Introduction au titre I
p. 409-412
Texte intégral
1566. À supposer que la réglementation consumériste ait eu pour fin de créer un système autonome de protection des consommateurs, indépendant des règles classiques, l'échec est patent1583. Par ailleurs, la considération selon laquelle le Code de la consommation a limité son renvoi aux seuls articles 1641 à 1648 du Code civil ne peut pas vouloir signifier que les dispositions du droit commun des contrats qui n'ont pas été expressément visées n'ont aucune place à tenir dans le droit de la consommation1584. Pour vivre, pour fonctionner, les normes protectrices ne peuvent se dispenser des ressources de la théorie générale du contrat. Encore faut-il déterminer la nature de leurs rapports.
2567. La nature des rapports qu'entretiennent le droit de la consommation et la théorie générale du contrat est étroitement liée à la qualité du regroupement que constitue le premier. La distinction précédemment élaborée entre les concepts d'ensemble et de rassemblement doit présenter ici un intérêt particulier. Si, ainsi que cela a été avancé, l'ensemble, en tant que corps de règles d'application généralisée à tous les éléments qui en relèvent1585, n'existe qu'en opposition à la théorie générale du contrat, l'ensemble doit pouvoir s'opposer à l'immixtion de la théorie générale lorsqu'apparaissent des lacunes dans sa réglementation. Si l'on est, en revanche, en présence d'un simple rassemblement, la conclusion inverse doit s'imposer.
3568. S'agissant d'un ensemble, caractérisé par la présence d'un droit commun de la discipline considérée, le juge est tenu de rechercher et est en principe à même de trouver dans ce droit commun les ressources nécessaires à la résolution des litiges qui lui sont soumis. Le recours à la théorie générale n'est pas pour autant proscrit. Il revêt néanmoins un caractère éminemment ponctuel. En théorie, le recours au droit commun des contrats doit pouvoir être envisagé dans deux types d'hypothèses.
4La première est qu'aucune règle de la discipline nouvelle ne soit à même de permettre la résolution du litige, soit parce que la question ne relève pas du champ d'application du droit spécial, soit parce que les règles présentes ne donnent pas de réponse, ce qui est certes parfaitement envisageable, mais qui devrait se révéler peu fréquent en présence de principes généraux du droit spécial. Encore faut-il vérifier, en cette hypothèse, que l'intrusion des normes générales ne détruise pas la cohérence de l'ensemble1586.
5La seconde hypothèse est celle d'un litige qu'il paraît plus opportun de trancher par le biais de techniques relevant de la théorie générale du contrat, parce qu'elles conduisent par exemple à un résultat plus juste. La doctrine a en effet démontré, qu'au risque de se scléroser, tout droit doit pouvoir emprunter à la théorie générale et, même, que cette dernière conduit parfois à des solutions plus en phase avec l'esprit de la discipline particulière1587.
6La présence d'un ensemble devrait rendre en conséquence l'application de la théorie générale, non seulement peu fréquente, mais encore facultative. En réalité, plus que le caractère quantitatif, c'est le caractère de pure opportunité qui nous semble caractériser le mieux le recours à la théorie générale en présence d'un ensemble. Compte tenu de leur latitude d'action, la position des juges optant pour une solution tirée du droit spécial ou une autre tirée des règles classiques sera en définitive révélatrice de leur réceptivité vis à vis du droit spécial, c'est-à-dire de leur volonté de consolider la formation d'un ensemble autonome1588 ou d'en minimiser le particularisme.
7569. En présence d'un rassemblement, la position des juges est tout autre. Puisque le rassemblement n'est que le réceptacle de règles animées par une finalité commune, qu'il n'a aucune valeur juridique propre, le droit commun des contrats reste le droit naturellement applicable, un droit par rapport auquel les dispositions spéciales doivent être considérées comme des mesures d'exceptions. Lorsque la réglementation spéciale laisse apparaître des vides, la théorie générale du contrat a naturellement vocation à s'y immiscer. À une immixtion ponctuelle et facultative caractéristique de l'ensemble s'oppose en conséquence une immixtion systématique et obligatoire. À dire vrai néanmoins, ce n'est pas tant d'immixtion qu'il faut ici parler, que de maintien de la théorie générale du contrat. Des deux droits en effet, c'est la théorie générale du contrat qui est l'élément de référence, les règles protectrices du consommateur n'étant susceptibles de se prévaloir que d'un statut secondaire, d'un statut d'exception. Dès lors, pour être tout à fait exact, on ne devrait pas considérer que la théorie générale du contrat vient s'immiscer dans le droit de la consommation, mais que la théorie générale du contrat, qui accepte de céder sa place devant les règles particulières, maintient sa position dès que l'on sort du strict champ d'application de la législation spéciale.
