Aspects juridiques et pratiques du contrat d’affrètement et du contrat de transport
Étude réalisée à partir du Code maritime algérien, du Code de Commerce Maritime Tunisien et de la Loi française de 1966
p. 135-166
Texte intégral
I. Les contrats d’affrètement
A. Définitions légales
1Aux termes de son art 640, le Code Maritime Algérien (CMA) stipule : « le contrat d’affrètement s’entend d’une convention par laquelle le fréteur s’engage moyennant rémunération à mettre un navire à la disposition d’un affréteur […] ». En son titre III, le Code de Commerce Tunisien (CCM), traitant des règles générales du contrat d’affrètement définit, en son art 165, le contrat d’affrètement comme étant
« une convention par laquelle une personne appelée le fréteur met à la disposition d’une autre appelée affréteur, tout ou partie d’un navire, à une date, pour une durée, à des conditions et à des fins fixées par la convention des parties ».
2En outre, suivant les termes de son art 171 le CCM considère que « l’affrètement est assimilé à une charte-partie, convention qui lie le fréteur à l’affréteur ». Cette convention doit être constatée par écrit. Toutefois, lorsqu’il s’agit de navigation côtière, de port tunisien à port tunisien, les parties sont dispensées de dresser d’acte écrit. (Art 172).
3Nous citerons dans certains cas la Loi française du 18/6/1966, de laquelle se sont inspirés les droits maritimes tunisien et algérien ; le droit marocain étant antérieur aux différentes lois françaises et il a même prévalu durant l’époque du protectorat du Maroc par la France. Ainsi, sur les contrats d’affrètement, la loi française de 1966 dispose que :
« par le contrat d’affrètement, le fréteur s’engage moyennant rémunération à mettre un navire à la disposition d’un affréteur… Les conditions et les effets de l’affrètement sont définis par les parties au contrat […] ».
4Assez explicite, la Loi française fait clairement ressortir que l’affrètement est un contrat entre un fréteur et un affréteur en vertu duquel les parties à la convention donnent libre cours à l’expression de leur volonté.
5À la différence du contrat de transport sous connaissement qui est un contrat d’adhésion, soumis aux dispositions impératives de la responsabilité, le contrat d’affrètement obéit à la règle de la liberté contractuelle entre les parties ; mais, en cas de manquement du contrat, comme le stipulent les différentes législations, le contenu de la loi peut suppléer les insuffisances ou obscurité de celui-ci. Du fait de l’existence de plusieurs sortes de contrats d’affrètement, la loi fait une distinction entre l’affrètement aux termes duquel l’affréteur prend en exploitation un navire moyennant un loyer, contrat qui s’apparente schématiquement à la location d’une voiture sans chauffeur et qu’on appelle contrat coque nue ; le contrat au temps est comparable à la location d’une voiture avec chauffeur, pendant un temps déterminé, chez une entreprise de location (Europcar, Hertz, Avis, etc.) ; quant à l’affrètement au voyage il est semblable à la location d’un taxi.
B. Types d’affrètement
1. L’affrètement coque nue
6Il s’agit d’un contrat de location de chose. Il consiste en la mise à la disposition de l’affréteur d’un navire sans équipage se traduisant par la location avec remise totale de gestion.
7Le CMA en son art 724 stipule que « par le contrat d’affrètement coque nue, le fréteur s’engage à mettre un navire sans armement ni équipement à la disposition de l’affréteur pour un temps défini et l’affréteur à en payer le loyer ». L’affréteur doit donc, pour exploiter le navire à son profit, en assurer la gestion nautique et commerciale sous son entière responsabilité. Pour ce faire, il doit l’armer pour le rendre apte à prendre la mer. L’armement d’un navire consiste à pourvoir celui-ci d’un équipage, de vivres et de combustibles. À ce titre, l’affréteur devient l’armateur du navire, même s’il n’en est que le locataire temporaire. Les affrètements coque nue ne sont pas aussi répandus que les affrètements au temps et encore moins que les affrètements au voyage.
8En fait, ce genre d’affrètement s’adresse à des transporteurs publics, qui disposent d’un réservoir de main-d’œuvre important et auxquels il manquerait de temps à autre une capacité de tonnage pendant un temps déterminé.
9L’affrètement coque nue convient également à des compagnies de transport privées naissantes qui préfèrent ne pas s’impliquer dans un programme d’acquisition de navires extrêmement coûteux en privilégiant, en phase de démarrage, la formule leasing ou location-vente.
10D’autres transporteurs publics y ont notamment recours dans le cadre du lancement d’une ligne ou pour honorer un contrat de transport d’exportation de produits agricole ou d’importation d’un certain nombre de produits à caractère stratégique.
2. L’affrètement à temps
11En son art. 695, le CMA définit l’affrètement au temps comme étant un contrat par lequel le fréteur s’engage à mettre un navire armé et équipé à la disposition de l’affréteur pour un temps défini et l’affréteur à en payer le fret.
12Pour le CCM (art. 202)
« l’affrètement au temps est la convention par laquelle le fréteur s’engage, moyennant un fret déterminé, soit pendant un temps convenu, soit pendant un temps indéterminé mais déterminable, à mettre à disposition le navire ou les navires pour les voyages exigés par l’affréteur ».
13Comme déjà évoqué plus haut, l’affrètement coque nue suppose que la gestion nautique et commerciale soit à la charge de l’affréteur. En revanche, dans ce type d’affrètement, le fréteur conserve la responsabilité de la gestion nautique et technique du navire et cède la gestion commerciale à l’affréteur.
14Précisons que la gestion nautique implique la conduite du navire, à travers dangers et périls par l’équipage qui en a la charge. La gestion technique consiste au maintien du navire en bon état de navigabilité en s’assurant de sa dotation en produits d’entretien du pont et des machines. Au préalable, il est indispensable de recruter, entretenir et faire vivre l’équipage. Il est utile également de souligner que dans les affrètements à temps le nom du navire n’est jamais spécifié, l’important étant qu’un bâtiment puisse être affecté aux fins convenues dans le contrat entre les parties et corresponde aux besoins spécifiques exprimés par l’affréteur.
15Si le navire s’arrête pour une raison technique, par exemple une panne de machine, il y a cessation du contrat d’affrètement. En pareil cas, le navire est déclaré off hire, ce qui signifie qu’il y a suspension de loyer pendant tout le temps que le navire n’a pas été en service (supra).
16C’est parce que l’affrètement est contracté sur une période donnée que la notion de temps perdu, mettant en cause la gestion nautique et technique du navire, devient pénalisante pour le fréteur. S’agissant d’une gestion mixte, l’affréteur, qui est coiffé dans ce cas de la casquette de transporteur à l’égard des chargeurs, sera à son tour responsable devant ces derniers de toute erreur ou omission du capitaine du navire.
17Bien que le capitaine du navire soit le représentant nautique du fréteur, il n’en est pas moins un employé commercial de l’affréteur, pour toute la durée de l’affrètement, devant lequel il doit répondre de tous les actes d’irrégularité ayant entraîné des préjudices à la cargaison.
18Aussi, dans les affrètements au temps, outre la notion de durée d’utilisation du navire qui sera déterminée dans la convention entre les parties, entre en ligne de compte un autre facteur inhérent aux conditions d’emploi du vapeur, que les anglo-saxons appellent employment clause. Dès lors qu’il est pleinement responsable de l’exploitation commerciale du navire, l’affréteur a toute latitude de faire prendre au bâtiment la route de son choix et de charger les cargaisons que la situation commerciale exige.
19Voici grosso modo les différentes caractéristiques de l’affrètement au temps, qu’on appelle également l’affrètement au long terme et dont les détails seront examinés plus loin au point se rapportant aux chartes-parties. Cependant, notons qu’il existe des affrètements à temps qui portent sur un voyage ou des voyages consécutifs (trip charter) et ce pour une cargaison donnée entre deux ports convenus. Ce genre de location s’apparente à l’affrètement au voyage mais tout en conservant les propriétés de l’affrètement au temps. Nous verrons plus loin dans le « contrat d’affrètement » que l’inverse est aussi vrai.
3. L’affrètement au voyage
20À la différence de l’affrètement au temps, au terme duquel il existe un partage de la gestion du navire, dans l’affrètement au voyage le fréteur demeure le seul maître de l’exploitation de son navire, tant en matière de gestion nautique, technique que commerciale.
21Aux termes de l’art. 650 du CMA, pour le contrat d’affrètement au voyage, « le fréteur s’engage à mettre, en tout ou en partie, un navire armé et équipé à la disposition de l’affréteur en vue d’accomplir un ou plusieurs voyages, et l’affréteur à en payer le fret ».
22Pour le CCM (art. 200),
« la charte-partie au voyage ou location-transport est celle qui est convenue pour la durée nécessaire à l’accomplissement du ou des voyages envisagés. Elle peut préciser la nature, la quantité de marchandises à charger et la personne du chargeur ».
23La lecture attentive de ces dispositions nous permet de relever que ce genre d’affrètement est a priori proche du contrat de transport sous connaissement, à partir du moment où l’armateur-fréteur offre un service complet comprenant la prise en charge d’un lot de marchandises spécifié à la convention, entre deux ports convenus, en un ou plusieurs voyages, tout en assumant les risques de l’expédition maritime.
24Mais de telles stipulations ne mettent pas tout à fait hors-jeu l’affréteur, puisqu’il participe à l’expédition par le fait même qu’il est responsable du chargement et du déchargement du navire. La différence existante entre le transport sous connaissement et l’affrètement au voyage réside dans le fait que, dans le premier cas, le transporteur a une obligation de résultat tandis que dans le deuxième cas le fréteur a une obligation de soin.
25En outre, si l’affréteur est lui-même le vendeur de la marchandise et que le contrat de vente est conclu en coût et fret, outre les frais de transport qu’il doit acquitter au profit du fréteur, le chargement et le déchargement de la cargaison relèvent de sa responsabilité pleine et entière.
26À ce titre, par le jeu du temps de planche (supra) qui lui est alloué l’affréteur devient comptable des retards du navire dans les ports, ce qui ne peut être le cas dans un transport sous connaissement. La situation est tout à fait identique lorsque l’affréteur est lui-même l’acheteur de la marchandise dans le cadre des ventes fob. Il demeure responsable de l’acquittement des pénalités dues au titre des retards du navire dans les ports, de la même manière qu’il peut encaisser des primes (despatch money) pour avoir fait gagner du temps au navire, points qui seront étudiés plus loin. En fait, le poids économique de l’affréteur fait souvent que celui-ci, agissant en tant que chargeur, préférera opter pour un transport sous connaissement lorsqu’il doit faire acheminer de petits colisages, mais lorsque le lot est plus important, par la force des choses, il choisira l’affrètement d’une partie ou de la totalité du navire.
