Chapitre I. Consécration indirecte
p. 171-216
Texte intégral
1166. Malgré l’évolution considérable des mentalités, l’approche moderne n’est pas toujours consacrée de manière directe par le droit positif. Différents obstacles s’y opposent qui relèvent de la technique ou de la politique juridique. Le recours aux concepts traditionnels, seraient-ils interprétés de manière renouvelée, propose en effet un tableau paisible de la vie juridique. Reposant sur un principe d’interprétation souple, il offre aux juges les moyens de s’adapter aux différentes situations auxquelles ils sont confrontés ; fondé sur la classification traditionnelle, il dispense la doctrine de tout effort de redéfinition. Par ailleurs, il n’est parfois pas de moyen plus efficace pour servir un objectif que de le laisser dans l’ombre. Il ne faut pas négliger l’avantage constitué par l’absence de contradiction réelle sur l’objectif poursuivi : les moyens employés concentrent toute l’attention des commentateurs.
2La consécration indirecte de la thèse moderne se caractérise par la conjugaison de deux phénomènes. La persistance des notions traditionnelles et la modification de la sélection effective des faits éligibles à la qualification. La définition des sources reste identique ; en revanche sont modifiées les circonstances matérielles sur lesquelles repose leur qualification. Le bouleversement pourra alors se faire dans le sens d’une plus grande propension des juges à caractériser l’existence de la notion : il s’agira du phénomène d’érosion des sources techniques (Section 1). A l’opposé, pourront être rendues plus nombreuses les circonstances justifiant l’opération de qualification : se manifestera alors le processus de renforcement des sources techniques (Section 2).
SECTION 1. L’ÉROSION DES SOURCES TECHNIQUES
3167. L’érosion des sources techniques se définit comme l’abaissement du seuil de sélection des faits éligibles à la qualification. A travers l’appréciation des faits, le juge se montre de moins en moins exigeant pour donner naissance à l’obligation : il caractérise plus facilement les circonstances auxquelles renvoient les concepts. Aussi ces derniers se voient-ils peu à peu vidés de leur substance : maintenus à l’état de condition purement artificielle, ils seront le lieu d’épanouissement de la thèse moderne. L’introduction de la thèse moderne se réalise alors de manière d’autant moins brutale que l’agencement des sources techniques reste rigoureusement le même.
4La naissance de l’obligation repose sur un ensemble de circonstances qui intéressent à la fois le débiteur et le créancier. Aussi la diminution de la fonction de sélection des notions peut-elle avoir deux objets différents. Elle peut tout d’abord concerner l’élément passif : le fait considéré en la personne du débiteur. Ainsi la volonté contractuelle a-t-elle subi un puissant phénomène d’érosion (§1). Mais l’affaiblissement peut aussi concerner l’élément actif : la notion de préjudice a été affectée par le même processus (§2).
§ 1. Érosion de la volonté contractuelle
5L’érosion des sources techniques revêtira différents degrés. En certaines occurrences, elle aura pour vertu de gonfler le lien obligatoire : le débiteur a voulu s’engager dans le lien contractuel. Toutefois sa volonté n’embrasse pas l’ensemble des prescriptions définies par le juge : le phénomène illustre le processus d’érosion partielle de la volonté contractuelle (A). En d’autres circonstances, l’érosion aura pour conséquence la création du lien obligatoire lui-même : l’analyse concrète des circonstances rend improbable l’existence d’un accord de volonté. L’érosion sera alors totale (B).
A. Érosion partielle
6Dans le cadre du mouvement de consécration indirecte de la thèse moderne, le gonflement du lien obligatoire sera réalisé grâce à l’utilisation du concept de bonne foi. S’il peut paraître vain d’apporter une définition unitaire de la notion, son étude rassemble autour de l’idée qu’elle est source d’obligation612. L’article 1134 alinéa 3 est devenu le siège de nombreuses normes de comportement (1) dont l’analyse doit être faite (2).
1. Manifestations
7168. L’article 1134 alinéa 3 du Code civil aura d’abord pour fonction d’assurer une utilité à l’engagement du créancier. La bonne foi obligera le débiteur à « répondre à la confiance de son créancier en offrant d’exécuter de la façon la plus utile possible, en présence d’un contrat qui n’a pas prévu toutes les modalités de son exécution. »613. Dans cette perspective, l’obligation de renseignement est le corollaire de l’obligation de coopération614. Contrairement à l’obligation d’information qui précède la conclusion du contrat615, elle sera pleinement intégrée au champ contractuel. Pour ce faire, le juge aura recours au critère fondé sur la finalité de l’obligation révélé et défendu par Muriel Fabre-Magnan616 : dès lors que l’obligation d’information a pour objet, non pas de garantir l’intégrité du consentement mais d’assurer la bonne exécution du contrat, elle doit être intégrée au contenu contractuel617. L’obligation d’information est totalement dissociée de la théorie des vices du consentement. Quittant le terrain de la formation du contrat pour rejoindre celui de l’exécution, elle vient en grossir le cœur pour assurer le meilleur profit. Qu’il prenne la forme d’une obligation d’information ou non, le devoir de coopération lato sensu consistera donc pour le débiteur à faire en sorte que le cocontractant tire la meilleure utilité de la situation618.
8La bonne foi aura également pour effet de faire naître une obligation dans le but d’assister le cocontractant. Le juge appréhendera alors le débiteur dans une situation de faiblesse pour lui faire bénéficier d’une créance de coopération. Quelques arrêts célèbres témoignent de cette volonté de rééquilibrage des relations contractuelles. Le 25 février 1992 était rendue une décision qui semble attester de l’influence grandissante de la bonne foi dans l’émergence de l’obligation de coopération. En l’espèce, une salariée avait été licenciée pour suppression de poste. Or, quelques jours après seulement, le poste était occupé par une personne dans des conditions plus favorables pour l’employeur619. Alors que la cour d’appel s’était contentée de condamner l’employeur pour absence de cause réelle et sérieuse de licenciement, la Cour de cassation considéra que « l’employeur, tenu d’exécuter de bonne foi le contrat de travail, a le devoir d’assurer l’adaptation des salariés à l’évolution de leur emploi. »620. Si la décision a été rendue dans le cadre des relations entre employeur et salarié, son impact dépasse largement le strict cadre du droit du travail : alors qu’elle aurait pu se contenter de l’application des règles dérogatoires au droit commun, la Cour suprême se fonda sur l’article 1134 alinéa 3 du Code civil621. Les juges caractérisent l’existence d’une obligation par le recours à un raisonnement par induction qui mêle habilement droit commun et droit du travail : à partir du constat de la violation des règles du licenciement, les hauts magistrats remontent en amont pour dégager une règle de conduite de portée générale. Ce faisant, ils utilisent les ressources offertes par le droit spécial pour les mettre au service de la théorie générale des contrats. Pierre-Yves Verdinkt a fait observer que « Les mécanismes correcteurs de l’inégalité que le contrat de travail met en place peuvent servir de modèles dans toutes les situations contractuelles construites sur une base inégalitaire ou produisant une inégalité »622. L’exemple le plus caractéristique du contrat déséquilibré623 est pris comme modèle pour la redéfinition des obligations qui unissent les parties. De la sorte, l’idée de solidarité fait son apparition au sein de la relation contractuelle pour en remodeler les contours.
9La décision Expovit allait être confortée quelques mois plus tard par la célèbre décision Huard. Par un arrêt de la Chambre commerciale du 3 novembre 1992, la Cour de cassation considéra qu’une compagnie pétrolière avait manqué à son obligation d’exécuter le contrat de bonne foi en privant son cocontractant des moyens de pratiquer des prix concurrentiels624. Le refus traditionnel de consacrer la théorie de l’imprévision a conduit la Cour à dégager l’existence d’une obligation de renégiociation du contrat fondée sur l’exigence de bonne foi. Certes, la décision peut être interprétée comme le témoignage de la volonté de conférer indirectement une application aux règles du droit de la concurrence, telle que l’article 36-1 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ne puisse être contournée625. Il n’en reste pas moins que la bonne foi a été sollicitée626 et qu’elle a pour conséquence l’émergence d’une obligation de renégociation dans les contrat-cadres. « Franchement conquérante »627 , la bonne foi est à la source d’obligations accessoires, destinées à assurer, en plus de l’utilité de la convention628, le respect d’une conception renouvelée du contrat, traversée désormais par l’exigence de solidarité. Et si l’arrêt désormais célèbre de la première Chambre civile du 16 mars 2004 a fait l’objet d’interprétations divergentes629, il n’en reste pas moins que la notion de bonne foi joue un rôle grandissant en jurisprudence630. De la notion, le droit positif a encore récemment extraites les obligations de cohérence631 ou de motivation632.
10169. Plus encore que ces décisions ponctuelles, l’évolution de la jurisprudence sur la détermination du prix a conduit le juge à conférer un rôle central à la bonne foi. Conscient des conséquences désastreuses de sa jurisprudence en matière de fixation du prix633, le juge est revenu sur sa jurisprudence par l’arrêt Alcatel634 et les décisions du 1er décembre 1995635 en proposant un changement radical de perspective. Quittant le terrain de la formation du contrat pour rejoindre celui de l’exécution, l’Assemblée décida que l’article 1129 du Code n’est pas applicable à la détermination du prix. Sauf lorsque la loi en décide autrement, le montant peut donc en être fixé de manière unilatérale. Seul l’abus dans la fixation peut être sanctionné par la voie de la résiliation ou l’allocation de dommages-intérêts sur le fondement de l’article 1134 alinéa 3 du Code civil.
11En faisant sortir la fixation du prix des éléments nécessaires à la formation du contrat, le juge a fait rentrer dans le cadre même des obligations contractuelles la détermination du prix. L’exigence d’exécution de bonne foi des conventions se traduit désormais par l’obligation de fixer un prix nonabusif636. Alors que l’idée de proportionnalité ne pénétrait que difficilement le droit positif relatif à l’exécution des contrats, une brèche formidable est ouverte dans laquelle elle va pouvoir s’engouffrer637par l’emploi d’une vision objective de la bonne foi638. Bien que la jurisprudence se propose de ne sanctionner que les abus manifestes, il est évident que la fonction dévolue à la bonne foi s’inscrit parfaitement dans l’entreprise de protection. Simple correction à la marge du principe de liberté dans la fixation du prix ou consécration indirecte de la lésion, elle aura pour conséquence d’atténuer les effets de l’inégalité contractuelle.
2. Analyse
12170. La bonne foi est donc mise au service d’une entreprise de protection. Quoique le juge en justifie la naissance par référence à la personne du débiteur, l’obligation générée n’est pas le fruit de la liberté de ce dernier. Elle puise sa source substantielle dans la volonté de protéger le contractant ainsi affublé d’une nouvelle créance. Articulées autour de l’idée unique de loyauté dans l’exécution du contrat639, ses différentes manifestations témoignent de la volonté d’assurer la meilleure protection possible : les idées d’utilité, d’assistance et de coopération attestent pleinement de l’abandon de la perspective classique640. La bonne foi sert la « consécration prétorienne de nouvelles obligations qui traduisent une éthique de solidarité et de communauté d’intérêts. »641. Le créancier de l’obligation se voit garanti contre les excès du cocontractant : le juge est devenu « l’artisan de la justice contractuelle »642. La notion constitue un instrument précieux mis entre les mains des tenants de la thèse moderne.
13Le recours à l’alinéa 3 offre l’avantage de faire basculer le centre de gravité de l’article 1134 du Code civil : à travers l’analyse des sources substantielles, il est possible d’affirmer avec Christophe Jamin qu’« il ne constitue pas une correction à la marge du principe de force obligatoire affirmé à l’alinéa 1er mais un renversement de son fondement. »643. Par induction, c’est la finalité même du contrat qui s’en trouve renouvelée. A un contrat conçu exclusivement comme le lieu d’opposition entre intérêts se substitue un contrat où la recherche d’un profit personnel n’exonère pas du devoir de collaboration et d’entraide : le solidarisme gagne du terrain en même temps que l’individualisme recule. Le mouvement amorcé depuis longtemps par le groupe social trouve sa traduction dans le domaine contractuel : lancée par les exigences de l’Etat-providence, l’idée de solidarité a fait son chemin pour trouver enfin une traduction dans le domaine contractuel644. De la conscience citoyenne des obligations sociales découle la conscience judiciaire des obligations contractuelles. Autrefois considérées exclusivement comme des adversaires aux intérêts divergents, les parties sont de plus en plus envisagées comme les différents participants à une œuvre commune. Ainsi que l’exprime le professeur Mazeaud, « le creuset de l’intérêt commun des parties est le siège d’une union sacrée entre les contractants face à la crise qui peut frapper l’un des partenaires »645.
14171. La bonne foi est d’autant plus efficace qu’elle ne se laissse pas enfermer dans de strictes limites. Loin de constituer une notion technique aux contours précis, elle est une notion-cadre qui peut se couler dans différentes manifestations : « L’immensité de leur étendue (la bonne foi et la loyauté) donne le vertige à quiconque tente d’en déterminer les limites. »646. Ainsi que l’a fait observer Philippe Stoffel-Munck, le concept n’est pas réductible à une obligation : dépourvue de tout contenu normatif précis, il ne répond pas aux critères traditionnels de l’obligation647. L’auteur en conclut qu’il doit être exclu du champ contractuel. Confortée par le développement de l’exigence de bonne foi sur le terrain de la formation du contrat648, la conclusion n’en est pas moins excessive. Pour la maintenir dans le champ du contrat comme y invite le texte de la loi lui-même, il suffit de voir en la bonne foi autre chose qu’une obligation générée par le contrat. Si l’auteur plaide en faveur de sa délictualisation, c’est parce qu’il refuse cette idée649. En tant que principe d’interprétation du contenu du contrat, elle imprime un souffle à l’engagement du débiteur. Notion « ouverte »650, elle est la source de différentes obligations.
15172. Mis au service de la thèse moderne, le recours à la bonne foi n’en offre pas moins l’avantage de respecter en apparence le postulat classique. L’ordre technique traditionnel n’est en rien affecté par l’utilisation ainsi faite de la notion de bonne foi. La notion est pourvoyeuse d’obligations parce qu’elle décrit une manière d’être du cocontractant651. De la sorte, elle permet de renforcer le contenu du contrat sans qu’aucune obligation ne soit rajoutée frontalement au contrat. Elles sont tout au contraire présentées comme les accessoires nécessaires pour réaliser l’obligation principale avec le degré de diligence qui s’impose652. Filles de « l’inévitable incomplétude des contrats »653, elles n’apparaissent pas comme une menace pour la liberté du débiteur dans la mesure où ce dernier a librement consenti à l’obligation essentielle. Au surplus, la bonne foi renvoie directement à la subjectivité du débiteur. Elle est même la subjectivité à l’état pur car elle décrit l’intériorité de la personne plus qu’une attitude. Son emploi peut donc difficilement être mis sur le compte d’un mouvement général d’objectivisation du contrat, vecteur d’introduction privilégié de la thèse moderne. François Collart-Dutilleul a fait observer fort opportunément qu’ « à trop vouloir expliquer les nouveaux devoirs des contractants par la référence obligée à un article 1134 (…) on bride l’évolution du droit des contrats et on maintient ce dernier dans une conception d’autonomie qui procède de celle, pourtant abandonnée, de la volonté individuelle »654.
16Il s’ensuit donc que la définition technique du contrat n’est en rien entamée par l’utilisation faite de la notion. Le contrat reste imprégné des philosophies individualistes et subjectivistes. Ainsi que l’a rappelé avec précision Thiery Revet, l’analyse classique du contrat n’est ébranlée qu’à la condition de se livrer à l’analyse des sources substantielles de l’obligation : « La crise du subjectivisme naît du constat de la discordance entre les conceptions volontaristes et certaines situations contractuelles concrètes »655. Quoique traversé par un nouvel esprit, le contrat demeure techniquement un accord de volonté à l’effet de produire des conséquences juridiques dont la totalité aura été voulue par les parties. Le procédé technique utilisé diffère radicalement de l’adjonction pure et simple de nouvelles obligations sur le fondement des articles 1134 alinéa 1 et 1135 du Code civil. Le recours à la bonne foi illustre donc parfaitement le processus de consécration indirecte de la thèse moderne.
17173. Cette lecture du droit positif rend possible la conciliation entre les deux thèses qui s’opposent sur le sens qu’il convient de conférer à l’article 1134 alinéa 3 du Code civil656. Une doctrine ancienne y voyait le simple prolongement de l’autonomie de la volonté : la marque subjective de la bonne foi la plaçait naturellement sous la bannière classique. De surcroît, il est conforme à la doctrine classique que le débiteur fasse tout ce qui est en son pouvoir pour respecter sa parole. Désormais les auteurs sont beaucoup plus enclins à y déceler au contraire la marque de l’infléchissement de la doctrine classique : l’accent est mis sur la finalité des obligations générées par le principe de bonne foi. L’analyse de l’habillage technique utilisé est abandonnée au profit de l’étude des circonstances concrètes de naissance de l’obligation. Où l’on voit que bien qu’elles soient présentées comme antinomiques, les deux conceptions de la bonne foi sont en réalité parfaitement compatibles : si dans l’ordre technique, la bonne foi s’inscrit parfaitement dans la thèse classique, dans l’ordre substantiel, la notion est mise au service de l’entreprise de protection. Par l’érosion partielle des sources techniques qu’elle consacre, elle participe du développement de l’approche moderne. Regrettable en soi, l’écart entre sources techniques et sources substantielles constitue l’espace dans lequel viennent se lover les nouveaux impératifs.
18Cette place singulière de la bonne foi explique sans doute son succès en droit positif mais également son maintien dans l’avant-projet de réforme du droit des obligations. La bonne foi y tient la meilleure place qu’on puisse imaginer : elle reste inscrite en l’article 1134 alinéa 3. Elle reste donc accolée à la force obligatoire du contrat. De surcroît, d’une manière générale, y a-t-il un meilleur signe de l’attachement des auteurs à un outil technique que le choix de l’y faire figurer en la même place ? Sans prêter aux auteurs des intentions qu’ils n’ont peut-être pas657, il est loisible d’y voir une marque de révérence pour la notion et le rôle qu’elle joue aujourd’hui : la stabilité formelle est sans doute un signe fort de l’attachement dont témoigne la doctrine pour le concept.
B. Érosion totale
19L’érosion des sources techniques peut également avoir pour conséquence la création du lien obligatoire lui-même : expression ultime de cette forme de consécration indirecte, le phénomène s’est illustré à travers la stipulation pour autrui (1) et la convention d’assistance (2).
1. La stipulation pour autrui
20174. Consacrée en l’article 1121 du Code civil puis développée par un travail jurisprudentiel audacieux658, la stipulation pour autrui est aujourd’hui l’une des techniques traditionnelles offertes par le droit des obligations. Tempérament à l’article 1165 du Code, elle constitue un instrument précieux au service de la transmission des obligations : le tiers bénéficiaire peut profiter d’un droit659 sans avoir été partie au contrat. Il ne faut donc pas s’étonner qu’elle régisse de nombreuses figures contractuelles660 et qu’elle serve notamment de cadre théorique à la compréhension du mécanisme du contrat d’assurance661.
21Ainsi la stipulation pour autrui a reçu les faveurs du juge au point que celui-ci en constata l’existence en l’absence de volonté manifeste de contracter. Inaugurant une longue épopée jurisprudentielle, le juge eut d’abord recours à cette technique pour le transport de biens662. Par la suite, la même solution fut adoptée en faveur des personnes par une décision du 6 décembre 1932 qui décida « qu’en cas d’accident mortel survenu en cours d’exécution du contrat, le droit d’obtenir réparation du préjudice s’est ouvert, en vertu de l’article 1147, C. civ., au profit du conjoint et des enfants de la victime en faveur de qui celle-ci a stipulé, sans qu’il ait été besoin de le faire expressément »663 . Cette décision a pris acte de l’intégration de l’obligation dans le contenu du contrat par la décision du 21 novembre 1911664 : dès lors que « la compagnie des chemins de fer assume envers la personne transportée l’obligation de la conduire saine et sauve à destination »665, pourquoi se priver d’en faire profiter les ayants cause de la victime ?666 Il eût été contestable de leur refuser ce que l’on avait octroyé à la victime directe. La solution comporte de nombreux avantages : elle dispense la victime de rapporter la preuve d’une faute667et présente comme principal atout d’assurer une parfaite égalité entre les victimes directes et indirectes668. De surcroît, elle évite toute discussion sur la portée du principe de non-cumul669.
22Il était donc particulièrement tentant pour les juges de feindre d’en déceler les éléments constitutifs et d’en caractériser l’existence. Parce que la stipulation pour autrui constitue un contrat670, l’opération doit respecter les conditions de formation de l’acte juridique671. Or, la doctrine classique enseigne que seule la volonté des parties est habilitée à générer des obligations dans le contrat. Le juge va donc relever l’existence d’une hypothétique volonté contractuelle. Il n’en reste pas moins qu’au plan substantiel, l’intérêt du bénéficaire a remplacé la volonté contractuelle comme cause efficiente de l’obligation : « qui prétendrait que le voyageur, en demandant au guichet son billet de chemin de fer, a eu la pensée de stipuler le paiement d’une indemnité à ses proches en cas d’accident mortel ? »672. La stipulation pour autrui est donc un instrument d’introduction indirecte de la thèse moderne en droit positif. Les développements de David Balestriero témoignent d’ailleurs largement de ce décalage entre source technique et source substantielle : « Le besoin de se rattacher à la volonté comme source créatrice d’obligations transparaît de manière significative dans la méthode retenue par la jurisprudence : pour étendre les obligations du contrat au bénéfice des personnes qui n’étaient probablement pas comprises dans la convention des parties, donc pour aller au-delà de la volonté contractuelle, le juge s’appuie précisément sur la volonté des parties. »673.
