Chapitre I. La charge individuelle définitive
p. 473-498
Texte intégral
1485. La méthode consiste à déplacer une charge d’un individu à l’autre. En l’absence même d’exercice de la liberté, l’agent se verra imposer une obligation. Aussi cette technique doit-elle obéir à des objectifs précis et clairement déterminés. Les conditions doivent donc être clairement définies et faire l’objet d’une classification interne rigoureuse.
2Le déplacement du coût peut s’opérer de deux manières différentes. L’obligation peut naître pour répondre à un objectif d’anticipation. Elle a alors pour fonction d’éviter que ne se réalise un dommage dont le coût serait plus élevé que l’obligation à laquelle il est donné naissance. Cette idée désigne l’hypothèse de l’imputation a priori (Section 1). Mais elle peut aussi naître en réponse à un comportement ou au transfert indu d’une valeur. L’obligation naît alors en vertu d’une imputation a posteriori (Section 2).
SECTION 1. L’IMPUTATION A PRIORI
3L’imputation a priori désigne l’hypothèse dans laquelle l’obligation prend naissance avant même que ne se soit constituée la situation à laquelle elle doit répondre. Au lieu de traiter une situation donnée, l’obligation a alors pour finalité la création d’un environnement normatif de nature à répondre à des questions envisagées par anticipation. L’analyse de leur fondement (§1) sera le prélude à l’étude de leurs manifestations (§2).
§1. Fondement
4L’étude du fondement substantiel (A) doit logiquement précéder l’analyse du fondement technique (B).
A. Fondement substantiel
5486 Dans l’hypothèse de l’imputation a priori, l’obligation naît par anticipation. Au lieu d’apparaître comme une réponse à une situation donnée, elle participe à la création d’un environnement propice au développement de situations favorables. Aussi, si la réunion de circonstances précises en conditionne naturellement l’avènement, leur raison d’être doit être recherchée dans des évènements à venir et non pas dans le traitement d’une situation passée. Aussi les conditions de naissance de l’obligation n’ont-elles pour fonction que de désigner la personne la mieux placée pour assumer l’obligation et non pas d’obliger une personne à répondre d’une situation à laquelle elle aurait contribué à donner naissance.
6487. Les manifestations de l’imputation a priori sont diverses. Disséminées en différents domaines, elles répondent à des objectifs variés. De l’obligation d’entretien des enfants aux obligations liées à la propriété, de l’obligation fiscale aux obligations du tuteur, les exemples sont nombreux qui attestent de la multiplicité des obligations qui naissent en application de cette technique. Aussi est-il particulièrement difficile de dégager un critère unique qui en assure une parfaite homogénéité. Ainsi, chercherait-on en vain une unité à l’ensemble de ces obligations qui réside dans l’examen de leurs conditions de formation. Qu’y a-t-il de commun, sur le terrain des conditions de formation, entre les charges du tuteur et la dette fiscale, l’obligation d’entretien et les charges liées à la propriété ? Les circonstances visées sont si variées qu’elles interdisent toute tentative d’appréhension unique.
7Traditionnellement l’unité entre ces différentes obligations est proposée à travers le concept d’obligation légale. Leurs conditions de naissance étant fixées par des textes particuliers, les juristes s’accordent à y voir des obligations légales. Ce faisant, ainsi que cela a déjà été dénoncé à plusieurs reprises, les juristes retirent une utilisation abusive de l’analyse de la source formelle : aussi le fondement légal ne saurait être invoqué pour conférer une unité à certaines obligations. La loi est la source formelle de la grande majorité des obligations et ne saurait être proposée comme vecteur d’unité.
8Le ferment d’unité doit donc être recherché ailleurs. A considérer d’abord l’ordre substantiel, la justification a été développée dans le célèbre article de Marcel Planiol dédié à la classification des sources des obligations : l’auteur a opportunément mis en lumière la raison d’être commune à l’ensemble de ces obligations. Ainsi, il a fait apparaître que ces différentes obligations ont pour fonction d’éviter que ne se réalise un dommage plus important que le sacrifice demandé au débiteur : « quant à la raison qui sert de cause juridique à toutes ces obligations, on peut la découvrir par un procédé très simple : qu’on supprime par la pensée une obligation imposée par la loi à une personne ; immédiatement, on verra apparaître pour une autre personne, un danger plus ou moins considérable, le risque d’une lésion future plus ou moins proche, alors que, pour supprimer ce risque, il suffit d’imposer à quelqu’un un sacrifice moindre, et souvent nul »1603.
9488. Dès lors qu’elle naît par l’effet d’une imputation a priori, l’obligation a pour fonction d’éviter que ne se réalise un dommage plus important. Des conditions sont donc posées qui tiennent à la nature du dommage. Le risque encouru doit être d’une particulière gravité. Il n’est que de se remémorer à ce sujet les exemples délivrés par les travaux préparatoires du Code civil : « Quel serait le sort d’un malheureux, privé des soins paternels dans sa plus tendre enfance, si la loi ne réparait pas envers lui les torts de la nature ! Où serait la garantie des propriétés si nos voisins pouvaient jouir de la leur d’une manière qui compromettrait la nôtre ? »1604.
10Il serait excessif de faire peser une obligation a priori sur la tête d’un individu en l’absence de raison majeure. Cette intensité peut s’expliquer d’abord par la nature publique de l’intérêt visé : des considérations d’intérêt général peuvent expliquer la naissance de l’obligation. Ainsi, les modalités de naissance de la créance fiscale s’expliquent-elles par l’importance de l’enjeu. Il serait absurde de recourir à un mode de fixation a posteriori de la naissance de l’obligation -imaginerait-on que la déconfiture de l’Etat soit posée comme condition à la naissance de la créance fiscale ! -Mais l’importance de l’intérêt privé peut également expliquer l’emploi de ce procédé : il est fondamental qu’une personne incapable voie ses intérêts protégés par l’individu le mieux placé pour remplir cette fonction.
11De surcroît, une autre condition réside dans le caractère relativement peu dolore de la nouvelle obligation à laquelle il est donné naissance. Il serait absurde de substituer au risque d’un dommage une obligation qui serait constitutive d’une charge trop importante pour le débiteur. La naissance a priori d’une obligation doit nécessairement s’inscrire dans une politique de diminution globale de la charge : pour revêtir un sens, l’obligation doit avoir pour effet de faire obstacle à la naissance d’un dommage dont l’impact serait nettement supérieur au coût que représente l’obligation1605. Cette exigence est d’autant plus présente que le dommage évité est affecté d’un coefficient de probabilité quant à sa réalisation. Ainsi, à titre d’exemple, il n’est pas certain que l’inaccomplissement des obligations nées de la mitoyenneté ait pour conséquence la réalisation d’un dommage. La probabilité peut être élevée, il ne s’agit jamais que d’un risque. La charge que représente l’obligation doit donc être nettement inférieure au coût du dommage dont la réalisation n’est qu’éventuelle.
12Condition à la naissance de l’obligation, cette idée va également déterminer le choix de la personne du débiteur. Le débiteur sera choisi en fonction de sa capacité à remplir l’obligation. Ainsi l’obligation d’entretien et d’éducation des parents pèsera t-elle sur la tête des parents. En matière fiscale, le montant de l’impôt exigible va varier selon les revenus de l’intéressé, et d’une manière générale, sa capacité contributive : le débiteur est donc bien déterminé par considération pour sa capacité à satisfaire à son obligation.
13489. Enfin, des conditions substantielles spécifiques existent pour l’ensemble des obligations nées par imputation a priori. Chacune d’entre elle trouvera son origine dans des considérations particulières. La liste des obligations nées a priori sera limitative et ne s’étendra pas au-delà des bornes fixées par le législateur : seul le pouvoir politique sera investi de la possibilité d’en dessiner les contours. Il n’appartiendra pas au juge de donner naissance à l’obligation à partir du seul examen des critères énoncés précédemment : ces critères sont communs à l’ensemble des obligations nées a priori mais ne suffisent pas à justifier la naissance de l’obligation. Des raisons substantielles viennent s’y ajouter qui sont propres à chacune des hypothèses envisagées. Cristallisées à travers les sources formelles, elles se caractériseront par leur extrême diversité et feront obstacle à une étude unifiée.
B. Fondement technique
14L’analyse de la naissance de l’obligation (1) doit précéder celle de son extinction (2).
1. La naissance de l’obligation
15490. Dans l’ordre technique, la naissance a priori de l’obligation va naturellement suivre un régime qui sera de nature à répondre aux exigences substantielles. A l’inverse de l’approche libérale ou de la protection par déplacement vers l’assurance, la naissance a priori de l’obligation postule l’indifférence pour le passé : il n’est nullement question d’apporter une réponse à des évènements passés. Aussi, les conditions techniques de l’obligation ne peuvent-elles se trouver dans l’enchaînement des faits et l’analyse de leur propension à causer juridiquement l’obligation.
16491. Il s’ensuit que l’appréhension de la réalité ne se réalise pas sous la forme dynamique mais bien statique : en effet, si le passé est délibérément ignoré, l’avenir ne saurait être prédit. C’est donc bien la situation présente et elle seulement qui va déterminer la naissance de l’obligation. Si l’unité technique ne saurait être recherchée à travers les conditions précises de naissance des différentes obligations, elle peut être trouvée dans la méthode employée. A une technique causaliste doit être préférée une méthode de détermination statique de la source de l’obligation : ce n’est pas le déroulement d’un scénario qui conditionne la naissance de l’obligation mais un simple tableau figé, réunion de différentes circonstances appréciées sans considération pour leur histoire.
17La qualité du débiteur va donc constituer la source technique de l’obligation. La qualité est en effet parfaitement adaptée à une approche statique. Celle-ci pourra d’abord être pérenne. Ainsi les qualités de parents, de propriétaires ou de professionnel vont conditionner la naissance des obligations visées. Bien que les qualités visées ne soit pas définitives, elles s’inscrivent dans le temps et laissent aisément prise à une approche statique. Mais la qualité pourra aussi être envisagée de manière provisoire. Il en est ainsi de la qualité de contribuable. Le principe d’annualité des impôts directs va conduire à apprécier la qualité année par année.