27Notons que certains affrètements, propres à des marchés donnés, comme ceux du transport des produits en vrac au voyage, peuvent avoir l’apparence d’un affrètement à temps.
28En effet, lorsque l’affréteur dispose d’un lot de marchandises dont l’importance suppose plusieurs voyages sur une durée de temps fractionnée, il a recours à cette formule qui ne l’engage pas en termes de durée de l’affrètement mais en termes de tonnage à transporter. Ainsi, l’annulation du contrat par l’affréteur en est facilitée à partir du moment où elle peut se faire lors du dernier voyage sans préjudice financier.
29Ces types de contrats sont appelés affrètement en voyages consécutifs (trip charter).
4. Sous-affrètement des navires
30Si les conditions du contrat prévoient la sous-location de tout ou partie du navire par l’affréteur, ce dernier est libre de céder à une tierce personne le bâtiment pour peu qu’il demeure garant, à l’égard du fréteur, du respect des clauses contractuelles contenues dans la charte initiale qui les lie ; le seul souci du fréteur au voyage ou à temps étant qu’il entre en possession du montant du loyer.
31En général, les cas de sous-affrètement ne sont pas rares, eu égard à la multitude de problèmes liés au côté aléatoire de l’affrètement, problème que par ailleurs le fréteur professionnel comprend parfaitement bien, pour les raisons suivantes :
il se peut que le problème se pose à l’affréteur en termes de disponibilité de la marchandise ;
il est probable également que la rentabilité du voyage ne soit plus, pour une raison ou une autre, assurée au moment de l’expédition maritime ;
il est des cas aussi où la destination initialement prévue n’est plus propice à cause de troubles ou toute autre cause non prévue au moment de la conclusion du contrat.
32Parfois, l’affréteur ne peut résister à la tentation de faire une spéculation en raison d’une tension soudaine sur le marché favorisant une hausse des taux de fret. C’est cette flexibilité qui fait toute l’originalité de l’affrètement.
5. Mode de calcul de l’affrètement
33Le prix de revient minimum par tonne transportée est calculé en fonction d’un certain nombre de paramètres dont nous allons tenter d’en cerner les contours :
34Tout d’abord, le fréteur d’un navire coque nue tiendra compte, avant la conclusion d’un contrat d’affrètement, et dans la mesure où le marché est stable, de ses frais d’amortissement, auxquels il ajoute sa marge bénéficiaire.
35Admettons que ces frais d’amortissement soient de 3 500 usd/jour et que sa marge bénéficiaire soit de 1 000 usd. On obtient ainsi un total de 4 500 usd/jour. Le navire sur le marché de l’affrètement coque nue coûtera à l’affréteur ce montant. Si ce dernier veut l’armer, il y a lieu d’ajouter un certain nombre de frais1 :
| 400 000 |
| 280 000 |
| 75 000 |
| 40 000 |
| 5 000 |
| 800 000 |
36Si l’on divise ce montant par 365 jours, on obtient les frais d’armement par jour, soit : 800 000 : 365 =2 192 usd ; montant auquel il faut ajouter les 4 500 usd, représentant les frais d’affrètement sur le marché.
37Ainsi, le coût journalier de l’affrètement en Time Charter ou frais fixes du navire (running cost en anglais) sera donc de : 4 500 + 2 192 = 6 692 usd.
38Pour obtenir le montant de l’affrètement au voyage, ou daily cost du navire en exploitation, dont le prix est exprimé à la tonne transportée, il y a lieu d’inclure les :
frais de soutes (fonction du nombre de jours que passe le navire en mer) ;
frais de port (dépendent des us et coutumes du port et de la nature de la marchandise transportée) ;
frais annexes (par ex. passage canal de Suez) ;
frais de manutention (fonction des cadences de chargement et de déchargement, de la nature de la marchandise) ;
frais d’assurance (par le biais d’un club de protection, le transporteur contracte une assurance annuelle pour le transport des marchandises).
39Tous ces petits détails nous éclairent, si besoin est, sur la complexité de la négociation dans le cadre d’un affrètement au voyage.
II. Les Chartes-Parties ou Contrat d’affrètement
40Les résultats des négociations donnent lieu à l’adoption de clauses-types qui constituent la formation du contrat d’affrètement entre les parties. Ce contrat s’appelle la charte-partie, de l’italien carta partita ; c’est l’écrit qui permet de constater une convention d’affrètement dont les modalités sont librement négociées et acceptées par les parties ; lesquelles parties sont supposées avoir un poids économique équivalent leur permettant de traiter sur un pied d’égalité.
Droits et obligations des parties dans les C/P. à temps
41« Time is money », disent les Anglais. Cette expression prend sa pleine signification dans ce domaine. Quand on sait que le coût quotidien du navire le plus ordinaire se chiffre à plusieurs milliers de dollars, on peut comprendre aisément que toute la philosophie des affrètements puisse reposer sur la notion de durée, donc de temps.
42Quant aux devoirs et obligations des parties en présence, nous allons nous borner à en énumérer, à titre d’éclairage simplement, quelques aspects généraux, en tous cas les plus usuels, en laissant les règles supplétives, comme le veut l’usage en la matière, faire leur œuvre constituée d’une somme d’arrangements décidés au gré des circonstances.
1. Droits et obligations du fréteur
a. Devoirs (résumé des articles 650 à 659 du CMA)
Le fréteur s’oblige à livrer, à la date et au lieu convenus, et à maintenir pour les besoins du ou des voyages, le navire en bon état de navigabilité, c.-à-d. qu’il doit le rendre apte à l’exploitation pendant toute la durée de l’affrètement, que ce soit sur un plan administratif (documents en règle), matériel (bon état général du navire), ou financier (règlement de toutes les dépenses à la charge du fréteur).
Il doit également respecter les descriptions fournies à l’affréteur, dans le cadre de la C/P, quant aux caractéristiques du navire : son propriétaire réel, son pavillon, sa vitesse, ses jauges brute et nette, sa capacité de chargement, ses gréements, sa cote, la puissance de ses moteurs, sa consommation, sa vitesse, etc. (Voir plus loin description du navire).
Il doit faire respecter par son équipage le droit qu’a l’affréteur de faire diriger le navire à son gré, en se conformant aux instructions données par ce dernier au capitaine, naturellement dans les limites des zones géographiques et des trafics convenus dans la C/P.
Il doit garantir à l’affréteur, en cas de vente du navire en cours d’exploitation, qu’il demeure pleinement responsable de l’exécution des tenues de la convention passée entre lui-même et son vis-à-vis.
Il a l’obligation, afin de ne pas gêner la bonne exécution de l’affrètement, de payer les dépenses dues au titre des dépenses courantes du navire : frais de personnel, combustibles, assurance, etc.
Si le délai de planche est expiré avant la fin du chargement du navire, le fréteur doit accorder à l’affréteur une période supplémentaire appelée surestaries dont les termes seront convenus dans la charte-partie et, à défaut, pendant autant de jours qu’il a eu de temps de planche.
Si la C/P donne à l’affréteur, en dehors des surestaries, un délai supplémentaire appelé contre-surestaries pour achever le déchargement, le fréteur ne peut faire partir le navire avec un chargement incomplet avant l’expiration de ce délai.
b. Droits du fréteur
43Les droits du fréteur portent essentiellement sur les règlements de son fret et des pénalités prévues lorsque le navire est retardé du fait de l’affréteur.
44Voici un résumé des droits prévus par les codes algérien, français et tunisien :
CMA, art. 668 : « l’affréteur doit mettre à bord du navire la quantité de marchandise énoncée par la charte-partie. À défaut, il paie le fret pour cette quantité » ;
CMA, art. 680 : « Le fréteur peut refuser le déchargement de la cargaison si le fret et la rémunération à titre de surestaries ou d’autres retards ne lui ont pas été payés par l’affréteur » ;
CMA, art. 682 : « Si l’affréteur ou son représentant ne se présente pas au lieu de déchargement, refuse de décharger les marchandises ou retarde autrement le navire de telle sorte que les opérations de déchargement ne puissent être terminées avant l’expiration du délai de déchargement, le fréteur a le droit de faire débarquer les marchandises et de les faire déposer en lieu sûr pour le compte et aux risques de l’affréteur ».
CCM, art. 182 : « Si le navire est arrêté au départ, en cours de route ou au lieu de son déchargement, par le fait de l’affréteur, les frais et dommages du retard sont dû par ce dernier » ;
CCM, art. 183 : « Le capitaine peut mettre à terre, dans le lieu de chargement, les marchandises trouvées dans son navire, si elles ne lui ont point été déclarées, ou prendre le fret au plus haut prix ».
Loi française du 31/12/1966 (art. 2, chap. 1, titre 1) « Le fréteur a un privilège sur les marchandises pour le paiement de son fret ». Quant à l’art. 3 (1er et 2e alinéa) du JO du 23 avril 1967, il précise : « le fréteur ne peut retenir les marchandises, mais il peut les consigner en mains tierces et les faire vendre, sauf si l’affréteur dépose une caution ; la consignation ne peut se faire que par ordonnance sur requête et la vente par ordonnance de référé ».
45Ce dispositif juridique constitue un gage de règlement de la créance. Cependant ce privilège ne vaut que pour le fret, exclusion faite de toute autre réclamation relative à d’autres créances comme les surestaries, le faux fret…
2. Droits et obligations de l’affréteur
L’affréteur doit présenter le chargement auquel il s’est engagé, (art. 187 du CCM) et, « s’il n’a pas fourni la quantité totale des marchandises convenues, il doit néanmoins la totalité du fret et il lui est tenu compte des dépenses épargnées au navire et des trois-quarts du fret des marchandises prises en remplacement. S’il en charge davantage, il paie le fret de l’excédent sur le prix réglé par la C/P » ;
Au plan commercial, il prend à sa charge l’ensemble des dépenses et assume tous les risques découlant de l’utilisation par lui du navire ;
Il doit acquitter en son temps, selon le cas, le montant du loyer ou du fret convenu. Un retard quelconque dans le paiement peut entraîner la résiliation du contrat par le fréteur aux conditions énumérées précédemment sur le gage et privilège du fréteur.
