Chapitre II. Le droit à un jugement sur le fond – l'office du juge
p. 229-262
Texte intégral
1252. En dehors des hypothèses exceptionnelles où le droit international public réserve une compétence normative à un État étranger1, le juge titulaire exclusif du pouvoir juridictionnel au sein de l'ordre juridique dont il relève ne peut refuser de l'exercer. Saisi d'un litige, celui-ci doit le résoudre en appliquant le droit. Tel est son devoir fondamental2, repris par l'article 12 du Nouveau Code de procédure civile dont l'alinéa premier dispose : "le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables"3. Cette obligation pèse sur le juge saisi directement ou indirectement.
2253. En matière d'effets des jugements étrangers, l'arrêt Munzer a ainsi rappelé que "pour accorder l'exequatur, le juge français doit s'assurer que se trouvent remplies" les conditions de la régularité internationale qui venaient d'être dégagées4. Requérir du juge qu'il exerce son office revient ici à exiger de lui qu'il applique les règles définissant les conditions d'efficacité des décisions étrangères, "compte tenu des prétentions émises, ici la reconnaissance ou l'exécution d'une décision étrangère, et des faits allégués"5. Mais cela ne signifie pas qu'il ait le devoir de vérifier lui-même que la décision remplit chacune des conditions. En effet, "l'exercice effectif du contrôle suppose que le juge ait connaissance des faits générateurs de régularité internationale"6. Or, conformément aux règles relatives à la répartition de la charge de l'allégation, de la contestation et de la preuve entre les parties, le demandeur à la reconnaissance doit alléguer les faits (obligation le plus souvent satisfaite par la simple production de la décision, qui relate ou vise les faits générateurs de régularité7) ; alors qu'il revient au défendeur de contester ces faits et d'établir que les conditions de régularité ne sont pas réunies8. Par ailleurs, aux termes de l'article 12 al. 3 du Nouveau Code de procédure civile, les parties peuvent lier le juge en excluant du débat la vérification de certaines conditions, dont ces parties ont la libre disposition. Mais quelles sont précisément les conditions de l'exequatur susceptibles de dérogation conventionnelle9 ? La doctrine souligne l'incertitude de la jurisprudence et suggère généralement de combiner deux critères : certaines conditions de l'exequatur seraient per se d'ordre public interne, d'autres ne le seraient qu'à raison de la nature de l'affaire au fond10. Les premières semblent se limiter à l'ordre public international et à l'absence de fraude11. Mais le devoir du juge de l'exequatur de vérifier d'office la conformité de la décision étrangère à l'ordre public international, recouvre-t-il le seul contrôle de la conformité à l'ordre public international de fond12 ou s'étend-il à l'ordre public international procédural13 ? Dans la mesure où le respect des principes fondamentaux de la procédure permet au juge de l'exequatur de s'assurer que justice a véritablement été rendue à l'étranger14, il paraît difficile de nier le caractère d'ordre public au sens interne de cette condition. Certes la condition de conformité à l'ordre public de fond permettra le plus souvent de démasquer les décisions étrangères injustes15 ; mais il faut admettre avec Mme Sinay-Cytermann que "pareille interaction de l'ordre public procédural et de l'ordre public de fond... paraît excessive... et quelque peu dangereuse"16 ; parce qu'elle néglige d'abord "l'ordre public atténué des conflits de lois"17 ; parce qu'elle subordonne ensuite la sanction de la violation des garanties procédurales à l'existence d'une injustice matérielle, entachant le jugement étranger. Or, si l'ordre du for renonce à une procédure qu'il organise selon certains principes essentiels, c'est "à raison d'une présomption d'équivalence" en faveur de juridictions étrangères, de sorte que "l'équivalence des garanties représente en quelque sorte la matrice des autres conditions de régularité. Elle est la seule qui ne sache se passer de vérification par le juge de la reconnaissance..."18. Ainsi le respect de l'ordre public procédural constitue bien, par sa nature même, une condition impérative de régularité internationale, édictée pour la sauvegarde de l'ordre juridique français autant que pour satisfaire les intérêts des particuliers. Mise à part la conformité à l'ordre public international de fond ou procédural et l'absence de fraude, les conditions de régularité ne sont donc d'ordre public interne qu'en raison de la nature de l'affaire tranchée à l'étranger19. Relativement à une décision étrangère intervenue sur des droits disponibles, les plaideurs peuvent ainsi, à la condition que leur volonté soit clairement exprimée, exclure du débat toutes les causes d'irrégularité que ne protègent pas l'ordre public.
3254. Dans le conflit de lois, la difficulté à cerner l'office du juge provient de ce qu'en général20 la règle de droit applicable se dédouble en une "règle désignante" appelée classiquement règle de conflit, et une "règle désignée" (pour reprendre la terminologie proposée par M. Hage-Chahine dans sa thèse publiée en 1977, relative aux conflits dans l'espace et dans le temps en matière de prescription21). Règle désignante et règle désignée ont toutes deux un caractère juridique. L'affirmation s'impose avec évidence pour la règle désignante, qui constitue une règle du droit français au même titre que la loi interne française. Quant à la règle désignée, la solution, jamais contestée dans l'hypothèse de désignation du droit du for, est aujourd'hui également admise par la Cour de cassation dans l'hypothèse de désignation d'un droit étranger22. Toutefois les règles désignante et désignée sont à des titres divers entachées de spécificité. Ainsi pour la règle désignante, M. Lequette relève : "si la règle de conflit de lois est, à l'évidence, du droit, personne ne contestera que son application est subordonnée à la constatation qu'existe en l'espèce l'élément d'extranéité qui en conditionne la mise en oeuvre, lequel est du fait"23. Concernant la règle désignée, Motulsky précisait : "en droit interne, le juge est censé connaître la loi et, par suite, toujours obligé d'appliquer la norme appropriée. Qu'en est-il au regard de la loi étrangère ?... L'office du juge français n'exige de lui que la connaissance de la loi française"24.
4Aussi est-ce à l'aune de ces singularités que doit être appréhendé le droit à un jugement en droit international privé, rendu en application des règles désignante (Section 1) et désignée (Section 2).
SECTION 1. LE DROIT À UN JUGEMENT RENDU EN APPLICATION DE LA RÈGLE DÉSIGNANTE
5255. Sans qu'il soit nécessaire de reprendre dans son ensemble la controverse relative au devoir du juge d'appliquer d'office la règle de conflit, il sera suggéré ici que la prohibition du déni de justice en droit international privé plaide en faveur de la généralisation de ce devoir (§1). Par ailleurs, la même interdiction dénie au juge la possibilité de refuser de statuer sous prétexte d'une impossibilité de mise en oeuvre de la règle de conflit, et lui intime l'ordre d'y remédier (§2).
§ 1. L'application obligatoire de la règle désignante
6256. Le juge a-t-il le pouvoir ou le devoir d'appliquer d'office la règle désignante quand les parties ne l'ont pas spécialement invoquée ?
7Pendant près de vingt ans, la jurisprudence posée par les arrêts Bisbal25 et Compagnie algérienne de crédit et de banque26 n'accorda au juge que la simple faculté d'appliquer d'office la règle de conflit de lois française désignant une loi étrangère. Le système jurisprudentiel ainsi institué fut renversé en octobre 1988 par deux décisions consacrant l'obligation d'appliquer d'office la règle de conflit27. Un commentateur particulièrement autorisé avançait alors que l'obligation nouvelle pesait sur le juge, quelle que soit la source ou la structure de la règle et quelle que soit la matière considérée28. Contre toute attente, seulement deux ans plus tard, la première Chambre civile, par l'arrêt Coveco, revenait au principe facultatif, tout en l'assortissant de deux exceptions, l'une tirée de l'origine conventionnelle des règles de conflit de lois et l'autre du caractère indisponible du droit des parties dans la matière litigieuse29. La distinction fondée sur l'origine conventionnelle de la règle de conflit de lois fut vivement critiquée en doctrine ; elle avait néanmoins le mérite de réduire considérablement la portée du principe facultatif posé dans les matières où les droits sont disponibles, mais où les règles conventionnelles foisonnent. Elle n'aura cependant guère vécu. Par un arrêt du 26 mai 1999, la première Chambre civile a en effet supprimé le régime dérogatoire de la règle de conflit conventionnelle30. En revanche, dans un arrêt rendu le même jour, elle a confirmé l'application d'office d'une règle de conflit portant sur un contentieux indisponible, substituant simplement le critère des "droits" à celui de la "matière" litigieuse31.
8C'est dire, si cette jurisprudence se confirmait, que la règle de conflit, indépendamment de sa source, ne serait jamais applicable d'office quand les droits litigieux sont disponibles.
9257. Or, le principe facultatif doit être catégoriquement dénoncé. De ce dernier on a pu dire qu'il méconnaissait "un principe fondamental de notre droit, celui de l'égalité des citoyens devant la loi"32 ou encore "la garantie d'impartialité" du juge33. Plus proche encore de notre sujet, il faut relever un arrêt rendu en droit interne par la Cour d'appel de Paris, qui décide que constitue un déni de justice le rejet par le juge d'une demande sous prétexte qu'elle n'invoque aucun texte34. Dans son commentaire critique de l'arrêt rendu par la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation le 4 novembre 1988, aux termes duquel l'article 12 alinéa 1er du Nouveau Code de procédure civile n'impose pas au juge "de rechercher d'office les dispositions légales de nature à justifier une demande dont il est saisi sur le fondement d'un texte déterminé", Mme Frison-Roche rapproche cet arrêt de celui précédemment cité de la Cour d'appel de Paris ; elle note à juste titre : "le fait que le juge puisse ne pas rechercher la règle de droit applicable, parce que la partie ne s'y réfère pas, n'en est pas une hypothèse très éloignée"35. Emise relativement au traitement d'un litige interne, la remarque garde toute sa valeur en droit international privé.
10258. D'ailleurs, comme en témoigne cet arrêt rendu le 4 novembre 1988 par la Cour de cassation, la similitude des termes, dans lequels peuvent se poser les problèmes d'application de l'article 12 du Nouveau Code de procédure civile en droit interne et en droit international privé, incite à penser que ce texte a peut-être été trop radicalement écarté du débat en droit international privé36.
11259. Mme Frison-Roche a su parfaitement dégager, pour mieux le démonter, le raisonnement aux termes duquel la Cour de cassation affirme en droit interne le principe facultatif de l'application d'office des règles de droit37. Cet auteur commence par rappeler que le texte de l'article 12 du Nouveau Code de procédure civile s'articule autour d'un principe assorti d'exceptions38. Ainsi en son alinéa 1er, l'article 12 formule le principe de l'application des règles de droit par le juge : "le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables". Conséquence en est tirée à l'alinéa 2 : le juge "doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée". Viennent ensuite aux deux alinéas suivants les exceptions : le juge "ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d'un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l'ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat" (al. 3) ; "le litige né, les parties peuvent aussi, dans les mêmes matières et sous la même condition, conférer au juge mission de statuer comme amiable compositeur, sous réserve d'appel si elles n'y ont pas spécialement renoncé" (al. 4).