18492. De ce que l’obligation a priori est tournée vers l’avenir et non pas le passé, il convient de déduire l’existence d’une autre caractéristique technique majeure : le dommage disparaît des conditions techniques de naissance de l’obligation. Dès lors que l’obligation n’a pas pour objet de sanctionner un état passé mais d’éviter la réalisation d’un dommage futur, il convient d’évincer le dommage des conditions de la naissance de l’obligation. Par voie de conséquence, la notion d’exposition à un risque anormal est également rayée des conditions de naissance de l’obligation : l’absence d’intérêt pour le dommage entraîne ipso facto l’absence de toute considération pour ses conditions objectives de réalisation.
19Des conséquences importantes s’en suivront : dans l’ordre technique, le dommage n’a pas pour finalité exclusive de conditionner la naissance de l’obligation dans son principe. Il a également pour fonction de la situer dans le temps et de désigner le créancier. Dès lors, devront s’opérer selon d’autres procédés ces deux objectifs assumés par le dommage.
20La première fonction sera d’abord remplie par l’analyse des éléments constitutifs de la qualité : leur réunion conditionnera naturellement la naissance de l’obligation. Nulle obligation ne pourra naître en l’absence de la qualité requise. Reste néanmoins à s’interroger sur une question laissée en suspens : la qualité va-t-elle à elle seule situer dans le temps la naissance de l’obligation ? De la réponse à cette question vont découler des conséquences importantes quant à l’appréhension technique du phénomène.
21493. L’individu peut avoir la qualité requise qu’il n’est pas nécessairement débiteur de l’obligation pour autant. A titre d’exemple, envisageons l’obligation de se clore. La clôture forcée est visée en l’article 663 du Code civil. Elle repose certes sur la tête du propriétaire, mais elle n’existe qu’à la condition que le voisin en ait sollicité la réalisation. A la différence d’autres obligations, telles que par exemple l’obligation d’entretien des enfants, ce lien de droit est encore subordonné à l’avènement d’une autre condition. A la condition passive, constituant dans l’existence d’une qualité précise, vient s’adjoindre un autre évènement : à elle seule, la notion de qualité ne peut pas expliquer la naissance de l’obligation.
22Toutefois, il serait bien hasardeux de postuler que l’obligation ne naît qu’à ce moment-là : ce choix théorique contribuerait à rendre inextricable l’appréhension technique du phénomène. En effet, si l’expression de la volonté unilatérale du voisin donne naissance à l’obligation, alors il faut considérer que l’obligation est le produit de la rencontre de cette volonté et de la qualité du débiteur. La présentation théorique de cette source d’obligation en souffrirait alors considérablement. En premier lieu, elle conduirait à une présentation boiteuse : l’obligation reposerait pour la majeure partie sur le débiteur, et pour une autre partie sur le créancier. De surcroît, il faudrait alors complètement abandonner l’idée selon laquelle il s’agit d’une obligation née par imputation a priori : dès lors qu’une manifestation de volonté est nécessaire à son avènement, l’obligation sanctionne un évènement passé et ne peut plus compter parmi les obligations a priori.
23Techniquement, il est donc préférable de recourir à une autre technique pour offrir un vêtement théorique à ce phénomène. Il convient donc de dissocier la source de l’obligation de l’évènement qui va en provoquer la naissance. A cet effet, la notion de condition suspensive peut être sollicitée. Si traditionnellement, elle intéresse les obligations nées de contrats et renvoie à l’existence de conditions prévues par les parties, aucune raison ne s’oppose à ce que la condition affecte un rapport obligatoire d’origine non conventionnelle. Appliquée à l’hypothèse de l’obligation de se clore du propriétaire, cette formulation théorique conduit à faire de l’expression de la volonté du débiteur la condition suspensive de l’obligation.
24Cet habillage théorique présente deux intérêts majeurs. Tout d’abord, il a pour vertu de maintenir l’unité entre ces différentes obligations et d’éviter l’éclatement de la théorie juridique : dès lors que la totalité des obligations naissent au moment de la réunion des éléments constitutifs de la qualité du débiteur et exclusivement à ce moment-là, il est possible d’y voir encore des obligations a priori. Le choix inverse aurait pour conséquence nécessaire de les extraire de cette catégorie sans qu’il soit pour autant possible de les rattacher aux autres ensembles existants. Par ailleurs, elle insiste sur la qualité du débiteur source de l’obligation. Pour reprendre l’exemple choisi, de manière évidente, la volonté du créancier n’est pas le fondement de cette obligation. Reléguée au simple rang d’élément déclencheur, elle passe de manière heureuse au second plan. Aussi est-il adapté d’en faire simplement la condition.
2. L’extinction de l’obligation
25494. Ainsi que cela a été relevé, l’obligation puise sa raison d’être dans l’avenir et non pas le passé. Lorsque l’on s’interroge sur la raison d’être du lien obligatoire, l’affirmation apparaît comme une vérité d’évidence. La source substantielle de l’obligation réside dans la volonté d’éviter que ne se réalise à l’avenir un dommage : c’est là la caractéristique essentielle de l’obligation a priori. L’obligation n’a de sens qu’autant qu’elle permet d’anticiper sur la réalisation éventuelle d’un dommage futur. Dans l’ordre technique, les conditions d’extinction de l’obligation doivent également être la parfaite traduction de cette idée.
26Il s’ensuit alors naturellement que la perte de la qualité juridique doit entraîner la disparition de l’obligation. Le débiteur doit être la personne qui est le mieux à même de remplir l’obligation. Dès lors que l’on considère que la source substantielle consiste dans la volonté d’éviter la réalisation d’un dommage futur, la désignation du débiteur doit être suspendue à cette exigence. Le maintien du lien obligatoire perd donc toute sa raison d’être dès lors que l’agent a perdu la qualité déterminante.
27495. Traditionnellement, la disparition de la source ne saurait certes entraîner la disparition de l’obligation. Ainsi, en matière de fait volontaire, l’exposition de la victime par l’agent à un risque anormal donne naissance à une obligation que la disparition du fait volontaire ne saurait anéantir. La différence d’approche avec les autres obligations se justifie alors pleinement : dans le cas par exemple du fait volontaire, l’obligation naît pour offrir une réponse adaptée à un évènement passé. La condition technique consistera alors dans la réalisation passée d’un dommage, conséquence de l’exposition à un risque anormal. A l’inverse, dans le cas de l’obligation a priori, le passé importe peu : seule compte la nécessité que ne se réalise un dommage à l’avenir.
28496. Sera consacré un lien fort entre la source de l’obligation et son régime. Dans l’ordre théorique, la solution est satisfaisante : la source substantielle de l’obligation va conditionner non seulement son existence mais encore sa survie. Mais dans l’ordre pratique, la solution ne l’est pas moins : il serait excessif d’exiger de l’agent qu’il s’exécute alors que précisément, les raisons pour lesquelles il a été désigné ont totalement disparu. Il serait donc totalement inique de maintenir ce lien obligatoire, alors même que la partie a perdu la qualité requise.
§2. Manifestations
29Les manifestations varieront selon que l’on dégagera un critère juridique (A) ou un critère ad hoc (B) de la qualité.
A. La qualité juridique
30Une brève présentation (1) permettra d’en dégager efficacement l’apport (2).
1. Présentation
31497. La qualité juridique désigne le parfait accord entre la qualité définie par le droit et la source de l’obligation. Ainsi, sans qu’aucune autre condition ne soit requise, la qualification juridique va à elle seule constituer le fondement technique à la naissance de l’obligation : c’est le seul lien de filiation, la qualité de professionnel ou de propriétaire qui va donner naissance à l’obligation.
32498. Le départ entre les obligations nées a priori et autres sources d’obligation doit néanmoins être réalisé. Dans son acception la plus large, la notion de qualité pourrait englober des hypothèses visées précédemment. Celui qui est doté d’une possibilité d’action sur une chose est qualifié de gardien. Il est donc nécessaire de trouver des critères de reconnaissance fiables de la qualité juridique source d’obligations.
33A la différence de la qualité juridique source d’obligations, la notion de gardien a été érigée dans le seul but de fonder la naissance de l’obligation de réparation. Il en va autrement pour les notions envisagées. Le lien de filiation ou le droit de propriété ne sont pas à l’évidence des notions qui ont été mises au jour pour fonder la naissance de l’obligation. S’il n’est sans doute pas adapté de juger cette faculté créatrice d’obligations accessoire ou extérieure à la définition même de la qualité, elle n’en fait pas moins partie d’un ensemble, enchevêtrement de droits et d’obligations : la qualité définie n’a pas pour objet exclusif la définition d’un état destiné à fonder la naissance de l’obligation.
34De surcroît, pratiquement, les deux familles sont aisées à distinguer l’une de l’autre. Les obligations a priori sont attachées à des qualités qui se caractérisent par un certain degré de permanence. Alors que la qualité de gardien peut être attribuée pour quelques instants seulement, les qualités de propriétaire ou de personne unie par un lien de filiation sont au contraire de facto attribuées pour une période plus longue. Certes, il n’y a pas là un critère technique qui permette une distinction systématique. Toutefois, cette caractéristique factuelle constitue un indicateur fiable de l’existence de cette qualité.
2. Apport de la notion
35Afin de mesurer l’intérêt de cette source d’obligation à travers l’abolition de la notion d’obligation propter rem (b), il convient de rappeler brièvement l’état de la doctrine relative à cette question (a).
a) Le système actuel : l’emprise de la notion d’obligation propter rem
36499. De nombreuses obligations fleurissent dans un environnement constitué de droits réels. La doctrine n’a en effet pas manqué d’observer que la naissance et le transfert des obligations nées en ces circonstances obéissaient à des règles spécifiques. Elle en a cherché les explications dans la nature de l’obligation. L’obligation propter rem serait une obligation d’un type particulier dont le régime suivrait le sort de la chose. Bien qu’il s’agisse d’un lien de droit unissant deux personnes, elle ne serait pas réductible à une obligation en raison du rôle joué par la chose dans la définition de son existence.