Il doit, en cas d’utilisation prolongée du navire, plus que le temps alloué dans la C/P, payer un supplément en fonction du taux du marché ou en état de cause au taux convenu dans le contrat.
Le fréteur doit payer à l’affréteur une prime de célérité si le chargement du navire a été effectué par l’affréteur avant l’expiration des jours de planche prévus par la C/P (art 667 du CMA).
III. Principales clauses usuelles des C/P à temps
A. Description du navire
46Les caractéristiques du navire constituent un des points fondamentaux du contrat d’affrètement. En effet, la moindre indication fausse peut être lourde de conséquences pour l’affréteur du navire à temps, en ce sens qu’il doit assumer les risques inhérents à l’exploitation commerciale du navire. Si le navire ne correspondait pas tout à fait à la description donnée et que de ce fait un préjudice naissait, l’affréteur serait seul à en assumer les frais et risques, notamment de devoir faire la preuve, souvent difficile à établir, en l’occurrence que le fréteur est à l’origine de telle ou telle défaillance. Pour prévenir ce genre de situation fort préjudiciable, l’affréteur avisé dépêchera au port où se trouve le navire des agents aux fins d’inspection et de contrôle du bâtiment.
47Dans la mesure où sa société n’est pas dotée de structure d’inspection, l’affréteur s’attachera les services d’un expert maritime étranger à l’entreprise pour s’enquérir de la description faite et de l’état général du navire. Mais, en général, lorsque les deux parties se connaissent et qu’entre elles existent des rapports de confiance, la mission de contrôle devient superflue.
48Nous allons examiner ci-dessous quelques raisons connues (elles sont en réalité nombreuses et variées) pour lesquelles une vérification de la véracité s’impose :
Le nom du propriétaire du navire ; il pourrait être, comme indiqué plus haut, celui d’un personnage se disant par exemple « armateur-disposant », et que, derrière ce qualificatif dépourvu d’existence juridique, au regard de nombreuses législations nationales, se cache en réalité un fréteur ou un courtier indélicat installé quelque part dans un pays où il peut à l’aise, et en toute impunité, se livrer à des malversations de toutes sortes.
Le pavillon du navire ; s’il n’est pas conforme à celui indiqué dans la C/P, il pourrait placer l’affréteur dans une fâcheuse position juridique, en particulier lorsque le navire arbore un pavillon – donc une nationalité – qui fait l’objet par exemple d’un boycott international.
La vitesse et la consommation ; notions intimement liées l’une à l’autre, si elles n’étaient pas conformes aux engagements du fréteur (à quelques pour-cent près), généralement acceptés par l’affréteur, elles pourraient se traduire par des retards qui ne comporteraient pas moins certains risques financiers, surtout si le navire fait du long cours. Les indemnités de retard sont généralement prévues dans les C/P, mais elles peuvent donner lieu à force palabres avant d’être versées par le fréteur.
La cote du navire est établie par les sociétés de classification. Elle atteste des qualités techniques et nautiques du navire. Outre que la classification d’un navire doit répondre à des exigences légales, le fait que celui-ci soit bien coté lui permet de bénéficier d’une bonne réputation tant sur le marché de l’affrètement qu’en matière d’assurance.
49Mais il se peut que la cote attribuée à un moment donné au navire soit arrivée à terme. Il faut toujours s’assurer de sa dernière date de classification pour savoir si sa cote est encore valide.
Le port en lourd, la jauge brute et nette du navire, etc., sont autant de caractéristiques fondamentales nécessitant la plus grande circonspection.
B. Durée de l’affrètement
50La durée de l’affrètement à temps est fixée pour des périodes plus ou moins longues pouvant se compter en mois et en années. Elle peut être également comptée en termes de voyages consécutifs (trip charters) entre des ports convenus. Aussi est-il utile de souligner que la restitution du navire pose toujours un certain nombre d’interrogations quant au respect de la durée du temps d’affrètement, compte tenu des aléas de la mer.
51C’est pour cette raison, et plus particulièrement sur ce point, que les clauses des C/P indiquent toujours le terme « environ ».
52Cette attitude, empreinte de compréhension parfois forcée, laisse à l’affréteur une certaine marge de manœuvre lui permettant de terminer son voyage, à charge pour lui d’indemniser le fréteur pour le temps perdu, soit sur la base d’un taux entendu entre les parties, soit sur le taux du marché.
C. Fret à temps ou loyer
53En général, dans l’affrètement à temps, les clauses des C/P. mentionnent que le fret, qui est en réalité un loyer (hire en anglais) fixé en fonction du temps d’utilisation du navire, est payable d’avance par tranche de temps préalablement fixée.
54Si l’affrètement se conforme à une charte donnée, comme la Baltime par exemple, le règlement peut se faire tous les 30 jours et la N.Y. Produce, tous les quinze jours ; la Loi française stipule, aux termes de son art. 23, que le loyer est payable par mensualité et d’avance et qu’il n’est pas acquis à tout événement.
55Le CMA, en son art. 708, édicté que « le montant du fret et les modalités de son règlement doivent être établis par la C/P. À défaut de convention, le fret est payé d’avance par tranche mensuelle et il n’est pas acquis à tout événement ».
56Dans le cadre d’affrètements de longue durée, et si entre-temps les charges d’exploitation évoluent, que des fluctuations monétaires défavorables au fréteur interviennent ou que le taux de fret augmente, ce dernier s’arrange, déjà lors de la négociation, pour obtenir l’insertion préalable d’une clause compensatoire d’ajustement. Quant aux taux d’affrètement, ils sont généralement établis sur la base de l’évolution des indices de fret communiqués par un certain nombre d’institutions et de publications spécialisées en la matière.
57Pour le pétrole, par exemple, ces taux de fret sont appelés nominaux et ils sont fixés annuellement sur un taux forfaitaire théorique exprimé en dollar US par tonne métrique, figurant dans un barème établi suivant l’évolution de l’indice World Scale, à partir d’un taux WS 100. Selon A. Boyer2, « on prend pour base 100 ; un taux de fret donné, à une date déterminée et l’on compare tous les taux de fret ultérieurs à cette phase, ce qui traduit graphiquement les variations annuelles, ou autres, des taux de fret ».
58En pratique, un seul taux de base est prévu pour un voyage aller/retour entre deux ports, chargement et déchargement compris, avec un navire d’une capacité donnée aux taux de X USD/jour, filant à une vitesse de tant de nœuds avec une consommation de X tonnes de fuel par jour… Ainsi, un pétrolier affrété à un WS 40 se verra appliquer 40 % de ce taux par tonne. S’il dépasse l’indice WS 100, par exemple 180, il se voit appliquer un taux de 180 % par tonne, lequel pourcentage lui permet de convertir le taux correspondant en un montant réel du fret traduit en US Dollar par tonne à transporter.
59Le mécanisme d’établissement de l’évolution des indices de fret se fonde sur les statistiques régulièrement fournies par les bourses de fret et publiées dans les revues précitées.
60Quant aux clauses de suspension de loyer par l’affréteur (off hire), se traduisant littéralement par le terme hors-fret en français, elles peuvent jouer dans les cas de panne prolongée du navire ou d’empêchement de l’équipage.
61En revanche, le fréteur a recours aux clauses de résiliation de contrat pour non paiement de loyer à échéance fixe, clauses fréquentes dans la plupart des C/P à temps, en raison des risques éventuels d’insolvabilité de l’affréteur.
D. Livraison et restitution du navire
62La livraison est la prise en charge effective du navire par l’affréteur dans un port déterminé à une date fixée dans le cadre du temps d’affrètement convenu. En cas de retard dans la livraison, le fréteur est tenu pour responsable des manques à gagner que pourrait connaître l’affréteur, au-delà d’un délai raisonnable préalablement entendu ; la Loi française fixe cette période à vingt-quatre heures pour les navires affrétés à temps (art. 24) ; l’Art 26 fixe le même délai pour les navires affrétés coque nue.
63En vertu de son art. 711, le CMA dispose : « le navire doit être restitué au fréteur aux dates et lieu convenus à la C/P ». Si la durée du dernier voyage dépasse la date convenue au contrat, le délai est prolongé jusqu’à l’arrivée du navire au port de sa restitution.
64Pour cette période supplémentaire, l’affréteur doit un fret double de celui prévu par le contrat, sauf lorsque le dépassement de l’échéance relève du cas de la force majeure (art. 712 du CMA). Dans son art. 201, le CCM stipule :
« faute par le fréteur de livrer le navire convenu à la date et au lieu prévus, l’affréteur peut résilier la convention à la condition d’en donner avis recommandé à l’autre partie. Dans ce cas, le fréteur perdra le fret convenu et répondra des dommages-intérêts dus à l’affréteur ».
65Comme on l’a vu, et ceci est une constante de la plupart des codes, à l’expiration du délai d’affrètement, l’affréteur est tenu de restituer le navire selon les termes prévus dans la C/P. Mais, comme il est pratiquement impossible de procéder à la relivraison du navire à la date exacte (les navires n’étant pas des trains ou des avions), un délai raisonnable est accordé à l’affréteur, à l’instar de la livraison, au-delà duquel il est tenu de verser des indemnités de retard, selon les clauses de la C/P retenue.
66Signalons au passage que le néologisme redélivraison qui s’est introduit dans la langue française, terme dérivant des expressions anglaises delevery/redelevery, constitue une erreur qu’il y a lieu d’éviter sous peine de dénaturer, au-delà du mot, le concept même de restitution ou de son synonyme, la relivraison.
IV. Clauses usuelles des C/P au voyage
A. Le navire
67Quelles que soient les C/P (à temps ou au voyage), elles comportent des clauses types que l’on retrouvera à tous les coups, notamment celles afférentes au navire ; comme indiqué plus haut pour la C/P au temps, la partie descriptive portant sur l’individualisation de celui-ci doit refléter les indications avancées par le fréteur lors de la négociation :
Un navire porte un nom ; ce qui nous fait dire qu’il a une personnalité propre.
Il a un âge ; on le calcule à partir de l’année de sa construction et, lorsqu’il dépasse les quinze ans d’âge, son armateur doit payer en matière d’assurance des surprimes, outre qu’il n’est plus recevable dans tous les ports en raison de normes restrictives liées à la sécurité de la navigation maritime.
Il possède une nationalité identifiée par le pavillon qu’il arbore.