23175. L’absence de volonté expresse de s’engager pour autrui recèle toutefois deux réalités différentes. Ainsi que l’a montré Monsieur Techndjou dans sa thèse de doctorat, la volonté tacite de contracter doit être parfaitement distinguée de la volonté présumée674. Pour la stipulation pour autrui comme pour toute autre figure contractuelle, la volonté tacite suppose l’examen de l’attitude du cocontractant : le comportement de l’agent doit révéler son désir de s’engager. Elle ne diffère donc pas dans la philosophie des manifestations de volonté expresses dans la mesure où elle est encore la « traduction de volontés réelles »675. En revanche, dans le cas de la volonté présumée, le juge dégage l’existence de la volonté contractuelle sans considération pour les circonstances concrètes. Il s’agit là du « produit de la fiction et de l’imagination »676. Comme l’ont exprimé de manière synthétique les professeurs Larroumet et Mondoloni, « C’est une chose que de rechercher la volonté des parties lorsque celle-ci ne s’est pas clairement exprimée, c’en est une autre que de la présumer là ou elle ne correspond pas à ce que les parties ont pu vouloir. »677.
24Une distinction doit alors s’opérer entre volonté tacite et volonté présumée au regard de l’atteinte portée à la thèse classique. Il ressort de cette analyse que la prise en considération de la volonté tacite ne contrevient pas au postulat de l’autonomie de la volonté. Dès lors que la personne a révélé par son attitude son intention de contracter, elle s’est engagée librement dans les liens du contrat. Les principes fondamentaux de l’autonomie de la volonté sont d’ailleurs respectés scrupuleusement : non seulement les modalités ont été choisies librement, mais encore le droit épouse au plus près la volonté du débiteur. L’effet obligatoire de la volonté tacite vient seulement heurter les principes de la théorie de la volonté déclarée : elle reste parfaitement compatible avec la thèse de la volonté interne.
25Tel n’est évidemment pas le cas de la volonté présumée, constituée de toute pièce par le juge. Le recours à ce procédé signale une atteinte à la thèse classique : le débiteur est engagé sans l’avoir voulu. Et si la justification technique à la naissance de l’obligation reste identique, la liberté n’est plus la source substantielle de l’obligation. Le recours à la stipulation pour autrui en l’absence de toute volonté exprimée -implicitement ou explicitement - illustre donc le processus de consécration indirecte de la thèse moderne.
26176. L’évolution du contexte juridique a fait perdre une partie importante de son intérêt à la stipulation pour autrui utilisée à des fins réparatrices. L’amélioration de la réparation fondée sur la responsabilité délictuelle a rendu inutile sinon dangereuse l’application des règles du contrat. De surcroît, l’obstacle tiré de la règle du non-cumul a disparu avec le caractère personnel et direct du dommage subi par la victime par ricochet : dès lors que l’on considère que le parent survivant ne tient plus ses droits par la médiation de son auteur678, il bénéficie de l’article 1382 du Code civil sans mettre en péril le principe du non-cumul. Malgré cela, l’institution est encore sollicitée pour obtenir la réparation de dommages causés à l’occasion de l’exécution d’un contrat679 quand elle n’est pas un instrument de justice contractuelle par adjonction d’obligations accessoires680. Elle demeure « l’une des institutions les plus vivantes de notre droit des obligations »681. Elle est en effet utilisée à titre subsidiaire par les victimes : la faculté de renoncer à la stipulation a été utilisée pour tourner les règles du non-cumul682. Aussi la victime médiate peut se voir appliquer les règles de la responsabilité délictuelle dès lors que celles-ci s’annoncent être plus avantageuses683. S’il n’est pas choquant que la victime médiate bénéficie des règles du droit commun, seraient-elles plus avantageuses que la loi du contrat684, il est en revanche regrettable de supprimer toute possibilité de prévision juridique. Et la loi du 19 mai 1998 sur les produits défectueux ne fait que rajouter à l’impossibilité pour le créancier de déterminer le régime applicable. Libre d’en invoquer ou non le bénéfice, la victime par ricochet d’un dommage causé à une personne aura à sa disposition trois corps de règles différentes : le contrat initial, la responsabilité délictuelle ou à son choix, le droit des produits défectueux.
2. La convention d’assistance
27177. Le développement de la convention d’assistance est parti d’un constat amer : le bon samaritain ne bénéficiait en droit d’aucune protection particulière. Aussi la victime blessée lors d’une intervention bénévole a longtemps été laissée sans recours par la jurisprudence. Quel triste système que celui qui consacre l’indifférence ! Sans même évoquer les vertus prophylactiques du droit civil ou les prescriptions du droit pénal685, il y a là de quoi désespérer du système juridique686.
28La jurisprudence a bien tenté de faire application du droit commun pour déclarer l’assisté responsable. Il fallait alors surmonter les difficultés liées à l’existence d’un fait générateur spécifique687. Mais surtout celles relatives au lien de causalité : le fait de la victime venait s’interposer entre le fait générateur et le dommage688. Pas plus le mandat n’était-il adapté en raison de son objet : il est traditionnellement considéré comme portant sur des actes juridiques689. L’enrichissement sans cause, quant à lui, n’était guère plus adapté pour des raisons relatives à ses effets : la double limitation dans le calcul de l’indemnité. Enfin, l’état de nécessité fut présenté par le doyen Savatier comme la solution idoine690. La solution est pour le moins originale qui consiste à élever une cause d’irresponsabilité au rang de source des obligations dès lors qu’elle désigne la situation dans laquelle a été placé autrui. Aussi ne fut-elle consacrée qu’avec une extrême parcimonie691.
29178. C’est alors sur le contrat que la Cour de cassation jeta son dévolu. Par un arrêt du 27 mai 1959, elle inaugure une longue épopée jurisprudentielle : de l’aide fut apportée à un chauffeur de poids lourd dont le camion s’était embourbé. L’assisté donna un coup de pioche qui n’était pas imputable à faute. L’assistant reçut une pierre dans l’œil. La première Chambre civile de la Cour de cassation décida que « les circonstances suffisent à établir entre les parties l’existence d’un lien contractuel »692 et que la « convention d’assistance » intervenue oblige l’assisté à réparation. Ainsi était lancé un défi à l’individualisme contemporain, un appel aux velléités héroïques qui résident en chacun de nous. Ce faisant, la cour porta un coup sévère à la doctrine classique.
30179. Pour plusieurs raisons, cette incitation jurisprudentielle à l’altruisme prend appui sur une conception du contrat totalement irrespectueuse du postulat classique. En premier lieu, les circonstances concrètes rendent souvent impossible l’existence de la rencontre d’une offre et d’une acceptation, que l’ensemble des intervenants soient conscients693 ou non. Le juge a toutefois montré qu’il ne se laissait pas arrêter par si peu : la volonté fut présumée dès lors que l’intervention était réalisée dans l’intérêt exclusif de l’assisté694. Le recours à la notion de présomption de volonté va naturellement à l’encontre de l’axiome classique. De surcroît, quand bien même y aurait-il eu rencontre des volontés, celle-ci eût été inapte à générer des effets de droit dans une conception traditionnelle du contrat : l’accord de volonté n’a manifestement pas ici pour objet de créer des effets de droit695. L’intention contractuelle est réduite à la seule volonté de rendre service chez le créancier et l’acceptation de l’aide chez le débiteur : il n’y a nulle volonté de se voir appliquer un régime juridique particulier en application des règles prévues par la société. Or, si celle-ci peut varier considérablement selon la conscience juridique de la personne et les circonstances696, elle n’en constitue pas moins un élément essentiel de la volonté contractuelle697. Et que celle-ci soit recherchée par comparaison avec des modèles de référence n’enlève rien à la force de l’affirmation : pour les défenseurs de la doctrine classique, il ne s’agit là que d’indices objectifs destinés à caractériser l’existence de la volonté contractuelle. Une obligation contractuelle est née en l’absence même de toute volonté de s’engager : la notion traditionnelle de contrat est menacée, et partant l’ensemble de la théorie classique des sources. Aussi ne faut-il pas s’étonner de ce que cette solution ait été interprétée « non seulement comme une atteinte considérable à la liberté contractuelle mais encore comme une hérésie juridique, menaçant de bouleverser toute la cohérence de notre droit des obligations. »698.
31180. La finalité réparatrice conférée au contrat conduit la jurisprudence à faire une application pour le moins généreuse du principe dégagé. La réparation est étendue à des faits qui dépassent le strict cadre de l’opération elle-même699 ou qui font partie intégrante d’une relation contractuelle prééxistante700. De la même manière, la réparation du dommage n’est pas limitée aux dommages corporels701 et n’est guère inquiétée par l’article 1150 du Code civil702. Mais surtout la jurisprudence n’a pas hésité à faire reposer sur la tête de l’assistant une obligation de garantie du dommage causé à un tiers : selon la première Chambre civile, « une telle convention comporte nécessairement, pour l’assisté, l’obligation de garantir l’assistant de la responsabilité par lui encourue, sans faute de sa part, à l’égard de la victime d’un accident éventuel, que cette victime soit ou non un autre assistant »703. Pour reprendre les termes du professeur Delebecque : « Voilà l’assisté transformé en assureur ! »704.
32Au plan pratique, les conséquences néfastes de cette jurisprudence ne se firent pas attendre. Dès 1959, le professeur Esmein a fait remarquer que la solution était en porte-à-faux avec la jurisprudence sur le transport bénévole705. L’avenir allait conforter cette analyse. De surcroît, le principe de non-cumul interdit aux victimes d’invoquer l’article 1384 alinéa 1 du Code civil et eut pour conséquence d’exclure du champ de l’assurance les dommages provoqués706. Par ailleurs, il existe un risque réel à ce que l’assistant bénévole soit moins bien traité que les tiers707 : si le juge suit le même mouvement qu’en matière d’obligation de sécurité, l’obligation générée recevra la qualification d’obligation de moyens, cependant que les tiers auront à leur disposition l’article 1384 alinéa 1 du Code civil.
33181. En s’évertuant à caractériser la volonté contractuelle là où son existence fait défaut, la Cour adopte la même ligne de conduite qu’en matière de stipulation pour autrui présumée. Elle porte un coup sévère à la doctrine classique en ce qu’elle fait éclore des obligations qui n’ont pas été voulues par le débiteur. En la personne du débiteur, celle-ci ne consiste aucunement en un usage de la liberté. A l’évidence, c’est la seule réparation du dommage subi par l’assistant qui explique la position de la Cour de cassation. Toutefois, si elle est mise au service d’une politique radicalement nouvelle, la source technique utilisée reste la même : fût-elle dégagée à partir de rien, la volonté contractuelle reste la volonté contractuelle. Les conditions concrètes de naissance de l’obligation ont pu évoluer, les concepts techniques employés sont restés rigoureusement les mêmes.
34182. De la sorte, la jurisprudence apporte une nouvelle contribution à la création des fictions juridiques par objectivisation de la volonté708 : l’écart entre la source technique et la source substantielle forme l’espace dans lequel vient se lover la fiction juridique. L’instrument technique est mis au service d’une entreprise de protection709. En sollicitant ce procédé technique bien connu, l’approche moderne a gagné du terrain sans pour autant remettre en cause directement le postulat classique. Le recours à la fiction juridique atteste d’un attachement profond pour l’approche traditionnelle : c’est encore lui faire honneur que de fonder sur une approche classique des solutions manifestement inspirées par la doctrine moderne. En ce sens, il est même possible d’affirmer que dans l’ordre des symboles, la convention d’assistance rend le meilleur hommage que l’on puisse imaginer à la théorie traditionnelle. Résumant la pensée de Betti, Giuseppe Zacarria expliquera que l’éminent auteur voyait dans cet expédient « l’indice d’une mentalité individualiste qui reconnaît la source des effets juridiques dans la souveraineté de la volonté privée. »710.
§2. L’érosion du préjudice réparable
35Pour donner naissance à l’obligation de réparation, le préjudice doit remplir un certain nombre de conditions. Il doit d’abord être la conséquence identifiée d’un fait générateur de responsabilité. Aussi, l’existence d’un lien de causalité doit être démontrée entre le fait dommageable et le préjudice (A). De surcroît, le préjudice doit justifier de certains caractères. Si l’ensemble de ces éléments constitutifs ont été distendus, une condition a subi tout particulièrement l’effet de l’érosion : la condition de légitimité (B).
A. L’érosion du lien de causalité
36183. Bien que son existence soit dictée par le bon sens, le lien de causalité peut être défini de différentes manières. Et selon l’approche qui sera retenue sera privilégiée ou non une politique de protection. Que la causalité soit appréhendée de manière stricte et alors prévalera la liberté du débiteur. A l’inverse, une définition souple du lien de causalité sera mise au service de l’accroissement de la protection.
37La vision étroite de la causalité sera d’abord servie par la théorie de la causa proxima : seul sera retenu le dernier évènement identifié. La théorie de la causalité adéquate aura également pour effet d’alimenter la thèse classique à travers une appréciation stricte de la probabilité : ne seront éligibles au rang de faits générateurs que les évènements qui recèlent en eux-mêmes une forte probabilité de réalisation du dommage. A l’inverse, deux facteurs contribuent à installer l’approche moderne en droit positif : l’appréciation souple du lien de probabilité en application de la théorie de la causalité adéquate, d’une part, et le recours à l’équivalence des conditions, d’autre part.
38184. Dans le cadre de l’application de la théorie de la causalité adéquate, une question taraude la jurisprudence : la preuve du lien de causalité peut-elle ou non résider dans la démonstration de l’absence d’une autre cause probable ? Offerte à l’appréciation récente des magistrats de la Cour suprême, la question s’est donc posée de savoir si le raisonnement pouvait s’opérer par la négative. Après avoir tenu dans un premier temps en respect ce raisonnement711, la première Chambre civile s’y conforma et déduit l’intervention causale d’un produit défectueux de l’absence d’autres facteurs probables : elle assouplit notoirement sa vision de la causalité712. Ce faisant, la notion de probabilité fut appliquée dans un nouvel esprit : la probabilité est traditionnellement sollicitée une fois le lien matériel établi, afin de qualifier l’intervention de la chose. Elle répond à la question suivante : de ce fait -dont il est acquis qu’il a contribué à donner naissance au dommage - était-il probable qu’un dommage en découle ? Or, par l’adoption d’un raisonnement par la négative, il était simplement hautement probable que le médicament ait participé à la réalisation du dommage : la démonstration préalable d’un lien de causalité matérielle n’avait pas été rapportée. La probabilité opère en amont et non pas en aval : de condition supplémentaire, elle est ravalée au rang de condition suffisante. Au sein même de l’application de la causalité adéquate s’opère donc un mouvement d’érosion du lien de causalité.
39185. Mais le phénomène d’érosion ne s’arrête pas là. Tandis que l’on croyait la théorie de la causalité adéquate bien assise en droit positif713, la théorie de l’équivalence des conditions a fait de belles percées en droit positif. Ainsi, la première Chambre civile de la Cour de cassation décida en 1998 qu’une opération chirurgicale défectueuse était la cause du préjudice subi à l’occasion de la réalisation d’une autre intervention rendue nécessaire par la première714. Dans la même veine, la deuxième Chambre avait eu à connaître d’une affaire où une personne s’était brisé la cheville en chutant d’une remorque715. Conduite dans une clinique, la patiente fut victime d’une infection qui trouvait, semble t-il, sa source dans une faute médicale. Le propriétaire de la remorque - et son assureur - n’en furent pas moins déclarés responsables. Plus proche de nous, la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation rendit par un arrêt du 2 juin 2005 une décision emblématique716 : un éboueur se pique avec des aiguilles saillantes laissées par erreur dans des sacs à ordures par le concierge de l’immeuble où exerce le médecin utilisateur des seringues. Le commettant du concierge et le médecin sont déclarés responsables de l’infection contractée par l’éboueur. Et la liste pourrait s’allonger de ces décisions qui retiennent une conception distendue du lien de causalité : elle montrerait que les conducteurs fautifs ne sont pas plus à l’abri des affres de la causalité717.
40186. La théorie de l’équivalence des conditions a donc été utilisée en plusieurs occurrences par les juges. Mais ils n’en sont pas restés là. Par la célèbrissime décision Perruche et ses succédanés, l’Assemblée plénière a rendu des décisions qui conduisent à nourrir des interrogations sur la teneur du lien de causalité que n’a pas fait disparaître la loi du 4 mars 2002718. Une des interprétations possibles de l’arrêt interroge en effet le concept de lien causal.
41Les faits sont trop connus pour qu’il soit nécessaire d’y insister. Mal informée de l’évolution du fœtus, une femme met au monde un enfant handicapé. Elle demande alors au nom de l’enfant réparation du préjudice causé. Entérinant les décisions du 26 mars 1996719, l’Assemblée plénière fait droit à cette demande : « dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l’exécution des contrats formés avec Mme X avaient empêché celle-ci d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues »720. La décision fut reconduite à deux reprises en quelques mois à peine721 avant que n’intervienne le législateur722.
42Depuis lors, la Cour Européenne des Droits de l’Homme s’est prononcée sur la question par ses décisions du 6 octobre 2005723. Elle déclara incompatible l’amendement anti-Perruche avec l’article 1er du protocole n° 1 à la Convention Européenne des Droits de l’Homme. En prohibant l’action de l’enfant, la loi a institué un mécanisme de réparation forfaitaire du dommage sans rapport avec une créance de réparation intégrale. Il y aurait déséquilibre entre l’espérance légitime des parents au moment où ils ont introduit l’action et le résultat concret qu’ils vont en tirer. Puis les juridictions internes adoptèrent le même raisonnement : furent rendues les décisions de la première Chambre civile du 24 janvier 2006724 et la décision du Conseil d’Etat du 24 février 2006725. En se plaçant sur le terrain de l’application de la loi dans le temps, la jurisprudence a paralysé l’application de la loi pour les instances en cours. Pour l’ensemble des actions introduites avant le 4 mars 2002, la jurisprudence Perruche est donc encore de droit positif.
43187. Une interprétation de l’arrêt Perruche peut conduire à mettre en relation la faute et le handicap. Dans cette perpective, les contours classiques du préjudice sont respectés. Il reste alors à évaluer l’impact sur le lien de causalité. Deux raisonnements différents peuvent alors être tenus. Le premier invite à considérer le handicap à travers la malformation elle-même dont le fœtus est porteur. Dans cette optique la faute n’est nullement à l’origine du handicap dont les seuls aléas de la nature sont responsables726. L’exigence du lien de causalité est purement et simplement niée, quelle que soit la définition que l’on en retienne. Et la condamnation par le Conseiller à la Cour de cassation Pierre Sargos du « lien de causalité envisagé biologiquement »727 en constitue le meilleur aveu. Le second doit conduire à envisager le handicap comme la révélation du pouvoir de nuisance de la malformation. L’exigence d’un lien causal est alors maintenu, mais il en sort affaibli au point d’apparaître à l’état embryonnaire : la révélation du pouvoir de nuisance suppose la naissance728, laquelle repose sur la perte d’une chance de ne pas naître elle-même provoquée par la faute. La théorie de l’équivalence des conditions est alors sollicitée pour dépasser la naissance, elle-même affectée d’un aléa. Voilà donc mis bout à bout deux facteurs d’assouplissement du lien de causalité : la théorie de l’équivalence des conditions et la perte de la chance. Toutefois cette deuxième interprétation a été clairement écartée par la Cour de cassation elle-même qui refuse d’invoquer la notion de perte de chance729. Il est donc possible d’affirmer qu’au plan substantiel disparaît l’existence même du lien de causalité.
44188. Cette interprétation a donc pour conséquence de mettre ces décisions sur le compte du phénomène d’érosion du lien de causalité. Toutefois, si le relâchement du lien causal élève le seuil de la protection, certains ne manqueront pas d’en imputer la responsabilité à la volonté de sanctionner la faute730. Aussi ces décisions seraient moins le témoignage d’une augmentation de la protection que celui de la volonté de sanctionner le mauvais emploi de la liberté. Et de rappeler les différentes illustrations de la peine privée731 et la réparation du préjudice moral qui en a rendu possible le développement732. En matière de responsabilité médicale, l’argument a été développé pour défendre l’idée qu’il ne fallait pas redouter de voir l’enfant se retourner contre sa mère pour ne pas avoir avorté733.
45Si elle met en évidence le rayonnement incontestable de la faute, cette explication ne suffit toutefois pas à expliquer la réparation des préjudices qui n’auraient pas été causés par une faute734. Comment expliquer que le propriétaire d’un véhicule soit jugé responsable du dommage causé par l’alarme du véhicule ayant contribué à affoler des chevaux qui ont pris la fuite et heurté un autre véhicule ?735 Ou encore comment justifier la condamnation du fonds de garantie automobile alors que le préjudice effectif trouve sa source dans la carence fautive d’un assureur ?736 Ou encore comment comprendre la condamnation d’une commune sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1er du Code civil en réparation du préjudice commercial causé par un arrêté municipal justifié par un risque d’éboulement et ordonnant la fermeture de l’établissement ?737 Aucune faute n’est à reprocher au débiteur ; la théorie de l’équivalence des conditions ne vient pas moins compléter la notion d’implication. Le choix d’un lien de causalité très étroit puise donc sa raison d’être dans la volonté protectrice et non pas dans une hypothétique fonction comminatoire.