37Les exemples sont nombreux d’obligations qui répondent à ces caractéristiques. L’analyse approfondie à laquelle s’est livré Hassen Aberkane a fait apparaître que certaines naissaient du conflit de deux droits de propriété voisins1606. De nombreuses obligations s’expliquent par la volonté d’éviter l’existence d’un conflit de voisinage. Prenant corps à travers les obligations de faire1607 et de ne pas faire1608, elles constituent autant d’obligations qui ont pour objet commun d’éviter que naisse un conflit de voisinage. Mais elles peuvent également trouver leur origine dans l’existence de droits réels portant sur une même chose. Et l’auteur de distinguer les obligations naissant de l’état d’usufruitier1609, de l’état de servitude1610 et de l’état de copropriété1611. En chacune de ces hypothèses, des intérêts s’opposent sur une même chose qui justifient la naissance de l’obligation, alors destinée à prévenir des conflits éventuels. Ces différents liens obligatoires obéissent parfaitement aux caractères relevés de l’obligation a priori : loin d’être érigées en vue d’apporter une réponse à un évènement passé, elles ont pour finalité d’éviter que ne se réalise dans le futur une situation dommageable.
38Une contribution a récemment été apportée à l’étude de la notion d’obligation propter rem. Dans sa thèse de doctorat, Julien Scapel a affiné l’appréhension théorique de la notion d’obligation propter rem1612. Au-delà des différentes applications qu’il est possible d’en donner, l’auteur constate que la notion recouvre des réalités techniques différentes. Il a fait ainsi apparaître que certaines d’entre elles naissent alors que les sujets actifs et passifs sont titulaires de droits réels principaux, tandis que d’autres s’épanouissent alors qu’un seul des membres du lien de droit est tenu en raison de son droit de propriété ou de son droit réel principal. Les premières sont qualifiées par l’auteur d’obligations réelles parfaites et les secondes d’obligations réelles imparfaites. Dans le premier cas, la créance dite réelle constitue l’accessoire du droit réel et la dette réelle l’accessoire du droit réel. Il existe alors un double lien d’accessoire à principal. Les régimes s’en ressentent alors naturellement : les conditions de la transmission à titre particulier différent d’une hypothèse à l’autre. Pour l’obligation réelle parfaite, la transmission à titre particulier se réalise pleinement. A l’inverse, pour l’obligation réelle imparfaite, la transmission passive n’est pas acquise en jurisprudence1613.
39500. De l’installation en doctrine de la notion d’obligation propter rem sont nées de multiples interrogations sur la notion et partant, la distinction entre droits personnels et droits réels. La notion d’obligation propter rem complexifie l’approche de la notion de droit subjectif. A la classique distinction dualiste est substituée une distinction tryptique pour le moins hasardeuse1614 : le lien personnel, le lien réel et cette figure que l’on qualifierait volontiers d’intermédiaire. De par son appellation elle-même, il est possible d’y voir l’archétype d’une catégorie sui generis dont on peut toujours regretter la présence en doctrine. En toute rigueur, l’on pourrait encore accepter qu’une troisième catégorie soit ajoutée aux deux existantes. Mais ce serait alors à la seule condition qu’elle soit dotée véritablement d’un régime original qui justifie l’existence de cette nouvelle catégorie.
b) Apport de la notion : l’abolition de la notion d’obligation propter rem
40501. L’examen attentif de la notion laisse apparaître que l’intérêt que présente à cet égard la notion d’obligation réelle n’existe qu’en raison de l’insuffisance de la réflexion sur la notion de source. L’obligation ne doit son succès qu’à l’absence de toute considération pour la qualité juridique source d’obligations. En effet, qu’est-ce qui caractérise fondamentalement la notion et justifie une qualification propre ? Les conditions de la transmission et de l’extinction de l’obligation. L’obligation propter rem a ceci de spécifique qu’elle est transmise à l’ayant cause à titre particulier1615 et qu’elle s’éteint par le seul acte d’abandon du droit réel1616.
41Aussi, la doctrine s’est emparée du régime de l’obligation pour expliquer ces particularismes. S’il n’est pas justifié, ce choix s’explique néanmoins aisément : l’obligation est née, les particularismes qui l’affectent semblent devoir trouver leur fondement dans la nature même de l’obligation. Pourtant, l’analyse de ces particularités montre qu’elles trouvent une explication bien plus simple et adaptée dans la source de l’obligation. La transmission de l’obligation à l’ayant cause à titre particulier trouve une explication suffisante dans le processus de naissance de l’obligation lui-même : ainsi que l’ont fait apparaître les développements précédents, l’obligation ne survit pas à la disparition de la qualité juridique. L’extinction par abandon et la transmission à l’ayant cause à titre particulier s’expliquent aisément par la disparition de l’obligation initiale et la création d’une obligation nouvelle dans le second cas.
42502. Il n’y a donc là que l’application de l’idée générale exposée précédemment : l’obligation dite propter rem n’est qu’une obligation a priori parmi d’autres. Elle en suit donc le régime. Ce n’est donc pas la réalité de la chose qui, comme par enchantement ou mystification, confère un régime particulier à l’obligation mais bien la qualité juridique de la personne qui sera désignée comme débitrice de l’obligation. Il n’y a d’ailleurs qu’à constater que le régime est parfaitement identique pour les autres obligations auxquelles il peut être fait référence. Prenons à titre d’exemple l’obligation d’entretien de l’enfant. Celle-ci repose sur l’existence du lien de filiation, légitime ou naturel. Que celui-ci vienne à être détruit et alors l’obligation disparaîtra : la perte de la qualité d’ascendant va provoquer la disparition de l’obligation. Nulle discussion doctrinale ne s’est pourtant engagée sur la nature de cette obligation et la raison d’être de sa disparition. C’est que précisément celle-ci va de soi : les raisons qui fondaient son existence ont disparu.
43Ainsi, la notion d’obligation propter rem a-t-elle été dégagée par la doctrine dans l’objectif d’appréhender les obligations nées par l’effet de la propriété source d’obligations a priori. Devant les interrogations suscitées par ce phénomène obligatoire atypique, le débat a été déplacé du terrain de la source des obligations à celui de l’obligation elle-même. Le procédé est d’ailleurs caractéristique d’une doctrine tournée plus volontiers vers la notion d’obligation que la notion de source. L’obligation propter rem n’est donc rien d’autre que le fruit de l’insuffisance de la réflexion sur les sources des obligations : les interrogations qu’elle soulève peuvent être résolues par la notion de qualité de propriétaire source d’obligations.
B. La qualité ad hoc
44503. La qualité ad hoc désigne l’hypothèse dans laquelle l’état pris en considération n’a pas d’autre fonction que celle de donner naissance à l’obligation. L’ordre technique n’est donc pas adossé à un corps de règles existantes mais créé à l’effet de donner naissance à l’obligation.
45Substantiellement, le lien entre l’obligation et la qualité obéit donc à des règles qui sont spécifiques et autonomes. La qualité décrite a pour finalité unique de servir de support à la naissance de l’obligation. Elle pourra seulement renseigner sur les finalités du lien obligatoire. Elle sera toute entière pensée comme l’instrument d’une politique juridique précise et unique. A l’inverse de la qualité juridique, elle fera l’objet d’une utilisation unique qui pourra être entièrement dédiée à l’objectif poursuivi.
46504. Il n’est donc guère étonnant que la qualité ad hoc fasse l’objet d’une utilisation privilégiée en droit fiscal : il est une observation récurrente qui consiste à relever l’exigence d’autonomie et de réalisme en ce domaine. C’est que l’exigence de financement public ne saurait souffrir de la subtilité des débats juridiques portant sur la qualification des situations. La matière est en effet traversée par une exigence d’efficacité et de productivité qui doit laisser le moins d’espace possible à la discussion juridique. Celle-ci constituerait en effet autant d’interstices dans lesquels pourraient se glisser les plaideurs habiles.
47Toutefois, si l’autonomie et le réalisme du droit fiscal constituent une véritable tarte à la crème, c’est que précisément des questions subsistent quant au sens qu’il convient de donner à ces termes, et même quant à leur pertinence1617. Le terme d’autonomie peut être compris de différentes manières. Aussi le concept de qualité ad hoc est-il riche en enseignements en ce domaine. En effet, la notion d’autonomie peut laisser penser que les disciplines obéissent à des raisonnements ou des logiques totalement différents et qu’il serait par conséquent toujours vain de vouloir y puiser des enseignements ou des méthodes. Cette solution serait naturellement excessive et devrait conduire à proscrire l’idée selon laquelle le droit fiscal est autonome.
48505. A cet égard, la notion de qualité ad hoc permet d’arbitrer entre ces deux visions excessives. S’il n’existe pas une totale imperméabilité, il y a bien en revanche une certaine spécificité du droit fiscal qui réside dans l’existence de ces qualités déterminées de manière autonome. L’autonomie du droit fiscal s’explique parfaitement à l’aide de cette notion.
49Différentes originalités du droit fiscal trouvent leur explication dans l’autonomie de la qualité visée, source technique de l’obligation fiscale. Ainsi, en matière d’impôt sur les sociétés, le fait générateur est constitué par la réalisation d’un bénéfice à la clôture de l’exercice1618. Or, la réalisation d’un bénéfice constitue une réalité économique que les qualités juridiques ne traduisent que très imparfaitement. Ce bénéfice n’est pas égal à la somme des droits, par delà leur nature – réelle, personnelle ou intellectuelle - dont jouit l’individu. En atteste la méthode de comptabilisation fiscale des éléments de stock ou d’immobilisation acquis avec une clause de réserve de propriété. Le contrat opérant transfert peut être affecté d’une clause de réserve de propriété que le fait générateur de l’impôt n’en sera pas moins caractérisé : s’appliquera la règle selon laquelle les créances doivent être comptabilisées parmi les produits de l’exercice à la date de l’exécution. Le patrimoine de la société sera resté identique mais la dette comptera dans la base de l’impôt sur les sociétés. Il existe manifestement un écart entre la qualité juridique de propriétaire et le processus d’imposition. La qualité retenue a donc pour finalité exclusive de fonder la naissance de la créance fiscale.