Sa capacité de charge ; elle peut être exprimée en Tonnage de Port en Lourd (Tpl). Les C/P distinguent le port en lourd utile (cargo deadweight), c’est-à-dire la capacité de chargement commerciale du navire, du port en lourd deadweight, comprenant en plus du tonnage de la marchandise, les soutes, les équipements de bord, les vivres, etc. La simple mention de TPL ne suffit pas, il est utile, lors de la négociation, de ne pas omettre que des précisions entre ces deux notions s’imposent.
68Par ailleurs, il est nécessaire de souligner qu’il existe une nuance à ne pas négliger entre la capacité de charge déterminée en tonnage de port en lourd (TPL) et tonneau de jauge (brute et nette) exprimée par les abréviations TJB et TJN.
69En effet, bien que les deux notions soient utiles à plus d’un titre, notamment pour la détermination du tirant d’eau maximum du navire, de sa charge utile, du coefficient d’arrimage de la marchandise, etc., on retrouve la notion de jauge dans le transport des pondéreux en vrac liquide et solide dont la capacité de charge est exprimée en termes de cubage ; ainsi, le volume du vrac solide est défini en grains et le volume des sacs en balles… Et même entre ces deux derniers critères, il existe des différences appréciables de nature à faire varier les taux de fret : « the difference betwen grain and bale space varies from 5-10 per cent »3.
70Soulignons toutefois que le taux de fret retenu, soit au tonnage ou au volume, est toujours décidé à l’avantage du navire, c’est-à-dire dans l’intérêt du fréteur.
71Le port de chargement/déchargement ; la notion de port suppose une parfaite connaissance de la géographie, des capacités d’accueil, voire de leur topographie.
72Dans certaines C/P, le fréteur et l’affréteur vont jusqu’à préciser les postes à quai (sea line, etc.).
73Dans d’autres, cette notion est entourée d’approximations du genre « le port le plus proche » ou « le port le plus sûr ». En effet, la désignation du port n’est pas forcément exigée avec précision dans certaines C/P, puisque, selon le cas, le fréteur et l’affréteur peuvent indiquer un ou plusieurs ports proches du lieu du chargement et du déchargement des marchandises.
74En l’espèce, chacune des deux parties trouve intérêt à faire jouer ces notions approximatives ; tout d’abord, le fréteur pourrait avoir quelque raison de ne pas faire dans la précision afin de se prémunir des cas où son navire, à cause de certains obstacles prévisibles (tirant d’eau, glaces, marée, renseignements peu fiables sur le port, etc.), ne pourrait pas conduire la cargaison à bon port ; quant à l’affréteur, il pourrait se sentir obligé d’adhérer à cette formule par crainte des encombrements portuaires connus par un certain nombre de pays.
B. La marchandise
75De la nature de la marchandise dépendent certaines estimations, par exemple : la quantité effectivement transportable en raison du coefficient d’arrimage duquel dépend le calcul du fret, selon que le fréteur privilégie le poids ou le volume ; les cadences de chargement et de déchargement de la cargaison ; certains frais de manutention bord, notamment le nettoyage des cuves, des cales, etc.
76De la quantité à charger dépend également la rentabilité du ou des voyages. Pour cette raison, la plupart des C/P prévoient le respect de la notion de « pleine et entière cargaison ».
77L’affréteur est autorisé à dépasser la quantité indiquée, mais jusqu’à un plafond convenu dit « quantité maximale ». En cas de fourniture d’une quantité inférieure à celle prévue à la C/P et si le fret n’est pas calculé au forfait, il résulte un manque à gagner pour le fréteur ; lequel manque appelle réparation de la part de l’affréteur sous forme de versement d’une indemnité assortie d’intérêts appelée communément faux fret.
78L’expression faux fret provient du fait que, lorsque le navire ne charge pas une pleine et entière cargaison, il pourrait, outre les manques enregistrés, engager des frais supplémentaires pour le chargement de lest.
C. Le fret
79Nous abordons là un point des plus complexes du contrat d’affrètement. Ce sujet, parce qu’il est très sensible, n’a pas laissé indifférents les législateurs nationaux à telle enseigne qu’il n’existe pas, à travers les lectures faites pour les besoins de cette étude, un code qui n’ait pas consacré des pans juridiques entiers au fret et aux conditions de son paiement. Pour les aspects liés au calcul du taux de fret, se référer au point relatif aux frais et durée de séjour dans les ports (Supra). Ainsi, pour le CMA, en son art 720 : « Si l’affréteur ne paie pas le fret convenu à l’échéance, le fréteur peut résilier le contrat et obtenir de l’affréteur une indemnité pour perte de fret et autres dommages ».
80En complément de l’article 2 de la Loi française 66-420 de juin 1966, qui énonce que « le fréteur a un privilège sur les marchandises pour le paiement de son fret », l’art 3 du décret 66-1078 du 31/12/1966 précise : « Si le fréteur n’est point payé lors du déchargement des marchandises, il peut les consigner en mains tierces et les faire vendre, sauf à l’affréteur à fournir caution ».
81Le CCM, se voulant le plus exhaustif possible, a consacré au sujet, aux termes de l’art. 187, six alinéas, dont nous nous bornerons à citer les plus significatifs :
« L’affréteur est tenu de payer le fret convenu ; lorsqu’il [l’affréteur] n’a pas fourni la quantité totale des marchandises convenues, il doit néanmoins la totalité du fret ; il lui est tenu compte des dépenses épargnées au navire et des trois-quarts du fret des marchandises prises en remplacement ; s’il en charge davantage, il paie le fret de l’excédent sur le prix réglé par la C/P ; si, sans avoir rien changé, il rompt le voyage avant le départ, il paiera en indemnité au fréteur la moitié du fret convenu dans la C/P pour la totalité du chargement qu’il devait faire ; s’il rompt le voyage après avoir fourni une partie des marchandises convenues et que le navire part à non-charge, le fret entier sera dû au fréteur ».
82Dans les C/P., les clauses relatives au fret et aux modalités de son règlement foisonnent par les détails précautionneux, tant les nuances peuvent être sources d’interprétations, donc de problèmes. Ainsi, comme le fret peut être payé au tonnage ou au volume, toujours à l’avantage du navire, la quantité de marchandise embarquée, mesurée au départ, peut ne pas être la même à l’arrivée après mesurage ou pesée.
83Afin d’éviter de se retrouver aux prises avec le fréteur, et si en plus il n’est pas sûr de la quantité exacte devant lui être fournie par le chargeur ou si les conditions de pesée ne sont pas réunies, l’affréteur préfère dans ce cas la formule de fret au forfait. Cette formule est en usage dans certaines C/P. et pour certains types de trafic de vrac où les phénomènes de routes peuvent provoquer des freintes : pertes de poids dues à l’évaporation ou bien des augmentations de poids du produit lorsque celui-ci est chargé d’humidité, provoquées par la traversée de zones humides.
84Selon certaines C/P, lorsque le contrat de vente est conclu en C et F, le fret doit être payé d’avance (prepaid en anglais), etc. D’autres contrats prévoient le paiement du fret sous forme d’avance à la signature du connaissement au port de chargement et le reliquat à destination, c’est-à-dire au moment de la livraison de la marchandise ; lorsque le fret est payable à destination (collected freight en anglais) – ce sont tous les cas où le contrat de vente est conclu en fob – le fréteur a, en cas de non paiement du fret par le réceptionnaire, un privilège sur les marchandises (Art. 3 de la Loi française).
85Le paiement tardif peut être source de problèmes. En voici un exemple concret illustré par l’affaire Dollar dont le jugement a été rendu à Paris/Camp le 11/07/83 : Les faits portent sur une C/P au voyage et dont le fret, exprimé en francs français, n’a été réglé à un armateur allemand qu’après dévaluation du franc. L’armateur réclamait la différence de change par rapport à sa monnaie nationale, le mark. La demande de l’armateur, après avoir apporté la preuve que la somme en francs payée tardivement lui avait été créditée en marks, a été acceptée dès lors qu’il a honoré toutes les obligations contractuelles alors que l’affréteur français a payé le fret avec 25 jours de retard, c’est-à-dire 5 jours après la dévaluation. L’arrêt avait retenu que « la faute prétendue du banquier de l’affréteur ne constituait pas une excuse valable pour celui-ci (un fret est portable et non requérable) ».
86Dans une autre affaire de C/P à temps, toujours au sujet du M/V Dollar (sentence n° 413 du 26/06/81 Camp/Paris), les loyers payés tardivement (de 5 à 74 jours pendant un an) ont permis à l’armateur du navire d’obtenir par la même juridiction le jugement suivant :
« Le paiement tardif du fret provoque un déséquilibre entre les patrimoines des deux parties, qui est un préjudice financier pour l’une et un bénéfice sans cause pour l’autre […] La seule voie de réparation est celle des intérêts compensatoires. Il ne sera donc pas question de retenir la notion d’intérêts moratoires au taux légal. En conséquence, le taux de 13 % l’an, demandé par les armateurs, sera accepté comme étant normal et raisonnable en 1979, époque des faits incriminés ».
D. Le voyage
87Le début du voyage se fait avec l’annonce par le capitaine de la mise à disposition de l’affréteur du navire. Cf. notice of readiness (Supra). Mais, avant d’être prêt à l’embarquement, les parties au contrat se mettent d’accord sur la date d’arrivée du navire au port de chargement.
88Or, d’évidence, le fréteur ne peut garantir que le navire sera prêt exactement à la date indiquée. De la même manière, l’affréteur ne peut déclarer son option quant à la disponibilité de la marchandise à la date indiquée que lorsqu’il sait où se trouve le navire au moment de la négociation. Aussi, l’une et l’autre partie conviennent-elles d’adopter des clauses du genre : « date la plus rapprochée pour le début du chargement » dont la formulation varie quelque peu d’une C/P. à une autre. Mais cette formule n’est pas une fin en soi puisqu’une date limite est fixée par l’affréteur au-delà de laquelle il y a résiliation de contrat aux risques et frais du fréteur.
89En pratique, le navire s’arrange pour ne pas arriver plus tôt que prévu, auquel cas il devra assumer les manques à gagner dus à son arrivée prématurée ; il ne devra pas non plus arriver plus tard que le délai limite fixé, sous peine de se voir assumer les indemnités dues à l’attente en entrepôts de la marchandise avec tout ce que cela implique comme frais d’intérêts, outre les risques de résiliation du contrat. À son tour, l’affréteur a intérêt à évaluer au plus près le temps nécessaire à l’acheminement de la marchandise au port et à son chargement sur le navire, sans quoi il court le risque de rogner le temps de planche qui lui est alloué par la C/P. Cf. staries et surestaries (Supra).
