Préface
p. 11-15
Texte intégral
1Les éminents professeurs Pierre Bonassies, Christian Scapel et Philippe Delebecque méritent plus qu’un hommage pour leur contribution à l’évolution du droit maritime dans les pays francophones et ce en particulier à travers la formation de la plupart des spécialistes du droit maritime (Faculté de droit d’Aix en Provence et IMTM) et notamment ceux d’Afrique du Nord.
2À travers les articles qui composent le présent ouvrage intitulé « Le droit maritime dans tous ses états », leurs auteurs expriment leur reconnaissance et leur gratitude à ces fondateurs de l’École maritime d’Aix-en-Provence.
3Dans cette modeste introduction nous rendons aussi hommage à ces auteurs qui, par la diversité et la richesse de leurs contributions ont fait vibrer la matière du droit maritime à travers tant de prismes que celle-ci est mise dans tous ses états. Leur mérite est d’avoir tenté de mettre de la lumière sur des thèmes aussi divers qu’orignaux, l’originalité provenant nécessairement du fait que chacun des auteurs a traité du thème qu’il a choisi en partant du droit positif d’un ou de plusieurs pays laissant souvent la porte ouverte au jeu de la confrontation indispensable des idées que le droit comparé apporte. La mer n’est-elle pas (de par son statut tiré de la Convention internationale sur le droit de la mer), le terrain de prédilection de la concurrence entre les lois maritimes des divers États qui ont la prétention à s’appliquer aux mêmes faits juridiques.
4Chacun des auteurs a donc utilisé un angle d’éclairage. Or, on ne peut tout dévoiler qu’en exposant tout à la lumière pour que « tout ce qui est ainsi exposé devienne lui-même lumière ».
5Pour introduire le débat soulevé par les diverses idées soutenues dans les contributions des confrères, permettez-moi de faire quelques réflexions sur certains thèmes qui ont particulièrement retenu mon attention. À cette occasion, veuillez accepter mes excuses pour la faute impardonnable commise à l’égard de la plupart de mes collègues contributeurs de tous les bords de la Méditerranée et de l’Atlantique que je n’ai pas cités. Je les prie de ne pas voir dans ces omissions un signe de désintéressement de leur travail, mais une faiblesse de ma part que seule peut excuser mon incapacité à tout embrasser en raison du temps et de l’espace réservés à la rédaction de la présente préface. Le proverbe français, dit : « Qui trop embrasse mal étreint ». Piètre défense de celui qui ne reconnaît pas sa défaillance !
6Mistral, « Garbi » et « Chargui » (vent d’Est et vent d’Ouest/terminologie commune aux deux rives de la Méditerranée) sont des vents qui troublent parfois la quiétude des marins en Méditerranée ; mais ils sont là pour permettre le voyage des choses, des personnes et des idées qui accompagnent ces derniers. Et quoi qu’on dise, la Méditerranée reste l’un des berceaux de la culture humaine (Philosophie, histoire, éthique, droit.). Aussi, les réflexions qui suivent sur « le droit maritime dans tous ses états » (autant celles des auteurs de cet ouvrage que les nôtres) n’ont pas pour but de mettre encore plus d’émoi, dans les eaux parfois devenues troubles du droit maritime. Notre espoir à tous, n’est-il pas de chercher un peu de clarté dans les couleurs paisibles de l’arc-en-ciel après la tempête. Mais n’est-il pas évident par ailleurs, qu’il faut des vents de différentes directions pour faire avancer tous les voiliers qui se trouvent en mer ?
7Parmi les points traités figurent le thème de la limitation de responsabilité en droit maritime rédigé par notre confrère et ami Mustapha Khayat que je remercie à cette occasion pour l’honneur qu’il fait en me confiant la tâche d’introduire ces mélanges. Cet article m’a incité à faire les remarques suivantes.
8La limitation de responsabilité en droit maritime a pour origine le contrat de commande ou contrat de quirat repris par les Grecs à partir de contrats qui nous reviennent de la civilisation mésopotamienne1. Dans le cadre de ce genre de contrat (dont un vestige figure notamment dans les deux codes marocain et tunisien des obligations et des contrats), des capitalistes qui arment un navire ne sont responsables des dommages subis par les marchandises que dans la limite de leurs apports qui correspondent à la valeur du navire. Les marchandises étaient garantes aussi du navire, d’où la notion d’avarie commune. C’est d’ailleurs de ce genre de contrat qu’est né aussi tout le droit des sociétés commerciales/SARL et SA notamment.