50Un autre exemple peut être trouvé dans un autre impôt célèbre qu’est la Taxe sur la Valeur Ajoutée. Cet impôt porte sur la réalisation d’une opération juridique. Or, ce n’est pas le transfert de propriété qui constitue le fait générateur de l’impôt : l’article 1583 du Code civil ne trouve pas ici à s’appliquer. Loin de se référer à la conclusion du contrat, le Code général des impôts décide que le fait générateur est constitué par la livraison dans le cas des ventes et par la réalisation de la prestation dans le cas des prestations de services1619. Une fois encore, la qualité juridique de propriétaire est ignorée au profit de critères propres au droit fiscal.
SECTION 2. L’IMPUTATION A POSTERIORI
51L’imputation peut également opérer a posteriori. En cette hypothèse, un coût a été supporté qui doit conduire le juge à en déplacer le poids. En l’absence même de fait volontaire ou de procédé de déplacement vers l’assurance, le déplacement a été jugé nécessaire. Les hypothèses visées concernent le quasi-contrat (§1) et l’acte d’assistance (§2).
§1. Le quasi-contrat
52L’ordre substantiel doit être envisagé (A) afin d’aborder l’ordre technique (B).
A. L’ordre substantiel : le transfert indu de valeur
53Doivent être rejetés certains fondements (1) afin de déterminer le fondement substantiel retenu (2).
1. Les fondements substantiels rejetés
54Seront envisagés successivement la parenté avec le contrat (a), le fait volontaire (b) et l’équité (c).
a) La parenté avec le contrat
55506. La terminologie semble militer en faveur de ce fondement substantiel : le quasi-contrat serait quasiment un contrat. Et le souci chez les auteurs anciens d’imprimer un caractère volontaire au quasi-contrat n’a fait qu’alimenter cette thèse1620.
56Le facteur commun entre ces deux notions est extrêmement réduit. Le point de convergence se limite à la naissance d’obligations. Où l’on voit qu’en réalité la similitude se situe sur le terrain des effets et non pas des conditions de formation. Le procédé est alors largement paradoxal : afin d’apporter un sous-bassement substantiel à une source d’obligation, il revient à établir un parallèle sur le terrain des effets.
57Certes, par la négative, une autre information est contenue en cette comparaison : l’absence de caractère contractuel du quasi-contrat. Aussi, en plus de la similitude sur le terrain des effets, la parenté avec le contrat renseigne sur l’absence d’identité sur le terrain des conditions de formation. De la parenté avec le contrat, il est ainsi possible de conclure à l’absence d’accord de volonté.
58A partir de ces observations, il est possible d’affirmer qu’une obligation est née hors du cadre contractuel et lie deux agents de la même manière que le ferait un contrat. Négativement, elle renseigne sur l’absence de volonté contractuelle. Positivement, elle constitue simplement le rappel du caractère obligatoire du lien.
59Aussi apparaît avec évidence l’insuffisance de ce facteur d’homogénéisation : la naissance du lien obligatoire est un présupposé de départ et l’absence de volonté contractuelle ne saurait à elle seule tracer les contours d’une catégorie homogène. La parenté avec le contrat ne renseigne donc pas sur la source substantielle de l’obligation quasi-contractuelle.
b) Le fait volontaire
60507. Le fait volontaire est contenu en l’article 1371 du Code civil. Plus précisément, l’article évoque les « faits purement volontaires »1621.
61Cette fois-ci, le sous-bassement théorique est plus précis que le précédent. En plus de contenir en son sein les éléments de différenciation par rapport au contrat, le fait volontaire indique que l’agent a agi volontairement. Les facteurs de regroupement sont donc au nombre de deux : le quasi-contrat n’est pas accord de volonté ; il procède d’un fait volontaire.
62Mais ici encore, il s’agit d’un fondement trop maigre pour caractériser la source substantielle de l’obligation : un fait volontaire peut en effet désigner un panel de situations très variées. De l’intention de nuire à la simple réalisation d’un dommage, de multiples situations peuvent être visées. Aussi, en soi, la dénomination de fait volontaire ne saurait renseigner efficacement sur la source substantielle de l’obligation : nulle justification n’est donnée à la naissance de l’obligation.
63De surcroît, une règle majeure reste sans explication : la faute dolosive de l’appauvri constitue un fait volontaire, source de l’enrichissement. Or, loin de justifier la naissance de l’obligation, elle fait obstacle à sa naissance.
c) Le fait volontaire et licite
64508. L’introduction de la notion de licéité a pour conséquence positive de restreindre encore un peu plus le cercle des obligations quasi-contractuelles. Aussi cette définition est-elle reçue par la doctrine la plus autorisée : le doyen Carbonnier définit le quasi-contrat comme « un fait licite, volontairement accompli »1622.
65Cette définition présente l’avantage d’exclure certaines hypothèses qui cadrent mal avec la précédente. Ainsi, la faute dolosive de l’enrichi constitue un fait illicite et est donc opportunément exclue de la catégorie. Cette présentation colle donc davantage avec la réalité du quasi-contrat.
66Toutefois, pour rigoureuse qu’elle soit, cette définition ne renseigne pas sur la source substantielle de l’obligation. Si elle apporte des renseignements sur les conditions techniques de naissance de l’obligation, elle laisse pendante la question du pourquoi : la qualification de fait volontaire et licite ne contient en elle-même aucune information sur les raisons d’être de l’obligation. Aussi faut-il rechercher ailleurs la source substantielle de l’obligation.
d) L’équité
67509. L’équité a également été proposée comme fondement substantiel des obligations quasi-contractuelles1623. Dès lors qu’elle est envisagée comme source exclusive d’obligations1624 , l’équité peut désigner deux phénomènes distincts.
68510. Elle peut tout d’abord désigner un procédé de correction du droit inspiré par des considérations d’opportunité. Dans cette perspective, l’obligation quasi-contractuelle serait l’obligation née de la volonté de consacrer une solution juste : la source substantielle de l’obligation résiderait dans l’idée même de justice.
69Cette voie doit être abandonnée d’emblée. Y a-t-il un critère plus fluctuant que celui de la notion de justice ? Sauf à déformer la notion même de droit, la source substantielle d’une obligation ne saurait résider exclusivement dans l’idée même de justice. Elle serait en effet dépourvue de la fonction sélective inhérente à toute source substantielle.
70511. L’équité peut également désigner l’idée d’équilibre. L’obligation quasi-contractuelle serait destinée à établir ou rétablir un déséquilibre. Dans la première hypothèse, l’obligation quasi-contractuelle servirait à anticiper sur l’avènement d’un déséquilibre futur. Dans la seconde, l’obligation serait la réponse apportée à un déséquilibre advenu. Dans les deux cas, seule la pesée des intérêts respectifs influencerait le régime et conditionnerait la naissance de l’obligation.
71Cette voie est également à proscrire. La notion se prêterait à une approche exclusivement objective et plusieurs mécanismes des quasi-contrats resteraient alors sans explication : si le fondement des quasi-contrats était purement objectif, alors comment comprendre que l’erreur du solvens doive être démontrée en matière d’indu subjectif et que l’enrichissement sans cause soit exclu en présence d’une faute grave ou d’un dol de l’appauvri ? C’est que le fondement substantiel de l’obligation ne réside pas dans l’idée d’équilibre objectif. Si tel était le cas, aucune considération extérieure à la pesée objective des intérêts ne saurait rentrer en ligne de compte. Or, ces éléments objectifs sont déterminants pour subordonner la naissance de l’obligation.
2. Le fondement substantiel retenu
72512. Le quasi-contrat doit faire l’objet d’une définition positive qui soit suffisamment circonscrite pour constituer une catégorie homogène. De surcroît, l’énoncé de la source substantielle doit faire ressortir la raison d’être de l’obligation.
73Afin de la mettre en évidence, il faut se livrer à une étude approfondie de la notion. A cet effet, les travaux de Mélina Douchy seront d’un apport précieux1625. L’auteur s’est livré à une approche unifiée de la notion de quasi-contrat et en a fait ressortir les traits caractéristiques. Aussi est-il permis d’y puiser les matériaux nécessaires à la réflexion.
74Pour l’auteur, le quasi-contrat est constitué d’un double mouvement de déplacement de valeur : un mouvement économique à l’aller, créateur d’un déséquilibre, est la cause d’un mouvement économique en retour, lequel a pour objet le rétablissement de l’équilibre antérieur. Dans le cadre de l’étude de l’unité économique du quasi-contrat, l’auteur a démontré l’existence de ces deux étapes différenciées.
75La première constitue la sphère d’intervention du droit : pour que le droit intervienne, il est nécessaire qu’il y ait déplacement de valeur. Ainsi « Le mouvement économique, élément matériel nécessaire à tout quasi-contrat, est constitué par un déplacement de valeurs. Au départ, il y a appauvrissement et à l’arrivée enrichissement corrélatif. »1626. L’intervention du droit est donc subordonnée à l’existence d’un déplacement de valeur.
76La seconde étape définit le mode d’intervention du droit. Par l’emploi de la notion de quasi-contrat, le droit intervient en sens inverse et tend à replacer les choses en l’état antérieur : « Une personne a été appauvrie, une autre a bénéficié d’un enrichissement corrélatif, le rétablissement de l’équilibre passe par un mouvement de valeurs en sens inverse. L’opération faite en retour doit permettre l’effacement de l’opération initiale. »1627.
77Mais la condition économique du déplacement de valeur ne saurait évidemment pas à elle seule justifier le retour de la somme. Il faut encore que celle-ci soit dépourvue de cause au plan juridique. Le déplacement de valeur doit présenter certaines carctéristiques pour justifier l’intervention du droit. Il doit être dépourvu de cause objective : aucune obligation civile1628 ou naturelle1629 ne doit en constituer le fondement. Il ne doit pas non plus trouver sa source dans une cause subjective : le solvens doit être dépourvu d’intention libérale1630 et aucun aléa ne doit avoir été accepté1631.
78513. A travers son œuvre, l’auteur a abandonné la conception archaïque du quasi-contrat, défini par référence au contrat et dépourvu de tout facteur d’homogénéisation. Il existe selon l’auteur une unité au quasi-contrat qui consiste dans le transfert injustifié d’une valeur et le retour organisé de celle-ci dans le patrimoine d’origine. Ainsi a été mise en lumière la fonction du quasi-contrat : le quasi-contrat a pour fonction de rétablir l’équilibre rompu par un déplacement injustifié de valeur.
