Chapitre II. Consécration directe
p. 217-297
Texte intégral
1207. A l’instar de la consécration indirecte de la thèse moderne, la consécration directe répond à la volonté d’assigner à l’obligation une fonction protectrice. Elle s’en distingue néanmoins fondamentalement quant à la méthode poursuivie. A l’interprétation renouvelée de concepts traditionnels se substitue l’instauration d’un nouvel ordre technique. Aussi, quoiqu’elle mette également à contribution la jurisprudence, l’approche diffère-t-elle radicalement dans l’esprit : la recherche des objectifs modernes ne s’opère plus par une simple correction à la marge de l’héritage classique. Loin de se dissimuler derrière l’apparence d’une soumission aux préceptes traditionnels, elle laisse apparaitre son orientation nouvelle en s’émancipant du carcan conceptuel imposé par les défenseurs de l’approche classique.
2La consécration directe de l’approche moderne constitue donc un degré supérieur dans l’entreprise de protection. Toutefois de la même façon que les concepts classiques laissent s’exprimer l’impératif moderne, les instruments techniques modernes peuvent être mis au service d’une politique classique. Aussi il conviendra de vérifier l’obédience moderne des nouvelles conditions techniques posées à la naissance de l’obligation.
3208. Le renouvellement des sources techniques se décline de deux manières différentes. Il peut d’abord se développer à l’intérieur du même cadre formel : l’analyse de la jurisprudence montre que l’identité des sources formelles n’est pas un obstacle au renouvellement des conditions techniques posées à la naissance de l’obligation. Bien au contraire, profitant de l’inertie du législateur, le juge n’a pas hésité à remanier les conditions posées à la naissance de l’obligation. Il a ainsi puissamment contribué à renouveler l’arsenal technique à partir de dispositions légales autrefois mises au service de la thèse classique. Des concepts ont été introduits qui témoignent de l’orientation moderne du droit positif. Il s’agit là du phénomène de consécration technique de la thèse moderne (section 1). En d’autres occurrences, l’approche moderne s’est affirmée par l’effet du basculement des sources formelles. De nouvelles sources techniques ont alors été consacrées par la substitution d’un fondement juridique à un autre : témoignage ultime de la force de la thèse moderne, ce phénomène sera qualifié de consécration formelle (Section 2).
SECTION 1. CONSÉCRATION TECHNIQUE
4209. La consécration technique s’est faite grâce à une interprétation renouvelée des dispositions clés du Code civil. Mais à la différence du processus de consécration indirecte, la jurisprudence n’a pas hésité à déduire de cette interprétation l’existence de nouvelles conditions techniques. Elle s’est donc livrée à un exercice d’interprétation constructive. Au grand jour, le juge a élevé de nouvelles conditions techniques à la naissance de l’obligation à partir du support formel existant.
5Au soutien de cette entreprise d’installation directe de la thèse moderne, plusieurs conditions techniques à la naissance de l’obligation ont été bouleversées. Le juge a agi conjointement sur les différents points cardinaux de la doctrine libérale pour lui substituer la nouvelle approche : la volonté contractuelle, le caractère répréhensible du comportement ou encore la notion de quasi-contrat ont été repensés à partir de l’axiome moderne. L’analyse du droit positif atteste de l’installation directe de la thèse moderne au sein des sources techniques que sont l’acte juridique (§1) et le fait juridique (§2).
§1. L’acte juridique
6La progression de la thèse moderne dans l’acte juridique se vérifie à travers l’évolution du contrat (A) et l’avènement de l’engagement unilatéral de volonté (B).
A. L’évolution du contrat
7210. Tandis que l’approche classique se propose d’offrir une définition exclusivement volontariste au contrat, l’approche moderne tend naturellement à lui substituer d’autres fondements. Consacrée de manière directe, elle aura pour conséquence de faire décliner l’importance de la volonté dans la définition du contrat.
8L’obligation est définie par rapport à une personne et par référence à un contenu. La volonté du débiteur porte à la fois sur la personne du cocontractant et sur les conditions contractuelles. Aussi le recul de la volonté s’est exprimé dans deux sens différents. A côté du processus de gonflement ratione materiae dont l’obligation de sécurité constitue l’archétype, s’est dessinée l’extension ratione personae du contrat : au plan technique, l’appel à la volonté du débiteur a cédé du terrain aussi bien à travers la définition du contenu obligatoire (1) que du champ obligatoire (2).
1. Le contenu obligatoire
9211. Embarquant à Tunis, un passager d’un paquebot a été grièvement blessé par la chute d’un tonneau mal arrimé. La responsabilité de la Compagnie générale transatlantique fut recherchée sur le fondement de l’article 1384 du Code civil. La cour d’appel fit droit à cette demande. La Compagnie forma alors un pourvoi en invoquant la violation des articles 1146, 1134 et 1382 du Code civil. En réponse, la Cour de cassation lui donna le bénéfice tant attendu du contrat… pour mieux fonder ensuite sa responsabilité. Si les juges déclarent que c’est « vainement que l’arrêt déclare que les clauses de billet de passage de la Compagnie générale transatlantique, notamment l’art. 11, ne régissent que le contrat de transport proprement dit », c’est pour décider que « l’exécution du contrat de transport comporte, en effet, pour le transporteur l’obligation de conduire le voyageur sain et sauf à destination »829. La décision du 27 janvier 1913 précisera encore un peu plus la pensée des juges : « la délivrance d’un billet à un voyageur comporte par elle-même à cet égard, l’obligation, pour la Compagnie de chemin de fer, de conduire ce voyageur sain et sauf à destination. »830.
10Par la suite, le juge ne s’est pas privé de faire appel de manière récurrente à ce procédé831. Et les signes d’affaiblissement dans la mise en œuvre, relatifs au domaine832 ou à l’intensité833, ne doivent pas cacher le développement du procédé. L’obligation voyage au-delà du contrat de transport pour venir se greffer sur de multiples opérations contractuelles834 et dépasse le cadre de la seule protection des personnes835 Et malgré la situation favorable dans laquelle se trouve l’acheteur, le contrat de vente n’est pas oublié : consacrant les recommandations de Mme Goldschmid836, elle prit son indépendance par rapport à la garantie des vices cachés et fut élevée au rang d’obligation autonome837. Enfin, plus audacieuse que jamais, la première Chambre civile fut sensible à l’argumentation developpée par Jérôme Huet dans sa thèse de doctorat. Soucieuse de « soumettre les situations qui sont semblables en fait à des règles juridiques identiques »838, elle proposa comme critère de l’obligation contractuelle « le lien existant entre le dommage et le contrat et non pas ce dernier et la victime »839. Elle inaugura ainsi une solution nouvelle, témoignage de l’extraordinaire vitalité de l’obligation de sécurité840 : elle lui fit dépasser le seul cercle des parties au contrat pour profiter aux tiers. Si l’empreinte du droit communautaire841 imposait de voir en cette solution le héraut d’une loi prochaine842, l’obligation de sécurité n’en a pas moins été revitalisée. Aussi ne s’agit-il pas d’un dernier soubresaut avant une quelconque mort annoncée : pas plus son succès843 que l’adoption de la loi sur les produits défectueux844 ne menacent son existence845. Et l’accueil qui lui est fait par les rédacteurs de l’avant projet de réforme du droit des obligations en témoigne largement846.
11212. Aussi cette ligne jurisprudentielle fut accueillie comme la manifestation de la loi par d’illustres représentants de la doctrine classique : selon Planiol, cette obligation ne peut avoir une origine conventionnelle, parce que c’est la loi elle-même qui la crée847. Ce faisant, les auteurs inaugurèrent une longue tradition qui se prolonge aujourd’hui à travers la doctrine : le contenu obligatoire se partagerait entre obligations voulues et obligations légales. Les divisions de la doctrine portent alors sur la place qu’il convient d’attribuer à chacune des sources : pour les uns, la loi doit demeurer une simple correction à la marge de la volonté contractuelle. Pour les autres, l’accord de volonté n’est pourvu d’effet obligatoire qu’après l’accréditation supposée du législateur. En réalité, les divisions de la doctrine s’expliquent par l’erreur de raisonnement en amont : il est impossible de mettre sur le même plan source formelle et source technique. L’obligation de sécurité n’est pas plus une obligation légale que l’obligation d’exécuter la prestation principale : la loi n’est rien d’autre qu’un échappatoire offert à la doctrine qui peut dispenser d’approfondir l’analyse de la notion de contrat.
12Si elle a tant marqué les esprits et qu’elle a contraint les auteurs à invoquer la loi, c’est que l’obligation de sécurité a été l’instrument par lequel la jurisprudence a inauguré le phénomène de consécration directe de la thèse moderne en matière contractuelle848. En nul endroit, il n’est indiqué que le débiteur de l’obligation avait souscrit l’obligation d’assurer la sécurité du créancier. Ainsi que l’a relevé le professeur Leveneur, l’obligation n’est pas ici rattachée à une prétendue volonté tacite du débiteur849. L’extension du champ des obligations contractuelles passe par une redéfinition des obligations du modèle contractuel et non par la découverte d’une volonté hypothétique. Et l’apport fourni par la théorie générale aux contrats spéciaux850 ne doit pas masquer l’ampleur du phénomène.
13213. Il n’est donc pas étonnant que l’article 1135 ait été appelé à la rescousse851 alors même que l’article 1147 fut largement mis à contribution. S’il fut si longtemps tenu à l’écart, c’est qu’il était considéré comme le simple rappel de la soumission du contrat aux obligations légales. Il n’allait toutefois pas tarder à révéler tout son potentiel. Envisagé comme le témoignage d’une volonté d’uniformisation, il pouvait aisément être mis au soutien d’une politique de renforcement des obligations issues du contrat. Ainsi que Philippe Jacques l’a démontré magistralement, « la détermination par la loi, l’usage ou l’équité de la part complétive d’une convention ne vise pas seulement ni même simplement à prolonger un accord de volontés, en organisant par le détail le contenu de la convention auquel il correspond, dans l’idée d’en faciliter la formation. »852. Bien au contraire, « l’accord de volontés, est, par voie d’adjonction, rendu juridiquement présentable. »853. Son inspiration objective permet de faire éclore des obligations qui n’auraient pas été nécessairement voulues par les parties854. Et avec un avantage considérable pour le juge : celui-ci se met à l’abri de tout reproche de dénaturation. Comment faire grief au juge d’avoir mal interprété la volonté contractuelle dès lors que l’on ne se fonde plus sur celle-ci ?
14Cette solution présente par ailleurs l’avantage de faire se rejoindre source technique et source substantielle : pour ce qui est de l’obligation considérée, la volonté n’est pas plus offerte en justification technique qu’elle ne constitue le fondement substantiel de la décision. La solution a donc le mérite indéniable d’éviter d’accuser l’écart entre les deux ordres. Aussi doit-on se féliciter de son maintien en l’état dans l’avant-projet : il serait souhaitable que l’article 1135 continue de jouer le rôle qui lui a d’ores-et-déjà été assigné par la jurisprudence. De surcroît, la communauté des juristes peut se réjouir de la nouvelle rédaction proposée : un alinéa 2 est ajouté qui consiste aujourd’hui dans l’actuel article 1160 du Code civil855. S’effondre de manière heureuse la frontière conceptuelle entre formation par les parties et interprétation par le juge. Est offerte à l’article 1135 alinéa 1er la suite que la raison lui donne d’après sa nature… Et l’article 1150856 de l’avant-projet de se faire opportunément le relais de cette disposition. Entièrement consacré à l’obligation de sécurité, il en souligne l’importance fondamentale en même temps qu’il lui confère une place privilégiée parmi les obligations dégagées par les usages ou l’équité : quel meilleur hommage que de l’intégrer au sein de la classification des obligations !
2. Le champ obligatoire
15214. Loin de se contenter d’offrir un fondement au contenu de l’engagement, la théorie classique des sources a longtemps conditionné l’interprétation de l’effet relatif des conventions. L’article 1165 du Code civil était considéré comme le meilleur allié des partisans de l’autonomie de la volonté : il limitait le bénéfice de la créance aux personnes envers lesquelles le débiteur avait manifesté la volonté de s’engager. En ce sens, il pouvait être qualifié de « témoin d’une conception purement individualiste du droit des obligations »857. Une interprétation stricte du principe de l’effet relatif avait donc partie liée avec une interprétation exclusivement volontariste du contrat : « le sens que revêtait l’article 1165, à l’époque du Code civil, s’est trouvé exacerbé au dix-neuvième siècle en raison du rattachement exclusif du principe de l’effet relatif des contrats au principe de l’autonomie de la volonté. Le sens des termes « parties » et tiers a acquis de ce fait une grande rigidité. »858.
16215. Il n’est donc pas étonnant que les actions directes, quelle que soit leur nature859, aient été interprétées comme autant de dérogations législatives. Ainsi pour le professeur Cozian, l’action directe a une origine nécessairement légale860. L’appel à la loi permet de cantonner les atteintes au système classique. La confusion entre source formelle et source substantielle est une nouvelle fois mise au service d’une entreprise de justification qui s’insrit dans la ligne classique. Le professeur Jamin ne manquera d’ailleurs pas d’observer que « l’auteur refuse d’aller au-dela de la loi, de rechercher ses critères, de déterminer la nature profonde du mécanisme qu’il décrit, pour se borner à l’affirmation de son caractère original et sui generis, c’est-à-dire céder devant la volonté du législateur. »861.
17C’est une perspective radicalement différente que suivirent M.M. Teyssié et Néret. Abandonnant l’entreprise de justification au plan formel, ces deux auteurs entreprirent d’offrir une explication technique au développement des actions directes. Pour le premier, la notion de groupe de contrat explique l’existence de liens juridiques entre personnes qui n’ont pas contracté entre elles. Aux côtés des chaînes de contrats qui désignent la succession d’accords portant sur le même objet862, les ensembles contractuels se caractérisent par un « but commun », révélé par « l’identité au moins partielle de cause »863. Facteurs d’affaiblissement864 ou d’uniformisation865 des rapports contractuels, ces différents groupes contractuels seront également générateurs d’obligations866. M. Néret souligna de son côté l’émergence d’une nouvelle catégorie de contrats, les sous-contrats, dont l’objet est d’assurer l’exécution d’un contrat principal867, cause du contrat dérivé868. En application du principe selon lequel l’accessoire suit le principal869, l’édifice contractuel ainsi composé sera vecteur d’actions au profit de la personne substituée contre le destinataire870 et inversement871.
18L’attitude de la doctrine est remarquable : les auteurs s’émancipent de la seule justification formelle pour offrir une explication qui ne réside pas dans la volonté du débiteur872 ou les mécanismes connus873. En ce sens le groupe de contrat est une véritable révolution. Comme le fait observer le professeur Jamin, cette attitude se distingue parfaitement de celle qui consiste à trouver dans le Code civil ou des lois spéciales le fondement de l’action directe : « la notion de groupe ou de chaîne contractuelle ne constitue pas une source de droit au même titre qu’eux, mais un mécanisme créé de toute pièce par la doctrine sans passer par la médiation de l’un ou de l’autre. En ce sens, ils sont le signe (mais seulement le signe) d’une mutation dans la façon d’appréhender les questions. »874. Devant la stabilité des sources formelles, il fut donné naissance à cette « Création pure des juristes »875. Témoignage des velléités d’autonomie des juristes par rapport aux textes, elle suggère l’existence « d’une ère de la doctrine »876. Aussi ne faut-il pas s’étonner que la jurisprudence, elle aussi, ait donné libre cours à sa capacité créatrice.
19216. A peine constitué l’arsenal théorique qui permit l’appréhension des solutions existantes, de nouvelles décisions allaient donc mettre à l’épreuve les justifications apportées. Rendues en matière d’actions directes en garantie, elles s’articulèrent en deux temps. Une première phase marqua le développement de la contractualisation de l’action, tandis qu’un second mouvement en fixa les limites. Après la décision du 9 octobre 1979 qui abandonna au seul terrain contractuel l’action du sous-acquéreur contre le vendeur fabricant877, l’Assemblée plénière étendit la solution par sa décision du 7 février 1986 aux chaînes hétérogènes de contrats, brisant la résistance de la troisième Chambre civile878 : « le maître de l’ouvrage, comme le sous-acquéreur, jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur »et « dispose donc à cet effet contre le fabricant d’une action contractuelle directe fondée sur la non-conformité de la chose livrée »879. Confortée dans son analyse, la première Chambre civile poussa le raisonnement jusqu’à faire application de la même règle dans une chaîne homogène de contrats d’entreprise880. Puis elle décida par une décision du 21 juin 1988 que « dans un groupe de contrats, la responsabilité contractuelle régit nécessairement la demande en réparation de tous ceux qui n’ont souffert du dommage que parce qu’ils avaient un lien avec le contrat initial »881. Consacrée dans l’objectif de protéger le débiteur882, la solution n’en constituait pas moins une atteinte formidable à la vision traditionnelle du contrat. La troisième Chambre civile rendit en conséquence une solution diamètralement opposée. Aussi l’Assemblée plénière fut-elle une nouvelle fois sollicitée. Cette fois-ci, la haute Assemblée mit un frein au développement de la responsabilité contractuelle en déclarant par l’arrêt Besse que « le sous-traitant n’est pas contractuellement lié au maître de l’ouvrage »883. Simple « coup d’arrêt dans la progression des actions contractuelles directes »884, cette solution préserva le caractère contractuel de l’action du maître de l’ouvrage contre le fabricant des matériaux885. Le transfert de la chose justifie la transmission à l’ayant cause à titre particulier des droits et actions de son auteur : la voie contractuelle est maintenue dans les chaînes translatives de propriété, seraient-elles hétérogènes. Un arrêt de la troisième Chambre civile est toutefois venu semer le doute en qualifiant de délictuelle la responsabilité du fabricant lié au sous-traitant886. L’idée fut défendue que l’arrêt reste conciliable avec les solutions précédentes car en l’espèce le sous-traitant s’est s’intercalé entre l’entrepreneur principal et le fabricant, brisant ainsi la chaîne de la responsabilité887. Or, il apparaît au contraire que cette solution comporte une concession importante à l’analyse réelle : à ne considérer que la chose, la Cour eût tenu pour insignifiante la rupture de la chaîne888. L’arrêt Besse était menacé : il fallut attendre le 12 décembre 2001 pour que la troisième Chambre civile réaffirme que « le maître de l’ouvrage dispose contre le sous-traitant d’une action contractuelle directe »889. La question restait toutefois pendante de savoir si la conjugaison de deux contrats d’entreprise au sein d’une chaîne translative de propriété peut avoir ou non pour effet d’écarter l’action contractuelle du fabricant890. Il fallut attendre l’arrêt de la Chambre commerciale du 22 mai 2002 pour que la jurisprudence réponde de manière positive891.
20217. Par l’interprétation souple conférée à l’article 1165 du Code civil en vertu de laquelle « L’ayant cause à titre particulier ne peut être considéré comme un tiers au sens plein du mot »892, la jurisprudence a donné un rôle protecteur au contrat : il est l’instrument par lequel le tiers au contrat va pouvoir se placer sous son aile protectrice. Dès lors que l’on prend en compte des « données objectives telles que l’analogie de situation des victimes d’inexécutions contractuelles membres d’un même groupe sans considération pour leur qualité de contractant ou de tiers par rapport au contrat inexécuté »893, l’unité de traitement entre les victimes, principe cher au professeur Huet, est assurée894. Est également satisfaite la cohérence juridique qui commande d’éviter que le débiteur de l’obligation ne se trouve soumis à des régimes différents selon la qualité du demandeur895. Certes on n’a pas manqué de faire observer que le rôle de protection se trouvait considérablement affaibli par l’application de la règle selon laquelle l’ayant cause à titre particulier a vocation à recevoir les droits et actions de son auteur896. L’adage nemo plus juris a pour conséquence de rendre applicables les éventuelles clauses élisives de responsabilité au cocontractant victime. Même si l’action directe a été étendue au défaut de conformité, il est vite apparu que la jurisprudence pouvait se retourner contre celui-là même qu’elle était censée protéger. Le processus n’a fait que s’accentuer avec l’application de la règle de la double limite897 : le créancier peut se voir opposer les termes de son propre contrat898. A la protection du créancier se serait substitué le respect de l’engagement du débiteur. La théorie des groupes de contrats ne s’inscrirait donc pas dans le vaste mouvement de protection de la personne du créancier.
21En réalité, cette conclusion est contestable à un double titre. D’abord, la théorie de la double limite n’est pas consubstantielle à la théorie des groupes de contrats899. Ensuite, l’application de la règle nemo plus juris ne prive pas le contrat de sa mission protectrice. Que les règles délictuelles soient plus favorables n’enlève rien à la force de l’affirmation : il faut considérer le contrat en soi, indépendamment du régime de la responsabilité délictuelle. La responsabilité contractuelle peut s’avérer moins favorable au créancier par la place qu’elle laisse à la liberté contractuelle ; elle ne confère pas moins par principe un rôle de protection au contrat. La suppression de tout effet au principe de non-cumul, telle que préconisée par le professeur Viney900, ferait d’ailleurs apparaître l’affirmation comme une vérité d’évidence. Au surplus, à condition d’adhérer à une vision strictement délimitée de la notion de groupe de contrats901, la prévision peut être assurée au profit du débiteur lui-même. Ainsi Mireille Bacache-Gibeili explique en quoi le rayonnement du contrat au-delà des seules parties contractantes peut garantir le respect des prévisions des tiers : « L’explication réside dans le fait que ces personnes ont effectué une emprise sur l’avenir au moyen de prévisions identiques grâce à un autre contrat. Leur volonté a permis l’extériorisation de prévisions identiques au sein d’un autre contrat. L’extension de la force obligatoire d’un contrat pourra assurer la sécurité et le respect des prévisions non seulement des cocontractants mais aussi des personnes dont la volonté a participé à la formation d’un autre contrat contenant des prévisions identiques. »902.
22218. Au plan technique, le rôle protecteur confié au contrat est source d’interrogations : qu’en est-il de la définition du contrat ? Assurément, le concept n’en sort pas indemne. Peut-on encore parler d’accord de volonté générateur d’obligations dès lors que l’obligation est traditionnellement définie par rapport à des personnes ? Comment appréhender l’extension de l’effet obligatoire dès lors que les parties participent de la définition même du rapport d’obligation ? Il n’existe désormais plus de lien nécessaire entre l’accord de volonté et le bénéficiaire de l’engagement. L’essence de l’obligation contractuelle ne se situe donc pas dans un lien abstrait qui unit deux parties. Tandis qu’une approche matérielle du contrat se heurte au phénomène de grossissement du contenu contractuel, une approche personnelle vient se briser sur les récifs de l’action directe. Quelle que soit la perspective choisie, l’étendue de l’effet obligatoire est extraite de la définition du contrat : le régime de l’obligation acquiert une indépendance totale par rapport à la source. A l’instar du phénomène d’inflation du contenu contractuel, cette illustration du processus de consécration directe de la thèse moderne doit conduire à repenser la notion de contrat.
B. L’avènement de l’engagement unilatéral de volonté
23Tandis que certains engagements unilatéraux prennent appui sur l’existence d’une obligation naturelle (1), d’autres au contraire ont une existence autonome (2).
1. Engagement unilatéral et obligation naturelle
24219. Les théories de l’obligation naturelle se divisent en deux grands courants dont l’influence sur l’engagement unilatéral varie selon la conception adoptée. Alors que la conception classique est hostile à l’avènement de l’engagement unilatéral, la théorie moderne y voit le partenaire de l’obligation naturelle.
25220. Pour les tenants de la conception classique, l’obligation naturelle puise ses racines dans une relation d’étroite parenté avec l’obligation civile : à travers les obligations civiles dégénérées ou avortées, la théorie traditionnelle fait de l’obligation naturelle l’ombre de l’obligation civile. L’interprétation conférée à l’expression de la volonté du débiteur conduira à renier l’existence d’un engagement unilatéral de volonté. En effet, dans le postulat classique, le contenu de l’obligation comme son caractère essentiellement juridique ne varieront pas. L’obligation naturelle est déjà chargée en juridicité. Seul le degré change903. Il n’est donc pas utile de conférer un caractère juridique à celle-ci. Il s’ensuit que l’acte de volonté du débiteur consiste en un pur élément déclencheur : il ne saurait être élevé au rang de source technique. Cette manifestation de volonté -fût-elle unilatérale -ne saurait alors caractériser un engagement unilatéral de volonté.
26221. L’approche moderne de l’obligation naturelle propose en revanche un changement radical de perspective. Dans cette théorie, l’obligation naturelle n’est plus la fille de l’obligation civile. Elle a acquis sa complète autonomie : elle est l’expression d’un devoir moral qui s’élève à la vie juridique. La manière d’appréhender la volonté du débiteur s’en trouve alors bouleversée. Avant l’obligation civile, il n’est pas d’obligation juridique, même imparfaite : l’engagement du débiteur revêt donc une importance toute particulière. C’est à lui et à lui seul qu’il revient de conférer le caractère juridique à l’engagement : « Déniant ainsi toute importance au rapport juridique prééxistant, les auteurs modernes estiment que le promettant n’est lié que par le seul fait qu’il a déclaré vouloir exécuter son devoir moral ; pour eux, la promesse a un caractère unilatéral. »904. Le passage du droit à la morale ne peut se faire sans l’intervention d’une conjoncture à la hauteur de l’événement. Le passage du devoir moral à l’obligation est réalisé par l’engagement unilatéral de volonté.
27222. Certes, en même temps qu’elle confère un rôle important à l’engagement unilatéral, l’obligation naturelle en conditionne l’efficacité : si l’obligation naît de la conjonction des deux facteurs, n’est-ce pas la preuve de l’insuffisance de l’engagement unilatéral ? De là, peut naître un doute sur l’existence même de l’engagement unilatéral : qu’est-ce qu’une source d’obligation, qui pour être efficace, doit être dotée d’une véritable jambe de bois ?905 A s’en tenir au strict examen de la réalité technique, il est tentant de s’interroger à la suite de Nicolas Molfessis : « Pourquoi, dans ces conditions, a t-il été nécessaire d’emprunter le détour par l’obligation naturelle ? Si l’on est ici en présence d’un engagement unilatéral, à quoi sert encore l’obligation naturelle ? »906. Ou encore de conclure avec Dimitri Houtcieff à l’absence d’autonomie de l’engagement unilatéral de volonté : « La conjonction de l’obligation naturelle et de l’engagement unilatéral a pour résultat l’implosion de chacune des notions. En effet, en nécessitant un préalable à l’effet obligatoire de la volonté, l’obligation naturelle conduit à nier le pouvoir autonome de la volonté »907.
28L’analyse ne convainc toutefois pas. Il est indispensable de dépasser les réalités techniques pour approcher l’ordre substantiel. Si au plan technique, l’efficacité de l’engagement unilatéral est placé sous la dépendance de la reconnaissance d’une obligation naturelle, au plan substantiel, il n’est pas moins évident que l’obligation naturelle est l’instrument d’introduction de cette source d’obligation. L’obligation naturelle doit être pensée, non pas comme la condition d’efficacité de l’engagement unilatéral, mais bien l’instrument de son introduction.
29A cet égard, les travaux de Michelle Gobert908 constituent l’appui le plus précieux qui soit. La méthode employée par l’auteur est en effet riche en enseignements et permet d’envisager les choses sous un éclairage différent, plus respectueux de la réalité. L’œuvre de Madame Gobert a consisté à passer au crible la notion d’obligation naturelle à travers l’étude du rôle conféré à celle-ci. Elle mettra en évidence tout ce que la notion a d’artificiel, instrument technique entre les mains du juge propre à éluder les règles applicables. Cette approche réaliste amènera l’auteur à remettre en cause nombre d’idées reçues : notamment celle selon laquelle la cause de l’engagement unilatéral réside dans l’obligation naturelle909 et qu’il opère une fonction novatrice910. Ce n’est qu’en déformant ces différents concepts que l’on peut parvenir à ce résultat. L’auteur démontre que l’obligation naturelle n’est pas une condition à l’efficacité de l’engagement unilatéral. Une fine analyse technique permet donc à l’auteur de ne pas se laisser abuser par une présentation mécaniciste qui eût pour conséquence de négliger le rôle véritable joué par l’obligation naturelle : la consécration de l’engagement unilatéral de volonté. Il ne restait alors plus à l’auteur qu’à mettre en évidence les caractéristiques communes911 entre obligation naturelle et engagement unilatéral : celles-ci sont relatives à la cause912, l’erreur, l’interprétation et l’intérêt social913. La démonstration de l’auteur est imparable : dans l’ordre substantiel, l’obligation naturelle est le canal par lequel se trouve consacré l’engagement unilatéral de volonté.
30223. Il y a naturellement dans l’engagement unilatéral de volonté une avancée considérable de l’approche moderne. Certes, il s’agit bien là de la volonté du débiteur, et donc techniquement, il n’y aurait là aucune entorse à la thèse classique. Pourtant, au plan philosophique, l’engagement unilatéral de volonté cadre mal avec la thèse classique. La thèse classique est hostile au développement des sources des obligations au-delà de leur milieu d’origine. La source qui sort du cadre imparti par l’article 1370 du Code civil heurte de plein fouet le postulat classique. L’engagement unilatéral de volonté, non prévu par les rédacteurs du Code civil, s’inscrit parfaitement dans le cadre de l’approche moderne. Aussi toute forme d’instrument technique qui a pour effet de redonner du souffle à l’engagement unilatéral doit être mis au crédit de l’approche moderne.
2. Engagement unilatéral et absence d’obligation naturelle
31224. S’il n’est pas opportun de voir un engagement unilatéral derrière chaque arbuste914, il est des hypothèses dans lesquelles il a été consacré en l’absence d’obligation naturelle. Ainsi, à travers le régime juridique de l’offre, la Cour de cassation a contribué à donner un nouvel essor à l’engagement unilatéral sans le secours de l’obligation naturelle. Par plusieurs arrêts dont le dernier exemple fixe l’état du droit positif, la Cour de cassation a posé en principe que l’offre n’est pas caduque au seul motif que l’offrant est décédé915. L’offre assortie d’un délai n’est pas révocable pendant cette durée916. Or, il a été proposé plusieurs théories destinées à expliquer cette jurisprudence : de l’avant-contrat à l’abus de droit en passant par la responsabilité civile917, plusieurs explications ont été proposées qui laissent sur un sentiment d’insatisfaction.
32Plus convaincante est la thèse défendue par le professeur Aubert à travers son ouvrage demeuré célèbre918 : pour l’auteur, une distinction doit être faite entre offre et pollicitation. Si la première est un fait juridique919, la seconde est un acte juridique920 : d’une haute précision technique, l’opération constitue un engagement unilatéral de volonté921. Elle doit être adressée à personne déterminée et comporte la stipulation d’un délai précis922. Avec l’appui d’une modification terminologique remarquable qui substitue la pollicitation à l’offre stricto sensu, il y a là une explication à l’effet obligatoire de l’offre définie lato sensu.
33Aussi l’engagement unilatéral de volonté est-il apparu comme le fondement le plus adapté. La solution est d’autant plus remarquable qu’elle est intervenue au moment où la même juridiction privait le contrat de promesse unilatérale d’une partie de sa force en sanctionnant sa violation par la seule allocation de dommages-intérêts923. La solution consacrée a alors pour conséquence pour le moins paradoxale de conférer à l’offre une stabilité juridique égale à celle de la promesse dont l’inexécution est sanctionnée par la seule allocation de dommages-intérêts924.
34225. Les circonstances de fait méritent toutefois que l’on s’y attarde quelque peu. Il s’agissait en effet à chaque fois d’un couple et un conjoint survivait à l’autre. Mais ces circonstances particulières ne doivent toutefois laisser subsister aucun doute sur la portée qu’il convient de conférer à ces décisions : loin de mettre en avant la qualité d’ayant cause universel du conjoint, la Cour de cassation justifie sa solution à partir de l’idée selon laquelle le décès n’a pas pour conséquence de rendre l’offre caduque. La motivation de l’arrêt du 9 novembre 1983 ne laisse planer aucun doute : « l’offre de vente n’avait pas été rétractée par le mari et ne pouvait dès lors être considérée comme caduque, ou inopposable à ses héritiers, du seul fait de son décès, et que l’acceptation de cette offre par la SAFER avait rendu la vente parfaite. »925. En ce qu’il fait allusion à la rétraction de l’offre par le mari décédé, cet arrêt se propose de raisonner exclusivement sur sa personne et non autour de la survie de sa conjointe. Certes l’arrêt du 10 décembre 1997 est plus délicat à interpréter. Il est rédigé de la manière suivante : « le décès de M. Desrus n’avait pu rendre cette offre caduque ». La Cour n’exclut pas du champ de ses observations le conjoint survivant en faisant allusion au seul comportement de la personne décédée. La situation est appréhendée de manière globale : les juges ne se focalisent pas sur la personne décédée. L’interprétation de cette décision est pour le moins délicate. Il n’est donc pas possible d’interpréter cette solution de manière isolée. Il faut la mettre en perspective avec la jurisprudence antérieure : comme les décisions récentes peuvent éclairer les solutions passées, les antécédents jurisprudentiels peuvent conférer tout leur sens à une solution récente.
35Une première voie pourrait considérer à conclure qu’à défaut de remise en cause claire du principe dégagé par l’ancienne jurisprudence, la solution est reconduite. Or, la dernière décision en la matière qui précéda celle de 1997 est celle du 10 mai 1989 par laquelle la Cour de cassation condamne clairement la solution de 1983 : « la notification d’une vente sous condition suspensive au titulaire du droit de préemption, par le notaire chargé d’instrumenter, ne constituant pas une promesse de vente mais une simple offre, celle du 22 juillet 1981 devenue caduque par l’effet du décès de Madame Girard survenu le 11 oaût 1981, ne pouvait être l’objet postérieurement à cette date d’une acceptation de la part de la SAFER. »926. Devant les incertitudes suscitées par l’arrêt de 1997, le commentateur s’arrêtera alors à la décision de 1989 pour fixer l’état du droit positif : l’offre ne survit pas à son auteur. Seule l’offre formulée par une personne peut survivre au décès de l’une d’entre elles. Mais le raisonnement consiste à minorer considérablement la portée de l’arrêt de 1997 au seul prétexte qu’il n’est pas parfaitement clair.
36Une seconde interprétation semble correspondre davantage à la réalité : la Cour de cassation, par sa décision de 1997, a souhaité trancher le débat. En effet, il est irréaliste de penser que la Cour de cassation n’a pas souhaité par sa décision de 1997 s’inscrire dans le débat juridique : or, par la solution qu’elle propose, elle apporte une sérieuse pierre dans le jardin de ceux qui ont défendu la thèse de la caducité de l’offre. Dès lors, il y a tout lieu de penser que si elle avait voulu mettre fin à la jurisprudence de 1983, elle l’eût fait de manière explicite, comme ce fut le cas en 1989. C’est pourquoi l’arrêt de 1997 a été accueilli par la doctrine comme un revirement de jurisprudence.
37226. Cet état du droit enlève naturellement à la plupart des théories formulées leur vocation à rendre compte du droit positif. Aucun acte de retrait n’a été réalisé : la responsabilité civile n’est donc pas appropriée, la théorie de l’abus de droit non plus. La théorie de l’avant-contrat développée par Demolombe fournirait une explication suffisante si elle n’était par ailleurs fondée sur la volonté fictive de l’acceptant : si l’offre de maintien accessoire ne présente que des avantages, rien de permet de présumer qu’elle a été acceptée par son destinataire. Ou alors il faut accepter l’idée selon laquelle on est présumé avoir conclu un contrat en l’absence de toute volonté dès lors que l’on a intérêt à le faire.
38L’explication la plus appropriée est bien celle fournie par le professeur Aubert en ce qu’elle met l’accent sur le pouvoir générateur de la volonté unilatérale. Et si l’on a pu nourrir des doutes sur sa portée en raison des circonstances de fait décrites précédemment, cet arrêt a été justement analysé comme une consécration de l’engagement unilatéral de volonté : Yannick Dargone-Labbe y verra une « véritable reconnaissance du pouvoir créateur d’obligations d’une déclaration unilatérale de volonté. »927. De là à y voir une consécration jurisprudentielle de la thèse du Professeur Aubert, il n’y a qu’un pas que Denis Mazeaud franchira avec une audace opportune : il écrira au sujet de l’arrêt de 1983 que par cette décision « la Cour de cassation consacre très clairement la doctrine de M. Jean-Luc Aubert. ». Et c’est bien sûr autour de l’autonomie de l’offre-acte juridique que le Professeur articulera son commentaire928.
39227. En l’absence même d’obligation naturelle, l’engagement unilatéral se voit donc reconnaître une existence sans aucune intervention formelle. Il y a là encore une marque tangible du succès de la thèse moderne : l’obligation gagne du terrain et quoiqu’elle repose ici sur la volonté du débiteur exclusivement, elle est bien la marque d’une évolution de la philosophie des sources des obligations. Des obligations à l’origine nouvelle naissent qui puisent leur raison d’être ailleurs que dans les catégories anciennes. La protection du sujet actif s’en trouve donc renforcée : là où autrefois nulle obligation n’aurait vu le jour, il y a aujourd’hui un lien qui naît en sa faveur.
40228. Aussi les rédacteurs de l’avant-projet confèrent-ils dès l’annonce liminaire des sources une place à l’engagement unilatéral. Certes, la formulation exprime quelques réserves : « L’acte juridique unilatéral est un acte accompli par une ou plusieurs personnes unies dans la considération d’un même intérêt en vue de produire des effets de droit dans les cas admis par la loi ou par l’usage. »929. La volonté unilatérale n’a donc pas été érigée en « source générale d’obligations »930. Si la référence à la loi ne pose guère question et témoigne d’une forte volonté d’encadrement, en revanche, l’appel à l’usage montre clairement la volonté d’offrir aux acteurs la possibilité d’étendre sans aucune limite a priori les hypothèses d’engagements unilatéraux. Ce seront aux acteurs économiques eux-mêmes d’en décider indirectement par l’installation d’usages. Entre une consécration totale et l’absence de reconnaissance, une troisième voie a été choisie qui retient une solution souple et potentiellement évolutive. Cette méthode doit être approuvée : feindre d’en ignorer l’existence eût conduit à n’apporter aucune réponse au reproche d’incomplétude. De même, il eût été excessif de l’élever au rang de source autonome sans qu’elle soit bornée par la référence à la notion d’usage, outil privilégié d’introduction naturelle de pratiques.
§2. Le fait juridique
41En ce domaine, l’évolution s’est faite sentir tant pour le délit (A) que pour le quasi-contrat (B).