90Malgré toutes les précautions d’usage, nul n’est à l’abri d’une surprise en raison des interprétations des conventions contenues dans les C/P et les usages des ports.
91Ainsi, dans une affaire de « temps d’attente » (waiting time) du navire Ace Pioneers, la juridiction de Camp, par sa sentence n° 357 du 06/03/80, confirme la complexité de ce fait : A l’arrivée du navire, chargé d’une cargaison de matériel de constructions métalliques des États-Unis sur Port-Soudan, le vapeur a dû attendre 14 jours en rade dans l’attente d’un poste à quai. Le litige entre les parties portait sur le compte de surestaries, les armateurs appliquant intégralement le temps d’attente alors que les affréteurs prétendaient que le navire n’était pas arrivé dès lors que la libre pratique ne lui était pas accordée, selon les us du port. De la clause Time lost in waiting for berth to count as discharging time (le temps perdu à attendre l’accostage compte comme temps de déchargement), voici résumée la sentence rendue par la juridiction précitée :
« L’interprétation de cette clause de la charte Gencon n’a pendant longtemps fait l’objet d’aucune contestation, le concept de « navire arrivé » qui a pu en nuancer l’application, en se trouvant à l’origine de nombreux litiges, ne lui étant particulier. Selon cette interprétation ancienne, tout le temps passé en attente d’un poste à quai doit être assimilé à du temps utilisé, sans interruption d’aucune sorte, qu’il s’agisse de mauvais temps ou autres empêchements ou des périodes écartées du compte des staries… »
E. Notions de déroutement et de route normale
92Le déroutement d’un navire est un fait courant dans la navigation maritime. Il est souvent dicté par le cas de la force majeure et parfois par des circonstances que certaines lois considèrent comme fortuites. Lorsqu’il est le fait de la force majeure, il faut que celle-ci soit irrésistible, imprévisible et insurmontable. Ceci est le cas des événements naturels, tempête et autres, qui obligent le vapeur à changer de cap ; il y a également le fait de guerre, etc.
93Cependant, certaines C/P et lois de pays anglo-saxons (Cogsa de la GB et des États-Unis), emboîtant le pas aux Règles de La Haye, étendent le déroutement autorisé aux cas de sauvetage des vies en mer, etc. La Loi française n’en fait cas que pour les transports sous connaissement (art. 27, alinéa i).
94Enfin, il convient de souligner que le cas de déroutement ne peut s’apprécier que par rapport à une route normale ; la route normale est l’itinéraire géographique habituel entre deux ports.
95Si l’itinéraire présente des risques pour le navire et ce qu’il transporte, celui-ci est autorisé à en modifier le tracé à la condition de faire valoir le caractère raisonnable du déroutement, tel qu’énoncé par la plupart des C/P, en référence aux clauses de déroutement (déviation), et appréciées en tant que telles par les droits allemand, Scandinave, britannique, américain, etc.
96En son art. 676, le CMA énonce :
« Si le navire ne peut arriver au port de destination en raison d’obstacles durables qui ne peuvent être écartés dans un délai raisonnable, le capitaine du navire doit suivre les ordres donnés d’un commun accord par le fréteur et l’affréteur ; à défaut de tels ordres, le capitaine conduit le navire vers un port sûr, le plus proche, où il pourra décharger ou revenir avec la cargaison au port d’embarquement, selon ce qui est, à son avis, le plus avantageux pour l’affréteur. Dans tous les cas, l’affréteur est tenu de payer le fret de distance ».
F. Changement de destination vers un port sûr
97Si, comme on l’a vu, un navire est appelé à changer de destination, pour une raison qui relève par exemple des cas de force majeure (fait du prince, état de guerre, calamité naturelle ou autres), le fréteur et l’affréteur tenteront de se mettre d’accord sur le nouveau port.
98À cet égard, ce sont les intérêts de l’une et l’autre partie qui vont encore une fois s’affronter.
99En effet, l’affréteur aura intérêt à ce que le port soit le plus proche possible du lieu initialement prévu, afin de limiter les frais supplémentaires dans le cadre du transfert de la marchandise ; le fréteur pourrait chercher à conduire son navire là où les frais portuaires ne sont pas plus élevés que dans le port initialement prévu, de même que la sécurité du navire et de ce qu’il transporte rencontrent le moins de risques possibles, etc.
100En matière de sécurité, la notion de port sûr reviendra comme un leitmotiv.
101Et, pour se faire une idée de cette notion de ports sûrs (Safe ports), lire les différents cas de jurisprudence cités dans l’article de Mohamed Dekhili, juriste algérien au sein de la Société Hyproc, in le Phare (Journal des échanges internationaux, des transports et de la logistique) N° 11, Pages 8/9.
G. Frais et durée du séjour dans les ports
1. Frais de chargement et de déchargement
102Les frais de manutention dans les ports sont partie intégrante de la rentabilité du voyage, tant pour le fréteur que pour l’affréteur. En réalité, le taux de fret ne peut être fixé qu’après que les parties à la convention se soient entendues sur la prise en charge des frais de chargement et de déchargement de la cargaison.
103Dans les CP au voyage, il existe plusieurs formules de calcul du taux de fret, généralement basées sur la répartition des frais de manutention ou bien par la prise en charge complète de l’ensemble des frais par le fréteur ; dans cette répartition, les frais de nettoyage des cuves et des cales, qui sont généralement à la charge du fréteur, ne sont pas compris. Les aspects légaux du fret ayant été traités plus haut, retenons dans ce chapitre qu’il peut être négocié de plusieurs manières :
Le fret peut être traité aux conditions de lignes régulières (palan/palan, quai/quai), auquel cas les frais de chargement et de déchargement sont pris en charge par le navire et répercutés sur l’affréteur dans le taux de fret.
Lorsque le navire est équipé de ses propres gréements, il est possible de faire en sorte que les formules palan/palan et quai/quai puissent donner lieu à une combinaison mettant à la charge du fréteur les moyens de levage et les grutiers ; les hommes de bord et de terre seront en revanche à la charge de l’affréteur.
Le fret peut être traité également suivant une autre formule de partage des frais de chargement et de déchargement connue sous le terme de Free In Liner Out ce qui signifie concrètement que les frais de chargement sont à la charge de l’affréteur et les frais de déchargement à la charge du navire.
104Il est possible de faire une autre combinaison en recourant à la formule FIO (free in/out), également connue en France et au Maghreb sous le terme bord/bord, voulant dire que le fréteur n’a aucun frais de manutention à supporter. Dans un tel contexte, les frais de chargement sont supportés par l’affréteur et les frais de déchargement par le réceptionnaire ; le fréteur ne prenant à sa charge que les frais d’arrimage et, le cas échéant, les frais d’équilibrage.
105La notion d’équilibrage est évoquée lorsque la marchandise est transportée en vrac ; l’opération consiste en la répartition égale de la marchandise dans les cales du navire pour mieux le stabiliser.
106Une autre formule est celle que l’on connaît sous le terme FIOST (free in out of ship, cargo stowed and trimed), en vertu de laquelle les frais de chargement, d’arrimage et d’équilibrage sont à la charge de l’affréteur et l’ensemble des frais liés au déchargement sont supportés par le réceptionnaire.
2. Les temps de planche ou staries
107Lorsque le navire est au port, il est à la disposition de l’affréteur dans le cadre de ses opérations commerciales qui consistent à charger et/ou décharger la marchandise. Celui-ci en devient le dépositaire selon des clauses de staries convenues dans la C/P, calculées par le fréteur en fonction des coûts quotidiens du navire et de sa marge bénéficiaire propre.
108Précisons tout d’abord que le mot starie vient du latin stare, qui veut dire rester, et que le concept, dans le vieux français, était usité sous le vocable d’estarie.
109Mais la formule la plus usuelle dans cette langue est sans doute le temps de planche ou temps alloué qui désigne le laps de temps prévu pour le chargement et le déchargement d’un navire.
110Juridiquement, c’est le temps imparti à l’affréteur pour restituer le navire à son armateur à l’issue des opérations commerciales. En cas de dépassement du temps alloué, l’affréteur doit au fréteur une indemnité au prorata du nombre de jour de retard dans le port. L’indemnité, qui est en fait une compensation du temps perdu, est fixée selon un taux convenu dans la C/P, considéré par la Loi française comme un supplément de fret (art. 11).
111Le CCM, aux termes de son art. 201§ 2, considère ce dépassement comme des dommages-intérêts. Le CMA, en son art. 683, outre qu’il prévoit que le fréteur a droit à une indemnité pour le retard, introduit, au titre de la compensation, une notion somme toute originale, dans la mesure où cette indemnité est calculée dans les mêmes conditions que celle due pour les contre-surestaries pendant le chargement (Art. 666). Le calcul des staries est fait soit en fonction du nombre de jours, soit en heures de travail ou suivant des cadences de manutention convenues. En effet, lorsque le calcul est déterminé sur la base du nombre de jours, il est en général précisé que le travail se fasse en jours ouvrables ou en jours continus ; les jours ouvrables impliquent que les jours fériés soient exclus, selon une formule anglo-saxonne qui tient en quatre lettres : SHEX voulant dire Sunday holiday excluded (dimanches et jours fériés exclus) ; ces jours peuvent être inclus, auquel cas cela se traduit par la formule SHINC, qui signifie Sunday Holiday included (dimanches et jours fériés inclus).
112Le travail en continu, qu’il soit exprimé en jours ou en heures consécutives, suppose que les jours fériés peuvent être employés au chargement et au déchargement de la cargaison.
113Certaines C/P tiennent compte même de la demi-journée du samedi après-midi. Il en est d’autres qui introduisent avec raison la notion de temps au sens météorologique du terme.
114En effet, dans le cas où les conditions de travail ne sont plus réunies, à cause de la pluie ou autres, le temps de planche est interrompu ; d’où est issue l’expression de temps permettant qui revient souvent dans la plupart des C/P et que la formulation anglaise reprend en ces termes : « Vessel shall be loaded (or discharged) within X days weather permitting ».
115Lorsque le temps de planche est déterminé sur la base des cadences moyennes de manutention, le calcul se fait en fonction du tonnage embarqué et débarqué par jour, par cale, ou par panneau. S’il est fréquent de trouver des C/P qui font une combinaison de l’ensemble des éléments indiqués ci-dessus, il en est d’autres, en revanche, qui, selon la clause de célérité coutumière, ne précisent pas au préalable le temps alloué au chargement et au déchargement de la cargaison. Cette notion de célérité coutumière est connue par l’abréviation anglaise FAC (as fast as the ship can receive or deliver) qui se traduit par : aussi vite que le navire peut charger ou décharger. En fait, même si les parties ne déterminent pas à l’avance les temps de planche, elles ne se fondent pas moins, suivant la nature de la marchandise, sur les usages connus des ports.