79L’œuvre de l’auteur est source de renseignements précieux sur la source substantielle de l’obligation quasi-contractuelle : il en ressort que la source substantielle du quasi-contrat réside dans le transfert indu de valeur. Le transfert de valeur se caractérise par le mouvement économique à l’aller tandis que l’absence de cause met en lumière le caractère indu du transfert.
B. L’ordre technique : consécration d’une conception stricte
80A la défense d’une conception stricte (1) succédera naturellement la consécration d’une conception stricte (2).
1. Défense d’une conception stricte
81L’analyse critique des extensions proposées (a) précédera l’exlusion de la gestion d’affaires (b).
a) Analyse critique des extensions proposées
82Deux excroissances ont été proposées : l’une est d’origine jurisprudentielle et réside dans la création de l’illusion d’un gain (1°), et l’autre est d’origine doctrinale, et consiste dans la théorie de l’apparence (2°).
1° La création illusoire d’un gain
83514. La détermination positive des sources a fait apparaître que la notion de quasi-contrat a été étendue par la jurisprudence à une hypothèse étrangère au transfert indu de valeur : la création de l’illusion d’un gain1632.
84Or, à envisager le débiteur de l’obligation, la source substantielle réside dans le fait d’avoir délibéremment donné naissance à une croyance. Activement, la source réside dans la croyance légitime en l’existence d’un engagement.
85Aussi est-il apparu que la notion d’acte juridique, telle que redéfini, présentait toutes les caractéristiques nécessaires pour appréhender cette hypothèse1633. Par son emploi, l’ordre technique rejoint parfaitement l’ordre substantiel.
86Il en résulte naturellement que la notion de quasi-contrat perd toute vocation à régir ce type de situation : il serait mal venu que deux notions techniques se chevauchent pour connaître d’une seule réalité substantielle. L’extension du quasi-contrat dans cette direction devient donc sans objet.
2° La théorie de l’apparence
87515. Le professeur Bénabent propose d’élever la théorie de l’apparence au rang de quasi-contrat. Selon l’auteur, « son mécanisme correspond parfaitement à celui d’un quasi-contrat : sans qu’il y ait eu accord de volonté entre le titulaire réel du droit et le tiers qui l’acquière, on va consacrer entre eux l’existence d’un lien de droit. »1634.
88Une fois encore, la pertinence d’une telle proposition repose sur une conception restrictive de l’acte juridique. Si l’auteur se propose de faire jouer ce rôle à la théorie de l’apparence, et partant à l’élever au rang de quasi-contrat, c’est que la définition actuelle de l’acte juridique n’apporte aucune réponse valable pour ce type de situation. Redéfini comme la libre création d’une croyance légitime, l’acte juridique permet d’embrasser ces hypothèses et leur offre une réponse valable : l’absence d’accord de volonté ne fait pas obstacle à la qualification. De la sorte, le quasi-contrat perd toute vocation à régir ce type de situation.
b) L’exclusion de la gestion d’affaires
89516. Placée traditionnellement sous la bannière du quasi-contrat, la gestion d’affaires est étudiée aux côtés de l’enrichissement sans cause et de la répétition de l’indu. Et l’avant-projet de réforme se propose de conférer à cette présentation doctrinale une consécration formelle1635. Or, ces deux notions se caractérisent par un enrichissement corrélatif à un appauvrissement. Aussi l’analyse groupée de ces différentes notions a-t-elle pour effet de distendre la notion de gestion d’affaires : en matière de gestion d’affaires, l’enrichissement n’est pas nécessaire. L’unité de la notion de quasi-contrat se fait donc au prix de la déformation de la gestion d’affaires.
90La démonstration a pourtant été faite avec éclat de l’autonomie de la notion de gestion d’affaires : dans sa thèse de Doctorat, Roger Bout s’est livré à un traitement isolé de la gestion d’affaires sans en référer à la notion de quasi-contrat1636. La force d’attraction des autres sources qualifiées de quasi-contrat s’explique donc précisément par une volonté excessive de regroupement. La commune appartenance à une politique de protection ne saurait déboucher nécessairement sur une identité technique. La gestion d’affaires ne suppose pas nécessairement l’existence d’un enrichissement.
91517. Mélina Douchy a certes défendu récemment la thèse contraire : selon l’auteur, il existe une unité à la notion de quasi-contrat, inclusive de la notion de gestion d’affaires1637. Ainsi, l’enrichissement du maître de l’affaire peut selon l’auteur constituer en une économie de dépense1638, une perte évitée1639, ou encore un enrichissement moral1640. Et l’auteur de préciser : « Il est, nous semble-t-il, exact de préférer le terme d’utilité à celui d’enrichissement lorsque la valeur déplacée n’est rien moins que le service rendu. »1641.
92La démonstration ne convainc pas. Le service rendu ne saurait caractériser l’enrichissement, condition nécessaire à l’existence d’un quasi-contrat. L’enrichissement ne peut être que la conséquence du service rendu et non pas le service lui-même. Affirmer que le service rendu constitue en soi l’enrichissement revient à nier purement et simplement l’existence d’un quelconque enrichissement. Dans ces hypothèses, l’enrichissement fait en réalité défaut : la gestion d’affaires mérite donc d’être extraite de la notion de quasi-contrat pour rejoindre la qualification d’acte de dévouement appliqué aux biens.
2. Consécration d’une conception stricte
93L’exégèse de l’avant-projet de réforme (1) précédera la proposition de redéfinition (2).
a) Exégèse de l’avant-projet de réforme
94518. En charge de l’avant-projet relatif aux quasi-contrats, le doyen Cornu a défini les quasi-contrats comme « des faits volontaires, comme la gestion sans titre de l’affaire d’autrui, le paiement de l’indu ou l’enrichissement sans cause dont il résulte, un engagement de celui qui en profite sans y avoir droit, et parfois un engagement de leur auteur envers autrui. »1642.
95D’emblée, il convient d’observer que l’avant-projet maintient la gestion d’affaires parmi les quasi-contrats. Sur ce point, la rédaction tranche avec la thèse défendue : aussi est-il permis de le regretter.
96De surcroît, la liste proposée semble consister en une liste énumérative et non pas limitative : l’adverbe « comme » est employé pour laisser la porte ouverte à la création d’autres quasi-contrats. Il semble donc qu’une vision large du quasi-contrat ait été préférée à la conception défendue.
97Toutefois les commentaires du doyen Cornu imposent de nuancer le propos : « C’est la notion même de quasi-contrat telle qu’elle ressort de l’analyse lumineuse de Jean Carbonnier qui légitime – qui exige – son maintien. Ce n’est pas un fourre-tout ». Ils ne sont pas « un amalgame de faits résiduels informes. Face au dommage causé sans droit, un avantage reçu sans droit : en ce point commun se rejoignent tous les quasi-contrats. »1643. L’auteur est donc animé par la volonté de fixer un cadre rigide à la notion. Entre la conception stricte et l’absence de facteur commun, il a opté pour une solution intermédiaire, reflet du droit positif contemporain.
b) La définition proposée
98519. Afin de mettre en adéquation le fondement substantiel et l’ordre technique, il convient d’opter pour une définition qui intégre en elle-même la notion de transfert indu de valeur. La seule parade à l’élargissement de la notion consiste dans l’inscription formelle de la notion de transfert indu. Le quasi-contrat pourra être redéfini de la manière suivante : « Les quasi-contrats sont des transferts indus de valeur dont il résulte, un engagement de celui qui en profite, sans y avoir droit, et parfois un engagement de leur auteur envers autrui. »
§2. L’acte d’assistance
99L’examen du fondement (A) permettra d’en déduire la mise en œuvre (B).
A. Fondement substantiel
100520. La société fonctionne aujourd’hui selon un schéma essentiellement individualiste. Si elles n’ont naturellement pas disparu de la société, l’entraide et la solidarité occupent une place plus modeste que par le passé. Le juriste ne saurait rester indifférent aux différents témoignages de solidarité que se portent les individus. Certes, le droit ne saurait rendre juridiquement obligatoires des comportements qui doivent relever du seul traitement par la morale. Ce serait une avancée étouffante du droit que de donner naissance à de véritables obligations civiles d’entraide. Outre que ce choix disqualifierait automatiquement ces attitudes et de les transformer en impôt ou dérivés d’impôt - corvée ? - il porterait des coups redoutables à la liberté individuelle et à la primauté de l’individu sur les contraintes sociales.
101Néanmoins, l’obligation peut ici faire son apparition a posteriori. Ces comportements altruistes peuvent en effet attirer la bienveillance du système juridique. Aussi dès lors que ceux-ci se traduisent par un dommage pour l’auteur de l’aide apportée, il n’est pas injustifié que le droit intervienne en vue d’organiser la réparation du dommage causé. Quelle que soit leur nature, cette idée peut être appliquée à l’ensemble des actes par lesquels un individu apporte gracieusement et spontanément son aide à autrui. Dans l’hypothèse où cet acte a pour conséquence la réalisation d’un dommage, il est normal que le droit apporte à son tour son aide à cet individu. Toutefois, il est hasardeux d’y voir une mesure incitative : la fonction prophylactique du droit est sans doute souvent surévaluée. Ce corps de règles a donc pour objet d’apporter une réponse satisfaisante à la réalisation d’un dommage que l’assistant aura subi en raison d’un comportement désintéressé.
102521. Encore convient-il de préciser le fondement de cette obligation. D’emblée, l’obligation a pour finalité évidente de réparer le dommage. Mais là n’est pas la source substantielle de l’obligation. Deux hypothèses peuvent alors être lancées. La première consiste à raisonner par rapport à la contribution effective qui a été apportée à la personne. Dans cette voie, il conviendrait alors de subordonner la naissance de l’obligation à l’efficacité de l’aide apportée. Dans cette perspective, il serait nécessaire que l’acte d’entraide se solde par une réussite.
