Introduction au titre II
p. 169-170
Texte intégral
1161. A l’opposé de l’approche classique se dessine une autre philosophie de l’obligation. Fondatrice d’un système où le lien de droit ne plonge plus ses racines dans l’usage que le débiteur fait de sa liberté, elle vient modifier la perspective générale : l’obligation n’est plus la sanction d’un comportement. L’usage volontaire ou défectueux de la liberté est devenu largement insuffisant pour expliquer la naissance du lien obligatoire. Quelles que soient les sources envisagées, le coeur de la notion s’éloigne peu à peu de la personne du débiteur.
2Aussi il est devenu irréaliste d’évoquer un contrat au sein duquel chacune des obligations aurait été désirée par la personne du débiteur. De la même manière, comment imaginer aujourd’hui une présentation de la responsabilité délictuelle qui la cantonnerait aux comportements blâmables du débiteur ? Plus fondamentalement encore, l’évolution du quasi-contrat atteste du recul certain de l’approche classique.
3Les sources des obligations connaissent ainsi une profonde mutation. Les circonstances de la naissance du lien obligatoire n’obéissant plus au postulat libéral, il est nécessaire d’aller chercher ailleurs la source substantielle de l’obligation. Naturellement, comme par un effet de bascule, au fur et à mesure que disparaît la considération pour le débiteur, l’intérêt pour la personne du créancier gagne du terrain. Le centre nerveux des sources des obligations se déplace d’un pôle à l’autre du rapport obligatoire. Une nouvelle source substantielle se substitue alors à l’impératif libéral.
4162. Subsumés sous le concept de protection, se dégagent de nouveaux objectifs qui traduisent l’orientation nouvelle du droit des obligations : la socialisation, la solidarité, la compassion ou encore la recherche de l’équilibre ont pris le pas sur l’impératif libéral. Sous l’impulsion de la doctrine et de l’évolution du contexte, le créancier de l’obligation - créancier potentiel - a recueilli les faveurs du système juridique. L’obligation est moins la conséquence d’un comportement que la solution destinée à faire face à une situation. Aussi est-elle désormais pensée par référence aux nécessités du créancier et non par égard pour l’attitude du débiteur.
5Cette nouvelle orientation doit naturellement être mise en perspective avec l’évolution du contexte théorique. Les sources techniques accompagnent le mouvement général. Par différents chemins, les conditions concrètes de naissance de l’obligation ont été profondément modifiées de telle sorte que la protection du créancier s’en est trouvée améliorée. Deux voies différentes ont été empruntées.
6163. Une première solution consiste à préserver le cadre technique existant. Conditions abstraites posées à la naissance de l’obligation, les concepts restent intacts. Seule l’application qui en sera faite sera différente. Un écart naîtra alors entre les conditions réelles de naissance de l’obligation et l’idée suggérée par le concept. Cette distance entre l’ordre technique et l’ordre substantiel sera mise à profit pour substituer les nouveaux objectifs aux anciens. De la sorte, le droit des obligations infléchit son orientation sans redéfinir pour autant les principaux concepts qui en constituent la structure : les définitions des différentes sources demeurent à l’identique ainsi que les éléments constitutifs qui en font les conditions d’existence. L’opération d’installation de l’approche moderne est donc totalement officieuse. Il reste que le fossé est devenu parfois si grand entre le concept et la réalité que cette méthode d’introduction de l’approche moderne contribue à discréditer le système juridique : celui-ci perd en lisibilité. Aussi lui a-t-on préféré en certaines circonstances d’autres procédés.
7164. L’approche moderne est également consacrée de manière directe : à la stabilité des sources techniques sera alors préféré leur renouvellement. Les notions seront directement mises à contribution : certaines seront supprimées, d’autres seront substituées aux anciennes. Cette modification de l’ordonnancement conceptuel se traduira naturellement par la diminution de la capacité sélective des concepts. Se multiplieront les hypothèses dans lesquelles naîtront les obligations sans qu’il soit nécessaire pour le juge de se livrer à une analyse orientée du réel : les sources techniques se rapprocheront des sources substantielles. Garante d’une meilleure lisibilité du droit positif, cette méthode présente toutefois l’inconvénient d’obliger à une redéfinition des sources techniques.
8165. Tous deux mis au service d’une même approche, ces différents procédés trouvent leur inspiration dans des conceptions radicalement différentes du droit. Pour l’une, l’architecture juridique doit rechercher la permanence et l’intangibilité : il sera toujours possible de s’adapter à l’évolution du contexte par l’application qui sera faite des notions. Loin de constituer un défaut rédhibitoire, l’existence d’un écart entre la réalité et les concepts sera garante de la souplesse du sytème juridique. Pour l’autre, l’ordre théorique doit intégrer toute forme d’évolution et consacrer les modifications observées dans l’utilisation des règles. Les notions employées se situeront alors au plus près du réel.
9Ainsi qu’il en va pour la plupart des méthodes juridiques, le rôle conféré à chacune d’entre elles a évolué avec l’évolution des mentalités. Or, le besoin de sécurité juridique a augmenté en même temps que l’exigence d’authenticité. L’analyste juridique comme le profane supportent de moins en moins l’opacité du droit et aspirent à une meilleure prévisibilité des solutions juridiques. Il n’est donc pas étonnant que si l’approche moderne est encore consacrée de manière indirecte (chapitre I), elle tend de plus en plus à être reçue directement par le droit positif (Chapitre II).
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