12260. L'auteur dénonce ensuite l'erreur commise par la Cour de cassation sur le rapport logique entre les alinéas de l'article 12, sollicités pour poser le principe facultatif. Le raisonnement développé par la Cour de cassation est en effet décrit comme suit : la Cour de cassation à partir de l'alinéa 3, relève que le juge ne peut appliquer d'office la règle de droit quand les parties l'ont lié pour des droits dont elles disposent ; puis elle en déduit que, lorsque les parties n'ont pas exercé ce pouvoir ou ne peuvent le faire (droits indisponibles), le juge peut appliquer d'office la règle de droit ; enfin elle en conclut que si le juge peut le faire, il n'y est pas obligé. Autrement dit la deuxième Chambre civile tire "un principe (le caractère facultatif de l'application d'office) de l'exception (les cas où les parties n'ont pas lié le juge) faite à une exception (les cas où les parties ont lié le juge)". Or, "c'est un détour qui rend fragile le principe exprimé et c'est d'autant moins justifé que l'alinéa 1er fournit expressément la règle générale"39. On reconnaît la démarche suivie en droit international privé par la première Chambre civile pour imposer autrefois la solution Bisbal, et aujourd'hui encore le principe facultatif de l'application d'office de la règle de conflit quand les parties ont la libre disposition de leurs droits. La solution actuellement détachée du support textuel de l'article 12 alinéa 1er du Nouveau Code de procédure civile n'en demeure pas moins critiquable. Elle réalise la confusion dénoncée par Motulsky entre deux questions distinctes : celle de l'impérativité de la règle de droit à l'égard du juge, et celle de sa force obligatoire à l'égard des parties40. Le juge a pour mission de réaliser le droit. C'est parce que la règle de conflit appartient au droit qu'elle doit être appliquée d'office.
13261. Le principe facultatif peut-il toutefois trouver sa justification en droit international privé dans la spécificité déjà relevée de la règle de conflit, dont la mise en œuvre est conditionnée par la constatation de l'existence d'un fait, à savoir l'élément d'extranéité ? Ici encore, une lecture attentive du droit interne s'impose.
14L'article 7 alinéa 2 du Nouveau Code de procédure civile prévoit que "parmi le éléments du débat, le juge peut prendre en considération même les faits que les parties n'auraient pas spécialement invoqués au soutien de leur prétention". Tirant de la lecture de cet alinéa 2 de l'article 7 la conclusion que le relevé du fait pertinent n'est qu'une faculté, pouvoir n'étant pas devoir, des auteurs éminents s'opposent à l'obligation faite au juge d'appliquer d'office la règle de droit, quand elle l'obligerait à relever d'office le fait41. Aussi, au lendemain de l'abandon de la jurisprudence Bisbal, M. Lequette soulignait à propos des arrêts Rebouh et Schule qu'en contradiction avec l'article 7 du Nouveau Code de procédure civile, "la règle de conflit de lois dont on s'est longtemps demandé si elle était, en raison de sa spécificité, obligatoire pour le juge, l'est désormais plus que les autres puisque celui-ci doit relever d'office les éléments qui en commandent le jeu"42. Mais en dépit de l'autorité des auteurs qui la soutiennent, cette interprétation restrictive ne s'impose pas nécessairement. Mme Frison-Roche avance : "ce n'est pas parce que l'article 7 exprime un pouvoir qu'il exclut le devoir... Il n'est pas contradictoire d'exprimer que, lorsque l'application de la règle de droit doit se faire d'office, c'est obligatoirement que le juge doit relever le fait pertinent, obligation que le juge peut remplir grâce au pouvoir que lui a ouvert l'article 7"43. Dans le même sens mais en termes plus modérés, on peut avec M. Bureau émettre l'idée que loin de constituer un obstacle à l'applicabilité d'office de la règle de droit (et donc de la règle de conflit), l'article 7 offre au contraire au juge, en lui permettant de relever le fait pertinent (l'élément d'extranéité pour la règle de conflit), les moyens d'exercer son office défini à l'article 1244.
15262. On a reproché à cet argument de méconnaître que "la mission spécifique du juge n'est pas de rechercher les faits", et de conduire à terme à "un infléchissement de la procédure vers un modèle plus inquisitoire"45. La critique semble sévère. Sans conduire le juge à rechercher des faits et à sortir de son rôle, l'interprétation proposée de la combinaison des articles 7 et 12 du Nouveau Code de procédure civile ne fait peser sur le juge que cette obligation : relever les seuls éléments d'extranéité introduits dans le débat par les parties, et inscrits au dossier, et ce uniquement pour les besoins de l'application d'office de la règle de droit. Ainsi circonscrite, l'obligation préconisée limite les dangers de "création d'un contentieux artificiel devant la Cour de cassation"46. Si une telle lecture devait être retenue en droit interne, la transposition possible sans artifice "de ces textes en droit international privé appellerait la généralisation de l'application d'office de la règle de conflit"47.
16263. Tenu d'appliquer d'office la règle désignante, dès lors qu'un élément d'extranéité ressortirait du débat ou du dossier48, le juge du fond n'échapperait à la censure de la Cour de cassation, pour violation de cette obligation et de son office, que si la preuve était apportée par lui a posteriori de l'équivalence des lois en conflit ("en ce sens que la situation de fait constatée par le juge aurait les mêmes conséquences juridiques en vertu de ces deux lois"49). En effet, tirant toutes les conséquences, sur le terrain de l'office du juge, de l'analyse de la nature du conflit de lois comme un conflit d'intérêts privés, la Cour de cassation tempère aujourd'hui l'obligation faite au juge d'appliquer la règle de conflit, en la réputant satisfaite par la preuve apportée a posteriori de l'équivalence50.
17Le juge est dispensé de trancher le conflit de lois quand l'équivalence démontre l'inutilité de cette opération, en même temps qu'elle permet d'apporter au litige une issue conforme aux exigences de la justice matérielle. Il ne peut en revanche être dispensé de trancher le litige en cas d'impossibilité de mise en œuvre de la règle désignante.
§ 2. La nécessité de remédier à l'application impossible de la règle désignante
18264. Le juge, toujours obligé de juger aux termes de l'article 4 du Code civil, doit pallier l'impossibilité matérielle de mettre en œuvre la règle désignante. Il doit, à ce titre, lever les obstacles susceptibles de s'opposer au fonctionnement normal de la règle désignante.
19265. Face à un litige international, le juge doit choisir parmi les règles désignantes en présence de celle qui désignera l'ordre juridique compétent. A cette fin, il procède à la qualification lege fori de la question de droit substantiel posée en l'espèce. Mais la question de droit à qualifier trouvera-t-elle "nécessairement place dans l'une quelconque des catégories du droit international privé du for"51 ? Pour éviter que les règles de conflit élaborées à partir des concepts internes ne constituent un système lacunaire, la jurisprudence entend largement les catégories de droit interne. De la sorte, les catégories de rattachement peuvent en principe accueillir les questions formulées en fonction d'institutions étrangères car "tout système positif, pour autant qu'il soit suffisamment développé, n'est jamais qu'une solution déterminée de problèmes qui, dans leurs tréfonds, sont universels"52. En ce sens, la qualification revient, ainsi que l'a soutenu Francescakis, à une opération d'"internationalisation"53. Toutefois, comme le souligne M. Mayer, tout risque de lacune n'est pas complètement éliminé54. Exceptionnellement, une institution connue dans un pays étranger pourrait ne pas avoir son équivalent au for. Dans ce dernier cas le juge ne pourrait, sous peine de déni de justice, refuser de statuer en se retranchant derrière l'impossibilité de désigner la loi applicable à la question de droit. Face à une question formulée en fonction d'une institution inconnue, ne pouvant être accueillie par une catégorie du for, le juge doit élaborer une règle de conflit spécifique apte à répondre aux légitimes prévisions des parties55.
20266. La règle désignante du for ne peut également trouver à fonctionner normalement quand fait défaut l'élément de rattachement. M. Mayer recense trois causes de défaut de rattachement : soit le rattachement n'existe pas (un individu dépourvu de nationalité ; ou deux époux n'ont pas la "nationalité commune" ou le "domicile commun" retenus comme facteurs de rattachement par la règle de conflit relative aux effets de mariage) ; soit le rattachement existe mais est inconnu (on ignore dans l'espèce la situation d'un meuble à un moment donné) ; soit il est connu mais n'est pas de nature à désigner un ordre juridique (un bien se trouve dans un espace non soumis à la souveraineté d'un État [haute mer] ou disputé entre deux États)56. Dans de telles hypothèses, le rapport litigieux ne peut rester hors du droit, et le juge commettrait un déni de justice s'il rejetait la demande du plaideur au motif qu'il n'établit pas l'un des éléments nécessaires au succès de sa prétention57. Mais quel droit objectif appliquer ? Certes le juge peut toujours théoriquement recourir à la lex fori dont la vocation est universelle, mais un tel recours doit rester subsidiaire58. Et si la jurisprudence française y fait appel fréquemment, la solution consistant à édicter un rattachement subsidiaire apparaît préférable car plus respectueuse du caractère international du litige. Telle est actuellement l'attitude suivie par le juge, en cas de défaut de nationalité ou de nationalité commune par l'adoption des rattachements subsidiaires du domicile et du domicile commun. Il conviendrait qu'une telle démarche soit généralisée avant tout retour systématique à la lex fori.
21La prohibition du déni de justice en droit international privé contraint le juge à appliquer la règle désignante et à remédier à ses éventuelles défaillances. Mais l'application de la règle désignante ne permet pas de satisfaire, à elle seule, le devoir fait au juge de juger. Le devoir se prolonge nécessairement dans l'application obligatoire de la règle désignée.
SECTION 2. LE DROIT À UN JUGEMENT RENDU EN APPLICATION DE LA RÈGLE DESIGNÉE
22267. Qu'elle appartienne au droit du for ou au droit étranger, parce qu'elle est du droit, la règle désignée doit être à ce titre appliquée par le juge59. Néanmoins, au regard de la loi étrangère, l'adage jura novit curia perd droit de cité, car l'office du juge français n'exige de lui que la connaissance de la loi française. "Si la loi étrangère ne se prouve pas plus que la loi française" parce que "c'est du droit que le juge peut et doit rechercher"60 (§1), ce dernier ne saurait être tenu à l'impossible. Pour autant il ne peut s'abriter derrière l'inaccessibilité ou encore l'impraticabilité de la loi étrangère pour refuser de statuer. Ici encore la nécessité lui impose d'y porter remède (§2).
§ 1. L'application obligatoire de la règle désignée
23268. "La non-application de la loi désignée par la règle de conflit française constitue une violation de cette dernière"61. La règle de droit applicable à un litige international se compose en effet, on l'a vu, d'une règle désignante et d'une règle désignée qui forment un tout62. Aussi bien l'obligation d'appliquer le droit s'étend-elle à la règle désignée dont le contenu, lorsqu'elle est étrangère, devrait être en toute hypothèse recherché par le juge.