116Du reste, la plupart des codes maritimes ont réservé à la question des staries, en cas de silence de la C/P (et en cas de dénonciation seulement de la notion de FAC), des stipulations variées selon les cas : dans le droit anglo-saxon, la notion de célérité voulue fait intervenir celle de diligence raisonnable. Si l’affréteur ne fait pas montre de diligence raisonnable, les staries s’arrêtent et laissent place à un système de pénalités appelées surestaries, déjà évoquées et sur lesquelles nous reviendrons plus loin ; le droit français se borne à évoquer la question de staries en termes d’usage du port, en faisant abstraction de la notion de célérité et de diligence raisonnable. Ainsi, l’art. 10 de la Loi française n° 66-1078 stipule que « le point de départ et la computation des jours de planche sont réglés suivant l’usage du port où ont lieu les opérations et, à défaut, suivant les usages maritimes » ; le droit tunisien, en vertu de l’art. 194 du CCM énonce que « le temps alloué à l’affréteur pour le chargement et le déchargement est appelé staries. Ce temps est fixé par la convention ou, à défaut, par les usages du port ».
117Si, en son art. 660, le CMA abonde dans le même sens que les autres codes sur la question se rapportant aux termes fixés par la convention ou par les usages du port, en revanche, aux termes de l’art. 661, le législateur algérien va plus loin, dès lors que l’article susvisé stipule « qu’en cas de doute, le délai de la planche est calculé en jours et heures ouvrables, à partir du lendemain du jour où l’avis mentionné ci-dessus a été valablement donné ».
118Aussi, il faut savoir que les temps de planche ne sont pas fixés de manière uniforme selon qu’il s’agisse de chargement ou de déchargement de la cargaison.
119Les staries des deux ports sont en général traitées séparément et pour cause : les temps de chargement et de déchargement de la cargaison varient selon la nature de la marchandise, de la productivité des ports des différents pays, des moyens utilisés ici et là, etc.
120Enfin, certaines C/P prennent une moyenne, suite au décompte fait entre le temps mis aux ports de provenance et de destination ; moyenne à partir de laquelle intervient le calcul des pénalités ou surestaries. Ce mode de calcul fait intervenir la notion de staries réversibles, ce qui veut dire que l’addition des deux opérations de chargement et de déchargement permet de compenser le temps perdu ou gagné dans une opération par un autre.
121Par exemple, lorsqu’un affréteur dispose de cinq jours pour le chargement et autant pour le déchargement et qu’il réalise la première opération en quatre jours et la deuxième en six jours, il sera dans la norme retenue ; auquel cas on dira qu’il y a eu réversibilité, car le temps gagné au chargement est venu en compensation du temps perdu au déchargement.
122En se produisant, le cas inverse pourrait avoir le même effet. Notons que le cas de réversibilité du temps alloué est notamment utile dans le calcul des despatch money, notion examinée plus haut. Dans ce contexte, il convient de souligner que certaines lois considèrent le fait de réversibilité, mais il en est d’autres qui en font abstraction. Ceci est particulièrement le cas du CMA qui ne semble pas avoir accordé d’importance à la question.
123Le CCM semble apparemment adhérer à l’expression de la volonté des parties, puisqu’il a édicté en son art. 197 que « les staries ne sont réversibles du chargement sur le déchargement et inversement que s’il en est ainsi convenu ».
124La Loi française prévoit en son art 9 que si la C/P établit distinctement un délai pour le chargement et un autre pour le déchargement ces délais ne sont pas réversibles et doivent être décomptés séparément. Mais la grande question qui se pose est de savoir à quel moment commence à courir le temps de planche et où il se termine. Dans le contexte des staries, ce point est à analyser en fonction de la C/P adoptée et des clauses retenues quant à l’emplacement où le navire doit se considérer comme arrivé.
125En fait, les parties à la convention précisent toujours à quel moment le navire doit annoncer qu’il est prêt pour les opérations commerciales, après avoir adressé à l’affréteur la notice of readiness. Notons que la notice est l’avis adressé par le capitaine, via son agent consignataire, à l’affréteur en vue de lui signifier, au port de chargement, qu’il est prêt à prendre livraison de la marchandise, et au port de destination que le navire est à sa disposition pour le déchargement de la cargaison. Mais, avant d’aller plus loin dans le développement de la mise à disposition du navire, examinons tout d’abord le concept de « navire arrivé ».
126En général, les C/P précisent l’emplacement géographique, rade, quai, etc. lieu à partir duquel le capitaine du navire doit envoyer la notice of readiness. En Algérie, dans les grands ports, eu égard particulièrement à leur congestion, la rade est le lieu habituel d’attente des navires. D’ailleurs, le CMA, aux termes de son art. 659, laisse toute latitude aux parties de fixer les conditions des jours de planche dans les C/P et, à défaut, par le règlement ou l’usage en vigueur dans le port de débarquement. Ce qui paraît étrange dans ce cas, est que le législateur ne semble pas tenir compte de l’existence de temps de planche au port de chargement ( ! ?). Aussi, les fréteurs, quand ils ont réussi à faire adopter le point de départ du temps de planche, à partir du point de mouillage, font adresser par le capitaine la notice (traditionnellement via la radio) et depuis peu par Internet, en direction de l’agent consignataire qui répercute cet avis sur le destinataire. Mais ceci n’est pas une règle absolue puisqu’il est des cas où le point de départ des staries ne commence à courir que lorsque le navire a trouvé un poste à quai.
127Dans les ports ayant des caractéristiques dites répulsives (brumes, brouillard, marée, etc.) l’emplacement est important dans la mesure où le temps de planche commence à courir à partir de l’annonce que le navire est arrivé et se trouve prêt à opérer. Or, le navire peut mettre un temps plus ou moins long avant de rejoindre l’espace opérationnel, temps à mettre au compte de l’affréteur. Ainsi, certains codes, notamment Scandinaves, ne prennent en considération l’arrivée du navire que lorsque celui-ci a accosté à un poste à quai. La crainte des pays de frètement résulte des postes à quai souvent occupés, en tous cas dans les ports à fort trafic. Ceci explique aussi pourquoi certaines C/P ont tendance à prémunir les fréteurs contre les risques d’attente du poste à quai avant que ne puisse être déclenché « le compteur à staries ».
128Aussi, retenons que l’envoi de la notice ne peut être pris en considération que lorsque le vapeur est ancré au point d’arrivée convenu ou au point habituellement défini par les usages ou dans celui reconnu par les législations nationales, en cas de silence de la C/P ; notons que ce dernier cas est fort rare. L’envoi de la notice of readiness n’est pris en considération que lorsqu’il est effectué aux heures de bureau et pendant les jours ouvrables. Celle-ci doit indiquer l’heure approximative, ou exacte, selon ce qui est convenu – de l’engagement des opérations commerciales par l’affréteur.
129Mais, d’une façon générale, et afin de permettre à ce dernier de prendre ses dispositions, préalablement à l’envoi de la notice, des messages lui sont adressés par le capitaine du navire, selon ce qui est convenu dans les clauses de la C/P.
130En pratique, ces messages sont adressés une semaine à l’avance, confirmés soixante-douze heures et en tout état de cause ils ne doivent pas parvenir moins de vingt-quatre heures avant l’envoi de la notice, sous peine de faire reculer le point de départ des staries. Les messages indiquent l’ETA (temps estimé d’arrivée, en anglais expected time of arrival) du navire au point convenu.
131Enfin, une fois les conditions d’envoi de la notice remplies et le navire accosté au poste à quai qui lui est affecté, il reste au fréteur de rendre le vapeur effectivement prêt à entamer les opérations commerciales. Pour ce faire, il doit ouvrir les panneaux de cales et remettre celles-ci et les mâts de charge dans un état qui ne souffre pas de discussion.
132Une fois le navire à quai et lorsqu’il est prévu des déchargements partiels dans deux ou trois ports par exemple, le temps de planche pour chacune des escales doit être utilisé conformément aux termes de la C/P, sous peine de voir l’affréteur confronté aux risques de paiement de pénalités.
3. Les pénalités ou surestaries
133Si l’ensemble des conditions ont été remplies par le navire, et comme on l’a vu plus haut, les staries commencent à courir selon la formule consacrée, tout retard constaté à l’expiration du temps convenu entraîne la mise en marche d’un autre compteur, celui des surestaries (demurrage en anglais). En son art. 663, le CMA considère que si le délai de la planche est expiré avant que le chargement du navire ait été terminé, le fréteur doit laisser le navire au lieu de chargement pendant une période supplémentaire appelée surestaries convenue dans la C/P. En ce qui le concerne, le CCM édicte en son art 195 : « le temps employé à l’expiration des staries est appelé surestaries. En cas de surestaries, une indemnité forfaitaire est réglée par la convention des parties ou, à défaut, par les usages du port ».
134Les surestaries courent tout le temps que le navire n’a pas été restitué au fréteur, y compris les dimanches et jours fériés. Elles sont calculées selon un taux entendu à la journée et par fraction de jour, par tonneau de jauge, voire, plus rarement, par heure. Le montant des surestaries, qui est une pénalité dans l’ancienne acception du terme, ne doit être en principe ni supérieur ni inférieur à ce qui a été convenu, sauf s’il est prévu un temps limite à l’application des surestaries, délai au-delà duquel entre en jeu un système de pénalisation.
135Il s’agit, selon certaines clauses, la Genco par exemple, de dommages et intérêts arrêtés sur la base d’un certain pourcentage supplémentaire fixé par rapport au taux de surestaries.
136Comme indiqué plus haut, si le droit français considère que les surestaries constituent un supplément de fret, dans la commun law, par exemple, the démarrage est assimilé à des dommages et intérêts. Il arrive parfois que les temps de planche expirent alors que le navire se trouve encore au port de chargement. En pareil cas, et attendu que le navire risque de perdre un temps considérable entre la navigation et le déchargement, le fréteur a la possibilité soit de résilier le contrat, soit d’exiger des dommages-intérêts qui sont en général supérieurs au taux de surestaries, mais en tous cas assez proches du taux du marché. Certaines C/P, telle Gencon, fixent une durée maximale des surestaries, terme au-delà duquel le fréteur est libre de lever l’ancre avec la marchandise à son bord, au besoin en créant un contentieux dont l’issue lui sera certainement favorable, ou bien il exigera, en fonction de « l’humeur » du marché, des dommages et intérêts.