A. Le délit
42Dans le cadre de l’analyse des éléments constitutifs du délit, l’étude du droit positif montre que l’exigence d’un fait illicite n’a cessé de décroître. En ce domaine, la jurisprudence a accompli depuis plusieurs décennies un travail d’une ampleur considérable. Sur la base des dispositions ancestrales du Code civil, elle a bâti un véritable édifice technique fondé sur la conception moderne. Autrefois conçues comme un simple développement de la responsabilité pour faute, la responsabilité du fait des choses (1) et la responsabilité du fait d’autrui (2) ont été profondément revisitées.
1. La garde de la chose
43229. La machine d’un remorqueur à vapeur explose. Un mécanicien décède. Agissant en son nom personnel et comme tutrice de ses enfants, sa veuve exerce une action en responsabilité contre les propriétaires du bateau. L’arrêt Teffaine est rendu le 16 juin 1896. La Cour de cassation décide que le seul vice de construction fonde la responsabilité du propriétaire sur le fondement de l’article 1384931 du Code civil en l’absence de toute faute caractérisée « sans qu’il puisse s’y soustraire en prouvant soit la faute du constructeur de la machine, soit le caractère occulte du vice incriminé ».
44Quoique tempérée quelques mois plus tard932, cette solution était porteuse de grands bouleversements en ce qu’elle constituait l’amorce de l’autonomie de la responsabilité fondée sur la garde. Autrefois simple prolongement de l’article 1382 du Code civil, l’article 1384 est appliqué sans que soit invoquée l’existence d’une faute commise par l’intermédiaire de la chose. Toutefois le divorce n’était pas officiellement consommé : aucun principe de responsabilité sans faute n’était clairement affirmé. Il était encore possible d’interpréter cette solution comme une responsabilité fondée sur une présomption de faute. L’avenir jurisprudentiel proche allait conforter cette interprétation933. Néanmoins les conditions étaient remplies pour que s’opère une profonde mutation dans le droit de la responsabilité civile.
45Ainsi fut rendu le 13 février 1930 l’arrêt Jand’heur. Une enfant, Lise Jand’heur, a été renversée sans que l’on put établir une faute à la charge du conducteur. Sous le visa de l’article 1384 al. 1er du Code civil, la Cour de cassation décida que « la présomption de responsabilité établie par cet article à l’encontre de celui qui a sous sa garde la chose inanimée qui a causé un dommage à autrui ne peut être détruite que par la preuve d’un cas fortuit ou de force majeure ou d’une cause étrangère qui ne lui soit pas imputable ; qu’il ne suffit pas de prouver qu’il n’a commis aucune faute ou que la cause du fait dommageable est demeurée inconnue. »934. La cause est entendue : désormais le divorce est consommé entre la faute et la garde. Quoique sujette à critique, l’expression de présomption de responsabilité témoigne largement de la volonté de la Cour de cesser de fonder la responsabilité du gardien sur la faute, présumée ou non.
46230. L’apport de cet arrêt est immense, dans son principe comme dans sa portée. En effet, il propose une relecture de l’article 1384 alinéa 1er du Code civil. Cette disposition n’est plus le simple développement de l’article 1382, comme on l’avait longtemps pensé. Son domaine n’est plus défini par référence à celui-là, elle constitue donc une règle autonome. La faute ne définit plus à elle seule les contours de la responsabilité935.
47Aussi la décision apparaît comme la consécration jurisprudentielle de la théorie du risque, défendue par les professeurs Josserand936 et Saleilles937. Alors que se développait considérablement le machinisme, la faute était devenue insuffisante pour assurer la réparation de dommages de plus en plus nombreux. Les auteurs lancèrent alors l’idée selon laquelle celui qui tire profit du risque généré doit également en supporter la charge. Il s’ensuit que « L’article 1384 consacre (…) une responsabilité purement objective, c’est-à-dire dégagée de toute idée de faute et fondée sur le seul fait de l'accident et sur un rapport de causalité industrielle entre le malheur survenu et la direction patronale. »938. L’idée de risque doit alors supplanter la notion de faute dans la définition des éléments essentiels du délit : dès lors que la responsabilité délictuelle peut être prononcée en l’absence de toute faute, force est d’admettre que le dénominateur commun à tous les délits n’est plus la faute. Dans cette perspective, la faute n’est rien d’autre qu’un risque qualifié.
48Il est alors aisé de comprendre en quoi la décision fait planer une menace importante sur la notion de faute. A cet égard, il n’est qu’à se rappeler les paroles de l’éminent juriste : « ce que j’ai essayé de soutenir, c’est que l’article 1384 nous éclairait sur la portée et les conditions d’application de l’article 1382, dont il n’était lui-même qu’une application particulière, et que par suite, la responsabilité de tout fait positif qui causait dommage à quelqu’un, en vertu de l’article 1382, était une responsabilité purement objective, fondée sur l’idée de risque et indépendante de toute faute prouvée et établie. »939. La prédiction semblait d’autant plus apte à se réaliser qu’en plus de substituer un nouveau fondement à l’obligation, l’arrêt refuse d’opérer une distinction entre les choses selon qu’elles sont ou non actionnées par la main de l’homme. Il est ouvert un vaste champ d’application à l’article 1384 alinéa 1er. Le grand nombre d’applications possibles sera de nature à effacer progressivement l’article 1382 et partant, l’exigence de la faute. En même temps que Raymond Saleilles en fera le souhait, Henry Capitant en exprimera la crainte : « la conception nouvelle fera tâche d’huile et ne tardera pas à envahir le terrain de l’art. 1382. Car, quelle raison y aurait-il de distinguer entre le dommage causé par le fait des choses et celui qui est causé par le fait de l’homme ? On arriverait donc à effacer de l’art. 1382 le mot de faute et à affirmer que tout fait quelconque de l’homme qui cause dommage à autrui oblige son auteur à le réparer. »940. Aussi cet obstacle à l’extension de la théorie du risque devait conduire à s’interroger sur la recherche d’un fondement commun. Et la réponse la plus conforme à la théorie du risque eût été pour le juge d’en faire application en l’absence même de toute chose impliquée. Le droit positif n’a certes pas suivi cette voie : s’ « il ne reste plus grand-chose, en pratique, du grand principe de l’article 1382 »941, il n’est pas moins vrai que la responsabilité du fait personnel exige qu’un comportement illicite puisse être reproché à son auteur. Il n’en reste pas moins que l’arrêt Jand’heur constitua à lui seul un véritable séisme, propre à faire vaciller la théorie classique des sources.
49231.Conscients que l’approche classique risquait de perdre un de ses bastions, ses défenseurs tentèrent de rattacher la responsabilité du gardien à l’idée de faute. Deux voies différentes furent suivies. La première consiste en une seule interprétation du droit positif. En partant des règles applicables en l’état, les auteurs expliquent l’existence de l’obligation à partir de l’idée de faute, considérée au stade de l’exonération ou de la naissance de la responsabilité. La seconde vise à retrouver l’idée de faute à travers une application restrictive du principe. Déclinée de différentes manières, elle propose donc un rétrécissement du champ d’application du principe.
50232. Le rattachement à l’idée de faute ne passe pas nécessairement par un examen approfondi de la notion de garde. Le cas de force majeure a naturellement un effet exonératoire de la responsabilité du gardien. Or, il est apparu à certains auteurs que la force majeure, une fois reconnue, établit que le débiteur ne peut se voir adresser aucun reproche. Il est alors fort tentant d’en conclure que la garde repose sur l’idée de faute942. Le raisonnement n’est toutefois pas valable car la démonstration n’est pas réversible : si la force majeure suppose l’absence de faute génératrice du dommage943, l’absence de force majeure ne fait pas la preuve de l’existence d’une faute. Entre la force majeure et la faute peuvent se glisser de multiples faits générateurs de l’obligation.
51La garde suppose une maîtrise sur la chose, quelle que soit la forme qu’elle revête. Aussi Henry et Léon Mazeaud ont-ils lancé l’idée selon laquelle tout préjudice causé par la chose révélait en lui-même qu’elle avait échappé au contrôle de son gardien et que partant, celui-ci avait manqué à son obligation de garde. Ainsi est mis au jour le concept de faute dans la garde. Dans la même veine, Charles Beudant développa l’idée selon laquelle « le gardien d’une chose doit éviter qu’elle ne cause un dommage à autrui »944. L’idée constitue une expression positive de la thèse ancienne selon laquelle la responsabilité du gardien -ou de la personne chargée de la surveillance d’un tiers - est fondée sur une faute par omission945. Il est selon l’auteur « débiteur d’une obligation de sécurité »946 envers les tiers. Il s’ensuit tout naturellement que « l’obligation imposée au gardien de chose inanimée s’inscrit dans le cadre général de la responsabilité délictuelle pour faute. »947.
52Mais là encore une réplique existe qui met en évidence l’hypertrophie d’une telle charge. Elle sera formulée par Boris Stark : « Il est impossible d’admettre l’existence d’une obligation précise dont l’objet serait de ne pas laisser échapper la chose au contrôle du gardien, pour l’excellente raison que l’on ne peut concevoir d’exécuter une prestation impossible par sa nature même. »948. Ainsi qu’il l’a déjà été mis en évidence949, ce raisonnement consiste en réalité à supprimer purement et simplement de la responsabilité l’exigence d’un fait générateur. Or, du simple dommage, il n’est pas possible d’induire l’existence d’une faute, fût-il réalisé par l’intermédiaire d’une chose : même réalisé par l’intermédiaire d’une chose, le préjudice subi par une personne ne renseigne pas sur les conditions dans lesquelles il s’est réalisé. Aussi a t-on proposé un infléchissement dans le raisonnement qui consiste à opérer une distinction entre les choses dommageables.
53Le même souci de fonder la responsabilité sur la faute caractérise l’œuvre d’André Besson. Mais pour ce faire, il choisit de réduire le champ de la notion. Dans sa thèse de doctorat950, l’auteur sera amené à faire le départ entre la garde juridique et la garde matérielle. A la différence de la garde matérielle, la garde juridique est liée à l’obligation d’entretien et de surveillance951, dont la violation caractérise l’existence d’une faute. Or, celle-ci suppose selon l’auteur que l’on soit en présence d’une chose dangereuse952. En ce cas, la responsabilité s’induira de la seule réalisation du dommage953. Défendue par le Planiol et Ripert954, l’idée a reçu une large audience. A l’occasion de critiques dirigées contre elle955, ses détracteurs n’ont toutefois pas manqué de montrer en quoi elle desservirait la thèse classique : la seule réalisation du dommage révèlerait l’état de dangerosité de la chose956. Mieux : la réalisation d’un dommage par une chose inoffensive attesterait a priori d’une légèreté plus grande. Enfin, René Demogue a lancé une critique de nature à soustraire définitivement l’idée de dangerosité de l’emprise de la thèse classique : « il y a une différence entre le cas où des précautions devaient être prises et ne l’ont pas été et celui où ces précautions ne pouvaient être prises ou devaient être impuissantes. Dira-t-on que c’est alors une faute que d’employer l’organisme dangereux ? Non, car l’appréciation commune a été qu’au point de vue social, il y avait dans cet emploi plus d’avantages que d’inconvénients. Ainsi en est-il de l’emploi de l’électricité malgré les courts-circuits possibles, de l’emploi d’automobiles, etc… »957.
54Dans son étude consacrée à la détermination du gardien responsable958, Bertrand Goldman part également du constat qu’un lien nécessaire unit le pouvoir sur la chose à l’obligation de réparation959. La faute ne s’induit pas du seul résultat dommageable, elle constitue la violation caractérisée du devoir de surveillance qui pèse sur la personne qui avait la possibilité de l’exercer. Aussi le gardien doit-il être pourvu de toutes les compétences requises pour éviter que la chose ne cause un dommage960. Ainsi fut mise au jour la distinction entre garde de la structure et garde du comportement961 dont le défenseur le plus illustre fut André Tunc962 : si la responsabilité du gardien de la structure ne repose pas nécessairement sur l’idée de faute, en revanche, la garde du comportement devient le terrain d’élection de la faute. En réduisant le champ d’application de la responsabilité du fait des choses, il était possible de prendre en compte l’attitude du débiteur sans s’exposer au reproche d’irréalisme. L’approche se situe à mi-chemin entre la thèse classique et la thèse moderne. Aussi la notion de garde de la structure a-t-elle été consacrée par des arrêts célèbres qui insistèrent sur la nécessité pour le gardien d’être en mesure de prévenir le dommage963. De la sorte, la jurisprudence s’éloigne d’une application stricte de la thèse moderne, même si ces décisions pouvaient aussi être interprétées comme la volonté de rendre le propriétaire responsable964.
55233. La doctrine ne présente plus ces concepts comme les éléments constitutifs de la responsabilité du fait des choses. Et pourtant, malgré l’importance grandissante de l’impératif réparateur et l’expansion générale de la thèse moderne, ces propositions doctrinales exercent encore aujourd’hui une influence certaine sur le droit positif. Contre toute attente, elles viennent limiter considérablement l’imprégnation de la thèse moderne dans la responsabilité du fait des choses.
56Si la notion de chose dangereuse n’a pas totalement pénétré le droit positif, plusieurs décisions témoignent de la persistance de son influence en droit positif. Elle imprégne totalement la pensée de la Cour de cassation lorsqu’elle décide par la voie de sa deuxième Chambre civile du 7 mai 2002 qu’« Ayant retenu que la hauteur et la largeur des marches ne présentait aucun caractère dangereux et que l’éclairage des lieux ne pouvait être mis en cause, puis ajouté que ni le caractère ancien de l’escalier de pierre dont il n’est pas établi qu’il eût été glissant, ni l’absence de main courante, dont la présence n’était d’ailleurs pas obligatoire, ne permettent de conclure à sa dangerosité ». 965Dans la même veine, le concept de dangerosité est encore présent dans la décision du 25 février 2005 lorsque le juge évoque la « fragilité »966 d’une porte vitrée ou encore lorsqu’il fait mention de la notion sans l’élever au rang de condition exclusive967. D’une manière plus diffuse, la notion irrigue encore le droit positif lorsque le juge en appelle au caractère dangereux de la chose sans l’élever clairement au rang de condition de la responsabilité. Il en sera ainsi lorsque le juge décidera que « la chose avait été dangereuse et avait été l’instrument du dommage »968 ou encore lorsqu’il refusera d’exonérer un gardien au motif que celui-ci connaissait la dangerosité de la chose969.
57Quoique moins perceptible, une autre limite à l’introduction de la thèse moderne peut être observée à travers la résistance offerte par la théorie de la garde de la structure et du comportement970. Si elle a été clairement condamnée par la voie de la deuxième Chambe civile971, la Cour suprême semble manifester quelqu’attachement à cette doctrine que la législation sur les produits défectueux n’a pas su mettre en sommeil972. Si elle ne fit pas paraître à la publication un arrêt par lequel elle jugea qu’une société pétrolière conservait la garde de cuves de carburant alors que la station service en était détenteur973, elle conféra en revanche une large audience à des décisions qui s'inspiraient de la même philosophie. Elle refusa de transférer la garde au détenteur matériel qui n’aurait pas été informé des caractéristiques du bien974. Le juge n’est donc pas resté totalement insensible à l’idée selon laquelle la responsabilité devait peser sur la personne qui est capable de prévenir le danger975.
58Enfin, il est porté une dernière limite à l’approche moderne à travers l’utilisation du rôle actif de la chose. Si une présomption de causalité pèse sur la chose en mouvement qui a heurté le siège du dommage, une chose inerte ne sera jugée cause génératrice du dommage qu’à la condition d’avoir été dotée d’une position anormale. Il en est de même d’une chose en mouvement qui n’aurait pas heurté le siège du dommage. Quoiqu’abandonnée provisoirement par la jurisprudence976, l’idée d’anormalité irrigue encore le droit positif : l’arrêt du 24 février 2005 de la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation a statué en ce sens977. De surcroît, le concept a reçu les faveurs des rédacteurs de l’avant-projet de réforme978. Or, dès lors qu’elle est passée sous l’emprise d’une personne déterminée, la place anormale occupée par la chose renvoie au comportement de la personne : il n’y a alors qu’un pas pour affirmer qu’il est fautif de laisser une chose occuper une place anormale979. Aussi l’exigence d’anormalité serait utilisée pour juger du comportement fautif de la personne : il y aurait alors une véritable concession faite à l’exigence classique.
59Toutefois, parce qu’elle ne vise jamais que sa relation avec d’autres éléments, l’anormalité de son emplacement ou de son mouvement peut trouver son origine dans des circonstances externes. La chose peut avoir été provisoirement délaissée à un endroit où il était légitime de le faire en raison de circonstances favorables. Que le contexte évolue et elle pourra occuper une place anormale980. Il est alors excessif d’affirmer que le débiteur est en faute. De surcroît, la condition d’anormalité ne vaut que pour les choses inertes. Si elle constitue un frein incontestable au développement de la thèse moderne, l’exigence d’anormalité n’est donc pas la brèche par laquelle pourront s’engouffrer les solutions classiques.
60234. Le développement de la thèse moderne connaît donc des limites dont l’explication réside parfois ailleurs que dans la consécration, fut-elle indirecte, de la thèse classique. De multiples solutions sont rendues qui se situent à mi-chemin entre la thèse classique et la thèse moderne. Le comportement du gardien est encore utilisé pour filtrer l’obligation alors même qu’aucune faute n’est à regretter. Aussi l’idée de pouvoir est-elle très présente à travers ces solutions. Le responsable est celui qui est dans la capacité d’exercer une maîtrise matérielle sur la chose et non pas celui qui en retire le bénéfice comme le suggère la théorie du risque. Or, la véritable maîtrise suppose dans l’esprit des juges la maîtrise intellectuelle de son fonctionnement et la connaissance de ses caractéristiques principales. Dès lors, il convient de s’interroger sur le sens de ces restrictions à la lumière de la jurisprudence Trichard : pourquoi imposer de telles restrictions alors que dans le même temps, on condamne à la réparation une personne privée de factulté de discernement ? Pourquoi d’un côté, se réclamer de l’idée d’une véritable maîtrise de la chose, et de l’autre l’ignorer ?
2. Le fait d’autrui
61Déclinée de différentes manières, la responsabilité du fait d’autrui a vu son domaine s’étendre au cours des années sous l’effet de l’assouplissement de ses conditions de mise en oeuvre981. Sans même l’étudier dans ses circonvolutions complexes, il est possible d’affirmer qu’elle est de plus en plus sollicitée pour donner naissance à l’obligation. Ainsi la faute a-t-elle encore récemment perdu de l’importance en abandonnant le terrain de la responsabilité du fait des parents. Enfin, la responsablité générale du fait d’autrui a porté un coup fatal à l’approche classique. Mise en cause depuis longtemps dans son aptitude à rendre compte de la responsabilité du commettant (a), la thèse classique a vu récemment disparaître son dernier refuge (b), pour être enfin anéantie par la responsabilité générale du fait d’autrui (c).
a) La responsabilité du commettant
62La perspective moderne du droit contemporain doit être vérifiée, tant sur le plan de l’établissement de la responsabilité (1°) que des conditions d’exonération (2°).
1°) L’établissement de la responsabilité
63235. On enseigne depuis longtemps avec constance que la faute du commettant n’est pas une condition de sa responsabilité. Si certains auteurs ont développé la théorie de la faute in eligendo982, la majorité de la doctrine a depuis longtemps abandonné l’idée de rattacher la responsabilité du commettant à sa faute. Les travaux préparatoires du Code civil y invitent eux-mêmes983. Il n’en reste pas moins que plusieurs propositions furent faites dans l’objectif de maintenir dans le champ de la doctrine classique cette source de responsabilité.
64En vue de faire rempart à toute forme d’interprétation extérieure à la thèse classique, il fut développé l’idée selon laquelle le préposé constitue le prolongement de la personne du commettant. Le préposé serait le représentant du commettant984. La proposition a pour effet de replacer le commettant au centre de la responsabilité.
65Elle s’expose toutefois à une critique majeure. L’exigence classique d’une faute du préposé interdit de raisonner en termes de représentation. La représentation suppose en effet une adéquation entre le fait générateur du représentant et le fondement de l’obligation du représenté. Nul ne peut représenter un individu, même dans une définition large de la représentation985, en l’absence d’identité entre fait générateur et fondement. Or, l’absence de faute du représenté est en parfaite contradiction avec la faute du représentant : il ne serait pas cohérent que la faute du second représente l’absence de faute du premier.
66Une seconde optique consiste à présenter le commettant comme la caution légale du préposé986. Son rôle se limite à celui d’une garantie financière. Ainsi s’explique l’exigence d’une faute du préposé : il est normal qu’en sa personne soient réunies les conditions traditionnelles de la responsabilité. Par ailleurs, en ce qu’elle fait reposer le consentement sur la loi, cette interprétation semble respectueuse du schéma traditionnel alors même qu’elle figure parmi les théories objectives987 : nulle atteinte n’est portée à la liberté du débiteur qui n’aura pas été validée par le législateur.
67Plusieurs critiques peuvent être adressées à ce raisonnement. Tout d’abord, dans ce schéma, la loi constitue la source du cautionnement. C’est son intervention qui permet de mettre la théorie classique à l’abri de toute atteinte. Il y a donc là aussi une illustration de la propension de la doctrine à mettre sur le même plan source formelle et source substantielle. En effet, la loi n’est que la source formelle de l’obligation de payer. Invoquer l’existence d’un cautionnement légal, c’est donc tenter de décrire le processus de naissance de l’obligation en lui conférant un fondement juridique là où l’on attend une justification technique. De surcroît, dans le cautionnement, la caution jouit du bénéfice de discussion. Il reste alors à expliquer pourquoi la victime peut agir directement contre le commettant. Mais surtout, la caution est dotée par la loi d’un recours contre le débiteur principal. Or, par l’arrêt Rochas de 1993988 et la décision d’Assemblée plénière Costadoat du 25 février 2000989, la Cour suprême a clairement mis fin au recours du commettant dès lors que le préposé « a agi sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant »990. Ce qu’on a pu qualifier de « coup d’Etat judiciaire »991 a pour conséquence une véritable « métamorphose »992 de l’article 1384 alinéa 5 : la responsabilité n’est plus une responsabilité par procuration mais par substitution. Le commettant n’est donc plus une « simple garantie de solvabilité offerte à la victime »993. L’idée même de garantie financière perd toute vocation à rendre compte de la jurisprudence. Quoique limitée par le célèbre arrêt Cousin994qui exclut du champ de l’arrêt les infractions pénales intentionnelles995, cette décision rapproche la jurisprudence du postulat de la théorie des risques : le poids final de l’indemnisation repose désormais sur le commettant lui-même, bénéficiaire du profit. Si la théorie des risques laisse néanmoins inexpliquée l’exigence de la faute du préposé, il est certain que la jurisprudence s’éloigne encore un peu plus de la thèse classique par cette décision.
68236. L’analyse classique ne rend donc pas compte fidèlement du processus de naissance de l’obligation. Toutefois pour être complète, l’analyse doit prendre en considération les différentes causes d’exonération. Interprétées largement, ces circonstances pourraient constituer une importante concession à la thèse classique. Evincée au stade de l’établissement de la responsabilité, la liberté du commettant pourrait alors réapparaître.
2°) L’exonération de la responsabilité
69237. Dans une conception extensive de cette catégorie de responsabilité du fait d’autrui, il suffit que le préposé ait trouvé dans l’exercice de la fonction les moyens de causer le préjudice pour que sa responsabilité soit définitivement engagée : seuls des délits commis hors fonction sont de nature à exonérer le commettant996. Dans cette perspective, la thèse classique est définitivement mise hors jeu : le seul lien matériel avec l’activité suffit pour donner naissance à l’obligation997. Il suffit que l’activité soit la cause génératrice du dommage998. Nonobstant l’exigence de la faute du préposé, la théorie du risque occupe alors une place privilégiée pour expliquer les solutions positives. La consécration de la théorie de l’équivalence des conditions fait alors totalement obstacle à toute forme d’appréciation, serait-elle indirecte, du comportement du responsable. Cette conception minoritaire est défendue par le professeur Larroumet999.
70Dans une seconde optique qui rassemble la quasi-totalité de la doctrine1000, en plus d’être la conséquence matérielle de l’activité1001, le préjudice doit pouvoir être mis en relation avec l’objet de l’activité. Un lien doit unir les fonctions du préposé au dommage qui renvoie à l’idée de cause finale1002. Cette interprétation a pour elle l’appui des travaux préparatoires du Code civil : si le terme employé a été préféré au mot substitué, c’est pour réduire la responsabilité du commettant aux dommages causés dans le cadre de l’activité1003. Par ailleurs, depuis les travaux du professeur Flour1004, on enseigne que le commettant exerce un pouvoir de contrôle et de surveillance sur l’activité du préposé. Purement factuelle ou reconnue par le droit1005, cette prérogative s’arrête où prend fin la fonction : « Le commettant ne possède pas, en effet, sur l’activité du préposé un droit de direction absolu. La subordination n’est, pour celui-ci, qu’exceptionnelle, imposée à lui dans un but précis. La liberté reste la règle : les restrictions qu’elle subit ne proviennent que de l’obligation où il est d’obéir à son maître pour l’exécution de son travail. »1006. Aussi l’obligation cesse où commence la liberté du préposé. Les limites de l’autorité délimiteront le champ de la responsabilité du commettant : « Le préposé n’est dans l’exercice de ses fonctions que lorsqu’il agit en vue de remplir la mission qui lui a été confiée, d’atteindre le résultat auquel, de par la décision du commettant, doit tendre son activité. »1007.
71238. Sur cette question, l’Assemblée plénière a apporté des réponses fluctuantes nées d’un conflit entre la Chambre criminelle et la seconde Chambre civile. Alors que la Chambre criminelle préféra la première solution1008, la Chambre civile dégagea au contraire le principe selon lequel « lorsque le préposé a utilisé, dans un but étranger, les moyens mis par le commettant à sa disposition, c’est toutefois à la condition que le fait dommageable se rattache par un lien de causalité ou de connexité à l’exercice des fonctions, et que le préposé puisse être réputé avoir agi pour le compte du commettant. »1009
72Ce furent les chambres réunies les premières qui approuvèrent la Chambre civile par la décision du 9 mars 19601010. Mais la résistance de la Chambre criminelle obligea l’Assemblée plénière à se prononcer. Par un arrêt du 10 juin 1977, elle décida que « le commettant n’est pas responsable du dommage causé par le préposé qui utilise, sans autorisation, à des fins personnelles, le véhicule à lui confié pour l’exercice de ses fonctions. »1011. La juridiction pénale dût alors s’incliner. Mais elle enleva à sa décision sa portée par l’interprétation restrictive qu’elle en fit1012. Aussi l’Assemblée plénière fut sollicitée une nouvelle fois et conféra expressément une portée illimitée à sa décision : « les dispositions de l’article 1384 alinéa 5 du Code civil ne s’appliquent pas au commettant en cas de dommage causé par le préposé qui, agissant sans autorisation à des fins étrangères à ses attributions, s’est placé hors des fonctions auxquelles il était employé. ». 1013Une question subsista toutefois qui mobilisa une nouvelle fois les compétences de la haute Assemblée : la dernière proposition constitue t-elle une conséquence de ce qui précède ou une condition indépendante ? Tandis qu’un premier arrêt d’Assemblée répondit de manière positive1014, la dernière étape de cette longue épopée fut en faveur de la réponse opposée : pour s’exonérer de sa responsabilité, le commettant doit avoir « agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions. »1015.
73239. Pour donner naissance à l’obligation sur le fondement de l’article 1384 alinéa 5 du Code civil le fait préjudiciable doit donc s’inscrire dans l’activité de l’entreprise. A la première concession relative à la faute du préposé vient se superposer une limite : la responsabilité cède dès lors que le proposé s’est placé hors de la sphère d’autorité du commettant. La théorie du risque perd du terrain : dans sa conception la plus répandue, elle est impropre à rendre compte de la responsabilité du commettant en raison de l’existence même de cette faculté d’exonération. Le profit ne s’arrête pas là où commence l’usage abusif des fonctions. Le risque-profit doit céder la place à la doctrine du risque-autorité. De surcroît, si la naissance de l’obligation suppose un lien fort avec l’activité, telle qu’elle a été voulue et organisée par le commettant ou aurait dû l’être1016, l’hypothèse doit être envisagée selon laquelle le préjudice serait la conséquence de son incurie. L’acte étranger à la fonction1017 ouvrirait la voie à la prise en compte du comportement du commettant. Le risque serait alors balayé par la faute. Si le dommage renvoie nécessairement à une organisation défectueuse du service par le commettant, alors l’idée de faute sera réintroduite par la petite porte. Du caractère de ce lien va donc découler l’existence ou non d’une concession à la perspective traditionnelle. La question est la suivante : l’abus de fonction, tel qu’entendu par la jurisprudence, exonère-t-il en toute hypothèse le commettant non-fautif ? Afin d’apporter une réponse, il est nécessaire d’envisager tour à tour chacune des conditions posées à l’exonération.
74240. Le juge est d’abord conduit à vérifier que le débiteur a agi dans le cadre des fonctions imparties. Largement remise en question, l’absence d’identité avec la dernière condition pousse à interpréter de manière objective cette exigence afin de conférer à chacune d’elle une autonomie1018 : le préposé doit sortir de ses attributions, telles que définies préalablement, quel que soit le mobile qui l’anime. Si la détermination du champ de ses prérogatives relève pour totalité de la compétence de celui qui sollicite ses services, leur dépassement met donc exclusivement en scène le subordonné. Il serait toutefois hâtif d’en conclure que la seule liberté du préposé est en cause. Il se peut en effet que la fonction dévolue ne lui permette pas de réaliser l’objectif fixé. La faute du commettant résiderait alors dans l’incohérence entre l’objectif fixé et les moyens mis à la disposition du subordonné. La condition nécessaire à l’exonération n’en serait pas moins remplie. Au titre de cette condition, une relation de cause à effet pourrait donc le cas échéant unir l’usage défectueux de la liberté et l’exonération, mais selon un mécanisme totalement inversé : la faute du commettant pourrait participer de l’exonération de sa responsabilité. Certes, il est impossible que le commettant soit exonéré dans ces circonstances : dans l’hypothèse envisagée, si le préposé a outrepassé ses fonctions, c’est pour servir l’objectif assigné. La dernière condition fera alors défaut. Il reste que l’affront fait à la thèse classique n’en est pas moins surprenant et même choquant.
75De surcroît, le fait dommageable doit également avoir été accompli sans l’autorisation du commettant. A la différence de la première condition, cette hypothèse fait référence au seul comportement du commettant : son approbation lui enlèvera le bénéfice de l’exonération. En conséquence, le fait illicite du commettant aura toujours pour effet d’engendrer sa responsabilité. Inversement, l’absence de faute en relation avec le dommage remplira la condition exigée. En cette exigence considérée isolément, il y a donc là une véritable concession au système traditionnel.
76Selon la dernière condition, le préposé doit avoir agi dans une finalité respectueuse des fonctions assignées. Ainsi que cela a déjà été exposé brièvement, la seule façon de distinguer cette formulation de la première proposition est de la recentrer autour de la personne du préposé et de ses motivations personnelles : la finalité qu’il poursuit doit être conforme à l’objectif assigné. Or, il est évident que la détermination des mobiles de l’action sort totalement de la sphère de pouvoir du commettant. Il n’a aucune prise possible sur la conscience du préposé et les intentions qui l’animent. Voilà une nouvelle brèche par laquelle s’engouffre l’ensemble des hypothèses où le commettant non-fautif verra sa responsabilité engagée.
77241. Le constat est donc en défaveur d’une interprétation classique de la responsabilité du fait des commettants. L’introduction ponctuelle de l’idée de faute au stade de l’exonération n’en rend pas la conclusion moins certaine : les modalités d’exonération des commettants rejettent fondamentalement le postulat classique. En effet, parmi les conditions énumérées, il eût suffi d’une seule atteinte pour que l’interprétation classique s’effondre pour totalité. Le respect du postulat classique implique qu’aucune obligation ne naisse qui ne puise sa source dans l’emploi répréhensible de la liberté.
b) La responsabilité des parents
78242. Jusqu’à une date récente, l’échec des théories explicatives traditionnelles ne mettait toutefois pas en danger l’ensemble de la responsabilité du fait d’autrui et laissait donc à l’abri de toute déformation la notion de délit. La responsabilité du commettant formait tout au plus une aspérité sur un ensemble lisse, une excroissance regrettable. Mais voilà, par l’arrêt Bertrand du 19 février 1997, la responsabilité des parents a connu une évolution remarquable : « le simple fait d’être parents, d’avoir cette qualité, engendre donc la responsabilité de ces derniers dès que leur enfant cause un dommage. »1019. Présumée ou non, la faute n’est plus la condition technique à la naissance de l’obligation1020. Considérée isolément, la solution est déjà révolutionnaire : la faute des parents formait un bastion très ancien de résistance au développement de la responsabilité objective. L’alinéa 7 de l’article 1384 était un rempart solide qui protégeait la forteresse contre l’invasion de la responsabilité objective1021. Désormais, l’interprète est conduit à chercher ailleurs le fondement à la responsabilité des parents : « ce qui justifie la responsabilité parentale, ce n’est plus le souci de sanctionner une mauvaise éducation ou une surveillance insuffisante, c’est la volonté de donner à la victime du dommage causé par un mineur une garantie d’indemnisation, celle-ci étant mise à la charge des répondants naturels de l’enfant qui sont ses père et mère. »1022.
79Cette solution met fin au dilemme dans lequel étaient plongés autrefois les juges. Soucieux d’offrir au demandeur une réparation, les juges en étaient venus à refuser sans ambages de porter une quelconque appréciation sur l’éducation dispensée à l’enfant.1023 Ils recherchèrent si le comportement de l’enfant « n’établissait pas par lui-même, à la charge des parents, un manquement à l’obligation de surveillance et de direction »1024. Or, même les personnes les plus avisées et consciencieuses ne peuvent prétendre garder leur enfant sous leur contrôle permanent : l’erreur n’est pas la faute. Le comportement fautif dans l’éducation ne peut être qu’appréhendé de manière globale : un instant d’inattention, aussi dommageable soit-il, n’augure pas à lui seul d’une éducation défectueuse. Cette conception minimaliste de la faute des parents apparaissait toutefois comme la conséquence inéluctable de la disparition de la faute de l’enfant comme condition de la responsabilité des parents1025. Irréprochable, le comportement de l’enfant ne pouvait révéler une carence éducative mais tout au plus un défaut d’attention.1026
80Si la suppression de la faute des parents n’altère pas le sens des responsabilités familiales1027, ce n’est donc pas seulement parce que la théorie du risque n’est pas dépourvue de toute fonction normative1028, mais parce que la fonction normative -à supposer que les solutions juridiques en soient pourvues1029 -était déjà largement écornée par la jurisprudence antérieure1030. Seule la condition de cohabitation semblait être le dernier bastion de résistance à l’effacement de la prise en considération du comportement quotidien des parents1031. La disparition de l’ancien fondement consommée, il a donc été nécessaire d’en assouplir les conditions1032, à défaut de pouvoir la supprimer sans intervention législative1033. Poursuivi par la suite1034, l’élargissement de la notion présente alors l’avantage de rendre utilisable l’article 1384 du Code civil sans en passer par le détour de l’aliéna 5 du même article1035
81243. L’apport de l’arrêt Bertrand au plan théorique dépasse le strict cadre de la responsabilité des parents. Bien plus que la seule mise en œuvre de la responsabilité des parents, c’est la notion même de responsabilité du fait d’autrui qui s’en trouve bouleversée et qui a été sujette à des transformations « spectaculaires »1036 : il y a tout lieu de penser que la responsabilité des artisans suivra le même régime. De surcroît, il est désormais impossible de voir dans le régime imposé aux commettants un traitement dérogatoire qui laisserait intacte la notion de responsabilité indirecte. « L’onde de choc »1037 se propage sur la responsabilité du fait d’autrui considérée de manière globale, en révélant par là sa raison d’être : « changer de logique en retenant le principe d’une responsabilité appréciée objectivement, c’est-à-dire sans référence au comportement du répondant et de son lien de causalité avec le dommage »1038. La responsabilité d’autrui dans son ensemble change donc de visage et place au second plan le débiteur de l’obligation de réparation.
82De surcroît, l’apport de l’arrêt est encore plus frappant lorsqu’il est mis en perpective avec la suppression de l’exigence d’une faute de l’enfant : la responsabilité pour autrui n’est plus une responsabilité personnelle mais elle n’est pas non plus une responsabilité de substitution. Comme l’explique Jean Mouly, « Les responsables pour autrui se trouvent ainsi garants de personnes dont il n’y a pourtant pas lieu de répondre, puisqu’elles ne sont pas responsables des dommages dont la victime se plaint »1039. Avant l’arrêt Bertrand, la disparition de la faute de l’enfant laissait à la responsabilité pour autrui une allure classique : en toute occurrence, le comportement des parents était visé à travers l’attitude de l’enfant. Désormais, la responsabilité des parents revêt une signification toute différente : elle est l’assurance offerte à la victime d’une réparation en l’absence de cas de force majeure. L’illicéité a totalement disparu de la responsabilité pour autrui pour laisser place à l’exigence moderne.
83Au plan philosophique, les conséquences se ressentent sur la définition de la responsabilité. La responsabilité n’est pas la conséquence d’un comportement défectueux. Mais elle n’est pas plus l’autre facette du pouvoir : il est manifeste qu’une conception aussi restrictive de la condition de cohabitation a pour effet de supprimer tout lien entre la responsabilité et les possibilités de contrôle offertes aux parents. Il existe un découplage total entre la responsabilité et la maîtrise matérielle de la situation. La responsabilité consiste exclusivement en la vocation à répondre du comportement : le droit positif contemporain renoue donc avec l’ancienne conception romaine de la responsabilité. Le responsable est celui qui répond et non pas la personne qui est impliquée de quelque manière que ce soit dans la réalisation du dommage1040. Avant que le mot responsable n’ait « transité par le jugement de Dieu »1041, l’accent était mis sur le seul résultat sans considération pour son origine : l’iniuria ne se situe pas du côté de l’agent mais bien du côté du résultat1042. En écho à cette idée, la réparation est aujourd’hui accordée sans que le comportement du répondant ne fasse en aucune façon obstacle à la naissance de l’obligation. La responsabilité des parents vient nourrir un peu plus le déclin de la responsabilité individuelle1043, phénomène savamment décrit par le professeur Viney : il en ressort avec évidence que « la fonction essentielle de la responsabilité civile dans sa technique traditionnelle n’est pas aujourd’hui la punition des actes injustes mais l’indemnisation des dommages injustes. »1044.