46Au-delà, il existe de nombreuses configurations où le lien de causalité assoupli est retenu en l’absence de toute faute du responsable. La perte de la chance en offre de multiples illustrations. La notion est destinée à servir de pont entre un fait générateur et un dommage. Entre ces deux éléments, le lien de causalité est affecté dans sa densité par l’introduction d’une étape intermédiaire et d’une variable aléatoire. En ce sens, la théorie de la perte de la chance constitue bien une forme d’appréciation renouvelée de la causalité d’un fait dommageable qui se traduit par un relâchement du lien causal738. A partir de la réalisation d’un préjudice, elle permet de saisir un fait dommageable que les théories traditionnelles de la causalité rendaient inaccessible. Et la vigueur de la théorie en droit positif est là pour rappeler combien les hypothèses sont nombreuses739.
47189. En matière de lien causal, la thèse classique n’a donc pas le monopole de la détermination du préjudice réparable. Il s'ensuit une impression générale de désordre et d’incertitude qui nuit fortement à la sécurité juridique et à la cohérence du système740. Tandis qu’un fort courant jurisprudentiel est animé par la volonté de réparer exclusivement le dommage que le comportement rendait probable, de nombreuses décisions sont traversées par l’impératif moderne et élargissent le préjudice réparable à l’ensemble des conséquences du fait générateur sans que l’existence d’un comportement défectueux ne puisse l’expliquer. La jurisprudence est donc traversée par des philosophies parfaitement contradictoires : la thèse classique coexiste avec la thèse moderne sans qu’il soit possible d’expliquer la différence de traitement.
B. L’érosion de la légitimité
48190. Au rebours de l’analyse précédente, une interprétation de l’arrêt Perruche est possible qui aurait pour conséquence de préserver le lien de causalité741 tout en relançant le débat sur la légitimité du préjudice : le préjudice est constitué par la naissance de l’enfant, lequel puise sa source dans la faute du médecin. Rendue nécessaire par l’opiniâtreté de la jurisprudence, la nature de l’intervention législative doit d’ailleurs conduire à préférer cette interprétation : c’est bien le préjudice qui est visé dans la loi du 4 mars 2002. Certes, le législateur ne sonde pas la conscience du juge. Mais la réalité positive de l’intervention législative doit néamoins conduire à explorer cette voie.
49La Cour de cassation aurait camouflé son raisonnement derrière une tournure lénifiante, quoiqu’elle s’en défendâ par son arrêt du 28 novembre 2001742. Dans cette perspective, le lien de causalité, quoique particulièrement lâche, existe bien743. En l’absence de la faute, la femme aurait avorté ; à tout le moins aurait-elle probablement avorté744. Contrairement à ce qu’a parfois affirmé la doctrine745, il est possible de faire appel à la notion technique de perte de chance dans la mesure où l’événement ne dépend pas de la volonté du fœtus, lequel ne saurait être confondu avec la mère746. Plutôt que dans le fait de ne pas être né, le préjudice résulte donc de la perte d’une chance de ne pas naître. Dès lors que l’on considère que le dommage est constitué par l’existence et non par le seul handicap, il existe donc bien un lien de causalité, quoiqu’affecté par un aléa.
50L’interposition de la notion de perte de chance ne doit toutefois pas masquer la question sous-jacente : en application de quelle méthode doit être déterminée la nature d’un intérêt légitime juridiquement protégé ? A cette question fondamentale le juge ne répondit pas. Par ailleurs, il serait vain d’aller chercher dans l’intervention législative une quelconque réponse. Contraint d’offrir une réponse précise à la question posée, le législateur a étouffé une véritable réflexion sur la notion de légitimité. A cet égard, la loi du 4 mars 2002 serait même un cadeau empoisonné : la légitimité du préjudice déborde largement l’épineuse question de la naissance.
51191. Si importants sont les enjeux humains, symboliques et politiques qu’ils ont artificiellement concentré le débat sur la question de la légitimité du préjudice constitué par la naissance. A été occultée la méthode de détermination de la légitimité en elle-même, indépendamment de cette illustration. La technique juridique risque d’en faire les frais : ou quand la raison est victime de l’émotion… L’intervention législative de 2002 laisse en effet pendante la question de la légitimité du dommage. Et il y a fort à parier que, comme par un effet de surenchère, le juge ne se prive pas à l’avenir de distendre à nouveau la notion dès lors que l’occasion lui en sera donnée. En l’absence de rempart législatif solide, de nouvelles applications risquent d’être rendues qui viendront contrarier l’exigence de légitimité. Où l’on voit concrètement quelles peuvent être les conséquences regrettables des procédés d’intervention ponctuels qu’affectionne aujourd’hui le législateur : en préférant la précipitation à la lente maturation et le précis au général, le législateur laisse en suspens les questions fondamentales sous-jacentes.
52Or, il est possible que d’aucuns tirent de ce silence une réponse négative. La loi de 2002 serait l’exception à un principe général, le maintien résiduel d’une certaine idée de la légitimité. L’arrêt Perruche consacrerait alors un véritable basculement des sources techniques. Serait purement et simplement supprimée toute référence à la nature du dommage. Mais un autre raisonnement est également possible qui préserve l’exigence de la légitimité : la loi de 2002 ne viserait qu’une application possible d’un principe général. Le raisonnement s’opère alors par le procédé de l’induction amplifiante.
53Manifestement, la deuxième interprétation est préférable à la première. A aucun moment la Cour n’expose le principe selon lequel n’importe quel préjudice ou dommage peut prétendre à la réparation. La décision Perruche ne signe pas la disparition de cette condition de fond. Elle se contente d’en offrir une interprétation excessivement large qui trouve son explication dans un contexte idéologique et sociologique favorable747. Aussi la notion d’atteinte à un intérêt légitime juridiquement protégé est-elle érodée au point d’être vidée de sa substance : le principe énoncé par ces différentes décisions participe du processus de consécration indirecte de la thèse moderne. La protection du créancier est assurée sans que soient modifiées les conditions techniques de la naissance de l’obligation mais seulement l’application qui en est faite.
SECTION 2. LE RENFORCEMENT DES SOURCES TECHNIQUES
54Au plan technique, le renforcement s’oppose radicalement à l’érosion. Au lieu de vider le concept juridique de sa substance, il consiste au contraire à en grossir le contenu. A travers une interprétation renouvelée de la notion, le juge témoignera en conséquence d’une plus grande exigence pour en caractériser l’existence. Ainsi la jurisprudence a-t-elle conféré un nouvel essor à la notion de cause. Mise au service d’une consécration indirecte de la thèse moderne, la notion a vu ses contours évoluer au gré des évolutions jurisprudentielles. De cette nouvelle utilisation de la cause, il est d’abors résulté une meilleure protection de la satisfaction du contractant : la situation du créancier s’en trouvera consolidée (§1). Il reste qu’à partir d’un certain degré, l’approche moderne aura même pour conséquence la prise en considération de la finalité de l’engagement (§2).
§1. Cause et consolidation de l’engagement
55Face au principe de liberté contractuelle, la cause a été génératrice de protection au sein du contrat. La notion de cause objective a été l'instrument qui permit de lutter efficacement contre les abus (A). Aussi cette solution doit-elle être approuvée (B).
A. Présentation
56192. Il serait évidemment erroné de penser que la notion de cause a été pensée par la doctrine ancienne comme un instrument qui n’obéirait qu’à des considérations géométriques. A l’instar de toute notion juridique, le concept fut mis au service d’un objectif bien défini : garantir l’utilité de l’engagement. Nul consentement sans une véritable contrepartie. Dans son traité des obligations, Pothier ne se contentera pas d’évoquer l’existence d’un intérêt. Il faut encore que cet intérêt soit « appréciable. »748. La notion d’utilité est très présente chez les auteurs du dix-neuvième siècle : Demante y fait explicitement référence dans une section consacrée à l’étude de l’objet et de la matière des contrats749. De son côté, Toullier mit en évidence le lien qui unit les motifs à la volonté alors que le Code civil n’était entré en vigueur que depuis quelques années seulement750. Mieux : Huc n’hésitera pas à invoquer le but final poursuivi par le contractant pour décrire la législation idéale751. Au vingtième siècle, Demogue se fit le relais de cette doctrine à laquelle il ne manqua pas d’insuffler une connotation sociale. L’auteur invoquera le respect de l’utilité sociale, conjugaison de l’utilité individuelle et de l’utilité générale752. Aussi l’obligation ne doit-elle « être sanctionnée que lorsqu’elle est manifestement utile pour celui qui l’assume. »753. Enfin, dans sa célèbre étude consacrée à la cause, Henry Capitant entreprit d’en souligner l’importance en introduisant définitivement au coeur de la notion le but que se propose d’atteindre la personne : dès lors que l’on tient compte de la cause au stade de l’exécution de l’obligation, la cause efficiente doit laisser la place à la cause finale754.
57193. D’un autre côté, le principe de liberté contractuelle a longtemps été ressenti pas les acteurs juridiques comme une impérieuse nécessité. Or, celui-ci impose de reconnaître la validité de l’ensemble des clauses contractuelles, les clauses allégeant les obligations comme les autres. Les parties sont libres d’organiser comme elles l’entendent leurs relations contractuelles, nonobstant l’effet attractif de figures juridiques nommées. Le débiteur doit pouvoir librement limiter la portée de son engagement.
58194. Il a donc fallu conjuguer ces deux idées apparemment antinomiques dans la recherche d’une meilleure justice : plus qu’un simple enjeu technique, il y a là un choix de politique juridique. Ainsi que l’a relevé le professeur Mazeaud, « la cause suppose plus qu’un simple effort d’ordre technique ; la réthorique qu’elle engendre, est, en effet, animée et transcendée par des considérations fondamentales qui procèdent de la conception du droit des obligations à laquelle on adhère et de la politique contractuelle que l’on adopte. »755. Le souci de protéger le créancier a conduit la doctrine à s’interroger sur les effets et les limites qu’il convenait de conférer aux clauses limitatives de responsabilité ou d’obligation.
59Dans son étude consacrée aux clauses allégeant les obligations dans les contrats756, Philippe Delebecque propose deux voies différentes pour protéger le créancier contre tout procédé qui aurait pour conséquence d’altérer la substance même de l’engagement. Avant la prise en considération du comportement du créancier dans une partie consacrée aux conditions d’efficacité de la clause757, l’auteur envisage le contenu du contrat sous l’angle statique. Sont abordées les limites à la validité des clauses allégeant les obligations758. Dans ce cadre, l’auteur se livrera à une analyse approfondie des instruments techniques offerts à la discrétion du juge : l’obligation fondamentale et l’ordre public. Alors que l’ordre public va de pair avec le développement des statuts spéciaux759, l’obligation fondamentale traduit parfaitement la volonté d’abandonner au droit commun la protection de la substance de l’engagement du débiteur. Toute clause qui aurait pour effet d’en supprimer la substance se verrait annulée760 : la force obligatoire du contrat sera préservée. Contrat par contrat, une protection est assurée qui garantit au créancier l’existence de la contrepartie générique, nonobstant une disposition contractuelle en sens contraire. Le cas échéant, la suppression de l’effet obligatoire de la clause aura pour effet de provoquer la disqualification du contrat761.
60Traditionnellement le juge exerce un droit de regard sur le contenu obligationnel à travers le contrôle des clauses allégeant les obligations dans les contrats. Il se donne alors ostensiblement pour fonction de protéger l’engagement en réputant non-écrite la clause qui en affecterait la substance. Ainsi que l’a démontré le professeur Delebecque, l’obligation fondamentale constitue l’expression de la cause762. La cause catégorique permet d’identifier chaque contrat et caractérise l’obligation essentielle, c’est-à-dire « la matière du contrat »763. Les clauses de non-obligation font l’objet d’un contrôle en elles-mêmes, indépendamment de toute appréciation du comportement de la partie bénéficiaire, à la différence des clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité, dont l’effet n’est écarté qu’en présence d’une faute lourde ou intentionnelle. Seules les clauses de non-obligation offrent prise à un contrôle du juge sur l’économie générale du contrat.
61Les clauses allégeant les obligations et les clauses d’irresponsabilité sont classiquement distinguées dans leur objet : « Les premières visent à délimiter, à dénombrer les prestations promises par le débiteur ; les secondes, cherchent à modifier la répartition des risques d’inexécution des prestations, risques qui, d’après l’économie du contrat, pèsent normalement sur le débiteur. »764. La détermination de leurs limites obéit donc à des règles de mise en œuvre distinctes : la privation de tout effet à une clause de non-responsabilité sera la sanction du comportement de l’intéressé dans la réalisation de la prestation. La faute lourde ou intentionnelle aura pour conséquence la paralysie de la clause. La clause de non-obligation sera au contraire réputée non-écrite dès lors qu’elle aura pour effet d’altérer la substance même du contrat765. Au plan théorique, la question de la responsabilité se détache donc clairement de la détermination de l’essence du contrat. Une parfaite distribution des rôles est assurée qui s’appuie sur une division bien connue : le contrat et la responsabilité.
62195. C’est ce système rassurant que le célèbre arrêt Chronopost est venu faire voler en éclats. La société Chronopost s’était vu confier deux plis qui n’étaient pas parvenus dans le délai convenu. Elle opposa en défense une clause limitant l’indemnisation au prix du transport. La cour d’appel fit application de la clause, la société Chronopost n’ayant pas commis de faute lourde. Par la voie de la Chambre commerciale, la Cour de cassation cassa au visa de l’article 1131 du Code civil : « la société Chronopost s’était engagée à livrer les plis de la société Blanchereau dans un délai déterminé et qu’en raison du manquement à cette obligation essentielle, la clause limitative de responsabilité du contrat, qui contredisait la portée de l’engagement, devait être réputée non-écrite »766.
63A la neutralisation de la clause, le droit positif ultérieur a répondu par la neutralisation du principe. Si la clause n’est pas valable, en revanche le contrat-type ne saurait être inquiété par le juge judiciaire : son contenu a été arrêté par décret767 et le Conseil d’Etat a refusé de le déclarer illégal par sa décision du 6 juillet 2005768. Or, la nature ayant horreur du vide, l’inapplication de la clause ne faisait pas obstacle à l’application du contrat-type : le droit commun des transports reprenait son empire et la notion de faute lourde son rôle d’arbitre dans la gestion des litiges. Et la vision retenue de la faute lourde n’est pas là pour favoriser l’entreprise de protection du créancier : une seconde barrière a été manifestement dressée par le juge judiciaire à travers la décision de la Chambre mixte en date du 22 avril 2005769. Mais, comme l’a fait observer Grégoire Loiseau, le principe n’est pas mort pour autant770. En atteste la décision de la troisième Chambre civile du 1er juin 2005 rendue en matière de bail : le juge raisonne bien à partir de l’obligation essentielle, quoiqu’il ne la mentionne pas expressément, et refuse au bailleur de s’en affranchir contractuellement771. De manière plus claire encore, les décisions du 30 mai 2006772 et du 5 juin 2007773 rappellent l’effectivité du principe en cassant un arrêt au visa de l’article 1131 du Code civil : les juges du fond se virent reprocher de ne pas avoir recherché si la clause limitative d’indemnisation, qui n’était pas prévue par un contrat-type établi par décret, ne devait pas être réputée non-écrite par l’effet d’un manquement du transporteur à une obligation essentielle du contrat. Et les rédacteurs de l’avant-projet de réforme du droit des obligations ne sont pas en reste : l’article 1125 dispose qu’« Est réputée non-écrite toute clause inconciliable avec la réalité de la cause. »774.
B. Approbation
64196. Manifestement les juges ont dépassé la distinction entre clause allégeant les obligations et clause limitative de responsabilité. La clause d’irresponsabilité partielle n’a pas été seulement paralysée, mais extraite du contrat sans qu’aucune appréciation ne soit portée sur le comportement du bénéficiaire. Aussi de nombreuses critiques ont été adressées à l’arrêt au plan technique. La Cour écarta l’application d’une clause limitative de responsabilité… tout en refusant de raisonner en termes de responsabilité. Selon certains auteurs, la Cour aurait fait appel à la notion de cause subjective… pour apprécier la réalité d’une contrepartie. Enfin, elle réputa non-écrite une clause… qui renvoyait à l’obligation essentielle du contrat.
65197. Assurément la Cour suprême paralyse le jeu d’une clause limitative de responsabilité tout en empruntant un raisonnement réservé jusque là aux clauses allégeant les obligations : les juges se dispensent de toute justification par référence au comportement du bénéficiaire de la clause. Faut-il le regretter pour autant ? Il n’est pas certain en effet que la notion de faute lourde pouvait être appliquée en l’espèce, contrairement à ce que soutient le professeur Cohen775. L’effet de répétition ne permet pas d’induire l’existence d’une faute lourde. La solution de la cour d’appel qui fit application de la clause litigieuse est d’ailleurs là pour en témoigner. En-deça de la faute lourde, il existe donc une série d’hypothèses dans lesquelles le créancier risquerait de voir disparaître indirectement l’intérêt principal du contrat. La nouvelle jeunesse ainsi conférée à la notion d’obligation fondamentale permet donc de combler un vide regrettable. Son application à la clause limitative de responsabilité se justifie pleinement dans la mesure où « la clause qui réduit pratiquement à rien son indemnisation en cas de retard sape tout à la fois la cause même de son engagement et ses légitimes prévisions »776. Il y a donc un avantage incontestable à se départir de l’existence d’une faute lourde ou intentionnelle pour faire échec à ce type de clause.
66Par ailleurs, il n’est pas possible d’affirmer que la Cour de cassation a recours à la notion de cause subjective, comme le défend le professeur Cohen777. Les mobiles personnels ne sont aucunement pris ici en considération. Le respect d’un court délai fait partie intégrante de la définition du contrat conclu entre les parties et ne constitue donc pas un mobile qui lui soit extérieur : « si l’on voit dans Chronopost un spécialiste du transport rapide garant de la fiabilité et de la célérité de son service, il est certain que cet établissement a pour mission fondamentale d’acheminer dans les délais prescrits, et non pas simplement indiqués, les plis qui lui sont confiés. »778. La lecture de l’arrêt de renvoi confortera cette analyse du professeur Delebecque : « La cause de l’engagement de l’expéditeur, concrétisé par le paiement d’un prix plus élevé que pour un envoi ordinaire, se trouve dans l’obligation de respect des délais annoncés et de fiabilité du transporteur rapide, obligation essentielle à défaut de laquelle l’expéditeur n’aurait pas contracté ». Cette décision ne constitue donc pas une manifestation du phénomène de subjectivisation de la cause779.
67198. On a également pu regretter par ailleurs le manque de logique qui consiste à réputer non-écrite une clause qui autorise un manquement à l’obligation fondamentale : « un tel manquement devrait nécessairement entraîner, parce qu’il porte sur l’essence même du contrat, sa nullité intégrale. »780. En réalité, il semble qu’il faille repenser la finalité de l’annulation. Celle-ci est la conséquence de la perte de sens du contrat, dès lors qu’un élément qui en fait la définition a été supprimé. Dès lors qu’au contraire, par la suppression d’une clause accessoire, on redonne tout son sens à l’engagement, il n’y aucune raison de prononcer l’annulation totale de la convention781. Rétablir la « vérité du contrat »782 ou sa « raison d’être »783 doit être le seul objectif assigné au juge : il y a là une importante concession à faire à la détermination objective de l’étendue de la nullité784. L’absence partielle de cause offre l’accès à un niveau de sécurité juridique inégalable en proposant le maintien du contrat785. Il n’y a par ailleurs aucun paradoxe à affirmer qu’une clause puisse être accessoire et toucher à la substance même de l’engagement. Le professeur Jestaz a bien montré qu’il pouvait y avoir confusion pratique entre une obligation fondamentale et une obligation annexe : c’est l’hypothèse dans laquelle, « une clause, d’apparence anodine, aurait pour effet de couvrir dans le cas particulier une inexécution totale ou quasi totale du contrat. »786.
68199. Sur le plan de la politique juridique, la cause constitue dans cette optique l’instrument mis au service d’une consécration indirecte de la thèse moderne. A l’intérieur du même cadre technique, le juge élève la sélection des faits éligibles à la qualification. Pour satisfaire à l’exigence d’une cause, l’engagement doit répondre à de strictes conditions. La finalité protectrice est évidente : la notion a pour fonction exclusive la protection du créancier. Le contractant est ici protégé en tant qu’il est créancier et a vocation à voir son attente satisfaite. La recherche de la justice commutative787 introduit ici clairement l’idée que l’engagement du débiteur n’est plus la chose du débiteur. De la même manière qu’une œuvre artistique788, une fois réalisée, n’est plus la propriété morale de son auteur, l’engagement quitte le domaine du débiteur789. Ce faisant, il subira l’empire du phénomène d’objectivisation de la volonté. Aussi faire appel à la notion d’obligation fondamentale dans le cadre de la lutte contre les clauses limitatives de réparation contribue inéluctablement à nourrir le processus de normalisation du contenu contractuel. Ainsi que le fera observer le professeur Cohen, « l’arrêt de la cour de cassation participe d’un mouvement plus général d’objectivisation du contrat, à travers l’idée de normalité. La force obligatoire des contrats, exprimée par l’article 1134 alinéa 1er du code civil et sous-tendue par le dogme de l’autonomie de la volonté et de la liberté individuelle marque de plus en plus le pas ; héritière du dix-neuvième siècle et de son libéralisme ambiant, elle se trouve relayée, en cette période d’expansionnisme de l’Etat, par l’intervention du juge sur des considérations plus générales de justice et d’utilité des conventions. »790.