24269. Telle n'est pas aujourd'hui la position de la jurisprudence qui distingue selon la disponibilité des droits. Si les droits ne sont pas disponibles, le juge – tenu d'appliquer la règle désignante quand les parties, sans invoquer la loi étrangère, ont fait état d'éléments d'extranéité – doit également rechercher le contenu du droit étranger désigné. Des arrêts récents consacrent cette obligation et en retiennent une conception exigeante : les juges du fond doivent appliquer, et donc rechercher, le droit étranger63 au regard de l'ensemble des sources du droit positif64, droit interne et droit des conflits compris (dans les domaines où le renvoi est admis65). En revanche, si les droits sont disponibles, le juge n'est plus tenu d'appliquer d'office la règle de conflit66 ; et aux termes de l'arrêt Amerford, "il incombe à la partie qui prétend que la mise en oeuvre du droit étranger désigné par la règle de conflit de lois conduirait à un résultat différent de celui obtenu par l'application du droit français, de démontrer l'existence de cette différence par la preuve du droit étranger qu'elle invoque, à défaut de quoi le droit français s'applique en raison de sa vocation subsidiaire"67. La solution est souvent présentée comme ayant le mérite de déjouer les faux conflits de lois. A ce titre, il a été avancé à propos de l'arrêt Compagnie royale belge qui dispense le juge de trancher le conflit de lois quand la preuve de l'équivalence est apportée a posteriori, qu'il se plaçait "presque banalement du côté de la règle Amerford"68. Mais ce rapprochement doit être nuancé ; car un fossé sépare en réalité le jeu de l'équivalence démontrée, seule susceptible d'affranchir le juge tenu d'appliquer d'office la règle de conflit quand les droits sont indisponibles, du jeu de l'équivalence présumée, tel que décrit par l'arrêt Amerford, quand les droits sont disponibles69. La présomption en question ressemble fort à une fiction, quand on sait que les parties ignorent bien souvent la vocation même à s'appliquer du droit étranger. Aussi, certains auteurs soulignent que c'est un des motifs pour lesquels l'obligation d'appliquer d'office la règle de conflit de lois devrait être systématiquement consacrée70.
25270. Chargé d'appliquer d'office la règle de conflit, le juge du fond devrait alors corrélativement rechercher le droit désigné71, quelles que soient les difficultés engendrées par cette tâche. A l'appui de la reconnaissance de cette obligation, au cours de la table ronde consacrée au régime de la loi étrangère en France après les arrêts des 11 et 18 octobre 1988, et organisée par le Comité français de droit international privé, M. Lagarde remarquait de manière significative que faire reposer la charge de la preuve sur les parties, revenait nécessairement à admettre que dans certains cas, faute pour la partie d'avoir fourni cette preuve, le juge devrait rejeter sa prétention. En effet, soulignait-il, une application subsidiaire systématique de la loi française donnerait "raison à la partie paresseuse qui sait d'avance que la loi française est plus avantageuse que la loi étrangère". Mais, poursuivait-il, le "rejet, dans certains cas, risque d'être tout à fait choquant et même de provoquer une réaction sur le plan de la Convention européenne des droits de l'homme, au titre de déni de justice". Aussi concluait-il que le juge était en principe dans l'obligation de rechercher le contenu de la loi étrangère, sans que cela signifie pour lui le devoir de le trouver72. A cette fin, la question est bien connue, il pourrait ordonner une mesure d'instruction (article 10 du Nouveau Code de procédure civile), solliciter le concours des parties et tirer toute conséquence de leur refus (article 11 du Nouveau Code de procédure civile)73, puis recourir aux instruments existants d'information sur les droits étrangers74. En tout état de cause, quoique tenu d'une "simple obligation de moyens"75, à l'instar de la solution qui prévaut actuellement pour l'établissement de la preuve de la loi étrangère en matière de droits indisponibles, le juge ne pourrait pour autant s'abstenir de juger au prétexte qu'il n'arriverait pas à savoir en quoi consiste le droit étranger76. C'est qu'en effet, d'une manière plus générale, le juge doit pallier toutes les hypothèses d'application impossible de la règle désignée.
§ 2. La nécessité de remédier à l'application impossible de la règle désignée
26271. Peuvent être recensés trois types d'évènements susceptibles d'entraver l'application normale de la règle étrangère désignée : soit la loi étrangère est inaccessible (A), soit son application stricto sensu est techniquement ou logiquement impossible (B), soit les résultats concrets de son application conduisent le juge, en l'espèce, à l'écarter (C).
A. Inaccessibilité de la règle désignée
27272. En dehors des hypothèses extrêmement rares de désignation d'un système totalement inexistant (territoire sans maître, haute mer, espace, pays touchés à un moment donné par une guerre civile rendant le droit effectivement en vigueur indiscernable77), l'inaccessibilité du droit étranger peut résulter plus fréquemment de l'impossibilité matérielle d'établir sa teneur78 ou d'une lacuna legis. Le juge français n'étant pas habilité à combler une législation dont il n'est pas l'organe, l'hypothèse de la lacune se ramène à celle de l'ignorance du droit étranger.
28273. Dans un système où le juge est tenu d'appliquer et de rechercher d'office la loi étrangère79, la défaillance de celle-ci ne doit pas se retourner contre les parties ; aussi le rejet pur et simple de la prétention est inacceptable80. La loi étrangère défaillante doit être remplacée par une autre. Mais laquelle ? L'application de la lex fori en raison de sa vocation subsidiaire recueille les faveurs de la doctrine et de la Cour de cassation81.
29274. Il a même été soutenu que l'application subsidiaire de la lex fori demeurerait pertinente face à une défaillance du droit international privé étranger lui-même82, et commanderait alors l'application de la règle de droit international privé du for83.
30Sans réelle incidence pratique quand la règle de conflit du for est unilatérale, la proposition débouche en revanche sur une solution originale en cas de règle de conflit bilatérale. En effet, si la règle de conflit du for est unilatérale, comme elle ne vise par hypothèse "que le champ d'application de la seule lex fori [...], à défaut d'une règle de conflit étrangère conditionnant l'application d'une autre loi que la sienne, le juge du for appliquera, en raison de la "vocation subsidiaire de la lex fori" [...] son propre droit"84. Mais si la règle de conflit du for est bilatérale, la thèse suggérée conduirait le juge du for, en cas d'ignorance de la règle étrangère de droit international privé (dans les domaines où le renvoi est admis), à appliquer au titre de la vocation subsidiaire de la règle de conflit du for la loi désignée par celle-ci85.
31275. La solution proposée, à savoir la préférence accordée à l'application de la loi désignée par la règle de conflit du for (plutôt qu'à l'application du droit substantiel du for), paraît juste ; ce ne peut être pourtant au titre d'une prétendue vocation subsidiaire de la règle de droit international privé du for. Seule la lex fori interne, en raison de sa vocation universelle86, peut avoir une vocation subsidiaire. En cas de défaillance de la règle de conflit étrangère, la nécessité de conserver à l'application de la lex fori interne un caractère subsidiaire s'impose simplement plus aisément. Affirmer la vocation subsidiaire de la lex fori, c'est souligner que le retour à cette loi n'est légitime qu'à défaut de toute autre solution, mieux adaptée au règlement d'un litige affecté d'un élément d'extranéité. Or, quand la règle de droit international privé étrangère fait défaut, l'application de la loi substantielle désignée par la règle de conflit du for se justifie précisément par les liens que cette loi entretient avec la situation, liens tenus pour significatifs par la règle de conflit du for. Si la loi substantielle étrangère désignée est à son tour ignorée, le droit international privé visant à faire régir les rapports juridiques internationaux par la loi présentant avec eux les liens les plus étroits, il convient alors de "se référer au droit qui a les liens préférables en second lieu, et ainsi de suite"87. C'est seulement lorsque la détermination des règles de conflit subsidiaires pose difficulté, ou lorsque le contenu des lois subsidiairement désignées est également inconnu, que le juge doit pouvoir recourir à la lex fori interne pour trancher le litige88.
32Tenu de résoudre le litige en appliquant le droit, le juge ne peut être autorisé à rejeter une prétention au seul motif des difficultés techniques ou logiques de mise en oeuvre posées par le droit désigné.
B. Application techniquement ou logiquement impossible de la règle désignée
33276. Une telle impossibilité traduit tantôt le défaut de coordination des règles de fond extraites d'ordres juridiques différents (1), tantôt le défaut de coordination de la loi étrangère désignée avec les pouvoirs du juge tels que définis par la lex fori (2).
1) Défaut de coordination des règles de fond
34277. La conjugaison de différentes règles nationales, appelée pour et par le réglement du litige, peut en l'absence d'action coordinatrice réalisée par un législateur unique, être la cause d'éventuelles incohérences dans le règlement concret de la situation. Dans de telles circonstances, la doctrine et le droit positif s'accordent à reconnaître au juge le pouvoir d'"adapter" les règles89. Tout en souligant la "nature réfractaire à toute systématisation"90 de l'adaptation, Mme Muir Watt, dans sa thèse, proposait notamment de distinguer au titre des impasses objectives (auxquelles peut conduire la conjugaison de différentes règles nationales) les incompatibilités d'ordre technique, de celles d'ordre logique. Cette distinction sera reprise ici et enrichie des résultats récents de la recherche entreprise par Mme Cocteau-Senn sur le thème "Dépecage et coordination dans le réglement des conflits de lois"91.
35278. Mme Muir Watt explique que l'impasse technique, à laquelle le juge doit remédier, découle du fait que les conditions d'application d'une règle interne ont été conçues en fonction d'une situation entièrement interne, ou "calquée sur des institutions purement internes"92. La prise en considération de l'élément d'extranéité commande alors l'adaptation du contenu de la condition (du présupposé), soit "un jugement d'équivalence, eu égard au but de cette règle, entre la situation envisagée dans son contexte purement interne, et celle qui se présente lorsque le rapport revêt un caractère international"93. Quand l'impasse technique procède, pour un rapport juridique créé selon une loi, de son "transport"94 dans un autre système où il est appelé désormais à fonctionner ou à déployer ses effets, l'adaptation commande deux solutions ; ce sera soit un jugement d'équivalence entre la situation établie selon la loi ancienne de la création et celle envisagée par la loi nouvelle ou loi des effets, soit en outre un aménagement des effets consacrés par la loi nouvelle ou loi des effets. Enfin, l'auteur relève l'inaptitude de l'adaptation des règles internes à remédier aux impasses techniques résultant d'un conflit de civilisations, et suggère pour la résolution des "difficultés nées du concours de deux lois radicalement hétérogènes" l'adaptation de la règle de conflit elle-même.
36279. Mme Cocteau-Senn précise ce que recouvre ce jugement d'équivalence, quand se pose un véritable problème de coordination des ordres juridiques ; c'est-à-dire, pour cet auteur, quand, entre la situation présupposée par la règle applicable et la situation réelle, existe (à défaut de question préalable) au moins un "hiatus", résultant de ce que la situation réelle "porte l'empreinte d'un système juridique autre que celui dont est issue la règle applicable"95. Qu'une question préalable puisse être distinguée ou non96, le juge doit s'interroger sur ce qu'exige le présupposé de la règle applicable et sur la possibilité de substituer le rapport étranger réel au rapport présupposé. Ainsi le juge "reconstruit le contenu du concept préjudiciel" visé par la règle, en s'attachant "à dégager de la référence faite ce qui est réellement fondamental dans la perspective de l'effet recherché"97. La notion d'équivalence revêt donc un caractère fonctionnel, et le jugement d'équivalence apparaît susceptible de varier selon l'effet recherché. De deux choses l'une : soit l'équivalence est reconnue, et l'effet juridique prévu par la règle – éventuellement adapté à son tour si l'adaptation du présupposé le requiert – doit être accordé ; soit l'équivalence est refusée (hypothèse d'un conflit de civilisations par exemple), et la règle désignée ne peut être appliquée98. Le juge est alors confronté, en dépit de l'existence formelle d'une règle désignée, à une lacune de solution ; puisque, à défaut d'équivalence, cette règle est jugée au for inadéquate et inapplicable. Cette hypothèse est rapprochée par Mme Cocteau-Senn de celles où la lacune est plus visible, soit celles où la loi désignée ne connaît pas le rapport à régir. Avant toute éviction du droit lacunaire désigné au profit d'une autre loi ayant un titre raisonnable à s'appliquer, l'auteur propose d'adapter ce droit en cherchant s'il existe en son sein des dispositions qu'il serait possible d'appliquer par analogie99.
