombe qu’en cas de faute lourde de ce dernier pour les dommages matériels, et qu’en cas de faute simple pour les dommages corporels.
31Notons aussi que pour les dommages causés dans l’exercice de leur fonction, les pilotes bénéficient d’une limitation de responsabilité sauf faute lourde.
32On constate que les textes sont plutôt favorables au pilote. Le législateur cherche à préserver la continuité du service public de pilotage, et ce en protégeant le pilote dans son intégrité physique et son bien, le bateau-pilote, qui est la source même de son activité professionnelle.
A. Les obligations du pilote
33À travers une pratique quotidienne, les pilotes développent des qualités et des techniques pour manœuvrer des navires dans des eaux étroites et des zones restreintes entourées d’installations portuaires. Ils naviguent jour et nuit, à travers un brouillard épais ou par grand vent et courants souvent dangereux dans les ports et leurs approches, évitant ainsi des retards ou transportant la capacité de chargement maximum à travers les profondeurs utilisables du chenal dans l’intérêt du port et du navire. Par là, le pilote joue son rôle commercial qui consiste à prendre soin des intérêts aussi bien du navire que du port et de tous les opérateurs intéressés par l’escale du navire.
34La Convention Internationale de 1978 sur les Normes de Formation des gens de mer, de délivrance des Brevets et de Veille (STCW)19, telle que modifiée, précise que la présence d’un pilote à bord ne décharge pas le capitaine de ses fonctions et de ses obligations en ce qui concerne la sécurité du navire.
35En pratique, c’est le pilote qui assure la conduite du navire, après avoir échangé des informations avec le capitaine sur les procédures de navigation, les conditions locales et les caractéristiques du navire.
1. Envers le navire piloté
36Le pilote est un conseiller chargé de donner des informations et des avis au capitaine afin que celui-ci achève ou fasse débuter l’expédition maritime dans les meilleures conditions. Le capitaine doit prendre, à tout moment, les décisions qu’il juge appropriées. Il peut parfaitement ignorer les conseils et même la présence du pilote. Cependant, il reste responsable des manœuvres de son navire20.
37En réalité, le pilote prend pratiquement la direction effective des manœuvres et donne les « ordres » correspondants, avec l’assentiment tacite du capitaine.
38Le pilote, en quittant la station de pilotage pour aller à bord du navire à piloter, assure une liaison radiophonique permanente avec le capitaine afin de lui fournir les conseils utiles et nécessaires lui permettant de s’approcher en toute sécurité de la zone d’embarquement du pilote indiquée sur la carte marine du port, ou continuer d’avancer jusqu’à l’entrée du port quand les conditions nautiques ou météorologiques empêchent le pilote d’aller le chercher au-delà de l’abri des jetées.
2. Envers la sécurité en général
39Les ports du monde entier, y compris les ports marocains, reçoivent des navires de plus en plus gros et davantage sophistiqués et rapides ; par conséquent, il est impérativement du devoir des Stations de pilotage de s’adapter à cette modernisation et ce développement technique.
40L’opération de pilotage d’un navire doit s’effectuer en prenant toutes les précautions nécessaires ; le but étant, bien sûr, d’entrer le navire ou le faire sortir en toute sécurité ; c’est-à-dire sans qu’il y ait le moindre incident dommageable aussi bien au navire lui-même qu’aux installations et œuvres d’art portuaires ou aux autres navires.
41Lors d’une opération de pilotage, le pilote prend pratiquement toutes les précautions qui s’imposent dans le seul but de l’effectuer, selon les règles de l’art, en toute sécurité. Il a l’obligation de vérifier et de tester les qualités manœuvrières du navire piloté, à l’entrée, avant même de l’engager dans le chenal d’accès au port, surtout si le navire présente des indices d’inconformité ou des doutes. Le pilote doit, alors, refuser de piloter un navire lorsque celui-ci constitue un danger pour la sécurité de la navigation ou pour l’environnement. Cependant, des incidents peuvent avoir lieu : les causes sont multiples.
42En cas de dommages matériels ou corporels, survenant en cours d’exécution du contrat de pilotage, le pilote peut engager sa responsabilité civile. Sa responsabilité peut aussi être engagée sur le plan disciplinaire ou pénal.