69200. D’aucuns se sont inquiétés du rôle normalisateur que tient la notion d’obligation fondamentale. Ainsi pour Dimitri Houtcieff, « le concept même d’obligation essentielle conduit à poser un minimum obligatoire irréductible qui, incontrôlé, peut se révéler préjudiciable à la liberté contractuelle. Au-delà des pouvoirs que lui confère l’interprétation, le juge se voit attribuer le pouvoir de dire quelles obligations recèle le contrat malgré la volonté des parties »791. L’auteur s’appuiera sur cette considération pour hisser le principe de cohérence au rang de principe cardinal en matière contractuelle. Il a amené à apporter une importante contribution à l’étude de ce « minimum obligatoire »792 dans le cadre de son étude. Il n’y aurait là qu’une illustration de l’empire du principe de cohérence. On ne peut vouloir s’obliger sans s’obliger : l’obligation essentielle « résulte de l’impossibilité de stipuler une obligation contradictoire dans son intensité. »793. Pour l’auteur, cette analyse présente l’avantage d’éviter l’écueil normativiste : en ce qu’il s’intéresse à la structure même du contrat, le principe de cohérence suppose une analyse interne du contrat. Il a pour effet de redonner toute sa force à l’engagement du débiteur sans pour autant imposer une quelconque mesure à l’engagement : « La contradiction permet une explication suffisante de l’irréductibilité de l’obligation essentielle tout en évitant le recours à une obligation « normale », qui aboutit à la situation paradoxale que la volonté est impuissante à ne pas vouloir ce qu’elle doit vouloir. »794.
70Il n’est pas certain qu’il faille regretter avec l’auteur l’attribution de ce pouvoir au juge qui aurait pour effet inéluctable de « figer le contrat »795. La menace que fait planer la normalisation et son cortège de maux divers ne constitue bien souvent qu’un épouvantail : serait-il le fruit du travail judiciaire, l’alignement des comportements sur une norme définie est inévitable. La seule existence de contrats de référence ou prestations types interdit de penser que la détermination du contenu obligationnel puisse se faire en dehors de toute norme référentielle : les contrats nommés ou les contrats types ont nécessairement un pouvoir d’attraction très fort auquel l’application du principe de cohérence ne saurait faire obstacle. Comment imaginer qu’à la lecture d’une clause le juge se prive de puiser dans la pratique des normes de comparaison qui puissent l’éclairer sur la teneur de l’engagement ? Le juge ne travaille pas en vase clos. Une analyse isolée de la structure d’un contrat, dépourvue de toute interférence avec l’environnement extérieur et reposant sur les bases de la seule logique, est une pure chimére : or, elle constitue le fondement de la vocation universelle du principe de cohérence, alternative à toute forme de normalisation. Le principe de cohérence ne peut donc pas avoir une vocation exclusive dans la détermination des obligations. Il n’assumera une fonction autonome qu’en présence d’une figure contractuelle suffisamment complexe pour ruiner tout effort de comparaison. Ainsi les contrats nommés ou les contrats types exercent un puissant effet d’attraction, mais faut-il le regretter dès lors que ces modèles seront mis au service de la conservation d’un sens à l’engagement contractuel ? Ce n’est d’ailleurs pas remettre en cause l’importance du principe de cohérence dans la mesure où celui-ci a joué un rôle a priori dans la détermination des modèles contractuels. Il n’en reste pas moins qu’ils sont désormais cristallisés autour de la notion d’obligation essentielle. Enfin, un appel a posteriori au principe de cohérence ne fait que déplacer et non pas disparaître l’épineuse question de la détermination du minimum obligatoire : si celui-ci ne résulte plus de la détermination d’un certain seuil dans l’obligation fondamentale mais de la cohérence de l’acte, alors il faudra encore fixer un seuil dans la cohérence : l’auteur en convient lui-même lorsqu’il affirme que « plus le pouvoir du débiteur sur la réalisation de l’obligation est important, plus le devoir de ne pas se contredire est large. »796. Que l’on passe par le détour du principe de cohérence ou non, il n’est donc pas possible de répondre à la question de la mesure de l’allègement… En offrant de l’esquiver, sauf à s’exposer à la voir ressurgir sous une autre forme. Il n’y a donc pas à regretter l’utilisation de l’obligation essentielle bien qu’elle soit dotée d’un effet normalisateur incontestable. Le danger est ailleurs : il réside au contraire dans l’installation d’un climat d’insécurité juridique permanent. A l’opposé du mouvement de normalisation du contenu du contrat, la cause est en effet également mise au service d’une approche subjective et individuelle.
§2. Cause et finalité de l’engagement
71A côté du mouvement qui consiste à redonner un sens à l’engagement, la notion de cause a également été utilisée dans l’objectif de satisfaire le but recherché par le créancier. De célèbres décisions ont été rendues (A) qui s’exposent à la critique (B).
A. Présentation
72201. Quoique les développements jurisprudentiels récents lui conférent une nouvelle amplitude, l’entreprise de protection du créancier n’est pas nouvelle. Elle pouvait jusqu’alors tenir en deux propositions : il doit exister une contrepartie à l’engagement ; la contrepartie doit avoir été recherchée par le créancier. Néanmoins la protection du créancier s’arrêtait là et ne s’était jamais étendue à l’intérêt concret que représentait la contrepartie pour le créancier. La raison en était simple et résidait dans un souci d’équilibre : il n’est pas possible de subordonner l’engagement du créancier à la satisfaction concrète de ses intérêts sans porter atteinte à l’engagement du débiteur. Dès lors que le but que s’assigne le créancier n’est pas intégré dans le champ contractuel, seule une redéfinition de l’engagement du débiteur permet d’en sanctionner l’inexistence. L’annulation du contrat pour absence de cause avait donc pour limite le respect de la volonté du débiteur. Le débiteur ne devait pas être sacrifié au profit du créancier. Sous un angle plus général, en portent un témoignage significatif les développements généraux que consacre Demogue à la loi de finalité qui traverse les obligations : si selon l’auteur, c’est « la loi de finalité qui est l’explication de toutes les obligations », il précise aussitôt que « Les obligations existent pour donner satisfaction aux créanciers dans une mesure qui ne soit pas trop inconciliable avec l’intérêt des débiteurs. »797.
73Dans une conception traditionnelle, les différentes fonctions dévolues à la notion de cause justifient donc une dualité parfaite entre cause objective et cause subjective. La première a pour rôle exclusif d’assurer le respect de la structure bilatérale du contrat et la seconde, de création plus récente, s’est vu confier la mission de protection de l’ordre public et des bonnes mœurs. La vérification de l’existence d’une contrepartie se distingue alors clairement du contrôle de la licéité du mobile. Cette ligne de conduite a longtemps été celle de la jurisprudence qui respecta scrupuleusement le principe du cloisonnement. Mais ce partage entre les deux conceptions limita la réception par le droit positif des principes véhiculés par la doctrine moderne. Le principe d’utilité n’était consacré que d’une manière incomplète : si le contrat devait comporter une contrepartie réelle, nulle considération n’était portée à l’objectif que s’était fixé le créancier. Plus encore, il était difficile pour le juge d’en appeler au respect du principe de justice contractuelle : aussi déséquilibré que fût l’accord, il n’en était pas moins valable dès lors qu’une contrepartie était prévue, était-elle illusoire ou symbolique.
74202. Aussi la conception traditionnelle de la cause ne résista pas longtemps aux sirènes de la thèse moderne. En plus d’un environnement de pensée gagné par la thèse moderne, les défenseurs de l’unité de la cause purent compter sur le phénomène grandissant d’érosion de la volonté contractuelle. Le juge n’hésite plus à gonfler le contenu du contrat de manière inavouée. Aussi l’obstacle technique posé par la doctrine ancienne est-il aujourd’hui levé : le débiteur de la prestation ne se serait pas engagé à réaliser une prestation définie ? Qu’à cela ne tienne ! Il est loisible au juge d’en faire la contrepartie à l’engagement de l’autre partie, en l’absence de laquelle le contrat doit être annulé. Par une interprétation maximale de la notion de cause, le renforcement des obligations du débiteur laisse donc le champ libre au développement d’une protection plus grande du créancier.
75En amorçant le mouvement de subjectivisation de la cause objective, le juge n’a fait que donner un prolongement naturel à la thèse moderne. Il en est ainsi lorsqu’il se fonde sur la cause du contrat de vente pour annuler une opération immobilière dès lors que l’avantage fiscal escompté disparaît798. De la même manière, peut-on voir une illustration ultime de la thèse moderne dans le fait d’annuler un contrat de location de cassettes vidéo pour la raison que le motif déterminant ayant déterminé le consentement du preneur ne pouvait être atteint799, alors même que celui-ci n’avait pas été intégré au champ contractuel. Par cet arrêt dépourvu d’ambiguïté, la Cour de cassation abandonne clairement la conception traditionnelle de la cause. Le mobile est mis au service de la recherche de l’existence de la cause : le cloisonnement entre cause objective et subjective est brisé. Dans la même veine, la Cour refusa de faire application d’une clause d’un contrat de crédit-bail qui décidait que le preneur restait tenu de payer les loyers en cas d’anéantissement du contrat principal : le contrat d’exploitation constituait selon elle la « seule cause du contrat de crédit-bail »800 . Et tandis qu’on pensait cette politique jurisprudentielle abandonnée par des décisions de 2001801 et 2003802, d’autres arrêts furent rendus qui abondèrent en ce sens : la troisième Chambre civile décida ainsi le 13 octobre 2004 que « L’acquisition par le bailleur du droit au bail mis en vente par son locataire, laquelle permet au premier de recouvrer la jouissance matérielle des biens loués, a une cause. »803. Et la Chambre commerciale ne fut pas en reste : elle déclara nul pour absence de cause l’engagement pris par un fournisseur qualifié de « dérisoire », lequel consistait à cautionner à concurrence de 20 % un prêt conclu par son cocontractant804. Puis elle rendit le 27 mars 2007805 une décision dont l’exposé des faits n’est pas sans rappeler les circonstances de l’arrêt de 1996 : un commerçant ayant soucrit un contrat de location de vidéos et ne pouvant exploiter cette entreprise a tenté d’obtenir la nullité de son contrat. Si la Cour ne reproche pas aux juges du fond de ne pas avoir caractérisé l’absence de cause et les approuve donc d’avoir refusé d’annuler le contrat, elle emploie le concept « d’économie voulue » et vérifie que le commerçant n’apporte pas suffisamment d’éléments prouvant qu’il était dans l’impossibilité de réaliser la location de cassettes vidéos. A travers ces différentes décisions, la valeur d’utilité a donc fait l’objet de plusieurs consécrations806. A ce point qu’il est possible de voir dans ces décisions le témoignage du succès de la doctrine de l’utilitarisme807.
B. Critique
76203. Ces décisions peuvent s’expliquer de deux manières différentes dont aucune ne justifie la solution. La première explication consiste à se placer du côté du débiteur de l’obligation de somme d’argent. Ce dernier a commis une erreur d’appréciation sur les suites du contrat dont il ne doit pas supporter les conséquences. Aussi la solution peut-elle s’expliquer par la volonté de la Cour de cassation de consacrer la notion d’erreur sur les motifs sous couvert de raisonnement d’inspiration objectiviste. La seconde interprétation possible réside dans la recherche d’une sanction à la mauvaise foi du cocontractant : celui-ci n’ignorait sans doute pas que le créancier ne ferait aucun retour sur investissement. Aussi il était nécessaire d’en informer l’intéressé. La nullité apparaît alors comme la sanction du défaut d’exécution de cette obligation d’information.
77Quelle que soit sa motivation profonde, cette ligne jurisprudentielle montre le refus d’invoquer la volonté exprimée par le débiteur comme limite à la protection du créancier. A aucun moment le débiteur ne s’est engagé à fournir la prestation à laquelle renvoie le concept de cause subjective. En conséquence, sanctionner l’absence de cause par l’annulation du contrat revient à ignorer l’engagement que le débiteur s’est engagé à fournir, et partant sa volonté contractuelle.
78En s’appuyant sur les postulats de la doctrine moderne, la Cour de cassation a emprunté un instrument d’essence objective pour rendre des solutions qui s’inscrivent « dans l’air du temps »808. Rendu possible par le déplacement du centre de gravité du contrat vers le créancier au détriment du débiteur de la prestation, ce processus encourt les critiques les plus vives : par l’emploi qui est fait de la notion de cause, la protection du créancier peut aller au-delà de son attente légitime. Dès lors que la réticence dolosive n’est pas caractérisée, il n’y a aucune raison de transférer la charge d’une erreur ou d’une négligence du débiteur à son cocontractant. La théorie de l’erreur est fondée sur cette idée. Aussi elle n’est cause d’annulation qu’à de strictes conditions : « Dans les contrats à titre onéreux, les intérêts légitimes des deux parties doivent être sauvegardés, il faut établir entre ces deux intérêts une balance équitable. Or, si l’on décide que l’erreur unilatérale suffit, on sacrifie les intérêts du cocontractant qui n’a rien su ni dû savoir »809. Or, il y a dans cette solution jurisprudentielle le moyen de les contourner et de consacrer en la personne du créancier l’erreur inexcusable ou l’erreur sur les motifs. Dans cette perspective, la cause devient paradoxalement le moyen de se dispenser d’exercer un contrôle sur… la cause de l’insatisfaction du créancier. Aussi, ce courant jurisprudentiel ne favorise pas le passage de l’abstrait au concret810 : il contribue en réalité à limiter le pouvoir d’investigation du juge. En outre, le recours à la responsabilité civile ne constituerait qu’un pis-aller inadapté pour le cocontractant qui verrait disparaître l’effet obligatoire du contrat pour lequel il s’est valablement engagé811.
79204. Certains ne manqueront pas d’invoquer le concept d’économie du contrat pour offrir un relais à cette entreprise de satisfaction de l’intérêt du créancier812. Ainsi la décision du 3 juillet 1996 fait-elle application de la notion : « ayant relevé que, s’agissant de la location de cassettes video pour l’exploitation d’un commerce, l’exécution du contrat selon l’économie voulue par les parties était impossible »813. Cette utilisation semble être à l’abri de toute critique dans la mesure où elle prétend rendre compte du contrat dans sa globalité814. Elle ne se présente pas comme l’expression d’une volonté de faveur pour le créancier, mais comme un concept à l’allure neutre et objective. L’économie du contrat intéresserait les deux parties et ne semble pas faire prévaloir les intérêts de l’une au profit de l’autre.
80Il en est pourtant tout autrement dans la mesure où l’économie du contrat est déterminée à partir de la prestation caractéristique. A supposer qu’il ne renvoie pas à la seule cause objective, le recours à cette notion fera inéluctablement pencher le contrat vers le créancier de cette prestation815. Dans cette perspective, l’économie du contrat n’est que l’instrument technique destiné à dissimuler la prise en considération inopportune du mobile du contractant. La solution est alors injuste et « déresponsabilisante »816 : « Le manque de clairvoyance, une excessive confiance dans la conjoncture, voire la négligence, deviennent de possibles facteurs d’anéantissement du contrat au bénéfice même de l’auteur de ces coupables manquements. »817. De surcroît, la solution offre une prime à la mauvaise foi : « L’utilisation de la cause subjective pour annuler un contrat déséquilibré, en intégrant artificiellement dans le champ contractuel un mobile qui n’y était pas, ouvre la voie, de façon générale et hors mauvaise foi du cocontractant, à la possibilité de se délier de son engagement, sans frais, dès qu’il est constaté, après coup, que le contrat est une mauvaise affaire. »818.
81Ce n’est pas seulement un impératif de sécurité juridique qui commande de condamner cette orientation mais également une conception du contrat qui offre une égale considération à chacune des parties. La protection du créancier doit s’arrêter là où commence la déformation de la volonté exprimée par le débiteur. Pour que le risque d’insatisfaction soit transféré d’un cocontractant à l’autre, il faut que de bonnes raisons le justifient : ainsi peut être résumée la philosophie qui structure les obligations d’information ou de renseignement. Aussi, il n’est pas de bonne politique juridique que de vouloir faire abstraction de ces considérations en recourant à la notion de cause. Ou alors il faut en accepter toutes les conséquences et se préparer à baigner dans un climat d’insécurité juridique généralisé.
82205. Dans l’enceinte même de la théorie de la cause, la doctrine n’a certes pas ménagé ses efforts pour proposer un système qui permette d’appréhender ces solutions tout en canalisant ses effets. Animée par le souci d’épouser au plus près la réalité, Judith Rochfeld a donné naissance au concept de contrat-type. La cause, selon l’auteur, ne réside pas dans la contrepartie abstraite mais dans l’intérêt que la partie en attend. En faisant sortir la cause de « la seule considération formelle d’une contrepartie », il est possible d’appréhender la « motivation concrète de l’acte juridique »819. Mais cette utilité ne sera pas teintée de subjectivisme pour autant : il s’agira d’une utilité objective. En remplacement de la notion de contrat nommé820, la notion de contrat type prouve alors toute son utilité : elle permet de dépasser la simple réalité physique pour aller chercher « l’utilité économique »821 sans pour autant faire sombrer le travail du juge dans une casuistique sans fin. Cette théorie se propose donc d’introduire l’idée de finalité dans la cause tout en préservant la sécurité juridique. Par ailleurs, conscient qu’il existe des opérations qui n’obéissent pas aux standarts traditionnels, l’auteur dégagea un relais dans la notion d’intérêt atypique : le contrat maîtrisé regroupera la construction contractuelle spécifique et le contrat nommé auquel aura été adjoint une finalité atypique822. Dès lors que les parties seront à la recherche d’une finalité atypique, la notion permettra le contrôle de la cause individuellement définie823.
83L’idée peut sembler séduisante. Il y aurait là pour le juriste une marge de manœuvre incontestable qu’il serait regrettable de laisser inexplorée. En dépassant la dichotomie traditionnelle entre cause objective et cause subjective, le système évite de s’en remettre à la seule contrepartie abstraite, rassurante mais largement inefficace. Il lui substitue une distinction articulée autour des notions d’intérêt et de finalité capable d’appréhender les motivations concrètes des parties. Mais dans le même temps, les contours du contrat sont respectés : au contrat nommé a été substitué le contrat-type. De la sorte, le juge aurait entre les mains l’outil nécessaire pour repousser un climat d’insécurité juridique permanente. De son côté, l’intérêt atypique et les méthodes de son contrôle permettent de satisfaire au maximum l’exigence d’adaptation. Aussi un juste milieu semble avoir été trouvé qui satisfait à la fois les exigences de justice et de prévisibilité. Toutefois bien qu’il soit le fruit d’une recherche juridique approfondie et enrichissante, le système proposé par l’auteur se heurte à une critique fondamentale.
84A la hiérarchie traditionnelle qui préside à la reconnaissance de l’existence d’une contrepartie, articulée autour du degré de prise en compte de la finalité des contractants -et à laquelle renvoie parfaitement la distinction entre cause objective et subjective - l’auteur substitue une présentation horizontale et entend ainsi placer sur le même plan intérêt typique et atypique. Présentée comme un concept destiné à saisir les situations qui n’épousent pas les formes de l’intérêt typique, la notion d’intérêt atypique apparaît comme une forme d’alternative à l’intérêt typique. Le procédé a pour effet d’évacuer la question -fondamentale s’il en est -du niveau de prise en considération par le juge des éléments extérieurs au champ contractuel. Pourtant, à l’instar de la notion de cause subjective, l’intérêt atypique reste une notion dont l’office est d’élever le niveau de prise en considération de l’intérêt. Toute finalité particulière décelée dans l’engagement n’est jamais que le fruit d’une investigation particulière. L’intérêt atypique n’est rien d’autre que le résultat d’un degré supérieur dans l’appréciation qui en est faite et non pas la découverte d’une utilité ab initio. Ainsi, de la même manière qu’à une cause objective correspond une infinité de causes subjectives, à un intérêt typique correspond une multitude d’intérêts atypiques. Or, dès lors que l’on sort des abstractions juridiques et que l’on considère l’utilité économique, on rentre dans un cycle sans fin. La question reste pendante de savoir ce qui va déterminer le niveau de prise en considération de l’intérêt : faut-il s’arrêter à l’intérêt typique ou aller plus loin et s’intéresser à l’intérêt atypique ? Qu’est-ce qui permet de parler de contrat maîtrisé ? N’est-ce pas en définitif le juge lui-même qui adjoint une finalité, ou plus exactement fait le choix d’en caractériser l’existence ? 824.
85Aussi les intérêts typique et atypique se situent sur des plans différents. L’exemple de l’arrêt du 3 juillet 1996 est à cet égard significatif : le contrôle de l’intelligibilité permet la reconnaissance de l’intérêt atypique qui consiste en la « rentabilité de cette jouissance dans une activité commerciale viable »825. l’intérêt typique reste la mise à jouissance paisible des cassettes pour une période donnée. La question est de savoir ce qui autorise le juge à prendre en considération l’intérêt atypique dans la mesure où celui-ci peut caractériser n’importe quel contrat de location de cassettes826. A cette question fondamentale, nulle théorie ne peut répondre sans proposer de solutions qui soient à l’abri du reproche d’arbitraire. En conséquence il faut bien convenir que l’effort d’adaptation se fait nécessairement au prix de l’insécurité juridique.