37280. De l'impasse technique que constitue la lacune de solution, doit être distinguée l'impasse logique que réalise la vocation de deux règles, aux contenus contradictoires, à régir une même question de droit. Pour Mme Muir Watt, dans ce dernier cas deux issues s'offrent au juge pour sortir de l'impasse rencontrée : soit faire prévaloir la solution au fond édictée par l'une ou l'autre des deux lois auxquelles le système du for reconnaît compétence, soit élaborer un rattachement subsidiaire100. Mme Cocteau-Senn propose de distinguer, quant à elle, les hypothèses où les lois contradictoires ont été appelées par plusieurs règles de conflit, de celles où elles ont été appelées par une même règle de conflit. Dans le premier cas, le conflit de solutions est en réalité réglé dès la phase de qualification : le juge prend parti sur la règle de conflit dont il entend faire prévaloir le respect, en prenant en considération (la question est bien connue101) les rattachements respectivement proposés et les raisons pour lesquelles ces rattachements ont été retenus. Dans le second cas, le conflit est la conséquence d'une défaillance de la règle de conflit de lois dans sa vocation à apprécier l'intégralité du problème posé102. Mme Cocteau-Senn s'oppose au choix d'une des solutions en conflit, car il n'existe aucune raison a priori de préférer l'une ou l'autre des lois auxquelles la règle de conflit du for reconnaît compétence. Pour cet auteur, on peut alors soit proposer une nouvelle désignation qui serait fondée sur la prise en compte de l'intégralité du problème posé, en adaptant un rattachement plus approprié ou en redéfinissant la catégorie, soit faire appel à la loi du for ou à une règle de droit international privé matériel du for103.
38Si le juge doit surmonter ainsi les difficultés engendrées par la répartition du règlement matériel de la situation entre plusieurs lois, il ne peut par ailleurs refuser de trancher le litige au motif que la mise en œuvre de la loi étrangère désignée le ferait sortir de son rôle tel que défini par la loi du for.
2) Défaut de coordination de la lex causae avec les pouvoirs du juge définis par la lex fori
39281. L'exemple en est fourni par le très célèbre arrêt Levinçon104. Dans cette affaire, était posée la question de savoir si un juge français pourrait prononcer le divorce de deux juifs de nationalité russe, alors que leur loi nationale prévoyait l'intervention de l'autorité rabbinique. La cour d'appel de Paris, approuvée par la Cour de cassation, retint que "le principe de la séparation des matières civiles et religieuses est... l'une des bases essentielles de la législation française", elle en déduisit l'impossibilité pour le juge français de se substituer à l'autorité religieuse étrangère, et déclara irrecevable la demande en divorce formée par la femme105.
40La solution fut vivement critiquée par la doctrine qui lui reprocha notamment106 d'exposer les parties à un risque de déni de justice, dès lors qu'elles ne pourraient se rendre dans leur pays d'origine ou s'y verraient refuser le divorce parce que les autorités religieuses ne s'estimeraient pas compétentes107.
41282. Comme le souligne M. Théry, le raisonnement suivi par la Cour de cassation fut correctement placé sur le terrain des pouvoirs du juge en matière de divorce : "l'optique retenue dans l'arrêt Levinçon est originale : parce que la loi étrangère est une loi confessionnelle – et non parce que la Cour y voit une question de fond –, il n'entre pas dans les pouvoirs du juge de l'appliquer en se substituant au juge étranger"108. Mais il n'échappe pas pour autant à la critique. D'une part, déclaré d'ordre public interne le principe de laïcité aurait dû également être reconnu d'ordre public international, ce qui aurait permis d'évincer la loi confessionnelle russe et de lever l'obstacle résultant du défaut de pouvoir des juges français pour l'appliquer109. D'autre part, indépendamment du jeu de l'ordre public110, il a pu lui être reproché d'avoir tiré, du défaut de pouvoir du juge français d'appliquer la loi étrangère confessionnelle, la conséquence de l'impossibilité pour le juge français de se substituer à l'autorité étrangère. La question de la substitution du juge français à l'autorité étrangère doit en effet être résolue préalablement. Son principe doit être admis aussi bien "toutes les fois que la loi étrangère requiert un acte juridictionnel"111 – car dans l'ordre juridique français c'est aux tribunaux qu'il appartient de rendre des actes juridictionnels –, que lorsque l'intervention judiciaire est commandée par une règle de police du for112. Cette substitution étant admise, elle entraîne à son tour celle, au moins partielle, de la loi du for à la loi étrangère compétente au fond, dans la mesure qu'exige le respect des pouvoirs du juge du for113.
42283. De manière plus générale, en raison des liens étroits entretenus par le pouvoir juridictionnel avec le fond comme avec la procédure, il faut avec M. Théry rappeler que le pouvoir juridictionnel puise son présupposé dans la lex causae, alors qu'il puise dans la loi du for les formes procédurales qu'il emprunte114. En principe, est attribué au juge un pouvoir suffisamment général pour que l'application au fond de la loi étrangère se réalise sans soulever des questions de pouvoir ; il est cependant des hypothèses où le juge ne dispose que de "pouvoirs attribués"115. Alors les profondes disparités entre les ordres juridiques peuvent engendrer des difficultés d'articulation de la lex causae avec les pouvoirs du juge, souverainement et donc nécessairement fixés par la loi du for. Quand, dans ce dernier cas, la mise en oeuvre de la loi étrangère conduirait le juge du for à outrepasser ses pouvoirs, la solution consistant à déclarer irrecevable la demande doit être rejetée, parce qu'elle serait susceptible, comme l'a démontré l'arrêt Levinçon, de consacrer un déni de justice. Doit alors lui être préférée la substitution de la loi du for au regard de laquelle les pouvoirs attribués au juge ont été définis116.
43L'application de la législation étrangère peut enfin s'avérer impossible, quand elle donnerait à un problème d'espèce une solution incompatible avec la conception française de l'ordre public international.
C. Contrariété à l'ordre public international de la règle étrangère désignée
44284. L'exception d'ordre public opère l'éviction de la loi étrangère abstraitement compétente quand la solution, que son application consacrerait, s'avère intolérable dans l'ordre juridique du for. En tant que telle, cette exception semble être l'instrument idéal de prévention du risque d'un déni de justice matériel en droit international privé. Mais là ne s'arrête pas son rôle ; cette observation justifie que la notion soit précisée préalablement à l'examen des répercussions sur l'office du juge de l'éviction de la loi étrangère contraire à l'ordre public.
45285. Selon la présentation tripartite traditionnelle des fonctions de l'exception d'ordre public, classées par ordre d'importance idéologique, cette exception permet de réagir contre l'application des lois étrangères qui méconnaîtraient "les principes de justice universelle considérés dans l'opinion française comme doués de valeur internationale absolue"117 ; elle assure la défense de principes qui, sans prétendre à l'universalité, constituent les fondements politiques, sociaux de la civilisation française118 ; et elle vise à la sauvegarde de certaines politiques législatives119.
46Au titre de sa première fonction, l'exception d'ordre public sert "à éliminer les lois étrangères qui commanderaient une solution injuste, contraire au "droit naturel"... Le sentiment du juste et de l'injuste, bien que relatif, s'impose à celui qui l'éprouve avec la force d'une vérité absolue... Le juge se fie en fait à son propre sentiment, sa fonction le supposant particulièrement qualifié pour détecter une injustice"120. Il a été soutenu qu'au regard de cette fonction spécifique confiée à l'ordre public, – assurer la sauvegarde "des principes de droit public ou privé communs aux nations civilisées, expression de la morale et de la justice objective, que certains qualifient de principes internationaux"121 – l'appellation "ordre public international", au sens d'un ordre public véritablement international ou encore supra-étatique, apparaissait fondamentalement exacte122. Toutefois, il ne faut pas se méprendre sur la valeur internationale reconnue à de tels principes. L'ordre public reste avant tout une réaction de défense de la société française. "Que cette réaction trouve un appui dans la constatation d'une universalité (morale, non numérique, puisque la disposition étrangère y déroge) est une confirmation, non une condition dans l'état actuel des idées"123. Autrement dit, il suffit que qualitativement le principe soit considéré par l'opinion française comme doué de valeur internationale absolue. Par ailleurs, la valeur internationale avérée de certains principes d'ordre public du fait de leur insertion au sein d'instruments internationaux, tels les traités, ne suffit pas à leur conférer la qualité de principes de justice universelle. L'internationalité n'est pas l'universalité ; et les principes dits d'ordre public ne sont pas tous des principes de justice. La notion d'ordre public réellement international destiné à "assurer le respect de principes communs aux nations civilisées"124 est "nourrie de principes généraux exprimant des valeurs essentielles du droit substantiel ou processuel"125 ; mais ces principes généraux, qui expriment des valeurs de justice naturelle126 doivent être distingués de ceux qui traduisent des valeurs politiques. Les premiers peuvent prétendre à l'universalité, qu'ils soient insérés ou non dans des conventions internationales ; en revanche les seconds, même lorsqu'ils se voient reconnaître dans les traités une internationalité formelle à la faveur du consensus politique de certaines nations dites civilisées, ne peuvent servir qu'à la défense des valeurs politiques partagées par les nations contractantes. On songe ici tout particulièrement aux conventions internationales des droits de l'homme et de l'enfant, aux pactes relatifs aux droits civils et politiques ou aux droits économiques, sociaux et culturels... Nul doute que de tels instruments internationaux puissent recéler des principes de justice universelle (condamnation de la torture, de l'esclavage, des discriminations raciales, droit à un procès contradictoire...). Mais les hypothèses d'éviction de la loi étrangère pour violation de ces principes sont, fort heureusement, rares. Beaucoup plus fréquentes sont celles réalisées au nom de l'atteinte au droit de propriété, au droit au respect de la vie privée et familiale, à la liberté matrimoniale, au droit à l'établissement de la filiation..., c'est-à-dire au nom de la violation de principes que l'on qualifiera de politiques ; car même s'ils traduisent une certaine conception de la justice, ils restent par trop liés aux structures politiques, économiques et sociales des États signataires, et ne peuvent prétendre à l'universalité.
47286. Les valeurs politiques inscrites dans les lois de droit public du for n'ont pas besoin, pour leur défense, de l'exception d'ordre public. Ces lois s'appliquent exclusivement dès lors que le traitement de la question de droit litigieuse est réservé par le droit international à l'État du for.