103Ce choix serait assurément de nature à garantir au maximum l’intérêt du débiteur. La personne assistée ne serait débitrice de l’obligation de réparation qu’à la condition d’avoir réellement profité, sous une forme ou sous une autre, de l’intervention du créancier. Aussi, la source substantielle de l’obligation serait de nature objective : l’obligation puiserait sa raison d’être dans le service effectivement rendu, quelle que soit sa traduction matérielle. Assurément cette solution présenterait l’avantage d’éviter une réduction du patrimoine du débiteur qui peut apparaître inique à son égard : la personne assistée n’avait pas nécessairement la possibilité d’éviter la réalisation du dommage.
104Pourtant, cette solution prête le flanc à la critique. L’objectif recherché ne doit pas être d’assurer une parfaite neutralité dans le patrimoine de l’assisté. L’agent qu’il convient de protéger de manière prioritaire n’est pas l’assisté mais bien l’assistant. Entre ces deux individus, c’est en faveur de ce dernier qu’il convient d’arbitrer : l’assistant a déployé des efforts et pris délibérément un risque en faveur de l’assisté. Ses intérêts doivent donc être jugés prioritairement par rapport aux intérêts de la personne à qui il est venu en aide. C’est en cette personne qu’il faut rechercher la source substantielle de l’obligation.
105522. Envisagée activement, la source substantielle va donc consister dans l’entreprise d’assistance. L’acte d’assistance peut se révéler inefficace ; il n’en sera pas moins de nature à donner naissance à l’obligation. Seule importe chez le créancier la volonté d’apporter son aide. C’est l’acte d’assistance lui-même qui doit faire de l’assistant le créancier pour le cas où il aurait eu à souffrir d’un dommage. L’obligation est clairement la sanction positive d’un comportement louable : pendant parfait à la peine privée, elle est au profit de l’agent la juste contrepartie de son action.
106Toutefois, n’importe quel fait d’assistance ne sera pas porteur de conséquences juridiques. Il faut encore naturellement qu’il réponde à certains caractères appréciés in abstracto. Dans le cas inverse, toute vélléité d’entraide aurait pour conséquence la création du lien obligatoire en cas de dommage, serait-elle inopportune. Ce choix serait totalement excessif : toutes les initiatives ne doivent pas être sanctionnées de manière positive. Seules les initiatives opportunes doivent emporter ces conséquences.
107523. Aussi, si l’efficacité de l’entreprise ne doit faire l’objet d’aucune forme d’appréciation, en revanche, l’opportunité de celle-ci doit être analysée par le juge. Quelle que soit la forme qu’elles revêtent, les circonstances dans lesquelles l’agent a pris l’initiative feront l’objet d’une appréciation in abstracto. De leur examen, l’agent doit pouvoir légitimement croire en l’existence d’un besoin chez la personne assistée. Le bon père de famille sera convoqué pour évaluer cette perception.
108Toutefois, il ne faut pas se méprendre et appliquer à mauvais escient ce critère : il s’agit d’un acte d’assistance, qui, le cas échéant, peut reposer sur des qualités exceptionnelles chez l’agent, tel un altruisme débordant ou un sens de la solidarité particulièrement développé. Ces règles auront d’ailleurs précisément pour objet d’apporter une réponse positive à l’expression de ces caractères, lesquelles ne définissent pas le bon père de famille, mais se situent bien au-delà de ce cadre de référence. Dans ces conditions, il est impossible d’appliquer le critère du bon père de famille à l’initiative elle-même : dès lors que la réaction est improbable, le bon père de famille ne l’aurait pas eue. Mais elle ne mérite pas moins d’être sanctionnée positivement par le système juridique. Bien au contraire, elle doit d’autant plus appeler un traitement favorable qu’elle est le fruit de qualités hors du commun.
109Aussi le critère du bon père de famille doit-il être appliqué précisément à la perception de la situation et non pas à l’initiative elle-même. Le juge doit simplement s’assurer que l’agent avait simplement une perception de la réalité telle qu’il puisse légitimement croire en l’existence d’une difficulté particulière chez l’agent. De la sorte, l’opportunité de l’aide apportée fera l’objet d’une appréciation suffisante : ne seront prises en considération que les attitudes qui reposent sur une appréciation raisonnable de la réalité.
110524. Mais il serait toutefois encore incomplet de s’en tenir à l’application de ce critère in abstracto. Il est également impératif que l’agent lui-même ait été animé par la volonté de servir les intérêts du tiers. L’absence d’intention altruiste doit faire obstacle à la créance de réparation : cette obligation a posteriori a pour fondement l’existence d’un acte d’assistance. Il est donc totalement exclu d’attacher des conséquences à un comportement intéressé.
111La question se pose alors naturellement de savoir si l’existence d’un intérêt partagé doit ou non empêcher le jeu de ces règles. L’agent peut en effet protéger ses intérêts en même temps qu’il apporte une aide véritable au tiers et gère utilement ses affaires. Faut-il privilégier l’intention altruiste, serait-elle partielle, ou au contraire considérer que l’existence d’un intérêt en annule en totalité les effets ? La seconde solution ferait obstacle à la réparation d’un dommage que l’intéressé aurait pu néanmoins pu choisir d’éviter, et laisser périr ses intérêts, d’une part, et ceux du tiers, d’autre part. Dans ces conditions, il semble qu’il soit préférable de décider que la communauté d’intérêts ne fait pas obstacle à la naissance de l’obligation.
B. Mise en œuvre technique
112L’étude de la mise en oeuvre suppose d’envisager les hypothèses d’application (1) avant d’aborder le régime (2).
1. Hypothèses
113Il convient de distinguer l’aide apportée selon qu’elle s’applique aux personnes (a) ou aux biens (b).
a) Les personnes
114525. En matière d’assistance apportée à autrui rôde le spectre de la convention d’assistance bénévole. Dénoncée comme un phénomène perturbateur et inapproprié dans le cadre de l’appréhension des sources substantielles, elle est naturellement exclue de l’approche libérale. Il est en effet regrettable que l’acte juridique se soit saisi de ce type de situation.
115Aussi l’espace est désormais laissé vacant à un mécanisme de réparation des dommages causés aux personnes en cas d’assistance volontaire portée à autrui. Du rejet de la notion de convention d’assistance va découler naturellement la vocation indemnitaire de la notion d’acte d’assistance. Nul double emploi ne résultera de cette application aux personnes de la notion.
116526. Au plan théorique les conséquences seront diverses. En premier lieu, cette voie va mettre en conformité totale la source technique et la source substantielle. Quel est l’objectif recherché ? Apporter une réponse satisfaisante aux dommages causés aux personnes qui ont tenté d’apporter leur aide à autrui. Pourquoi donc aller chercher ailleurs que dans la notion d’assistance la réponse aux problèmes posés par ce type de situations ? Dès lors que la notion s’intègre naturellement dans une théorie des sources structurée, il est bien dommage de se priver de son emploi. Il y a bien là une application parfaite d’une obligation qui naît a posteriori par déplacement du coût. L’ordre technique épouse parfaitement l’ordre substantiel sans qu’il soit besoin de passer par le détour de raisonnements ou de notions manifestement inadaptés.
117De surcroît, par l’emploi proposé de cette notion simple, l’acte juridique est indirectement mis à l’abri d’une utilisation détournée. Le processus d’érosion dont il a été victime l’épargnera désormais : le recours inapproprié à une notion s’explique en effet par l’existence d’un vide que la pratique vient combler inexorablement à l’aide des instruments qu’elle a à sa disposition. L’élévation de la notion d’acte d’assistance au rang de source technique va avoir pour effet de ruiner les velléités de ceux qui voient dans la convention une réponse à ces questions.
b) Les biens
118527. La gestion des biens d’autrui est aujourd’hui encadrée par la notion de gestion d’affaires. Elle est la traduction parfaite de l’acte de dévouement appliqué aux biens. Visées aux articles 1372 et suivants du Code civil, ces règles ont pour objet d’offrir une réponse juridique adaptée à l’individu qui, gérant les affaires d’autrui a supporté un coût. La gestion d’affaires est mise au service de la politique de transfert des coûts appliquée aux biens. Ainsi, il est possible de la placer sous la bannière des obligations nées par déplacement du coût1644. Conséquence du comportement du gérant, elle est un exemple d’obligation née a posteriori.
2. Régime
119Deux traits essentiels doivent caractériser l’acte d’assistance : l’opportunité de l’initiative (a) et la volonté d’aider (b).
a) L’opportunité de l’initiative
120528. L’exigence d’opportunité ressort directement des développements précédents. Elle a pour objet de laisser sans réponse l’agent qui doit supporter un coût en raison d’une demande intempestive. Il n’est donc pas étonnant qu’elle ait reçu les faveurs de la jurisprudence.
121529. Pour l’assistance à la personne elle-même, l’opportunité ne doit pas être confondue avec l’efficacité de l’entreprise. Plus encore qu’en matière de gestion des biens, l’idée semble frappée au coin du bon sens : ce choix serait politiquement regrettable et pratiquement impossible à mettre en oeuvre. Imagine-t-on un juge s’interroger sur l’opportunité de l’entreprise par considération pour l’état dans lequel la personne assistée aura été placée suite à l’intervention de l’agent ? Si ce type de questionnement est acceptable en matière de biens, il doit être totalement proscrit pour les personnes : il a le parfum d’un matérialisme que l’éthique et le droit doivent condamner à l’unisson.
122Reste néanmoins à déterminer le seuil à partir duquel l’initiative pourra être jugée opportune. Toute forme d’assistance à la personne ne doit pas se traduire par l’obligation pour l’assisté de réparer le dommage éventuellement subi. Une première solution vient à l’esprit : l’acte d’assistance n’existe qu’autant que la personne assistée était exposée à un danger éminent. C’est d’ailleurs là la définition retenue par un auteur qui a consacré un article à la notion d’acte de dévouement1645. Cette solution présenterait l’avantage de la simplicité : si, à l’instar de l’ensemble des notions juridiques son application pourrait faire l’objet de contestation, elle présente comme atout d’être opérationnelle. L’exposition à un danger éminent peut être caractérisé aisément et serait une ligne de démarcation tranchée entre l’obligation et l’absence d’obligation. De surcroît, ce critère serait le meilleur rempart contre les récompenses aux ingérences intempestives dans la vie d’autrui. En définissant de manière restrictive l’acte de dévouement, il est la meilleure garantie contre les possibles excès de générosité du système juridique.
