Préface
p. 11-14
Texte intégral
1“Les sources des obligations” : c’est une justification pédagogique qui préside généralement à l’utilisation doctrinale d’une expression inspirée de l’article 1370 du code civil. Il s’agit seulement de regrouper, en les exposant, les diverses situations juridiques qui génèrent une obligation. Et les auteurs, bien souvent, se contentent alors d’affirmer que l’obligation peut naître de contrats, de délits et quasi-délits, de quasi-contrats, ou de la loi.
2Certes, chacun concède bien volontiers les limites de l’énumération, qui relève davantage d’un inventaire à la Prévert que d’un classement rationnel. Ripert et Boulanger, déjà, critiquaient la classification légale: elle n’a pas, disaient-ils, “de valeur scientifique. Elle ne correspond pas à la réalité et elle est à la fois insuffisante et compliquée” (Traité de droit civil, t. II, 4° éd., n° 24, p. 10). Mais la critique n’a eu raison ni de la méthode consistant à énumérer des sources distinctes, ni de l’expression même de “sources des obligations”.
3C’est tout le mérite de la thèse soutenue par Stéphane Obellianne à l’Université Paris XI le 19 octobre 2006 et ci-après reproduite que de livrer sur ce thème une forte réflexion, personnelle et audacieuse, de nature à renouveler profondément les fondements du droit des obligations.
4La réflexion s’appuie sur une analyse préliminaire, essentielle, celle de la notion de “sources des obligations” (n° 24 s.). L’auteur distingue trois sens possibles.
5L’expression désigne d’abord les sources formelles de l’obligation (n° 27 s.), c’est-à-dire les textes, la jurisprudence, les principes généraux, les traités internationaux, etc., qui consacrent une obligation, bref ce que Carbonnier appellait le fondement juridique de l’obligation.
6Mais l’expression désigne également les sources techniques de l’obligation (n° 33 s.), c’est-à-dire “l’ensemble des circonstances concrètes, relatives aux parties au lien d’obligation”, auxquelles les sources formelles attachent la naissance de telle ou telle obligation, en bref les éléments générateurs de l’obligation, comme la rencontre des volontés, la réalisation d’une faute causant un dommage, etc.
7Enfin, l’expression désigne les sources substantielles de l’obligation (n° 43 s.), c’est-à-dire la justification principale, le pourquoi profond de la naissance de l’obligation. Poursuivant alors l’analyse, l’auteur dégage deux justifications principales possibles (n° 71 s.): l’obligation peut procéder soit de la liberté du débiteur (liberté de vouloir dans les actes juridiques et liberté de pouvoir dans les délits et quasi-délits), soit de la protection du créancier (son besoin de sécurité).
8Délaissant la première acception, l’auteur consacre sa réflexion aux deux autres et se livre à une analyse critique méthodique des sources techniques, analyse critique conduite à la lumière des deux sources substantielles identifiées.
9Le premier temps de la démonstration consiste à mettre à jour, pour le critiquer, le désordre du droit positif (n° 76 s.).
10Procédant à une analyse minutieuse du texte de l’article 1370, du contexte d’adoption du Code civil et de la doctrine ultérieure, Stephane Obellianne montre que la conception libérale classique fonde l’obligation sur la liberté du débiteur, liberté de vouloir et liberté de pouvoir. Et, selon lui, cette conception libérale perdure en droit positif (n° 78 s.). Les règles de validité du contrat (exigence du consentement du débiteur, sanction des vices du consentement et des incapacités de protection, nullité de l’acte accompli sous l’empire d’un trouble mental) attestent que la liberté du débiteur imprègne tout le droit contractuel. Et l’analyse de la responsabilité délictuelle conduit à la même conclusion: l’appréciation in abstracto de la faute, l’admission de faits justificatifs, l’exonération par cas de force majeure l’attestent amplement.
11Mais, dit l’auteur, cette conception libérale est désormais concurrencée par une autre conception, plus contemporaine, procédant de l’aspiration sociale à la sécurité, et qui fonde les obligations sur le besoin de protection du créancier (n° 161 s.). Stéphane Obellianne montre d’abord que la thèse moderne est souvent consacrée indirectement (n° 166 s.), lorsque les sources techniques, sans renoncer à la justification libérale, font plus de place à la protection du créancier (ainsi de l’essor de la bonne foi et de la stipulation pour autrui, de la consécration d’une convention d’assistance bénévole, de l’élargissement de la condition de causalité et de celle de dommage réparable, etc.). Il démontre ensuite que la théorie moderne, qui fonde l’obligation sur la protection du débiteur, est parfois directement consacrée (n° 207 s.): ainsi de la redéfinition du contenu et du champ obligatoire du contrat, de l’admission de l’engagement unilatéral de volonté, de la consécration d’une responsabilité objective du fait des choses et du fait d’autrui, de la redéfinition du quasi-contrat, etc.