4. Les primes de célérité ou despatch money
137Si les surestaries sont une indemnisation du temps d’immobilisation du navire dans les ports, alors qu’il est censé transporter du fret, les despatch money constituent une prime accordée par le fréteur à l’affréteur pour lui avoir fait gagner du temps en faisant montre de célérité.
138Cette formule originale de rétribution du gain de temps démontre à l’évidence l’importance qu’accordent les fréteurs au facteur temps.
139En effet, comme on l’a vu plus haut, les charges fixes d’un navire représentent un volet tellement lourd dans la gestion d’un armateur qu’il est prêt à accorder une récompense à celui qui lui fait gagner du temps.
140Étant intéressé de la sorte, l’affréteur fera tout ce qui est en son pouvoir pour réaliser des gains en stimulant à son tour les équipes de manutention à travers la fameuse « enveloppe » que se partagent le plus légalement du monde s chefs d’équipes, les grutiers et les hommes de bord et de terre. Il est utile de souligner que le montant des despatch money est variable, mais il atteint souvent les cinquante pour cent du montant des surestaries.
141Il en est ainsi de l’art. 667 du CMA qui prévoit que le fréteur doit payer à l’affréteur, sauf convention contraire, une prime de célérité si le chargement du navire a été effectué par l’affréteur avant l’expiration des jours de planche prévus par la C/P. Si le taux de prime n’est pas fixé par la C/P, il est égal à la moitié de la rémunération pour les surestaries.
142Quand on sait que les surestaries de certains gros-porteurs se chiffrent à pas moins de 10 mille Usd la journée, le gain de quelque deux ou trois jours représente pour l’affréteur une aubaine dont il n’hésitera pas à profiter.
143Il faut savoir par ailleurs que les despatch money sont facultatifs ; c’est de la négociation (selon que le marché soit dépressif, euphorique, ou que le port est capable ou non de réaliser de bonnes cadences de manutention), que la décision est prise entre les parties à la convention de prévoir ou non des primes de célérité.
144En outre, la prime est accordée, certes, en fonction du nombre de jours gagnés, mais sans distinction entre les journées ouvrables et les dimanches ou jours fériés.
145En théorie, l’octroi et le calcul des despatch money paraît simple, mais en réalité de nombreuses difficultés peuvent surgir, notamment lorsque le navire gagne du temps au port de chargement et qu’il en gagne également au déchargement, alors que la C/P a prévu la réversibilité des staries (Infra).
146Les attentes imprévues telles que mauvais temps, glace, grèves, fait du prince, défaut de fonctionnement des engins portuaires, et tout ce qui relève du cas de la force majeure, peuvent avoir également des incidences sur le calcul des primes et, en conséquence, sur leur octroi.
V. Aspects juridiques de l’affrètement
A. Les aspects juridiques de l’affrètement à temps
1. Dommages à la marchandise et au navire
147Le terme dommage désigne une perte, un dégât, une avarie, un manquant qui cause à autrui un préjudice. Comme tel, il oblige celui par qui il s’est produit à une réparation matérielle ou morale, sous forme de dommages-intérêts, c’est-à-dire d’un dédommagement évalué en numéraire représentant le montant du préjudice subi ou le manque à gagner.
148Les montants des dommages-intérêts sont fixés par la justice ou bien par le contrat. En Algérie, les sommes fixées par la justice en guise de dédommagement sont tellement dérisoires, car n’obéissant pas au principe du loyer de l’argent, qu’il est préférable de fixer préalablement et explicitement le montant de la réparation à devoir par une partie à l’autre en cas d’inexécution des clauses convenues.
2. Dommages à la cargaison
149Comme indiqué précédemment, le fréteur ayant à sa charge la gestion commerciale du navire, il est, à l’égard de l’affréteur ou du tiers détenteur du connaissement, responsable des avaries ou manquant survenus à la marchandise.
150C’est en tout cas dans ce sens que se prononce le CMA, en vertu de son art. 698 : « Le fréteur est responsable des dommages subis par la marchandise embarquée à bord du navire s’il est établi qu’ils sont dus à un manquement de ses obligations de fréteur ».
151Par contre, dans le second alinéa, le législateur algérien énonce que le fréteur n’est pas responsable de la faute nautique du capitaine ou de ses préposés. En cela, il reste fidèle à l’esprit de la Convention de Bruxelles (ratifiée par l’Algérie) qui exclut de la responsabilité du transporteur les fautes nautiques commises par le capitaine du navire ou les autres préposés.
152Dans ce contexte, la législation algérienne est moins favorable à l’endroit de l’affréteur, qui se trouve être souvent le chargeur algérien.
3. Dommages au navire
153Dans les affrètements à temps, les dommages subis par le navire soulèvent une multitude de questions, dès lors que les frontières, difficiles à cerner dans le partage de la responsabilité entre le fréteur et l’affréteur, donnent lieu à de fréquents litiges entre les parties contractantes.
154En effet, en droit, le fréteur est supposé être, vis-à-vis de l’affréteur, le seul responsable des dommages que peut subir le navire en cours de navigation, à partir du moment qu’il reste maître de la gestion nautique du navire (art. 700 du CMA).
155Vis-à-vis des détenteurs du connaissement, surtout en cas de dommages au navire et à la cargaison qu’il transporte (cas d’avaries communes), nous savons que le fréteur a la possibilité d’invoquer, aux termes de la Convention de Bruxelles de 1924 et de l’art. 803 du CMA, les cas d’exonération de la responsabilité du transporteur, dont le nombre varie selon les législations, pour autant qu’elles soient favorables aux transporteurs ou aux chargeurs.
156Ainsi, la convention précitée a prévu 19 cas exceptés, le CMA 12, le CCM 10, la Loi française 9, la Loi marocaine 6. À la faveur de ces cas d’exonération !, le fréteur, qui est en réalité le transporteur, est exonéré de sa responsabilité, par exemple si le capitaine commet une faute dans la navigation. À l’examen du CMA, on ne peut que déplorer le fait que son contenu fasse la part belle au fréteur, comme si l’Algérie était un pays de frètement. Les articles 701. 702 et 703 en sont à cet égard de bonnes illustrations. Jugeons-en par le contenu résumé de l’art. 703 :
« Le fréteur n’est pas responsable envers l’affréteur des obligations contractées par le capitaine dans les conditions prévues aux articles 701 et 702,… et des fautes commerciales commises par le capitaine ».
157En pratique, c’est davantage dans les opérations commerciales du navire (chargement, déchargement, arrimage, saisissage, etc.) que se pose le plus grand nombre de problèmes.
158S’il est admis dans les C/P à temps que l’affréteur soit responsable de l’état du navire, du fait qu’il doive le faire conduire, avec la cargaison qu’il transporte, dans des ports sûrs, il est moins évident que sa responsabilité puisse se justifier lorsque les commandes du navire relèvent d’un capitaine qu’il n’a pas engagé lui-même.
159Ainsi, l’art. 711 du CMA fait obligation à l’affréteur de restituer le navire au fréteur aux dates et lieu indiqués à la C/P dans l’état où il a été cédé à l’affréteur ; l’usure normale exceptée.
160À la lecture de cet article, une question légitime vient aussitôt à l’esprit : Quel sens le législateur entend-il donner aux termes « état et usure normale exceptée ». S’agit-il de l’état de conduite, d’ordre et de propreté du navire ou de biens qu’il ne doit pas endommager ?
161Le CMA gagnerait, dans le cadre des relivraisons de navires, à lever toutes les zones d’ombre qui émaillent tous ces points.
4. Perte de temps ou retard
162En règle générale, le fret est payé durant tout le temps que le navire est à la disposition de l’affréteur. Le montant du fret et les modalités de son application doivent être précisés dans la C/P. En l’absence de convention, ce qui est fort rare, le fret est payé d’avance par périodes d’un mois. « Le fret payé d’avance n’est pas considéré comme acquis à tout événement » (CMA, art. 708, alinéa 2). Ce qui signifie concrètement que cette somme d’argent ne servira exclusivement qu’à payer le fret. Le principe régissant la responsabilité en matière de temps perdu repose sur la notion du paiement du fréteur pour toute la durée que le navire est à la disposition de l’affréteur, qu’il soit employé ou pas. II appartient par voie de conséquence à ce dernier de veiller à une utilisation rationnelle et judicieuse du navire afin de permettre au fréteur de faire face à ses dépenses d’exploitation courante, comme déjà indiqué dans la daily cost du navire. Du reste, l’art. 707 du CMA pénalise lourdement l’affréteur si l’inaptitude du navire provient de son fait ou par la faute de ses préposés. En ce cas, en effet, le fréteur a droit, outre le paiement par l’affréteur du montant du loyer, à une indemnisation convenable en compensation du temps perdu. Cependant, lorsque la perte de temps est imputable au fréteur, du fait de la non-utilisation commerciale du navire, notamment pour panne technique, déficience d’hommes ou toutes autres raisons analogues, le fret n’est pas dû durant toute la période où le vapeur est immobilisé (art. 710 du CMA). Cette clause, contenue dans la plupart des C/P, s’appelle clause de suspension de tout loyer payé d’avance sera révisé au prorata du nombre de jours de retard occasionné. Toutefois, l’art. 719 introduit une nuance de taille confirmant la tendance du CMA à être par trop favorable à l’égard du fréteur, en ce sens que cette clause n’est pas de nature à limiter les inévitables palabres qui s’ensuivent si l’affréteur ne prend pas suffisamment de précautions quant aux clauses de suspension de loyer qui doivent être expressément et spécifiquement mentionnées dans la C/P.
163En effet, aux termes de cet article, le fréteur est responsable de tout dommage résultant d’un retard qui lui est imputable ou de la perte du navire ou du fait qu’il est devenu irréparable, à moins qu’il ne prouve que ces événements soient survenus sans aucune faute ou négligence de sa part ou de quelqu’un pour qui il est responsable. Dans un tel cas de figure, le partage des risques entre les parties à la convention devient à coup sûr inévitable.