123Malgré les avantages qu’elle présente, cette solution ne paraît pas devoir être consacrée. D’abord, elle n’est guère respectueuse du sens même de la notion. Par définition, l’acte d’assistance ne se réduit pas à l’assistance portée aux personnes en danger. En plus de s’appliquer aux biens, la notion doit s’appliquer plus largement aux personnes : l’assistance désigne un comportement qui dépasse largement le champ de la seule aide apportée aux personnes placées en situation d’extrême difficulté. Mais surtout, cette solution n’est pas de nature à satisfaire l’objectif recherché. Il ne s’agit pas seulement d’apporter une réponse à la solidarité qui s’exprime dans les moments périlleux. La solution est trop stricte : elle consiste à bouter en dehors du régime protecteur des hypothèses dans lesquelles l’agent aura apporté son aide à autrui par altruisme. Et pratiquement, les hypothèses dans lesquelles la vie ou l’intégrité physique de la personne assistée n’était pas menacées sont encore les plus nombreuses. L’idée de solidarité n’en est pas moins présente qui justifie que l’on ait recours à un régime de protection. Et l’analyse du droit positif en atteste : l’étude des décisions rendues sur le fondement de la convention d’assistance laisse apparaître que le juge ne s’arrêtait pas à l’absence de danger éminent1646. Si le détour technique emprunté était regrettable, le champ conféré à la réparation était parfaitement justifié. Et il serait pour le moins paradoxal que la découverte d’un fondement technique adapté se traduise par la réduction de l’impact positif de l’idée consacrée.
124La réception du concept doit donc se trouver élargie à des hypothèses extérieures à l’assistance à la personne exposée à un danger éminent. Mais une limite doit néanmoins être posée : toutes les manifestations d’entraide ou de solidarité ne sauraient donner lieu, en cas de dommage, à la naissance de l’obligation. Une définition trop large de l’acte de d’assistance conduirait à y inclure l’ensemble des actes de courtoisie ou de complaisance. Or, ces hypothèses sont trop nombreuses pour pouvoir fonder une action. Et surtout, elles répondent mal à la définition de l’opportunité. Si la notion n’exige pas l’existence d’un péril éminent, elle suppose néanmoins qu’un besoin spécifique justifie l’intervention.
125530. Que l’entraide ait été sollicitée ou pas, elle doit être la réponse offerte à une situation spécifique dans laquelle était plongé l’assisté, source de difficultés évidentes. Celle-ci pourra être aisément caractérisée de manière négative : il est possible de s’interroger sur les conséquences de l’absence d’intervention de l’assistant. Pour que la notion revête une signification, il est indispensable que l’inertie ait selon toute probabilité laissé l’assisté dans une situation d’embarras manifeste. Certes, la ligne de partage entre acte de courtoisie et acte d’assistance n’est pas aisée à manier dans la pratique. Mais c’est bien là la conséquence nécessaire -quoique regrettable -de la prise en compte par le droit de ce phénomène. Cette zone d’insécurité juridique n’est rien d’autre que la contrepartie à l’intérêt porté par le juriste à ce type de comportement.
126En matière de biens, la notion d’utilité ressort du texte de la loi. L’article 1375 du Code civil fait référence aux « dépenses utiles et nécessaires » engagées par le gérant et limite les remboursements du maître de l’affaire à cette somme. L’utilité est sollicitée pour déterminer le montant des dépenses qui pourront faire l’objet d’une indemnisation. Aussi la jurisprudence a-t-elle fait sienne cette condition en érigeant la notion d’utilité au rang d’élément constitutif de la gestion d’affaires : il n’y a de gestion d’affaires qu’autant que celle-ci est utile1647.
127Même appliqué aux biens, l’acte d’assistance garde toute sa spécificité. L’objectif n’est pas de rétablir un déséquilibre rompu mais de sanctionner positivement l’initiative solidaire. N’est donc pas prise en considération l’utilité finale de l’opération mais l’opportunité de l’initiative. Aussi l’utilité doit être appréciée au moment où celle-ci a été entreprise1648 : pas plus qu’en matière d’assistance aux personnes, l’utilité ne saurait être confondue avec l’efficacité de l’opération1649.
128531. L’unité d’approche est donc assurée entre l’assistance apportée aux personnes et l’aide apportée à la gestion des biens. Seront d’abord choisis les mêmes objets d’évaluation : l’utilité est appréciée au stade de l’initiative et non pas du résultat. Dans les deux hypothèses, l’utilité n’est pas synonyme d’efficacité mais bien d’opportunité de l’intervention. De surcroît, toute forme d’initiative ne doit pas avoir pour conséquence nécessaire de donner naissance à l’obligation de réparation. Un besoin spécifique doit justifier l’intervention du gérant : appliquée à un objet différent, la définition retenue est identique à celle qui est appliquée en matière de personnes.
b) L’intention altruiste
129532. Pour que soit caractérisé l’acte d’assistance, l’agent doit avoir agi dans une intention altruiste. Il ne doit donc pas avoir été guidé par la volonté de remplir une obligation. Aussi va se poser la question de l’environnement normatif : de l’existence d’une règle prescriptive, faut-il conclure nécessairement à l’absence d’intention altruiste ? La question a été posée pour les obligations civiles comme les obligations pénales.
130533. En matière d’obligation civile, la jurisprudence est claire : l’existence d’une obligation préexistante est incompatible avec la gestion d’affaires. Et la solution vaut quelle que soit la source de l’obligation : elle est valable pour une obligation d’origine conventionnelle1650 mais également pour une obligation extra-contractuelle1651. Ce choix se justifie pleinement : en ces circonstances, l’agent a nécessairement conscience d’accomplir une obligation. Mieux : le mobile qui l’anime consiste dans la réalisation de cette obligation. L’intention altruiste n’est donc pas caractérisée.
131De cette solution acceptable, la doctrine en a parfois déduit que la même solution devait s’appliquer en présence d’un impératif pénal. L’incrimination pénale de non-assistance à personne en danger disqualifierait l’intention altruiste.
132Deux types de considération interdisent toutefois de défendre cette thèse. Tout d’abord, l’obligation civile n’est pas la prescription pénale. Tandis que l’obligation civile met en lien un débiteur et un créancier, l’incrimination pénale n’obéit pas à la définition de l’obligation stricte. Elle est un simple impératif de comportement et est donc définie exclusivement par rapport au débiteur et non par référence au créancier. Aussi de cette différence importante de qualification peut résulter une différence de régime. De surcroît, l’analyse des faits laisse apparaître que cette différence de régime se justifierait pleinement : comment peut-on affirmer de façon réaliste que l’individu qui porte assistance à une personne en danger est animé par la volonté de respecter les prescriptions du droit pénal ? Assurément, non : le désir d’apporter son aide à l’individu l’emporte de toute évidence sur toute autre forme de considération. L’analyse des faits laisse apparaître clairement le clivage entre l’obligation civile préexistante et l’impératif pénal : entre l’avènement de l’obligation civile et l’acte de gestion s’écoule une période dont la durée peut laisser supposer que l’agent, loin d’obéir à la volonté spontanée de gérer les affaires d’autrui, n’a fait que procéder à l’évaluation de ses obligations, et réfléchir aux moyens d’y satisfaire. A l’inverse, imagine-t-on un passant se livrer à une réflexion juridique avant de porter secours à une personne en danger ? Appliquées aux personnes en périls, les conditions matérielles d’assistance interdisent de penser que l’agent était dépourvu de l’intention altruiste. L’existence de cette incrimination n’a donc pas pour effet d’annuler l’intention altruiste.
CONCLUSION DU CHAPITRE I
133534. Le recours à la notion de charge individuelle définitive a pour objet le déplacement du poids d’une charge d’une personne à l’autre. Elle peut être inspirée par la volonté d’éviter la réalisation d’un dommage dont l’impact serait supérieur au coût de l’obligation : l’imputation s’effectue a priori. La dette pèse alors sur l’individu le mieux placé pour y répondre : la source technique réside alors dans la qualité du débiteur. Celle-ci prendra la forme de la qualité juridique ou de la qualité ad hoc. L’obligation peut également naître a posteriori. Le premier prendra la forme d’un acte d’assistance. Qu’elle s’exprime à l’égard de la personne directement ou de ses biens, l’intention altruiste doit conduire à organiser le déplacement du coût de l’assistant à l’assisté dans les mêmes conditions. Le second consistera dans le quasi-contrat. Le fondement substantiel résidera dans le transfert indu de valeur : sera arrêtée une conception stricte du quasi-contrat.
Notes de bas de page
1603 M. Planiol, Classification des sources des obligations, Revue crit. 1904.230.
1604 La législation civile, commerciale et criminelle de la France ou commentaire et complément des Codes Français par M. le baron Locré, Paris 1828, p. 28.
1605 Cette exigence apparaît d’ailleurs à travers les développements de Marcel Planiol : l’auteur fait bien mention « d’un sacrifice moindre, et souvent nul », préc. p. 230.
1606 Essai d’une théorie générale de l’obligation propter rem en droit positif français, LGDJ 1957. Spécialement : n° 30 p. 27 et s.
1607 Il s’agit de l’obligation au bornage : « tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contigües. Le bornage se fait à frais communs. », article 646 du Code civil. Inscrite en l’article 663 du Code civil, l’obligation de clôture répond également à cette description : « Chacun peut contraindre son voisin, dans les villes et faubourgs, à contribuer aux constructions et réparations de la clôture faisant séparation de leurs maisons ». Sur ces obligations, H. Aberkane, préc. n° 31 p. 28.
1608 Ce sont les plus nombreuses : articles 681 et 674. Il s’agit encore des distances à observer pour l’ouverture des vues et des jours (article 675 à 680) et des distances à respecter pour les plantations (articles 671 à 673). Thèse précitée : n° 32 p. 28 et 29.
1609 Préc. n° 38 p. 33 et s. Il s’agit principalement de l’obligation d’entretien visée en l’article 601 du Code civil qui astreint l’usufruitier à jouir en bon père de famille. Mais peuvent également être visées les obligations de faire inventaire et de donner caution (article 601 à 604 du Code civil) ou de dénoncer celui qui porte une atteinte au droit du nu-propriétaire (article 614 du Code civil). L’ensemble de ces obligations sont ainsi autant de tempéraments au principe selon lequel l’usufruitier et le nu-propriétaire sont dans une situation d’indépendance l’un vis-à-vis de l’autre.