86Il est donc nécessaire d’exercer un contrôle des raisons pour lesquelles l’objectif recherché n’a pas été atteint. Dès lors que l’engagement du cocontractant a été respecté, l’annulation du contrat doit être prononcée sur le fondement de la théorie des vices du consentement. Elle seule constitue l’instrument juridique capable d’appréhender la psychologie des contractants, cependant que la cause ne permet qu’un contrôle du résultat objectif827. A l’occasion du commentaire de la décision du 13 férier 2001, Judith Rochfeld en conviendra elle-même : « l’impossibilité objective d’atteindre le but entré dans le champ contractuel suffit à entraîner l’annulation du contrat sur le fondement de l’absence de cause. A l’inverse, sur le fondement de l’erreur, tout examen de la psychologie des parties n’est pas laissé de côté. Concrètement, le caractère excusable de la méprise peut être discuté. »828. Et l’auteur d’en conclure : « aussi, l’exigence d’une stipulation expresse, posée ici pour l’erreur, se justifiera d’autant plus pour la cause : elle intervient pour rétablir l’équilibre en faveur de la partie pouvant subir l’annulation du fait d’un partenaire ayant commis une erreur inexcusable et, partant, de la sécurité des conventions. ».
87Il n’est donc pas opportun de mettre la notion de cause au service d’une politique de satisfaction automatique. La notion de contrat, garante de l’équilibre entre les deux parties, n’en sortirait pas indemne. Où l’on voit qu’à l’instar du phénomène d’érosion des sources techniques, le processus de renforcement des notions recèle bien des dangers. Bien qu’il puisse s’avérer utile dans un certain nombre de cas, le renouvellement de l’interprétation des concepts doit être utilisé avec parcimonie. Au-delà d’un certain degré dans l’érosion ou le renforcement des sources techniques, l’équilibre de la structure est menacé.
CONCLUSION DU CHAPITRE I
88206. Réalisée à l’intérieur du cadre technique traditionnel, la consécration indirecte de la thèse moderne assure aux solutions proposées le respect de l’agencement conceptuel. Les notions utilisées proposent une vision traditionnelle de la théorie des sources. Dans le même temps, l’approche classique est incapable d’expliquer les solutions positives : la source substantielle de l’obligation réside en la personne du créancier. Le mariage d’instruments classiques et d’objectifs modernes se fait au prix d’un double processus d’érosion et de renforcement des sources techniques : tandis que s’élève le seuil exigé pour qualifier certaines situations, certaines notions voient au contraire grossir leurs éléments constitutifs. Le consentement et le préjudice réparable se distendent cependant que la cause augmente son pouvoir de sélection dans la naissance de l’obligation. Quoiqu’elles laissent intacte la définition technique des sources, les solutions induites n’en sont pas moins porteuses de grands bouleversements. En creusant le fossé entre les différents ordres, la réception indirecte de la thèse moderne contribue à obscurcir le paysage juridique et constitue une menace pour sa lisibilité. Aussi la consécration directe de la thèse moderne lui a-t-elle été souvent préférée.
Notes de bas de page
612 Il reste que pour certains auteurs, la bonne foi ne fait que consacrer l’abandon des contrats de droit strict : l’article 1134 alinéa 3 du Code civil se contenterait de préconiser la souplesse dans l’interprétation des conventions : Volansky, Essai d’une définition expressive du droit basée sur l’idée de bonne foi, thèse Paris 1929, p. 325 ; cité par F. Terré, Ph. Simler, Y Lequette, Droit civil. Les obligations, préc. n° 439 p. 442.
613 Y. Picod, Le devoir de loyauté dans l’exécution du contrat, LGDJ 1989, n° 83 p. 97.
614 Y. Picod, préc. n° 85 p. 101.
615 Le comportement des parties est régi par l’exigence de bonne foi avant la conclusion de l’accord en ce qu’il influe sur l’exercice du consentement. Il s’agit même du lieu d’épanouissement naturel de la bonne foi, alors génératrice d’obligations d’information, de loyauté, de conseil ou de confidentialité. Sur la question : La bonne foi, travaux de l’association Henry Capitant, 1992. Notamment : P. Van Ommeslaghe, Rapport général, p. 29 et s. Régulièrement des décisions sont rendues qui attestent de sa vigueur : Il en est ainsi de l’arrêt de la Chambre commerciale du 12 mai 2004 : D. 2004 somm. comm. 2923, obs. E. Lamazerolles. Est visée l’obligation de loyauté - dont certes la preuve de l’inexécution n’avait certes pas été rapportée en l’espèce - Plus explicite encore est la décision remarquée de la première Chambre : un individu a vu sa responsabilité civile retenue pour « avoir manqué à son obligation de contracter de bonne foi en omettant d’informer » son partenaire « des conséquences probables d’un accident du travail intervenu avant la cession litigieuse », Cass. civ. 1ère, 15 mars 2005, D. 2005.1462, note A. Cathiard.
616 M. Fabre-Magnan, De l’obligation d’information dans les contrats. Essai d’une théorie, LGDJ 1992. La jurisprudence n’est toutefois pas toujours respectueuse de cette idée et va souvent plus loin dans le mouvement de contractualisation de l’obligation. L’auteur reconnaît ainsi que le juge sanctionne souvent sur le terrain de la responsabilité contractuelle des obligations d’information ayant une incidence sur le consentement d’un contractant : préc. n° 312 p. 249. Yves Picod fera la même remarque : préc. n° 97 p. 115.
617 Sur la distinction entre « l’obligation contractuelle d’information » et « l’obligation d’information ayant une incidence sur le consentement d’un contractant », préc. n° 310 p. 247.
618 Y. Picod, préc. n° 92 p. 109.
619 L’ancienne salariée exerçait la fonction de responsable du fichier informatique tandis que la nouvelle employée avait été embauchée en tant que facturière.
620 Cass. soc. 25 février 1992, D. 1992.390, note M. Défossey : D. 1992. somm. comm. 294, obs. A. Lyon-Caen.
621 C’est d’ailleurs l’avis du professeur Jamin : « Si la jurisprudence Expovit (et les suites qu’elle pourrait avoir) est donc propre au droit du travail, parce qu’elle s’inscrit dans une recherche de maintien de l’emploi existant, sa motivation (le recours à l’article 1134, alinéa 3 du code civil) ne me paraît cependant pas la rendre totalement étrangère à une conception plus générale que l’on peut se faire du contrat : à la fois économique (favoriser la solution dont le coût est le moindre) et « solidariste » (favoriser celle qui n’exclut pas l’une des parties du champ contractuel). », Révision et intangibilité du contrat ou la double philosophie de l’article 1134 du Code civil, dans Que reste t-il de l’intangibilité du contrat ?, colloque de la Faculté de Droit de Chambéry du 28 novembre 1998, Dr. et patr., mars 1998, p. 55.
622 Le contrat de travail, dans La nouvelle crise du contrat, préc. p. 201. Sur la théorie du solidarisme appliquée en droit du travail : C. Radé, Le solidarisme contractuel en droit du travail : mythe ou réalité ?, dans Le solidarisme contractuel, sous la direction de L. Grynbaum et M. Nicot, économica 2004, p. 75. Pour l’auteur, cette philosophie se voit reconnaître deux fonctions : le contrôle des pouvoirs (p. 83 et s.) et l’enrichissement des devoirs (p. 88 et s.).
623 Entendu ici comme le contrat où les rapports de force sont inégaux.
624 Cass. com. 3ème, 3 novembre 1992, JCP 1993.II.22164, note G. Virassamy ; RTDC 1993.124, note J. Mestre.
625 Le professeur Jamin nous explique ainsi que BP contournait les règles de l’ordonnance qui prohibent les pratiques de vente ou d’achat discriminatoires. Pour ce faire, elle réservait l’application de tarifs préférentiels à des sociétés qui avaient le statut de commissionnaire et non pas de revendeur. Dans cette perspective, la solution eût été rendue dans l’objectif de sanctionner des pratiques discriminatoires et non pas de sanctionner une atteinte aux principes de la bonne foi : préc. p. 55.
626 Ce qui n’est pas le cas dans l’arrêt du 24 novembre 1998 où la Cour se fonde sur l’article 4 de la loi du 25 juin 1991 : JCP 1999.II.10210, note Y. Picod ; C. Jamin, JCP 1999.I.143, n° 6 ; Défr. 1999.371 ; RTDC 1999.98, note J. Mestre Certes, la réponse au premier moyen fait intervenir l’article 1134 du Code civil mais elle ne fait aucunement référence à l’obligation de loyauté. Cette décision se fonde sur le droit spécial du contrat de mandat en ce qu’elle donne naissance à une obligation de loyauté. Il reste que l’application qu’elle en fait n’en est pas moins traversée par une « conception humaniste du droit des contrats » : D. Mazeaud, préc.
627 J. Mestre, note sous Cass. com., 3 novembre 1992, préc.
628 L’observation a été faite par le professeur Virassamy : note préc.
629 Cass. civ. 1ère, 16 mars 2004, D. 2004.1754, note D. Mazeaud ; JCP 2004 éd. E, 2004.II.737. ; RTDC 2004.290, obs. J. Mestre et B. Fages. Egalement au sujet de cette décision : J. Ghestin, L’interprétation d’un arrêt de la Cour de cassation, D. 2004.2239. Sans préjuger de l’interprétation qu’il est possible d’en faire, cette décision pose le principe selon lequel un déséquilibre financier existant dès la conclusion du contrat n’oblige pas à une renégociation. Deux interprétations furent ainsi défendues de la décision. Pour certains, il consacre par prétérition une obligation de renégocier : si la Cour de cassation n’a pas répondu par la négation de cette obligation, c’est qu’elle existe. Et le contexte jurisprudentiel antérieur est là pour laisser croire à son existence. D. Mazeaud note préc. ; D. Houtcieff, préc. Pour d’autres auteurs au contraire, cette décision ne saurait faire l’objet d’une interprétation a contrario, la Cour de cassation se contentant de constater l’inadéquation du moyen au pourvoi : J. Ghestin, préc. ; O. Renard-Payen, note préc. Enfin, les commentateurs à la revue trimestrielle firent quant à eux preuve d’une grande prudence en y voyant « un indice de la position que pourrait prendre un jour la première Chambre civile si elle était confrontée à l’équation bonne foi/renégociation. », préc.
630 La bonne foi est couramment sollicitée pour fonder l’existence d’obligations d’information et de conseil. A titre d’exemple, peut être évoquée la décision de la deuxième Chambre civile du 13 janvier 2005 : Cass. civ. 2ème, n° 4 p. 3. La décision d’appel avait été fondée sur l’article 1134 du Code civil et la Cour suprême rejeta le pourvoi en affirmant que « la banque, souspripteur d’une assurance de groupe est tenue envers l’emprunteur d’une obligation d’information et de conseil qui ne s’achève pas avec la remise de la notice. ». La lecture permet de vérifier l’affirmation : la bonne foi charrie des obligations d’information et de conseil.
631 L’arrrêt du 8 mars 2005 a ainsi fait de l’obligation de cohérence une conséquence expresse du principe de bonne foi : « En dépit de la convention d’unité de compte, la banque, qui, en faisant fonctionner les comptes litigieux comme des comptes indépendants, avait adopté un comportement incompatible avec l’application de la convention litigieuse, dont elle a revendiqué ensuite le bénéfice, avait manqué à son obligation de bonne foi », Cass. com., 8 mars 2005, RDC 2005.1015, note D. Mazeaud. Elle témoigne ainsi de la vitalité du principe de cohérence dont Dimitri Houtcieff se fit l’ardent défenseur. Toutefois, dans l’intérêt de la thèse qui fut la sienne, l’auteur démontra l’autonomie de la notion du principe de cohérence par rapport à la bonne foi : D. Houtcieff, Le principe de cohérence en matière contractuelle, tome II, PUAM 2001, n° 1202 p. 889 et s.
632 Ce principe ressort de l’arrêt de la troisième Chambre civile en date du 20 octobre 2004 : « Pour exécuter de bonne foi le contrat qui le lie au réservataire, le réservant, qui modifie substantiellement le projet initial, doit justifier cette modification par un motif sérieux et légitime », Cass. civ. 3ème, 20 octobre 2004, RDC 2005.264, note D. Mazeaud. L’apport de cet arrêt est immense si, comme le pense le professeur Mazeaud, il est possible de le généraliser à l’ensemble des hypothèses dans lesquelles un contractant est investi d’un pouvoir unilatéral ou d’un droit potestatif : note préc. Que l’on songe à la fixation unilatérale du prix… Au sujet de laquelle quelques mois plus tôt la première Chambre civile avait implicitement consacré la solution inverse : « Chaque partie étant libre de fixer les prix qu’elle entend pratiquer, le nouveau prix n’est pas abusivement fixé », Cass. civ. 1ère, 30 juin 2004, D. 2004.AJ. 2150, obs. V. Avena-Robardet ; RDC 2005.275, Ph. Stoffel-Munck. La variation s’élevait pourtant en l’espèce à 100 % du prix. Toutefois, le cocontractant avait été averti en temps utile de cette future hausse. Il n’est donc pas impossible de concilier cette jurisprudence avec l’arrêt cité précédemment : l’obligation de motivation céderait dès lors que le client a été averti en temps utile. Sur la question de l’obligation de motivation : M. Fabre-Magnan, L'obligation de motivation dans les contrats, Mélanges Jacques Ghestin, LGDJ 2001, p. 301 ; J. Rochfeld, Les droits potestatifs accordés par le contrat, Mélanges Jacques Ghestin, préc. p. 747.
633 De 1970 à 1994, la jurisprudence était soucieuse de « protéger le faible contre le fort » : M. Jéol, concl. sur Cass. Ass. plén. 1ère décembre 1995, Gaz. Pal. 8-9 décembre 1995, p. 8. Le juge a ainsi cherché à combattre la pratique qui consiste pour les bénéficiaires d’une clause d’exclusivité à fixer unilatéralement le prix des contrats d’application au contrat-cadre. Pour ce faire, elle a puisé dans les principes gouvernant la formation des contrats. Sous le visa de l’article 1591 du Code civil, elle a décidé dès 1970 que le fixation du prix par la seule référence au tarif du fournisseur rendait nulles les conventions de bière ou de carburant : Cass. com., 27 avril 1971 (deux arrêts), 5 novembre 1971, D.1972.353, note J. Ghestin ; Cass. com., 27 avril 1971 (trois arrêts), JCP 1972.II.16975, note J. Boré. Devant l’émoi suscité en doctrine par le recours manifestement inapproprié de l’article 1591 du code civil, la jurisprudence changea son fusil d’épaule. Elle eut recours à l’article 1129 du Code civil pour fonder l’annulation des contrats-cadres qui laissaient le prix des contrats d’exécution indéterminé. Et elle fit application du même principe à ceux qui abandonnaient sa fixation à la discrétion d’une seule partie, fût-ce pour partie : Cass. com., 11 octobre 1978, D. 1979.135, note R. Houin. La référence au prix pratiqué par le vendeur ou le prestataire de service se trouvait ainsi condamnée. Les conséquences au plan pratique de cette jurisprudence furent regrettables, au regard des conditions de mise en œuvre de l’annulation comme du régime applicable. Une prime à la mauvaise foi était ainsi offerte au cocontractant désireux de se libérer de ses obligations contractuelles, en violation manifeste du principe de finalité qui doit conditionner l’utilisation des règles juridiques. Ils n’avaient qu’à exciper de l’absence de la détermination du prix dans la convention initiale pour voir annulée celle-ci et partant, les contrats d’application. Et dans une application stricte des principes qui traversent le droit des obligations, le juge n’hésita pas à faire application du principe de rétroactivité aux contrats d’exécution en privant de tout bénéfice le fournisseur sans pour autant dissiper toutes les inquiétudes qui entourent le montant de la restitution.
634 Cass. 1ère civ. 29 novembre 1994, D. 1995.122, note L. Aynès ; JCP.II.22371, note J.Ghestin ; CCC. 1995, n° 24, obs. L. Leveneur ; RTDC 1995.358, obs. J. Mestre ; RTDcom. 1995.464, obs. B. Bouloc. Sur cet arrêt, voir également : L. Vogel, préc.
635 Cass. Ass. Plén. 1er décembre 1995, Bull. civ. n° 7 (2 arrêts) 8, 9 ; Gaz. Pal. 8, 9 décembre 1995, p. 8, note P. de Fontbressin ; D. 1996.13, conl. Jéol, note L. Aynès ; JCP 1996.II.22565, concl. Jéol, note J. Ghestin ; JCP 1996 éd. E,II, 776, note L. Leveneur ; JCP éd. N. I, 93, obs. D. Boulanger ; PA, 27 décembre 1995, n° 155 p. 11, note D. Bureau , N. Molfessis ; CCC., 1996, n° 5, obs. L. Leveneur ; RTDC 1996.153, obs. J. Mestre ; Déf. 1996.748, obs. Ph. Delebecque. Sur ces arrêts, voir également : M.A. Frison-Roche, De l’abandon de l’indétermination à l’abus dans la fixation du prix, RJDA 1996.5 ; J. Huet, Critique de la jurisprudence de l’assemblée plénière sur l’indétermination du prix, Mélanges Alain Sayag, Litec 1997, p. 311 ; J. Calvo, L’indétermination du prix dans les contrats : d’une indétermination à l’autre, PA, 17 janvier 1996, p. 20 ; A. Brunet, A. Ghozi, La jurisprudence de l’Assemblée plénière sur le prix du point de vue de la théorie du contrat, D. 1998.1.
636 Le lien entre l’absence d’abus et la bonne foi n’est certes pas automatique. Sur ce thème : Ph. Stoffel-Munck, L’abus dans le contrat. Essai d’une théorie, LGDJ 2000. En défendant la thèse du caractère délictuel de l’obligation de bonne foi, l’auteur sappe les fondements de ce raisonnement : préc. n° 158 p. 142 et s. Il est alors naturellement conduit à minorer les apports des arrêts du 1er décembre 1995 : préc. n° 173 p. 159. Une décision récente de la Cour est toutefois venue poser une relation de dissymétrie parfaite entre abus et bonne foi en énonçant le principe selon lequel « si selon l’article 1134 du Code civil, les conventions légalement formées font la loi des parties et doivent être exécutées de bonne foi, manque à cette obligation l’avocat qui après avoir sollicité des honoraires exhorbitants prend l’initiative d’anticiper la perception de ces honoraires et fait état de diligences et d’un temps de travail manifestement excessifs au regard du dossier. », Cass. civ. 3ème, 2 mars 2005, RTDC 2005.592, obs. J. Mestre et. B. Fages. Il s’en suivra la réduction judiciaire du prix. Ainsi que le relèvent les commentateurs, il s’agit là d’une « consécration officielle. » du rôle joué par la bonne foi en ce domaine. Dans le même esprit fut rendue le même jour une décision similaire en matière de contrat d’entreprise qui attira également l’attention des commentateurs : Cass. civ. 3ème, 2 mars 2005, Bull. n° 51 p. 46. Un prix forfaitaire avait été fixé et la bonne foi fut sollicitée aux fins de réduction du prix. L’entrepreneur n’avait pas informé le maître d’œuvre des conditions exactes de réalisation des travaux : préc.
637 Sur le sujet : Existe t-il un principe de proportionnalité en droit privé ?, colloque du 20 mars 1998, organisé par le centre de droit des affaires et de gestion de la Faculté de Droit de Paris V, PA, 30 septembre 1998, p. 2 et s. Egalement : S. Le Gach-Pech, Le principe de proportionnalité en droit privé, LGDJ 1997. Plus particulièrement sur les conséquences de la jurisprudence de 1995 : M. Béhar-touchais, Rapport introductif, p. 8 ; N. Molfessis, Le principe de proportionnalité et l’exécution du contrat, préc. p. 28 ; S. Legach-Pech, préc.
638 La notion d’abus peut évidemment être appréciée à travers l’analyse du comportement et non pas du montant appliqué. Or, le lien entre les deux n’est pas nécessaire. En témoigne la décision du 30 juin 2004 qui casse une décision de cour d’appel qualifiant d’abusive l’augmentation élevée du prix d’une tarification bancaire : Cass. civ. 1ère, 30 juin 2004, D. 2004.2150, note V. Avena-Robardet. Certes, les magistrats n’omettent pas de mentionner que le client « bénéficiait d’un préavis d’un mois pour résilier son contrat, avait été tenu informé du changement de politique de la banque plus de six mois avant l’échéance, disposant ainsi du temps nécessaire pour s’adressser à la concurrence. ». Ainsi que l’indique le commentateur, il y a là une consécration subjective de la notion d’abus, lequel réside « moins dans le montant des prix que dans les conditions de son application. » : préc.
639 Sur ce thème : Y. Picod, th. préc.
640 Plus qu’un mythe, il y a ici une réalité technique. Contr : L. Leveneur, Le solidarisme contractuel : un mythe, dans Le solidarisme contracuel, préc., p. 175 et s. En plus d’en contester les fondements, l’auteur nie l’influence exercée par la théorie.
641 Y. Picod, L’exigence de bonne foi dans l’exécution du contrat, dans Le juge et l’exécution du contrat, colloque I.D.A. Aix-en-Provence du 28 mai 1993, PUAM 1993, p. 63.
642 Une justice contractuelle, l’autre, L. Cadiet, Mélanges Jacques Ghestin, LGDJ 2001, p. 177. Sur le lien entre bonne foi et justice contractuelle en droit comparé : B. Jaluzot, La bonne foi dans les contrats. Etude comparative des droits français, allemand et japonais, Dalloz 2001, n° 928 p. 253 et s.
643 C. Jamin, préc. p. 49.
644 C. Jamin : Plaidoyer pour le solidarisme contractuel, Mélanges Jacques Ghestin, préc., p. 451. Sur les liens entre le droit civil et les grands courants politiques : F. Awald, L’Etat-providence, Grasset 1986.