VI. Aspects juridiques de l’affrètement au voyage
A. Pertes et manquants
164En règle générale, dans l’affrètement au voyage, les parties au contrat prévoient des clauses de responsabilité, notamment celle du fréteur à l’égard de l’affréteur, pour perte, manquant et avarie des marchandises. C’est en partant du principe que le fréteur est tenu de présenter et de maintenir le navire en bon état de navigabilité, ce qui suppose que celui-ci doit être convenablement armé pour affronter les périls de la mer, que le sens de responsabilité du fréteur prend une certaine signification, principe qui est clairement affirmé par l’art. 652 du CMA et confirmé par l’art. 653. Celui-ci stipule : « le fréteur est responsable des dommages subis par les marchandises reçues à bord par le capitaine en exécution des dispositions de la C/P ». Donc, en cas de dommage à la marchandise, cette disposition est censée faire peser sur le fréteur une présomption de responsabilité pleine et entière. Pourtant, aux termes du § 2 de l’article précité, le législateur relativise cette responsabilité en stipulant que
« le fréteur peut se libérer de cette responsabilité lorsqu’il prouve, soit qu’il a satisfait à ses obligations de fréteur, soit que les dommages ne proviennent pas d’un manquement à ses obligations, soit que les pertes et dommages sont dus à la faute nautique du capitaine ».
165Une telle stipulation nous confirme, si est besoin est, combien est grande la propension de ce code à favoriser le fréteur, qui est souvent le transporteur, au détriment de l’affréteur, généralement le chargeur. Même la Common Law, réputée être proche des positions des fréteurs-transporteurs, n’a pas retenu une telle thèse, dès lors que selon cette législation, qui se rapproche sur ce point du droit américain (Cogsa), stipule que « le fréteur encourt une responsabilité absolue, qui joue indépendamment du fait qu’il s’est montré raisonnablement diligent en mettant le navire en bon état de navigabilité ».
166Mais l’état de navigabilité du navire ne doit pas constituer une fin en soi, puisque certaines législations prévoient, avec justesse, que le fréteur doit en plus garantir la sécurité de la marchandise qui lui est confiée. Force est de constater que l’étendue de cette obligation est totalement occultée par le chapitre II du CMA consacré à l’affrètement au voyage, alors que, paradoxalement, en matière de transport sous connaissement (art. 738 et suivant du CMA) la responsabilité du transporteur est clairement et largement étendue depuis la préhension de la marchandise au port de provenance jusqu’à sa livraison au réceptionnaire au port de destination.
167En général, les clauses des C/P exonèrent le fréteur de sa responsabilité pour les pertes et avaries dues à tous les cas de force majeure, desquels sont exclus le mauvais arrimage, le manquement ou sa négligence personnelle ou celle de ses préposés, etc.
168Ces cas d’exception, que la Convention de Bruxelles a fixés au nombre de 16, dont beaucoup sont tout à fait discutables, comme évoqué plus haut, ne dispensent pas fondamentalement le fréteur de la diligence raisonnable, que les Règles de Hambourg ont repris à leur compte pour en faire le fondement de la nouvelle optique des règles de responsabilité. On laisse de côté ici les Règles de Rotterdam qui n'ont pas encore été ratifiées par un nombre suffisant de pays.
B. Lettre de réserves
169Rappelons au préalable que la remise de la marchandise suppose deux actes à ne pas confondre : l’un juridique couvert par la notion de livraison, et l’autre physique se traduisant par la délivrance de la marchandise. À la différence du transport sous connaissement, généralement effectué en lignes régulières, dans lequel les deux actes, juridique et physique, peuvent s’effectuer avec un certain intervalle, dès lors que le transporteur a la garde de la marchandise jusqu’à son retrait par le réceptionnaire pendant un temps déterminé (Art. 739 du CMA), dans les transports sous C/P le destinataire accomplit la livraison et la délivrance presque instantanément.
170En effet, en application des clauses de nombreuses chartes-parties types (sauf si la volonté des parties en convient autrement), la responsabilité du fréteur à l’égard de l’affréteur s’arrête au point de bastingage du navire, car le fret est en général traité sous palan. Ceci implique une reconnaissance au débarquement de la marchandise par le manutentionnaire qui sera mandaté par son ayant droit.
171Notons également que dans les transports en lignes régulières le manutentionnaire opère systématiquement pour le compte du transporteur, à la différence du transport en tramping pour lequel, lorsque le contrat est conclu en fob, le manutentionnaire est requis obligatoirement par les soins du destinataire réel de la marchandise.
172En conséquence, si des avaries ou manquants sont constatés au débarquement, le manutentionnaire doit aussitôt notifier par écrit ses réserves au capitaine du navire, qui les accepte, sans quoi la marchandise est présumée « débarquée conforme » au contenu et à l’état déclarés dans le titre de transport. Si le pointage ou le constat contradictoire fait apparaître des divergences sur l’importance ou la nature de l’avarie, susceptibles de se transformer en litige entre le transporteur et le manutentionnaire, une expertise peut être régulièrement convoquée par l’une des parties qu’elle doit porter à la connaissance de l’autre.
173Dans l’hypothèse où le préposé du transporteur ne se présente pas à la convocation ou qu’il n’a pu engager à son tour une expertise contradictoire, les conclusions du rapport fait par le commissaire d’avarie, engagé par le manutentionnaire, est opposable au transporteur.
174Dans le cas contraire, c’est le manutentionnaire qui assumera à l’égard de l’ayant droit de la marchandise qui a requis ses services une responsabilité délictuelle quant aux manquants ou avaries éventuels.
C. Connaissement émis en vertu d’une C/P
175S’il est généralement admis que le connaissement est le seul document utilisé dans les transports de lignes régulières, il n’en est pas de même pour les transports réalisés sous l’empire d’un contrat d’affrètement. En effet, celui-ci présente la particularité de pouvoir utiliser des chartes-parties comme document de transport régissant les rapports contractuels entre fréteur et affréteur, mais également des connaissements. Tant que le connaissement est entre les mains du fréteur et de l’affréteur, il ne peut constituer qu’un simple reçu de la marchandise. Mais, dans les rapports entre l’affréteur et le tiers porteur, le connaissement sort du cadre du contrat de transport et acquiert une autre fonction, à savoir de titre de propriété de la marchandise.
176Une chose est sûre, il est fréquent que les connaissements accompagnent souvent des C/P, soit comme titre représentatif de la marchandise, soit en tant que preuve de la réception de la marchandise entre les mains du fréteur, soit encore comme contrat de transport venant suppléer ou préciser la volonté des parties exprimée dans la C/P. Il convient de souligner que cet état de choses ne va pas sans poser parfois des conflits, de surcroît lorsqu’il existe des contradictions entre les clauses des C/P et du connaissement.
177Précisons immédiatement que le CMA, en son art. 693, a tranché la question résolument : « A l’affrètement au voyage, les rapports entre le fréteur et l’affréteur restent régis par les dispositions de la C/P, même si, en vertu de cette charte, un connaissement a été émis ». Quid juris des rapports entre le fréteur et le porteur du connaissement ? En l’espèce, le CMA reste étrangement muet… S’agissant d’un pays de chargeurs, comme nous n’avons cessé de le dire, cette attitude ne contient pas moins de risques dans la mesure où les contrats d’affrètement sont conclus par des courtiers basés dans des places fortes du courtage international qui auraient tendance à vouloir tirer des profits de l’incapacité de certains pays à maîtriser les arcanes et subtilités des clauses implicites, voire irrationnelles, tant décriées par les pays chargeurs.
178Ceci étant, il n’est pas superflu de rappeler que le connaissement est avant tout un reçu des marchandises entre les mains du transporteur, puis devient un contrat de transport lorsque la marchandise a été chargée, et, enfin, un titre de propriété de la marchandise, détenu à un moment donné par un porteur qui se présentera au transporteur en vue de prendre possession de sa marchandise. Si, à travers les siècles, l’usage a conféré au connaissement un rôle incontournable dans les échanges internationaux, y compris au niveau du crédit documentaire, ce document ne pouvait a fortiori que confirmer cette vocation en matière de transport, qu’il soit de lignes régulières ou en tramping.
179Et ce n’est pas sans raison que la plupart des C/P contiennent des dispositions relatives à l’émission d’un connaissement dont le contenu est incorporé dans lesdites C/P.
180Dans un tel contexte, il importe que les parties contractantes veillent à éviter les contradictions entre la C/P et le connaissement, notamment au plan de la responsabilité du transporteur, faute de quoi il y aurait nuisance à la clarté du droit et au lieu d’être complémentaires, les deux documents seraient en concurrence stérile.
181Selon une règle généralement connue, le fréteur n’a pas intérêt à émettre un connaissement dont les stipulations seraient en contradiction avec celles contenues dans la C/P. En effet, dès que le connaissement quitte les mains de l’affréteur, le fréteur se trouve de facto engagé vis-à-vis du tiers porteur quant aux différentes clauses que pourrait contenir le connaissement, notamment les temps de planche, les surestaries, le fret, etc. ; évidemment si toutes ces dispositions y figurent spécifiquement. En cas d’absence ou d’omission de référence au connaissement dans la C/P, nous avons vu que le CMA dispose en règle que le connaissement est de nul effet dans les rapports entre le fréteur et l’affréteur, mais d’autres codes, comme le droit Scandinave prévoit qu’un tel document doit être émis à la demande du chargeur.
182Dans de telles circonstances, le fréteur, lorsqu’il craint d’avoir à assumer une responsabilité pénalisante, de par le contenu du connaissement, s’entoure d’un certain nombre de précautions en guise de compensation. Il en est ainsi par exemple des frets : lorsque le montant prévu dans le connaissement est inférieur à celui prévu à la C/P, le fréteur prévoit d’exiger la différence à la signature du connaissement, c’est-à-dire avant le commencement du voyage. La situation est un peu plus complexe quand il s’agit de dispositions relatives aux surestaries, dont le taux est inférieur dans le connaissement par rapport à la C/P.
183Au port de chargement, le fréteur a toujours la possibilité, lorsqu’il constate que l’affréteur a dépassé le temps de planche prévu, d’exiger de ce dernier un droit de gage sur la marchandise.
184En revanche, la question est un peu plus ardue lorsque le problème se pose à destination.
185Dans ce cas, le fréteur, qui risque de perdre le gage sur la marchandise, s’arrange avec l’affréteur pour l’insertion dans la C/P d’une disposition devant le prémunir du conflit qui pourrait naître de l’application du contenu des clauses du connaissement au détriment de celles de la C/P.
Notes de bas de page
Auteur
Fondateur en 1999 à Alger du journal des transports et de la logistique Le Phare ; formateur, conférencier et consultant auprès d’institutions algériennes et internationales
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