48Seules les valeurs politiques prises en charge par des lois ou principes de droit privé doivent être défendues au moyen de l'exception d'ordre public, au titre des deux autres fonctions qu'elle assume : la défense des fondements politiques et sociaux de la société française, et la sauvegarde des politiques législatives. M. Mayer propose de distinguer ces deux fonctions ; il relève que dans le premier cas le juge français s'interroge sur la réaction de l'opinion publique française dans son ensemble, alors que dans le second cas, le juge s'interroge sur les solutions que le législateur français souhaite imposer, quel que soit l'accueil que leur réserve l'opinion publique française127. Pourtant la réaction de défense de la société française que ces deux fonctions expriment est de même nature. Quand elle intervient pour la défense de politiques législatives, l'exception d'ordre public exprime une réaction de police, au sens où cette notion a été précédemment définie128. Il pourrait en aller différemment quand l'exception d'ordre public intervient pour la défense des fondements politiques et sociaux, si celle-ci résultait d'une consultation réelle de l'opinion publique française. La réaction se ferait alors sentir à l'échelle sociale toute entière. Mais en pratique, les seuls fondements politiques et sociaux défendus par le juge, au moyen de l'exception d'ordre public, sont ceux consacrés par le législateur ou – donnée plus inquiétante – ceux que le juge lui-même, national voire européen, impose au législateur. Aussi l'exception d'ordre public traduit, ici encore, une réaction de police.
49287. Que le caractère inadmissible du résultat de l'application du droit étranger découle de sa contrariété aux principes de justice universelle, ou bien aux fondements politiques et sociaux de la société française ou encore aux politiques législatives françaises, dans tous ces cas de figure l'exception d'ordre public conduit à repousser la solution d'espèce engendrée par le droit étranger, et à travers elle les règles étrangères qui servent à celle-ci de fondement juridique.
50288. Mais le juge doit trancher le litige ; aussi doit-il appliquer d'autres règles que celles de la loi étrangère. Lesquelles ? La distinction précédemment établie, entre l'exception d'ordre public fondée sur des motifs de justice universelle et l'exception d'ordre public fondée sur des motifs politiques, doit ici servir de guide.
51Dans le premier cas, avant tout retour à la lex fori dans sa vocation subsidiaire, même limité à la seule disposition étrangère contraire à l'ordre public, doit être préférée l'application de la loi présentant avec le litige, une fois écartée la loi étrangère initialement désignée, les liens les plus étroits129.
52Dans le second cas, c'est-à-dire dans la majorité des cas, la réaction de défense étant de nature politique, la substitution de la lex fori est justifiée à ce seul titre130. Il faut encore préciser les modalités de cette intervention de la lex fori, selon que la loi étrangère porte atteinte à un principe d'ordre public ou à une règle d'ordre public.
53Quand "notre conception d'ordre public consiste en un principe général, la nécessité de consulter la loi étrangère avant de l'évincer (effet négatif) est incontestée"131. L'ordre public limité aux principes essentiels du for tolère une solution étrangère différente de celle préconisée par les règles du for, mais compatible avec les principes posés. "Seul le résultat exprimé par les principes généraux doit être préservé, sous réserve des modalités diverses susceptibles d'être rencontrées dans la diversité des législations nationales"132. Les règles du for ne s'appliquent alors qu'à titre supplétif quand l'application des règles de la lex causae méconnaît ces principes133.
54En revanche, lorsque le seuil de tolérance de la loi étrangère est fixé par une règle précise d'ordre public, elle produit non seulement l'effet classique d'éviction de la solution différente prévue par la loi étrangère désignée, mais aussi un effet positif puisqu'elle s'applique alors également à la résolution du litige134. En principe, l'effet négatif d'éviction de la lex causae ne devrait intervenir qu'après consultation de la loi étrangère désignée par la règle de conflit, mais cette dernière opération n'apparaît plus indispensable. "De deux choses l'une en effet : ou bien elle est identique à la règle française, et alors peu importe que l'on applique l'une ou l'autre ; ou bien elle est différente, donc contraire à l'ordre public, et il faut lui substituer la loi française"135. Aussi constate-t-on en pratique que certaines règles d'ordre public sont appliquées directement et impérativement à certaines situations internationales, sans référence préalable à la loi désignée par la règle de conflit, et s'assimilent à des règles de police. "L'effet positif est ainsi immédiat, alors que l'effet négatif se présente comme une conséquence, sous la forme de l'éviction générale de toute loi"136. Aussi bien a-t-on pu, de ce point de vue, conclure à l'interchangeabilité des deux approches137.
55289. Le devoir fait au juge, sous peine de déni de justice, de trancher le litige en application de la règle de droit, recouvre en droit international privé tant l'obligation d'appliquer la règle désignante que celle d'appliquer la règle désignée. Les obstacles susceptibles d'entraver l'exercice de cette tâche se diversifient à l'épreuve de cette duplicité. Le juge ne peut se retrancher derrière ces obstacles pour refuser de statuer, mais il doit également éviter tout recours systématique (toujours possible) à la lex fori, sauf à méconnaître la dimension internationale du litige. Ainsi, tenu d'appliquer la règle désignante, le juge devrait, en cas de mise en œuvre impossible de celle-ci, recourir à une règle de conflit subsidiaire avant tout recours à la lex fori. Tenu d'appliquer la règle désignée, il devrait en rechercher la teneur et, en cas de mise œuvre impossible de celle-ci, appliquer ici encore la règle qui présenterait subsidiairement les liens les plus étroits. Ce principe de l'application réellement subsidiaire de la lex fori ne devrait rencontrer pour limite que l'hypothèse d'une impossibilité de mise en œuvre de la loi étrangère au regard des exigences de la police du for, l'application de la lex fori étant alors justifiée par ces mêmes exigences.
56En s'acquittant de l'exercice de son office en droit international privé, dans les conditions précédemment décrites, le juge prévient le sentiment d'injustice qu'éprouverait, à défaut, le justiciable. Mais la valeur des décisions qu'il rend est également subordonnée à l'aptitude des règles de droit international privé, appliquées pour la résolution du litige, à répondre aux exigences de la justice. C'est dire qu'il convient à présent d'examiner le déni de justice matériel en droit international privé.
Notes de bas de page
1 V. supra, n° 121 et s.
2 À la suite de la communication présentée par M. MAYER sur "L'office du juge dans le réglement des conflits de lois" devant le Comité français de droit international privé, P. BELLET remarquait : "Je crois qu'on a embrouillé les choses en parlant de l'office du juge et je dis tout net que je le regrette. Je crois que le mot aurait dû être différent ; quand un juge agit d'office, tout le monde sait que c'est spontanément, la question sera de savoir s'il va avertir les parties ou pas ; et entre l'obligation et la faculté, il y a un monde qui n'est pas sur le même plan", T.C.F.D.I.P., 1975-1977, spéc. p. 264.
3 Aussi les juges font-ils parfois, en droit interne, une application cumulée de l'article 4 du Code civil et de l'article 12 du Nouveau Code de procédure civile : v. Paris, 25 avril 1986, G.P. 1987, 2, p. 800.
4 Précit.
5 H. MUIR WATT, "Effets en France des décisions étrangères", J.-Cl dr. int., Fasc 584-7, n° 86. Sur l'interdiction de réviser au fond la décision étrangère, qui définit également l'office du juge, v. B. ANCEL et Y. LEQUETTE, op. cit., commentaire sous l'arrêt Munzer, n° 18 et s., D. HOLLEAUX, "Les conséquences de la prohibition de la révision", T.C.F.D.I.P. 1981-1981, p. 53.
6 H. MUIR WATT, J.-Cl dr. int., Fasc. précit., n° 88.
7 Mme MUIR WATT ajoute : "il est sans doute raisonnable d'admettre qu'alors même que l'ensemble des faits générateurs de régularité n'apparaissent pas dans la décision elle-même, la production de cette dernière vaut dispense rationnelle d'allégation", Fasc. précit., n° 88.
8 Sur tous ces points, v. D. HOLLEAUX, J. FOYER et G. de GEOUFFRE de la PRADELLE, op. cit., n° 1045 et s. ; B. ANCEL et Y. LEQUETTE, op. cit., commentaire sous l'arrêt Munzer, n° 21 et s.
9 hors le cas particulier des articles 14 et 15, pour lesquels il est acquis que leur bénéficiaire peut toujours y renoncer.
10 B. ANCEL et Y. LEQUETTE, op. cit., commentaire sous l'arrêt Munzer, n° 22 et s. ; P. MAYER et V. HEUZÉ, Droit international privé, op. cit., n° 429 et s. ; H. MUIR WATT, J.- Cl, précit., Fasc. précit., n° 93 et s. ; D. ALEXANDRE, Les pouvoirs du juge de l'exequatur, LGDJ 1970, n° 368.
11 V. D. ALEXANDRE, thèse précit., n° 371 et s. ; pour la seule condition de conformité à l'ordre public international, B. ANCEL et Y. LEQUETTE, op. cit., commentaire sous l'arrêt Munzer n° 23. Mais qualifiant d'ordre public per se l'ensemble des conditions de régularité internationale, v. MOTULSKY : J.C.P. 1963. II. 13365 et HEBRAUD : R.T.D.civ. 1964, p. 164.
12 En ce sens v. D. HOLLEAUX, thèse précit., n° 415 et s. ; B. ANCEL et Y. LEQUETTE, op. cit., commentaire sous l'arrêt Munzer, n° 23.
13 En ce sens v. D. ALEXANDRE, thèse précit., n° 372 ; A. SINAY-CYTERMANN, thèse précit., n° 465 et s.
14 V. supra, n° 224 et 226.
15 V. D. HOLLEAUX, thèse précit., n° 416.
16 Thèse précit., n° 468, p. 847.
17 Ibid.
18 H. MUIR WATT, "Contre une géométrie variable des droits fondamentaux de la procédure", art. précit., spéc. p. 338. L'auteur admet toutefois la possibilité pour la partie défenderesse à l'étranger de régulariser la décision au regard des exigences de l'ordre public procédural (J.-Cl dr. int., Fasc. 584-7, n° 98). Pourtant, il faut reconnaître avec Mme Sinay-Cytermann que "le fait de privatiser l'ordre public prive la fonction juridictionnelle de son efficacité : l'État ne saurait se désintéresser de la protection des plaideurs. Selon nous, cette mission est un des attributs essentiels de la justice. Nous retrouvons ici le même combiné privé-public de la fonction juridictionnelle que nous avons souligné en ce qui concerne la bonne administration de la justice. Le refus de privatisation allait de pair selon nous avec une bonne administration de la justice, où il était vraiment malaisé de faire abstraction de la prééminence de l'État. Mais même dans l'orbite des intérêts purement privés, nous retrouvons encore cette interdépendance, cette mixité du privé et du public et l'éviction de la compétence étrangère au nom de l'ordre public est une éviction autant publique que privée", thèse précit., n° 468, pp. 847-848.
19 En faveur d'une appréciation du caractère disponible ou non des droits litigieux selon la loi désignée par la règle de conflit de lois, v. H. MUIR WATT, J.-Cl dr. int., Fasc. 584-7, n° 100 et s.
20 En dehors de l'applicabilité d'une règle de conflit doublée d'une règle désignée, peut être envisagée celle d'une règle de droit commandée par le droit international public, d'une règle de police ou d'une règle matérielle. Dans la première hypothèse si, en raison d'une dissociation possible des compétences juridictionnelle et législative (v. supra, n° 132 et s.), le juge est saisi directement d'une question de droit attribuée par le droit international à un État étranger ou s'il est saisi indirectement d'une telle question, la règle de droit international privé nécessairement calquée sur le droit international est dotée d'une impérativité particulière. Mais si le juge refuse d'appliquer la règle de l'État impliqué, en raison d'un refus de coopération, d'une impossibilité matérielle de mise en œuvre de la règle étrangère ou de contrariété à l'ordre public, il ne peut en aucun cas y substituer une autre règle. S'il refuse de statuer, il ne commet alors aucun déni de justice.