84Sur le terrain de la technique juridique, il est surprenant de s’apercevoir que la doctrine semble tout à la fois en tenir compte et l’ignorer. Alors que l’exposé des règles applicables est réalisé dans ses moindres détails, les auteurs se refusent pour la plupart à en tirer les conséquences au plan de la définition. Tandis que le quasi-délit reste un fait illicite imputable à son auteur, le délit est élevé au rang de fait illicite intentionnel1045. Il y a un écart prodigieux entre la présentation théorique des notions et la description de la jurisprudence : l’exercice de généralisation se réalise au profit d’une conception passéiste de la réalité. Curieusement, la multiplication des atteintes à la thèse classique ne fait donc pas basculer une conception de la source qui plonge ses racines dans le débiteur de l’obligation. Or, manifestement, l’élément fédérateur se situe en la personne du créancier : l’existence d’un dommage est la donnée qui rassemble autour d’elle la totalité des situations visées.
85Cette réticence de la doctrine à renouveler l’appréhension de la responsabilité se comprend d’autant moins que l’exercice avait été réalisé par Boris Stark. L’auteur s’offrit de renouveler totalement le cadre théorique qui en permet la compréhension. Dans sa thèse de doctorat consacrée à l’étude de la responsabilité civile1046, il se propose de renouveler la manière de penser la responsabilité civile. Aux méthodes traditionnelles de la responsabilité doit se substituer une approche fonctionnelle. La responsabilité civile a pour fonction principale la réparation des dommages causés : la source de l’obligation réside donc en la personne de la victime. Il faut donc cesser de n’ « envisager le problème du fondement de la responsabilité du seul point de vue de l’auteur du dommage »1047. Articulé jusqu’alors autour de la personne de l’auteur du dommage, le droit de la réparation doit désormais s’agencer autour de la victime. Il faut alors déplacer le fondement de l’obligation du débiteur au créancier. Aux notions de risque ou de faute sera préférée la notion de garantie : « La théorie de la garantie, au contraire, justifie l’obligation d’indemniser la victime par l’idée de violation de ses droits. »1048. Dans l’esprit, cette proposition constitue un renouvellement total dans la manière d’appréhender la responsabilité : la source substantielle de l’obligation quitte le terrain de la liberté pour rejoindre explicitement le domaine de la protection. Sur le plan technique, cette modification de l’analyse accompagnera naturellement la diminution de la fonction sélective du fait dommageable. Il n’est pas de restriction à la réparation qui puise sa source en la personne du débiteur : aussi les dernières conditions qui restreignent la champ de la réparation sont-elles analysées comme des événements qui restreignent le domaine de la garantie1049. A la différence de la théorie des risques, la théorie de la garantie abandonne toute forme de justification passive. Si elle pouvait apparaître excessive, elle constituait donc l’invitation au renouvellement de l’appareil conceptuel. A ce titre, il est regrettable que la majorité de la doctrine persiste à proposer une présentation des sources axée principalement, sinon exclusivement, autour de la personne du débiteur.
86244. Il reste que dans l’ordre technique, le renversement total de perspective se heurte à un obstacle de taille. Dans le cadre de la responsabilité des apprentis comme du fait des préposés, le cas de force majeure est exonératoire de responsabilité. Il s’ensuit que la source de l’obligation ne se trouve pas dans le dommage mais plus précisément dans le dommage qui n’a pas été causé par un cas de force majeure. Or, si la force majeure n’intéresse pas le comportement du débiteur, elle ne renvoie pas plus à l’attitude du créancier ou même l’étendue de la garantie. Il y a donc un paradoxe étrange à supprimer toute référence au comportement du débiteur et considérer qu’un événement extérieur puisse l’exonérer de la responsabilité. On assiste à la persistance d’un instrument classique alors que la responsabilité du fait d’autrui a complétement basculé vers l’idée de protection. La jurisprudence semble s’être arrêtée au milieu du gué.
c) La responsabilité générale du fait d’autrui
87245. Le 29 mars 1991 fut rendu l’arrêt Bliek. Par la voix de l’Assemblée plénière, la Cour de cassation rejetta le pourvoi interjeté contre une cour d’appel qui avait retenu la responsabilité d’une association de centres éducatifs au motif que « l’association avait accepté la charge d’organiser, et de contrôler, à titre permanent le mode de vie de cet handicapé, la cour d’appel a décidé à bon droit qu’elle devait répondre de celui-ci, au sens de l’article 1384 alinéa 1er du Code civil »1050.
88La richesse de cette décision apparut immédiatement immense : pour les personnes comme pour les choses, l’article 1384 alinéa 1er n’est plus une simple annonce des articles qui lui font suite1051. Comme l’avait fait la jurisprudence plusieurs décennies auparavant pour les choses, l’Assemblée plénière donne naissance à une responsabilité générale. Les articles 1384 alinéa 2 et suivants ne sont plus qu’une suite d’illustrations d’un principe plus vaste. Si la méthode contraste par la relative discrétion employée1052, le résultat est donc strictement le même que celui qui fut obtenu pour les choses : la liste limitative devint une liste simplement énonciative.
89246. Mais des doutes subsistèrent néanmoins sur la portée de l’arrêt qui interdirent dans un premier temps d’y voir l’abandon total de la perspective classique. Car si l’article 1384 alinéa 1er fut sollicité, il restait encore à déterminer de quelle manière : la disparition de la présomption de faute pour les choses ne signifiait pas nécessairement son anéantissement pour les personnes. La règle posée par l’arrêt Jand’heur ne transparaît pas clairement à travers la rédaction de l’arrêt Bliek. Le raisonnement par analogie est certes tentant mais il ne va pas de soi : il était concevable que le principe général fasse l’objet d’applications différentes selon qu’on se trouvait en présence d’une chose ou d’une personne1053. Et le souci légitime de proposer un régime différencié pour les sujets et les objets semblait d’ailleurs militer en ce sens.
90A cette question, la jurisprudence répondit le 26 mars 1997. De la manière la plus claire qui soit, le juge affirma le principe selon lequel « les personnes tenues de répondre du fait d’autrui au sens de l’article 1384 alinéa 1er, du Code civil ne peuvent s’exonérer de la responsabilité de plein droit résultant de ce texte en démontrant qu’elles n’ont commis aucune faute »1054. La responsabilité générale du fait d’autrui suit donc le même régime que la responsabilité du fait des choses : l’obligation n’est pas fondée sur une présomption de faute. Est donc creusée une nouvelle brèche dans l’édifice classique : la source de l’obligation n’est pas l’exercice de la liberté par le débiteur.
91La question fut alors posée du fondement qu’il fallait donner à cette obligation. Fut ainsi proposée la notion de risque social1055 : en ce qu’elle épouse parfaitement les contours de la jurisprudence Bliek, cette notion semblait pouvoir expliquer cette évolution jurisprudentielle. Mais déjà en 1995 était rendue une décision qui ôta tout pouvoir explicatif à cette théorie : une association organisant des compétitions sportives a été jugée responsable du dommage causé par la faute d’un joueur1056. La solution était donc doublement étendue. Au plan substantiel, la notion de risque social perdait toute vertu explicative : quoiqu’ils puissent manifestement présenter un danger les uns pour les autres, les rugbymen ne sont pas un danger particulier pour la société1057. Techniquement, le critère de la prise en charge permanente a été abandonné au profit d’une conception beaucoup plus souple : il est indiqué que les associations sportives ont pour « mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions sportives auxquelles ils participent. ». Cette formulation tryptique -qui n’est pas sans rappeler celle qui a été utilisée pour la garde d’une chose1058 -fait basculer le concept de l’idée de contrôle permanent à celui d’autorité et de direction1059.
92247. La responsabilité générale du fait d’autrui semblait alors promise à un avenir florissant que rien ne paraissait pouvoir assombrir. Et pourtant, la deuxième Chambre civile mit un frein à son développement que seul le contexte factuel semblait pouvoir expliquer : elle refusa en effet d’étendre la solution à l’administrateur légal et au tuteur ou encore aux grand-parents1060. Si en soi la solution est opportune1061, elle s’inscrit mal dans l’environnement théorique façonné. La suppression de l’exigence d’un contrôle permanent aurait dû conduire la Cour de cassation à leur appliquer le principe. Dès lors que la garde dite juridique1062 suffit à elle seule à fonder la responsabilité, plus aucun rempart théorique ne s’oppose à la naissance de l’obligation en ces circonstances. Et si cette divergence est le fruit d’une opposition désormais classique entre Chambre criminelle et Chambre civile, elle n’est pas moins révélatrice de l’insuffisance de la réflexion sur la source de l’obligation.
93Il n’est pas certain en effet que les gardes juridique et matérielle puissent être présentées comme deux branches alternatives d’un même ensemble. Seul le concept de garde semble les réunir mais en réalité il s’agit là d’une notion bien fragile. D’un côté, il y a l’idée que la personne doit répondre des agissements de l’agent et se trouve investie par le système juridique d’une autorité. La permanence est alors nécessairement une condition de la garde. De l’autre, il y a un pouvoir effectif exercé sur l’agent à travers un pouvoir d’organisation de surveillance et de contrôle. La permanence n’est pas alors de l’essence de cette responsabilité. En revanche, la possibilité d’influer sur le cours des évènements la caractérise fondamentalement.
94Les décisions récentes de la Cour de cassation témoignent de la vigueur de ces deux conceptions en même temps que de l’indécision de la Cour de cassation. Ainsi la compétition sportive reste le terrain des efforts de la Cour, tandis que le tuteur se trouve investi par la Chambre criminelle de la responsabilité pour le fait de son pupille1063. Pour la Chambre criminelle, la tutelle d’un majeur obéit donc à des règles différentes de celles de la tutelle d’un mineur. Mais par-delà la difficulté que rencontre l’interprète à concilier ces solutions1064, c’est bien le questionnement sur la source substantielle qui l’emporte. Les avatars ponctuels de la Cour de cassation ne sont rien d’autre que le reflet d’un questionnement plus profond.
95248. Ce défaut de réflexion sur la source de l’obligation a également pour conséquence les tâtonnements du juge en matière de faute de l’agent : si certaines décisions des juges du fond maintiennent l’exigence d’une faute1065, d’autres ont au contraire ouvert la voie à une responsabilité du groupement en l’absence même de faute1066. Et le maintien de la position traditionnelle le 29 juin 2007 par la plus haute formation de la Cour de cassation1067 ne saurait dissimuler les soubresauts jurisprudentiels dans le sens contraire et les désirs légitimes de cohérence formulés par la doctrine1068. La responsabilité des parents et la responsabilité des commettants servent donc tour à tour de modèle. A la recherche d’elle-même, la jurisprudence souffre d’un défaut de réflexion sur la source substantielle de l’obligation. Le maintien de la faute atteste d’une préférence pour une vision classique de la responsabilité du fait d’autrui : le groupement est responsable parce que le débiteur principal est responsable. A l’inverse, la suppression de la faute de l’agent comme condition procède nécessairement d’une logique différente. L’obligation ne naît pas par procuration mais directement.
96249. Le dernier pilier sur lequel repose la définition du délit est donc lui aussi victime de secousses telluriques : amorcé en matière de garde de la chose, le déclin de la responsabilité individuelle se traduit ici également par un recul de l’illicéité objective. L’obligation née du fait d’autrui prend naissance en l’absence de toute maîtrise de la situation, tandis qu’elle naît en l’absence de tout fait illicite dans la garde. Aussi peut-on se désoler de ce véritable émiettement du droit de la responsabilité civile : il n’existe entre les différentes sources de responsabilité aucune logique ou cohérence d’ensemble1069. Au point que le seul facteur commun entre les différentes catégories est la réalisation d’un dommage en l’absence de cas de force majeure. L’idée de liberté est le plus souvent ignorée tandis que parfois, elle réapparaît et contrarie un mouvement général orienté dans le sens opposé. Les sources substantielles rentrent en conflit les unes avec les autres sans qu’il soit possible de les concilier.
B. Le quasi-contrat
97250. Le développement de l’approche moderne a également emprunté les voies du quasi-contrat. Par le simple jeu d’une nouvelle interprétation des sources formelles, la notion de quasi-contrat a connu une évolution notable : la jurisprudence a proposé un nouveau modèle de quasi-contrat par l’interprétation faite de l’article 1371.
98251. A de nombreuses reprises, le juriste est confronté à des phénomènes qui mettent à l’épreuve les catégories existantes. En vue de saisir un seul et même type de situations, plusieurs qualifications peuvent alors être retenues qui présentent chacune des avantages et des inconvénients. Tour à tour, les juges les utilisent au gré des objectifs recherchés ou des contraintes théoriques qu’ils jugent incontournables. Plus que tout autre exemple, les loteries publicitaires illustrent le phénomène : en vue de protéger le consommateur abusé, l’ensemble des sources principales d’obligation a été sollicité. Tandis que la notion de délit a été appelée à plusieurs reprises à la rescousse1070, la qualification d’engagement unilatéral de volonté a été utilisée en 19951071… Pour céder la place au contrat par la suite1072. Et enfin se voir reconnaître la qualification de quasi-contrat le 6 septembre 2002 par la Chambre mixte de la Cour de cassation : après avoir rappelé dans un attendu de principe que « les quasi-contrats sont les faits purement volontaires de l’homme dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers », elle a décidé que « l’organisateur d’une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l’existence d’un aléa s’oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer »1073.
99Cette décision illustre le processus de basculement des sources techniques au bénéfice du créancier. Elle fit disparaître le transfert de valeurs comme condition de la naissance de l’obligation. Elle fait basculer la notion de quasi-contrat vers la personne du créancier. Si la formulation de l’arrêt n’insiste guère sur la personne du créancier, elle supprime une condition relative à ce dernier : nul n’est besoin que celui-ci ait été appauvri d’aucune manière. Par la suppression de cette condition technique, la jurisprudence vient renforcer les vertus protectrices du quasi-contrat. Toutefois cette concession à la thèse moderne s’explique moins par une volonté de protection soudaine que par le caractère inadapté des autres sources.
100252. La structure de l’acte juridique a été jugée inadaptée. Alors que l’engagement unilatéral de volonté ne rend pas compte de l’acceptation du créancier1074, le contrat évoque la volonté ferme de s’engager en la personne du débiteur, par hypothèse absente. Les conditions de formation de l’acte juridique ne sont donc pas réunies dans l’esprit des juges, qu’il s’agisse du contrat ou de l’engagement de volonté1075. Il est évident que l’observation cadre parfaitement avec la théorie de la volonté interne. Elle est certes encore valable dans la perspective offerte par la théorie de la volonté déclarée : l’expression de la volonté n’atteste pas de l’existence d’un engagement contractuel1076. Mais elle ne l’est plus dans le cadre de la théorie de la confiance ou croyance légitime. Il fut néanmoins défendue l’idée selon laquelle il ne serait pas légitime de fonder un espoir sur une perception faussée de l’expression de la volonté1077. Enfin, le principe de cohérence proposait une voie qui consiste à dépasser l’approche classique sans pour autant faire référence à une quelconque légitimité sujette à caution1078. Mais là non plus, l’idée n’a pas fait florès : la pusillanimité des juges a conduit à priver l’acte juridique de sa vocation à rendre compte de l’opération.
101De son côté, la notion de délit a pu faire naître quelques espoirs : les conditions de formation de la responsabilité semblent être réunies sans qu’il soit nécessaire de déformer les concepts. L’existence d’une faute ne fait aucun doute, pas plus que la réalité du lien de causalité. Enfin, un préjudice existe bien qui réside dans l’espoir déçu. Toutefois cette voie est particulièrement limitée quant à ses effets : la réparation du préjudice psychologique sera nettement inférieure à celle du gain promis. L’intervention de la théorie de l’apparence se heurterait selon certains à l’argument selon lequel la victime ne serait pas fondée à en invoquer le bénéfice1079.
102Le recours à la notion de quasi-contrat peut donc s’expliquer – à défaut de se justifier – de manière négative. Il est nécessaire de protéger ces consommateurs qui ne sont pas tous des « benêts incorrigibles »1080. Le contrat, l’engagement unilatéral de volonté et le délit apparaissent aux yeux des juges comme des instruments imparfaits : il a donc fallu chercher ailleurs les moyens de rendre des décisions qui satisfassent un sentiment d’élémentaire justice. Dans une démarche désormais classique qui part du résultat pour remonter à la qualification, les juges trouvèrent sur leur chemin le concept malléable de quasi-contrat : pourquoi se priver d’une si belle aubaine ? D’une part, cet emploi permet d’éviter les interminables discussions sur la notion de volonté juridique, d’autre part, il autorise l’octroi d’une somme d’argent substantielle, à la différence du jeu de la responsabilité civile.
103253. Si elle n’était pas porteuse de profonds bouleversements pour la notion de quasi-contrat, la solution pourrait susciter l’approbation pour l’intérêt qu’elle présente au plan pratique. Aussi le procédé est-il symptomatique d’une tendance qui consiste à torturer les concepts du droit commun en vue de les associer au règlement d’un type de conflit très localisé. Pour l’affaire qui nous intéresse, le contraste est prodigieux entre le modeste intérêt pratique de la solution et l’amplitude de la secousse ressentie par le quasi-contrat. Même si les élements qui le composent voient leurs contours évoluer de manière permanente, le quasi-contrat n’en avait pas pas moins jusque-là un ferment d’unité qui résidait dans le déplacement de valeur injustifié : « qu’il s’agisse de l’enrichissement sans cause, de la répétition de l’indû ou de la gestion d’affaires, il est une condition indispensable à leur formation : l’absence de dette susceptible de justifier le déplacement de valeur. Cet élément est essentiel et correspond à leur attache commune, à savoir la notion de quasi-contrat. »1081. Or, par cette décision, la jurisprudence vient purement et simplement supprimer l’exigence d’un déplacement de valeurs !
104Pour ce faire, les juges se sont fondés sur l’article 1371 du Code civil. De la même manière que l’article 1384 du code évoque la notion de garde, cette disposition est placée en exorde des différents quasi-contrats. Elle formule ainsi une présentation générique de la notion. Celle-ci prend la forme d’une définition matérielle : nulle référence n’est faite à la finalité du quasi-contrat. Aussi cet article n’a jamais été mis directement à contribution pour circonscrire les contours exacts du quasi-contrat, pas plus que pour fonder à lui seul la naissance de l’obligation. Il n’est pas même à l’origine de l’enrichissement sans cause : la découverte de celui-ci est imputable à la mise au jour d’un principe général du droit. Toutefois il est désormais sollicité par les décisions qui sont rendues en ce domaine. Mais la dualité de fondements invoqués1082 cantonnait son rôle au rappel de la définition matérielle de la notion d’enrichissement. A l’énoncé du principe revenait de proposer une définition fonctionnelle de la source : éviter qu’une personne ne s'enrichisse indûment au détriment d'autrui. Aussi si les articles 1372 et suivants ne constituaient plus qu’une simple liste d’illustrations parmi d’autres1083, le pouvoir créateur de l’article 1371 se trouvait limité par l’enrichissement sans cause lui-même. Mais les conditions n’en étaient pas moins remplies pour que s’épanouisse l’article 1371 : il suffisait de supprimer toute référence au principe général.
105C’est ce que fit l’arrêt de la Chambre mixte : l’article se suffit à lui-même pour fonder la naissance de l’obligation. Le procédé mérite d’être souligné tant il paraît incongru : contrairement à l’article 1384 alinéa 1, la disposition qui nous intéresse est en réalité dépourvue de toute valeur normative1084. Non seulement sa situation incline à l’envisager comme une introduction aux développements qui suivent, mais encore sa formulation est beaucoup trop large. Comment se contenter de l’exigence d’un fait purement volontaire ? De surcroît, la nature du lien qui unit l’état de fait au résultat n’est nullement définie : à quel titre l’engagement résulte-t-il du fait purement volontaire ? Sous des apparences voisines, les articles 1371 et 1384 alinéa 1 du Code civil sont donc deux formulations légales aux structures radicalement différentes. Aussi le choix de la Chambre mixte ne peut pas se réclamer du même procédé d’interprétation.
106254. Il s’ensuit que ce choix jurisprudentiel est porteur de dangers importants pour la notion de quasi-contrat et pour la théorie des sources dans son ensemble. Il est loisible de regretter avec le professeur Mazeaud la perte d’homogéité de la notion de quasi-contrat : « Traditionnellement appréhendé comme un mécanisme de compensation ou de restitution en faveur de l’auteur d’un fait profitable à autrui, il constitue désormais aussi une technique de sanction des promesses sans lendemain. »1085. L’arrêt signe donc ici l’éclatement de la notion. Mais elle pourrait être annonciatrice d’un phénomène plus grave encore : l’explosion de la théorie des sources. Comme l’indiquent les termes de l’article 1371 du Code civil, le nouveau quasi-contrat possède une capacité d’extension… quasi-illimitée. Plus rien ne sera capable de borner la nouvelle notion. D’optimistes augures répliqueront que le bornage se fera automatiquement par les autres sources : le fait illicite et la volonté contractuelle seraient alors les meilleurs remparts contre l’invasion du quasi-contrat.
107En présence d’un fait licite qui n’atteste pas de la volonté de s’engager, le délit et le contrat perdraient toute vocation à régir la situation et laisseraient la place au quasi-contrat, lequel serait applicable de manière résiduelle. La notion jouera alors exactement le même rôle que la variae causarum figurae. Gaius la présentait en effet implicitement comme une catégorie dont les contours étaient définis par rapport aux autres sources. L’unité de la notion était en effet établie de manière négative : était régie par le quasi-contrat toute situation qui commandait l’intervention du droit et pour lesquelles les notions de délit et de contrat n’étaient pas adaptées. Certes, à l’intérieur de la catégorie générique, les notions de condictiones indebiti et sine cause étaient bien rassemblées autour de l’idée de transfert injustifié. En cela elles bénéficiaient d’une définition positive qui permettait d’en saisir les contours. Il n’en restait pas moins que le quasi-contrat dépassait l’idée de transfert indu et faisait office de catégorie résiduelle. Dans cette perspective optimiste, l’arrêt du 6 septembre 2002 serait l’occasion de faire revivre le passé.
108Mais le contexte juridique a considérablement évolué depuis lors. Le contrat et le délit ne sont plus ce qu’ils étaient. Or, le raisonnement repose sur l’idée qu’il sont restés intacts. Leur épanouisssement actuel interdit de penser que le développement du quasi-contrat au-delà de ses frontières traditionnelles ne constitue pas une menace pour la classification des sources : si la définition du quasi-contrat se réduit à celle de fait licite générateur d’obligations, alors qu’est-ce qui empêche d’y faire entrer la responsabilité du fait d’autrui ou du fait de la chose ? Pas plus le caractère illicite du fait personnel que l’existence de la volonté contractuelle ne feront obstacle au recoupement entre les catégories. Aux développements puissants du délit et du contrat doit répondre l’enfermement du quasi-contrat dans un cadre parfaitement délimité. Ou alors les sources des obligations auront une vocation concurrente à régir les mêmes situations. Et il faudrait être particulièrement candide pour croire que le principe de subsidiarité pourra organiser simplement les rapports entre les sources : il est même certain que ceux-ci deviendraient d’une complexité inouïe.
109Le principe de subsidiarité épuise sa fonction dans l’organisation des rapports entre deux notions inégalement larges. Aussi l’exigence d’un transfert indu de valeur permet de limiter considérablement l’appel au principe de subsidiarité en ôtant au quasi-contrat toute vocation à s’appliquer. Sa suppression va bouleverser l’application qui sera faite du principe et générer d’inextricables difficultés. A la différence du principe de non-cumul qui supprime a priori toute vocation au délit, quelle que soit la définition que l’on en retient, le principe de subsidiarité dépend en effet étroitement du contenu des notions mises en balance.
110255. L’hypothèse est la suivante : une personne cause un dommage sans commettre de faute. Faut-il, en application d’une conception stricte du principe de subsidiarité, supprimer d’emblée au quasi-contrat toute vocation à s’appliquer ou au contraire considérer que l’absence d’un seul élément constitutif du délit lui laisse une vocation résiduelle ? Formulée de manière générale, la question est alors la suivante : dès lors que toutes les conditions d’application de la source prioritaire ne sont pas remplies, à partir de quand faut-il faire jouer le principe de subsidiarité ? Faut-il exiger la réunion de l’ensemble des éléments constitutifs de la source principale ou au contraire seulement certaines de ses composantes ?
111Dès lors que l’on retient une conception stricte du quasi-contrat, la question ne pose guère de difficultés : le principe de subsidiarité ne jouera qu’en présence de l’ensemble des éléments constitutifs du délit. Qu’il manque seulement une condition au jeu de la responsabilité civile et le quasi-contrat pourra remplir son office. La délimitation précise du champ de la notion autorisera une application stricte du principe de subsidiarité. A l’inverse, l’élargissement de la notion de quasi-contrat aura pour conséquence nécessaire une application extensive du principe de subsidiarité, sauf à accepter l’idée que tout fait licite soit potentiellement générateur d’obligations. Aussi, l’absence d’une seule condition au délit ne suffira pas à mettre en scène le quasi-contrat. Pour reprendre l'exemple précédent, l’absence de fait illicite n’ouvrira aucune vocation résiduelle au quasi-contrat. En outre défendre l’idée inverse reviendrait à proposer le contournement pur et simple des conditions de la responsabilité civile délictuelle.
112Où l’on voit que l’extension du quasi-contrat contribue à obscurcir l’application du principe de subsidiarité. Alors qu’il épuisait autrefois sa fonction dans le maintien d’une hiérarchie entre les sources, il va désormais consister à juguler officieusement le développement du quasi-contrat. Le principe de subsidiarité sera utilisé aux fins de définir à rebours les contours de la notion. La sécurité juridique en souffrira pour la raison simple que l’opération de qualification s’accomplira de manière négative, par référence à une notion extérieure. A une définition positive réalisée a priori sera préférée une détermination négative a posteriori.
113256. Il n’est donc pas souhaitable de tenter de vivre à nouveau les instants du passé. L’évolution du contexte1086 fait qu’ « il est impossible de se baigner deux fois dans le même fleuve ». Aussi est-il préférable de ne pas faire jouer au quasi-contrat le rôle qu’il a pu tenir autrefois. Cette consécration directe de la thèse moderne s’expose donc au reproche d’irréalisme. Le quasi-contrat est suffisamment sollicité pour qu’il ne soit pas nécessaire d’en étendre à l’envie les contours. La solution consacrée repose en effet sur un approfondissement insuffisant de la notion de contrat, elle-même conséquence directe d’une réflexion insuffisante sur la notion de source. D’une manière plus générale, elle témoigne des limites de la consécration technique de la thèse moderne en l'absence de toute modification formelle.
114En charge de la rédaction de l’avant-projet relative aux quasi-contrats, le doyen Cornu a défendu cette thèse à travers la rédaction qu’il en propose : les quasi-contrats y sont définis comme « des faits volontaires, comme la gestion sans titre de l’affaire d’autrui, le paiement de l’indu ou l’enrichissement sans cause dont il résulte, un engagement de celui qui en profite sans y avoir droit, et parfois un engagement de leur auteur envers autrui »1087. La notion de profit, et partant, de déplacement de valeur, fait partie intégrante de la définition. Aussi la décision de la Chambre mixte est-elle totalement désavouée par cette proposition. Il n’est d’ailleurs qu’à lire les commentaires du doyen pour s’en convaincre : « c’est la notion même de quasi-contrat telle qu’elle ressort de l’analyse lumineuse de Jean Carbonnier qui légitime – qui exige – son maintien. Ce n’est pas un fourre-tout. » Ils ne sont pas « un amalgame de faits résiduels informes. Face au dommage causé sans droit, un avantage reçu sans droit : en ce point commun se rejoignent tous les quasi-contrats »1088.
SECTION 2. CONSÉCRATION FORMELLE
115Si la permanence des sources formelles n’est pas un obstacle au basculement des sources techniques, le renouvellement des fondements juridiques a également été sollicité. Garant d’une substitution totale d’un cadre technique à un autre, il offre un instrument particulièrement fiable. Il pourra être aisément mis au service d’une politique juridique. Il ne faut donc pas s’étonner de ce que le système juridique ait puisé dans la consécration de nouvelles sources formelles le moyen d’installer l’approche moderne : la jurisprudence, à travers la consécration de principes généraux du droit (§1), et le législateur, à travers l’édiction de lois spéciales (§2).
§1. Les principes généraux
116Le principe général est ici entendu comme le fondement juridique d’une règle mise au jour par la jurisprudence. Procédé bien connu, il fait intervenir le juge qui créé une règle ex nihilo et lui confère une légitimité juridique. Dans le cadre de l’étude de la thèse moderne, deux thèmes d’étude se dégagent nettement : l’enrichissement sans cause (A) et la théorie des troubles anormaux de voisinage (B).
A. L’enrichissement sans cause
117257. En 1892, fut rendu l’arret Boudier dont personne ne conteste l’importance au regard de la théorie des sources1089. Par cette décision aux virtualités énormes1090, la Cour de cassation a donné définitivement naissance à la théorie de l’enrichissement sans cause. En l’absence de tout comportement illicite ou de volonté contractuelle, une obligation peut naître dont les conditions d’existence ne répondent pas aux définitions de la répétition de l’indu ou de la gestion d’affaires1091 ou toute autre règle définie précisément par la loi. Aussi, le principe dégagé par l’arrêt contrevient-il totalement aux exigences de la thèse classique.
118La gestion d’affaires et la répétition de l’indu sont devenues des sous-ensembles d’une catégorie plus vaste de quasi-contrat. Aussi de la même façon qu’il a été nécessaire de tracer les contours de la responsabilité, il s’est avéré indispensable de fixer un cadre précis à l’exercice de l’action de in rem verso, sauf à compromettre les autres sources d’obligations1092, ou pire, créer un climat « d’anarchie juridique »1093. La puissance attractive d’une action en rétablissement d’un équilibre financier était telle qu’il fallut lui poser de strictes limites afin qu’elle ne devienne pas un « mode de subversion du droit positif. »1094. L’absence de cause à l’enrichissement s’imposa alors comme la condition naturelle à la survie du contrat. De son côté, le principe de subsidiarité apparut comme le rempart contre l’absorption du délit par le quasi-contrat1095.
119258. La naissance de la théorie de l’enrichissement sans cause est imputable à un basculement des sources formelles : autrefois contenue dans les articles 1371 et suivants du Code civil, la notion de quasi-contrat s’émancipe désormais de tout support légal. La jurisprudence en appela à l’existence d’un principe général et supprima en conséquence le visa des articles 1371 et suivants du Code civil. Il faut relever toutefois que désormais la jurisprudence fonde ses décisions à la fois sur le principe général et sur l’article 1371 du Code civil.
120En ce qu’il sollicite une notion générique placée en exorde d’une énumération, le juge recourt donc désormais à la même méthode que celle utilisée pour les personnes dont on doit répondre : tout comme les articles 1384 alinéa 4 et suivants ne sont plus l’expression développée de l’alinéa 1, les articles 1372 et suivants ne sont plus les seules illustrations de l'article 1371. Il ne s’agit plus désormais d’une liste limitative mais d’une énumération non exhaustive d’illustrations possibles. Il ne restera plus qu’à supprimer toute référence au principe général pour que l’article 1371 soit définitivement élevé au rang de source normative1096.
121Le procédé diffère toutefois en ce que sont cumulativement cités l’article 1371 du Code civil et les principes de l’enrichissement sans cause. Face à la pusillanimité des juges, l’interprète peut donc osciller entre deux interprétations : considérer qu’il s’agit là de deux fondements complémentaires et donc différents, ou au contraire voir dans le principe l’expression développée de l’article 1371. Cette interprétation est peu plausible : en effet, à lui seul, l’article 1371 est dépourvu de tout contenu normatif. Et si la Chambre mixte a abandonné cette approche de l’article1097, il n’en ressort pas qu’il faille souscrire à son analyse et modifier l’appréhension de cette disposition. Considéré individuellement, l’article 1371 n’a pas vocation à fonder une solution juridique. Et il serait bien singulier qu’il soit pourvu d’un effet juridique par la médiation du principe général… Dont il serait la source.
122Aussi ce mode de justification formelle, partagé entre un principe général et un article de loi, est-il pour le moins surprenant. Il convient de s’interroger de l’utilité pour la jurisprudence d’invoquer l’article 1371 : l’existence d’un principe général se suffit à lui seul pour asseoir juridiquement la solution. Deux avantages peuvent être relevés. En premier lieu, le principe de l’enrichissement sans cause en sort renforcé et est élevé au rang de principe légal. Il est mis à l’abri de toute intervention du pouvoir réglementaire qui viserait à en atténuer ou supprimer les effets. De surcroît, le procédé présente une autre utilité qui consiste dans le déploiement des ressources offertes par l’article 1371.
123259. Quelle que soit la difficulté actuelle à déterminer le fondement juridique de l’enrichissement sans cause, la filiation du principe en fait d’abord un principe général qui permit de s’émanciper des conditions posées par la loi. Aussi il constitua un puissant vecteur d’introduction de la thèse moderne par substitution des sources formelles. En supprimant les barrières imposées par les articles 1372 et suivants du Code civil, la notion fait du quasi-contrat l’instrument de rétablissement des déséquilibres objectifs : elle participe donc de l’élargissement de la fonction protectrice de l’obligation. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner de l’intérêt que lui portent les rédacteurs de l’avant-projet de réforme1098. En se proposant de conférer valeur légale au principe, ils se font les héritiers d’une longue tradition.
B. Les troubles anormaux de voisinage
124260. La responsabilité pour troubles du voisinage est de jurisprudence très ancienne. Très tôt s’est fait sentir le besoin d’offrir un régime juridique dérogatoire aux relations de voisinage1099. Le recours conjoint aux articles 544 et 1382 du Code civil donna naissance à un régime singulier applicable à la relation de proximité qui existe entre les voisins : témoignage d’une totale indétermination, ce mariage entre propriété et responsabilité favorisa le recul de la faute. L’appel à cette disposition était censé offrir une limite légitime au jeu de l’article 544 du Code civil1100 qui préservait alors son caractère absolu1101. Ce faisant, la notion de faute se trouvait déformée : l’appréciation de l’anormalité se déplaçait du comportement du débiteur au caractère du dommage1102. Avant même l’apparition d’un principe autonome, il eut pour conséquence de fonder l’obligation de réparation sur le caractère anormal du préjudice causé1103. Ainsi que l’a relevé très tôt Henry Capitant, la jurisprudence n’hésitait pas à découvrir un « fantôme de la faute, parfois contre l’évidence même »1104. Aussi l’articulation de ces deux fondements était-elle une mésalliance : compromis maladroit entre un fondement réel et personnel, cette union écornait l’article 1382 du Code civil.
125En conséquence, quelques mois seulement après avoir reconnu un caractère autonome à la loi de 1985, la jurisprudence conféra à la responsabilité pour troubles de voisinage son indépendance. Par un arrêt de 1986, elle s’émancipa du visa des articles 544 et 1382 du Code civil et dégagea « le principe suivant lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage »1105. La solution fut reconduite par la suite1106. Ainsi il fut possible de limiter la réparation aux troubles qui dépassent un certain seuil1107 sans être tenu par la condition relative à l’existence d’un fait générateur défini. Le principe se présente donc comme doublement dérogatoire aux règles traditionnelles de la responsabilité civile : d’une part, disparaît l’exigence d’un fait générateur déterminé, d’autre part, les dommages dépassant un certain seuil sont les seuls à faire l’objet d’une mesure de réparation.
126261. L’idée selon laquelle le principe faisait obstacle au jeu de la réparation intégrale a toutefois été opportunément remise en cause. Animé par la volonté de faire rentrer la théorie des troubles du voisinage dans le droit commun de la responsabilité civile, le professeur Caballero a fait la démonstration que le caractère anormal du trouble ne saurait être confondu avec le dommage anormal1108. Ce n’est qu’à partir d’un certain seuil dans le trouble que le dommage est constitué. Cette conception s’appuie sur la constatation que l’homme peut absorber certains troubles sans dommage : il existe une « tolérabilité naturelle de l’homme et de l’environnement à un certain seuil d’agression »1109. Il s’ensuit donc que la gravité du trouble caractérise l’existence même du dommage et non pas un degré dans le dommage1110. Aussi la règle selon laquelle le dommage intégral doit être réparé ne souffre en l’espèce aucune exception. Toutefois il reste justifié d’affirmer que ce courant jurisprudentiel signe la disparition de la faute en tant que condition technique à la naissance de l’obligation. Cette mise à l’écart constitua naturellement un défi lancé à une partie de la doctrine. Aussi se lança t-elle dans la recherche d’une faute substantielle.
127262. Un espoir consistait d’abord dans la théorie de la préoccupation : si la jurisprudence en tenait compte de manière systématique, il serait possible d’y voir un instrument de réintroduction de la faute. L’écart de conduite consisterait dans le fait de ne pas s’être soumis aux usages locaux1111. Devant la parcimonie avec laquelle le droit positif consacra la théorie1112, la doctrine se lança dans des considérations plus générales. Parmi l’ensemble des interprétations objectives1113 et subjectives1114 exposées, il fut proposé de partir du dommage pour remonter au fait générateur. Le professeur Caballero défendra cette idée au sein de sa thèse de doctorat par un raisonnement empirique1115. Dès lors qu’un trouble anormal est souffert, le voisin fait nécessairement preuve d’une légèreté blâmable : si par l’effet de circonstances particulières, il ignore le trouble causé, la continuation de l’activité est alors constitutive d’une faute. Ainsi selon l’auteur, « en matière de trouble de voisinage, il y a toujours faute ; à la condition, bien sûr que le dommage existe. »1116.
128Certes, d’une manière générale, l’anormalité d’un comportement porte en elle une probabilité importante de causer un dommage. Et donc le dommage résulte-t-il très souvent d’un écart de conduite. Mais il n’y a aucune relation nécessaire entre les deux : l’anormalité du trouble n’imprime pas au fait générateur un caractère anormal. Alors même que le dommage est la conséquence en la personne du créancier du fait générateur, il n’en existe pas moins une indépendance pratique qui en garantit l’autonomie. Dans le cadre de sa contribution à l’étude du dommage anormal, Aimé Henriot apportera en ce sens une argumentation dédiée à la théorie des troubles du voisinage : « cet acte (générateur du dommage) est toujours -ne serait-ce que d’un instant de raison -antérieur à la réalisation du dommage ; il y a une indépendance de l’idée de faute qui est évidente »1117. Certes, d’une manière générale, le dommage est bien souvent le fruit d’une attitude répréhensible1118. Aussi l’erreur dans le raisonnement consiste à élaborer une règle générale et systématique à partir d’observations ponctuelles. Si le dommage anormal puise souvent sa source dans un comportement anormal, il n’en est pas toujours ainsi. Il est donc possible d’affirmer avec Cosma P. Yocas qu’ « en aucune manière, le dommage seul qui peut résulter d’un acte, ne saurait marquer une irrégularité quelconque de cet acte. »1119.