B. Étendue de la responsabilité du pilote
43L’opération de pilotage se déroule par la coopération du pilote et du capitaine du navire piloté ; chacun de ces deux cocontractants a le devoir d’honorer ses obligations découlant du contrat de pilotage.
44On a vu plus haut que le pilote, pour sa part, prend toutes les mesures de précaution qu’il juge nécessaires et utiles pour mener à bien l’opération de pilotage. Il anticipe le déroulement de la manœuvre et prévoit en permanence les solutions de secours en cas de tel ou tel incident afin d’éviter tout accident ou du moins en diminuer les conséquences.
45Cependant, des incidents arrivent de temps à autre, dus à des problèmes techniques propres au navire piloté ou souvent dus à des problèmes de communication entre le pilote et le capitaine (ou entre le capitaine et son personnel souvent cosmopolite).
46En cas de dommages causés au navire piloté par la faute du pilote, la responsabilité civile (et éventuellement pénale) de ce pilote pourrait être engagée ; mais le pilote peut se libérer, sauf faute particulièrement lourde relevant de l’article 20 du Code Disciplinaire et Pénal de la Marine Marchande (CDPMM)21, par l’abandon de son cautionnement22.
47Le contrat de pilotage étant conclu, d’abord oralement par l’appel du pilote effectué par le capitaine du navire à piloter, puis concrétisé par l’exécution de l’opération de pilotage, et enfin matérialisé par la signature du bon de pilotage par le capitaine du navire piloté. Par ce contrat, le pilote doit faire preuve de diligence et de professionnalisme dans l’exécution de sa tâche. En cas d’incident au cours de l’opération de pilotage dû à une faute du pilote, sa responsabilité civile, qui ne peut être que « contractuelle », pourrait être engagée.
48La majorité des incidents, si ce ne sont pas tous, est due à un manque de communication entre le pilote et le capitaine, ou entre le capitaine et son équipage, ou à une mauvaise exécution des ordres donnés par le capitaine suite aux conseils du pilote. Mais si une faute du pilote est là, elle ne peut être qu’une faute d’appréciation ; car son intervention durant l’opération de pilotage se fait au fur et à mesure du déroulement de la manœuvre en fonction du « comportement » du navire avec les ordres donnés par le capitaine. Par exemple, un ordre pour lancer le moteur en arrière, donné à la machine avec du retard, aurait comme conséquence logique de prolonger le temps et la distance d’arrêt du navire, ce qui n’empêcherait pas ce dernier d’aller heurter d’autres navires ou installations portuaires. En pratique, c’est surtout le fait que le capitaine ne suit pas les conseils du pilote qui est la source principale des incidents pendant l’opération de pilotage. C’est, d’ailleurs, une faute nautique commise par le capitaine dont l’armateur doit assurer la responsabilité.
1. La responsabilité civile du pilote
49La manœuvre d’un navire est un ensemble de risques se succédant l’un après l’autre durant toute l’opération de pilotage. Une manœuvre réussie est celle où on arrive à sa fin sans le moindre incident. La majorité des incidents qui surviennent pendant l’opération de pilotage sont dus aux défaillances propres au navire piloté ; des défaillances techniques concernant, par exemple, le lancement du moteur ou le mouillage des ancres ; ou des défaillances professionnelles dues à un équipage non compétent, la plupart du temps cosmopolite, où le manque ou la mauvaise communication est source de problèmes. L’incidence s’en fait rapide pendant les manœuvres du navire en présence d’un pilote.
a. La responsabilité civile du pilote
50La responsabilité civile est l’obligation légale qui incombe à une personne de réparer le dommage causé à autrui. Elle vise, non pas à sanctionner, mais à réparer. Elle est contractuelle puisqu’elle résulte d’une « mauvaise » exécution d’une convention, qui est, dans ce cas, le contrat de pilotage.
51On sait que la présence d’un pilote à bord du navire piloté ne « démonte » pas le capitaine qui est libre de suivre, ou non, les avis du pilote ; cela explique d’ailleurs que la responsabilité des accidents soit canalisée vers l’armateur du navire piloté ou vers son capitaine, en définitive seul maître de la manœuvre23.