Dans la seconde hypothèse, si une loi de police du for entend régir le litige, le juge est tenu d'appliquer cette règle de police, dont la "super-impérativité" s'impose également aux parties (v. P. MAYER, note sous l'arrêt Karl Ibold, Cass. civ. 1ère, 1er juil. 1997, R. 1998. 60 spéc. p. 72). À défaut de loi de police du for désireuse de s'appliquer, les règles ordinaires de droit international privé jouent et l'office classique du juge recouvre son empire. Quant aux lois de police étrangères, le juge n'est jamais tenu de les rechercher ni de les appliquer et s'il s'y refuse, il doit à nouveau trancher le litige en application des règles ordinaires de droit international privé (v. supra, n° 172 et s.), conformément aux conditions classiques régissant son office.
Dans la troisième hypothèse, en présence d'une règle matérielle internationale, spécialement élaborée pour répondre aux exigences propres de relations internationales "pour ainsi dire matériellement délocalisées" (B. ANCEL et Y. LEQUETTE, op. cit., note sous l'arrêt Galakis, n° 45, spéc. n° 12), et venant doubler une règle matérielle interne, il suffit au juge de constater l'internationalité requise de la situation pour devoir appliquer cette règle.
Enfin, même dans le cas d'applicabilité d'une règle de conflit, le schéma peut être compliqué par la facture unilatérale ou matérielle de cette règle.
Dans la première hypothèse, l'obligation faite au juge d'appliquer le droit au litige conduit à lui imposer la loi du for dans le domaine qu'elle s'assigne, et en dehors de ce dernier à lui imposer de rechercher la teneur d'une ou plusieurs règles de conflit étrangères avant celle du droit interne étranger qui se sera reconnu compétent (v. Cass. civ. 1ère, 25 mai 1987, J. 1987. 927, note H. GAUDEMET-TALLON, R. 1988. 60, note Y. LEQUETTE, J.C.P. 1988. II. 20976, note P. COURBE). Mais l'office du juge français n'exigeant de lui que la connaissance de la loi française, quand ses recherches auront été vaines, il pourra appliquer la loi française en vertu de sa vocation subsidiaire.
Dans la seconde hypothèse, de façon similaire, la facture matérielle de la règle désignante oblige le juge, en devoir de l'appliquer, à rechercher la conformité de la teneur de la loi désignée au but recherché par la règle désignante avant de l'appliquer (v. Cass. civ. 1ère, 25 nov. 1986, Ameur, R. 1987. 383, note B. ANCEL et Y. LEQUETTE, J.C.P. 1988. II. 20967, note P. COURBE, Répertoire Defrénois 1987. 772, obs. MASSIP, D. 1987, Som. Com., p. 351, obs. B. AUDIT).
21 L'auteur entendait ainsi souligner que la sélection de la loi applicable à la résolution d'un litige de droit international privé est "l'œuvre cumulative des règles désignante et désignée", et que par conséquent "l'action de l'une sur l'autre n'est pas à sens unique ; s'il y a une influence de la règle désignante sur la règle désignée, ne serait-ce que par la désignation, il y a un rejaillissement de la règle désignée sur la règle désignante", F. HAGE-CHAHINE, Les conflits dans l'espace et dans le temps en matière de prescription, Dalloz 1977, spéc. p. 147.
22 La loi étrangère est du droit tant dans ses dispositions internes (v. not. Cass. civ. 1ère, 13 janv. 1993, Coucke, R. 1994. 78, note B. ANCEL), que dans ses dispositions conflictuelles (v. Cass. civ. 1ère, 21 mars 2000, Moussard, R. 2000. 400 ; note B. ANCEL). H. MOTULSKY expliquait : "Il est certain, en effet, qu'objectivement la loi étrangère ne peut être que du droit, puisqu'elle remplit, dans son pays, toutes les conditions requises pour avoir ce caractère. Il est tout aussi indéniable qu'en traversant une frontière, cette nature ne change pas, mais le pays d'accueil peut la méconnaître : l'impératif est territorial. Mais une fois admis - ce qui paraît à tout le moins conforme au droit positif français - que la règle de conflit constitue, elle, une norme véritable, l'attribution de compétence qu'elle opère ne peut avoir que la signification d'ordonner au juge de mesurer le litige à l'étalon de l'impératif étranger comme tel : le propre de la règle de conflit est de restituer à la loi étrangère le caractère d'impératif que le passage de la frontière lui fait normalement perdre", in "L'office du juge et la loi étrangère", publié in : Mélanges Maury, 1960, t. I, p. 337 reproduit in : Ecrits, t. III, p. 37, spéc. n° 34. Cpr. B. ANCEL : "[...] prise en charge par la règle de conflit, la loi étrangère accède à un degré de juridicité qui fait devoir au juge de prendre les mesures appropriées pour puiser dans le droit étranger les éléments nécessaires au traitement de la question de droit débattue", note sous Cass. civ. 1ère, 24 nov. et 8 déc. 1998, Calberson, R. 1999. 88, spéc. p. 90. V. également P. MAYER : "la loi est du droit, puisqu'elle émane d'un État et que son application par le juge aux individus détermine leurs droits et obligations ; mais l'existence d'une loi étrangère, d'un contenu déterminé, est un fait", Droit international privé, op. cit., n° 179.
23 Y. LEQUETTE, "L'abandon de la jurisprudence Bisbal", chr. précit., p. 289-290.
24 H. MOTULSKY, "L'office du juge et la loi étrangère", précit., n° 51.
25 Cass. civ. 1ère, 12 mai 1959, J.C.P. 1960, II. 733, note H. MOTULSKY ; R. 1960. 62, note H. BATIFFOL ; J. 1960. 810, obs. J-B. SIALELLI ; D. 1960. 610, note Ph. MALAURIE ; B. ANCEL et Y. LEQUETTE, op. cit., n° 33-35.
26 Cass. civ. 1ère, 2 mars 1960, R. 1960. 97, note H. BATTIFOL ; J. 1961. 408, note B. GOLDMAN ; J.C.P. 1960. I. 11734, note H. MOTULSKY ; B. ANCEL et Y. LEQUETTE, op. cit.,
27 Pour la première décision : Cass. civ. 1ère, 11 oct. 1988, Rebouh, v. J.C.P. 1988. II. 21327, note P. COURBE ; Répertoire Défrénois, 1989, 310, obs. J. MASSIP ; B. ANCEL et Y. LEQUETTE, op. cit., n° 70. Pour la seconde : Cass. civ. 1ère, 18 oct. 1988, Schule, v. J.C.P. 1989. II. 21259, note J. PREVAULT, B. ANCEL et Y. LEQUETTE, op. cit., n° 71. Pour un commentaire d'ensemble v. D. ALEXANDRE, J. 1989. 349 ; Y. LEQUETTE, "L'abandon de la jurisprudence Bisbal", précit. ; A. PONSARD, "L'office du juge et l'application du droit étranger" in : Rapport de Cour de cassation 1989 La Doc. Frçse, 1990, p. 11 (repr. in : R. 1990, 607) ; D. BUREAU, "L'application d'office de la loi étrangère, Essai de synthèse", J. 1990. 317.
28 V. en ce sens A. PONSARD, op. cit., passim.
29 Cass. civ. 1ère, 4 déc. 1990, J. 91. 373, note D. BUREAU ; R. 1991. 558, note M.-L. NIBOYET-HOEGY ; B. ANCEL et Y. LEQUETTE, op. cit., n° 72.
30 Cass. civ. 1ère, 26 mai 1999, Mutuelles du Mans, R. 1999. 707, note H. MUIR WATT ; J.C.P. 1999. IV, n° 2325 ; B. FAUVARQUE-CAUSSON, "Le juge français et le droit étranger", D. 2000, chron, p. 125.
31 Cass. civ. 1ère, 26 mai 1999, Mme Elkhbizi, R. 1999. 707, note H. MUIR WATT ; D. 1999. I.R. 162 ; J.C.P. 1999. II. 10912, note F. MELIN.
32 V. D. BUREAU, Thèse précit. n° 777. L'auteur précise : "N'accorder en effet au juge, hors des domaines des – peu convaincantes – exceptions énoncées que la simple faculté d'appliquer la règle de conflit emporte nécéssairement la conséquence suivante : deux juridictions, saisies de litiges comparables, pourront fort bien statuer différemment, l'une optant pour l'application de la règle de conflit, l'autre s'y refusant. La Cour de cassation ne pourra pas même rétablir l'unité, car il n'entre pas dans sa fonction de sanctionner l'exercice d'une simple faculté offerte aux juges du fond : seule la méconnaissance d'un devoir peut entraîner la censure. On voit ainsi de quelle manière la mise en œuvre d'un tel système est de nature à rompre l'égalité des citoyens devant la justice, puisque selon les circonstances - aisément identifiables - tous ne se verront pas appliquer le même droit".
33 P. MAYER, "L'office du juge dans le réglement des conflits de lois", op. cit., p. 239. L'auteur indique : "Une règle générale et abstraite a vocation à s'appliquer au litige : elle a été édictée en dehors de toute considération de personne ; il serait tout à fait suspect que le juge dise : dans ce cas-ci, je n'ai pas envie d'appliquer la règle normalement applicable, j'en applique une autre".
34 Paris, 25 avr. 1986, précit.
35 Cass. civ. 2ème, 4 nov. 1988, D. 1989, p. 609, note M-A FRISON-ROCHE.
36 Pour l'ensemble des questions relatives à l'office du juge en matière de loi étrangère, au visa initial de l'article 12 du Nouveau Code de procédure civile a été substitué à compter de l'arrêt Makhlouf (Cass. civ. 1ère, 18 nov. 1992, R. 1993. 276, note B. ANCEL ; J. 1993.309, note Y. LEQUETTE, D.1993, Jur. p. 213, note P. COURBE, Répertoire Defrénois 1993, art. 35611, obs. MASSIP) celui de l'article 3 du Code civil. Pour M. B. Ancel, la raison de l'éviction de l'article 12 du Nouveau Code de procédure civile est la suivante : " les règles que ses alinéas enchaînent forment un régime manifestement élaboré sans considération des cas internationaux et trop peu flexible pour s'adapter sans artifice aux nécessités du conflit de lois" (B. ANCEL, note sous Calberson, précit., spéc. p. 91). V. toutefois l'arrêt Ababou (Cass. civ. 1ère, 27 janv. 1998, J.C.P. 1998. II. 10098, note H. MUIR WATT), qui vise à nouveau l'article 12 alinéa 1er du Nouveau Code de procédure civile.
37 Note précit.
38 Sur cette présentation en termes de principes et d'exceptions, v. not. G. CORNU, "Les principes directeurs du procès par eux-mêmes (Fragments d'un état des questions)", in Etudes offertes à P. Bellet, Litec, spéc. p. 89 ; G. BOLARD, "Les principes directeurs du procès civil : le droit positif depuis Henri Motulsky", J.C.P. 1993. I. 3693, spéc. n° 7. Sur les conséquences pouvant en être déduites quant à l'office du juge en droit international privé, v. D. BUREAU, "L'application d'office de la loi étrangère, art. précit." ; adde du même auteur, "L'accord procédural à l'épreuve", R. 1996, p. 587.