129Mais la thèse fut également défendue sous l’angle théorique grâce à la souplesse apparente de la notion d’illicéité. Pour le professeur Roujou de Boubée, « L’illicéité du dommage, ou plutôt de l’immissio - (…) - suffit pour que l’activité dans son ensemble soit illicite »1120. L’illicéité consiste en la violation de la règle selon laquelle on ne doit pas excéder un certain seuil dans la réalisation du dommage : « L’illicite consiste, non dans l’omission des précautions nécessaires, mais dans la transgression de cette norme. »1121. Aussi cette conception s’inscrit-elle parfaitement dans le cadre de la théorie de l’illicéité objective1122. En recentrant l’illicéité sur la transgression de la norme, elle fait disparaître l’exigence d’un fait générateur illicite.
130Pour séduisante qu’elle soit, l’analyse ne résiste pas à la critique. Aussi cette présentation consiste, par un subtil procédé de langage, à supprimer toute consistance au fait générateur et à l’illicéité. La raison d’être du fait générateur est précisément de poser une condition à la naissance de l’obligation qui soit relative au comportement -ou à la situation -du débiteur. Parmi ces conditions peut figurer le caractère illicite de l’attitude ; son objet est alors d’attacher des conséquences à un comportement blâmable. Par voie de conséquence, dès lors que l’on cherche à apprécier la licéité d’un comportement, s’en tenir à l’analyse du dommage revient à retirer toute fonction au fait générateur et à le ramener à l’état de condition purement formelle1123. Appliquée au dommage, la notion de licéité n’a aucun sens : seul un comportement peut être licite ou illicite. Le dommage peut simplement être constitué ou ne pas l’être. L’illicéité réside dans la transgression de la norme telle qu’appréciée en la personne du débiteur : l’illicéité est définie par référence au débiteur ou elle n’est pas. Le prétendu passage de la subjectivité à l’objectivité dissimule en réalité le passage du débiteur au créancier : la notion de violation de la norme de comportement a pour seul objet de faire reposer en apparence la naissance de l’obligation sur le comportement du débiteur.
131Il serait faux de croire que ce détour trouve dans les troubles de voisinage sa seule expression possible. Il est possible d’y recourir en présence d’un fait générateur illicite et de mettre en évidence l’illogisme sur lequel il repose. Dans le cadre de la responsabilité pour faute, ce procédé reviendrait à décider que l’illicéité réside dans la violation de la règle selon laquelle on ne doit pas causer de préjudice à autrui par sa faute : la faute disparaît donc en tant que fait générateur de responsabilité. Elle est remplacée par la violation de la règle posée en l’article 1382 du Code civil. De la sorte, le fait générateur repose donc toujours sur le même critère : le respect de la règle définie. Par sa généralité même, la notion perd alors toute raison d’être et l’exigence d’un fait générateur est réduite à l’état de truisme.
132263. Au plan substantiel comme au plan technique, la faute cède la place à la seule matérialité du lien de causalité. Aussi cette jurisprudence s’inscrit-elle parfaitement dans un système qui place le créancier au premier plan. Quoique l’article 1382 du Code civil ne figure pas au visa des décisions rendues, la notion de délit en subit encore de plein fouet les conséquences : dans le cadre même de la responsabilité du fait personnel, la notion d’illicéité cède du terrain. Alors que le fait personnel constituait un îlot de résistance solide face à l’invasion de la responsabilité objective, la responsabilité pour troubles anormaux de voisinage vient détruire le dernier bastion de l’illicéité dans le délit. Ce faisant elle ruine toute tentative de distribution des fondements de l’obligation fondée sur le triptyque traditionnel : le fait d’autrui et la garde de la chose n’ont pas le monopole du recul de l’illicéité. Quoique fondés sur des lois spéciales, les cas de responsabilités édictées par le législateur viendront eux aussi ruiner toute tentative de définition du délit par référence au comportement du débiteur.
§2. Les lois spéciales
133Au phénomène d’emprunt législatif (A) vient s’ajouter la création législative (B).
A. L’emprunt législatif
134264. L’emprunt législatif désigne l’hypothèse dans laquelle le juge va puiser dans un texte de loi la source formelle de l’obligation de réparation. Naturellement extérieure aux textes gérant le droit de la responsabilité, la disposition a une vocation originaire étrangère à la réparation des dommages. Mais le juge ne l’érige pas moins en fondement exclusif à l’obligation de réparation. L’article se substitue alors au droit commun pour fonder la naissance de l’obligation : il n’y a donc pas alors création législative mais précisément substitution.
135L’article 9 du Code civil en constitue l’exemple le plus célèbre. Lontemps demeuré sous la dépendance de l’article 1382 du Code civil ou de la conjugaison de l’article 1382 et de l’article 9, le traitement juridique des atteintes à la vie privée s’est émancipé avec l’arrêt de la première Chambre civile du 5 novembre 1996 : pour les magistrats, « selon l’article 9 du code civil, la seule constatation de l’atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation. »1124. Exit donc l’article 1382 du Code qui impose l’existence d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité.
136265. L’apport de l’arrêt est fondamental sur le plan de la technique juridique. La faute, et partant le lien de causalité, sont en effet extraits des conditions de naissance de l’obligation. Fondatrice d’une orientation nouvelle1125, cette décision consacre une avancée prodigieuse de l’approche moderne. En supprimant purement et simplement la faute des conditions de la responsabilité, le juge ouvre très largement les vannes de l’obligation.
137Cette décision inaugure donc un nouveau basculement des sources techniques. Les notions techniques de faute et de lien de causalité disparaissent au profit du seul concept d’atteinte à la vie privée. Techniquement, l’évolution est donc indiscutable. Toutefois, il reste encore à vérifier que cette évolution technique renvoie bien à une évolution des sources substantielles. Selon l’application qui en est faite, ces différents concepts peuvent ou non dissimuler l’identité des sources substantielles : derrière une évolution des sources techniques peut toujours se profiler le maintien des conditions réelles de naissance de l’obligation.
138Il faut donc faire l’examen des conditions concrètes de naissance de l’obligation. A cet égard, l’analyse des faits de l’arrêt du 5 novembre 19961126 est riche en perspectives. La cour d’appel n’a pas caractérisé au plan technique l’existence d’une faute. Néanmoins, « a été constaté l’atteinte portée au droit de Mme Y au respect de sa vie privée par la publication litigieuse révélant sa vie sentimentale. ». Afin d’examiner l’avancée au plan substantiel, il faut donc se poser la question suivante : la seule atteinte peut-elle ou non caractériser l’existence d’une faute ? N’est-il pas verbeux de distinguer l’atteinte de la faute elle-même ?
139Techniquement, la solution consacrée marque indiscutablement l’autonomie de la notion : la notion de faute fait l’objet d’une disparition au plan technique. Sur ce point, aucun doute ne saurait alimenter la discussion juridique. Faut-il penser qu’elle réapparaîtra au plan substantiel ? Si, en maintes circonstances, l’atteinte renverra à un écart de conduite, il n’en sera pas toujours ainsi : l’hypothèse est évidemment fréquente d’une atteinte qui trouverait sa source ailleurs que dans un quelconque écart de conduite. Pour défendre avec succès la thèse de l’absence d’autonomie, il faudrait que l’atteinte recèle nécessairement en elle-même un écart de conduite et qu’il soit impossible de les dissocier en fait. Or, l’existence même de la liberté d’information démontre qu’il n’en est rien. Ou alors il faudrait la vider totalement de sa substance et nier l’existence même des conflits d’intérêts dont la jurisprudence est le meilleur témoignage.
140266. L’évolution des sources techniques traduit donc bien une évolution des sources substantielles. Loin d’être un simple effet d’optique, elle consacre une avancée nouvelle de l’approche moderne. Par l’autonomie conférée à l’article 9 du Code civil, le degré de protection s’en trouve augmenté. Cet infléchissement passe au-delà de l’exigence traditionnelle d’une réparation fondée sur l’existence d’un fait générateur caractérisé. Aussi cette solution est-elle particulièrement novatrice et audacieuse qui consiste à s’émanciper d’une condition passive qualifiée. Une nouvelle brèche importante se dessine dans le système classique.
B. La création législative
141La création législative concerne à la fois l’engagement obligatoire (1) et la réparation des dommages (2).
1. L’engagement obligatoire
142267. Les situations dans lesquelles la loi consacre l’effet obligatoire de l’engagement unilatéral sont multiples. Les finalités du législateur 1127 ne le sont pas moins : volonté d’assurer la rapidité et efficacité des opérations dans le monde des affaires, intention d’assurer le respect de la prohibition des engagements perpétuels1128, ou encore désir de sanctionner l’inexécution d’une obligation1129 expliquent ce recours à cet instrument juridique. Mais tous ces engagements n’ont pas pour conséquence de donner naissance à une obligation mais bien souvent au contraire de mettre fin à la relation contractuelle. Ainsi la faculté de résiliation n’aura pas pour conséquence de donner naissance à une obligation. Certains auront toutefois cette qualité : la volonté unilatérale du tiré qui accepte une lettre de change sera-t-elle prise en compte1130 et aura bien pour conséquence de faire naître une obligation sur sa tête. Le caractère cambiaire de l’engagement ne saurait en effet exclure la qualification d’obligation : bien au contraire il ne fait qu’en renforcer les conditions d’exécution.
143Ce type d’engagement unilatéral tire sa valeur obligatoire de la loi. Peut-on en conclure qu’ils n’ont pas vocation à figurer parmi les exemples où la volonté unilatérale est mise à contribution pour générer une obligation ? Du caractère légal de ces engagements, peut-on déduire qu’ils n’ont pas place au rang des engagements unilatéraux ? Assurément la réponse est négative. Apporter une justification au plan formel ne préjuge pas de la nature de la source technique. Toutes les obligations reposent en définitive sur la loi. Et le caractère immédiat de l’intervention de la loi ne doit pas faire oublier que celle-ci constitue toujours la source formelle des obligations. Exciper de l’intervention législative pour dénier toute existence à la volonté unilatérale serait une entreprise vaine : l’intervention formelle n’annule pas la dimension technique. Mettre sur le même plan source formelle et source technique comme source formelle et source substantielle relève d’un défaut de méthode caractérisé1131. Assurément, il y a derrière ce mécanisme juridique une véritable consécration technique de l’engagement unilatéral de volonté.
2. La réparation des dommages
144Dans le cadre du droit de la responsabilité1132, les principales interventions législatives ont été réalisées pour le traitement juridique des accidents de la circulation (a), des accidents médicaux (b) et des dommages causés par les produits défectueux (c).
a) Les accidents de la circulation
145268. L’évolution législative en matière d’accidents de la ciculation est le fruit de la conjugaison de deux phénomènes : l’énergie du professeur Tunc et l’audace de la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation. Aussi la doctrine et la jurisprudence se sont-elles associées pour provoquer le basculement des sources formelles. M. Tunc fit observer que l’application du droit commun s’avérait pratiquement difficile1133, juridiquement inexacte1134 politiquement injuste1135 et économiquement inadaptée1136. Une fois mises en évidence les raisons d’une évolution législative, la jurisprudence a pris le relais et en a imposé l’avènement par des détours techniques. En décidant par sa célèbre décision Desmares que le fait fautif de la victime n’exonère plus le gardien - sauf à caractériser l’existence d’un cas de force majeure1137 - le juge consacra une solution tellement paradoxale1138 qu’elle obligea le législateur à sortir de sa torpeur. Ainsi nâquit la loi du 5 juillet 1985.
146La loi de 1985 offre un exemple de consécration expresse de la thèse moderne sur le terrain des causes d’exonération. Dans cette perspective, le législateur a paralysé tout effet à la faute de la victime qui ne serait pas inexcusable ou cause exclusive de l’accident1139. Des victimes privilégiées ne peuvent d’ailleurs se voir opposer que leurs fautes volontaires1140. surcroît, par l’article 2 de la loi, a été retiré toute vertu exonératrice au cas de force majeure et au fait du tiers. Alors que la force majeure est traditionnellement l’instrument privilégié de la thèse classique, elle est ici mise au service de la thèse moderne. Il apparaît donc que la loi « se place d’abord du côté de la victime, non du possible responsable. »1141.
147269. Quelle que soit la réception par les juges des causes d’exonération définies1142, la volonté législative marque clairement la volonté de substituer une politique de réparation à une vision traditionnelle de la responsabilité. Il restait toutefois à en définir précisément la portée au plan technique. Car si la définition des causes d’exonération a été réalisée avec précision, le législateur est resté avare d’informations sur la détermination du fait générateur de responsabilité : où donc faut-il aller chercher les conditions de naissance à l’obligation ? Deux solutions étaient envisageables : découvrir dans la loi elle-même des indices qui permettent d’en tracer les contours ou puiser dans le droit commun de la responsabilité les éléments constitutifs qui font défaut. Ainsi se posa naturellement la question de l’autonomie de la loi de 19851143 : faut-il ou non, sur le terrain du fait générateur de la responsabilité, interpréter la loi de 1985 à l’aune des principes traditionnels de la responsabilité civile ?
148Mené par le professeur Chabas, un courant doctrinal minoritaire proposa d’apporter une réponse positive articulée autour de plusieurs arguments. En premier lieu, l’étude des travaux préparatoires attesterait selon l’auteur de la persistance des principes de droit commun à régir le droit des accidents de la circulation1144. A ceux-ci s’ajouterait la simple lecture de la loi elle-même qui se contente d’encadrer les différentes causes d’exonération possibles. Parce qu’elle ne consacre aucun développement substantiel à la détermination des conditions de naissance de l’obligation, elle donne vocation naturelle au droit commun à en connaître1145. Enfin, à ceux qui affirmeraient que l’exclusion de la force majeure empêche par elle-même l’application du droit commun, l’auteur répond de la manière suivante : sur le terrain de la responsabilité du fait des choses, la notion a pour seul effet d’apporter la démonstration que la chose n’a pas été la cause adéquate du dommage1146, tandis qu’en matière de responsabilité du fait personnel la preuve de la faute enlève tout intérêt à la question de l’existence de la force majeure1147.
149L’argument développé comporte toutefois plusieurs limites qui concernent à la fois la politique juridique et la technique juridique. Il est tout d’abord peu probable que l’analyse proposée satisfasse les exigences de la politique juridique. Par l’appel lancé au droit commun, l’auteur propose de conférer une interprétation minimaliste à la réforme de 1985. Il est patent que l’utilisation des principes du droit commun aurait pour conséquence inéluctable une minoration considérable de l’impact de la loi. Or, indépendamment de toute référence au contenu de la loi, il paraît naturel que le législateur ait entendu conférer une utilité maximale à son intervention, si attendue par ailleurs1148. L’analyse des objectifs assignés ne fait que confirmer l’impression : le bouleversement des sources formelles puise sa justification dans la volonté de combler les lacunes devenues criantes du droit commun. Aussi quels qu'aient été les propos tenus lors des travaux préparatoires, il paraît peu probable qu’une interprétation téléologique des textes conduise à minorer l’impact de l’intervention législative. Ainsi que le fait observer Georges Wiederkehr, « l’économie du système établi par la loi est fondée sur l’idée que le renforcement de la protection est en la matière possible grâce au rôle de l’assurance et du fonds de garantie » ; aussi pour choisir entre les différents principes d’interprétation, « il convient d’adopter de préférence celui qui évite qu’en définitive la charge de la réparation pèse sur un responsable non assuré ou non soumis à une obligation d’assurance. »1149.
150Sur le terrain de la technique juridique, il est aisé de rappeler l’effectivité du principe selon lequel le particulier déroge au général1150. Assurément la loi de 1985 décrit-elle un régime dérogatoire. Aussi il paraît légitime de penser qu’elle déroge pour totalité au droit commun, sauf lorsqu’elle y renvoie expressément. Au surplus, il n’est pas certain que le législateur n’ait pas fixé les conditions à la naissance de l’obligation : l’article 1er de la loi n’introduit-il pas la notion d’implication ?1151 Enfin, la solution inverse aurait pour effet de faire coexister des notions inspirées de philosophies diamètralement opposées : la faute renvoie sinon à la liberté du débiteur, à tout le moins à une appréciation de la normalité du comportement, tandis que la paralysie du cas de force majeure marque l’indifférence du législateur pour son attitude, serait-elle appréciée objectivement.
151270. La jurisprudence n’est pas restée insensible à cette thèse. Elle consacra le caractère autonome de la loi de 1985 de manière de plus en plus affirmée. Après avoir rendu des décisions qui posaient implicitement mais clairement le principe d’autonomie1152, la Cour de cassation exprima l’idée selon laquelle « l’indemnisation de la victime d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ne peut être fondée que sur les dispositions de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 à l’exclusion de celles des articles 1382 et suivants du Code civil »1153. Toutefois il semble que l’exclusion du droit commun trouve ses limites dans la protection du créancier1154 : la jurisprudence a consacré la solution inverse sur le terrain des recours entre coauteurs. De l’écheveau jurisprudentiel, il est en effet possible de dégager une constante : il n’a jamais été refusé au solvens le bénéfice du droit commun. Que l’action soit exclusive1155 ou alternative1156, fondée sur le mécanisme de la subrogation1157 ou de l’action personnelle1158, le solvens peut se voir imposer la répartition du coût final du dommage selon les règles traditionnelles de la responsabilité. Cette réintroduction de la responsabilité se justifie pleinement dans la mesure où l’objectif fixé par la loi a été atteint1159.
152Le remplacement au plan technique de la notion de causalité par celle d’implication n’a toutefois pas vidé la question de l’autonomie au plan substantiel du fait générateur de responsabilité. Des auteurs n’ont pas manqué de faire observer qu’il existait un risque réel pour que la notion substituée n’ait de la spécificité que l’apparence1160. D’abord, parce que derrière l’appréhension technique d’une réalité matérielle, l’appréciation de la conduite humaine n’est jamais loin, l’écart est résiduel entre le fait de la chose et l’implication du véhicule. L’introduction du critère de la perturbation de la circulation avait même joué le rôle d’un facteur perturbateur1161. En ce qu’elle impliquait l’appréciation du comportement du débiteur1162. Le rejet de la notion est à l’origine d’une différence notable : le contact suppose nécessairement l’implication1163, alors qu’il doit être complété par le mouvement ou l’anormalité de la position dans la responsabilité du fait des choses1164. Toutefois son abandon au plan technique dissimulerait mal la persistance du juge à raisonner en termes de causalité1165 : la découverte de la notion d’implication dans le dommage vient compléter l’implication dans l’accident. En effet, le véhicule doit non seulement être impliqué dans l’accident mais encore l’accident dans le dommage. Aux allures de truisme1166, l’affirmation n’est pas moins porteuse de conséquences importantes en cas d’accidents complexes dès lors que l’on en déduit l’existence de l’implication du véhicule dans le dommage. Fruit d’un « gauchissement des notions »1167, ce renforcement des conditions conduit à refuser la réparation en présence de chocs successifs : bien que formant au plan matériel un seul ensemble1168, l’accident est alors décomposé en autant d’impacts qu’il est possible1169. L’affirmation de « bon sens »1170 selon laquelle le dommage doit être imputable à l’accident devient l’instrument par lequel on opère une sélection entre les véhicules impliqués : « Le fantôme de la causalité rôde partout. ».1171
153271. La causalité vient donc atténuer l’ampleur de la réforme de 1985 en cas d’accidents complexes. Il n’en reste pas moins que l’intervention du législateur a été porteuse d’importants bouleversements au sein même du droit de la responsabilité. « Contribution à l’élaboration d’un droit des victimes »1172, l’œuvre législative a renouvelé les règles applicables et substitué la recherche de la protection du créancier à la liberté du débiteur. Mais loin d’en tirer toutes les conséquences et de sortir du cadre de la responsabilité, il a gardé intacte l’étape de désignation d’un responsable. Le concept même de responsabilité en sort donc affecté : la conjugaison de la qualité et de la relation de proximité suffit à fonder la responsabilité du débiteur principal. Le même constat sera réalisé au sujet de la responsabilité du fait des produits défectueux.
b) Les accidents médicaux
154272. L’on ne s’en étonnera pas : les accidents médicaux ont été le lieu privilégié d’introduction de la thèse moderne en droit positif. Les conditions matérielles sont en effet remplies pour que s’exprime pleinement le besoin de réparation. Nul n’ignore les risques inhérents à toute forme d’activité médicale. Risques puisant leur source dans l’acte médical lui-même, acte d’intervention ou de diagnostic, mais également dans la prise en charge du malade dans un contexte d’accueil propice au développement d’infections.
155Juridiquement, l’appréhension de ces phénomènes est fondé sur la jurisprudence Mercier de 19361173 : en vertu du contrat qui le lie à son patient, le médecin est investi d’une obligation de moyens. Aussi, devant la difficulté de rapporter la preuve d’une faute, le juge a depuis plusieurs années développé un dispositif de nature à favoriser le traitement des victimes. En amont, par l’alourdissement de l’obligation d’information du médecin quant aux risques encourus1174 ; en aval, par la création d’une obligation de sécurité de résultat pour les infections contractées à l’occasion d’une opération chirurgicale1175.
156Mais, si la jurisprudence s’est depuis lontemps chargée d’améliorer le sort des victimes, le législateur s’est fait attendre1176. Ce n’est que par la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 que fut mis en place un dispositif en ce sens1177. Riche de dispositions de natures diverses, la loi s’est donné pour objectif global de favoriser la situation du patient. Signe tangible d’une « démocratie sanitaire »1178, des règles sont fixées qui organisent son statut, précisent ses droits1179, encadrent l’exercice de l’activité médicale et structurent le système de santé1180. La réparation des dommages causés n’est donc pas l’objet exclusif de la loi. Il n’en est pas moins l’une des facettes les plus significatives.
157La loi de 2002 garde pour socle la jurisprudence Mercier. La responsabilité contractuelle préserve son empire et le médecin est investi d’une obligation de moyens. Mais, deux pistes ont été explorées en vue d’améliorer la situation des victimes : défini de manière précise, l’aléa thérapeutique est pris en charge par la solidarité nationale1181. De surcroît, l’établissement de soin voit sa responsabilité engagée sans faute en raison du défaut d’un produit de santé, mais surtout pour les infections nosocomiales. L’article L. 1142-1, I,al.2 du Code de la santé publique est rédigé de la manière suivante : « Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère. ».
158273. Par l’obligation qu’elle fait peser sur la tête de l’établissement de soin, la loi a donc apporté une consécration formelle aux sources techniques existantes : la réparation du dommage causé par les infections nosocomiales a été entérinée par le législateur. Mais une question subsiste néanmoins qui taraude la doctrine. La loi passe sous silence la responsabilité sans faute du médecin pour infection nosocomiale : faut-il en conclure à la disparition de l’obligation de sécurité de résultat ? N’y faisant pas mention, le législateur n’a pas explicitement abrogé le système antérieur et s’est donné pour objectif d’améliorer la situation des victimes. Aussi serait-il préférable de conclure au maintien de la jurisprudence antérieure.
159Pourtant, les première décisions rendues par les juges du fond ne semblent pas aller dans ce sens : la cour d’appel de Rouen s’est prononcée dans le sens de sa disparition1182. L’approche classique fait une répparition soudaine sous les traits de l’obligation de moyens. Il est donc permis d’espèrer l’intervention prochaine de la Cour de cassation sur ce point : les doutes seraient dissipés, et souhaitons-le, dans le sens du renforcement de l’approche moderne et partant, de la survie de l’obligation de sécurité de résultat du médecin. En dépendent la cohérence du système et le maintien d’un haut degré de protection des victimes.
160274. En offrant ainsi une traduction formelle à une réalité technique déjà existante, le législateur a consacré une nouvelle avancée formelle de l’approche moderne à travers l’édiction de la responsabilité sans faute des établissements de soin. En consacrant dans les textes les conditions techniques de la naissance de l’obligation, le législateur a notoirement consolidé l’installation de la thèse moderne. Certes, en restant muet sur la responsabilité du médecin elle-même, il a en même temps fragilisé la jurisprudence antérieure. Toutefois, rien ne fait obstacle à une double approche dans la protection des victimes d’accidents médicaux : protection formelle offerte par la loi et protection technique offerte par la Cour de cassation.
c) Les produits défectueux
161275. « Tout vient à point qui sait attendre ». Voilà l’enseignement qu’il est possible de tirer de l’introduction en droit français de la directive du 25 juillet 1985 sur les produits défectueux. Reste que l’autorité jurisprudentielle n’a pas attendu le 19 mai 1998 pour conférer un effet aux dispositions de la directive. En application d’un principe désormais bien établi du droit communautaire, elle se donna pour mission de « statuer à la lumière du texte et de la finalité de cette directive »1183. Aussi avant même que le législateur ne la transpose, l’obligation de sécurité avait été modelée par référence au texte communautaire. Sur le plan des conditions de mise en œuvre, elle avait marqué son autonomie par rapport à la garantie des vices cachés1184 et la classification traditionnelle des sources1185. Quant à la portée de l’obligation, il fut décidé que celle-ci devait être définie par référence à l’attente légitime du créancier1186.
162L’introduction de la directive en droit interne n’était pas inutile pour autant. L’oeuvre jurisprudentielle était nécessairement incomplète, inopportune et incertaine1187. Dans le domaine de la responsabilité causée par les produits, l’œuvre législative marqua l’avènement définitif au plan formel de la thèse moderne. Bien qu’il comporte des limites certaines à l’entreprise de protection, le nouveau système mis en place apporte une nouvelle pierre à l’édifice. L’entreprise est d’autant plus remarquable qu’elle s’est traduite par l’insertion dans le Code civil lui-même d’un grand nombre de dispositions à la suite des règles ancestrales de la responsabilité, réalisant ainsi une réforme d’une « ampleur jamais connue en matière de responsabilité extra-contractuelle »1188. Certes, l’actualité législative récente vient en limiter le domaine : tandis que la loi de 1998 déclarait le fournisseur responsable dans les mêmes conditions que le producteur, la loi du 5 avril 20061189 a pris acte des condamnations infligées par la Cour de Justice des Communautés Européennes1190 : le fournisseur ne pourra voir sa responsabilité engagée qu’à la condition que le producteur demeure inconnu et que le fournisseur n’indique pas dans un délai de trois mois son propre fournisseur ou le producteur1191. Il n’en reste pas moins qu’à travers la responsabilité du fabricant se trouve consacré un régime protecteur.
163276. Il a d’abord été donné naissance à un nouveau fait générateur qui n’implique aucune considération du comportement du responsable : le défaut d’un produit mis en circulation. Si la seule preuve de l’implication de la chose dans la réalisation d’un dommage ne suffit pas à établir la responsabilité du producteur1192, il reste que « le choix fondamental a été d’écarter toute exigence de la preuve d’une faute particulière du fabricant »1193. A ce titre, le rejet de la conception traditionnelle de la responsabilité ne fait pas de doute : la loi enregistre la disparition de la faute comme condition technique à la naissance de l’obligation de réparation.
164Mise en perspective avec la garantie des vices cachés et l’obligation de sécurité autonome, la solution offre l’avantage de se présenter comme une règle d’ordre public. Plus encore, elle est articulée entièrement autour de la réparation des dommages causés aux personnes ou aux choses extérieures au produit lui-même. Aussi si le système présente des lacunes évidentes en cas de défectuosité d’une chose de valeur, la portée de l’obligation de sécurité est délibérément déterminée par rapport à la personne du créancier et non plus par référence au débiteur : aux termes de l’article 1386-4 du Code civil, « Un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre ». Plus qu’un simple rappel de l’importance du rôle joué par la faute de la victime, par l’emploi du pronom « on », la proposition énonce que cette attente doit être appréciée in abstracto, par référence au bon père de famille1194. Ainsi s’opère un véritable retournement de situation par rapport au droit commun : l’appréciation de la normalité se fait en la personne du créancier à travers la définition de la légitimité de l’attente, tandis que la notion traditionnelle de faute conduit à s’interroger sur la normalité du comportement du responsable.
165L’orientation moderne apparaît encore plus clairement dès lors que l’on met en évidence la dimension égalitaire du texte : le créancier est envisagé en tant que victime exclusivement. Il n’est nullement tenu compte de sa qualité éventuelle de cocontractant : l’article 1386-1 dispose en effet que « le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu’il soit ou non lié par un contrat avec la victime ». Ainsi peut être assurée l’égalité de traitement entre les victimes, principe qui, selon Jérôme Huet1195, doit irriguer le droit positif. En plus d’ouvrir les vannes de la réparation, cette solution témoigne d’une orientation totalement nouvelle du droit de la responsabilité : alors qu’il s’agissait jusqu’à lors de traiter de façon égale les débiteurs qui se trouvaient dans des situations identiques, la loi consacre ici le bénéfice de l’égalité de traitement aux créanciers. Cette illustration du phénomène de dépassement des frontières entre le contrat et le délit constitue un véritable bouleversement dans le droit de la responsabilité : il suggère l’idée que si classification il doit y avoir entre les sources des obligations, celle-ci doit se faire à partir de la personne du créancier.
166277. Il est pourtant nécessaire de poursuivre l’analyse et d’interroger les faits exonératoires de responsabilité. A l’issue d’une grande discussion aux enjeux économiques et sociaux considérables1196, il a en effet été décidé d’attribuer un effet exonératoire de responsabilité au risque de développement : le producteur n’est pas responsable s’il prouve « Que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut »1197. Si celui-ci doit être apprécié rigoureusement et est même exclu pour les produits du corps humain, il constitue indiscutablement une prise en compte du comportement du débiteur. La question mérite même d’être posée de savoir s’il ne faut pas y voir un retour de la faute par la petite porte : n’est-ce pas un écart de conduite, pour un professionnel, que de ne pas s’informer régulièrement de l’état des connaissances qui intéressent son domaine d’activité ?
167Pour deux raisons différentes, il ne semble toutefois pas que le risque de développement soit l’instrument de réintroduction de la thèse classique dans la loi de 1998. Il est totalement illusoire de penser qu’en présence d’un défaut de la chose, la faute est constituée dès lors que fait défaut le risque de développement. Un producteur ne se met pas à l’abri de toute forme d’erreur en adoptant un comportement irréprochable et en faisant en sorte de se tenir informé des connaissances techniques qu’il juge utiles. A supposer qu’il soit possible d’avoir un accès illimité et exhaustif à celles-ci, il n’est pas possible de déterminer a priori quelles informations seront utiles ou non. L’accès aux informations ne règle pas la question de la sélection entre celles-ci : l’opération de recherche de l’information peut avoir été effectuée de manière sérieure et approfondie, elle n’en sera pas moins vaine si l’agent n’a pas conscience de l’utilité que peut revêtir une donnée, à défaut d’avoir la maîtrise des connaissances scientifiques nécessaires. Aussi le comportement peut avoir été irréprochable sans que pour autant soit constitué le risque de développement : l’absence de reconnaissance du risque de développement n’apporte pas la preuve de la faute. En conséquence, un fait générateur de responsabilité va pouvoir se glisser entre la faute et l’exonération sur ce fondement.
168278. Il est fondé de voir avec le professeur Jamin dans le nouveau régime mis en place « le dernier maillon d’une chaîne en date d’une longue histoire, qui a certainement commencé dès la fin du siècle dernier avec l’admission d’un principe général de responsabilité civile du fait des choses »1198, témoignage de l’idée selon laquelle « l’individu n’est plus autonome mais constitue un simple rouage de ce vaste ensemble (pour ne pas dire corps ou machine) qu’est la société »1199. En matière de responsabilité causée par les produits comme pour les accidents de la circulation, le législateur est donc intervenu pour consacrer au plan juridique les liens qui existent entre les individus. Fruit d’une conception solidariste de la société, le basculement des sources formelles vient élargir encore un peu plus la notion de responsabilité. Il participe du mouvement qui tend à rapprocher le concept de responsabilité de la personne du créancier et l’éloigner paradoxalement de la personne du responsable.
169279. On doit donc s’interroger sur les répercussions de ce double mouvement d’extension du concept de responsabilité sur la notion de délit : doit-on considérer que le délit évolue de la même manière que la responsabilité ou au contraire faut-il reconnaître l’indépendance des notions de telle sorte que le délit n’en subisse pas l’évolution ? Cette question amène par contrecoup à se demander si le renouvellement des sources formelles, constitué par l’avènement d’une loi spéciale, est ou non de nature à limiter l’impact de l’éclatement de la responsabilité sur la notion de délit ? En d’autres termes, est-il légitime de penser que la loi spéciale pourrait à elle seule fonder l’obligation sans qu’il soit nécessaire d’en passer par le détour d’une source technique ? L’obligation née de l’application des lois de 1985 et 1998 ne serait-elle rien d’autre qu’une obligation légale ?
170Cette tentative de limiter au plan théorique l’impact de la réforme s’exposerait naturellement au reproche de confusion. Il n’est pas rigoureux d’apporter une justification formelle en guise d’explication technique. Ainsi qu’il l’a dejà été exposé précedemment, il n’est pas possible de mettre sur le même plan justification formelle et justification technique. Ce qui caractérise en réalité l’obligation qualifiée à tort de « légale », c’est l’absence de réalisation nécessaire d’un dommage pour que naisse l’obligation. La seule qualité des parties en présence suffit à fonder l’obligation. Or, les lois visées n’envisagent pas cette hypothèse. Par contrecoup, à défaut de toute classification alternative, la notion de délit en subit les effets : le renouvellement des sources formelles par l’effet de la loi entraîne inéluctablement un phénomène de renouvellement des sources techniques.
171280. La réflexion menée doit donc s’inscrire dans la même ligne que celle inspirée par le phénomène de renouvellement des sources techniques en l’absence de bouleversement des sources formelles : la recherche de l’homogénéité des sources techniques place l’interprète devant deux solutions alternatives. Soit maintenir une définition stricte du délit et extraire de cette catégorie les différentes interventions du législateur. Soit accepter l’extension du délit au delà de l’illicéité et revoir à la baisse le dénominateur commun, facteur d’unité entre tous les cas de délit. Cette solution reviendrait en réalité à placer la substance du délit en la personne exclusive du créancier : le dénominateur commun consisterait en la seule réalisation du dommage. En effet, la loi sur les accidents de la circulation a pour conséquence d’élargir encore un peu plus la catégorie : jusque-là, le facteur commun était constitué par la réalisation du dommage qui n’a pu être évité. La suppression de tout effet exonératoire à la force majeure vient donc achever le processus de concentration de la définition de la source autour de la personne du créancier : la réalisation du dommage devient le seul élément invariant. Loin de tempérer le besoin de remettre de l’ordre entre les différentes sources d’obligations, la consécration formelle de nouveaux éléments générateurs d’obligations oblige au contraire l’interprète à repenser totalement les frontières entre les différentes sources.
CONCLUSION DU CHAPITRE II
172281. Au service de l’installation de l’approche moderne en droit positif, la substitution des sources techniques a conféré le prolongement nécessaire à la consécration indirecte de la thèse moderne. En réconciliant les sources technique et substantielle, elle facilite l’appréhension du phénomène juridique. Toutefois l’interprétation renouvelée des sources formelles n’est pas sans répercussion dans l’ordre conceptuel. Aussi cette vision évolutionniste du droit a pour conséquence d’obliger le juriste : les sources techniques méritent d’être redéfinies à nouveau. Le contrat n’est plus un accord de volonté dont les effets de droit auront été voulus pour totalité par le débiteur. L’illicéité ne borne plus la notion de délit. Enfin, le quasi-contrat déborde de son lit. De surcroît, l’introduction de nouvelles sources formelles, loin de dispenser le juriste de tout effort de redéfinition, conduira l’interprète à repenser une nouvelle fois la classification des sources. Prolongeant l’orientation moderne du droit positif, elle aura pour effet de grossir le nombre des obligations qui dépassent le cadre imparti par l’article 1370 du Code civil.
Notes de bas de page
829 Cass. civ., 21 novembre 1911, D.PD 1913.1.249, concl. L. Sarrut ; S. 1912.1.73, note Ch. Lyon-Caen.
830 Le troisième arrêt a été rédigé d’une manière très voisine : « la Compagnie de chemin de fer, tenue, en vertu de l’article 56 du cahier des charges, d’assurer le transport des agents nécessaires au service des postes, avait contracté, par là même, l’obligation d’amener ces agents, comme tous autres voyageurs, sains et saufs à destination. », Cass. civ., 21 avril 1913, 1913.1.257.
831 Certes, non exclusif de l’emploi de procédés alternatifs pour répondre à l’exigence moderne de sécurité. Sur la question : Le droit face à l’exigence contemporaine de sécurité, actes du colloque de la Faculté de Droit et de Science politique de Marseille (11-12 mai 2000), PUAM 2000.
832 Le champ de l’obligation de sécurité dans le contrat de transport a en effet connu un recul progressif. Il fut décidé dans un premier temps que bien que la personne se trouve dans l’enceinte du métropolitain, elle se voit privée du bénéfice de la protection dès lors qu’elle n’a pas « manifesté irrévocablement sa volonté d’utiliser le titre de transport », Cass. civ. 1ère, 12 février 1964, D. 1964.358 ; JCP 1964.II.13650, concl. G. Lindon, obs. R. Rodière. Puis, par une décision fort remarquée, la jurisprudence a utilisé un critère plus restrictif encore. La volonté irrévocable d’utiliser le titre de transport a été remplacée par l’utilisation effective : « l’obligation de sécurité consistant à conduire le voyageur sain et sauf à destination, résultant de l’art. 1147 c. civ., n’existe à la charge du transporteur que pendant l’exécution du contrat de transport, c’est-à-dire à partir du moment où le voyageur commence à monter dans le véhicule et jusqu’au moment où il achève d’en descendre », Cass. civ. 1ère, 7 mars 1989, Bull. n° 118 p. 77 ; D. 1991.1, note Ph. Malaurie ; resp. civ. et ass. 1989, comm. n° 200, chron. n° 16 ; Gaz. Pal. 1989.1.632, note G. Paire ; RTDC 1989.548, obs. P. Jourdain. Egalement : C. Mascala, Accidents de gare : le déraillement de l’obligation de sécurité, D. 1991.20. Le critère de l’utilisation effective du service cède naturellement dès lors qu’elle excède la prestation pour laquelle le voyageur avait contracté : Cass. civ. 1ère, 12 décembre 1978, Bull. n° 386 p. 301. Toutefois si le mouvement d’ensemble va dans le sens d’une application a minima du principe, celui-ci est resté le même. Ainsi que le rappelle le professeur Malaurie sous la décision de 1989, « La responsabilité du transporteur de voyageurs ne soulève plus de difficultés dans son principe. Ce qui a été discuté et a évolué, ce n’est pas ce qui se passe pendant le transport mais les situations qui le précèdent ou le suivent : une situation frontière indécise où, comme toujours, les catégories juridiques ont du mal à s’appliquer parce qu’elles sont tranchées, et que la vie ne l’est pas. », préc. p. 2. Il est même possible de considérer qu’au fur et à mesure que l’obligation de sécurité restreint son champ d’application, elle gagne en légitimité et donc préserve son avenir.