645 D. Mazeaud, Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise contractuelle ?, Mélanges François Terré, Dalloz PUF Juriscl.1999, p. 609.
646 J-P Chazal, Les nouveaux devoirs des contractants, dans La nouvelle crise du contrat, actes du colloque organisé le 14 mai 2001 par le centre René-Demogue, Université de Lille II, Dalloz 2003, p. 128.
647 Ph. Stoffel-Munck, L’abus dans le contrat. Essai d’une théorie, préc., n° 148 p. 134 et s.
648 L’arrêt le plus célèbre illustrant ce processus est sans doute la décision du 17 juin 1997 : pour n’avoir pas contracté de bonne foi, une banque a engagé sa responsabilité délictuelle en exigeant un aval d’un montant « manifestement disproportionné » aux revenus et au patrimoine du souscripteur. Sur cet arrêt : J. Casey, note sous Cass. com., 17 juin 1997, D. 1998.208 ; D. Legeais, JCP éd. E, 1997.1007 ; Défr. 1997.1424, obs. L. Aynès ; M. Cabrillac, RTDCom. 1997.662 ; RTDC 1998.100, obs. J. Mestre ; RTDC 1998.157, P. Crocq. Egalement : S. Piedelièvre, Le cautionnement excessif, Défr. 1998.849 ; M.N. Jobard-Bachelier et V. Brémond, De l’utilité du droit de la responsabilité pour assurer l’équilibre des intérêts des contractants, RTDCom. 1999.327. Ainsi que le professeur Lécuyer l’a relevé, la solution consacrait l’existence d’un principe de proportionnalité au stade de la formation du contrat : H. Lécuyer, Redéfinir la force obligatoire du contrat ?, PA, 6 mai 1998, p. 44. L’étude du droit positif semble indiquer qu’elle est désormais abandonnée par les juges : Cass. com., 8 octobre 2002, Défr. 2003.456, note S. Piedelièvre.
649 En plus des différents arguments tenants à la nature de l’obligation, l’auteur propose une idée relative à la source de l’obligation. Pour l’auteur, la source de l’obligation doit être recherchée dans la loi : préc. n° 151 p. 136. Ce faisant, l’auteur cultive la confusion entre source formelle et source technique.
650 M. Billiau, Regards sur l’application par la Cour de cassation de quelques principes du droit des contrats à l’aube du xxième siècle, Mélanges Jacques Ghestin, LGDJ 2001, p. 126.
651 L’avis est d’ailleurs partagé par Phillipe Stoffel-Munck : préc. n° 153 p. 137. De cette considération, il n’est toutefois pas possible d’en déduire qu’il est nécessaire de délictualiser l’exigence de bonne foi.
652 Emblématique de ce raisonnement est la position prise par Laurent Leveneur lorsqu’il commente des décisions qui s’inscrivent dans ce courant : l’auteur évoque le « détour bien curieux » qui est réalisé. Et de conclure qu’est simplement en cause « l’obligation principale (d’installation en l’espèce) ». Il n’en reste pas moins qu’il existe manifestement différentes manières d’en concevoir les contours.
653 A. Caillé, De l’idée de contrat, dans La nouvelle crise du contrat, sous la direction de C. Jamin et D. Mazeaud, Actes du colloque organisé le 14 mai 2001 par le centre René Demogue de l’Université de Lille II, p. 36.
654 Quelle place pour le contrat dans l’ordonnancement juridique ?, dans La nouvelle crise du contrat, préc. p. 237.
655 Objectivisation ou subjectivisation du contrat, dans La nouvelle crise du contrat, préc. p. 91.
656 Sur les thèses, voir notamment : G. Lyon-Caen, De l’évolution de la notion de bonne foi, RTDC 1946.82.
657 En charge de la contribution y afférente, Alain Ghozi affirme ainsi que « Les articles 1134 et 1135 ont constitué les axes autour desquels des pans entiers de la relation contractuelle se sont ordonnés », préc. p. 35.
658 La jurisprudence a interprété de manière extensive l’article 1121 du Code civil : l’exigence d’une stipulation pour soi-même a été comprise comme la stipulation qui intéresse le stipulant. Aussi la nécessité d’une contrepartie a-t-elle été purement et simplement supprimée, sauf à considérer que celle-ci consiste en un intérêt moral. Sur la question : F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil. Les obligations, préc. n° 516 p. 517-518.
659 Le droit peut consister en une créance mais également en une faculté de contracter. Sur la question : D-R Martin, La stipulation de contrat pour autrui, D. 1994.145. L’auteur démontre que la qualification de stipulation de contrat pour autrui doit être préférée à celle de stipulation pour autrui avec obligation acceptée, telle que proposée précédemment. Sur la question : G. Venandet, La stipulation pour autrui avec obligation acceptée par le tiers bénéficiaire, JCP éd. N, 1990.I.11.
660 Sur l’utilisation actuelle de la stipulation pour autrui : M. Tchendjou, Les applications contemporaines de la stipulation pour autrui, thèse Paris I, 1995. Egalement : G. Légier, Juriscl. Art. 1121 et 1122, éd. 1995 ; C. Larroumet, D. Mondoloni, Stipulation pour autrui, Rép. civ. Dalloz, 1998. Pour le professeur Larroumet, elle est l’exemple type de formation du droit sous l’influence des besoins de la pratique : Les opérations juridiques à trois personnes, thèse Bordeaux 1988, n° 146 p. 334.
661 Le juge décide depuis 1888 que le contrat d’assurance sur la vie a vocation à être régi par l’article 1121 du Code civil. Quoique la formulation était incertaine, le principe était déjà né selon lequel « le contrat d’assurance sur la vie, lorsque le bénéfice de l’assurance est stipulé au profit d’une personne déterminée, comporte essentiellement l’application de l’article 1121 du Code civil, c’est-à-dire des règles qui régissent la stipulation pour autrui » : Cass. civ., 16 janvier 1888, DP 1888.1.77 ; S. 1888.1.121, note T.C. Ainsi que le font observer Christian Larroumet et Dominique Mondoloni, il existe entre les deux institutions un jeu d’influences mutuelles tel qu’il est impossible de déterminer celle qui a permis de justifier l’autre : Stipulation pour autrui, Rép. civ. Dalloz, 1998.
662 Le juge décida ainsi que « tout expéditeur qui stipule le transport d’une marchandise pour la faire parvenir à une personne déterminée, stipule évidemment dans les termes de l’art. 1121 c. civ., c’est-à-dire pour le destinataire », Cass. civ., 2 décembre 1891, D.P. 1892.1.163.
663 Cass. civ., 6 décembre 1932, D.P. 1933.1.35 ; Cass. civ., 6 décembre 1932 et 24 mai 1933, D.P. 1934.1.81, note P. Esmein.
664 Cass. civ., 21 novembre 1911, D.P. 1913.1.249, concl. L. Sarrut ; S. 1912.1.73, note Ch. Lyon-Caen.
665 Cass. civ., 6 décembre 1932, préc.
666 La voie de l’action successorale eut également consisté à utiliser pour fondement le contrat passé entre la victime directe et la société. Mais les conséquences eussent été radicalement différentes : le montant de l’indemnité est alors parfaitement calquée sur le montant de la dette initiale. Aussi il fallait que la créance de réparation naisse dans le patrimoine de la victime, ce qui supposait qu’elle ne décède pas aussitôt. De surcroît, le montant de la somme allouée restait nécessairement modeste dans la mesure où seul le pretium doloris et le préjudice moral étaient pris en compte. Sur l’action successorale et ses limites : R. Savatier, note sous Cass. civ. 2ème, 29 janvier 1959, D.1959.101. De son côté, la stipulation pour autrui offre l’avantage de rendre le bénéficaire créancier sans que la créance ne transite par le patrimoine du stipulant. L’opération doit ainsi être distinguée de la substitution de personne. Sur le thème : E. Jeuland, Essai sur la substitution de personne dans un rapport d’obligation, LGDJ 1999, n° 80 p. 72 et s.
667 Il faut rappeler que si l’arrêt Jand’heur a été rendu deux ans plus tôt, la solution n’était pas suffisamment ancrée en droit positif pour assurer une réparation fiable du dommage. Aussi la responsabilité du fait des choses n’était pas sollicitée comme elle l’est aujourd’hui.
668 Si le souci d’assurer une égale réparation aux différentes victimes est une constante dans la responsabilité civile, elle s’est manifestée ici avec une acuité particulière. Le souci d’égaliser les règles, tant vis-à-vis du transporteur que des victimes, a fortement incité le juge à statuer en ce sens. Sur la question : P. Esmein, note préc.
669 Selon le professeur Esmein, il y aurait « concours des responsabilités contractuelle et délictuelle » si l’on faisait profiter les victimes indirectes du régime délictuel : note préc. Si la dualité de régime n’est guère souhaitable en raison des inégalités de traitement qu’elle génère, il reste que l’article 1382 du Code civil ne menace pas le principe du non-cumul pour la simple raison que le tiers n’est pas cocontractant, sauf à considérer que ses droits sont dérivés du contrat principal.
670 En vue d’insister sur l’exigence de volonté, le professeur Larroumet a pu écrire que « ce qui caractérise peut-être le plus la stipulation pour autrui, c’est son caractère contractuel », préc. n° 148 p. 340. L’affirmation laisse toutefois songeur dans la mesure où elle pourrait être lancée au sujet de n’importe quelle figure contractuelle. De surcroît, ce qui caractérise le mieux un contrat - comme d’ailleurs toute chose - varie selon l’angle selon lequel on se place et l’objectif que l’on poursuit.
671 Le professeur Larroumet ajoute que l’exigence de volonté est renforcée par le fait qu’elle fait exception au principe de la relativité des conventions : préc. n° 150 p. 343 et s.
672 P. Esmein, note préc. L’auteur ira même jusqu’à affirmer que dans l’esprit des juges, il est évident que les parties n’ont pas entendu générer de tels effets de droit. Pour l’auteur, la Cour de cassation a délibérément créé une règle de droit et elle était légitime à le faire dans le silence de la loi. L'affirmation serait entièrement fondée si la Cour n'avait précisément pas jugé utile de caractériser l'existence de la volonté contractuelle.
673 D. Balestriero, La stipulation pour autrui tacite, thèse Nancy 1994, p. 13
674 Préc. n° 18 p. 22 et s.
675 Préc. n° 21 p. 27.
676 Préc. n° 21 p. 27.
677 Préc. p. 4-5.
678 Sur le principe et la portée du principe d’autonomie du droit à réparation de la victime : G. viney, L’autonomie du droit à réparation de la victime par ricochet par rapport à celui de la victime initiale, D. 1974.3. L’auteur explique notamment que la disparition de l’exigence d’un lien de droit entre le défunt et la victime médiate a fortement contribué à installer l’autonomie du droit à réparation de la victime par ricochet.
679 Les illustrations les plus nombreuses offertes par les juges du fond concernent la réparation du préjudice causé par la transmission du virus HIV par transfusion sanguine. Il fut décidé à plusieurs reprises que le contrat passé entre l’établissement de soins et le centre de transfusion sanguine comportait une stipulation implicite en vertu de laquelle ce dernier s’engageait à fournir au malade un sang dépourvu de tout agent pathogène : CA Paris, 1ère Ch. B, 28 novembre 1991, D. 1992.85, note A. Dorsner-dolivet ; CA Aix-en-provence, 1ère Ch. B, 12 juillet 1993, D. 1994.13, note D. Vidal ; TGI Nice, 3ème Ch., 27 juillet 1992, D. 1993.38, note D. Vidal.
680 Elle peut ainsi participer du processus de renforcement du contrat : J-M Roux, Le rôle créateur de la stipulation pour autrui, PUAM 2001, n° 99 p. 141 et s. L’auteur constate ainsi que les idées d’altruisme, de justice contractuelle et d’équité sont consacrées à travers la découverte de ces obligations. Spécialement : préc. n° 101 p. 143 et s.
681 J. Mestre, obs. sous Cass. civ. 1ère, 14 juin 1989, RTDC 1990.71.
682 La solution n’est pas nouvelle, même si elle était utilisée autrefois avec parcimonie : ainsi l’arrêt Larmoricière avait-il énoncé le principe qu’ « il est loisible aux intéressés de renoncer à la stipulation faite en leur faveur par le défunt au moment de la conclusion du contrat de passage, et de se placer sur le terrain de la responsabilité délictuelle », Cass. civ. sect. Com., 19 juin 1951, D. P. 1951.1.717, note G. Ripert ; S. 1952.1.89, note R. Nerson. Ainsi que le précise Gerges Ripert sous l’arrêt, il semble préférable de parler d’absence d’acceptation plutôt que de renonciation. La stipulation pour autrui n’est pourvue d’effets qu’à la condition d’être acceptée : préc. p. 719.
683 Ce sera le cas notamment lorsqu’une clause limitative de responsabilité sera intégrée au contrat : Cass. com., 26 mai 1992, bull. n° 211 p. 147. Ou encore une clause attributive de compétence défavorable : Cass. com., 26 mai 1992, bull. n° 210 p. 146. Il est à noter que ces arrêts ne font pas expressément référence au pouvoir pour la partie de renoncer au bénéfice de la stipulation pour autrui. Il y est précisé que la société destinataire des marchandises n’avait pas eu connaissance de la clause litigieuse et n’avait donc pas pu l’accepter.
684 Ainsi que l’expose le professeur Viney, il n’est pas incohérent de faire profiter la victime par ricochet d’un régime plus favorable que la victime immédiate pour la simple raison que la première ne tient pas ses droits de son auteur : préc. p. 6. En outre, même pour des raisons pratiques, il ne semble pas qu’il faille s’émouvoir de cette différence de traitement dans la mesure où elle répond à une différence de situation. En sens inverse : R. Nerson, note sous Cass. civ., 19 juin 1951, S. 1952.1.89.
685 L’article L.223-6 al. 2 du Code pénal incrimine la non-assistance à personne en danger : le droit ne peut obliger d’un côté et rester indifférent de l’autre. Si la disposition limite l’incrimination aux interventions qui ne comportent pas de danger pour soi ou pour les tiers, il est bien difficile en pratique d’évaluer la dangerosité d’une intervention : il ne saurait donc être reproché à la personne de ne pas l’avoir fait correctement et d’en subir les conséquences dommageables au plan civil.
686 Le professeur Bout a clairement mis en évidence le sentiment d’injustice qui peut naître à la lecture des décisions qui laissent l’assistant sans réparation : La convention dite d’assistance, Mélanges P. Kayser, PUAM 1979, p. 157.
687 Dès lors que l’assisté avait une chose entre ses mains, la solution ne présentait guère de difficulté. En revanche, il était moins évident de caractériser l’existence d’une faute : il n’est pas nécessairement fautif de se placer dans une situation dangereuse.
688 Le fait volontaire de la victime s’interpose entre le fait générateur de responsabilité et le dommage. Il a donc fallu faire application de la théorie de l’équivalence des conditions et retenir une conception stricte de la faute de la victime. Cette solution fut défendue par le professeur Tunc : « quand l’assisté est en mauvaise posture par suite d’une faute de sa part ou de la faute d’un tiers, il est possible de faire du dommage subi par le sauveteur une conséquence de la faute, car un acte de dévouement ne rompt pas la causalité. », obs. sous Cass. civ. 2ème, 23 mai 1962, RTDC 1963.327.
689 F. Collard Dutilleul, Ph. Delebecque, Contrats civils et commerciaux, Dalloz, 5ème éd. 2001, n° 639 p. 514.
690 Note sous Cass. civ. 1ère, 27 mai 1959, D. 1959.524.
691 La Cour de Poitiers consacra cette solution dans une espèce en date du 26 novembre 1952 : D. 1953.210 ; JCP 1953.II.7565, note P. Esmein.
692 Cass. civ. 1ère, 27 mai 1959, D. 1959.524, note R. Savatier ; JCP 1959.II.11187, note P. Esmein ; RTDC 1959.735, note H.et L. Mazeaud.
693 Un exemple topique est constitué par la convention d’assistance passée entre plongeurs : « l’hypothétique convention d’assistance entre plongeurs sous-marins », M. Fabre-Magnan. JCP 1995.I.3867. L’auteur développe le commentaire d’un arrêt de la cour d’appel de Paris rendu le 25 janvier 1995.
694 Cass. civ 1ère, 1er décembre 1969, D. 1970.422, note M. Puech ; JCP 1970.II.16445, note J-L Aubert. Tandis que le professeur Aubert releva le paradoxe qui consiste à invoquer l’intérêt exclusif d’une personne pour faire reposer une obligation sur ses épaules, Marc Puech regretta l’incertitude qui plane autour de la notion d’intérêt exclusif.
695 L’observation en a été faite par de nombreux auteurs. Déjà en 1972, Roger Bout défendait l’idée selon laquelle l’assisté était dépourvu de toute volonté de produire des effets sur le terrain juridique : La gestion d’affaires en droit français contemporain, LGDJ 1972, n° 289 p. 350. L’auteur ne manqua d’ailleurs pas de faire observer que l’existence d’une convention d’assistance devrait conduire à s’interroger sur les conditions dans lesquelles le consentement a été donné. L’existence du vice de violence justifierait que l’on mette en doute sa validité : préc. n° 290 p. 351. Il n’est toutefois pas certain qu’il soit opportun de donner une définition aussi large de la violence. Dans le même sens, le professeur Viney met en évidence le potentiel extraordinaire de cette solution, de nature à faire perdre à la notion de contrat toute spécificité : « qualifier de contrat le fait de rendre un service gratuit à un proche ou à un ami me paraît en effet complètement artificiel car n’importe quelle activité qui n’est pas totalement égoïste et qui peut donc profiter d’une manière quelconque à autrui pourrait dans ce cas, être englobée dans le concept qui risque alors de devenir tellement vague et envahissant qu’il n’aurait plus aucune spécificité. », G. Viney, Responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle : la responsabilité encourue par le bénéficiaire d’un service bénévole pour le dommage corporel subi à l’occasion de ce service, JCP 1994.I.3809. Le professeur Jourdain préfère quant à lui un argument d’ordre subjectif. Le désintéressement qui caractérise l’acte bénévole est inconciliable avec la volonté de se lier juridiquement : note sous Cass. civ. 1ère, 27 janvier 1993, RTDC 1993.584.
696 Le professeur Atias a ainsi fait remarquer qu’ « entre l’obligation contractuelle – du contrat légalement ou classiquement nommé, à la jeune convention d’assistance – et l’acte de pure courtoisie et complaisance qui est source de liens non juridiques, la marge est ténue, incertaine », Restaurer le droit du contrat, D. 1998.138.
697 On a eu raison d’écrire qu’ « Admettre le contraire reviendrait à vider de sa spécificité la notion de contrat. », note sous Cass. civ. 1ère, 7 avril 1998, JCP 1998.10203.
698 Remarques sur la prétendue convention d’assistance, S. Hocquet-Berg, Gaz. Pal. 1996.1.36. L’auteur ne manque d’ailleurs pas de faire la distinction entre forçage de la volonté et forçage du contrat : « La force obligatoire de l’obligation contractuelle trouve d’abord sa source dans la volonté des parties, même si la loi modèle quelque peu la force ou le contenu de cette obligation. Il n’en reste pas moins que l’acte d’engagement provient d’une démarche volontaire. », préc. p. 36.
699 Ainsi la jurisprudence n’hésita pas à réparer le préjudice subi par une personne qui se rend en voiture sur le lieu du secours et qui est blessée durant le trajet : Cass. civ. 1ère, 8 novembre 1977, Bull. n° 406 p. 324.
700 Cass. civ. 1ère, 16 juillet 1997, RTDC 1997.944, obs. P. Jourdain. Un entrepreneur s’était vu confier le décapage d’un meuble qu’il laissa tomber au cours du transport entre l’atelier et le véhicule du client. En apportant son aide à l’entrepreneur pour le remettre en place, le client perdit l’équilibre et fit une chute dans un escalier.
701 Cass. civ., 8 novembre 1977, préc.
702 La jurisprudence proposa une interprétation extrêmement souple de l’article 1150 en décidant par exemple qu’est « normalement prévisible » un accident réalisé lors de « l’exécution d’un contrat de bienfaisance qui met en jeu des véhicules à moteur » : Cass. soc. 14 février 1963, JCP 1964.II.13611, note P. Esmein.
703 Cass. civ. 1ère, 17 décembre 1996, D. 1997. somm. comm. 288, obs. Ph. Delebecque ; CCC. 1997, comm. n° 78, obs. L. Leveneur ; Rev. gén. ass. 1997.237, note Ph. Rémy ; RTDC 1997.431, note P. Jourdain. Pour offrir ce complément, la Cour de cassation s’est fondée sur les articles 1135 et 1147 du Code civil.
704 Observations préc. p. 289.
705 P. Esmein, observations sous Cass. civ. 1ère, 27 mai 1959, JCP 1959.II.11187.
706 Notamment : Cass. civ. 1ère, 27 janvier 1993, Gaz. Pal. 1993.2.434, note F. Chabas.
707 Sur la question : G. Viney, Responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle : la responsabilité encourue par le bénéficiaire d’un service bénévole pour le dommage corporel subi à l’occasion de ce service, JCP 1994.I.3809.
708 Sur la question : G. Wicker, Les fictions juridiques. Contribution à l’analyse de l’acte juridique, LGDJ 1997, n° 74 p. 79 et s. Sur la notion de fiction juridique, également : A-M Leroyer, Les fictions juridiques, thèse Paris 1995. Ainsi que le fait justement remarquer l’auteur, « Cette victoire du droit sur le fait » n’est pas nécessairement une mauvaise chose : préc. n° 477 p. 526. Il convient d’en apprécier les finalités. Elle l’est toutefois dès lors qu’elle contribue à rendre inintelligible le droit positif par la création d’un écart entre source technique et source substantielle.