9Cette institution du contrat de commande était très pratiquée au Moyen Âge par les commerçants arabes en Méditerranée qui pratiquait le transport maritime en caravane ou en solitaire. Mais ce genre de contrat était interdit en pays chrétiens car il impliquait pour eux un prêt avec intérêt. C’est grâce à une Fetwa (avis juridique d’un savant qui détient un pouvoir religieux) de Saint Thomas d’Aquin que la pratique du contrat de commande ou de prêt à la grosse aventure s’est développée dans les pays chrétiens de l’époque.
10La limitation de responsabilité a été de tout temps un mal nécessaire. On la trouvait dans les sociétés d’armateurs dont la responsabilité était limitée à la valeur des quirats ou part composant la valeur du navire et ce pour tous les dommages causés aux biens et aux personnes transportés à bord d’un navire durant le voyage. Cette limitation a évolué sous l’influence du droit anglais et a été transformée en une limitation d’un certain montant qu’on obtient en multipliant un nombre d’unités monétaires (Francs Or ou Droits de tirages spéciaux par exemple) par le nombre de tonneaux de jauges brutes du navire en question (Convention internationale de 1976 sur les créances maritimes). On la trouve aussi en matière de réparation des dommages de pollution maritime (supportée par les destinataires des produits pétroliers et par les propriétaires des navires transporteurs)… C’est un mal, dans la mesure où les principes constitutionnels tirés du respect du droit de toute personne à son intégrité physique et le respect du droit de la propriété exigent l’application du principe de la réparation intégrale : « Celui qui cause un dommage à autrui doit le réparer »/ « principe : pollueur payeur ».
11Le droit et notamment le droit maritime use – et on peut se demander s’il n’abuse pas – du droit de la limitation de la responsabilité au motif qu’en matière de réparation, la science actuarielle exige une connaissance précise de la valeur du risque à assurer.
12Les réflexions sur « le conteneur en droit maritime » de notre collègue Abderrazak Boudhar, Docteur en Droit et Capitaine au Long Cours sont très intéressantes dans la mesure où elles invitent à apporter une réflexion nouvelle sur le conteneur. M. Boudhar nous invite à prendre en considération le conteneur comme moyen de transport « à comparer avec un navire ». Cette image est très intéressante. On peut se demander si on ne devrait pas la lier à la réflexion sur la limitation de responsabilité par tonneau de jauge pour parler par exemple de limitation de responsabilité par conteneur. L’idée ne serait pas nouvelle puisqu’elle était sous-entendue dans la terminologie contestée : « unité de fret ».
13On peut se demander si les réflexions sur les conteneurs, comme « moyen de transport » ne devraient pas s’inscrire légalement dans le droit positif afin de mettre dans de nouveaux états, le débat déjà houleux sur le transport multimodal. Cette nouvelle codification va-t-elle calmer les esprits par l’unification du « régime juridique du transport multimodal par conteneur » ? Ou bien va-t-elle raviver les débats houleux relatifs à l’unification du droit maritime et le droit régissant le transport multimodal ?
14Cette législation nouvelle, ne va-t-elle pas s’opposer aux régimes juridiques instaurés par les diverses conventions internationales qui se concurrencent pour trancher les litiges relatifs au transport international de marchandises, transport qui devrait à notre sens être soumis à la loi du pays de destination dans la mesure où cette loi de police est celle du lieu d’exécution finale du contrat de transport. Si elle arrivera à prendre place à côté des anciens dieux de l’Olympe du droit maritime (Conventions internationales et notamment celles de Bruxelles), on peut se demander, si cette législation nouvelle saura aussi régir le droit de location des conteneurs (qui se trouveraient sur le territoire des divers États) et traiter notamment de la rétribution relative à la location de ces conteneurs. Actuellement, cette rétribution prend généralement de la part des transporteurs maritimes la qualification de surestaries de conteneurs (qui prend plutôt l’allure d’une clause pénale). Encore, un emprunt ou une assimilation du conteneur à un navire affrété au voyage qui comprend systématiquement des clauses de surestaries !