52Une lecture de la doctrine contemporaine24, à partir des années 80, nous montre que le problème de la responsabilité, en cas de dommages causés au navire piloté ou à son personnel est à peine effleuré. On fait pratiquement l’impasse sur la question ; on n’envisage explicitement que les hypothèses de responsabilité en cas de dommages survenus au cours des opérations de pilotage au pilote, au bateau-pilote ou à son personnel, ou aux tiers.
53Le législateur a imposé à tout pilote, à son entrée en fonction, de verser un cautionnement25. Le montant de ce cautionnement est dérisoire26, compte tenu de l’importance des dommages que le pilote peut, par sa faute, causer27.
b. Le cautionnement
54Il ne s’agit pas du cautionnement ordinaire, sûreté personnelle par laquelle un tiers s’engage à payer la dette du débiteur principal, si celui-ci ne peut le faire, mais d’une sûreté réelle, d’un dépôt de garantie.
55Ce cautionnement réel a la nature d’un fonds affecté au paiement prioritaire et exclusif de certaines créances28 :
en premier rang, les condamnations pour faute commise par le pilote dans l’exercice de ses fonctions ;
en second rang, le remboursement des fonds empruntés pour la constitution de ce cautionnement réel29
56Le pilote dont la faute engagerait sa responsabilité à l’égard de l’armateur du navire piloté pourrait donc s’affranchir de la responsabilité pour les dommages causés au navire piloté.
57Ces dispositions ne se rapportent en aucune manière aux dommages causés au navire piloté ou à son équipage. Le pilote étant mis à l’abri des poursuites des tiers en cas de dommages à eux causés au cours des opérations de pilotage, il règle simplement sa contribution à l’indemnité versée par l’armateur en réparation de ces dommages aux tiers, et ce seulement dans la mesure où l’armateur du navire piloté prouve la faute du pilote à l’origine de ces dommages30. Chose toujours difficile à prouver, en sachant que le pilote est un conseiller du capitaine, et que ce dernier reste le seul maître à bord. Il doit donc se passer des conseils du pilote et prendre, à tout moment, la décision adéquate qui s’impose.
58Cela dit, la responsabilité civile du pilote reste des plus raisonnables. En effet, si l’armateur du navire piloté prouve la faute du pilote, celui-ci peut s’affranchir de sa responsabilité civile par l’abandon d’un cautionnement dont le montant est fixé par les textes31.
59Les pilotes ne cherchent pas à se soustraire à une responsabilité totale. Ils seraient cependant contraints de s’assurer en conséquence, le coût en serait ainsi répercuté sur l’armateur via les tarifs et celui-ci serait en quelque sorte assuré deux fois, les seuls bénéficiaires étant alors les compagnies d’assurances32.
2. La responsabilité disciplinaire et pénale du pilote
60Dans l’exercice de ses fonctions, le pilote de service qui manque à ses devoirs intentionnellement, qu’il soit à bord d’un navire ou à la Station, peut voir sa responsabilité disciplinaire (a) ou pénale (b) engagée, et s’exposer, ainsi, à des sanctions disciplinaires ou pénales variant selon la gravité de sa faute.
a. La responsabilité disciplinaire du pilote
61La responsabilité disciplinaire du pilote est plus large que celle du capitaine puisqu’elle peut être engagée aussi bien lorsque le pilote est en fonction à bord du navire que lorsqu’il ne l’est plus.
62Ce détail est clairement formulé par l’article 13 du Décret du 19 mai 1969 relatif au régime du pilotage dans les eaux maritimes en France, lequel dispose explicitement que les pilotes sont soumis au pouvoir disciplinaire du Ministre des transports. Lorsqu’ils sont à bord d’un navire, ils sont soumis, comme les marins, aux règles du Code Disciplinaire et Pénal de la Marine Marchande (CDPMM)33. À terre, le pouvoir disciplinaire est exercé par l’Administrateur des affaires maritimes.