8Cela est vrai bien sûr lorsque le litige est clairement exclu du champ d'application de la législation spéciale1589. Cela est vrai encore lorsque le litige relève apparemment du champ d'application du droit spécial, mais qu'il fait apparaître une problématique qui n'a pas reçu dans ce droit de réponse particulière. En l'absence d'intervention du droit spécial sur ces points, s'appliquent ainsi les règles classiques en matière d'intérêts moratoires1590 ou de preuve1591. Cela est vrai surtout lorsque le litige est susceptible d'être réglé par le recours à une norme particulière dont le régime n'a pas été complètement défini ou défini de manière imprécise. Que la règle relève du droit spécial ne doit pas autoriser le juge à l'interpréter ou à la compléter hors du droit commun de référence.
9570. Toutefois, on détecte parfois dans cette dernière hypothèse une volonté de la doctrine ou des tribunaux de se détacher de la solution du droit commun pour élaborer une solution en phase avec l'esprit du droit spécial ou avec le particularisme de la disposition en cause. Sur le terrain du rassemblement, il ne faut pas se cacher qu'en adoptant cette attitude, le juge opère contra legem. Néanmoins, tout comme le comportement des juges en présence d'un ensemble, le recours ou l'absence de recours par ces derniers à des solutions tirées du droit spécial, en présence d'un rassemblement, sera révélateur de l'idée qu'ils se font de ce regroupement. Alors qu'une interprétation stricte sera le signe d'une forme de défiance, une adhésion au droit spécial les conduira à marquer le particularisme de ses normes, voire même à tenter d'élaborer un ensemble à partir du rassemblement.
10571. Dans les développements qui suivent, on va en conséquence s'employer à déterminer l'attitude des juges face au rassemblement que constitue le droit de la consommation. On se demandera s'ils interprètent et complètent, comme ils en ont l'obligation, les dispositions spéciales conformément aux règles de la théorie générale du contrat ou s'ils s'autorisent, en certaines occasions, à se détacher du droit commun de référence pour adopter des solutions autonomes, tirées de l'esprit du droit nouveau.
11Le degré d'immixtion de la théorie générale du contrat dans le droit de la consommation sera mesuré tant au regard des dispositions qui, au sein du droit spécial, s'efforcent d'établir un équilibre entre les deux partenaires que sont le professionnel et le consommateur (Chapitre I), que de celles qui s'efforcent d'établir un équilibre contractuel (Chapitre II)1592.
Notes de bas de page
1583 S. Piedelièvre, Remarques sur les sanctions civiles dans les dispositions relatives à l'information et à la protection des emprunteurs dans le domaine immobilier. JCP 1995, éd. N, 1, p. 894, n° 32.
1584 G. Raymond, Bienvenue au Code de la consommation, Contrats-conc-consom. 1993, chr. 8, p. 3 ; D. Bureau, Remarques sur la codification du droit de la consommation, D. 1994, chr. 297, n° 29.
1585 V. supra n° 349.
1586 Ph. Jestaz, L'évolution du droit des contrats spéciaux dans la loi depuis 1945, in L'évolution contemporaine du droit des contrats, Journées Savatier, PUF, 1986, 119.
1587 V. supra n° 336.
1588 V. supra n° 342.
1589 Par exemple, Civ. 1ère, 20 juin 1995 (Contrats-conc.-consom. 1995, n° 200, obs. L. Leveneur), pour une location avec option d'achat dont le montant dépasse largement la somme de 140 000 F, plafond des opérations de crédit couvertes par les articles L. 311-1 et s. du Code de la consommation. Au delà, ce sont les dispositions du droit commun qui prennent le relais, dispositions qui se révèlent en l'espèce favorables au locataire. V. infra n° 737 et s..
1590 Civ. 1ère, 9 mai 1994, Contrats-conc.-consom. 1994, n° 182, obs. G. Raymond.
1591 Par exemple, sur l'application de l'article 1315 du Code civil, v. Civ. 1ère, 3 mai 1995, Contrats-conc.-consom. 1995, n° 175, obs. G. Raymond ; Civ. 1ère, 13 mars 1996, RJDA 1996, 1081.
1592 Parallèlement au plan adopté dans la première partie lorsqu'il s'est agi de déterminer le particularisme des dispositions composant le rassemblement qu'est le droit de la consommation (v. supra n° 37).
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Les sources complémentaires du droit d’auteur français
Le juge, l’Administration, les usages et le droit d’auteur
Xavier Près
2004
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De l'expérience d'ITER à la recherche d'un modèle
Virginie Mercier et Stéphanie Brunengo-Basso (dir.)
2016
La mer Méditerranée
Changement climatique et ressources durables
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