833 Malgré le faible degré de protection qu’elle propose, l’obligation de sécurité de moyens est régulièrement mise à contribution : Cass. civ. 1ère, 19 octobre 2004, Bull. n° 230 p. 192. Il s’agissait en l’espèce de la réalisation d’un contrôle technique sur un véhicule. Dans le même sens, la Cour de cassation invoqua expressément l’obligation de sécurité de moyens pour déclarer irresponsable l’organisateur d’un stage de parachutisme au cours duquel une personne trouva la mort : Cass. civ. 1ère, 22 juin 2004, JCP IV.2720.
834 C’est en matière d’accidents du travail que l’on trouve aujourd’hui le plus grand nombre d’applications de l’obligation de sécurité : son utilisation a même eu pour effet d’abaisser le seuil de la faute inexcusable. Est en effet constitutif d’une faute inexcusable le manquement à cette obligation de sécurité de résultat : Cass. soc. 11 avril 2002, Bull. n° 127 p. 132 ; Cass. soc. 23 mai 2002, Bull. n° 177 p. 176 ; Cass. soc. 28 février 2002 (6 arrêts), Bull. n° 81 p. 74 ; Cass. soc. 31 octobre 2002, Bull. n° 336 p. 324. L’employeur et son assureur sont ainsi condamnés à la réparation intégrale du préjudice. L’arrêt du 31 octobre précise même qu’il n’est pas nécessaire que la faute inexcusable soit la cause nécessaire de l’accident. Sur la question : Ph. Langlois, Amiante : obligation de sécurité de résultat et faute inexcusable de l’employeur, D. 2002, Interview, p. 1285. Sous un angle plus général : Ph. Delebecque, La dispersion des obligations de sécurité dans les contrats spéciaux, Gaz. Pal. 1997.2.1184.
835 Préc. p. 1187 et s.
836 S. Goldschmidt, L’obligation de sécurité, thèse Lyon 1947, p. 121.
837 Le mouvement a été imprimé par une décision de cassation de la première Chambre civile en date du 20 mars 1989 rédigée de manière quelque peu ambiguë : « le vendeur est seulement tenu de livrer des produits exempts de tout vice ou de tout défaut de fabrication de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens », D. 1989. 381, note Ph. Malaurie ; Gaz. Pal. 1989. somm.108 ; RTDC 1989.756, note P. Jourdain. Par l’emploi du terme défaut, il est probable que la Cour ait entendu ouvrir l’action en réparation au-delà de la stricte existence d’un vice. Ce n’est toutefois qu’avec la décision du 11 juin 1991 que l’obligation de sécurité dans la vente s’émancipe de la garantie des vices cachés : « l’action en responsabilité contractuelle exercée contre le vendeur pour manquement à son obligation de sécurité, laquelle consiste à ne livrer que des produits exempts de tout vice ou de tout défaut de fabrication de nature à créer un danger pour les personnes ou pour les biens, n’est pas soumise au bref délai imparti par l’article 1648 du code civil », Bull. n° 201 p. 132. Il faut toutefois préciser que d’une manière générale l’application d’un régime défini comme ici ne renvoie pas nécessairement à la qualification idoine : il peut encore s’agir du recours au raisonnement par analogie. Il y a néanmoins de fortes raisons de penser que dans ce cas précis la Cour a bien cherché à consacrer l’autonomie de l’obligation de sécurité.
838 J. Huet, Responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle, Paris, 1978, n° 7 p. 7. La recherche de l’égalité de traitement à l’égard des victimes placées dans des situations comparables est une préoccupation constante chez l’auteur : préc. n° 365 p. 337, n° 380 p. 349.
839 Préc. n° 724 p. 687.
840 L’obligation va jusqu’à s’inviter à la table des contrats d’hôtellerie : Cass. civ. 1ère, 8 février 2005, D. 2005.2058, note C. Corgas-Bernard.
841 L’influence exercée par le droit communautaire apparaît de deux manières différentes. D’abord, dans le principe lui-même qui refuse de faire une distinction entre les parties et les tiers au contrat. Mais aussi dans la portée de l’arrêt qui limite la solution au vendeur professionnel, à l’instar de la directive CEE n° 85-374 du 25 juillet 1985.
842 Et non pas comme l’inauguration d’une jurisprudence nouvelle. Des décisions attestent de l’abandon de cette solution. En décidant que le principe du non-cumul ne recevait application que dans les rapports entre cocontractants, la Cour estime désormais que les juges du fond sont tenus de statuer sur le fondement délictuel : Cass. com., 9 juillet 2002, Bull. n° 122 p. 130. Le même principe fut appliqué en faveur d’une personne victime d’une chute dans l’escalier d’un centre commercial : Cass. civ. 1ère, 9 juillet 2002, Bull. n° 188 p. 145.
843 Il n’était toutefois pas illégitime de voir dans la décision de 1995 une menace pour l’obligation contractuelle de sécurité. Le danger est qu’elle soit victime de son succès : que reste-t-il de contractuel à une obligation qui profite à tous ? Ainsi, le professeur Jourdain analyse cette décision comme le prodrome de la disparition de l’obligation contractuelle de sécurité. S’interrogeant sur l’incidence théorique de l’extension de l’obligation de sécurité hors du contrat, il affirme que « c’est son caractère traditionnellement contractuel qui se trouve aujourd’hui affecté. Une obligation qui est destinée à profiter aux tiers comme aux parties n’a plus grand-chose de contractuel. », note sous Cass. civ. 1ère, 17 janvier 1995, D. 1995.350.
844 Il faut rappeler que l’article 1386-18 de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 dispose que les règles nouvelles « ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d’un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d’un régime spécial de responsabilité. ».
845 Illustrations de son extraordinaire vitalité, des décisions sont rendues qui en font un emploi surprenant, quoique bienvenu au plan pratique. Ainsi une association d’aide aux personnes handicapées a été jugée débitrice d’une obligation de sécurité quant au traitement prodigué aux personnes prises en charge : loin de se fonder sur la seule « organisation défectueuse du service », la Cour caractérise « le manquement de l’association à son obligation de sécurité » : Cass. civ. 2ème, 12 mai 2005, Bull. n° 121 p. 111.
846 L’article 1150 de l’avant-projet de réforme du droit des obligations dispose que « l’obligation de sécurité, inhérente à certains engagements contractuels, impose de veiller à l’intégrité de la personne du créancier et de ses biens. ». Sur cette disposition : J. Huet, Des distinctions entre les obligations, dans L’avant-projet de réforme du droit des contrats, Actes du colloque du 25 octobre 2005, RDC 2006.91
847 Traité élémentaire, 3ème éd. 1950, II, n° 1857. Egalement : « L’obligation de sécurité résulte, par suite, de la nature du contrat, en ce sens, c’est une obligation légale. », G. Ripert, Le régime démocratique et le droit civil moderne, Paris, 2ème éd. 1948, n° 170 p. 311. Cultivant la confusion entre source technique et source formelle, les auteurs maintiennent ainsi le contrat à l’abri de toute transformation. A quoi il faut rajouter que l’obligation de sécurité constitue le meilleur rempart contre l’évolution incontrôlée de la responsabilité du gardien qui s’étendrait au-delà des choses dangereuses, phénomène tant redouté par les tenants de la thèse classique. Sur l’effet de vase communicant entre la responsabilité contractuelle et délictuelle : J. Bellissent, Contribution à l’étude de la distinction des obligations de moyens et des obligations de résultat, LGDJ 2001. Notamment p. 169, n° 190 et s. Le besoin de réparation s’est avéré si fort que très vite la question ne portait pas sur le principe mais bien sur la voie qu’il convenait d’emprunter. L’obligation contractuelle de sécurité est alors un puissant instrument de résistance contre l’envahissement de la responsabilité délictuelle. Paradoxe remarquable, la thèse classique doit faire bon accueil à un phénomène qui heurte de plein fouet ses fondamentaux.
848 L’obligation de sécurité a ainsi été dénoncée comme étant une obligation fonctionnelle procédant de l’équité : C. Bloch, L’obligation contractuelle de sécurité, PUAM 2002, n° 94 p. 125. A quoi il est certes possible de répondre qu’il n’existe d’obligation ou de notion en général que fonctionnelle - imaginerait-on une notion dépourvue de fonction ? Il serait d’ailleurs très enrichissant de s’interroger sur la fonction de ce vocabulaire… Affirmer d’une notion qu’elle est fonctionnelle revient en réalité à sous-entendre qu’elle sort de son domaine d’élection naturelle, et donc partant à en dessiner a priori les contours -et que l’équité, employée en ce sens, pêche par son caractère diffus et imprécis. Aussi est-il préférable d’y voir l’application de la thèse moderne.
849 L. Leveneur, Le forçage du contrat, Dr. et patr. 1998, chron. n° 58 p. 72. L’auteur y voit une manifestation du phénomène de forçage ostensible du contrat.
850 Sur la question : Ph. Delebecque, La dispersion des obligations de sécurité dans les contrats spéciaux, Gaz. Pal. 1997.2.1184.
851 Notamment : Cass. civ. 1ère, 20 mars 1989, Bull. n° 137, p. 90 ; D. 1989.381, note Ph. Malaurie ; Resp. civ. et ass. 1989, comm. n° 230 ; RTDC 1989.756, obs. P. Jourdain. Il faut toutefois préciser que l’arrêt a également été rendu sous le visa de l’article 1147 du Code civil (dans le cadre de la réponse au troisième moyen). Aussi il est possible de voir dans cette utilisation de l’article 1135 la volonté de la Cour de se démarquer de la garantie des vices cachés et ainsi d’éviter l’application du bref délai. L’utilisation de cette disposition n’est pas conjoncturelle pour autant : il s’agit toujours de fonder l’existence d’une obligation qui n’est pas de l’essence du contrat.
852 Ph. Jacques, Regards sur l’article 1135 du Code civil, Dalloz 2005, n° 227 p. 458.
853 Préc. n° 227 p. 459 (C’est nous qui soulignons).
854 Le professeur Geneviève Viney fera justement observer que, « La volonté n’y est plus conçue comme une source autonome et exclusive d’obligations contractuelles. », Le fondement de l’obligation de sécurité, Gaz. Pal. 1997.2.1196.
855 Rappelons-en les termes exacts : « On doit, notamment, suppléer dans le contrat les clauses qui y sont d’usage, quoiqu’elles n’y soient pas exprimées. ».
856 « L’obligation de sécurité, inhérente à certains engagements contractuels, impose de veiller à l’intégrité de la personne du créancier et de ses biens. ».
857 R. Savatier, Le prétendu principe de l’effet relatif des contrats, RTDC 1934.545.
858 M. Bacache-Gibeili, La relativité des conventions et les groupes de contrats, LGDJ 1996, n° 269 p. 237.
859 Trois catégories principales se dégagent nettement : les actions en garantie, en paiement ou en responsabilité. Sur ces différentes catégories : C. Jamin, La notion d’action directe, LGDJ 1991, n° 25 p. 18 et s.
860 M. Cozian, L’action directe, LGDJ 1966, n° 100 p. 65 et s.
861 C. Jamin, La notion d’action directe, LGDJ 1991, n° 171 p. 145.
862 B. Teyssié, Les groupes de contrats, LGDJ 1975, n° 63 p. 36. Les chaînes de contrats se subdivisent elles-mêmes en chaînes par addition et chaînes par diffraction : alors que les premières désignent la succession de contrats portant sur le même objet, les secondes visent la situation dans laquelle l’opération a été fractionnée artificiellement par les parties. Aussi parce que « les accords successifs s’organisent autour d’une prestation essentielle » (préc. n° 124 p. 70), les contrats doivent être de même nature et les objets identiques : préc. n° 125 p. 70 et n° 129 p. 72. Ainsi « la diffraction constitue un mode d’exécution du contrat initial » : préc. n° 141 p. 79.
863 Préc. n° 176 p. 95.
864 Préc. n° 298 p. 156 et s.
865 Préc. n° 360 p. 184 et s.
866 Préc. n° 361 p. 185 et s
867 Il en résulte notamment que le contrat originaire conditionne l’étendue du sous-contrat : J. Néret, Le sous-contrat, LGDJ 1979, n° 176 p. 142 et s.
868 Préc. n° 9 p. 12 et s.
869 Préc. n° 211 p. 163 et s.
870 Préc. n° 422 p. 308 et s.
871 Préc. n° 360 p. 262 et s.
872 Bernard Teyssié fera ainsi clairement apparaître que le mandat ou la stipulation pour autrui ne sauraient être apportés en justification à l’existence des actions directes en garantie : thèse préc. n° 513 p. 255 et s. L’absence de volonté contractuelle et le défaut de disposition légale spéciale conduisent l’auteur à expliquer les relations contractuelles par l’appartenance à un même groupe : préc. n° 558 p. 278.
873 C’est précisément pour combler les insuffisances des actions récursoires en garantie ou en responsabilité délictuelle que l’auteur confère au groupe de contrat un rôle dans la création des rapports contractuels : préc. n° 479 p. 240 et s. Pour les actions directes en paiement, il s’agit principalement de l’action oblique et de la saisie-arrêt : B. Teyssié, thèse préc.n° 527 p. 260 et s. L’auteur ne manque pas de faire observer que l’action directe présente comme avantage sur l’action oblique l’absence d’intervention du patrimoine intermédiaire et l’absence d’intervention judiciaire obligatoire : préc. n° 632 p. 263. Elle sera par ailleurs plus simple sur le plan procédural que la saisie-arrêt : préc. n° 527 p. 260.
874 C. Jamin, thèse préc. n° 177 p. 156.
875 Thèse préc. n° 177 p. 156.
876 thèse préc. n° 177 p. 165 et 157.
877 Cass. civ. 1ère, 9 octobre 1979, D. 1980.IR.222, obs. C. Larroumet ; RTDC 1980.354, obs. G. Durry.
878 Celle-ci s’est illustrée notamment à l’occasion d’un arrêt rendu le 19 juin 1984 qui décida que le maître de l’ouvrage n’était pas lié contractuellement au fabricant qui avait fourni des matériaux à l’entrepreneur principal : Cass. civ. 3ème, 19 juin 1984, D. 1985.213, note A. Bénabent ; JCP 1985.II.20387, obs. Ph. Malinvaud ; Gaz. Pal. 1985.2.437, note H. Souleau ; RTDC 1985.406, obs. Ph. Rémy ; RTDC 1985.588, obs. J. Huet.
879 Cass. Ass. plén. 2 février 1986 (deux arrêts) ; D. 1986.293, note A. Bénabent ; D. 1987. somm. comm. 185, obs. H. Groutel ; JCP 1986.II.20616, note Ph. Malinvaud ; Gaz. Pal. 1986.2.543, note J-M Berly ; Rev. dr. immob. 1986.210, obs. Ph. Malinvaud et B. Boubli ; RTDC 1986.364, obs. J. Huet ; RTDC 1986.605, obs. Ph. Rémy. Il est à noter que cette décision transmet l’action en défaut de conformité. Elle témoigne donc de la volonté de la Cour de cassation d’élargir l’action à tous les droits et garanties. Et ce d’autant plus qu’il s’agit ici de briques non conformes « en raison de leur mauvaise fabrication » : préc. D’évidence la Cour a ici retenu une conception extensive du défaut de conformité pour faire échapper le maître de l’ouvrage à l’application du bref délai de l’article 1648 du Code civil. Sur la question : Ph. Malinvaud, note préc. Le professeur Rémy fera ainsi observer que « cette transmission au maître de l’ouvrage de l’action fondée sur le défaut de conformité de la chose livrée, aura pour résultat de transporter, dans ses rapports avec le fabricant, les incertitudes de qualification qui empoisonnent déjà le droit de la vente (et de la revente). » : obs. préc. L’extension de la responsabilité contractuelle aurait donc pour conséquence éventuelle d’amplifier la déformation des conditions.
880 « Attendu que dans le cas où le débiteur d’une obligation contractuelle a chargé une autre personne de l’exécution de cette obligation, le créancier ne dispose contre cette personne que d’une action de nature nécessairement contractuelle, qu’il peut exercer directement dans la double limite de ses droits et de l’étendue de l’engagement du débiteur substitué », Cass. civ. 1ère, 8 mars 1988, JCP 1988.II.21070, note P. Jourdain ; RTDC 1988.351, obs. Ph. Rémy ; RTDC 1988.741, obs. J. Mestre ; RTDC 1988.760, obs. P. Jourdain.
881 Cass. civ. 1ère, 21 juin 1988, D. 1989.5 ; JCP 1988.II.21125, note P. Jourdain ; Défr. 1989.357, obs. J-L Aubert ; RTDC 1989.74, obs. J. Mestre ; RTDC 1989.107, obs. Ph. Rémy.
882 Les raisons pour lesquelles la décision a été rendue ont été jugées si importantes que la Cour les a fait figurer dans la rédaction même de l’arrêt, procédé peu utilisé par les hauts magistrats, traditionnellement avares en explications. La Cour précise « qu’en effet, dans ce cas, le débiteur ayant dû prévoir les conséquences de sa défaillance selon les règles contractuelles applicables en la matière, la victime ne peut disposer contre lui que d’une action de nature contractuelle, même en l’absence de contrat entre eux », préc.
883 Cass. Ass. plén. 12 juillet 1991, D. 1991.548, note J. Ghestin ; somm. comm. 321, obs. J-L Aubert ; JCP 1991.II.21743, note G. Viney ; RJDA 1991.583, concl. Mourier, rapport P. Leclerc ; Défr. 2991.301, obs. J-L Aubert ; CCC 1991, n° 2000, obs. L. Leveneur ; RTDC 1991.750, obs. P. Jourdain ; GA, n° 171-174.
884 L. Leveneur, note sous Cass. civ. 1ère, 28 octobre 1991 et Cass. civ. 3ème, 30 octobre 1991, CCC 1992, n° 25 p. 11. Il apparaît en effet clairement que la solution n’est pas cantonnée au strict cadre du droit immobilier et ne laisse donc pas intact le principe posé par les arrêts précédents de la première Chambre civile : C. Larroumet, L’effet relatif des contrats et la négation de l’existence d’une action en responsabilité nécessairement contractuelle dans les ensembles contractuels, JCP 1991.I.3531.
885 En témoignent les arrêts précités, dont la formulation ne laisse place à aucun doute : « Attendu, d’abord, que le maître de l’ouvrage, comme le sous-acquéreur, jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartient à son auteur ». Et à ceux qui penseraient qu’il s’agit là de vélléités d’indépendance de la première Chambre civile, la troisième formation vient répondre qu’ayant « relevé que le maître de l’ouvrage disposait contre le fabricant des matériaux d’une action contractuelle directe, laquelle était fondée sur le contrat de vente conclu entre ce fabricant et le vendeur intermédiaire, la cour d’appel en a justement déduit que la clause attributive de compétence figurant dans ce contrat était opposable au maître de l’ouvrage », préc. Dans le même sens, l’arrêt de la troisième Chambre civile du 26 mai 1992 ouvre l’action contractuelle directe d’un sous-acquéreur contre un locateur d’ouvrage : RTDC 1993.131, obs. P. Jourdain. Plus récemment, une décision de la première Chambre civile est venu rappeler que le fabricant d’un produit est en droit d’opposer au maître de l’ouvrage une clause limitative de garantie figurant dans le contrat conclu avec l’entrepreneur : Cass. civ. 1ère, 7 juin 1995, CCC 1995, n° 159, note L. Leveneur.
886 « qu’ayant exactement relevé que la société Nomacadre, sous-traitant, engageait sa responsabilié vis-à-vis du maître de l’ouvrage sur le fondement délictuel, la cour d’appel a retenu, à bon droit, que le fournisseur de ce sous-traitant, la société Haironville, devait, à l’égard du maître de l’ouvrage, répondre de ses actes sur le même fondement », Cass. civ. 3ème, 28 novembre 2001, D. 2002.1442, note J-P Karila ; JCP 2002.II.10037, note D. Mainguy ; Défr. 2002.255, obs. R. Libchaber ; RTDC 2002.104, obs. P. Jourdain.
887 Ainsi, pour Monsieur Karila, « il est clair que le maître de l’ouvrage ne peut succéder aux droits et actions d’un sous-traitant à l’encontre dudit fabricant puisqu’il n’est pas lui-même lié contractuellement avec ledit sous-traitant », note préc.
888 En ce sens : C. Lisanti-Kalczynski, L’action directe dans les chaînes de contrats ? Plus de dix ans après l’arrêt Besse, JCP 2003.1.102. Egalement : R. Libchaber, note préc. p. 256 ; P. Jourdain, obs. sous Cass. civ. 3ème, 12 décembre 2001, RTDC 2002.303.
889 Cass. civ. 3ème, 12 décembre 2001, RTDC 2002.303, obs. P. Jourdain.
890 Sur ces différents arrêts et l’analyse qu’il est possible d’en faire : P. Puig, Faut-il supprimer l’action directe dans les chaînes de contrats ?, Etudes Jean Calais-Auloy, Dalloz 2004, p. 913 ; D. Mainguy, L’actualité de l’action directe dans les chaînes de contrats, Etudes Jacques Béguin, Litec 2005, p. 229 et s ; S. Lacour, Plaidoyer pour la défense du maillon faible : l’avenir contesté de l’action directe dans les chaînes de contrats, PA, 9 juin 2005, p. 7. Pour Daniel Mainguy, c’est bien le caractère acquisitif de la chaîne qui justifie le transfert et non le caractère homogène ou hétérogène de la chaîne. Egalement sur la question au travers du prisme de la notion d’indivisibilité : J-B Seube, L’indivisibilité et les actes juridiques, Litec 1999. L’existence de ces actions illustre ainsi le lien d’indivisibilité au sein de relations tripartites : préc. n° 69 p. 109 et s.
891 Cass. com., 22 mai 2002, Bull. n° 89 p. 95. Sur cet arrêt : D. Mainguy, préc. p. 458.
892 J-H du Garreau de la Méchenie, La vocation de l’ayant cause à titre particulier aux droits et obligations de son auteur, RTDC 1944.219.
893 P. Jourdain, La nature de la responsabilité civile dans les chaînes de contrats après l’arrêt d’Assemblée plénière du 12 juillet 1991, D. 1992.155.
894 L’auteur préconise toutefois un autre chemin pour y parvenir. Il se place dans une « perspective objectiviste » générale, animé par le souci de « prendre en considération les situations de fait dans lesquelles sont objectivement placés les intéressés », Responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle, Essai de délimitation entre les deux ordres de responsabilité, thèse Paris, 1978, n° 109 p. 116. Aussi les caractères du dommage vont-ils déterminer la nature de la responsabilité : « Pour que la responsabilité encourue envers les parties à une convention soit de nature contractuelle, il faut que le préjudice souffert par l’une d’elles démontre la méconnaissance de l’accord conclu. », préc. n° 110 p. 118.
895 Sur la question : notamment, J-L Aubert, obs. sous Cass. civ. 1ère, 21 juin 1988, Défr. 1989.357.
896 A ce titre, le professeur Mestre ne manquera pas de rappeler que le contrat est « un acte de prévision » : obs. sous Cass. civ. 1ère, 21 juin 1988, RTDC 1989.74. Egalement : L. Bouilloux-Lafont, note sous Cass. civ. 3ème, 13 décembre 1989, JCP 1990.II.21554 ; P. Jourdain, La nature de la responsabilité civile dans les chaînes de contrats après l’arrêt d’Assemblée plénière du 12 juillet 1991, D. 1992.150 ; J. Kullmann, note sous Cass. civ. 3ème, 13 décembre 1989 et 28 mars 1990, D.1991.29.
897 Cette règle a été consacrée expressément dans l’arrêt du 8 mars 1988 : le créancier peut agir contre le débiteur de son débiteur dans la double limite « de ses droits et de l’étendue de l’engagement de ce débiteur », préc.
898 Christophe Jamin y verra d’ailleurs le signe du retournement de la jurisprudence. Autrefois favorable au titulaire de l’action directe, elle se retourne désormais contre lui : thèse préc. n° 176 p. 155.
899 Ainsi elle a été vivement critiquée par le professeur Jamin : préc. n° 176 p. 154 et s.
900 Notamment : G. Viney, Responsabilité civile, JCP 1993.I.3664, n° 6.
901 Ainsi Mireille-Bacache-Gibeili considère que la notion de groupe suppose non seulement l’identité d’objet de prestation mais également de l’objet de l’obligation : thèse préc. n° 119 p. 107. Egalement : n° 125 p. 114.
902 Thèse préc. n° 295 p. 258.
903 « Obligation juridique, donc, bien qu’imparfaite, l’obligation naturelle ne serait séparée de l’obligation civile que d’une différence de degré, non de nature », D. Laszlo-Fenouillet, La conscience, LGDJ 1993, n° 133 p. 79.
904 H. Ferkh , Le rapport des obligations naturelles à la morale ou la tendance objective de la jurisprudence, Gaz. Pal. 7 janv. 1997.1.13.
905 Dans cette perspective, il serait possible d’inverser le raisonnement et de voir dans l’engagement unilatéral la « Source auxilliaire » : G. Loiseau, note sous Cass. civ. 1ère, 4 janvier 2005, D. 2005.1394. La signification technique reste identique : seule la conjugaison des deux notions peut conférer au lien son efficacité.
906 Préc. n° 13 p. 88.
907 D. Houtcieff, Le principe de cohérence en matière contractuelle, PUAM 2000, n° 687 p. 545.
908 Précitée.
909 L’argument est le suivant : la cause suppose un « rapport de réciprocité » entre deux obligations différentes et non pas un « rapport d’antériorité », comme c’est le cas dans la relation qui unit obligation naturelle et obligation civile : préc. p. 142.
910 L’auteur passe ainsi en revue les différents éléments constitutifs de la novation pour conclure qu’on ne pouvait pas recourir à ce concept en l’espèce : préc. p. 123 et s. L’idée a fait florès au point que la doctrine s’accorde aujourd’hui à penser majoritairement que le concept est inapplicable. De surcroît, la jurisprudence elle-même a explicitement consacré la même idée : elle a pu évoquer la « transformation-improprement qualifiée novation d’une obligation naturelle en obligation civile », D. 1997.155.
911 Préc. p. 165 et s.
912 La remarque vaut pour l’engagement unilatéral en général, par-delà les différentes applications à travers l’obligation naturelle. Marie-Laure Izorche en fit la démonstration : « il n’est pas nécessaire que la décision du sujet soit isolée de toute situation objective passée ou future pour que l’engagement unilatéral soit consacré. D’ailleurs, poser une telle exigence serait irréaliste, car les actes juridiques en général ne sont jamais dépourvus d’un appui dans la thèse objective : on ne saurait demander à l’engagement unilatéral ce qu’on ne demande pas au contrat, dont il est admis, de nos jours, qu’il ne repose pas exclusivement sur une volonté abstraite et totalement libre des parties. » : th. préc. n° 240 p. 168.
913 Cette fonction sélective assurée par l’obligation naturelle est l’équivalent du rôle tenu par l’exigence d’un intérêt social suffisant. Et l’idée ne fait que se renforcer dès lors que l’on observe que cette mission remplie par l’obligation naturelle fait intervenir une conscience qui « passe alors du plan intérieur, subjectif, individuel et personnel, au plan extérieur, objectif, social et collectif. » : D. Laszlo-Fenouillet, La conscience, préc. n° 173 p. 113.
914 Ainsi une convention peut prévoir que la volonté d’une seule partie sera porteuse de la naissance d’une obligation. Il n’est pas pour autant opportun de parler d’engagement unilatéral de volonté. C’est le cas lorsque les parties concluent un contrat de promesse assorti d’une option. L’acte d’option constitue bien un acte unilatéral qui sera à l’origine d’obligations : « Il est efficace par l’intervention d’une volonté unique et exprime l’intérêt d’une seule partie. » : I. Najjar, Le droit d’option. Contribution à l’étude du droit potestatif et de l’acte unilatéral, LGDJ 1967, n° 204 p. 219. Par ailleurs, il a bien pour conséquence de donner vie à l’acte juridique subséquent, lui-même porteur d’obligations. Une fois encore, la volonté unilatérale est un élément qui déclenche l’obligation. Et les exemples pourraient être multipliés. Sur la question : L’acte unilatéral dans les rapports contractuels, préc. n° 44 p. 55 et s. Toutefois la convention ne permettra pas de hisser la volonté unilatérale au rang de source. Un accord de volonté a bien eu lieu qui a pour effet d’affubler un caractère obligatoire à l’engagement unilatéral. Aussi il n’est pas artificiel d’affirmer que la force obligatoire de l’engagement puise sa source dans le contrat : il serait totalement artificiel de découper la succession des évènements en compartiments isolés et d’ignorer le lien étroit qui unit la volonté commune de l’exercice de la prérogative individuelle qu’elle fait naître. L’observation a notamment été faite en matière de droit d’option : « Il n’y a aucun lien de structure entre le fait de s’engager et celui d’opter. (…) Même si nous prenons la promesse de vente, par exemple, l’idée d’engagement fait défaut. Cette observation peut surprendre mais elle ne se justifie pas moins : celui qui lève une promesse de vente ou d’achat ne fait que conclure le contrat de vente et d’achat ; ce n’est qu’une fois ce dernier conclu qu’il va produire ses effets » : I. Najjar, préc. n° 203 p. 217-8. La remarque peut naturellement être généralisée à tous les cas où l’accord de volonté initial confère une faculté à l’une ou l’autre des parties.
915 Cass. civ. 3ème, 9 novembre 1983, Bull. n° 222 p. 268 ; D. 1984.IR.174 ; Défr. 1984.1011, obs. J-L Aubert RTDC 1985.154, obs. J. Mestre. Egalement : Cass. civ. 3ème, 10 décembre 1997, Bull. n° 223 p. 150 ; PA, 23 novembre 1998, n° 140 p. 15, obs. Y. Dargone-Labbe ; Défr. 1998.336, obs. D. Mazeaud.
916 « Attendu que si une offre de vente peut en principe être rétractée tant qu’elle n’a pas été acceptée, il en est autrement au cas où celui de qui elle émane s’est expressément engagé à ne pas la retirer avant une certaine époque » : Cass. civ. 3ème, 10 mai 1968, Bull.n° 209 p. 161.
917 L’obligation au maintien s’analyserait alors comme la réparation en nature du dommage.
918 Notions et rôles de l’offre et de l’acceptation dans la formation du contrat, LGDJ 1970.
919 Préc. n° 197 p. 184.
920 Préc. n° 167 p. 158. Elle obéit ainsi aux critères classiques de l’acte juridique : il s’agit d’une manifestation de volonté qui produit des effets voulus par son auteur.
921 Préc. n° 188 p. 175.
922 Préc. n° 166 p. 158.
923 Cass. civ. 3ème, 15 décembre 1993, Bull. III n° 174 ; D.1994 somm.comm. 230, obs. O. Tournafond ; D. 1994.507, note F. Bénac-Schmidt ; D. 1995 somm.comm. 87, obs. L. Aynès ; Défr. 1995.795, obs. Ph. Delebecque ; JCP 1995.II.22366, note D. Mazeaud ; RTDC 1994.588, obs. J. Mestre. Dans le même sens : Cass. civ. 3ème, 26 juin 1996, Bull. n° 165 p. 105 ; RJDA 1996.637, D. Pronier, Rapport ; Défr. 1996.1371, note D. Mazeaud, R.N. Schütz ; Voir également : I. Najjar, La rétractation d’une promesse unilatérale de vente (à propos d’un revirement par un arrêt de la troisième Chambre civile de la cour de cassation du 26 juin 1996), D. 1997.119.
924 Ainsi le professeur Bénac-Schmidt s’interroge-t-elle : « on ne voit pas bien la différence avec l’offre non-contractuelle, et ce, d’autant moins que dans une optique protectrice la jurisprudence actuelle tend à rendre irrévocable pendant un délai raisonnable ou prévu la simple pollicitation. ». Laurent Aynès exprimera sous une autre forme la même idée : « Ou bien alors, il faut dire que la promesse de vente n’est plus un contrat, mais tout au plus une offre de vente… » : obs. sous Cass. civ. 3ème, 15 décembre 1993, D. 1985. somm. comm. 88. Dans la même ligne, Denis Mazeaud critiqua vivement la solution consacrée par ses arrêts : elle fait selon lui du contrat de promesse un contrat « imprévisible, donc inutile » : note sous Cass. civ. 3ème, 26 juin 1996, D. 1997. somm. comm. 169. Les auteurs sont peu nombreux à approuver cette solution. Ils le feront en arguant de l’absence de caractère translatif du contrat de promesse. Il en est ainsi de la thèse défendue par Muriel Fabre-Magnan : « En réalité, ce qu’il faut examiner, c’est si le contrat conclu par les parties est ou non en lui-même translatif de propriété. Ce n’est que dans l’affirmative, et sous réserve bien entendu que le contrat soit valablement formé, que les parties ne peuvent plus revenir sur leur consentement et que le juge peut alors décider que son jugement vaudra transfert de propriété puisque celui-ci, comme nous l’avons vu, ne dépend plus de la volonté du vendeur. » : Le mythe de l’obligation de donner, RTDC 1996.99.
925 Préc.
926 Cass. civ. 3ème, 10 mai 1989, n° 109 p. 60.
927 Note sous Cass. civ. 3ème, 10 décembre 1997, PA, 23 novembre 1998, n° 140 p. 15.
928 « L’offre acte-juridique, et elle seule, jouirait d’une certaine autonomie à l’égard de l’offrant et des circonvolutions qui peuvent affecter sa volonté : ainsi, sa révocation suivie d’une acceptation pendant le délai exprès ne fera point échec à la formation du contrat, pas plus que le décès de l’offrant, lequel n’entraînerait point sa caducité. », préc. p. 338.
929 Art.1101 al.3. Sur cette reconnaissance par l’avant-projet : Ph. Stoffel-Munck, Autour du consentement et de la violence économique, dans L’avant-projet de réforme du droit des contrats, Actes du colloque du 25 octobre 2005, RDC 2006.46.
930 Apparaît clairement dans les propos du doyen Cornu la volonté de ne pas consacrer sans limite l’engagement unilatéral de volonté : préc. p. 15.
931 Il est à noter que la Cour d’appel avait fondé la solution sur une extension par analogie avec l’article 1386 du Code civil : « considérant, en outre, que le propriétaire d’un bâtiment est responsable du dommage causé par sa ruine lorsqu’elle est arrivée par un vice de construction (art.1386 c. civ.) ; que par analogie, il est juste de décider qu’en confiant à Teffaine une machine, Guissez et cousin sont responsables du dommage qui a été occasionné par un vice de construction de ladite machine ; que par application de ces principes, Guissez et cousin sont responsables de l’accident dont il s’agit », D.P. 1897.1.437.
932 Elle précisera quelques mois plus tard à l’occasion de l’explosion d’une chaudière que l’impossibilité de déterminer la cause d’un accident fait obstacle à toute responsabilité. En effet, l’événement « doit rentrer dans la catégorie des accidents fortuits déjouant toute prévision et ne pouvant engager aucune responsabilité. » : Cass. req. 30 mars 1897, D.P.1897.1.441, note R. Saleilles. La synthèse des deux arrêts peut se faire en voyant dans l’arrêt Teffaine le principe qui cède devant la preuve de l’absence de vice et de l’absence de faute. Tout en approuvant l’orientation générale, Saleilles regrettera cette dernière limite posée à la consécration de la théorie du risque professionnel : « désormais la jurisprudence aura à opter entre ces deux partis : ou bien en revenir purement et simplement à l’art. 1382 du code civil et exiger que l’on prouve la faute du patron ; ou bien se maintenir sur le terrain de l’art. 1384 et admettre la responsabilité de plein droit, sans qu’il y ait à prouver la faute, ni même à parler de vice de construction. », note préc. p. 438. En matière d’accidents du travail, l’appel fut entendu par le législateur qui adopta la loi du 8 avril 1898 affirmant l’existence d’une responsabilité sans faute.
933 La Cour de cassation évoquera vingt ans plus tard la notion de présomption de faute : Cass. civ., 21 janvier 1919, Cass. req., 28 juin 1929, Cass. civ., 15 mars 1921, D.P. 1922.1.25, note G. Ripert. L’expression figure expressément dans la première et la troisième espèce. Il faut toutefois relever que la première décision constitue un arrêt de rejet alors que la cour d’appel exposait clairement la thèse de l’autonomie de la responsabilité du gardien : « considérant que rien n’autorise à dire que ces dispositions sont dominées par le principe des art. 1382 et 1383 et que l’art. 1384 ne sera applicable, dans tous les cas qu’il prévoit, que si la faute est établie, ou que tout au moins la faute sera présumée, sauf la preuve contraire ; considérant qu’on comprendrait difficilement que les rédacteurs de ces derniers textes aient, en principe, supposé la faute dans un groupe d’espèces où manquait le fait personnel », CA Paris, 15 mars 1910, D.P.1922.1.27. Tout laisse donc à penser que la Cour suprême adhérait au principe de la suppression de tout lien entre faute et garde mais répugnait à en exposer clairement le principe. L’arrêt du 21 février 1927 en constitue d’ailleurs une parfaite illustration : tout en faisant référence au concept de présomption de faute, la Cour précise qu’il ne suffit pas que le gardien rapporte la preuve qu’il n’a commis aucune faute pour faire tomber sa responsabilité. Il s’agit d’une présomption de faute qui ne pourrait céder que devant la preuve « d’un cas de force majeure ou d’une cause étrangère qui ne lui soit pas imputable » : Cass. civ., 21 février 1927, DP 1927.1.97. La seule manière d’offrir une cohérence à cet arrêt est donc de considérer que le cas de force majeure constitue la preuve de l’absence de faute ; alors l’idée de faute est encore présente à travers le fait exonératoire de responsabilité. Toutefois, il n’en reste pas moins que la référence à la faute s’estompe de plus en plus.
934 Cass. réun. 13 février 1930, D. P. 1930.1.57, rapport Le Marc’Hadour, concl. Matter, note G. ripert ; S. 1930.1.121, note P. Esmein.