63L’article 14 de notre Dahir du 20 février 1937 ne fait pas cette distinction entre la présence du pilote à bord du navire ou s’il est à terre. Cependant, les deux articles disposent les mêmes sanctions : la réprimande, le blâme, la suspension temporaire de l’exercice des fonctions, et enfin la révocation34. L’application de ces sanctions est détaillée, selon le cas, dans ces articles.
b. La responsabilité pénale du pilote
64En ce qui concerne la responsabilité pénale du pilote, les anciennes coutumes maritimes permettaient de condamner à mort les pilotes pour leurs manquements à leurs obligations spéciales.
65Aujourd’hui, les choses ont changé ; mais la mise en jeu de cette responsabilité est toujours possible, sur le fondement des dispositions du CDPMM, quand le pilote se rend coupable de la perte du navire, sa destruction ou son échouement volontaire et dans une intention criminelle35.
66Mais, en tant que marin, le pilote est normalement soumis au Code Disciplinaire et Pénal de la Marine Marchande. Cependant, les textes régissant le pilotage maritime prévoient quelques cas bien déterminés, tels que la non assistance à un navire en danger ou la conduite en état d’ivresse d’un navire.
67Hors le cas de force majeure et nonobstant toute autre obligation de service, la responsabilité pénale du pilote pourrait être engagée quand il ne prête pas assistance à un navire en danger, du moment qu’il constate le péril dans lequel il se trouve, même si son assistance n’a pas été sollicitée36. Il est dans l’obligation de le servir en priorité avant tout autre navire.
68Cette non-assistance est sanctionnée par une amende et un emprisonnement allant de huit jours à trois mois, ou l’une de ces deux peines seulement.
69Les mêmes peines sont prononcées contre le pilote qui, en état d’ivresse, entreprend la conduite d’un navire.
70D’autres peines sont prévues par le législateur dans les dispositions de l’article 16 du Dahir du 20 février 193737 ; c’est une amende et un emprisonnement allant de huit à quinze jours, et du double en cas de récidive, infligés à toute personne qui, sans une commission régulière de pilote de la station, aura entrepris ou tenté d’entreprendre la conduite d’un navire en qualité de pilote commissionné.
71Les infractions prévues par les dispositions des articles 15 et 16 du Dahir du 20 février 193738 sont de la compétence du Tribunal correctionnel39. Cependant, le Procureur du Roi ne peut être saisi qu’au vu d’une enquête contradictoire effectuée dans les conditions prévues par l’article 17 du CDPMM40. C’est un Conseil d’enquête qui se charge de cette enquête. Il est composé, selon l’article 14 du Dahir du 20 février 1937, du Directeur de la Marine Marchande, ou son représentant, comme président, du chef du quartier maritime, d’un capitaine au long cours ayant au moins quatre ans de commandement, et de deux pilotes de la Station ayant au moins quatre ans de fonction en cette qualité. Le pilote est entendu dans ses explications et peut se faire assister d’un avocat. Le Procureur du Roi est alors saisi suite à la plainte adressée à son soin par le capitaine du navire en question, avec pièces à l’appui.
72Toutes les infractions prévues par le Dahir du 20 février 1937 bénéficient du sursis prévu par les dispositions de l’article « 463 » du Code Pénal « français »41 ; les amendes sont versées au Trésor42.
II. Conclusion
73Le pilotage obligatoire est le premier moyen pour protéger les intérêts privés et les intérêts publics des conséquences résultant d’accidents maritimes, tout en améliorant, en même temps, l’efficacité de la navigation.
74D’excellentes raisons justifient l’obligation de pilotage :
sécurité de la navigation dans les approches portuaires et les ports ;
préservation des installations portuaires ;
protection de la nature et de l’environnement marin ; etc.
75L’inexistence d’un service de pilotage coûterait très cher aux assureurs, et par voie de fait, aux armateurs. Le service serait effectué par des personnes incompétentes qui mettraient aussi bien le navire que les installations portuaires en danger ; les incidents et les accidents verraient leurs nombres monter en flèche, et par conséquent, les assureurs, pour dédommager les tiers victimes de ces accidents, seraient en droit d’augmenter leurs primes d’assurance, et en fin de compte ce seraient les armateurs qui débourseraient plus que ce qu’ils payent normalement avec un service de pilotage sérieux et des pilotes expérimentés et compétents. Pour cela, on peut se permettre de dire que le pilote défend indirectement les armateurs et les assureurs, puisqu’il veille purement et simplement sur leurs intérêts respectifs. Il défend, également, les intérêts de l’État, qui l’a commissionné justement pour cela, en préservant les infrastructures, les équipements portuaires et l’environnement. On ne peut donc se limiter à analyser ce service à la seule opération de pilotage, alors que le pilote offre son service tous les jours de l’année, 24 heures sur 24, pour protéger les intérêts de tous les intervenants, directs et indirects, concernés par l’expédition maritime du navire.
