Conclusion de la première partie
p. 301-302
Texte intégral
1283. Jusqu’alors inemployé dans le cadre de l’étude du droit des obligations, le concept de source substantielle a tenu ses promesses : grâce à son utilisation, il fut porté un nouvel éclairage sur le droit positif. Il fut possible de mettre à jour de nombreuses incohérences et contradictions au sein des règles étudiées. A l’examen des conditions concrètes de naissance de l’obligation, se laissent découvrir deux systèmes opposés : l’approche classique et l’approche moderne.
2284. L’approche classique est une théorie des sources des obligations qui place la liberté du débiteur au centre de l’appareil juridique. Par-delà les différentes catégories, une idée traverse la matière : l’obligation doit puiser sa source dans l’emploi que fera le débiteur de sa liberté. Fondée sur la lettre de l’article 1370 du Code civil et sur le contexte qui en façonna la rédaction, l’approche classique a été portée par une architecture doctrinale solide. La terminologie et les théories juridiques sont venues supporter l’approche classique et lui offrir les conditions de son épanouissement. Elle s’est déployée largement au dix-neuvième siècle pour encore aujourd’hui se manifester autour de plusieurs solutions positives, telles les règles qui garantissent la qualité du consentement ou encore celles qui entourent les conditions d’exonération de la responsabilité.
3285. Mais l’approche classique n’a pas le monopole dans la fixation des conditions de naissance de l’obligation. A côté d’elle, se développe avec puissance l’approche moderne, théorie alternative à la naissance de l’obligation. En application de ses postulats, l’obligation n’est pas le fruit de l’exercice de sa liberté par le débiteur mais l’expression de la volonté de protéger le créancier. Le basculement est alors total dans la façon d’appréhender le droit des obligations : le centre de gravité se déplace du débiteur au créancier. Moins que la sanction d’un comportement, l’obligation témoigne de la volonté de prendre en considération le créancier au rapport d’obligation.
4L’approche moderne se déploie d’abord de manière indirecte : sera alors utilisé le cadre technique classique. Tandis que demeurent intacts les concepts qui organisent la naissance de l’obligation, la source substantielle de l’obligation bascule vers la personne du créancier. Si l’interprétation des sources formelles reste la même, l’application des sources techniques diffère. Dans le cadre de cette consécration indirecte de la thèse moderne, s’organise alors un double phénomène d’érosion et de renforcement des sources techniques. L’érosion des sources désigne le phénomène par lequel s’abaisse le seuil de sélection des faits éligibles à la qualification. Ainsi la volonté contractuelle est-elle victime d’un processus d’érosion, totale ou partielle, et le concept de préjudice réparable fait-il de plus en plus l’objet d’une application large. Se développe ensuite le renforcement des sources techniques qui fera de la notion de cause l’outil par lequel pourra s’élever le niveau de protection du créancier.
5L’approche moderne s’épanouit également de manière directe : seront alors substituées certaines notions techniques à d’autres. A l’identité du cadre technique est préférée la création de nouveaux concepts aptes à recevoir naturellement l’approche moderne. Les contours de l’acte juridique seront alors façonnés à nouveau pour épouser l’approche moderne. La notion de contrat va connaître une évolution qui prendra les doubles chemins d’une redéfinition du contenu obligatoire et du champ obligatoire. S’élargiront alors les conditions de naissance de l’obligation contractuelle. Dans le même temps, s’affirmera en droit positif la notion d’engagement unilatéral de volonté. Le fait juridique ne sera naturellement pas épargné non plus : d’un côté, le délit va essuyer les mêmes secousses à travers les nouvelles décisions rendues en matière de garde de la chose et de fait d’autrui. De l’autre, le quasi-contrat va faire l’objet d’une nouvelle réception en droit positif.
6Enfin, la consécration de l’approche moderne pourra emprunter les voies de la consécration formelle. Des principes généraux serviront de base à des concepts techniques que sont l’enrichissement sans cause et les troubles anormaux de voisinage. De nouveaux obstacles seront levés à la naissance de l’obligation. Mais le législateur ne sera pas en reste : par la technique de l’emprunt législatif, il aura recours à un texte inusité en droit des obligations pour fonder la naissance de l’obligation, et par la création législative, il redéfinira les conditions de l’engagement obligatoire unilatéral et complètera le droit de la réparation des dommages : sera ainsi donné naissance au droit des accidents de la circulation, des accidents médicaux et des produits défectueux.
7286. Le tableau d’ensemble est donc contrasté et désordonné. L’analyse des sources substantielles a fait apparaître que les différentes sources techniques étaient aussi bien traversées par l’approche classique que par l’approche moderne. Comment le contrat peut-il être à ce point écartelé entre les deux approches à l’inspiration diamètralement opposée ? Comment les faits exonératoires de responsabilité peuvent-ils encore jouer leur rôle à plein alors qu’a été clairement abandonnée la perspective classique au stade de la naissance de l’obligation ? Et d’une manière générale, comment le système peut-il balancer entre deux philosophies dans le plus grand désordre ? Car, à l’inverse d’une saine répartition des rôles, s’installe une véritable anarchie dans la place que doit occuper chacune des sources substantielles. C’est donc bien à une redistribution des sources substantielles qu’il faut procéder.
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Les sources des obligations
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