935 Certes, le même régime était applicable depuis longtemps sur le fondement de l’article 1385 du Code civil. Ainsi depuis 1885 la faute du propriétaire n’a pas à être retenue dans le cadre de la responsabilité du fait des animaux : Cass. civ., 27 octobre 1885, D.P. 1986.1.207 ; S.1886.1.33. La solution s’explique par la présence d’un être vivant sur lequel il est impossible d’avoir une emprise absolue : Georges Ripert écrira qu’« entre l’animal et la machine, il y a cette différence essentielle, la vie. » : note sous Cass. civ., 21 janvier 1919, Cass. req. 28 juin 1920, Cass. civ., 15 mars 1921, D.P. 1922.1.25. Il était donc justifié de conférer à la solution une portée limitée, impropre à faire basculer la définition du délit.
936 De la responsabilité du fait des choses inanimées, Paris, 1897.
937 Les accidents de travail et la responsabilité civile, Paris, 1897 ; Le risque professionnel dans le Code civil, Communication à la société d’économie sociale, séance du 14 février 1898, p. 635 ; Les accidents de travail et la responsabilité civile, Paris, 1897.
938 Le risque professionnel dans le code civil, préc. p. 644.
939 Préc. p. 644-5.
940 H. Capitant, La responsabilité du fait des choses inanimées d’après l’arrêt des chambres réunies du 13 février 1930, D. 1930.29. L’amplitude de la responsabilité du fait des choses a par ailleurs été rappelée récemment par le professeur Durry : L’irremplaçable responsabilité du fait des choses, Mélanges Terré, Dalloz 1999, p. 707. Dès lors qu’une chose intervient et que la personne reçoit la qualification de gardien, seule l’application des articles 1384 alinéa 2 et 1386 peut y faire obstacle : préc. p. 709.
941 A. Tunc, Le droit en miettes, archives 1977.32.
942 Le raisonnement fut suivi par René Rodière : « En matière de présomption de faute, tantôt on se contentera de la preuve qu’il n’y a pas eu de faute, tantôt on n’y croira que si l’événement étranger, cause du dommage est précisément démontré. ». Ainsi on peut sans quitter le terrain de la faute exiger du défendeur qu’il ait « désigné avec précision la cause de l’accident et démontré que cette cause ne lui est pas imputable. » : De l’obligation de sécurité due par le gardien d’une chose inanimée et de ses degrés, RTDC 1947.406. L’auteur développera la même thèse au sein des Mélanges Ripert, préc., tome II, n° 3 p. 190 : Sur la présomption de responsabilité du fait des choses inanimées (sa force et sa nature).
943 A tout le moins dans un système qui réfuterait l’idée de la causalité partielle.
944 Ch. Beudant, Cours de droit civil français par R. Beudant et P. Lerebourg-Pigeonnière, tome IX bis, 2ème éd., 1952, n° 1498 p. 129.
945 Cette thèse sera notamment développée par Marcadé : « cette responsabilité repose sur la présomption que l’obligé, qui était tenu de surveiller les personnes, les animaux et les choses, de manière à les empêcher de nuire à autrui, a fautivement omis de la faire. Il y a donc là un fait négatif, un fait d’omission. », Explication théorique et pratique du Code civil, tome V, 7ème éd. 1885, p. 288.
946 Préc. n° 1498 p. 129.
947 Préc. n° 1566 p. 190.
948 B. Stark, Essai d’une théorie générale de la responsabilité civile considérée en ses deux fonctions de garantie et de peine privée, thèse Paris, 1947, p. 133.
949 Voir notamment : R. Rodière, La présomption de responsabilité du fait des choses inanimées, Mélanges Ripert, tome II, n° 14 p. 201 ; B. Goldman, La détermination du gardien responsable du fait des choses inanimées, th. Paris, 1946, n° 102 p. 172.
950 A. Besson, La notion de garde dans la responsabilité du fait des choses, th. Paris, 1927.
951 Préc. p. 34 et s.
952 Préc. p. 69 et s.
953 Préc. p. 138.
954 M. Planiol, G. Ripert : Traité pratique de droit civil français par Esmein, tome VI, 1952, n° 481 p. 651. Egalement : G. Ripert, note sous Cass. civ., 21 janvier 1919, Cass. req. 28 juin 1920, Cass. civ., 15 mars 1921, D.P. 1922.1.25. Le lien entre la faute et la chose dangereuse est très clairement exprimé par l’auteur sous ces arrêts : « Il y a une responsabilité du gardien de la chose inanimée lorsque ce gardien avait un devoir particulier de surveillance sur une chose dangereuse pour les tiers. », p. 27. Ou encore : La règle morale dans les obligations civiles, 4ème éd. 1949, LGDJ, p. 228. Esmein emploiera le qualificatif de chose « vicieuse » : La chute dans l’escalier, JCP 1956.I.1321.
955 Pour une présentation développée de ces critiques : L. Josserand, Cours de droit civil positif français, tome II, 2ème éd., 1933, n° 539 p. 291.
956 Ripert affirmera toutefois que si des choses a priori peu dangereuses causent un dommage, c’est qu’elles ont « été mises dans une position telle qu’elles sont devenues dangereuses par leur masse et leur poids ; on peut donc encore présumer la faute du gardien » : note sous Cass. civ., 21 février 1927, D. 1927.1.97. Témoignage des enjeux actuels de la discussion, la même remarque fut faite récemment par un commentateur au recueil : « une chose ne peut-elle pas être considérée comme dangereuse à partir du moment où elle a causé un dommage ? », N. Damas, note sous Cass. civ. 2ème, (deux arrêts), 24 février 2005, D. 2005.1395.
957 R. Demogue, Théorie des obligations en général, tome III, 1923, n° 288 p. 476.
958 B. Goldman, th. préc. Voir également du même auteur : Garde de la structure et garde du comportement, Mélanges Paul Roubier, tome II, Dalloz 1961, p. 51.
959 L’arrêt Frank a été rendu quelques années plus tôt : Cass. ch. réun. 2 décembre 1941, D.P.1942.1.25, note G. Ripert ; S.1941.1.217, note H. Mazeaud ; JCP 1942.II.1766, note J. Mihura.
960 Ainsi il doit être doté de la « possibilité de libre surveillance » : préc. n° 36 p. 65. Ou encore de « la possibilité effective de surveillance », préc. n° 36 p. 67.
961 Préc. n° 116 p. 191-2 et s.
962 Sur la question : A. Tunc, Garde du comportement et garde de la structure dans la responsabilité du fait des choses inanimées, JCP 1957.I.1384 ; A. Tunc, La détermination du gardien dans la responsabilité du fait des choses inanimées, JCP 1966.I.1592. Les deux gardes renvoient selon l’auteur à la dualité des fondements de l’article 1384 alinéa 1 du Code civil qui sont constitués par la faute du gardien ou le vice de la chose elle-même.
963 Principalement : Cass. civ. 2ème, 5 janvier 1956, D. 1957.261, note R. Rodière ; JCP 1956.II.9095, note R. Savatier. Dans la rédaction même de l’arrêt apparaît clairement le souci de faire peser la responsabilité sur les épaules de la personne qui est en mesure de prévenir le dommage : « Attendu qu’au lieu de se borner à caractériser la garde par la seule détention matérielle, les juges du fond devaient, à la lumière des faits de la cause et compte tenu de la nature particulière des récipients transportés et de leur conditionnement, rechercher si le détenteur auquel la garde avait été transférée, avait l’usage de l’objet qui a causé le préjudice ainsi que le pouvoir d’en surveiller et d’en contrôler tous les éléments ». Egalement après renvoi : Cass. civ. 2ème, 10 juin 1960, D. 1960.609, note R. Rodière ; JCP 1960.II.11824, obs. P. Esmein. L’arrêt définitif n’est pas moins explicite : « il s’évince de ces constatations que le détenteur de la chose n’avait pas reçu toute possibilité d’empêcher la réalisation du préjudice qu’elle a causé ». Fut dégagée vingt ans plus tard la notion de dynamisme propre à l’occasion d’un litige provoqué par l’explosion d’une bouteille de boisson gazeuse : il est précisé que la chose « présentait en elle-même un dynamisme propre et dangereux et que sa garde ne pouvait pas être attribuée à un propriétaire ou détenteur qui ne possédait sur elle aucun pouvoir de contrôle et aucune possibilité de prévenir le dommage », Cass. civ. 2ème, 5 juin 1971, Bull. n° 204 p. 146. Le même principe fut réaffirmé quelques années plus tard : « attendu que la Cour d’appel qui, dans l’exercice de son pouvoir souverain, a considéré que la bouteille, remplie d’une boisson gazeuse, avait un dynamisme propre, capable de se manifester dangereusement, a pu déduire que la société des Eaux minérales de Vittel avait seule le pouvoir de la contrôler et estimer, dès lors que cette société en avait conservé la garde malgré les ventes successives dont elle avait été l’objet », Cass. civ. 1ère, 12 novembre 1975, Gaz. Pal. 1976.1.174, note B. Heno ; JCP 1976.II.18479, obs. G. Viney.
964 Ainsi selon René Rodière, cette ligne jurisprudentielle « aboutit à faire du propriétaire le gardien perpétuel de la chose, ce qui est exactement la position de la théorie du risque », note sous Cass. civ. 2ème, 10 juin 1960, D. 1960.609. René Savatier écrira qu’ « à prendre cette expression à la lettre, elle supprimerait, pour ainsi dire, l’application de la responsabilité autonome de l’article 1384 à tout autre gardien qu’au propriétaire. » : obs. sous Cass. civ. 2ème, 5 janvier 1956, JCP 1956.II.9095.
965 Cass. civ. 2ème, 7 mai 2002, Bull. n° 92 p. 74 ; JCP 2002.IV.2037.
966 Cass. civ. 2ème, 24 février 2005 (deux arrêts), D. 2005.1395, note N. Damas ; JCP 2005.I.149, n° 6, G. Viney ; RTDC 2005.407, obs. P. Jourdain ; Resp. civ. et ass. 2005, comm. n° 121, obs. H. Groutel. La première décision était rédigée de la manière suivante : « qu’en statuant ainsi, alors qu’il résulte de ses propres constatations que la porte vitrée, qui s’était brisée, était fragile, ce dont il résultait que la chose, en raison de son anormalité, avait été l’instrument du dommage, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
967 Ce fut le cas dans la deuxième décision du 24 février 1995 : « la présence d’un tel trempolin n’avait rien d’insolite et d’anormal dans un lieu d’animation sportive, qu’il ne présentait lui-même aucun caractère de dangerosité. », préc. A la différence de la décision qui fut rendue trois ans plus tôt, le caractère dangereux ne semble pas être le fondement mais simplement l’une des différentes sources possibles. L’emploi de l’aphorisme lui-même en atteste. L’anormalité est alors le creuset dans lequel se mêlent plusieurs indices, parmi lesquels figure la dangerosité. Il y aurait donc l’anormalité par position et l’anormalité par dangerosité intrinsèque.
968 Cass. civ. 2ème, 14 novembre 2002, Bull. n° 259 p. 204. Afin de reprocher aux juges du fond ne ne pas avoir retenu la responsabilité, il était d’ailleurs totalement superflu d’en appeler à la notion de chose dangereuse. Les juges d’appel reprochèrent en effet à la victime de ne pas avoir rapporté la preuve de l’existence d’un vice de la strucure. Il suffisait donc pour la haute juridiction de relever que la chose avait été l’instrument du dommage.
969 Cass. civ. 2ème, 12 décembre 2002, Bull. n° 287 p. 229. En l’espèce, la connaissance de la dangerosité du site avait été jugée exclusive de tout cas de force majeure. Le cas de force majeure était donc l’instrument qui permettait la réintroduction indirecte de la notion de chose dangereuse.
970 René Rodière affirmait ainsi déjà en 1953 que « La théorie de la dissociation de la garde s’en trouvait d’avance condamnée dans un système de responsabilité qui consiste à ne se placer que du point de vue des victimes », note sous Cass. civ. 2ème, 11 juin 1953, D. 1954.21. Le lien entre la théorie et l’approche classique apparaît ainsi clairement.
971 Un arrêt de 1999 a été l’occasion pour la Cour de cassation de refuser d’en rejeter les principes. Elle refusa de déclarer un fabricant-vendeur et un garagiste gardien du véhicule affecté d’un vice : Cass. civ. 2ème, 13 décembre 1989, Bull. n° 221 p. 115.
972 En effet, celle-ci n’est pas exclusive de l’application des règles de droit commun : la loi du 19 mai 1998 le précise elle-même en son article 1386-18.
973 Cass. civ. 2ème, 12 octobre 2000, Resp. civ. et ass. 2000, comm.n° 357, RTDC 2001 ou 2.372, obs. P. Jourdain.
974 Cass. civ., 23 janvier 2003, Bull. n° 19 p. 15. Il s’agissait en l’espèce de réparer une blessure subie par un ouvrier qui travaillait dans une maison en cours de rénovation et provoquée par l’explosion d’un détonateur se trouvant dans les gravats. La Cour de cassation décida que les juges d’appel étaient fondés à considérer que l’existence du transfert de la garde du détonateur à l’entreprise de carrelage n’était pas établie. Egalement : Cass. civ. 2ème, 28 novembre 2002, Bull. n° 273 p. 214. La Cour de cassation jugea en l’espèce que devaient être rapportés les éléments de fait qui démontraient que la garde n’avait pas été transférée : le raisonnement suppose donc admise l’idée selon laquelle le détenteur peut, à certaines conditions, échapper à la qualification de gardien.
975 La théorie n’a pas été appliquée dans le cadre des poursuites exercées contre les fabricants de tabac. Néanmoins, la lecture de la décision de la Cour de cassation du 20 novembre 2003 montre le dynamisme propre ( !) de la théorie : « la théorie distinguant garde de la structure et garde du comportement, applicables seulement aux choses dotées d’un dynamisme propre et dangereuses ou encore dotées d’un dynamisme interne et affectées d’un vice interne, n’est pas applicable aux cigarettes fumées par Richard G. », JCP 2004.II.10004, note B. Daille-Duclos. La désignation expresse de la théorie, exclusive de tout embryon de critique, autorise une lecture a contrario de la décision. A noter toutefois que le juge rajoute ici l’existence d’un vice interne ou le caractère dangereux du dynamisme.
976 Les décisions les plus remarquables ont été rendues en matière de vitres brisées par la victime. La seule vérification de l’existence d’un contact suffit pour caractériser le rôle causal de celle-ci : Cass. civ. 2ème, 29 avril 1998, Bull. n° 142 p. 84, RTDC 1998.913, obs. P. Jourdain. Un enfant s’était blessé au bras en heurtant une porte vitrée dans une partie commune d’un immeuble. Dans le même sens : Cass. civ. 2ème, 15 juin 2000, Bull. n° 103 p. 70 ; Resp. civ. et ass. 2001, comm. n° 292, obs. H. Groutel; D. 2001.886, note G. Blanc; JCP 2000.I.280, n° 5, obs. G. Viney; RTDC 2000.849, obs. P. Jourdain. Il s’agissait en l’espèce du heurt d’une paroi vitrée dans un centre commercial : la Cour suprême se satisfait de « l’intervention de la paroi vitrée dans la réalisation du dommage ». Par ailleurs, un arrêt peut laisser croire en l’extension de cette solution en dehors du heurt causé par bris de glace. A l’occasion de la blessure causée par un choc avec une boîte aux lettres, il ne rappelle pas l’exigence de la position anormale de la chose inerte : l’arrêt affirme seulement que « la boîte aux lettres avait été, de par sa position, l’instrument du dommage », Cass. civ. 2ème, 25 octobre 2001, Bull. n° 162 p. 110 ; D. 2002.1450, note C. Prat ; JCP 2001.IV.2958, JCP 2001.I.122, n° 9, obs. G. Viney ; RTDC 2002.108, obs. P. Jourdain. Quoiqu’il considère cette interprétation incertaine, le commentateur à la revue trimestrielle semble pencher en faveur de la suppression de l’exigence d’anormalité. C’est en revanche la disparition pure et simple de l’exigence d’anormalité que signe la deuxième Chambre civile par sa décision du 18 septembre 2003 : D. 2004.25, note N. Damas ; JCP 200.II.10013, note C. Le Tertre. Il lui suffit que la chose ait été « l’instrument du dommage ». Fut également rendue la décision du 11 décembre 2003 dont l’interprétation suggérée par le commentateur au Dalloz paraît contestable : D.2004.2181, note S. Godechot. La cour d’appel avait rejeté la demande en refusant de caractériser le caractère anormal du revêtement de sol. La Cour de cassation cassa l’arrêt en constatant que « le sol, dont elle avait signalé le caractère particulièrement glissant à M. X, avait été au moins pour partie l’instrument du dommage ». Ce faisant, la Cour reconduit la solution qu’elle avait consacrée quelque mois plus tôt en supprimant la condition d’anormalité. Or, tel n’est pas l’avis du commentateur qui voit dans cette décision le retour de l’anormalité chez la deuxième Chambre : préc. p. 2182. Pour ce faire, elle s’appuie sur le terme « particulièrement » qu’elle tient pour synomyne d’anormalement. Or, il est clair que dans l’esprit des juges les termes ont une signification différente. Si la Cour avait renoué avec sa jurisprudence antérieure, elle l’eût fait clairement. De surcroît, elle emploie ici une nouvelle fois l’expression « instrument du dommage », laquelle renvoie directement au rejet de la condition d’anormalité.
977 C’est là le dernier état de la jurisprudence : Cass. civ. 2ème, 24 février 2005 (deux arrêts), D. 2005.1395, note N. Damas ; JCP 2005.I.149, n° 6, G. Viney ; RTDC 2005.407, obs. P. Jourdain ; Resp. civ. et ass. 2005, comm. n° 121, obs. H. Groutel. Il s’agit d’un arrêt de cassation et d’un arrêt de rejet. La première décision pose le principe selon lequel la chose, « en raison de son anormalité, avait été l’instrument du dommage » tandis que le deuxième arrêt décida « qu’en l’état de ces constatations et énonciations établissant l’absence d’anormalité de la chose, la cour d’appel a exactement déduit que le tremplin n’avait pas été l’instrument du dommage. ». Ainsi que le relève Patrice Jourdain, les magistrats ont souhaité lui donner une très large diffusion, signe de l’importance qu’ils attachent à cette condition : obs. préc. L’analyse de la jurisprudence antérieure montre d’ailleurs que la solution était déjà bien assise. Nombreux étaient les arrêts rendus en ce sens. Notamment : Cass. civ. 2ème, 14 décembre 2000, 2 arrêts, Resp. civ. et ass. 2001, comm.76, obs. H. Groutel ; JCP 2001.I.338, n° 13 et s., obs. G. Viney. Il s’agissait en l’espèce d’un plan d’eau qui « présentait, dans sa structure, sa configuration et sa disposition, un caractère parfaitement normal ». Egalement : 1er mars 2001, Resp. et ass. 2001, comm. 215, p. 11 : « la cour d’appel a pu déduire que le sol du magasin et le portant mobile, dont l’état et la position étaient anormaux, n’avaient pas été les instruments du dommage ». Plus récemment : « Le jugement attaqué retient qu’il n’était ni allégué ni démontré que la rampe fixe présentât un défaut d’entretien ou un vice interne, que la présence d’un tel dispositif dans un magasin de grande surface exposant du mobilier n’apparaît pas contraire aux conditions normales de sécurité et que la chose n’avait eu qu’un rôle passif dans la survenance de la chute. », Cass. civ. 2ème 11 juillet 2002, JCP 2002.IV.2547. Un arrêt de la deuxième Chambre civile en date du 11 février 1999 va jusqu’à se substituer aux juges du fond dans l’appréciation du caractère anormal de la position de la chose, signe de l’importance que la Cour attache à cette exigence : alors que la cour d’appel avait jugé que des grumes « n’apparaissent ni anormales dans leur positionnement ni dangereuses par empiètement sur la chaussée ou par un défaut de signalisation », la haute juridiction décida que « ces grumes, qui étaient dans une position anormale, ont été en partie l’instrument du dommage » : D. 1999.IR.71. Les juges du fond ont par ailleurs couramment recours au même critère : « en l’espèce, il n’est pas contesté que l’accident se soit produit alors que l’escalator descendait normalement », CA Paris 17ème Ch. A, 25 avril 2000, JCP 2002.II.10032, note J. Delagarde.
978 L’article visé est précisément rédigé de la manière suivante : « Dans les autres cas (lorsque la chose n’est pas en mouvement et en contact), il appartient à la victime de prouver le fait de la chose, en établissant soit le vice de celle-ci, soit l’anormalité de sa position ou de son état. », préc. p. 156.
979 Colin et Capitant feront la remarque, tout en la nuançant quelque peu : « Mais parler de la position et de l’utilisation anormale de la chose, n’est-ce pas revenir à la faute du gardien ? L’anormalité n’est pas nécessairement fautive, mais elle sera en général révélatrice de la faute. C’est en réalité la conduite du gardien que la jurisprudence apprécie. » : A. Colin et H. Capitant, Traité de droit civil par L. Julliot de la Morandière, tome II, 1959, n° 1209 p. 687. Le professeur Carbonnier a exprimé certaines faveurs pour cette opinion : « La normalité leur a semblé un moyen de réintroduire dans l’article 1384 alinéa 1, quelque chose de cette appréciation des fautes qui est l’essentiel de leur métier. », Théorie des obligations, PUF 1963, n° 193 p. 428.
980 Certes la loi de 1985 sur les accidents de la circulation a ôté une grande part de leur intérêt à ces considérations. Elles ne sont pas purement théoriques pour autant.
981 A quoi il faut ajouter la création d’un système général de responsabilité du fait d’autrui : v. infra n° 245 et s.
982 F. Laurent, Principes de droit civil, tome XX, 3ème éd. 1878, p. 608 ; Ch. Demolombe, Cours de code napoléon, XXXI, n° 610 p. 530 ; M.L. Larombière, Théorie et pratique des obligations, tome VII, 1885, n° 8 p. 601 ; A. Sourdat, Traité général de responsabilité civile, 1902, n° 884 p. 131. A « la liberté de choix fait par le commettant » et la possibilité de mal en user, l’auteur rajoute également comme fondement « le droit qui appartient au commettant de donner au préposé des instructions et même des ordres », préc. n° 885 p. 132.
983 Afin d’expliquer la suppression de la faculté d’exonération mise en place au profit des artisans et des parents, il fut proposé l’argument suivant : « il serait dangereux de laisser subsister, à l’égard des maîtres et commettants, l’exception portée par le cinquième paragraphe ; car il pourrait en résulter qu’ils ne seraient point tenus du dommage par cela seul qu’ils n’y auraient pas été présents », Locré, tome XIII, 1828, n° 6 p. 25.
984 A. colin et A. Capitant, Cours élémentaire de droit civil français par L. Julliot de la Morandière, tome II, 1948, n° 850 p. 255. Plus précisément les auteurs proposent de combiner le jeu de la faute avec celui de la représentation.
985 Cette définition suppose évidemment d’élargir la représentation à la matière extra-contractuelle. Or, certains auteurs s’élèvent naturellement contre ce procédé qui consiste à redéfinir la représentation et l’élargir à des domaines extérieurs à son terrain d’origine. Pour Philippe Graftieaux, il n’appartient pas aux auteurs d’employer dans l’argumentation un sens technique différent de celui qu’on lui connaît : « lorsqu’un mot est employé dans la langue juridique avec un sens technique précis, il ne dépend pas de l’interprète de lui donner une autre portée ni surtout d’appliquer à la situation différente qu’il désigne ainsi les règles relatives à une notion spécifiquement déterminée. », L’abus de fonction et la responsabilité des commettants, thèse Paris 1959, n° 42 p. 11.
986 Ch. Beudant, Cours de droit civil français par R. Beudant et P. Lerebours-Pigeonnière, tome IXbis 1952, n° 1473 p. 103-4. Le caractère légal du cautionnement apparaît clairement dans les développements de l’auteur : « C’est une charge que la loi lui impose. », préc. n° 1473 p. 104. Dans le même sens : G. Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, 4ème éd. 1949, LGDJ, n° 126 p. 233.
987 A. Nanopoulos, Atténuations de la responsabilité du commettant du fait du préposé, thèse Paris 1952, p. 87 et s.
988 Cass. com., 12 octobre 1993, D. 1994.124, note G. Viney ; JCP 1995.II.22493, note F. Chabas ; Défr. 1994.812, obs. J-L Aubert ; RTDC 1994.111, obs. P. Jourdain.
989 Cass. Ass. plén., 25 février 2000, D. 2000.673, note Ph. Brun ; JCP 2001.I.241, obs. G. Viney ; JCP 2000.II.10295, concl. R. Kessous, note M. Billiau ; Gaz. Pal. 2000.2.1462, note F. Rinaldi ; Dr. et patr., 2000, n° 82, p. 107, obs. F. Chabas ; RTDC 2000.582, obs. P. Jourdain ; GA, n° 217.
990 Cass. Ass. plén., 25 février 2000, préc. Il est ainsi naturellement exigé que la faute ne soit pas détachable -ou séparable -de la fonction, ce que rappelle de manière régulière la Cour de cassation.
991 M. Billiau, note sous Cass. Ass. plén. 25 février 2000, préc. p. 748. La critique porte évidemment sur l’ignorance de l’article 1382 du Code civil par la Cour de cassation : la faute dommageable engage la responsabilité de son auteur. Conscient de l’impact de l’arrêt, l’avocat général Roland Kessous a bien tenté d’en minorer l’importance. S’inspirant des solutions consacrées en matière administrative, le haut magistrat développe l’idée selon laquelle le contexte dans lequel est réalisée la faute doit conduire à déplacer le curseur et n’attacher de conséquence au comportement illicite qu’en cas de faute lourde. Ainsi, « Le domaine de la faute qui pour certains doit rester le fondement de toute responsabilité ne serait pas touché. La faute serait simplement appréciée au regard du contexte dans lequel elle a été commise. », conclusions préc p. 747. En réalité, la prise en considération du contexte est consubstantielle à l’idée de faute. L’écart de conduite sera apprécié différemment selon les pouvoirs reconnus à la personne, son degré d’autonomie et plus généralement l’ensemble des circonstances dans lesquelles le fait dommageable a été accompli. Aussi l’environnement ne saurait rentrer en ligne de compte une seconde fois. Dans un ordre d’idées très voisin, le professeur Radé a mis l’accent sur la perte de liberté soufferte par le préposé dans l’exercice de ses fonctions : « Il semble alors juste de considérer qu’en perdant une parcelle de liberté la personne subordonnée doit logiquement perdre une partie de sa responsabilité »,C. Radé, Les limites de l’immunité civile du préposé, resp. civ. et ass. 2000, chron. n° 22. Le raisonnement n’est pas sans rappeler celui qui a été employé pour justifier l’absence de qualité de gardien du préposé. Comme ce dernier, il est sujet à la critique : il est totalement irréaliste de penser que le subordonné est privé de toute liberté d’initiative. Certes sa marge de manœuvre variera d’un poste à un autre. N’en est pas moins imaginaire une profession où la liberté serait réduite au point que l’idée même de faute disparaisse. En conséquence, l’idée de faute est bien au rendez-vous sans pour autant que la liberté du préposé soit annihilée. L’idée inverse procède d’une confusion entre le fait d’agir dans les limites de sa mission et sur ordre du commettant. Les limites de la mission peuvent être clairement fixées, le préposé n’aura pas moins une marge de liberté dont il pourra user à bon ou mauvais escient.
992 Ph. Brun, note préc. p. 674.
993 C. Radé, Les limites de l’immunité civile du préposé, préc. p. 6
994 L’arrêt décide précisément que « le préposé condamné pénalement pour avoir intentionnellement commis, fût-ce sur ordre du commettant, une infraction ayant porté préjudice à un tiers, engage sa responsabilité civile à l’égard de celui-ci. », Cass. Ass. plén. 14 décembre 2001, Bull. n° 17 p. 35 ; D. 2002.1230, note J. Julien ; JCP 2002.II.10026, note M. Billiau ; JCP 2002.1.124, n° 22, obs. G. Viney ; Droit et patr. 2002.94, obs. F. Chabas ; RTDC 2002.109, obs. P. Jourdain. Jusqu’à une date récente, le médecin salarié n’était pas couvert par la jurisprudence Costedoat. Les magistrats considéraient qu’il jouissait d’une véritable indépendance technique : Cass. civ. 1ère, 13 novembre 2002, D. 2003.580, note S. Deis-Beauquesne ; D. Somm. 459, obs. P. Jourdain ; JCP 2003.II.10096, note M. Billiau ; JCP 2003.I.154, obs. G. Viney. Désormais, deux années seulement après avoir été rendue, cette jurisprudence est caduque : « le médecin salarié, qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui est impartie par l’établissement de santé privé, n’engage pas sa responsabilité à l’égard du patient », Cass. civ. 1ère, 9 novembre 2004 (deux arrêts), D. 2005.253, note F. Chabas ; JCP 2005.II.10020, Rapport Domitille Duval-Arnould, note S. Stéphanie Porchy-Simon ; Gaz. Pal. 2005.2.16, note M. Banjoura ; PA, 22 décembre 2004, p. 11, note J-F Barbiéri. Et le principe vaut également pour les sages-femmes : Cass. civ. 1ère, 9 novembre 2004, 2ème espèce. Ce choix est regrettable : pratiquement, la relation de subordination ne prive pas l’agent de son entière liberté. Il y a là manifestement une solution déresponsabilisante pour le salarié. Seule subsiste néanmoins l’exception relative à l’agent général d’assurances. L’arrêt de la première Chambre civile du 10 décembre 2002 a ainsi refusé d’étendre le principe de l’immunité du préposé aux situations visées par l’article L.511-1 du code des assurances. Selon le juge, cette disposition renvoie à l’article 1384 dans l’unique but d’offrir une garantie supplémentaire au client de l’agent général : D. 2003.510, concl. J. Sainte-Rose. Aussi il ne convient pas de faire profiter le préposé d’une quelconque forme d’irresponsabilité.
995 La question a été naturellement posée de l’exonération pour les infractions pénales non intentionnelles : par une décision du 19 janvier 2006, la cour d’appel de Lyon a répondu que le préposé n’engageait alors pas sa responsabilité civile. Sur cette décision : A. Paulin, L’infraction pénale non-intentionnelle du préposé : jurisprudence Costedoat ou Cousin ?, D. 2006.1516.
996 Sur cette conception : T. Hassler, La responsabilité des commettants, D. 1980.125.
997 Il faut alors chercher dans les circonstances que l’on a pu qualifier « d’extrinsèques » les différents éléments qui permettent d’établir un lien entre l’activité et le dommage : D. Veaux, L’abus de pouvoirs ou de fonctions en droit civil français, Travaux de l’association Henry capitant, economica 1977, n° 21, p. 88. Il s’agira de circonstances temporelles ou matérielles.
998 L’expression « cause génératrice du dommage » a été employée par le professeur Chabas aux fins de décrire cette conception dans sa note sous l’arrêt d’Assemblée plénière du 17 juin 1983, JCP 1983.II.20120.
999 Voit notamment : note sous Cass. crim. 2 novembre 1971, D. 1973.21 ; note sous Cass. crim. 27 octobre 1983 et Cass. civ. 2ème, 7 décembre 1983, D. 1984.170. L’auteur développe toutefois dans cette dernière intervention l’idée selon laquelle l’appel à la notion d’abus de fonction pourrait le cas échéant constituer une alternative valable à condition que celle-ci fasse l’objet d’une interprétation souple axée autour de l’intérêt du commettant. Selon l’auteur, il n’y a pas de solution médiane qui garantisse en l’espèce la sécurité juridique : préc. p. 173.
1000 Une troisième voie consisterait à fonder exclusivement sur l’apparence la protection des tiers : D. Veaux, préc. n° 22 p. 88 et s. Toutefois la jurisprudence n’a jamais choisi ce seul critère. Il est donc perçu comme une correction à la marge des doctrines exposées.
1001 Certains auteurs évoqueront le « lien de connexité » ; R. Rodière, note sous Cass. Ch. réu. 9 mars 1960, JCP 1960.II.11559.
1002 Le terme est également utilisé par François Chabas dans sa note : préc.
1003 « Le consul Cambacérès propose de substituer le mot employés au mot préposés, afin que la responsabilité du maître soit réduite au cas où le préposé a causé quelques dommages dans le cours de l’exécution des ordres qu’il a reçus », Locré, tome XIII, 1828, n° 14 p. 19.
1004 J. Flour, Les rapports de commettant à préposé dans l’article 1384 du Code civil, thèse Paris, 1933.
1005 Les deux situations sont alternatives. A elle seule chacune peut caractériser le rapport de subordination : si « le lien de droit est également, à lui seul, générateur des rapports de commettant à préposé. », « l’état de fait est également, à lui seul, générateur des rapports de commettant à préposé. », th. préc. p. 210.
1006 Th. Préc. p. 343.
1007 Th. Préc. p. 342. Nanopoulos défendra l’idée selon laquelle la tâche confiée doit être accomplie pour le compte de celui qui la confie : th. préc., p. 134. Toutefois la justification apportée par l’auteur prête le flanc à la critique : en l’absence de réalisation pour le compte de l’employeur, il y aurait disparition ou déplacement du lien de préposition. Cette conception suppose que l’accomplissement d’un seul fait suffise à caractériser le lien de subordination. Or, celui-ci est constitué par une réunion de faits qui s’inscrivent dans le temps. L’existence d’un lien de préposition ne dépend pas de la seule volonté du subordonné de s’en défaire de manière ponctuelle.
1008 Cass. crim. 21 janvier 1958, Bull. crim. n° 75, p. 131. La solution est d’autant plus remarquable qu’il s’agit en l’espèce d’une faute intentionnelle, réalisée au moment d’une suspension momentanée du travail : au moment de la pause du repas, deux salariés se sont querellés et l’un d’entre eux a porté un coup à l’autre. En excluant le recours des caisses de sécurité sociale, la Chambre criminelle rappela le principe selon lequel la victime conservait le recours. Egalement : Cass. crim. 20 mars 1958, Bull. crim n° 280, p. 485. Le principe est ici affirmé de la manière la plus claire : « que, s’il est vrai que Boullie avait simplement pour mission d’aider son camarade de travail dans la manutention des marchandises et non dans la conduite du camion dont il s’est servi, de sa propre initiative et dans un but étranger à l‘utilisation normale de ce véhicule, il n’en demeure pas moins que c’est à l’occasion de l’exercice de ses fonctions qu’il s’est rendu coupable de la faute qui lui est reprochée et qu’il a commise pendant les heures de travail et avec les moyens mis à la disposition de son co-équipier ». Ainsi apparaît clairement que la seule utilisation des moyens offerts par l’entreprise suffit à engager la responsabilité du commettant.
1009 Cass. civ. 2ème (2 arrêts), 1er juillet 1954, D. 1954.628, JCP 1954.II.8352. La deuxième décision formula un attendu de principe sous le visa de l’article 1384 alinéa 5 du Code civil. Il faut toutefois noter que la rédaction utilisée a provoqué la disparition du dernier membre de phrase exigeant du préposé qu’il « puisse être réputé avoir agi pour le compte du commettant ». La prise de position n’en est pas moins claire pour autant : d’abord, dès lors que le préposé a utilisé dans un « but étranger » les moyens mis à sa disposition, ce n’est qu’« exceptionnellement et suivant les circonstances » qu’il engagera le commettant. Par ailleurs, il est précisé à la fin de l’arrêt que le préposé « avait accompli un acte de caractère purement personnel et indépendant du rapport de préposition qui l’unissait à son employeur ». Egalement : Cass. civ. 2ème, 14 juin 1957, D. 1958.53, note R. Savatier.
1010 « Que de ces constatations et énonciations qui impliquent qu’Abos avait accompli un acte indépendant du rapport de préposition qui l’unissait à son employeur, la Cour d’appel a pu déduire qu’Huret n’était pas civilement responsable des agissements de son préposé », Cass. Ch. réun. 9 mars 1960, D. 1960.329, note R. Savatier ; JCP 1960.II.11559, note R. Rodière ; Gaz. Pal. 1960.1.313 ; GA n° 211-15.
1011 Cass. Ass. plén. 10 juin 1977, D. 1977.465, note C. Larroumet ; JCP 1977.II.18730, concl. P. Gulphe; Défr. 1977.1517, obs. J-L Aubert; RTDC 1977.74, obs. G. Durry; GA n° 211-215.
1012 Elle n’appliqua le principe qu’en cas de vol du véhicule : Cass. crim. 18 juillet 1978, Bull. crim. n° 237 p. 627.
1013 Cass. Ass. plén. 17 juin 1983, D. 1984.170, note C. Larroumet ; JCP 1983.II.20120, concl. O-A Sadon, note F. Chabas ; RTDC 1983.749, obs. G. Durry, GA n° 211-15.
1014 Cass. Ass. plén. 17 novembre 1985, D. 1986.81, note J-L Aubert ; JCP 1986.II.20568, note G. Viney ; RTDC 1986.128, obs. J. Huet, GA n° 211-215.
1015 Cass. Ass. plén. 19 mai 1988, D. 1988.513, note C. Larroumet ; Gaz. Pal. 1988.2.640, concl. M. Dorwling-Carter ; Défr. 1988.1097, note J-L Aubert ; RTDC 989.89, obs. P. Jourdain ; GA n° 211-215. Les termes mêmes de l’arrêt sont encore utilisés par les jurisprudences les plus récentes. Notamment : Cass. civ. 2ème, 22 mai 2003, Bull. n° 156 p. 132.
1016 L’auteur tient particulièrement à ce que la personne investie par le droit de l’autorité ne trouve pas dans son absence de pouvoir en fait -qui lui est imputable directement ou non -le moyen de s’exonérer aisément : « Admettre en effet que celui qui possède un droit de direction et ne peut l’exercer n’est pas commettant serait méconnaître indirectement la règle de l’interdiction de la preuve libératoire. », th. préc. p. 201.
1017 A côté du concept de normalité, la notion d’intérêt de l’entreprise a également été suggérée. Ainsi Nanopoulos défendra l’idée selon laquelle la tâche confiée doit être accomplie pour le compte de celui qui la confie : th. préc. p. 134. Toutefois la justification apportée par l’auteur prête le flanc à la critique : pour celui-ci, en présence d’une seule opération réalisée pour son compte personnel, il y aurait disparition ou déplacement du lien de préposition. Cette conception suppose que l’accomplissement d’un seul évènement suffise à caractériser le lien de subordination. Or, celui-ci est constitué par une réunion de faits qui s’inscrivent dans le temps. L’existence d’un lien de préposition ne dépend pas de la seule volonté du subordonné de s’en défaire de manière ponctuelle.