76Le fonctionnement du pilotage est totalement régi par les pouvoirs publics, et ce, pratiquement, dans tous les pays maritimes du monde ; partout, également, le pilotage bénéficie d’un monopole juridique compte tenu d’impératifs de sécurité publique ; moyennant quoi, ses tarifs sont encadrés par l’Administration ; ce contrôle de l’État « pallie efficacement l’absence de concurrence ».
77La Station de pilotage fonctionne généralement 24 heures sur 24, l’organisation du travail nécessite une présence physique d’un ou plusieurs pilotes. Même au repos, le pilote ne peut s’éloigner de son domicile sans l’autorisation du pilote major43. C’est une discipline propre au pilotage, d’où sa crédibilité
78En effet, le bon déroulement de l’opération de pilotage entre le pilote conseiller et le capitaine du navire implique une véritable complicité entre les deux partenaires et notamment pour le pilote d’avoir été dans sa carrière précédente à la place du capitaine entrant.
79Métier indispensable au bon fonctionnement des ports, métier de haute responsabilité, le pilotage maritime a toujours comporté quelques risques44. D’où la nécessité d’une mise à niveau permanente aussi bien des connaissances des pilotes que du matériel de la Station, en l’occurrence :
la certification qualité qui obligerait la Station de se doter d’un manuel de procédures, à l’instar des navires certifiés ISM Code ;
doter la Station de moyens matériels modernes d’aide à la navigation ;
munir les pilotes de service de jumelles infrarouges pour la navigation de nuit ;
des stages périodiques au simulateur pour tous les pilotes, en application de la Résolution A960 de l’OMI.
Notes de bas de page
1 P. Payan, « Le pilotage maritime et le projet de Directive sur l’accès au marché des services portuaires », www.afcan.org/dossiers_reglementation/pilotage.html La manœuvre des navires est une pratique quotidienne qui permet aux pilotes de perfectionner leurs qualités et techniques manœuvrières et ce quelles que soient les conditions.
2 Article 3 de l’Arrêté Viziriel du 20 février 1937 : 80 tjb pour les voiliers et 100 tjb pour les navires à propulsion mécanique.
3 P. Payan, « Le pilotage maritime et le projet de Directive sur l’accès au marché des services portuaires », www.afcan.org/dossiers_reglementation/pilotage.html.
4 En France, article premier de la Loi du 28 mars 1928 relative au régime de pilotage dans les eaux maritimes.
5 Dahir du 20 février 1937 (8 hijja 1355) portant réorganisation du service de pilotage du port de Casablanca.
6 R. Rezenthel, « Le pilotage dans les eaux portuaires », DMF n° 473, juin 1988, p. 355 et s.
7 Surtout en ce qui concerne son obligation, son organisation, les conditions de recrutement des pilotes, etc.
8 En France, l’Ordonnance de Colbert, édictée en 1681, est un texte fondamental de renommée internationale. Elle définit les attributions respectives du capitaine et du pilote. Elle énonce les grands principes du pilotage, qui le régissent encore de nos jours. Les principes de base énoncés dans ces textes se sont perpétués tout au long des siècles. Ils ont été, au fur et à mesure, modifiés et adaptés aux nouvelles conditions de navigation et de commerce. Il s’agit de l’obligation de pilotage, de son monopole, des connaissances du pilote, et encore des sanctions en cas de faute de ce dernier ; par exemple, s’il échoue volontairement le navire, « il sera puni du dernier supplice et son corps sera attaché à un mât planté près du lieu du naufrage ».
9 Règle 17 du Chapitre V de l’Annexe de la Convention SOLAS de 1974 sur la sécurité de la navigation, ainsi que la Résolution de l’OMI A-667(XVI) du 19 octobre 1989.