709 Sur les différentes fonctions de la fiction juridique et notamment la fonction de protection : Y. Paclot, Recherche sur l’interprétation juridique, thèse Paris 1988, n° 412 p. 366 et s. Il est par ailleurs bien évident qu’en l’espèce, la personne protégée n’est pas celle en qui on présume la volonté.
710 Zaccaria G., Le juriste et la volonté : quelques notes sur betti et les fictions juridiques, Droits 1995.127.
711 Cass. civ. 1ère, 23 septembre 2003, D. 2004 somm. comm.1344, obs. D. Mazeaud ; JCP 2003.II.10179, note N. Jonquet, A-C Maillols, D. Mainguy, E. Terrier ; RTDC 2004.101, obs. P. Jourdain. L’arrêt de cour d’appel relève précisément que la « possibilité d’une telle association (entre la vaccination et la maladie) ne peut être exclue de façon certaine, que Mme Jeanpert était en parfaite santé jusqu’à la première injection du vaccin, qu’il existe une concordance entre la vaccination et l’apparition de la maladie également constatée chez d’autres malades, et qu’il n’y a, dans le cas de Mme Jeanpert, aucune autre cause de déclenchement de la maladie. ». Ainsi que le font observer les commentateurs à la semaine juridique, il n’y a rien d’ « osé » (P. Jourdain, note préc. p. 102) à ce que la victime bénéficie en ce type de circonstances d’une présomption de fait et que soit ainsi dépassée l’exigence matérielle du lien causal dès lors qu’existe un risque médical plausible qui peut aisément être mis en rapport avec le dommage : note préc. Dans le sens contraire : D. Mazeaud, obs. préc. La vérité scientifique elle-même n’est d’ailleurs pas affaire de certitudes : elle se caractérise au contraire par sa capacité à « tolérer l’incertitude » : M. Girard, L’intégrisme causal, avatar de l’inégalité des armes ?, D. 2005.2620.
712 Cass. civ. 1ère, 5 avril 2005, D. 2005.2256, note A. Gorny, JCP 2005.II.10085, note L. Grynbaum, J-M. Job. Egalement au sujet de ces arrêts : M. Girard, préc. Certes, il convient de préciser que le lien entre l’absorption du médicament et la maladie était par ailleurs scientifiquement reconnu et que la cessation du trouble coïncidait en l’espèce avec l’arrêt du médicament. Il n’en reste pas moins que la Cour précise « qu’il n’était établi l’existence, ni d’une erreur de prescription, ni d’une prédisposition du patient à ce syndrome, ni d’une association avec d’autres médicaments ».
713 Régulièrement des décisions attestent de son installation en droit positif. Intéressante à cet égard est la décision de la deuxième Chambre civile du 24 février 2005 : JCP 2005.I.149, n° 1, obs. G. Viney. Elle affirme le principe selon lequel aucun lien de causalité ne saurait unir l’accident provoquant un handicap et le préjudice moral des enfants de la victime qui sont nés après l’accident. Pour le moins audacieuses, les prétentions du demandeur ont été fort heureusement rejetées. Il y aurait eu là une application caricaturale de la théorie de l’équivalence des conditions. De surcroît, ainsi que l’indique en commentaire le professeur Geneviève Viney, il est également possible d’y voir un refus d’ouvrir trop largement la réparation du préjudice d’affection : obs. préc.
714 Cass. civ. 1ère, 13 mai 1998, Bull. n° 174 p. 116.
715 Cass. civ. 2ème, 12 octobre 2000, Resp. civ. et ass. 2001, comm. n° 7. Il faut préciser que le propriétaire de la remorque était en faute. En témoigne la rédaction de l’arrêt : « Attendu que M. Alain Ducher et son assureur font grief à l’arrêt d’avoir accueilli la demande, alors, selon le moyen, que l’auteur d’une faute ne peut être condamné à réparer les dommages qui ne résultent pas de cette faute ».
716 Cass. civ., 2ème 2 juin 2005, n° 03-20.011, JCP 2006.I.111, n° 6, obs. Ph. Stoffel-Munck. L’auteur y voit à juste titre une nouvelle illustration de la théorie de l’équivalence des conditions.
717 Ainsi un conducteur fautif à l’origine d’un accident a été jugé responsable d’un trouble oculaire subi lors de l’intervention chirurgicale rendue nécessaire : Cass. civ. 2ème, 27 janvier 2000, Bull. n° 19 p. 13 ; JCP 2000.II.10363, note Ph. Conte. Ainsi que le précise le commentateur, la décision eût dû être fondée sur les dispositions de la loi de 1985 ; or, l’arrêt est rendu sous le visa de l’article 1382 du Code civil, ce qui constitue le meilleur témoignage de la volonté de conférer un rayonnement particulier à la faute. Par ailleurs, l’arrêt est d’autant plus remarquable que la décision d’appel avait relevé que « l’atteinte oculaire est uniquement due à l’accident thérapeutique » : la cécité ne trouvait donc pas son origine première dans l’accident de voiture. Egalement : Cass. civ. 1 ère, 4 décembre 2001, Bull. n° 310 p. 197 ; JCP 2002.II.10198, note O. Gout ; JCP 2002.I.186, n° 10, obs. G. Viney ; RTDC 2002.308, obs. P. Jourdain. Un patient avait été contaminé par le virus de l’hépatite à l’occasion d’une opération chirurgicale rendue nécessaire par un accident.
718 Est-il nécessaire de rappeler que devant l’émoi suscité par la décision le législateur est intervenu pour mettre fin à la jurisprudence Perruche ? En son alinéa 1, la loi du 4 mars 2002 dispose ainsi que « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance. ». Cette ligne jurisprudentielle est anéantie mais pas les questions techniques qu’elle recèle. L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 24 juin 2003 est ainsi le parfait témoignage de la persistance des questions techniques : D. 2004.983, note A Sériaux. Il fut ainsi décidé que la loi n’était pas applicable aux fautes qui ont pour effet d’empêcher les parents d’éviter la conception d’un enfant handicapé. L’assouplissement du lien causal s’observe alors entre la faute des médecins et le préjudice subi, ce que ne manquera pas de relever le professeur Sériaux : préc.
719 Cass. civ. 1ère, 26 mars 1996, D. 1997.35, note J. Roche-Dahan ; D. 1997 somm.comm. 322, obs. J. Penneau; JCP 1996.I.3496, obs. P. Murat; JCP 1996.I.3985, obs. G. Viney ; Dr. et patr., 1996.1403, obs. F. Chabas ; Gaz. Pal. 1997.2.383, obs. F. Chabas ; Resp. civ. et ass. 1996, comm. n° 229, obs. H. Groutel ; RTDC 1996.623, obs. P. Jourdain ; RTDC 1996.871, obs. J. Hauser.
720 Cass. Ass. plén. 17 novembre 2000, D. 2001.332, note D. Mazeaud ; D. 2001.336, note P. Jourdain ; JCP 2000.II.10438, rapp. P. Sargos, concl. J. Sainte-Rose, note F. Chabas ; Dr. fam. 2001, comm.11. Egalement : L. Aynès, Préjudice de l’enfant né handicapé : la plainte de Job devant la cour de cassation, D. 2001.492 ; L. Aynès, Malheur et préjudice, Le monde, 31 janvier 2001, p. 16 ; B. Edelman, L’arrêt Perruche : une liberté pour la mort ?, D. 2002.2349 ; D. Fenouillet, Pour une humanité autrement fondée, Dr. fam. 2001, chr. 7 ; P-Y Gauthier, Les distances du juge, à propos d’un débat éthique sur la responsabilité civile, JCP.I.287 ; M. Gobert, La Cour de cassation méritait-elle le pilori ?, PA 2000, 8 décembre 2000, p. 4 ; P. Kayser, Un arrêt de l’assemblée plénière de la cour de cassation sans fondement juridique ?, D. 2001.1889 ; C. Labrousse-Riou et B. Mathieu, La vie humaine peut-elle être un préjudice ?, D. 2002, n° 44, Point de vue ; G. Mémenteau, L’action de vie dommageable, JCP.I.279 ; C. Radé, Etre ou ne pas naître ? Telle n’est pas la question !, Resp. civ. et ass. 2001, chr. n° 1 ; Y. Saint-jours, Handicap congénital - Erreur de diagnostic prénatal – risque thérapeutique sous-jacent, D.2001.1263 ; F. Terré, Le prix de la vie, JCP 2000, Aperçu rapide, p. 2267 ; G. Viney, Brèves remarques à propos d’un arrêt qui affecte l’image de la justice dans l’opinion, JCP 2001.1.286.
721 Cass. Ass. plén. 13 juillet 2001 (trois arrêts), D. 2001.2325, note P. Jourdain ; JCP 2001.II.10601, concl. J. Sainte-Rose, note F. Chabas ; Cass. Ass. plén. 28 novembre 2001, D. 2001.IR.3588.
722 Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002. Sur cette loi : P. Jourdain, Loi anti-Perruche : une loi démagogique, D. 2002, n° 11, Point de vue ; A. Choux, La loi anti-Perruche, D. 2002, n° 15, Interview. Pour Alain Sériaux, le texte - tel qu’il apparaissait d’ailleurs dans la proposition de loi - ne devrait pas empêcher l’exercice d’actions sur le même fondement dans la mesure où pour la Cour de cassation ce qui est en cause n’est pas « la vie du handicapé » mais « la vie de handicapé ». Egalement : CA Paris, 13 juin 2002, D. 2002.2156, note M-C Monteclerc. Mais la menace d’ineffectivité semble provenir de l’application de l’article 1er du protocole n° 1 à la Convention européenne des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales. Celui-ci exige que soit assuré un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et les impératifs de sauvegarde du droit au respect des biens. Or, selon un arrêt de la première Chambre civile du 24 janvier 2006, tel n’est pas le cas lorsque la loi, en prohibant l’action de l’enfant, a institué un mécanisme de compensation forfaitaire du handicap sans rapport avec une créance de réparation intégrale, dès lors que les parents pouvaient en l’état de la jurisprudence antérieure, légitimement espérer que leur enfant serait indemnisé au titre du préjudice résultant de son handicap : D. 2006.IR.325.
723 CEDH 6 octobre 2005 (deux arrêts), JCP 2006.II.795, note A. Zollinger.
724 Cass. civ. 1ère, 24 janvier 2006 (trois arrêts) D. 2006.IR.325 ; JCP 2006.II.10062, note A. Gouttenoire et S. Porchy-Simon.
725 CE, 24 février 2006, JCP 2006.II.10062, note A. Gouttenoire et S. Porchy-Simon.
726 L’observation a été faite maintes fois : D. Fenouillet, préc. p. 5 ; D. Mazeaud, note préc. p. 333 ; F. Chabas, note préc. p. 1842. Egalement : C. Grare, Recherches sur la cohérence de la responsabilité délictuelle, Dalloz 2005, n° 228 p. 167-168.
727 P. Sargos, rapport préc. n° 40. Il ne serait d’ailleurs pas sans intérêt de s’interroger sur ce que peut recouvrir le lien de causalité qui, en l’espèce, ne serait pas « envisagé biologiquement » : s’agirait-il d’une pure abstraction, dépourvue de tout lien avec la réalité ? L’affirmer reviendrait tout simplement à supprimer l’exigence d’un lien de causalité. Il s’agirait tout au plus d’une condition purement formelle.
728 Cette affirmation repose toutefois sur un présupposé discutable : pourquoi considérer a priori que le handicap est sans conséquence sur la vie de l’embryon ? L’exposé de cette idée est toutefois nécessaire pour tenter de comprendre la décision.
729 La justification par la notion de perte de chance a en effet été clairement écartée par l’arrêt de plénière du 28 novembre 2001 : « le préjudice de l’enfant n’est pas constitué par la perte de chance mais par son handicap », Bull. Ass. plén. n° 16 p. 33.
730 Au sujet précisément de l’arrêt Perruche, la thèse a été retenue par Genevière Viney : préc. p. 66.
731 Sur le sujet : S. Carval, La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, LGDJ 1995.
732 Sur la question : G. Ripert, Le prix de la douleur, D.1948.1. Egalement : P. Esmein, La commercialisation du dommage moral, D. 1954.113.
733 S’agissant d’un droit ou d’une liberté, son exercice ne saurait être fautif (du moins en soi…) : P. Jourdain, note sous Cass. Ass. plén. 17 novembre 2000, D. 2001.338.
734 Elle n’explique d’ailleurs pas plus que certains dommages qui trouvent leur source lointaine dans une faute ne fassent pas l’objet d’une mesure de réparation. Il fut ainsi décidé que le suicide d’un client d’une banque fautive ne peut être réparé sur le fondement de l’article 1382 du Code civil : Cass. com., 4 décembre 2001, Bull. n° 194 p. 190 ; JCP 2002.I.186, n° 10, obs. G. Viney. Le raisonnement de la Cour consista à invoquer l’absence de proportion entre la faute et le geste du client. Cette décision mérite d’ailleurs d’être rapprochée d’un arrêt rendu le même jour par la première Chambre civile qui fait application de la théorie de l’équivalence des conditions alors précisément qu’aucune faute n’avait été commise par le débiteur : il s’agissait d’une personne qui avait été infectée par le virus de l’hépatite C à l’issue de plusieurs interventions chirurgicales rendues nécessaires par un accident.
735 Cass. civ. 2ème, 13 juillet 2000, RTDC 2000.853, obs. P. Jourdain.
736 Cass. civ. 2ème, 27 mars 2003, n° 76 p. 66. Il est intéressant d’observer que la Cour s’est explicitement réclamée du principe de l’équivalence des conditions pour éviter que les fautes de l’assureur ne fassent obstacle à la condamnation du fonds de garantie : « cette pluralité de causes, à supposer qu’elle soit démontrée, n’est pas de nature à faire obstacle à l’indemnisation de l’entier dommage par l’auteur initial par application du principe de l’équivalence des causes dans la production d’un même dommage en matière de responsabilité délictuelle ».
737 Cass. civ. 2ème, 26 septembre 2002, Bull. n° 198 p. 157.
738 Sur la question : J. Boré, L’indemnisation pour les chances perdues : une forme d’appréciation quantitative de la causalité d’un fait dommageable, préc.
739 Sur la question : G. Viney, P. Jourdain, Traité de droit civil. Les conditions de la responsabilité, 2ème éd. 1998, n° 278 p. 71.
740 Ce que regrette vivement Mlle Viney : obs. sous Cass. civ. 1ère, 4 décembre 2001, préc.
741 Ainsi que l’explique Dominique Fenouillet, la Cour n’a méconnu la condition de causalité que si l’on considère que le préjudice réparé est constitué par le handicap : préc. p. 5.
742 Il faut préciser que l’arrêt expose que le préjudice consiste dans le handicap. Mais il ne discrédite pas cette seconde interprétation pour deux raisons : tout d’abord le temps est passé entre les deux décisions qui a laissé le temps à la Cour suprême de revoir sa position. Mais surtout, l’arrêt pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses dans la mesure où rien ne permet de savoir en quoi la faute du médecin est à l’origine du handicap (et non pas de son développement ultérieur).
743 L’avocat général Jerry Sainte-Rose l’affirmera sans détour : « la seule circonstance qui soit réellement en corrélation avec les fautes c’est la naissance de l’enfant », concl. préc. p. 1838.
744 Alors qu’il se livre à l’entreprise de défense de l’arrêt, Christophe Radé le reconnaît d’ailleurs lorsqu’il affirme qu’ « il est possible de douter de l’absolue certitude que semble afficher la cour concernant la décision que les parents du jeune Perruche auraient prise s’ils avaient su que la mère avait contracté le virus de la rubéole et spéculer sur le doute qui aurait pu les envahir au moment de décider de mettre effectivement un terme à la grossesse », préc. p. 6.
745 Ainsi pour le le professeur Chabas, il n’est pas possible de faire appel à cette théorie car « Les chances sont une probabilité objective de réalisation d’un événement qui ne dépend pas exclusivement de la volonté humaine », note préc. sous Cass. Ass. plén. 13 juillet 2001, préc. Dans le même sens : J. Sainte-Rose, concl. sur Cass. Ass. plén. 13 juillet 2001, préc.
746 Il existe donc bien ici une « loi aléatoire sous-jacente », telle que définie par Jacques Boré : L’indemnisation pour les chances perdues : une forme d’appréciation quantitative de la causalité d’un fait dommageable, JCP 1974.I.2620. Sur la notion de perte de chance : A. Bénabent, La chance et le droit, LGDJ 1973, n° 235 p. 178 et s. ; Y. Chartier, La réparation du préjudice, Dalloz 1996, p. 13 et s.
747 Le premier consiste dans le développement des droits subjectifs. Celui-ci ne se limite pas à un impact technique dans l’ordre juridique interne. Sur la question : A. Debet, L’influence de la convention enropéenne des droits de l’homme sur le droit civil, thèse Paris 2001. L’auteur montre que l’influence de la convention s’est faite sentir tant sur les sources que sur le fond du droit. La montée en puissance de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales et son influence sur le droit civil a fortement contribué à envisager la personne comme un être titulaire de droits subjectifs. Sur la question : Ph. Malaurie, La convention européenne des droits de l’homme et le droit civil français, JCP 2002.I.143. Egalement : O. Lucas, La convention européenne des droits de l’homme et les fondements de la responsabilité civile, JCP 2002.I.111. Pour l’auteur, cette influence s’exerce à travers l’importance accordée aux droits subjectifs. Il est d’ailleurs piquant de constater que le respect de la vie et de la dignité de la personne se trouve lui-même entamé par la haute imprégnation de ces principes dans les esprits : « renversement paradoxal et pervers des droits de l’homme » que celui qui favorise l’exclusion. Curieux processus qui réussit à faire que « La démocratie devient, par un retournement invraisemblable, le système qui favorise son contraire ; au service de la communauté humaine, elle est mise au service de l’exclusion de cette communauté. » :B. Edelman, préc. p. 2351. D’un autre côté, l’avènement de l’ère du loisir et de de la société de consommation a insidieusement donné naissance à un véritable devoir de bonheur que d’aucuns ont pu dénoncer : P. Bruckner, L’euphorie perpétuelle, Essai sur le devoir de bonheur, Bernard Grasset 2000. Détrônant les idéologies ou les utopies collectives, l’individualisme contemporain - Pour une étude sociologique sur le thème de l’individualisme contemporain : G. Lipovetsky, L’ère du vide, Essais sur l’individualisme contemporain, Folio Essais, 1983 -a favorisé l’exaltation du moi - Gilles Lipovetsky a ainsi choisi Narcisse comme personnage emblématique de notre époque : préc. p. 70 et s. - et la satisfaction de ses plaisirs. La personne et ses qualités sont devenues le théatre où s’exprime l’idéal. Le succès de la psychanalyse, la désaffection pour la chose publique, les replis identitaires ou le développement des salons de beauté participent du même phénomène : le primat de la personne, non plus considérée comme sujet digne de respect, mais comme siège du plaisir et de la satisfation. Dans ce contexte, il est évident que la vie affectée d’un handicap n’a plus la même valeur qu’une vie « normale ». Le handicap devient un obstacle ferme et définif à l’épanouissement de la personne. Il est alors possible de considérer avec Patrice Jourdain qu’il y a plus « d’inconvénient à vivre gravement diminué, physiquement et/ ou intellectuellement, qu’à ne pas vivre. » : P. Jourdain, obs. sous Cass. civ. 1ère, 26 mars 1996, préc. Pour un exposé développé des raisons qui font obstacle juridiquement à la reconnaissance d’un droit subjectif à ne pas naître : J. Sainte-Rose, conclusions sur Cass. Ass. plén. 13 juillet 2001, JCP 2001.II.10601.
748 R-J Pothier, Traité des obligations selon les règles tant du for de la conscience que du for extérieur, 1774, n° 138 p. 156. Dans les éditions de 1805 et 1821 ces développements apparaissent aux pages 93 et 119. La phrase intégrale est rédigée de la manière suivante : « ce qu’on f’oblige de faire ou de ne pas faire, doit être tel, que celui envers qui l’obligation eft contractée ait intérêt que cela foit fait ou ne foit pas fait ; et cet intérêt doit être un intérêt appréciable ».
749 « Il faut donc que l’objet de l’obligation soit de nature à être utile au stipulant », A-M Demante, Programme du cours de droit civil français, tome II, 1835, n° 556 p. 276. La généralité des développements interdit évidemment de penser qu’il s’agit là d’une description du régime de la stipulation pour autrui.
750 « C’est ma volonté qui la produit (l’obligation conventionnelle), au moyen du consentement que je donne ; mais ma volonté elle-même est l’effet du motif qui m’a déterminé », CBM Toullier, Le droit civil suivant l’ordre du code civil, tome VI, 1812, n° 37 p. 46. L’auteur poursuit toutefois en précisant que « C’est à celui qui veut faire dépendre la convention de la réalité d’un motif de s’en expliquer, et d’en faire une condition de son obligation. », préc. n° 40 p. 48. Le doute persiste néanmoins sur l’interprétation qu’il convient de faire de la pensée de l’auteur lorsqu’il complète ses développements en affirmant qu’ « il n’est pas nécessaire de faire une condition expresse de ce motif ; il suffit que l’autre partie l’ait connu ou dû connaître, et qu’elle ait dû le regarder comme une condition de la promesse qu’elle a acceptée ; car il y a des conditions tacites qui sont inhérentes au contrat, qui en font nécessairement partie, quoiqu’elles n’y soient qu’implicitement comprises, et ces conditions implicites n’ont pas moins de force que les conditions expresses . », préc. n° 41 p. 49-50. Il reste que les exemples donnés par l’auteur montrent qu’il ne s’agit pas dans sa pensée de subordonner la validité du contrat à des conditions qui sont extérieures à la prestation elle-même mais d’assurer la validité de l’acte. Aussi l’auteur donnera t-il l’exemple suivant : « Je vous promets de vous donner les sommes nécessaires pour parvenir au grade de docteur. Il est évident que je ne suis tenu à rien, si vous ne vous faites pas recevoir docteur », préc. n° 41 p. 51.