1018 De la sorte la distinction ne paraît pas injustifiée, ainsi qu’en font la démonstration les commentateurs aux grands arrêts : « La solution paraît justifiée, car on peut agir à des fins étrangères à ses fonctions, tout en restant dans les limites matérielles de celles-ci. Tel est le cas, par exemple, du préposé qui détourne des fonds qui lui ont été confiés dans l’exercice de sa fonction. », GA n° 211-215, n° 8.
1019 M.-C Lebreton, L’enfant et la responsabilité civile, Publication de l’université de Rouen 1999, n° 184 p. 223.
1020 « attendu que, l’arrêt ayant exactement énoncé que seule la force majeure ou la faute de la victime pouvait exonérer M. X… de la responsabilité de plein droit par lui encourue du fait des dommages causés par son fils mineur habitant avec lui, la cour d’appel n’avait pas à rechercher l’existence d’un défaut de surveillance du père », Cass. civ., 2ème 19 février 1997, Bull. n° 56 p. 32 ; D. 1997.265, note P. Jourdain ; JCP 1997.II.22848, concl. R. Kessous, note G. Viney ; Gaz. Pal. 1997.1.572, note F. Chabas ; PA, 15 septembre 1997, p. 12, note M-C Lebreton ; GA n° 209.
1021 L’affirmation ne souffrait pas la critique : « En vérité, nul ne conteste qu’une présomption de faute pèse sur les parents. L’alinéa 7 ne laisse subsister aucun doute à ce sujet. », P-D Ollier, La responsabilité civile des père et mère, LGDJ 1961, n° 84 p. 87.
1022 G. Viney, note sous Cass. civ. 2ème, 19 février 1997, JCP 1997.II.22848.
1023 Celle-ci en effet ne peut être que globale. Or, les juges se contentent en réalité d’apprécier les instants qui précèdent la réalisation du dommage. Ce faisant, ils s’interdisent toute appréciation sur l’éducation dispensée. La procédé jurisprudentiel a d’ailleurs été parfaitement décrit par l’avocat général Kessous dans ses conclusions sur l’arrêt de la deuxième Chambre civile du 19 février 1997 : « assez souvent, les tribunaux déduisent du simple fait générateur du dommage, l’existence d’une faute d’éducation et de surveillance, ce qui les conduit à retenir la responsabilité des parents. Pour les jeunes enfants, on conserve le principe d’autorité des parents, fondement de leurs obligations, et on considère que ces dernières n’ont pas été satisfaites dès lors que l’enfant est à l’origine d’un dommage. On établit ainsi une garantie parentale objective sous couvert d’une appréciation subjective des obligations des père et mère. », JCP 1997.II.22848.
1024 Cass. civ. 2ème, 3 mars 1998, Bull. n° 57 p. 31. Egalement : Cass. civ. 2ème, 25 janvier 1989, Bull. n° 21 p. 10. Les faits de l’espèce sont d’ailleurs révélateurs : comment reprocher à des parents des lacunes dans l’éducation au seul motif que leur enfant, âgé de sept ans, jouait avec un camarade et lui a lancé un caillou ? Toutes les décisions n’allaient toutefois pas dans le même sens, ce qui n’était pas pour satisfaire la sécurité juridique. Ainsi par la décision du 24 novembre 1984, le juges constatèrent qu’était relevée l’existence d’ « une carence éducative » : Cass. civ. 2ème, Bull. n° 168, p. 118.
1025 Cass. Ass. plén. Fullenwarth 9 mai 1984, D.1984.525, concl. J. Cabannes, note F. Chabas ; JCP 1984.II.20255, note N. Dejean de la Bâtie ; Gaz. Pal. 1984.2. pan. 264 et 268 ; RTDC 1984.508, obs. J. Huet. Si on avait pu exprimer des doutes sur l’interprétation qu’il convenait de donner à cet arrêt, il semblait déjà établi que par l’emploi de cet aphorisme, la Cour entendait bien se défaire de l’idée de faute de l’enfant pour engager la responsabilité des parents : M-C Lebreton, th. préc., n° 251 p. 293. Certains en ont douté jusqu’à une date récente : H. Groutel, L’enfant ravalé au rang de simple chose ?, Resp. civ. et ass. 2001, chron. n° 18. L’interprétation maximaliste a été expressément ratifiée par l’arrêt du 10 mai 2001 de la deuxième Chambre civile : « Attendu que la responsabilité de plein droit encourue par les père et mère des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux n’est pas subordonnée à l’existence d’une faute de l’enfant. », Bull. n° 96 p. 64 ; D. 2002. somm. comm. 1315, obs. D. Mazeaud; JCP 2001.II.10613, note J. Mouly, JCP 2002.I.124, n° 20, G. Viney; RTDC 2001.601, obs. P. Jourdain. Egalement : H. Groutel, L’enfant mineur ravalé au rang de simple chose ?, Resp. civ. et ass. 2001, chron. n° 18 ; F. Leduc, Le spectre du fait causal, Resp. civ. et ass. 2001, chron. n° 20. Paradoxalement ou non, il eût été encore plus révolutionnaire d’interpréter cet arrêt comme supprimant l’exigence d’une faute de l’enfant pour engager sa propre responsabilité. Car alors, pourquoi ne pas étendre la solution aux adultes ? C’est la raison pour laquelle si l’arrêt constitue indiscutablement une nouvelle étape vers le mouvement d’objectivisation de la responsabilité, il doit contribuer à dissiper les doutes relatifs à l’objectivisation du fait personnel plutôt qu’à les nourrir. Aussi les craintes exprimées à ce sujet par le professeur Leduc semblent-elles injustifiées : préc. p. 4. Par ailleurs, il n’est pas certain qu’il faille s’indigner d’un tel rapprochement entre la responsabilité du fait d’autrui et la responsabilité du fait des choses : à des régimes identiques ne correspondent pas nécessairement des qualifications similaires ou mêmes seulement voisines. Cependant : H. Groutel, préc. Egalement : F. Chabas, note préc. p. 574. Cette solution a été ratifiée par l’Assemblée plénière par ses deux arrêts du 13 décembre 2002 : Bull. n° 4 p. 7 ; D. 2003.231, note P. Jourdain ; JCP 2003.II.10010, note A. Hervio-Lelong ; Gaz. Pal. .2003.1.52, note F. Chabas ; PA, 18 avril 2003, p. 16, note J-B Laydu. Egalement : H. Groutel, Responsabilités du fait d’autrui : l’inexorable progression, Resp. civ. et ass. 2003, chron. n° 4. La rédaction a d’ailleurs été rectifiée dans l’arrêt du 17 janvier 2003 : D. 2003.591, note P. Jourdain. Seule la force majeure et non pas la cause étrangère peut exonérer les parents. La solution est désormais profondément enracinée en droit positif, malgré quelques vélléités de résistance de la part des juges du fond, lesquelles buttent invariablement sur le principe formulé par la Cour suprême : Cass. civ. 2ème, 3 juillet 2003, JCP 2004.II.10009, note R. Desgorges.
1026 Ainsi Pierre-Dominique Ollier a-t-il fait observer que « la jurisprudence énonce fermement que sa conduite n’est sujette à reproche, que si l’activité du mineur peut elle-même être qualifiée de fautive. A cette condition seulement, le père est en faute de ne pas s’être opposé au comportement de son enfant. », th. préc. n° 67 p. 73. Au cas où l’éducation eût été défectueuse par ailleurs, la légitimité du comportement de l’enfant dût interdire l’établissement d’un lien de causalité entre l’éducation elle-même et le dommage.
1027 L’idée inverse est partagée par Hervé Lécuyer pour qui cette solution constitue un « encouragement à persévérer dans une attitude de démission »,Dr. fam., 1997, n° 3.
1028 La thèse a été développée de manière très convaincante par le professeur Radé : Le renouveau de la responsabilité du fait d’autrui, D. 1997.279.
1029 Il y a en effet quelque contradiction à renier la vertu normative des règles juridiques en ce domaine, (préc. n° 11 p. 282) et considérer que les partisans de la faute font « bien peu de cas des vertus normatives des règles de responsabilité fondées sur le risque. », préc. n° 2, p. 280.
1030 Ainsi le professeur Jourdain considère-t-il cette solution comme l’ « aboutissement naturel et presque inéluctable de l’évolution antérieure », note sous Cass. civ. 2ème, 19 février 1997, D. 1997.266.
1031 En ce sens : S. Prigent, note sous Cass. civ. 1ère, 29 mars 2001, JCP 2002.II.10071. L’auteur constate la disparition de l’imprégnation de la faute par l’arrêt.
1032 Le jour même où fut rendu l’arrêt Bertrand, la deuxième Chambre civile décida par une seconde décision que « l’exercice d’un droit de visite et d’hébergement ne fait pas cesser la cohabitation du mineur avec celui des parents qui exerce sur lui le droit de garde » : Bull. n° 55 p. 31. Pas même une absence prolongée n’a pour effet d’exonérer les parents de leur responsabilité. Il faut préciser que le terrain avait déjà été préparé par un arrêt remarqué du 18 septembre 1996. Un enfant en vacances chez sa grand-mère blessa un piéton en circulant à bicyclette. La Cour déclara les parents responsables : Cass. civ. 2ème, 18 septembre 1996, Bull. n° 217 p. 133 ; D. 1998.118, note M. Rebourg, Resp. civ. et ass. 1996, n° 379 ; RTDC 1997.434, note P. Jourdain. Sur la question : F. Alt-Maes, La garde, fondement de la responsabilité du fait du mineur, JCP 1998.I.154. Cette ligne jurisprudentielle fut reconduite par l’arrêt du 8 février 2005 de la Chambre criminelle : « la circonstance que le mineur avait été confié, par ses parents, qui exerçaient l’autorité parentale, à sa grand-mère, n’avait pas fait cesser la cohabitation de ceux-ci. » : JCP 2005.II.10049, note M-F Steinlé-Feuerbach. Ainsi que le fait observer le commentateur, il n’y a là rien d’autre qu’un maintien artificiel de la notion de cohabitation. L’auteur évoque ainsi le maintien de la « cohabitation juridique. ». L’aphorisme laisse toutefois à désirer : il n’existe pas une notion qui ne soit à la fois factuelle et juridique. Aussi est-il préférable d’y voir l’archétype du phénomène d’érosion des sources techniques : la notion de cohabitation est maintenue mais elle est totalement vidée de sa substance.
1033 Le concept de cohabitation est en effet contenu dans l’emploi du terme « habitant » : P. Jourdain, obs. sous Cass. civ. 2ème, 19 février 1997 (SAMDA), RTDC 1997.670. Aussi les rédacteurs de l’avant-projet de réforme ont-ils entrepris de l’effacer. Dans le cadre des dispositions consacrées au fait d’autrui, le terme a disparu : « Sont responsables des dommages causés par un enfant mineur : ses pères et mères en tant qu’ils exercent l’autorité parentale. (…) », préc. p. 157.
1034 La notion de « résidence habituelle » a ainsi été sollicitée : Cass. civ. 2ème, 20 janvier 2000, Bull. n° 14 p. 9 ; JCP 2000.II.10374, note A. Gouttenoire Cornu ; RTDC 2000.340, obs. P. Jourdain. Ce qui n’empêcha pas pour autant la Cour de cassation de décider que le mineur placé dans un établissement scolaire sous le régime de l’internat engageait la responsabilité de ses parents, franchissant « un nouveau pas dans le même sens de l’objectivation et de l’élargissement de la notion de cohabitation » (note P. Jourdain) : Cass. civ. 2ème, 16 novembre 2000, JCP 2001.I.340, n° 18, obs. G. Viney ; Resp. civ. et ass. 2001, comm.n° 37 ; Resp. civ. et ass. 2001, comm.n° 177, obs. H. Groutel. ; RTDC 2001.603, obs. P. Jourdain. Le professeur Viney y voit « une nouvelle étape dans la voie de démantèlement de la condition de cohabitation », obs. préc. Dans des circonstances similaires : Cass. civ. 2ème, 29 mars 2001, Bull.n° 69 p. 46 ; D. 2002 somm. comm. 1309, obs. P. Jourdain ; Resp. civ. et ass. 2001, comm.n° 177, obs. H. Groutel ; JCP 2002.II.10071, note S. Prigent, préc. ; RTDC 2001.603, obs. P. Jourdain. Cette ligne jurisprudentielle fut reconduite par l’arrêt du 8 février 2005 de la Chambre criminelle, dernier témoignage du droit positif applicable en la matière : « la circonstance que le mineur avait été confié, par ses parents, qui exerçaient l’autorité parentale, à sa grand-mère, n’avait pas fait cesser la cohabitation de ceux-ci. » : JCP 2005.II.10049, note M-F Steinlé-Feuerbach. Ainsi que le fait observer le commentateur, il n’y a là rien d’autre qu’un maintien artificiel de la notion de cohabitation. L’auteur évoque ainsi le maintien de la « cohabitation juridique. ». L’aphorisme laisse toutefois à désirer : il n’existe pas une notion qui ne soit à la fois factuelle et juridique. Aussi est-il préférable d’y voir l’archétype du phénomène d’érosion des sources techniques : la notion de cohabitation est maintenue mais elle est totalement vidée de sa substance
1035 R. Legeais, La responsabilité civile introuvable, Mélanges Gabriel Marty, Université des sciences sociales de Toulouse 1978, p. 775. En effet, sauf à passer par ce chemin-là, les juges ne pouvaient pas fonder la responsabilité sur l’article 1384 dès lors que le parent privé du droit de garde exerçait ses droits de visite et d’hébergement. Sur la question : R. Legeais, préc. ; A-M Galliou-Scanvion, Une responsabilité civile enfin trouvable ou les voies de l’indemnisation de victimes d’enfants de parents divorcés, Gaz. Pal. 1997.1.658 ; P. Jourdain, obs. sous Cass. civ. 2ème, 19 février 1997 (SAMDA), RTDC 1997.670.
1036 G. Viney, note préc.
1037 C. Radé, préc.
1038 Préc.
1039 J. Mouly, note sous Cass. civ. 2ème, 10 mai 2001, JCP 2001.II.10613.
1040 Sur la question : M. Villey, Esquisse historique sur le mot responsable, archives 1977.45.
1041 Préc. p. 53.
1042 Sur la question : Y-P Thomas, Acte, agent, société. Sur l’homme coupable dans la pensée juridique romaine, archives 1977.63. Notamment : p. 69 et s. Dans le même sens : B. Stark, Essai d’une théorie générale de la responsabilité civile considérée en ses deux fonctions de garantie et de peine privée, thèse Partis, 1947, p. 75. Pour l’auteur, « la garantie aquilienne a pour seul fondement juridique l’atteinte aux droits et libertés d’autrui : la damnum injuria datum. ». Jean-Philippe Lévy et andré Castaldo ont une opinion apparemment moins tranchée en ce qu’ils proposent une description du comportement des débiteurs : Histoire du droit civil, Dalloz 1ère éd. 2002, n° 610 p. 883 et s. En réalité, l’intérêt porté au dommage apparaît à travers la classification proposée : les délits civils sont classés par type de dommage. L’étude de injuria (atteinte à la personne) précède l’étude du furtum (atteinte aux biens). Par ailleurs, les auteurs précisent qu’avant la période classique, la « simple causalité matérielle » était prise en considération : préc. n° 618 p. 891.
1043 G. Viney, Le déclin de la responsabilité individuelle, LGDJ 1965.
1044 Préc. n° 443 p. 371.
1045 En ce sens : J. Carbonnier, préc. n° 1142 p. 2301 ; F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, préc., n° 15 p. 23 ; G. Marty et P. Raynaud, préc., n° 444 p. 491 ; Ph. Malaurie, L. Aynès, préc., n° 9 p. 6 ; B. Stark, H. Roland, L. Boyer, préc. n° 15 p. 15 ; H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud, F. Chabas, préc. n° 45 p. 44.
1046 Essai d’une théorie générale de la responsabilité civile considérée en ses deux fonctions de garantie et de peine privée, thèse Paris, 1947.
1047 Préc. p. 37.
1048 Préc. p. 43-44.
1049 Ainsi par exemple en matière de garde de la chose : si la chose fonctionne normalement, il n’est nul besoin de garantie : préc. p. 149 et s.
1050 Cass. Ass. plén. 29 mars 1991, D. 1991.324, note C. Larroumet ; JCP 1991.II.21673, concl. Dontenwille, note J. Ghestin ; Gaz. Pal. 1992.2.513, obs. F. Chabas ; Défr. 1991.729, obs. J-L Aubert ; RTDC 1991.541, obs. P. Jourdain ; GA n° 218-219. Egalement : G. Viney, Vers un élargissement de la catégorie des « personnes dont on doit répondre » : la porte entrouverte sur une nouvelle interprétation de l’article 1384 alinéa 1er du code civil, D. 1991.157.
1051 Le principe était clairement posé par les jurisprudences antérieures. Ainsi en 1934 la Chambre criminelle exprima le principe selon lequel « cette disposition légale qui détermine les cas de responsabilité du fait d’autrui prévus par la loi, contient une énumération limitative qu’on ne saurait étendre par voie d’analogie puisqu’il s’agit d’une présomption de faute dérogatoire au droit commun. », Ch. crim. 15 juin 1934, Gaz. Pal. 1934.2.477. La deuxième Chambre civile justifia également cette solution par le recours à la notion de « présomption de faute qui est de droit étroit ». Et elle en conclut que « ses dispositions doivent être interprétées restrictivement et ne sauraient être étendues d’un cas à un autre. », Cass. civ. 2ème, 15 février 1956, D. 1956.410, note E. Blanc.
1052 Celle-ci s’explique d’abord par le simple fait qu’il s’agit d’un arrêt de rejet. Aussi l’arrêt est-il dépourvu de chapeau et de visa. La formulation du principe s’en ressent nécessairement : les magistrats se contentent d‘affirmer que les juges pouvaient déduire de leur constatation que l’association devait être jugée responsable. Ils ne passent pas par l’étape de formulation d’un principe strictement délimité. La méthode employée offrira ainsi une grande liberté au juge par la suite. Il pourra en élargir le domaine sans pour autant rentrer en contradiction totale avec l’arrêt..
1053 Certes, l’interprétation inverse était plus probable. Ainsi pour Genevière Viney, il y aurait un paradoxe à fonder sur le même alinéa deux règles différentes : note préc. p. 161.
1054 Cass. crim. 26 mars 1997 (3 arrêts) ; (1er arrêt) JCP 1998.II.10015, note M. Huyette ; (2ème), JCP 1997.II.22868, rapp. F. Desportes ; (2ème arrêt) D. 1997.496, note P. Jourdain ; Resp. civ. et ass. 1997, comm. n° 292, note H. Groutel
1055 Le professeur Patrice Jourdain définit comme le « risque lié aux méthodes de traitement en liberté de personnes dont l’état mental ou l’inadaptation sociale exposent les tiers à des dangers », note sous Cass. crim. 26 mars 1997, D. 1997.496. 1056 2ème Cass. civ. , 22 mai 1995, D. 1995.IR.171 ; D. 1996. Somm. comm. 29 ; JCP 1995.II.22550, note J. Mouly ; Défr. 1996.357, note D. Mazeaud ; RTDC 1995.899, obs. P. Jourdain.
1056 Cass. civ. 2ème, 22 mai 1995, D. 1995.IR.171 ; D. 1996. Somm. comm. 29 ; JCP 1995.II.22550, note J. Mouly ; Défr. 1996.357, note D. Mazeaud ; RTDC 1995.899, obs. P. Jourdain.
1057 D. Mazeaud, note préc.
1058 La similitude avec la définition de la garde d’une chose apparaît encore plus nettement à travers les conditions du transfert de la garde : la Cour de cassation a ainsi approuvé une cour d’appel d’avoir énoncé que « la décision du juge des enfants confiant à une personne physique ou morale la garde d’un mineur en danger, par application des articles 375 et suivants du Code civil, transfère au gardien la responsabilité d’organiser, diriger et contrôler le mode de vie du mineur et donc la responsabilité de ses actes, celle-ci n’étant pas fondée sur l’autorité parentale mais sur la garde. », Cass. crim. 10 octobre 1996, D. 1997.309. A quand des développements relatifs au rôle actif ou passif de la personne ?
1059 Il n’est pourtant pas certain qu’un lien de préposé à commettant soit constitué : contr. P. Jourdain, obs. préc. L’autorité ne s’exprime pas ici à travers des instructions précises données à l’effet de réaliser une opération.
1060 Cass. civ. 2ème, 18 septembre 1996, RTDC 1997.436, obs. P. Jourdain.
1061 En ce sens, pour ce qui concerne le tuteur : A-M Galliou-Scanvion, L’article 1384, alinéa 1er, et la responsabilité du fait d’autrui : un fardeau non transférable sur les épaules du tuteur, D. 1998.240. Spécialement : p. 241. L’auteur développe notamment l’argument selon lequel il convient de ne pas décourager les individus de s’investir de charges tutélaires.
1062 La garde juridique s’opposerait ainsi à la garde matérielle : JCP 2001.II.10457, obs. G. Viney. La garde juridique désigne l’hypothèse dans laquelle le pouvoir est conféré par une décision administrative ou judiciaire alors même que l’auteur du dommage était placé sous la surveillance d’une autre personne. De nombreuses décisions récentes attestent d’une avancée de cette conception. Ainsi celles qui retiennent la responsabilité d’un groupement, département ou association, dès lors qu’aucune décision judiciaire n’a interrompu la mission éducative qui lui a été confiée. Pour une application avec la responsabilité du département : Cass. 2ème civ. 7 octobre 2004, D. 2005.819, note M. Huyette. Ou encore, pour les associations : Cass. civ. 2ème, 7 mai 2003, Bull. n° 128 p. 109.
1063 Cass. crim. 28 mars 2000, obs. D. Mazeaud, D. 2000, somm. comm. 466; JCP 2001.II.10457, note C. Robaczewski; JCP 2001.I.241, n° 10, obs. G. Viney ; RTDC 2000.586, obs. P. Jourdain.
1064 Ainsi pour Denis Mazeaud, il est impossible de concilier ces deux solutions : obs. sous Cass. crim. 28 mars 2000, D. 2000 somm. comm.466.
1065 C’est ainsi le cas de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, 10e ch. civ., 27 février 2002, JCP 2003.II.10097. Et les magistrats ne manquent pas de justifier leur solution : « Une telle solution, abusivement fondée sur l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, serait en outre trop sévère, par son caractère automatique, risquant en cela de dissuader les vocations associatives, dans les sports en général et les sports collectifs en particulier, et trop lourde en termes d’assurance de responsabilité, pour de simples clubs amateurs ».
1066 CA Bordeaux, 20 mars 2001 : juris-data n° 2001-140816 ; 22 mai 2001 : Juris-data n° 2001150084 ; CA Agen, 5 décembre 2000 : Juris-data n° 2000-140-828 ; CA Lyon, 9 février 2000 : Juris-Data n° 2000-122242. Décisions citées par Cyril Bloch, note sous CA Aix-en-provence, 10ème Ch. civ., 27 février 2002, JCP 2003.II.10097.
1067 Sur la question : Jérôme François : Fait générateur de la responsabilité du fait d’autrui, confirmation ou évolution ?, D. 2007.2408. La même réponse avait déjà été donnée par la deuxième Chambre civile : Cass. civ. 2ème, 20 novembre 2003, D. 2005.40, note G. Bouché ; JCP 2004.II.10017, note J. Mouly ; JCP 2004.I.163, n° 4, obs G. Viney ; RTDC 2004.106, obs. P. Jourdain. Se plaçant sur le terrain de la charge de la preuve, la Cour suprême décide qu’en refusant de retenir la responsabilité de l’association sportive en l’absence de faute caractérisée, la cour d’appel n’a pas inversé la charge de la preuve. Ou encore : Cass. civ. 2ème, 22 mai 2003, Bull. n° 157 p. 133. L’arrêt d’appel fut cassé pour ne pas avoir caractérisé une violation des règles du jeu. Toutefois, il est à noter que cette solution cède devant le jeu des règles du droit de la circulation : la conjugaison des règles fait l’emporter l’absence de faute. L’agent se voit ainsi appliquer les règles du droit de la circulation et l’association est responsable sans qu’il soit nécessaire de passer par le relais de la faute : la Cour de cassation considéra que la cour d’appel avait « retenu à bon droit que Fréderic Y, disposant seul de la maîtrise des moyens de mise en mouvement du tracteur avait seul la qualité de conducteur du véhicule impliqué dans l’accident et que l’association, chargée par un juge de contrôler à titre permanent le mode de vie de ce mineur, demeurait en application de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, responsable de plein droit, y compris au cours du stage, du fait dommageable commis par celui-ci en qualité de conducteur d’un véhicule impliqué dans un accident de circulation ». Dans le même sens : Cass. civ. 2ème, 13 mai 2004, Bull. II, n° 232 p. 197, PA, 3 janvier 2005, p. 14, note N. Cote. Pour la Cour de cassation, la faute est « seule de nature à engager la responsabilité d’une association sportive ». Le principe fut reconduit le 21 octobre 2004 par une décision remarquée : Cass. civ. 2ème, 21 octobre 2004, D. 2005.40, note J-B Laydu. Rendu sous le visa de l’article 1384 alinéa 1er, le principe est énoncé de la manière la plus claire qui soit : « Attendu, selon ce texte, que les associations sportives, ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres, sont responsables des dommages qu’ils causent à cette occasion, dès lors qu’une faute caractérisée par une violation des règles du jeu est imputable à l’un de ses membres, même non identifié ».
1068 C. Radé, Plaidoyer en faveur d’une réforme de la responsabilité civile, D. 2003.2247. L’auteur observe à juste titre que le juge est « désorienté ». En matière sportive spécialement furent également ainsi dénoncés « Les paradoxes du droit de la responsabilité civile dans le domaine des activités sportives » : J. Mouly, JCP 2005.I.833. Le droit des associations sportives, en ce qu’il fait intervenir potentiellement différentes hypothèses de responsabilité du fait d’autrui, est ainsi un formidable support pour en dénoncer les incohérences. Elles sont le résultat - certes non nécessaire mais probable - de la capitulation face à la « tentation catégorielle », elle-même mise en évidence par Jean-Baptiste Laydu : note préc. p. 43.
1069 C. Radé, préc.
1070 Cass. Civ. 1ère, 3 mars 1988, D. 1988 somm. comm.105 ; obs. J-L Aubert; JCP 1989.II.21313, obs. G. Virassamy ; Cass. civ. 2ème, 26 octobre 2001, Défr. 2001.693, obs. E. Savaux.
1071 Cass. civ. 1ère, 28 mars 1995 et Cass. civ. 2ème, 28 juin 1995, D. 1996.180, note J-L Mouralis ; D. 1997, Somm.227, obs. Ph. Delebecque; RTDC 1995.886, obs. J. Mestre.
1072 Cass. civ. 2ème, 11 février 1998, D. 1999 somm. comm.109, obs. R. Libchaber ; Défr. 1998.1044, obs. D. Mazeaud ; JCP 1998.I.155, obs. M. Fabre-Magnan et 185, obs. G. Viney ; JCP 1998.II.10156, obs. G. Garducci. Egalement : Cass. civ. 1ère, 12 juin 2001, D. 2002. somm. comm.1316, obs. D. Mazeaud ; JCP 2002.II.10104, obs. D. Houtcieff. Il faut noter que la Cour de Justice des Communautés Européennes a rendu la même solution à l’occasion d’un recours en interprétation : CJCE, 6ème Ch. 11 juillet 2002, JCP 2003.II.10055, note H. Claret.
1073 Cass. Ch. mixte, 6 septembre 2002, D. 2002.2963, note D. Mazeaud ; JCP éd. E, 2002.1552 ; CCC, 2002, comm. n° 151, obs. G. Raymond ; A, 24 octobre 2002, p. 16, obs D. Houtcieff ; Gaz. Pal. 2002.2.5, concl. R. de Gouttes. La Cour de cassation eut l’occasion d’en offrir un prolongement à travers la décision de la première Chambre civile du 18 mars 2003 : Bull. n° 85 p. 64, D. 2003.IR.1009 Défr. 2003.1168, obs. R. Libchaber. Sur ces décisions : M. Tchendjou, La responsabilité civile des organisateurs de loteries publicitaires, dans Le Code civil. Un passé, Un présent. Un avenir, Dalloz 2004, p. 311.
1074 Le choix de cette qualification paraît d’autant plus paradoxal que seule la qualification juridique de l’offre pose problème : M. Fabre-Magnan, obs. sous Cass. civ. 2ème, 11 février 1998, préc.
1075 Il est d’ailleurs significatif que l’absence de caractère juridique à l’engagement n’ait pas été relevée au sujet de l’engagement unilatéral de volonté, comme si la juridicité opérait plus facilement qu’en matière contractuelle.
1076 Dans ce sens : E. Savaux, note sous Cass. civ. 2ème, 26 octobre 2000, préc.
1077 E. Savaux, note préc. (en note de bas de page). Cont. : G. Garducci, note sous Cass. civ. 2ème, 11 février 1998, préc. L’affirmation prête en effet le flanc à la critique : si la perception est faussée, c’est précisément parce que la représentation l’était volontairement.
1078 D. Houtcieff, th. préc.
1079 Ainsi d’après le professeur Savaux, le caractère ambigü du message interdit non seulement de constater une volonté déclarée mais encore de recourir à la théorie de l’apparence en raison de l’absence d’erreur légitime : note sous Cass. civ. 2ème, 26 octobre 2000, préc. Dans le sens opposé : G. Viney, obs. sous Cass. civ. 1ère, 19 octobre 1999, JCP 2000.I.241, n° 1.
1080 P. Bouteiller, La protection du consommateur et l’organisation d’une loterie publicitaire, JCP éd. E, 2002.1552.
1081 M. Douchy, La notion de quasi-contrat en droit positif français, economica, 1997.
1082 Il faut rappeler que l’article 1371 du Code civil n’est jamais invoqué qu’aux côtés du principe selon lequel on ne doit pas s’enrichir au détriment d’autrui. Voir infra n° 258.
1083 V. infra n° 258.
1084 En ce sens : E. Savaux, note préc. p. 1611.
1085 Note préc. p. 2967.
1086 Comme d’ailleurs notre propre perception de celui-ci.
1087 Article 1327.
1088 Avant-projet, commentaire p. 63.
1089 Cass. req. 15 juin 1892, D.P.1892.596 ; S. 1893.1.281, GA n° 227.
1090 Il a été conféré à la règle consacrée un champ d’application illimité : « Attendu que cette action dérivant du principe d’équité qui défend de s’enrichir au détriment d’autrui et n’ayant été réglementé par aucun texte de nos lois, son exercice n’est soumis à aucune condition déterminée ; qu’il suffit, pour la rendre recevable, que le demandeur allègue et offre d’établir l’existence d’un avantage qu’il aurait, par un sacrifice ou un fait personnel, procuré à celui contre lequel il agit », préc.
1091 L’enrichissement sans cause a été le moyen de préserver la singularité de la gestion d’affaires, alors mise à l’abri de toute déformation. André Rouast évoquera ainsi la « libération de l’action de in rem verso de l’emprise de la gestion d’affaires », L’enrichissement sans cause et la jurisprudence civile, RTDC 1922.43. Il faut toutefois nuancer le propos et rappeler que si l’action de in rem verso séduisait par la souplesse qu’il offrait, les dangers d’extension illimitée qu’il présenta dans un premier temps amenèrent les juges à n’utiliser qu’avec parcimonie ce principe aux contours incertains. Aussi le mouvement d’extension de la gestion d’affaires n’a-t-il pas pris fin instantanément. Sur la question : M. Picard, La gestion d’affaires dans la jurisprudence contemporaine, RTDC 1922.32. Sur la notion de gestion d’affaires anormale : G. Ripert et M. Teisseire, Essai d’une théorie de l’enrichissement sans cause en droit civil français, RTDC 1904.741. A cette expression, Roget Bout préferera celle de gestion d’affaires imparfaite : La gestion d’affaires en droit français contemporain, LGDJ 1972, n° 116 p. 139 et s. Il s’agit d’étendre la gestion d’affaires au-delà de l’intention de gérer. La seule existence d’un résultat utile met en jeu les article 1372 et suivants du Code civil. Cette position fut défendue par Henry Vizioz pour qui il faut se placer du côté du maître de l’affaire, personne que l’on a voulu protéger : La notion de quasi-contrat, thèse bordeaux, 1912, p. 237.
1092 La volonté de préserver l’intégrité des autres sources apparaît clairement dans le premier arrêt du 8 juin 1915 : « Attendu que l’action de in rem verso ne doit être admise que dans les cas où le patrimoine d’une personne, se trouvant, sans cause légitime, enrichi au détriment de celui d’une autre personne, celle-ci ne jouirait, pour obtenir ce qui lui est dû, d’aucune action naissant d’un contrat, d’un quasi-contrat, d’un délit ou d’un quasi-délit, et qu’elle ne peut être intentée en vue d’échapper aux règles par lesquelles la loi a expressément défini les effets d'un contrat déterminé », préc.
1093 Préc. p. 44.
1094 H. Perinet-Marquet, Le sort de l’action de in rem verso en cas de faute de l’appauvri, JCP 1982.I.3075, n° 22.
1095 La jurisprudence dégagea ces conditions dès 1915 : Cass. civ., 8 juin 1915 (2 arrêts), D.P.1920.1.102.
1096 V. supra n° 253.
1097 V. supra n° 253.
1098 Préc. p. 140 et s.
1099 Un régime spécifique existait déjà en droit héllénique et en droit romain. Toutefois, la décision fondée sur le Code de 1804 la plus couramment citée date de 1844 : DP 1845.1.13.
1100 Il est piquant de faire observer que le recours exclusif à l’article 544 du Code civil n’aurait pas pour conséquence de limiter le droit de propriété. Les limites ainsi portées au droit de propriété n’auraient d’autre fondement que la propriété elle-même : « Confrontée à elle-même, dans la recherche d’une conciliation de droits absolus en conflit, elle sort renforcée », Le droit de propriété, un modèle pour la réparation des troubles du voisinage, R. Libchaber, Mélanges Christian Mouly, Litec 1998, tome I, p. 421. La tension au sein même du droit de propriété sera également mise en évidence par Cosmas P. Yocas : Les troubles de voisinage, LGDJ 1966, p. 64. Alors que Rémy Libchaber voit dans le recours conjugué aux deux articles l’application de cette idée, il semble préférable de limiter l’observation à l’éventualité d’un recours exclusif à l’article 544 du Code civil. Sur les atteintes au droit de propriété portées par la jurisprudence : E. Agostini, L’étiolement du droit de propriété en France (1804-1985), Mélanges G. flattet, Payot Louisianne 1985, p. 3 et s.
1101 Le procédé est d’autant plus sujet à la critique qu’Henry Capitant a fait observer que les limites que l’on a jugé nécessaire de poser à l’exercice du droit de propriété, loin de contrarier le caractère absolu du droit de propriété, en constituent le meilleur témoignage : « C’est précisément parce que ce droit est le plus complet, le plus absolu, que la loi est obligée d’apporter certaines limitations pour éviter des conflits qui n’auraient pas manqué de naître entre les voisins, si chacun avait pu aller jusqu’au bout de son droit. », Des obligations de voisinage et spécialement de l’obligation qui pèse sur le propriétaire de ne causer aucun dommage au voisin, Revue crit. 1900.163.
1102 Cette proposition contient en elle-même deux idées : la disparition du caractère anormal du fait générateur et l’apparition de l’anormalité du dommage.
1103 Dans sa thèse de doctorat consacrée aux troubles du voisinage, Cosmas P. Yocas relève de nombreuses décisions anciennes qui s’émancipent de l’exigence d’une faute. Celles-ci remontent jusqu’au dix-neuvième siècle : th. préc. p. 41 et s. Le phénomène s’est poursuivi très longtemps sans que la Cour ne retire pour autant du visa l’article 1382 du Code civil. Ce fut le cas notamment dans la célèbre décision du 4 février 1971 de la troisième Chambre civile : JCP 1971.II.16781, obs. R. Lindon. La seule condition posée à la réparation est le caractère excessif des inconvénients de voisinage. Comme l’observe l’avocat général Raymond Lindon dans ses observations sous l’arrêt, la responsabilité est engagée malgré l’absence de faute.
1104 H. Capitant, Des obligations de voisinage et spécialement de l’obligation qui pèse sur le propriétaire de ne causer aucun dommage au voisin, Revue crit. 1900.187.
1105 Cass. civ. 2ème, 19 novembre 1986, n° 172 p. 116.
1106 Un arrêt remarqué du 31 mai 2000 a clairement exclu la nécessité de rapporter la preuve de l’existence d’une faute : « la cour d’appel a souverainement apprécié l’existence de troubles anormaux du voisinage émanant de l'immeuble donné en location par les consorts Docet et décidé à bon droit, que indépendamment de toute faute de leur part, les propriétaires étaient tenus d’en réparer les conséquences dommageables subis par un tiers », Bull. III, n° 94, p. 64; D. 2000.IR.171; JCP 2000.IV.2277; JCP 2000.I.165, obs. H. Périnet-Marquet. Egalement : F. Archer, La responsabilité civile du propriétaire bailleur pour le trouble de voisinage causé par son locataire, Défr. 2001.607. Contrairement à ce qu’affirme le commentateur au Défrénois, l’arrêt reste toutefois ambigü. En effet, la Cour rejette le pourvoi pour totalité alors que la cour d’appel avait précisé que les propriétaires « ne justifiaient pas de vérifications particulières pour s’assurer que leur locataire respectait les obligations souscrites ». Ainsi est conféré, ne fût-ce que pour une infime partie, un fondement subjectif à la décision. Toutefois il n’est pas possible d’y voir le recours à la faute d’abstention. A l’instar de la faute pour commission, celle-ci doit être appréciée par référence au bon père de famille. Or, en l’espèce, les propriétaires avaient fait insérer dans les contrats de sous-location une clause exigeant la suppression des micros et de la musique.
1107 D’après le conseiller référendaire Fabre, c’était là la principale raison d’être du principe : « le principe (…) est donc moins l’obligation de réparer les inconvénients causés à autrui que de supporter les inconvénients du voisinage qui sont normalement tolérables. », rapport sur Cass. civ. 3ème, 18 juillet 1972, JCP 1972.II.17203. Cette façon de voir est également partagée par Boris Stark pour qui en vertu de cette règle « toute personne a l’obligation de supporter les inconvénients ordinaires de voisinage », Essai d’une théorie générale de la responsabilité civile envisagée en sa double fonction de garantie et de peine privée, thèse Paris 1947, p. 192. Sur la contribution apportée par la théorie des troubles du voisinage sur le droit de nuire en général : J. Karila de Van, Le droit de nuire, RTDC 1995.546.