39 M.-A. FRISON-ROCHE, note précit., spéc. p. 611-612. L'auteur souligne que la solution du principe facultatif a initialement été rendue au visa de l'alinéa 3 de l'article 12 du Nouveau Code de procédure civile (v. Cass. civ. 2ème, 30 janv. 1985, Bull. civ., II, n° 23 p. 15 ; D. 1989. jur., p. 349 ; Jur. auto. 1985. 302) avant d'être rattachée à l'article 12 alinéa 1er.
40 "Il reste, ainsi, à obtenir la reconnaissance du principe selon lequel toute règle de conflit, fût-elle supplétive, requiert obligatoirement la mise en jeu d'office de la loi étrangère par elle désignée, parce que toute règle de droit, supplétive ou impérative, impose sa réalisation au juge.
Si cette vérité n'a pas encore fait son chemin, c'est probablement parce que le caractère obligatoire pour le juge de la règle de droit supplétive est masqué par son caractère facultatif pour les parties. De ce que celles-ci peuvent écarter la règle de droit applicable, on est tenté d'inférer que le juge n'a pas à mettre cette règle en œuvre lorsqu'aucune des parties ne s'en est prévalue", H. MOTULSKY, "L'évolution récente de la condition de la loi étrangère", Mélanges Savatier, Dalloz, 1965, p. 681 reproduit in Ecrits III, p. 128, spéc. p. 133. Sur cette question de la force obligatoire de la désignation à l'égard des parties, on se contentera de renvoyer le lecteur à la démonstration rigoureuse de l'impossibilité de la transposition, sauf dénaturation, de l'article 12 al. 3 du Nouveau Code de procédure civile effectuée par D. BUREAU ("L'accord procédural à l'épreuve", art. précit.). L'exercice de la liberté des parties devrait dès lors être déplacé du plan de l'application des règles de conflit à celui de l'application du droit interne, et la détermination du caractère supplétif des règles susceptibles d'être écartées par les parties devrait être confiée à la lex causae (sur ce point v. D. BUREAU, art. précit., n° 29 et s. ; adde Y. LEQUETTE, "L'abandon de la jurisprudence Bisbal", art. précit., spéc. n° 19, B. ANCEL et Y. LEQUETTE, op. cit., note sous Bisbal, n° 33-II).
41 J. NORMAND, J. Cl. proc. civ., Fasc. 152, "Principes directeurs du procès. Office du juge. Fondement des prétentions litigieuses". n° 103.
42 Y. LEQUETTE, "L'abandon de la jurisprudence Bisbal", art. précit., spéc. n° 16 et 17.
43 M.-A. FRISON-ROCHE, note précit., n° 15.
44 V. D. BUREAU, "L'application d'office de la loi étrangère", art. précit., spéc. p. 354 ; adde du même auteur l'intervention au Comité français de droit international privé lors de la table ronde consacrée au régime de la loi étrangère en France après les arrêts des 11 et 18 octobre 1988, T.C.F.D.I.P. 1990-1991, p. 19, spéc.p. 30.
45 J. HERON, note, J.C.P. 1988. II. 21030. On lui a également reproché d'être peu respectueux de l'intention de ses auteurs : v. G. CORNU, "Les principes directeurs du procès civil par eux-mêmes", Etudes P. Bellet, p. 81 et s., spéc. p. 90 ; B. ANCEL et Y. LEQUETTE, op. cit., n° 33-35, p. 268.
46 J. HERON, note précit.
47 Pour des justifications spécifiques au droit international privé de l'obligation de relever d'office l'élément d'extranéité, v. P. MAYER : "relever d'office l'élément d'extranéité est pour le juge le moyen de remplir sa fonction de serviteur de la loi, sans modifier la nature et sans élargir l'objet du différend qui lui est soumis", Droit international privé, n° 146, note 16 ; contra v. Y. LEQUETTE pour qui seule la prise en compte d'office de l'élément d'extranéité, qui conditionne l'application du droit étranger, est de nature à assurer une véritable égalité de traitement entre la loi étrangère et la loi française, égalité postulée par la structure bilatérale de la règle de conflit, "L'abandon de la jurisprudence Bisbal", précit., spéc. p. 298 et s.
48 Le juge devrait cependant respecter le principe du contradictoire et prévenir les parties de son intention d'appliquer d'office la règle de conflit afin qu'elles puissent débattre de la vocation de la loi étrangère à s'appliquer ainsi que de son contenu (art. 16 du Nouveau Code de procédure civile).
49 Cass. civ. 1ère, 13 avr. 1999, Compagnie royale belge, R . 1999. 698, note B. ANCEL et H. MUIR WATT ; J.C.P. II. 10261 note G. LEGIER.
50 V. arrêt cité note précédente. Adde Cass. civ. 1ère, 11 juil. 1988, Cassan, R. 1989. 81, note P-Y. GAUTIER. V. aussi D. BUREAU, thèse précit., n° 1078 et s.
51 P. MAYER et V. HEUZÉ, Droit international privé, n° 159.
52 H. BATIFFOL et P. LAGARDE, t. 1, n° 297.
53 La théorie du renvoi..., op. cit.
54 P. MAYER et V. HEUZÉ, Droit international privé, n° 162 ; adde FRANCESCAKIS, R. 1965. 118 ; contra v. H. BATIFFOL et P. LAGARDE, T. 1, n° 297.
55 En ce sens v. P. MAYER et V. HEUZÉ, Droit international privé, n° 162.
56 Ibid. Cette dernière défaillance peut être tout autant imputée à la règle désignée, v. infra, n° 202.
57 Comp. P. MAYER et V. HEUZÉ, Droit international privé, op. et loc. cit.
58 V. M. SANTA-CROCE CEALIS, La vocation subsidiaire de la loi du juge saisi dans le réglement de conflits de lois, thèse dactyl. Paris I, 1979 ; adde P. LOUIS-LUCAS, "Existe-t-il une compétence générale du droit français pour le règlement des conflits de lois ?", R. 1959. 405 ; J.-M. BISCHOFF, La compétence du droit français dans le réglement des conflits de lois, Bibliothèque de droit privé, t. XI, LGDJ, 1959.
59 V. supra, n° 254.
60 H. MOTULSKY, "L'office du juge et la loi étrangère", précit., spéc. n° 48.
61 H. MOTULSKY, "L'office du juge et la loi étrangère", précit. n° 54.
62 V. supra, n° 254.
63 V. Cass. civ. 1ère, 13 janv. 1993, Coucke, R. 1994. 78, note B. ANCEL ; Cass. civ. 1ère, 1er juil. 1997, Driss Abbou, R. 1998. 60, note P. MAYER ; adde H. MUIR WATT, Rép. Dalloz, dr. int., v° "Loi étrangère", n° 87 et s., 96.
64 V. Cass. civ. 1ère, 1er juil. 1997, Driss Abbou, précit. ; Cass. civ. 1ère, 1er juil. 1997, Soc. Africatours, R. 1998. 292, note H. MUIR WATT, J. 1998. 98, note L. BARRIERE-BROUSSE, D. 1998. 104, note M. MENJUCQ, J.C.P. 1998. II. 10170, note B. FILLION-DUFOULEUR ; Cass. civ. 1ère, 24 nov. 1998, Lavazza, R. 1999. 88 (1ère esp. ) note B. ANCEL ; sur l'ensemble de la question, H. MUIR WATT, Rép. Dalloz, dr. int., précit., n° 158.
65 V. Cass. civ. 1ère, 21 mars 2000, Moussard, précit. M. B. ANCEL souligne que cette extension de la recherche de la solution donnée à la question litigieuse, au regard de l'ensemble du droit positif étranger et du droit international privé étranger, correspond à "l'algèbre conflictuel classique qui reconnaît à la règle de conflit la vertu d'ordonner de "traiter le projet [ou la question de droit] de la manière qu'il le serait dans [l'ordre désigné], c'est à dire concrètement [...] de la doter de la sanction prescrite par le système juridique de cet ordre", note sous l'arrêt Moussard précit., spéc. p. 407, renvoyant à l'article du même auteur, "L'objet de la qualification", J. 1980. 227, spéc. p. 258.
66 Mais s'il le fait, il doit alors conduire la résolution du conflit de lois à son terme en assurant la mise en œuvre de la loi étrangère désignée, ce qui implique qu'il en recherche le contenu : v. Cass. civ. 1ère, 5 oct. 1994, Soc. Demart, R. 1995. 60, note D. BUREAU ; Cass. civ. 1ère, 27 janv. 1998, Ababou, précit.
67 Cass. com., 16 nov. 1993, Amerford, R. 1994. 332, note P. LAGARDE ; J. 1994. 98, note J-B DONNIER ; B. ANCEL et Y. LEQUETTE, op. cit., n° 77 ; D. 1993 I.R. 256. Sur le système antérieur, Lautour-Thinet v. Civ., 25 mai 1948, Lautour, R. 1949. 89, note BATIFFOL, D. 1948. 357, note P.L.P., S. 1949. I. 21, note NIBOYET, J.C.P. 1948. II. 4532, note VASSEUR, B. ANCEL et Y. LEQUETTE, op. cit., 2ème éd. n° 19. 24 janv. 1984, Soc. Thinet, J. 1984. 874, note BISCHOFF, R. 1985. 89, note P. LAGARDE ; B. ANCEL et Y. LEQUETTE, op. cit., 2ème éd., n° 61.
68 B. ANCEL et H. MUIR WATT, note sous Cass. civ. 1ère, 13 avr. 1999, précit. spéc. p. 699.
69 V. B. ANCEL et H. MUIR WATT, note précit.
70 V. B. FAUVARQUE-COSSON, "Le juge français et le droit étranger", chr. précit., spéc. n° 12. A défaut, l'application subsidiaire de la lex fori devient en réalité une application principale.
71 Pour une dissociation de ces questions en matière de contentieux d'intérêt privé, qui permettrait au juge d'attirer l'attention des parties sur la vocation du droit étranger à s'appliquer, sans l'obliger à en rechercher lui-même le contenu v. B. FAUVARQUE-COSSON, chr. précit., spéc. 14 ; comp. J.-B. DONNIER, note sous Cass. com., 16 nov. 1993, J. 1994.98.
72 T.C.F.D.I.P., 1990-1991, précit., spéc. p. 41.
73 Le juge pourrait ainsi rejeter la demande de la partie en raison de son attitude procédurale inacceptable si cette partie n'effectuait pas les recherches nécessaires sans pouvoir justifier d'une quelconque impossibilité. En ce sens v. J. LEMONTEY et J.-P. REMERY, "La loi étrangère dans la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation", Rapport 1993, p. 81, spéc. p 91 ; J. MASSIP, note sous l'arrêt Driss Abou, précit., spéc. p. 276 ; cpr. P. MAYER, Droit international privé, n° 185 ; B. FAUVARQUECOSSON, "Le juge français et le droit étranger", chr. précit., n° 11.
74 Sur la "Convention européenne dans le domaine de l'information sur le droit étranger" du 7 juin 1968 v. P. MAYER et V. HEUZÉ, Droit international privé, n° 189 ; adde B.J. RODGER et J. VAN DOORN, "Proof of foreign law : The Impact of the London Convention", International and Comparative Quarterly Law Review 1998, p. 151.