1610 Préc. n° 49 et s. p. 45 et s. L’état de servitude impose ainsi des prestations destinées à assurer le maintien en état du fonds servant. Des prestations positives sont ainsi couramment mises à la charge du propriétaire du fonds dominant. Ainsi que l’analyse l’auteur, « l’opposabilité de l’un au titulaire de l’autre peut s’exprimer par une prestation positive », préc. n° 52 p. 49.
1611 Préc. n° 53 et s. p. 50 et s.
1612 J. Scapel, La notion d’obligation réelle, PUAM 2002.
1613 L’auteur donne l’exemple des clauses de non-concurrence pour observer que la transmission active ne faisait aucun doute, cependant que la transmission passive n’était retenue que par exception : préc. n° 149 p. 164 et s.
1614 Seuls des systèmes unitaires peuvent absorber sans heurt la notion d’obligation propter rem : il en est ainsi de la définition donnée par Planiol de l’obligation passive universelle. Cette approche synthétique est l’instrument adéquat pour absorber la notion d’obligation propter rem et lui faire perdre ainsi son intérêt. Sur cette école de pensée et ses liens avec l’obligation propter rem : J. Scapel, thèse préc. n° 28 p. 47. A l’inverse, Ginossar prendra le contrepied de cette analyse en fondant son raisonnement sur la notion de lien d’appartenance : le droit personnel sera placé sous l’empire du droit réel. Pour l’auteur, « tout créancier est propriétaire de sa créance, il en jouit et en dispose comme un propriétaire le fait de sa chose, et les tiers lui en doivent également le respect. », Droit réel, propriété et créance. Elaboration d’un système rationnel des droits patrimoniaux, LGDJ 1960, n° 34 p. 86. L’obligation propter rem est alors présentée comme l’autre facette du droit réel : « l’obligation réelle n’est pas simplement un aspect accidentel ni même naturel du droit réel ; elle est le droit réel, vu du côté passif. », préc. n°38 p. 100. La méthode choisie par l’auteur pour intégrer l’obligation propter rem au sein de son système ne convainc toutefois pas : si elle semble en épouser parfaitement les contours, elle est en revanche irrespectueuse de la notion même d’obligation. L’obligation n’est pas l’assujettissement, mais bien le lien de droit, caractérisé par sa totale neutralité. L’auteur cultive ainsi la confusion entre obligation et dette.
1615 H. Aberkane, Essai d’une théorie générale de l’obligation propter rem en droit positif français, préc. n° 108 et s. p. 142 et s.
1616 Préc. n° 115 p. 153 et s.
1617 M. Cozian, Les grands principes de la fiscalité des entreprises, édition Litec 1996-7, p. 10.
1618 « Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l’impôt sur les sociétés sont déterminés d’après les règles fixées par les articles 34 à 45, 53A à 57 et 302 septies A bis et en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ainsi que de ceux dont l’imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions. », CGI art. 209.
1619 L’article 256 du CGI dispose ainsi que « Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. ».
1620 Sur la question, v. supra n° 116.
1621 Cet aphorisme doit conduire à s’interroger : un fait est volontaire ou n’est pas mais n’est pas purement volontaire. Le rapprochement avec le terme même de quasi-contrat est alors saisissant.
1622 Et l’auteur poursuit : « d’où découlent des obligations à la charge de son auteur ou à la charge d’un tiers », Droit civil. Les biens. Les obligations, PUF 2004, n° 1213 p. 2419.
1623 V. supra n° 116.
1624 Et non pas source d’obligations complétives. Sur la question : Ph. Jacques, Regards sur l’article 1135 du Code civil, Dalloz 2005.
1625 M. Douchy, La notion de quasi-contrat en droit positif français, economica 1997.
1626 Préc. n° 10 p. 19.
1627 Préc. n° 19 p. 44.
1628 Préc. n° 29 p. 66 et s.
1629 Préc. n° 38 p. 95 et s.
1630 Préc. n° 43 p. 109 et s.
1631 Préc. n° 62 p. 138 et s.
1632 V. supra n° 250 et s.
1633 V. supra n° 382 et s.
1634 A. Bénabent, Droit civil. Les obligations, Montchrestien 2003, n° 501 p. 332.
1635 Le sous-titre II est intitulé « Des quasi-contrats ». Il contient en son sein trois chapitres dédiés respectivement à la gestion d’affaires, au paiement de l’indu et à l’enrichissement sans cause.
1636 R. Bout, La gestion d’affaires en droit français contemporain, LGDJ 1968.
1637 M. Douchy, La notion de quasi-contrat en droit positif français, economica 1997.
1638 Préc. n° 17 p. 36.
1639 Préc. n° 17 p. 37.
1640 Préc. n° 17 p. 39.
1641 Préc. n° 17 p. 39.
1642 Article 1327.
1643 Avant-projet, commentaire p. 63.
1644 Pour appréhender ces hypothèses, la notion de déplacement du coût présente un avantage certain sur la notion de réparation du dommage. Le concept de coût est beaucoup plus large que la notion de dommage. Or, Le gérant d’affaires peut en effet être victime d’un dommage mais peut également simplement avoir librement engagé des frais. Dans ces conditions, la notion de dommage est mal adaptée. Le dommage n’est pas le simple appauvrissement, il est l’appauvrissement subi. Le concept de déplacement du coût permet ainsi de saisir des hypothèses que la notion de réparation du dommage laissait sans réponse.
1645 M. Riou, L’acte de dévouement, RTDC 1957.222. L’auteur définit précisément l’acte de dévouement de la manière suivante : « L’acte de dévouement est l’acte d’un individu qui, en l’absence de toute obligation juridique, accepte délibérément de sacrifier spontanément sa vie en portant secours à autrui », préc. p. 223. L’acception retenue est donc doublement restrictive : non seulement la personne assistée doit être sous la menace d’un péril éminent, mais encore, l’assistant doit exposer sa propre vie au danger.
1646 A cet égard, il est significatif d’observer que la situation de danger éminent n’était pas caractérisée dans l’hypothèse à l’occasion de laquelle a été rendue la première décision de la Cour de cassation sur ce fondement. Rappelons qu’il s’agissait du conducteur d’un camion qui avait reçu de l’aide d’un paysan pour désembourber son véhicule : Cass. civ. 1ère, 27 mai 1959, D. 1959.525, note R. Savatier ; JCP 1959.II.11187, note P. Esmein. Et les décisions qui furent rendues par la suite n’apportèrent sur ce point aucun démenti. Il en est ainsi de l’aide apportée pour procéder à l’abattage d’un arbre : Cass. civ. 1ère, 27 janvier 1993, JCP 1994.I.3809, n° 1 obs. G. Viney ; Gaz. Pal. 1993.2.434, note F. Chabas. Dans le même sens, n’encourait aucun péril éminent l’individu qui effectuait des travaux de nivellement et auquel la victime apporta son aide : Cass. civ. 1ère, 17 décembre 1996, D. 1997. somm.comm.288, Ph. Delebecque, RTDC 1997.431, note J. Mestre ; RTDC 1997. 432, obs. P. Jourdain ; RGAT 1997.237, note Ph. Rémy. Pas plus la personne qui réalisait une opération d’enlèvement d’un nid d’oiseau : Cass. civ. 1ère, 7 avril 1998, JCP 1998.II.10203, note O. Gout.
1647 Sur cette condition : M. Douchy, préc. n° 11 p. 21. Néanmoins, la ratification par le maître de l’affaire dispense le juge de rechercher si les actes de gestion ont été utiles : Cass. com., 4 décembre 1972, Bull. civ. IV, n° 318. Toutefois, il n’y a pas là une solution contraire à la logique de cette source d’obligation. L’intervention du gérant reste un acte de dévouement, l’opportunité de l’initiative serait-elle sujette à caution. Dès lors que le maître de l’affaire ratifie l’entreprise, il enlève toute raison d’être à cette question.
1648 Le principe est ancien : Cass. 16 novembre 1955, JCP 1965.II.9087, note P. Esmein. Il est d’ailleurs à noter que cette espèce met en scène des faits d’assistance portée à autrui. Paul Esmein exprime ainsi ses doutes sur la capacité de ces circonstances à recevoir la qualification de gestion d’affaires : note préc.
1649 R. Bout, La gestion d’affaires en droit français contemporain, LGDJ 1968, n° 354 p. 431 et s. L’auteur propose d’ailleurs de substituer totalement le terme d’opportunité à celui d’utilité. Pour lui, l’opportunité n’est pas une manière d’apprécier l’utilité mais bien un autre fondement. Egalement : M. Douchy, La notion de quasi-contrat en droit positif français, economica 1997, n° 11 p. 21. L’auteur toutefois exprime ses plus grandes réserves sur cette interprétation. Pour elle, l’utilité effective reste une condition nécessaire dans la mesure où s’il n’est pas nécessaire qu’elle existe au jour de la demande, elle doit avoir existé : préc. n° 11 p. 21.
1650 Cass. com., 16 novembre 1976, Bull. civ. IV, n° 291; Cass. soc. 11 octobre 1984, Bull. civ. V, n° 369, D. 1985.IR442, obs. A. Lyon-Caen, RTDC 1985.374, obs. J. Mestre.
1651 Cass. civ. 1ère, 17 juillet 1996, Bull. civ. I, n° 323; JCP 1997.I.4015, n° 8, obs. Virassamy. Il s’agissait en l’espèce de la suppléance d’un avocat empêché, constitutive d’une obligation prévue par la loi.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La modernité du concept de nation au XVIIIe siècle (1715-1789)
Apports des thèses parlementaires et des idées politiques du temps
Ahmed Slimani
2004
Les avocats à Marseille : praticiens du droit et acteurs politiques
xviiie et xixe siècles
Ugo Bellagamba
2001
Henri de Boulainvilliers
L’anti-absolutisme aristocratique légitimé par l’histoire
Olivier Tholozan
1999
Homo Civilis. Tome I et II
Contribution à l’histoire du Code civil français (1804-1965)
Jean-François Niort
2004