Préface
p. 7-8
Texte intégral
1L’Homo civilis de Jean-François Niort, pour lequel il nous a fait le plaisir et l’honneur de solliciter cette préface, constitue à bien des égards un travail atypique et inclassable, ce qui en fait l’originalité et le prix. Présenté à l’origine comme une thèse de science politique, sous la direction du professeur Philippe Raynaud, il est apparu dès sa soutenance comme une contribution majeure à l’histoire du droit codifié dans la France contemporaine, à tel point qu’il a orienté son auteur vers une intégration bienvenue dans le corps des historiens juristes. Les dimensions impressionnantes de cet ouvrage, qui n’ont heureusement pas découragé les Presses Universitaires d’Aix-Marseille, ont de quoi étonner en relation avec le choix audacieux d’un triple éclairage chronologique sur les périodes d’élaboration du Code civil et sur les deux tentatives de révision complète, autour du centenaire en 1904, puis après la Libération de 1945 à 1965. Il n’est pas jusqu’au titre, évocateur d’une anthropologie propre au Code civil dans la longue durée, qui a de quoi intriguer.
2Le lecteur de cette brillante étude comprendra vite, sans qu’il soit besoin de l’avertir, le sens de cette entreprise inédite, consistant à proposer une histoire politique du Code civil des Français, depuis sa portée initiale jusqu’à sa capacité de résistance aux tentatives de remplacement total du texte de 1804. Et chacun ne pourra qu’être séduit, comme nous l’avons été, par la démarche interdisciplinaire, l’étendue des connaissances et la qualité des analyses de l’auteur, son questionnement constamment renouvelé sur les caractères et les facteurs de longévité de ce code âgé bientôt de deux siècles. La méthode consistant à privilégier trois périodes décisives (la première pour la réalisation du code, la deuxième pour le renouvellement des idées juridiques en France, la troisième en apparence moins riche pour des "choix de société" sur lesquels nous vivons encore) n’est pas sans risques – Jean-François Niort en convient lui-même – mais elle a la franchise de rappeler que l’historien doit faire des choix et dessiner certaines perspectives en essayant, ce qui est admirablement fait dans ce livre, de leur donner la plus grande profondeur dans le temps et dans la compréhension de la matière traitée. Jean-François Niort s’inscrit parfaitement dans les tendances historiographiques les plus récentes qui insistent sur la lecture politique des institutions juridiques à l’époque contemporaine – où le droit est créé par un Législateur disposant d’une autonomie relativement grande à l’égard des spécialistes que sont les juristes professionnels – et sur la nécessité de passer d’une étude de l’entreprise codificatrice à une appréhension de la vie des codes, particulièrement de textes aussi importants par leur portée et leur durée que le Code civil des Français. La stratégie scientifique de Jean-François Niort est particulièrement convaincante quand, pour chaque période considérée, il part du contexte historique dans ses dimensions politique, idéologique et juridique pour en venir aux débats sur le code ou sur sa révision avant de terminer par des développements sur les interprètes du droit qui ramènent modestement et utilement la doctrine juridique à une influence limitée sur le cours des événements. Sur toutes ces questions, notre auteur apporte son opinion personnelle, en se distinguant de ceux qui l’ont précédé ou accompagné dans des recherches du même ordre, en cherchant comme plusieurs de ses contemporains à renouveler ce qui était devenu – notamment chez les civilistes les moins portés à la critique historique – une sorte de vulgate sur l’esprit du Code Napoléon. Il n’est pas impossible de faire son miel des apports, en apparence si divergents, de nos collègues André-Jean Arnaud et Xavier Martin et il est même indispensable, nous en sommes convaincu, de connaître et de combiner ces lectures de la codification.
3C’est dire combien nous adhérons à un grand nombre des conclusions auxquelles parvient avec son style propre Jean-Francois Niort et quel stimulant représentent pour des travaux futurs les questions posées dans les dernières pages de ce livre. Affirmer que le Code civil est resté debout parce que les bases du contrat social ont subsisté en France depuis 1804 – ou plutôt, à notre avis, depuis la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dont le code est une forme d’écho sur la thématique de la liberté, de l’égalité et de la propriété – est une vérité qu’il faut rappeler à ceux qui croient naïvement que la société post-moderne n’a plus rien à voir avec l’autorité étatique et le capitalisme des xixe et xxe siècles. Montrer que ce code "bourgeois" ouvrait quelques fenêtres en direction de la mobilité sociale, de la liberté d’entreprendre et de travailler ou de valeurs purement laïques est salutaire à une époque où l’on dénonce trop facilement les théories trop abstraites et les clauses générales trop flexibles. Présenter l’hypothèse d’un code qui devrait son succès à son caractère "national" – l’Homo civilis serait alors le Français moyen adepte du juste milieu, partisan à la fois de la liberté individuelle et de la présence forte de l’État – est tentant et audacieux. A l’approche du bicentenaire du code – du Code civil des Français selon son titre original, bien mieux justifié par l’histoire que la dénomination de Code Napoléon – l’ouvrage de Jean-François Niort ne manquera pas de relancer les débats sur l’avenir de ce monument du droit, miraculeusement préservé ou gravement défiguré selon les jugements opposés des juristes du xxie siècle, et sur le sens que peut avoir aujourd’hui une codification nationale dans l’Union européenne.
Auteur
Professeur à l’École Normale Supérieure
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