1108 F. Caballero, Essai sur la notion juridique de nuisance, LGDJ 1981, n° 185 p. 235 et s.
1109 Préc. n° 185 p. 235.
1110 Préc. n° 187 p. 237-238.
1111 Et le fait non-fautif dans la poursuite d’une activité nuisible que supportait l’environnement jusqu’alors.
1112 En dehors de quelques consécrations ponctuelles de la notion de préoccupation collective par la jurisprudence, l’article L.112-16 du Code de la construction et de l’habitation dispose que « Les dommages causés aux habitants d’un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales ou commerciales, n’entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférant au bâtiment exposé à ses nuisances a été demandé ou l’acte authentique constatant l’aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l’existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s’exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu’elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions. ». C’est donc dans le domaine professionnel exclusivement qu’est consacrée la pré-occupation. Sur la théorie et ses consécrations ponctuelles : A. Robert, Les relations de voisinage, Sirey 1991, n° 185 p. 113 et s.
1113 Fut ainsi proposée la théorie du risque par Josserand : M. Cosmas P. Yocas, thèse préc. p. 101. A quoi il est aisé de répliquer que l’on comprend mal alors pourquoi seuls les troubles d’une certaine gravité font l’objet d’une réparation. La théorie du risque est peu disposée à subordonner la qualification de dommage à l’existence d’un degré important dans le trouble. Ripert a également lancé la théorie de l’acte anormal et Chapus le principe d’égalité devant les charges publiques : préc. p. 102 et s. Enfin, Cosmas P. Yocas se rangera clairement du côté des tenants de la thèse objective. L’obligation trouve son fondement selon l’auteur dans « l’idée d’une compensation aux fins de rétablir entre les droits respectifs égaux des propriétaires, l’équilibre détruit du fait des inconvénients anormaux infligés par l’un des propriétaires à l’autre », préc. p. 129. Des interprétations fondées sur la propriété et le voisinage furent également développées : l’atteinte au droit de propriété, l’idée d’empiètement matériel ou d’immissio corporel et enfin le quasi-contrat de voisinage : P. Capoulade, Rapport français sur les troubles de voisinage, Travaux de l’association Henry Capitant 1976, p. 93 et s.
1114 La thèse de la faute dans la garde comme fondement de la jurisprudence fut défendue par Besson : thèse préc. Fut également proposée la doctrine de la faute consistant dans le refus de réparation : M. Cosmas P. Yocas, thèse préc. p. 114. Cette idée constitue l’aveu même de l’échec des théories subjectives : il est en effet possible de la généraliser à l’infini.
1115 Thèse préc. n° 208 p. 258 et s. Egalement : n° 198 bis p. 247-8.
1116 Préc. n° 208 p. 258.
1117 G.C A. Henriot, Le dommage anormal, thèse Paris, 1960, p. 11.
1118 Et si l’écart de conduite n’est pas évident, il pourra encore consister dans le fait de ne pas avoir su éviter le dommage.
1119 Thèse précitée, p. 2.
1120 M-E Roujou de Boubée, Essai sur la notion de réparation, LGDJ 1974, p. 234.
1121 Préc. p. 235.
1122 Préc. p. 234.
1123 La meilleure preuve en est la parenté d’analyse avec l’approche du professeur Stark, d’ailleurs soulignée par le professeur Cabalerro lui-même : préc. n° 198 p. 248. Ainsi que l’exige l’orientation générale de l’œuvre de Boris Stark, l’illicéité se situe toute entière dans l’atteinte portée aux droits d’autrui et non pas dans le fait générateur. L’illicéité doit selon l’auteur être recherchée dans le dommage : thèse précitée, p. 194. Si on remonte au fait générateur, ce n’est donc que par artifice de présentation.
1124 Cass. civ. 1ère, 5 novembre 1996, D. 1997.403, note S. Laulom ; somm. comm. 289, obs. P. Jourdain ; JCP 1997.II.22805, note J. Ravanas ; JCP 1997.I.4025, note G. Viney ; GA, n° 17.
1125 Toutefois, ainsi que le remarque Agathe Lepage, la solution consacrée ne s’écarte pas du droit commun pour l’évaluation du dommage, pas plus que pour les règles procédurales mises en œuvre : obs. sous CA Aix-en-Provence, 1ère Ch. A, 4 janvier 2005, D. 2005.pan. 2645.
1126 Préc. Sur ce point, les faits sont presque rigoureusement les mêmes d’une affaire à l’autre : il s’agit toujours de la diffusion d’une information, d’une photo ou d’un ouvrage. Ainsi dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt de la première Chambre civile du 25 février 1997, il s’agissait de la diffusion d’un ouvrage : Cass. civ. 1ère, 25 février 1997, JCP 1997.II.22873, note J. Ravanas. Ou dans la décision du 3 avril 2002, de la publication d’un article : Cass. civ. 1ère, D. 2002.3164, C. Bigot ; JCP 2003.I.126, n° 11, E. Tricoire ; Gaz. Pal. 2003.1040, note A. Toucas, E. Juillard. Et les exemples pourraient être multipliés à l’infini. Aussi, la dissociation entre la publication et le dommage peut-elle être toujours aisément réalisée.
1127 Ces différents objectifs que s’est assigné le législateur en consacrant l’engagement unilatéral ont été étudiés en détail dans le cadre des rapports contractuels : R. Encinas de Munagorri, L’acte unilatéral dans les rapports contractuels, LGDJ 1996, n° 91 p. 99.
1128 Préc. n° 93 p. 102 et s.
1129 Préc. n° 130 p. 129 et s.
1130 Pour le cas où il n’était pas débiteur de la provision, cet engagement met à sa charge une obligation totalement nouvelle : M.L. Izorche, L’avènement de l’engagement unilatéral de volonté, PUAM 1995, n° 235 p. 165.
1131 V. supra n° 39 et s.
1132 Le sort des personnes accidentées dans le cadre de leur travail témoigne également d’une approche protectrice. Toutetois, l’absence de toute interférence directe avec le droit de la responsabilité nous conduit à ne pas y consacrer de développements spécifiques.
1133 A. Tunc, Pour une loi de sécurité routière, Extrait de la revue héllénique de droit international, 1968, p. 2. L’auteur rappelle combien il peut être délicat d’apprécier le comportement des automobilistes lors d’un accident de la circulation. Les circonstances particulières de réalisation expliquent en effet qu’il soit si difficile d’établir une présentation fidèle des faits.
1134 L’illustre auteur fit ainsi remarquer qu’en recourant à l’article 1382 du Code civil, le juge cultivait une confusion regrettable entre l’erreur et la faute : A. Tunc, Vers un droit nouveau de l’indemnisation des accidents de circulation, extrait de la revue tunisienne de droit, 1971, p. 110. Le défenseur de la réforme ne manque pas de rappeler qu’un bon conducteur commet en moyenne un erreur tous les trois kilomètres : préc. p. 110.
1135 Préc. p. 2 et s. L’auteur met en évidence l’absence de toute proportion entre le comportement et les conséquences qui s’y attachent à l’aide d’un exemple révélateur : « C’était un homme en pleine activité, à la tête d’un cabinet important. Il laisse une veuve et neuf enfants, dont aucun n’a achevé ses études. Quelle indemnisation recevra sa famille ? Peut-être des sommes considérables, de l’ordre du million de francs nouveaux, peut-être rien. De quoi dépendra la solution ? Du jugement que l’on portera sur le réflexe de la victime au moment de l’accident. », préc. p. 3.
1136 L’auteur fait apparaître que cette solution méconnaît le développement de l’assurance et de la sécurité sociale : préc. p. 3 et s.
1137 Cass. civ. 2ème, 21 juillet 1982, D. 1982.449, concl. Charbonnier, note C. Larroumet ; JCP 1982.II.19861, note F. Chabas ; Défr. 1982.1689, obs. J-L Aubert ; RTDC 1982.607, obs. G. Durry ; GA, n° 204-6. La décision prenait ainsi à contrepied la jurisprudence qui s’est affirmée à peine rendu l’arrêt Jand’heur : Cass. civ., 8 février 1938, DH 1938.194 ; S. 1938.1.136 ; Gaz. Pal. 1938.1.558. La rapidité avec laquelle la jurisprudence rompit avec la solution témoigne, s’il en était besoin, de l’objectif assigné à l’arrêt du 21 juillet 1982 : Cass. civ. 2ème, 6 avril 1987, Bull. n° 86 p. 49 ; D. 1988.32, note C. Mouly ; JCP 1987.II.20828, note F. Chabas ; Défr. 1987.1136, obs. J-L Aubert ; RTDC 1987.767, obs. J. Huet ; GA, n° 204-6.
1138 L’expression fut employée notamment par le professeur Aubert : L’arrêt Desmares : une provocation… à quelles réformes ?, D. 1983.1. L’auteur dégagea ainsi deux paradoxes distincts : d’abord, la victime est moins bien traitée lorsque son dommage puise son origine passive dans une faute que le simple fait d’une chose. En ce domaine, en effet, la faute de la victime continue à avoir un effet modérateur. Par ailleurs, le gardien non fautif et non assuré supportera la totalité de la charge du dommage tandis que le débiteur fautif non gardien pourra faire bénéficier son assureur de l’exonération en cas de faute de la victime : préc. p. 5. L’auteur ajoute qu’une autre solution que l’avènement d’une loi spéciale eût été possible et même préférable. A un règlement des accidents de la circulation, il eût fallu préférer une adaptation des principes généraux de la responsabilité délictuelle, imposée par l’évolution de la société moderne : préc. p. 6. Egalement : note précitée sous Cass. civ. 2ème, 21 juillet 1982, p. 1694. Cet avis est partagé par le professeur Durry : observations précitées sous Cass. civ. 2ème, 21 juillet 1982, p. 608.
1139 Il faut préciser que la suppression de tout effet exonératoire à la faute de la victime constitue le motif principal qui explique la position du professeur Tunc et la vigueur avec laquelle il défendit son projet : en ouverture de son manifeste Vers un droit nouveau de l’indemnisation des accidents de la circulation, il expose quelles pouvaient alors être les conséquences concrètes de la prise en considération d’une faute de la victime - à supposer d’ailleurs qu’il soit opportun de parler de faute : préc. p. 2. Egalement : A. Tunc, Les paradoxes du régime actuel de la responsabilité de plein droit, D. 1976.15.
1140 Visées en l’alinéa 2 de l’article 3, il s’agit des mineurs de moins de seize ans, des personnes de plus de soixante-dix ans et des victimes, titulaires au moment de l’accident, d’un titre leur reconnaissant un taux d’incapacité permanent ou d’invalidité au moins égal à quatre-vingt pour cent. La prise en considération exclusive de la qualité de la victime atteste clairement de l’esprit de la loi de 1985, toute entière tournée vers cette dernière. Sur la question : F. Alt-Maes, Une résurgence du passé : la présomption d’irresponsabilité de l’art. 3, al. 2 et 3, de la loi du 5 juillet 1985, D. 1990.219.
1141 J. Carbonnier, Droit civil. Les biens. Les obligations, PUF 2004, n° 1186 p. 2378.
1142 Philippe Conte explique que par l’application qui est faite de la notion de faute inexcusable, les juges en viennent à porter un regard sur l’attitude personnelle du conducteur ou gardien : Le législateur, le juge et l’implication (La fable édifiante de l’autonomie de la loi du 5 juillet 1985), JCP 1990.I.3471. L’affirmation n’est certes guère contestable dans la mesure où toute analyse des circonstances repose sur une appréciation globale de la situation. Il paraît néanmoins infondé d’y voir un argument en faveur de l’absence d’autonomie de la loi de 1985 : que l’appréciation du comportement du responsable soit rendue nécessaire pour qualifier la faute de la victime ne démontre pas qu’il soit tenu compte de son attitude en tant que condition technique. Tout au plus en tiendra-t-on compte comme circonstance matérielle au même titre que toutes les autres.
1143 Si le professeur Tunc voit dans la formulation de la question une manière de « compliquer bien inutilement les choses », c’est qu’en réalité il tient la réponse pour évidente : « que la loi Badinter rompe radicalement avec le droit commun, ce n’est pas contestable. » : L’insertion de la loi Badinter dans le droit commun de la responsabilité civile, Mélanges Roger O. Dalq, Larcier 1994, n° 14 p. 568. Aussi, bien qu’il reconnaisse que « la loi baigne dans ce droit commun et en emprunte à l’occasion notions et concepts », il n’entend évidemment pas en limiter la portée de manière substantielle : préc. n° 15 p. 568 et s.
1144 F. Chabas, Les accidents de la circulation, Dalloz 1995, p. 36.
1145 Préc. p. 37.
1146 Préc. p. 39-40.
1147 Préc. p. 40.
1148 Le professeur Wiederkehr fera observer que la réponse à la question de l’autonomie conditionne « non seulement la portée mais la signification même de la loi », G. Wiederkehr, De la loi du 5 juillet 1985 et de son caractère autonome, D. 1986.255.
1149 Préc., D. 1986.256.
1150 L’argumentation sera notamment développée par Marie-Pierre Camproux : La loi du 5 juillet 1985 et son caractère exclusif, D. 1994.111.
1151 Article 1er : « Les dispositions du présent chapitre s’appliquent, même lorsqu’elle sont transportées en vertu d’un contrat, aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur… ».
1152 Il s’agit d’abord de la décision du 7 novembre 1985 qui exclut le jeu de la faute de la victime comme l’imposerait le droit commun : « les victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur sont, hormis les conducteurs desdits véhicules, indemnisés des dommages résultant des atteintes à leur personne, sans que puisse leur être opposée leur propre faute à l’exception de leur faute inexcusable si elle a été la cause exclusive de l’accident à moins que la victime n’ait volontairement recherché le dommage qu’elle a subi », Cass. civ. 2ème, 7 novembre 1985, JCP 1986.II.20598, note F. Chabas. D’autres décisions écarteront de la même façon l’application du droit commun en ce que les juges du fond avaient fait application de l’article 1384 al. 1 du Code civil : « Attendu que pour débouter les consorts Phelipot de leur demande, l’arrêt retient que Rodolphe Phelipot avait commis une faute qui, imprévisible et inévitable pour M. Gibaud, exonérait celui-ci de la présomption de responsabilité de l’art. 1384 al. 1 du c. civ. ; qu’en statuant ainsi, alors qu’à la date de sa décision la loi du 5 juillet 1985 était entrée en vigueur, la cour d’appel, a par refus d’application, violé le texte susvisé », ; ou encore : « qu’en condamnant Mlle Baudin et la GMF à indemniser l’entier dommage subi par M. Guirado, sur le fondement de l’art. 1384 al.1er, c. civ., la cour d’appel a, par refus d’application, violé le texte susvisé », Cass. civ. 2ème, 4 février 1987 et Cass. civ. 2ème, 28 janvier 1987, D. 1987.187, note H. Groutel.
1153 Cass. 2ème 4 mai 1987, Bull. n° 87 p. 53. Egalement : Cass. civ. 2ème, 7 mai 2002, Bull. n° 87 p. 781. Ou encore : Cass. civ. 2ème, 23 janvier 2003, Bull. n° 7 p. 6. La Cour de cassation décide que la loi de 1985 est « seule applicable ».
1154 A l’exception d’ailleurs du conducteur fautif : sur la question : H. Groutel, La faute du conducteur victime, dix ans après (Plaidoyer pour l’absent de la fête), D. 1995.335.
1155 C’est le courant qui domine aujourd’hui. Sont régulièrement rendues des décisions qui réservent au droit commun le pouvoir de connaître des recours formés : Cass. civ. 2ème, 22 janvier 2004, Bull. 2004, n° 17 p. 13, RTDC 2004.519, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 2ème, 8 juillet 2004, Bull. n° 343 p. 341. La Cour lance clairement le principe selon lequel « le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur impliqué dans un accident de la circulation et son assureur qui a indemnisé les dommages causés à un tiers ne peuvent exercer un recours contre un autre conducteur impliqué que sur le fondement des articles 1382, 1214 et 1251 du Code civil ». Egalement : Cass. civ. 2ème, 30 juin 2004, Bull. n° 342, p. 288. La solution n’est pas nouvelle : Cass. civ. 2ème, 20 juillet 1987, D. 1987.469, note H. Groutel.
1156 « Attendu, enfin, que le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur impliqué dans un accident de la circulation assigné par la victime, s’il peut exercer contre les coauteurs une action récursoire sur le fondement des art.1382 et 1384 al.1er, c. civ., peut également, en tant que subrogé dans les droits de la victime, se prévaloir des dispositions des art. 1er à 6 de la loi du 5 juillet 1985 à l’encontre des autres coauteurs », Cass. civ. 2ème, 6 mars 1991, D. 1991.257, note H. Groutel ; RTDC 1991.552, obs. P. Jourdain.
1157 Ce fut le fondement choisi dans les arrêts cités précédemment : Cass. civ. 2ème, 8 juillet 2004, Bull. n° 343 p. 341 ; Cass. civ. 2ème, 30 juin 2004, Bull. n° 342 p. 288. Cass. civ. 2ème, 11 décembre 2003, Bull. n° 376 p. 309, RTDC 2004.306, obs. P. Jourdain. Egalement : Cass. civ. 2ème, 22 janvier 2004, Bull. 2004, n° 17 p. 13, RTDC 2004.519, obs. P. Jourdain. Il s’agit là d’un arrêt de cassation qui a été rendu sous le visa des articles 1214, 1382 et 1251 du Code civil. Cette solution avait déjà été employée par le passé et relevée par la doctrine : Cass. civ. 2ème, 14 janvier 1998, D. 1998.174, note H. Groutel ; JCP 1998.II.10045, note P. Jourdain ; RTDC 1998.393, obs. P. Jourdain. Il s’ensuit que le recours contre un coauteur s’exerce « dans la limite de la part de reponsabilité encourue par ce dernier à l’égard de la victime », Cass. civ. 2ème, 10 mars 2004, Bull.n° 95 p. 81, D. 1994.IR.1563, RTDC 2004.521, obs. P. Jourdain. En ce qu’elle est totalement irrespectueuse du principe même de la subrogation, la solution prête le flanc à la critique : si les codébiteurs ont été condamnés en application de la loi de 1985, alors le codébiteur solvens doit être subrogé sur le fondement de la même loi. Le recours au droit commun ne se comprend que dans le cadre d’une action personnelle. Le professeur Groutel suggéra bien une autre interprétation de l’arrêt. Serait faite une application distributive des différentes dispositions : note préc. p. 175. La première fonderait la contribution en présence de fautes et la seconde en leur absence. Mais de l’aveu de l’auteur lui-même, l’idée est dotée d’une valeur explicative limitée.
1158 Cass. civ. 2ème, 20 avril 1988, JCP 1989.II.21299, note M. Béhar-Touchais. Egalement : Cass. civ. 2ème, 13 juillet 2000, préc. Alors que plusieurs arrêts précédents étaient rendus sous le double visa des articles 1382 et 1251 du Code civil, la jurisprudence est revenue par cette décision à une solution respectueuse de la logique juridique en supprimant le visa de l’article 1251.
1159 L’avis contraire est toutefois partagé par le professeur Jourdain. Selon l’auteur, il n’y a aucune raison de réserver à la victime le bénéfice de la loi : note précitée sous Cass. civ. 2ème, 6 mars 1991, p. 552. Il y a selon lui un véritable intérêt à ce que le coauteur solvens puisse exercer une action contre un tiers sur le fondement de la loi : préc. p. 554. Cette opinion prête le flanc à la critique dans la mesure où la prise en considération du comportement des parties doit prendre le relais dès lors que l’impératif de réparation a été respecté. En ce sens : A. Tunc, L’insertion de la loi Badinter dans le droit commun de la responsabilité civile, préc. n° 15 p. 569. Par ailleurs, il n’est guère opportun de fonder la solution sur le seul principe d’équité, ainsi que le préconise l’auteur : note sous Cass. civ. 2ème, 14 janvier 1998, JCP.1998.II.10045 ; obs. sous Cass. civ. 2ème, 14 janvier 1998, RTDC 1998.393. Il s’agit de l’aveu d’un échec dans la mesure où de très nombreuses solutions juridiques pourraient y puiser leur fondement.
1160 Notamment : H. Groutel, L’implication du véhicule dans la loi du 5 juillet 1985 (à propos des arrêts rendus par la 2ème Chambre civile, le 21 juillet 1986), D. 1987.1 ; Ph. Conte, Le législateur, le juge, la faute et l’implication (La fable édifiante de l’autonomie de la loi du 5 juillet 1985), JCP 1990.I.3471 ; P. Jourdain, Implication et causalité dans la loi du 5 juillet 1985, JCP 1994.I.3794 ; R. Raffy, Implication et causalité dans la loi du 5 juillet 1985, D. 1994.158.
1161 Sur la notion de perturbation de la circulation : P. Jourdain, Implication et causalité dans la loi du 5 juillet 1985, JCP 1994.I.3794, n° 5. Raffi, Implication et causalité dans la loi du 5 juillet 1985, D. 1994.160. Jusqu’en 1994, la Cour de cassation n’hésitait pas à avoir recours à ce critère pour l’appliquer aux véhicules en stationnement et même plus généralement aux véhicules à l’arrêt : voir notamment, P. Jourdain, obs. sous Cass. civ. 2ème, 21 février 1990 et Cass. civ. 2ème, 9 mai 1990, RTDC 1990.507. La notion a été abandonnée par la décision de la deuxième Chambre du 23 mars 1994 : « attendu que le fait qu’un véhicule terrestre à moteur soit en stationnement sans perturber la circulation n’exclut pas son implication dans un accident, au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 », JCP 1994.II.22292, note Ph. Conte. ; RTDC 1994.627, obs. P. Jourdain. Dans le même sens : Cass. civ. 2ème, 25 janvier 2001, Bull. n° 14 p. 9. Un arrêt de rejet rendu depuis lors fait toutefois mention de l’absence de « manœuvre perturbatrice » : Cass. civ. 2ème, 8 juillet 2004, Bull. n° 345 p. 293. Quoique mal venu, son emploi s’expliquait en l’espèce par l’absence de tout contact. Aussi peut-on espèrer y voir un accident jurisprudentiel…
1162 Ainsi d’ailleurs que du créancier. Sur la question : P. Jourdain, obs. préc. sous Cass. civ. 2ème, 23 mars 1994, p. 628.
1163 La jurisprudence a déduit cette solution dès l’année suivante par son arrêt en date du 25 janvier 1995 rendu par la deuxième Chambre civile : « Attendu qu’est nécessairement impliqué dans l’accident, au sens de ce texte, tout véhicule terrestre à moteur qui a été heurté, qu’il soit à l’arrêt ou en mouvement », Bull. n° 27 p. 16 ; RTDC 1995.382, obs. P. Jourdain. Les arrêts plus récents semblent creuser la distinction entre causalité et implication : ainsi un arrêt en date du 6 janvier 2000 rappelle-t-il avec force le principe selon lequel « est impliqué, au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985, tout véhicule qui est intervenu, à quelque titre que ce soit, dans la survenance de l’accident », Bull. II, n° 1 p. 1 ; RTDC 2000.348, obs. P. Jourdain. Par une décision de la deuxième Chambre civile du 14 novembre 2002, la Cour suprême cassa une décison qui énonçait que « le rôle causal du véhicule » n’était pas démontré : Bull. n° 252 p. 198. Deux ans plus tôt, l’application de ce principe conduira même la Cour à approuver une cour d’appel d’avoir retenu la responsabilité d’un automobiliste dont la sirène d’alarme s’était déclenchée et avait affrayé deux chevaux, lesquels ont provoqué un accident après une longue course au galop : Resp. civ. et ass. 2000 comm. n° 324 ; RTDC 2000.853, obs. P. Jourdain. La solution paraît en l’espèce excessive dans la mesure où les chevaux avaient été maîtrisés après le premier galop déclenché par l’alarme. Ainsi que le fait observer le professeur Jourdain, sont consacrées à la fois la théorie de l’équivalence des conditions et une conception large de l’implication. Il eût suffit qu’une des deux conditions fasse défaut pour que la responsabilité ne fût pas retenue.
1164 Encore que la condition relative à l’anormalité de la position ait subi récemment de nombreuses entorses dans l’application : v. supra n° 233. Toutefois le dernier état du droit positif consacre la notion d’anormalité : v. supra n° 233.
1165 Ainsi que le fait remarquer opportunément Philippe Conte, la disparition technique de cette condition ne préjuge pas de sa réapparition sous une autre forme qui pourra « dans les faits, remplir un rôle important au moment de prouver l’implication » : note préc. Mais comme le fait observer l’auteur, la victoire de la victime n’est pas exclusivement apparente pour autant : le basculement de la justification technique est en effet porteur d’espoir en ce qu’il offre les instruments nécessaires à la jurisprudence pour assurer la meilleure protection possible aux victimes. Dans le cadre de ses observations sous l’arrêt, le professeur Jourdain déduisait de cette solution que le seul contact suffit à établir l’implication du véhicule : obs. préc.
1166 Il est bien évident que « Ne peuvent être indemnisées en application de la loi que les victimes d’accident de la circulation ; sinon n’importe quelle victime de dommages pourrait se prévaloir de n’importe quel accident pour bénéficier des faveurs du législateur », P. Jourdain, Implication et causalité dans la loi du 5 juillet 1985, JCP 1994.I.3794.
1167 P. Joudain, préc.
1168 Sauf à considérer que l’accident est synonyme de choc. Or, cette voie paraît beaucoup trop réductrice. Ainsi que l’expose le professeur Béhar-Touchais, « l’existence d’une pluralité de chocs ne signifie pas nécessairement qu’il y a pluralité d’accidents pouvant avoir leurs conséquences propres », Observations sur l’exigence d’imputabilité du dommage à l’accident de la circulation, JCP 1991.3492. L’affirmation gagne en puissance dès lors que l’on rappelle l’évidence selon laquelle un choc peut lui-même se décomposer en plusieurs impacts : faudra t-il alors décomposer l’évènement en autant d’accidents qu’il y a d’impacts ?
1169 Par son arrêt du 24 juin 1998, la jurisprudence avait bien semblé avoir abandonné l’entreprise de fractionnement de l’accident : Resp. civ. et ass. 1998, chron. 27, H. Groutel ; RTDC 1998.922, obs. P. Jourdain. C’était sans compter sur la persistance de la Cour à raisonner en termes de causalité. Quelques mois après seulement, elle rendait un arrêt qui censurait une cour d’appel d’avoir considéré l’accident de manière globale et caractérisé en conséquence l’implication du véhicule dans le dommage : Cass. civ. 2ème, 5 novembre 1998, D. 1998.IR.260 ; RTDC 1999.121, obs. P. Jourdain. L’auteur explique cette solution par l’incapacité de la Cour à se défaire des raisonnements classiques de la responsabilité civile et non par l’existence d’une volonté délibérée de s’en démarquer : obs. préc. p. 122. Cette opinion est partagée par le professeur Groutel qui déjà, en 1987, fort de la lecture des premiers arrêts rendus sur le fondement de la loi, redoutait que la Cour, imprégnée d’un « savoir-faire collectif », ne ramène l’implication à la causalité : L’implication du véhicule dans la loi du 5 juillet 1985, D. 1987.1. Toutefois la Cour de cassation décida par un arrêt de 2002 qu’étaient impliqués dans un accident complexe tous les véhicules concernés : Cass. civ. 2ème, 11 juillet 2002, Bull. n° 160 p. 128. Et la solution fut clairement reconduite par la décision de la deuxième Chambre civile en date du 13 mai 2004 : Cass. civ. 2ème, Bull. n° 224 p. 189, D.2005. pan.191, obs. D. Mazeaud. En l’espèce, dix minutes s’écoulèrent entre le premier et le second choc. Les juges y virent néanmoins un accident unique. Cette décision est donc le meilleur témoignage possible de la volonté des magistrats de se démarquer du droit commun. Cette solution doit être approuvée, car, ainsi que l’indique le professeur Denis Mazeaud, l’unité de temps ne saurait constituer qu’un indice de l’accident complexe : préc. p. 192.
1170 G. Viney, P. Jourdain, Les conditions de la responsabilité, préc. p. 1131.
1171 Ph. Conte, préc.
1172 F. Alt-Maes, préc. p. 226.
1173 Cass. civ., 20 mai 1936, D.P. 1936.1.88, concl. P.G. Matter, note E.P. ; D. 1937.1.321, note Breton.
1174 Cet alourdissement s’est d’abord réalisé à travers l’inversion de la charge de la preuve. C’est là l’apport du fameux arrêt d’Assemblée plénière en date du 25 février 1997 : JCP 1997.II.22942, concl. P. Sargos ; P. Sargos, Modalités, preuve et contenu de l’information que le médecin doit donner à son patient, Médecine et Droit, 1997, n° 27, p. 1 ; G. Mémenteau, Devoir d’information. Renversement de la charge de la preuve, Médecine et Droit, 1997, n° 24, p. 6 ; C. Lapoyade Deschamps, Resp. civ. et ass. 1997, chron. n° 8 ; S. Welsch, Responsabilité médicale : la nouvelle donne, PA, 10 avril 1998, p. 6. ; Ph. Biclet, Qui sème le vent, Médecine et Droit 1997, n° 23, p. 1. Le juge a ainsi fait tomber un principe qui avait été érigé en 1951 : Cass. civ. 1ère, 29 mai 1951, D. 1952.53, note R. Savatier ; JCP 1955.II.6421, note R. Perrot. Mais il a également emprunté les voies d’une redéfinition de l’information obligatoire. La première Chambre civile a ainsi décidé que le médecin n’est pas dispensé de l’obligation d’information par le seul fait que le risque ne se réalise qu’exceptionnellement : Cass. civ. 1ère, 7 octobre 1998, JCP 1998.II.10179, concl. J. Sainte-Rose, note P. Sargos. Et le Conseil d’Etat ne fut pas en reste. Il posa deux années plus tard le même principe : CE, 5 janvier 2000(deux arrêts), PA, 25 février 2000, p. 15.
1175 Cass. civ. 1ère, 29 juin 1999, JCP 1999.II.10138, rapp. P. Sargos ; Défr. 1999.994 obs. D. Mazeaud ; RTDC 1999.841, obs. P. Jourdain. Egalement au sujet de cette décision : Ph. Malaurie, La responsabilité civile médicale, Défr. 2002.1516 ; A. Leca, L’indemnisation de l’aléa thérapeutique dans le système par la loi du 4 mars 2001 et ses premiers décrets d’application : de la mise en œuvre de la responsabilité civile au droit à indemnisation ?, RRJ 2002.1289 ; F. Vialla, L’obligation de sécurité de résultat du médecin en matière d’infection nosocomiale ou le retour du staphylocoque doré, Médecine et Droit, 1999, n° 37, p. 4. Ainsi que le fit observer François Vialla, des décisions en ce sens avaient déjà été rendues mais le principe était limité quant à sa portée géographique. La présomption de responsabilité était limitée aux infections contractées dans la salle d’opération.
1176 Il n’est qu’à se souvenir des appels en ce sens du professeur Viney : Pour une loi organisant l’indemnisation des victimes d’accidents médicaux, Médecine et Droit, 1997, n° 37, p. 1.
1177 Pour un exposé complet et détaillé de l’apport de cette loi : Y. Lambert-Faivre, La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, D. 2002.1217 ; D. 2002.1291 ; D.2002.1367. Egalement : P. Mistretta, La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Réflexions critiques sur un Droit en pleine mutation, JCP 2002.I.141.
1178 Ph. Pédrot, Libres propos sur la démocratie sanitaire, PA, 19 juin 2002, p. 5. L’auteur voit dans l’avènement d’une démocratie sanitaire une chance mais également un risque. A juste titre, l’auteur fait observer qu’il existe un danger réel à penser qu’une relation égalitaire est toujours possible entre le médecin et le malade : préc. p. 8.
1179 Sur les droits des malades : B. Mathieu, Les droits des personnes malades, PA, 19 juin 2002, p. 10 ; D. Truchet, La loi du 4 mars 2002 et la prévention : une double lecture, PA, 19 juin 2002, p. 43.
1180 De nombreuses contributions ont été réalisées sur cette question dans le cadre du numéro spécial des Petites affiches du 19 juin 2002 dédié à la question : C. Esper, La loi du 4 mars 2002 : le renouveau encore imparfait de la coopération entre acteurs de santé, préc. p. 58 ; J-L Mouralis, Les nouveaux ordres professionnels, préc. p. 28 ; E. Mondielli, La longue marche législative vers les réseaux de santé : l’apport de la loi du 4 mars 2002, préc. p. 48 ; M-I Malauzat, Vers une amélioration de la qualité du système de santé ?, préc. p. 31 ; F-J Pansier, L’obligation d’assurance des professionnels et des établissements, préc. p. 93.
1181 Sur la question : N. Reboul-Maupin, L’indemnisation de l’aléa thérapeutique, PA, 19 juin 2002, p. 77.
1182 CA Rouen, 16 mars 2005, JCP 2005.II.10178, note G. Mémeteau.
1183 CJCE, 10 avril 1984, Von Colson et Komonn, rec. CJCE, p. 1891 ; 10 avril 1984, Harz, rec. CJCE, p. 1291 ; 13 novembre 1990, Marleasing, JCP 1991.II.21658, note P. Level ; 14 juillet 1994, Paola Facini Dori, RTDE 1994.498 ; JCP 1995.II.22358, note P. Level.
1184 Cass. civ. 1ère, 11 juin 1991, Bull. civ. n° 201 p. 132, RTDC 1992.114, obs. P. Jourdain ; D. 1993, somm. comm. 241, obs. O. Tournafond. Le caractère autonome de l’obligation de sécurité peut être induit du régime applicable : l’arrêt décide en effet que « L’action en responsabilité contractuelle exercée contre le vendeur pour manquement à son obligation de sécurité n’est pas soumise au bref délai imparti par l’art. 1648 c. civ. ».
1185 Cass. civ. 1ère, 17 janvier 1995, bull. n° 43 p. 29 ; D. 1995.350, note P. Jourdain ; D. 1996, somm. comm.15, obs. G. Paisant ; JCP 1995.I.3853, n° 9, obs. G. Viney. L’influence exercée par la directive est patente. L’apport de la solution comme la rédaction même de l’arrêt en témoignent suffisamment : « Mais attendu que le vendeur professionnel est tenu de livrer des produits exempts de tout vice et de tout défaut de fabrication de nature à causer un danger pour les personnes ou les biens ; qu’il en est reponsable tant à l’égard des tiers que de son acquéreur. ». Ainsi que le remarque le professeur Jourdain, il s’agit là d’un véritable « dépassement de la traditionnelle dualité des ordres de responsabilité par l’institution d’une responsabilité contractuelle unique du vendeur. », préc. p. 353.
1186 « Mais attendu que le fabricant est tenu de livrer un produit exempt de tout défaut de nature à causer un danger pour les personnes ou les biens, c’est-à-dire un produit qui offre la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre », Cass. civ. 1ère, 3 mars 1998, D. 1998.IR.96 ; JCP 1998.II.10049, rapport P. Sargos.
1187 Sur la question : C. Larroumet, La responsabilité du fait des produits défectueux après la loi du 19 mai 1998, D. 1998.312.
1188 F-X. Testu, Présentation de la réforme du 19 mai 1998, D. aff. 1998.1996.
1189 Loi n° 2006-406, JCP 2006, Act. 185 et 189.
1190 Il s’agit de la décision du 10 janvier 2006, C-402/03 : d’après cette décision, la directive doit être interprétée « en ce sens qu’elle s’oppose à une règle nationale selon laquelle le fournisseur répond, au-delà des cas limitativement énumérés à l’article 3, §3, de la directive, de la responsabilité sans faute que la directive institue et impute au producteur ». Cette décision fut elle-même rendue à la suite de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 qui tentait de répondre à la condamnation par les décisions du 25 avril 2002 de la Cour de Justice des Communautés Européennes. Sur la question : L. Grynbaum, note sous Cass. civ. 1ère, 24 janvier 2006 (trois arrêts), CJCE, 10 janvier 2006 et 9 février 2006, JCP 2006.II.10082. Egalement : L. Grynbaum, Responsabilité du fait des produits défectueux : restriction de responsabilité pour les fournisseurs, JCP 2006. AR.185.
1191 L’article 1386-7 est désormais rédigé de la manière suivante : « si le producteur ne peut être identifié, le vendeur, le loueur, à l’exception du crédit-bailleur ou du loueur assimilable au crédit-bailleur, ou tout autre fournisseur professionnel, est responsable du défaut de sécurité du produit, dans les mêmes conditions que le producteur, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée. ».
1192 Ainsi que le rappelle le professeur Larroumet, elle ne ressort pas de la preuve du dommage et de la simple intervention causale du produit. A ce titre, le régime est plus exigeant que celui posé par l’article 1384 al.1er du Code civil : C. Larroumet, préc. p 315. Egalement : J. Ghestin, De la responsabilité du fait des produits défectueux, JCP 1998.I.148.
1193 J. Ghestin, préc. n° 29.
1194 Cet avis est partagé par la majorité des auteurs. Notamment : J. Ghestin, préc. n° 33 ; G. Raymond, Premières vues sur la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, CCC. 1998, chron. n° 7. Cette idée n’est d’ailleurs pas en contradiction avec les développements de Christophe Jamin qui considère que « les juges pourront mettre ce qu’il veulent en fonction de leur perception, très largement subjective, de la sociologie du moment », Responsabilité civile, RTDC 1962.763. Le rôle des juges dans l’appréciation des contours d’une notion, fût-elle objective, rend en effet inévitable l’introduction de variables subjectives au stade de leur perception personnelle.
1195 Le souci de consacrer l’égalité de traitement entre les victimes, qu’elles soient ou non cocontractantes, traverse la thèse de l’auteur dans son ensemble : J. Huet, Responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle, essai de délimitation entre les deux ordres de responsabilité, thèse Paris, 1978. La même idée sera exprimée par Carole Degons dans le cadre de la protection des consommateurs : « La dualité des régimes apparaît ainsi comme un obstacle à l’effectivité du droit à la sécurité reconnu aux consommateurs. L’unification des responsabilités contractuelle et délictuelle constituerait un remède efficace contre les distorsions de traitement nées de leurs qualités entre les victimes, en ce que la responsabilité du professionnel serait engagée à raison d’un fait générateur unique, à savoir l’existence d’un même fait dommageable. Quel que soit le titre dont se prévaut la victime à l’encontre du professionnel, celui-ci est tenu des mêmes obligations, du moins lorsque la victime est un profane. », Analyse critique du concept de responsabilité contractuelle, thèse Paris XI 2001, n° 300 p. 221-2.
1196 Sur la question : Y. Brissy, Problématique du risque de développement, D. aff. 1998.2004.
1197 Art. 1386-11 4°.
1198 C. Jamin, Responsabilité civile, préc. p. 763.
1199 Préc.
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