10 Loi n° 69-8 du 3 janvier 1969 relative à l’armement et aux ventes maritimes.
11 La qualité de marin est constatée par l’inscription sur les matricules des gens de mer ; il s’agit des matricules tenus par le service des affaires maritimes de la Direction de la Marine Marchande. Les pilotes sont embarqués sur un rôle d’équipage ; ils sont débarqués pour congés ou pour maladie ou accident de travail.
12 À bord des navires, le pilote est soumis aux règles d’une vie sociale particulière s’exprimant notamment dans un certain statut disciplinaire et pénal dont le chef est le capitaine.
13 En France, l’article 13 du Décret n° 69-515 du 19 mai 1969 est plus clair, il dispose que les pilotes sont soumis au pouvoir disciplinaire du Ministre des Transports ; à bord des navires ils sont soumis aux dispositions du Code Disciplinaire et Pénal de la Marine Marchande, et quand ils ne sont pas à bord, ils sont soumis au pouvoir disciplinaire de l’Administrateur des affaires maritimes.
14 DMF 614, avril 2001, colloque : « les auxiliaires de l’armement ».
15 M. Remond-Gouilloud, Droit maritime – Études internationales, 2e édition, n° 2-1993, Pedone, p. 102, n° 146 : Responsabilité du pilote à l’égard du navire.
16 Au Maroc, article premier du Dahir du 31 mai 1937 sur la responsabilité civile des pilotes (…) ; en France, articles 20 et 21 de la Loi n° 69-8 du 3 janvier 1969 relative à l’armement et aux ventes maritimes.
17 Article premier de l’Arrêté Viziriel du 31 mai 1937 relatif au cautionnement des pilotes (…) ; en France, article premier de l’Arrêté du 1er juillet 1999 fixant le montant du cautionnement des pilotes maritimes.
18 Cette limitation de responsabilité ne cède qu’en cas d’échouement ou de perte du bâtiment intentionnels : CDPMM, article 20 au Maroc, article 79 en France.
19 Convention Internationale de 1978 sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille, telle que modifiée (STCW 1978, modifiée), adoptée à Londres le 7 juillet 1978 et entrée en vigueur le 28 avril 1984 ; au Maroc, elle a été ratifiée le 22 juillet 1997 et entrée en vigueur le 22 octobre 1997.
20 Articles 145, 146 et 159 du Dahir formant Code du Commerce Maritime (DCCM) du 31 mars 1919.
21 En France, article 79 du CDPMM : « Toute personne qui, en dehors des cas prévus par le Code de justice militaire pour l’armée de mer, échoue, perd ou détruit, volontairement et dans une intention criminelle, un navire quelconque par quelque moyen que ce soit, est punie des peines encourues pour les destructions, dégradations et détériorations dangereuses pour les personnes, réprimées par les articles 322-6 à 322-11 du Code pénal. Le maximum de la peine est appliqué au délinquant qui chargé, à quelque titre que ce soit, de la conduite du navire ou qui le dirige comme pilote ».
22 A. Vialard, « Pilotage maritime et responsabilités : Réflexions sur quelques questions anciennes et nouvelles ». Au Maroc, article 1er du Dahir du 31 mai 1937 sur la responsabilité civile des pilotes (…) ; en France, article 21 de la Loi n° 69-8 du 3 janvier 1969 relative à l’armement et aux ventes maritimes.
23 A. Vialard : « Pilotage maritime et responsabilités : Réflexions sur quelques questions anciennes et nouvelles ».
24 « Le pilotage dans les eaux portuaires », par R. Rezenthel ; « Pilotage maritime et responsabilités : réflexions sur quelques questions anciennes et nouvelles », par A. Vialard, 1990 ; Droit maritime, éd. PUF-1997, p. 199, n° 227, A. Vialard ; « Droit Maritime », par R. Rodiere et E. du Pontavice, Dalloz, 12e édition 1997, éd. Dalloz Delta, p. 242 et 243 : n° 267 et 268.
25 Article 1er du Dahir du 31 mai 1937 et article 1er de l’Arrêté Viziriel de même date ; en France, article 20 de la Loi n° 69-8 du 3 janvier 1969.