15Les analyses effectuées par notre confrère Mohamed Laazizi Docteur en Droit Maritime et aérien sur « la freinte de route en Droit Marocain » ont particulièrement attiré notre attention dans la mesure où ce sujet est aussi vivement débattu en Tunisie. Le droit des deux pays est similaire puisque les tribunaux des deux pays doivent appliquer normalement la Convention des Nations Unies sur le transport maritime de marchandises par mer entrée en vigueur en 1992 et que le droit constitutionnel de chacun des deux pays implique la supériorité des conventions internationales sur le droit interne. En plus, cette convention édicte dans son article 3 la nécessité de suivre un principe uniforme d’interprétation des règles de cette convention, ce qui interdit à notre sens tout recours au droit interne des États pour interpréter les dispositions de cette Convention. Cette Convention étant de par sa nature composée de règles juridiques généralement très explicites, ces règles peuvent être considérées comme autosuffisantes (self executing). Elles suffisent à elles seules à régir le contrat spécial appelé contrat de transport maritime de marchandises.
16C’est du moins ce que nous ne cessons de plaider en Tunisie devant la Cour de cassation depuis plus de 15 ans. Plus de 40 arrêts de la Cour de cassation portent sur cette question2.
17Fréquemment, nous plaidons dans l’intérêt des destinataires que le connaissement est un titre représentatif de la marchandise et qu’en application de l’article 16, le transporteur qui a délivré un connaissement sans réserve (Clean on Board) est tenu de livrer la marchandise telle que décrite dans le connaissement (quantité et qualité). En conséquence, si le transporteur veut déroger à cette règle, il doit inscrire une réserve sur le connaissement notamment lorsqu’il prévoit l’existence d’une freinte de route (et ce conformément aux dispositions de l’article 17 de la Convention). À cet effet, il doit donc mentionner sur connaissement le pourcentage de perte dans la cargaison qu’il estime que les conditions climatiques et la durée du voyage peuvent engendrer (perte de poids ou de volume).
18Cette règle figurait dans le code tunisien des obligations et des contrats de 1906 qui a inspiré le Dahir marocain portant le même nom. Elle est reprise en d’autres termes dans les articles 16 et 17 de la Convention des Nations Unies de 1978.
19Dans ce genre d’affaires, nous plaidons aussi à titre subsidiaire par exemple que le chiffre de perte de 0,5 % d’une cargaison de blé de 20 000 tonnes (soit 100 tonnes) transportée durant quelques jours d’un port situé en mer Noire à un port situé en Tunisie ne se justifie pas scientifiquement. En effet, si pour un voyage aussi court, il y avait une perte si importante, pour un voyage des États Unis ou d’Australie, la perte serait de 15 à 20 fois supérieure au chiffre de 0,5 % ! Cela est invraisemblable.
20En plus, nous signalons que l’usage dans les pays d’Islam et d’après notre saint Coran, c’est que le vendeur doit toujours livrer un peu plus que le poids convenu (oufou al kail wa la toukhsirou al mizen). De ce fait, dans les ports situés dans les pays d’Islam, on ne saurait admettre « l’usage » de la freinte de route.
21Quant aux pertes de poids par dispersion au moment du déchargent, il est admis qu’elles n’entrent pas dans la définition de la freinte de route.
22Ce genre de plaidoyer porte souvent ses fruits, mais il est révélateur d’un autre côté de deux anomalies graves du système judiciaire tunisien.
23D’abord, il y a absence d’une vision uniforme du problème par les diverses chambres des Cours d’appel et de la Cour de cassation (qui est composée de 24 chambres). Il suffit que le dossier soit présenté devant telle ou telle chambre pour que l’affaire soit gagnée ou perdue). Quelques rares tentatives de mener le problème jusqu’aux Chambres Réunies n’ont pas eu beaucoup de succès.
24Le deuxième problème réside dans le fait que certains juges se déchargent de leur responsabilité de trancher le litige pour déléguer la décision (qui est à caractère juridique) aux experts maritimes qui ont une connaissance juridique limitée.
25Finalement, on peut dire que si le droit maritime est dans tous ses états, il l’est autant à propos des règles de droit applicable (au sens du Droit international privé), qu’à propos des règles matérielles telles que celles relatives à la limitation de responsabilité, les règles qui régissent le transport de conteneurs, la freinte de routes ou autres.
Notes de bas de page
1 J. Dauvillier, « Recherches sur un contrat caravanier babylonien et sur le prêt à la grosse aventure dans l’antiquité grecque », Mélanges Gabriel Marty, p. 341, Toulouse.
2 Revue de législation et de jurisprudence, n° de décembre 2007, Centre de législation et de jurisprudence, Ministère de la justice, Tunis 2007-2008.
Auteur
Professeur de droit international privé et de droit maritime (Université de Tunis), Avocat à la Cour de cassation (Barreau de Tunis), Expert maritime (diplômé de l’École d’Administration des affaires maritimes de Bordeaux)
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