751 « Dans une législation arrivée à un développement suffisant et ayant trouvé sa formule exacte, on devrait, dit-on, pour savoir si une personne est obligée, se préoccuper du mobile déterminant qui la portait à s’engager, du but final qu’elle se proposait d’atteindre. », Commentaire théorique et pratique du Code civil, tome VII, 1894, n° 75 p. 107.
752 Traité des obligations en général, tome II, 1923, n° 746 p. 540.
753 Préc. n° 746 p. 540.
754 De la cause des obligations, thèse Paris, 1923. L’auteur critiquera ainsi Planiol qui selon lui s’intéresse à la cause antécédent : n° 16 p. 36. Aussi exprimera t-il ses préférences pour la notion de cause finale : n° 30 p. 63.
755 D. Mazeaud, La cause, 1804-2004. Le Code civil. Un passé, un présent, un avenir, Dalloz 2004, p. 451.
756 Les clauses allégeant les obligations dans les contrats, thèse Aix, 1981.
757 Préc. n° 356 p. 411 et s.
758 Préc. n° 132 p. 164 et s.
759 Ceux-ci seront déterminés principalement par référence à la qualité de l’un des cocontractants : préc. n° 293 p. 329 et s. Il en est ainsi pour le contrat d’assurance, le contrat de travail et le contrat de bail immobilier.
760 Préc. n° 178 p. 214 et s.
761 Préc. n° 252 p. 285 et s.
762 Préc. n° 166 p. 200 et s.
763 Préc. n° 174 p. 110.
764 Préc. n° 30 p. 34. C’est là toutefois la distinction de base traditionnelle. Une autre a été proposée par le professeur Jestaz qui consiste à distinguer les clauses de « peut mal faire » des clauses « de ne pas faire » : L’obligation et la sanction : à la recherche de l’obligation fondamentale, Mélanges Pierre Raynaud, Dalloz 1985, p. 273.
765 A quoi il faut certes ajouter les clauses contraires à l’ordre public, dont le développement va de pair avec la multiplication des statuts spéciaux, et les conditions de mise en oeuvre de la clause, limites à leur efficacité.
766 Cass. com., 22 octobre 1996, Bull.n° 261 p. 223 ; D. 1997.121, note A. Sériaux ; somm. comm. 175, obs. Ph. Delebecque; JCP 1997.II.22881, note D. Cohen; JCP 1997.I.4002, n° 1, obs. M. Fabre-Magnan ; Défr. 1997.333, obs. D. Mazeaud ; RTDC 1997.418, obs. J. Mestre ; GA, n° 156. L’arrêt de renvoi est rédigé de la manière suivante : « La cause de l’engagement de l’expéditeur, concrétisé par le paiement d’un prix plus élevé que pour un envoi ordinaire, se trouve dans l’obligation de respect des délais annoncés et de fiabilité du transporteur rapide, obligation essentielle à défaut de laquelle l’expéditeur n’aurait pas contracté ; la clause limitative de responsabilité (…) fait perdre toute portée et toute valeur à l’obligation essentielle du transporteur », CA Caen, Ch. réun., 5 janvier 1999, D. 1999.IR.187 ; JCP 2000.I.199, n° 14, obs. J. Rochfeld.
767 Cass. com., 9 juillet 2002, D. 2002, D. 2002 somm. comm. 457, obs. D. Mazeaud ; Dr. et patr. 2002, chron. n° 3182, obs. F. Chabas ; JCP éd. E, 2002.1923, obs. M. Billiau et G. Loiseau.
768 CE, 6 juillet 2005, D. 2005.2094, note Ph. Delebecque ; RTDC 2005.779, note J. Mestre et B. Fages ; RDC 2006.375, note D. Fenouillet.
769 Cass. Ch. mixte, 22 avril 2005, JCP 2005.II.10066, note G. Loiseau ; RDC 2005.651, avis R. de Gouttes, note D. Mazeaud ; RDC 2005.753, obs. Ph. Delebecque. La notion de faute lourde a en effet fait l’objet d’une interprétation stricte. Ainsi que le précise l’arrêt, « une telle faute ne pouvait résulter du seul retard de livraison », la conception subjective a été consacrée, laquelle implique la révélation de l’existence d’un comportement anormalement défectueux. La lecture de l’avis de l’avocat général Régis de Goutte est par ailleurs fort instructive en ce qu’elle révèle combien la solution consacrée est fragile. Selon ce dernier, trois solutions eussent été possibles : faire application du contrat-type et refuser de voir une faute lourde, retenir l’existence de la faute lourde ou encore faire prévaloir la clause d’indemnisation figurant dans le contrat Chronopost : avis préc. 671. Ainsi que le fait observer le professeur Loiseau, ce choix est regrettable : pratiquement, il sera difficile de rapporter la preuve d’un comportement anormalement déficient. Aussi est-il possible de s’interroger sur les causes profondes de cette décision : n’y avait-il pas là un arrêt de provocation rendu à l’adresse du juge, et notamment du juge administratif ? Ne fallait-il pas y voir en effet une forte incitation à la déclaration d’illégalité ?
770 Note préc.
771 Les termes utilisés par le juge témoignent de l’ancrage du principe posé par la jurisprudence Chronopost : « attendu que le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée, d’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée, d’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ; …qu’en statuant ainsi, alors que le bailleur ne peut, par le biais d’une clause relative à l’exécution de travaux, s’affranchir de son obligation de délivrer les lieux loués, la cour d’appel a violé les textes susvisés. », Cass. civ. 3ème, 1er juin 2005, RTDC 2005.780, obs. J. Mestre et B. Fages.
772 Cass. com., 30 mai 2006, D. 2006.1599, note X. Delpech ; D. 2006.2288, note D. Mazeaud.
773 Cass. com., 5 juin 2007, D. 2007.1720, note X. Delpech.
774 L’article 1121 alinéa 3 exprime de son côté le même principe en des termes voisins : « Est réputé non-écrite, toute clause inconciliable avec ces éléments essentiels ».
775 Note préc.
776 J. Mestre, obs. préc.
777 Note préc.
778 Ph. Delebecque, Que reste t-il du principe de validité des clauses de responsabilité ?, D. aff. 1997.235. L’auteur voit toutefois une raison de douter du bien-fondé de la solution qui réside dans le fait que la société Chronopost se présenterait plutôt comme un commissionnaire de transport et non pas comme un transporteur. Parce que dans cette hypothèse, la société n’est tenue que d’une obligation de moyens, « il n’est pas interdit de penser que le délai n’est pas dans le champ contractuel, ou plus précisément, n’est pas objectivement essentialisé », préc. p. 237. Quand bien même cette distinction subtile renverrait à une réalité, il n’en reste pas moins que la société ne peut pas à la fois en faire un argument commercial et s’exonérer de la responsabilité y afférente. C’est d’ailleurs l’avis de l’arrêt d’appel qui sur ce point se démarque clairement de l’auteur et voit dans l’engagement de la société une obligation de résultat et non de moyens : « Le respect du délai ainsi fixé constitue non pas une simple obligation de moyens mais une incontestable obligation de résultat », préc.
779 En attestent d’ailleurs les réserves avec lesquelles les professeurs Terré, Simler et Lequette envisagent la décision : les auteurs évoquent une « certaine subjectivisation de la cause », Droit civil. Les obligations, préc. n° 342 p. 352.
780 Note préc.
781 L’arrêt de la première Chambre civile du 11 mars 2003 fait d’ailleurs application de cette idée : « la fausseté partielle de la cause n’entraîne pas l’annulation de l’obligation, mais sa réduction à la mesure de la fraction subséquente », Bull. n° 67 p. 51 ; JCP 2003.IV.1818 ; JCP 2003.I.142, n° 5, obs. J. Rochfeld.
782 R. Martin, note préc. p. 520.
783 Ph. Delebecque, obs. préc.
784 En ce sens : C. Guelfucci-Thibierge, Nullité, restitutions et responsabilité, LGDJ 1992. L’auteur fonde l’ensemble de sa démonstration sur le caractère objectif de la nullité qui doit ainsi être parfaitement distingué de la responsabilité. La nullité a donc pour seul fondement l’illicéité. Sur la nullité partielle spécialement : n° 495 p. 293. Dans le sens opposé, Olivier Gout se propose de faire coexister fondement subjectif et objectif et restaurer le fondement subjectif en matière de nullité partielle : Le juge et l’annulation du contrat, PUAM 1999, n° 569 p. 396 et s.
785 Sans pour autant consacrer la lésion dans la mesure où l’engagement n’affecte pas le contenu du contrat mais vise au contraire à redonner à l’engagement toute sa force. Sur l’absence partielle de cause : R. Marty, De l’absence partielle de cause de l’obligation, thèse Paris II, 1995.
786 L’obligation et la sanction : à la recherche de l’obligation fondamentale, préc. p. 284. L’auteur dégage deux catégories de confusions pratiques dont la seconde semble pouvoir englober l’affaire Chronopost dès lors que l’on en retient une large interprétation. Il s’agit du cas où le manquement a rendu la chose rigoureusement inutilisable : préc. p. 286 et s.
787 J-P Chazal, Théorie de la cause et justice contractuelle, JCP 1998.I.152.
788 Sur les similitudes entre interprétation juridique et interprétation musicale : Y. Paclot, Recherche sur l’interprétation juridique, thèse Paris, 1974, n° 482 p. 413 et s.
789 Il n’est toutefois pas exact d’affirmer que « les parties soient dépassées par leur propre création, que la chose leur échappe, glisse de leur main et roule sa propre vie. », B. Fages, Le contrat est-il encore la chose des parties ?, dans La nouvelle crise du contrat, colloque de l’université de Lille II du 14 mai 2001, Dalloz 2003, p. 159. S’il échappe à la personne du débiteur, il reste entre les mains du créancier.
790 Note préc.
791 Le principe de cohérence en matière contractuelle, PUAM 2000, n° 442 p. 375.
792 Préc., n° 442 p. 375.
793 Préc., n° 468 p. 394.
794 Préc., n° 453 p. 383.
795 Préc. n° 442 p. 299.
796 Préc. n° 470 p. 317 (Le caractère superflu du détour par le principe de cohérence apparaît ici clairement : il suffisait d’affirmer directement que l’absence d’aléa affectant l’obligation déterminera un minimum obligatoire.)
797 Traité des obligations en général, préc. tome I, n° 8 p. 18.
798 Tribunal mixte de commerce de Basse-Terre, 17 mars 1993, D. 1993.449, note P. Diener ; RTDC 1994.95, obs. Mestre. Pascal Denier tend à minimiser l’importance de cette décision en affirmant que le mobile fiscal était en l’espèce entré dans le champ contractuel : préc. 451-2. Il paraît plus conforme à la réalité d’affirmer à la suite du professeur Mestre qu’en l’espèce, « il paraît difficile de dire que la vente est nulle pour défaut de cause puisque l’EURL acquéreur a bien obtenu la propriété du lot immobilier. », préc. p. 96. Egalement : P. Denier, A propos d’une prétendue absence de cause, D. 1994.347.
799 Cass. civ. 1ère, 3 juillet 1996, Bull. n° 286 p. 200 ; D. 1997.500, note P. Reigné; JCP 1997.I.4015, obs. F. Labarthe ; RJDA 1996, n° 1431 ; Défr. 1996.1015, obs. Ph. Delebecque ; RTDC 1996.901, obs. J. Mestre.
800 Cass. com., 15 février 2000, D. 2000, somm. comm. 364, obs. Ph. Delebecque ; Défr. 2000.1118, obs. D. Mazeaud ; PA, 29 décembre 2000, p. 12, note G. Meilhac-Redon et J. Marmoz ; RTDC 2000.325, obs. J. Mestre et B. Fages.
801 Aussi la jurisprudence a-t-elle à nouveau épousé la solution traditionnelle par un arrêt du 13 février 2001 : Cass. civ. 1ère, Bull. n° 31 p. 20 ; JCP 2001.I.330, obs. Rochfeld ; Défr. 2002.476, note D. Robine ; RTDC 2001.352, obs. J. Mestre et B. Fages. L’arrêt constitue incontestablement une pierre dans le jardin de ceux qui souhaitent introduire l’idée de finalité dans la conclusion du contrat. Faute d’avoir obtenu l’avantage fiscal escompté, un acheteur avait demandé la nullité de son acquisition immobilière. La Cour de cassation rejette sa demande de la manière la plus claire : « l’erreur sur un motif du contrat extérieur à l’objet de celui-ci n’est pas une cause de nullité de la convention, quand bien même ce motif aurait été déterminant ». Quoique l’arrêt fasse application de la théorie des vices du consentement, il témoigne de la volonté de la Cour de mettre un frein au mouvement impulsé par les arrêts précédents : on comprendrait mal que la jurisprudence consacre par la voie de la cause une solution qu’elle condamne sur le terrain des vices du consentement. Seule l’absence des motifs intégrés dans le champ contractuel peut affecter la validité du contrat. Un dernier doute subsiste néanmoins qui doit conduire à la plus grande prudence : élargie par la célèbre décision du 10 juin 1981, la théorie de l’abus de droit en matière fiscale a été étendue à tous les actes juridiques qui présentent un intérêt exclusivement fiscal : CE plén. 10 juin 1981, Req. 19079, Dr. fiscal 1981.2187, concl. Lobry ; RJF 1981.429. S’il reste peu probable que l’achat d’un immeuble reçoive la qualification d’abus de droit -Dans cette hypothèse, il semble que le contribuable puisse toujours exciper de l’intérêt purement matériel que représente le bien considéré, serait-il peu utilisé - la notion ainsi entendue conduit à attacher des conséquences à l’idée de finalité en matière fiscale. Or, il serait mal venu que ce type d’opération soit encouragé par le juge civil et que dans le même temps, il inspire la plus grande méfiance au juge de l’impôt. Par voie de conséquence, une interprétation minimaliste de cette décision pourrait conduire à y voir la seule volonté des juges de s’aligner sur l’esprit de la jurisprudence fiscale. Cette interprétation semble néanmoins pouvoir être écartée. Elle est en effet peu respectueuse de la formulation même de l’arrêt. Par la généralité des termes employés, il est manifeste que la Cour de cassation a revu sa position : même connu de l’autre partie, le motif ne peut conduire à l’annulation du contrat.
802 « L’erreur sur un motif extérieur à celui-ci n’étant pas, faute de stipulation expresse, une cause de nullité de la convention, quand bien même ce motif aurait été déterminant » : D. 2004.450, note S. Chassagnard ; Cass. civ. 3ème, 24 avril 2003, 2003.II.10134, note R. Wintgen. Quelques mois plus tôt la cause faisait néanmoins parler d’elle. Fut rendue la fameuse décision du 11 mars 2003 par laquelle la première Chambre civile avait réduit la portée d’un engagement pour absence partielle de cause : RTDC 2003.287, obs. J. Mestre et B. Fages ; JCP 2003.I.142, n° 5, obs. J. Rochlefd. Mais quelqu’intérêt que présente cette décision sur le plan des effets, elle n’est pas à mettre à l’actif du processus de subjectivisation de la cause : le résultat final n’était pas en cause. S’agissant d’un engagement unilatéral, la cause subjective résidait dans l’intention libérale, dont l’existence prêtait par ailleurs à discussion.
803 Cass. civ. 3ème, Défr. 2005.1245, note J-L Aubert ; RDC 2005.1009, note D. Mazeaud. Il est à noter que que par cette décision, la cour d’appel de Riom s’était simplement fondée sur la version classique de la cause pour caractériser l’existence de l’engagement. La Cour de cassation s’est donc affranchie de ce raisonnement alors qu’elle n’y était nullement tenue : D. Mazeaud, note préc. Doit par ailleurs être relevée l’inversion du raisonnement qui est réalisée : envisagée objectivement, la cause était absente tandis qu’appréhendée subjectivement, elle était présente. La cause subjective fut donc invoquée pour éviter l’annulation de la convention.
804 Cass. com., 8 février 2005, Bull. n° 21 p. 24 ; RDC 2005.684, note D. Mazeaud. L’auteur y voit à juste titre une manifestation du recours à « l’insuffisance de la cause. ».
805 Cass. com., 27 mars 2007, D. 2007 pan. 2970, obs. S. Amrani-Mekki.
806 Sur la notion d’utilité appliquée en droit des contrats : C. Tuaillon, L’utilité en droit des contrats, thèse Paris XII 2003. Plus spécialement sur les liens entretenus avec la notion de cause : préc. n° 207 p. 176 et s. Et sur l’évolution actuelle de la cause : préc. n° 226 p. 191 et s.
807 Sur la doctrine de l’utilitarisme et ses conséquences : P-Y Gauthier, Contre Bentham : l’inutile et le droit, RTDC 1995.797. L’auteur voit dans l’erreur sur les motifs une illustration du succès de l’utilitarisme : préc. p. 802.
808 Ph. Delebecque, note préc. p. 1016.
809 J. Maury, L’erreur sur la substance dans les contrats à titre onéreux, Etudes Henry Capitant, Librairie E. Duchemin 1977, p. 501.
810 Ainsi pour le professeur Mazeaud, « de simple garantie abstraite permettant uniquement de lutter contre les engagements contractuels souscrits sans contrepartie, celle-ci devient une garantie concrète qui confère au juge le pouvoir de contrôler l’intérêt du contrat, en considération duquel les parties s’étaient engagées. », Les nouveaux instruments de l’équilibre contractuel, dans La nouvelle crise du contrat, colloque de l’université de Lille II du 14 mai 2001, Dalloz 2003, p. 143. Dans le même sens : C.A. stoeanovici, E.A. Baracsh, La théorie moderne de la cause des obligations, Etudes Henry Capitant, Librairie E. Duchemin 1977, p. 786.
811 Pour la défense de cette idée, voir notamment : C.A. Stoeanovici, E.A. Barasch, La théorie moderne de la cause des obligations, préc. p. 796.
812 Sur la notion : S. Pimont, L’économie du contrat, PUAM 2004.
813 Préc.
814 Ainsi Sébastien Pimont montrera que l’économie du contrat ne saurait être confondue avec l’objet ou la cause objective : th. préc. n° 219 p. 147. L’affirmation est certes incontestable. Mais il n’en reste pas moins qu’en appréciant son contenu, va s’opérer subrepticement un glissement vers le créancier de la prestation caractéristique.
815 L’analyse approfondie de la thèse défendue en atteste : la redéfinition fonctionnelle de la loi des parties ou encore la découverte du sens du contenu du contrat (préc.n° 280 p. 189 et s.) va s’opérer par considération pour la prestation caractéristique. Sur la notion de prestation caractéristique et ses implications en droit international privé : M-E Ancel, La prestation caractéristique du contrat, economica 2002.
816 A. Zelcevic-Duhamel, La notion d’économie du contrat en droit privé, JCP 2001.I.300.
817 J. Moury, Une embarrassante notion : l’économie du contrat, D. 2000.382.
818 A. Zelcevic-Duhamel, préc.
819 J. Rochfeld, Cause et type de contrat, LGDJ 1999, n° 87 p. 81.
820 Sur les distinctions entre les deux : préc. n° 44 p. 42 et s.
821 Préc. n° 92 p. 87.
822 Sur ces différentes variantes du contrat maîtrisé : préc. n° 58 et s. p. 58 et s.
823 Préc. n° 550 p. 495 et s. Celle-ci ne se confond évidemment pas avec les mobiles : préc. n° 268 p. 244 et s.
824 Dimitri Houtcieff fera ainsi observer que le système proposé par l’auteur revient à conférer un rôle très important au juge, même dans le strict cadre des contrats typiques : « qui décide, en effet, hors les cas des contrats nommés, de la typicité du contrat ? Qui d’autre que le juge peut concevoir, exerçant un contrôle a posteriori, le modèle abstrait censé avoir guidé a priori la conclusion du contrat ? », thèse préc., n° 443 p. 376.
825 J. Rochfeld, thèse préc. n° 264 p. 242.
826 Le contrat initial est en effet lui-même un contrat de location.
827 Et la jurisprudence de la Cour de cassation atteste que les conditions posées à la reconnaissance de l’erreur vice du consentement sont de nature à limiter l’annulation, alors que l’objectif final n’aura pas été atteint. En atteste la décision du 31 mars 2005 : Cass. civ. 3ème, 31 mars 2005, Bull. n° 81 p. 75, JCP 2005.I.194, n° 6 ; Dr. et patr. 2005.94, obs. Ph. Stoffel-Munck ; RDC 2005.1025, obs. Ph. Stoffel-Munck. En présence d’une erreur d’appréciation de la rentabilité d’une opération, le plaideur lésé invoqua l’erreur sur la substance. La Cour de cassation approuva la cour d’appel d’avoir considéré que « l’appréciation erronée de la rentabilité économique de l’opération n’était pas constitutive d’une erreur sur la substance de nature à vicier le consentement de la SCI à qui il appartenait d’apprécier la valeur économique et les obligations qu’elle souscrivait. ».
828 Obs. préc.
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