26 Au Maroc, 3 000,00 dhs, article 1er de l’Arrêté Viziriel du 31 mai 1937 relatif au cautionnement des pilotes(…) modifié par l’Arrêté Viziriel du 26 août 1953 ; en France, l’Arrêté du 1er juillet 1999 fixant le montant du cautionnement des pilotes maritimes dispose dans son 1er article que pour les stations dont la liste est annexée au présent Arrêté, le montant du cautionnement est de 65 595,70 F, dans les autres cas, le montant est de 19 678,71 F.
27 A. Vialard, Droit maritime, éd. PUF-1997, p. 200 : « Limites de la responsabilité du pilote ».
28 Au Maroc, article 3 du Dahir du 31 mai 1937 sur la responsabilité civile des pilotes (…) ; en France, article 22 de la Loi n° 69-8 du 3 janvier 1969 relative à l’armement et aux ventes maritimes.
29 Ph.-J. Hesse, J.-P. Beurier, P. Chaumette, Y. Tassel, A.-H. Mesnard, R. Rezenthal, Droits maritimes, tome I ; Mer, navire et marins ; les éditions JURIS service-1995, p. 342 : C- Le cautionnement du pilote.
30 A. Vialard, « Pilotage maritime et responsabilités : Réflexions sur quelques questions anciennes et nouvelles ».
31 Au Maroc (Station de Casablanca - JORF LASFAR), il est de 3000dhs, fixé par l’article premier de l’Arrêté Viziriel du 31 mai 1937 relatif au cautionnement des pilotes de la station de pilotage du port de Casablanca ; en France, Arrêté du 1er juillet 1999 fixant le montant du cautionnement des pilotes maritimes.
32 P. Payan, Président de la FFPM : « Le pilotage maritime et le projet de Directive sur l’accès au marché des services portuaires ». www.afcan.org/dossiers_reglementation/pilotage.html.
33 Il s’agit de la Loi du port où s’effectue l’opération de pilotage du navire concerné et non la Loi du pavillon, sinon, il doit y avoir autant de Lois que de pavillons fréquentant le port.
34 Depuis la création de la Station de pilotage du port de Casablanca, aucune sanction de ce genre n’a été prononcée ; la Collectivité des pilotes de la Station veille toujours de près sur la formation de ses pilotes pour les doter d’une qualification très élevée. D’ailleurs la qualité de service fourni par ses pilotes est de renommée internationale. Deux cas seulement concernent deux pilotes respectivement à Safi et Laayoune.
35 CDPMM, article 20 au Maroc, et article 79 en France.
36 Au Maroc, articles 6 et 15 du Dahir du 20 février 1937, les mêmes dispositions du 1er alinéa de l’article 6 précité sont reprises par l’article 372 du projet du Code DCCM version 2001 ; en France, articles 6 et 15 de la Loi du 28 mars 1928 sur le régime du pilotage dans les eaux maritimes.
37 En France, article 16 de la Loi du 28 mars 1928 sur le régime du pilotage dans les eaux maritimes.
38 En France, les articles 15 et 16 de la Loi du 28 mars 1928.
39 Au Maroc, article 17 du Dahir du 20 février 1937 ; en France, article 17 de la Loi du 28 mars 1928.
40 En France, article 86 du CDPMM.
41 Le Code Pénal marocain dispose de plusieurs articles sur le sursis ; la mise à jour de l’article 18 du Dahir du 20 février 1937 est indispensable.
42 Article 18 du Dahir du 20 février 1937 ; en France, article 18 (modifié par l’article 5 du Décret du 30 octobre 1935) de la Loi du 28 mars 1928 : ces amendes sont versées à l’État.
43 Articles 14 et 15 de l’Arrêté Viziriel du 20 février 1937 ; en France, article 11 du Décret du 14 décembre 1929 portant règlement général de pilotage.
44 JMM du 27 mars 1992, p. 752-754 : « Le pilotage maritime dans les pays de la CEE ».
Auteur
Docteur en Droit Université d’Aix Marseille, Pilote Major aux Ports de Casablanca et Jorf Lasfer
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