12Stéphane Obellianne démontre ainsi que le droit positif accueille désormais l’une et l’autre des deux sources substantielles, le centre de gravité des sources substantielles lui semblant même avoir basculé, à l’époque moderne, de la personne du sujet passif (la liberté du débiteur) à celle du sujet actif de l’obligation (la protection du créancier). Et, poursuit-il, il est impossible d’expliquer et de justifier pourquoi le droit retient tantôt l’une tantôt l’autre de ces deux sources substantielles, voire l’une et l’autre. On ne peut que suivre l’auteur lorsqu’il soutient que cette valse-hésitation sur les sources substantielles conduit au désordre des sources techniques, qui font tantôt la part belle au débiteur, à sa volonté, à sa faute, tantôt s’intéressent principalement au créancier, à sa croyance, à sa sécurité. Le contrat est ainsi “écartelé entre deux approches à l’inspiration diamétralement opposée; et si la responsabilité civile abandonne largement la thèse classique au stade de la condition d’engagement de la responsabilité, c’est pour mieux la consacrer en matière de faits exonératoires!
13Fort de ce constat critique, Stéphane Obellianne entreprend alors la reconstruction du droit positif. A partir d’une détermination cohérente des sources substantielles, il propose de redéfinir les sources techniques.
14S’inscrivant d’abord dans une “approche libérale renouvelée”, il suggère de redéfinir l’acte juridique et le fait juridique. L’acte juridique procèderait désormais de “la libre création d’une confiance légitime” (n° 292 s.): seraient ainsi conciliées l’appproche classique (la liberté du débiteur dans la création de la confiance) et l’approche moderne (la confiance légitime du créancier). Quant au fait juridique, il désignerait désormais “la création dommageable d’un risque anormal” (n° 404 s.) : la encore, le droit concilierait les deux sources substantielles, la liberté du débiteur d’une part (liberté dans et par l’action), protection du créancier d’autre part (standart du risque anormal).
15Conscient des limites de la thèse libérale au regard de l’impératif de protection du créancier, Stéphane Obellianne suggère ensuite de dépasser résolument l’approche libérale. Mais il convient alors, selon lui, plutôt que de conserver les sources classiques en les déformant pour les adapter à cette nouvelle source substantielle, de redéfinir les sources techniques et de leur permettre ainsi, directement et ouvertement, d’assurer la protection du créancier. A cette fin, il suggère deux voies. Il est parfois possible, selon lui, de faire assumer la charge de la protection par le débiteur (n° 485 s.): ainsi notamment dans le quasi-contrat ou l’acte d’assistance. Dans d’autres cas, il est préférable d’imputer cette charge à la collectivité (n° 535 s.). La réparation du dommage du fait des choses ou du fait d’autrui devrait ainsi être réalisée par le mécanisme de l’assurance voire, en complément, par la technique des fonds de garantie.
16L’auteur fut loué, lors de la soutenance de sa thèse, pour son style sobre et fluide, le vaste champ de sa réflexion, qui convoque tout le droit des obligations et suppose l’analyse approfondie d’innombrables solutions législatives et jurisprudentielles, la richesse de ses lectures, la rigueur de sa démonstration, et surtout la puissance de la synthèse opérée et l’originalité d’une réflexion “explosive”.
17Il n’est certainement pas faux de qualifier de “vraie bombe” une réflexion aussi audacieuse et renouvelant aussi profondément le droit des obligations. Mais il faut faire justice à Stéphane Obellianne de proposer une reconstruction cohérente de la matière qui s’inscrit dans la droite ligne de l’héritage spiritualiste du droit français des obligations. Certes, l’auteur propose de renforcer la protection du créancier, en redéfinissant le contrat, le délit et quasi-délit, en donnant au quasi-contrat et à l’acte d’assistance une portée considérable. Mais, dans le même temps, il suggère de rendre à la liberté du débiteur un rôle fondamental dans la naissance de l’obligation: pour ne prendre qu’un exemple, il propose de faire du trouble mental un obstacle à la responsabilité. Comment mieux dire le souci de modération et d’équilibre d’une réflexion inspirée?
18Cela ne suffira certes pas toujours à convaincre. Une discussion serrée fut ainsi engagée, lors de la soutenance, sur de nombreuses suggestions de l’auteur, et notamment l’autonomie du risque “anormal” par rapport à la faute ou les critères de la “croyance légitime”. Mais cet authentique travail de création personnelle, qui pourrait certainement inspirer un législateur en mal de réformes, est un extraordinaire aiguillon pour la réflexion théorique. Et, ne serait-ce que pour cela, il devrait mettre en appétit tous les amateurs de droit des obligations.
Auteur
Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)
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