75 B. ANCEL et Y. LEQUETTE, op. cit., n° 77, spéc. p. 613.
76 Contra M. VASSEUR, note sous Cass. civ., 25 mai 1948, J.C.P. 48. II. 4542.
77 V. TGI Paris, 25 janv. 1971, R. 1973. 499, note G. de GEOUFFRE de la PRADELLE.
78 Aux difficultés avérées de se renseigner sur le contenu du droit étranger doivent être assimilées les hypothèses où le coût de cette recherche se révèlerait excessif par rapport à l'enjeu du litige.
79 En l'état actuel du droit positif, l'établissement de la preuve par le juge étant relié à l'application d'office de la règle de conflit par le juge, le problème n'est susceptible de se poser que lorsque le juge est tenu d'appliquer d'office la règle de conflit (droits indisponibles), ou lorsque, bien que les droits soient disponibles, il en fait application de sa propre initiative. Dans ce dernier domaine (droits disponibles), si le juge ne relève pas d'office l'application de la règle de conflit, la question de l'ignorance de la teneur de la loi étrangère est évacuée par la présomption d'équivalence de la loi étrangère et de la lex fori, sauf preuve contraire rapportée par la partie qui réclame l'application de la loi étrangère.
80 V. en ce sens la célèbre décision américaine Walton v. Aramco, 233 F. 2d. 541 (2d. Cir. 1956), v. C. DAVID, La loi étrangère devant le juge du fond, Bibliothèque de droit privé, vol. III, Dalloz, 1965, p. 97 et s.
81 En ce sens v. P. MAYER et V. HEUZÉ, Droit international privé, n° 118 ; B. ANCEL et Y. LEQUETTE, op. cit., n° 77.17.
82 A la suite par exemple d'une invalidation au sein de l'ordre juridique dont elle dépend, pour contrariété aux principes généraux du droit. V. TGI Dunkerque, 29 nov. 1989, R. 1990. 326, note H. MUIR WATT.
83 D. BUREAU, thèse précit., n° 815 et s.
84 D. BUREAU, thèse précit. n° 819. L'auteur précise : "Face à une telle défaillance du système de droit international privé intéressé au litige, le juge ne peut appliquer que le sien propre, qui intervient en raison de sa vocation subsidiaire. Or, celui-ci offrait de tenir compte de la compétence des lois étrangères ; mais cette première phase de raisonnement s'est soldée par un échec. Dès lors, la règle unilatérale du for, puisqu'elle ne permet pas de désigner une loi étrangère, ne peut en définitive conduire qu'à l'application de la seule lex fori", ibid.
85 D. BUREAU, thèse précit., n° 821.
86 V. P. MAYER et V HEUZÉ Droit international privé, n° 118 : "la règle ordonne, mais, étant abstraite, elle ne peut ordonner que dans l'abstrait ; elle ne s'adresse pas directement à des individus, mais se contente de poser une relation de cause à effet entre une hypothèse de fait et un certain effet juridique. Cette relation, étant posée sans avoir égard à une quelconque localisation des questions auxquelles elle est susceptible d'être appliquée, a une vocation universelle".
87 C. DAVID, thèse précit., n° 161 ; v. dans le même sens P. LAGARDE, T.C.F.D.I.P. 1990-1991, p. 41. La solution a longtemps été appliquée par la jurisprudence allemande et a été adoptée par la loi de réforme du droit interntional privé italien (v. A. GIARDINA, "Les caractères généraux de la réforme", R. 1996. 1. spéc. p. 14).
88 La doctrine suggère parfois la possibilité offerte au juge d'appliquer les principes généraux du droit à défaut d'établissement de la teneur du droit étranger (v. AUBRY et RAU, Droit civil français, t. XII, 6ème éd. par P. ESMEIN, Librairies Techniques, 1958, spéc. & 749, p. 55, note 13 ; H. BATIFFOL et P. LAGARDE, t. 1 n° 332) ; elle en voit une illustration dans une décision ancienne rendue par la Cour de cassation le 16 mai 1888 (Cass. civ., D.P. 1888, I. 305) rapportée par M. BUREAU dans sa thèse (op. cit., n° 1111 et s.). Cet auteur rappelle que "le litige était né à propos de la saisie d'un navire suédois à New York par un assureur français pour laquelle des dommages-intérêts étaient demandés au motif qu'une telle saisie avait été effectuée de manière téméraire, injuste et prolongée. L'assureur prétendait que, selon le droit américain, la saisie indue d'un navire ne donnait pas ouverture à une demande en dommages-intérêts". La Cour de Paris estima que l'assureur n'apportait pas la preuve que la législation américaine refusait, en principe, l'action en dommages-intérêts au propriétaire d'un navire indûment saisi, et que la loi française devait être appliquée en l'espèce. Quant à la Cour de Cassation, elle décida que "s'il est vrai de dire avec les demanderesses que la demande [...] devait être jugée par la Cour de Paris d'après les règles de la loi américaine, l'arrêt attaqué leur a donné satisfaction sur ce point, en déclarant souverainement en fait que [l'assureur] ne rapportait la preuve d'aucune disposition de ladite loi l'affranchissant de la responsabilité par elle encourue d'après un principe de justice universellement reconnu, à raison de la saisie téméraire, injuste et prolongée dont elle avait frappé le navire". Pour M. BUREAU, "C'est donc bien de l'absence de preuve de la contradiction des dispositions de la loi américaine avec de tels principes dont il est fait état en l'espèce, et non du recours aux principes généraux du droit pour pallier le défaut de preuve de cette loi. On peut alors estimer que ces principes ont en l'espèce été appliqués comme faisant partie de l'ordre public du for davantage que pour combler le vide laissé par l'ignorance de la loi américaine" (dans le même sens v. C. DAVID, thèse précit., spéc. n° 412). Une autre lecture nous semble pouvoir être proposée de l'arrêt (dont l'arrêt Amerford se fera, bien des années plus tard, l'écho) : sauf preuve apportée du contenu contraire de la loi américaine, celle-ci était présumée conforme à la lex fori, laquelle intègre le principe de justice universellement reconnu du droit à réparation du préjudice.
89 Sur le domaine et le mécanisme de l'adaptation, v. H. MUIR WATT, thèse précit., n° 418 et s. et les réf. ; D. COCTEAU-SENN, Dépeçage et coordination dans le règlement des conflits de lois, thèse Paris I, 2001. Seules les impasses "objectives" seront ici rappelées. Le pouvoir d'adaptation reconnu au juge, dans l'hypothèse où la conjugaison des règles internes conduit à un résultat manifestement injuste, sera examiné plus loin au titre du pouvoir reconnu au juge de parfaire le jeu défectueux des règles de droit international privé (v. infra, n° 344 et s. ). Pour une autre classification des problèmes nés du dépeçage, v. P. MAYER et V. HEUZÉ, Droit international privé, n° 255.
90 Thèse précit., n° 425.
91 Thèse précit.
92 Thèse précit., n° 426.
93 Thèse précit., n° 427.
94 LEWALD, "Règles générales de conflit de lois. Contribution à la technique du droit international privé", R.C.A.D.I., 1939, t. 69, p. 35, cité par H. MUIR WATT, thèse précit., p. 490.
95 Thèse précit., n° 22. Pour Mme Cocteau-Senn, il n'y a donc pas de réel problème de coordination des ordres juridiques quand la difficulté d'application de la norme interne désignée résulte du seul caractère international de la situation, mais un simple problème d'interprétation du droit désigné. L'auteur en donne pour exemple l'application de l'article 1010 du Code civil en matière de succession internationale. Déterminer si le legs de "tous les biens situés en France" tombe dans la catégorie résiduelle du legs à titre particulier, définie par l'article 1010, pose un simple problème d'interprétation du droit interne.
96 Sur le caractère contingent de l'apparition d'une question préalable, v. thèse précit., n° 204 et s.
97 Thèse précit., n° 270. Quand il y a question préjudicielle, pour procéder à ce jugement d'équivalence, le juge peut s'aider de l'examen des conditions de formation du rapport préalable et des effets qui lui sont attachés par la loi autre.
98 Sur tous ces points, v. thèse précit., pp. 149-215.
99 Sur tous ces points, v. thèse précit., pp. 410-452.
100 V. thèse précit., n° 439 et s.
101 L'auteur renvoie notamment à P. MAYER, Droit international privé, 5ème éd., spéc. n° 163-2°, p. 121.
102 L'auteur en donne les exemples bien connus des conditions bilatérales du mariage ou de la vocation sucessorale réciproque des comourants.
103 Sur tous ces points, v. pp. 315-408.
104 Cass. civ., 24 mai 1905, R. 1905. 518, S. 1906. I. 161, note PILLET, D.P. 1905 I 353 ; J. 1905. 1006.
105 Paris, 17 mai 1902, D.P. 1903. II. 49 note BARTIN.
106 Il lui fut également reproché d'avoir qualifié lege causae le principe d'une intervention religieuse comme une question de fond relevant de la loi nationale. Pour les auteurs, "il aurait fallu reconnaître au divorce religieux le caractère d'institution procédurale et en déduire la compétence des tribunaux français pour les divorces demandés en France" : H. BATIFFOL ET P. LAGARDE, t. 2 n° 448, adde les auteurs cités par Ph. THÉRY, thèse précit., n° 56, note 1. Mais M. THÉRY a pu démontrer que l'arrêt Levinçon n'avait pas raisonné sur le terrain des qualifications (thèse précit., N° 56 et s.). V. déjà dans le même sens, BARTIN, note précit. et Principes, t. 1, &169. Adde M.-L. NIBOYET-HOEGY, L'action en justice dans les rapports internationaux de droit privé, Economica, 1986, n° 493 et s. En outre l'idée a été avancée que l'arrêt Levinçon soulevait en réalité un faux conflit de qualifications : v. F. RIGAUX, La théorie des qualifications en droit international privé, Paris, 1956, n° 262 et s. ; Ph. THÉRY, thèse précit., n° 59 et s.
107 V. PILLET, note précit., spéc. p. 163 col. 2 ; adde BARTIN, note précit. sous l'arrêt d'appel, spéc. p. 50 col. 2.
108 Ph. THÉRY, thèse précit., n° 62.
109 V. BARTIN, note précit.
110 Cette exception ne pourra pas être systématiquement opposée à la loi étrangère, qui requiert du juge pour sa mise en oeuvre des moyens dont il ne dispose pas.
111 Ph. THÉRY, thèse précit., n° 64.
112 En ce sens v. P. MAYER et V. HEUZÉ, Droit international privé, n° 764 (à propos de la règle française du monopole des autorités judiciaires françaises pour le prononcé des divorces en France) ; Ph. THÉRY, thèse précit., n° 70 et s.
113 En ce sens v. M.-L. NIBOYET-HOEGY, thèse précit., n° 495 et s. ; P. MAYER et V. HEUZÉ, Droit international privé, n° 198.
114 Thèse précit., n° 94 et s.
115 L'auteur vise la matière gracieuse, certaines matières contentieuses comme le divorce et la séparation de corps, et les matières où le juge peut exercer une "fonction complétive", thèse précit., n° 112 et s.
116 "la règle ainsi énoncée rappelle exactement la solution retenue en matière de protection des incapables. Si la loi nationale exige du juge des pouvoirs que la loi française ne lui confère pas, il convient de lui substituer la loi française", M.-L. NIBOYET-HOEGY, thèse précit., n° 496 citant not. H. BATIFFOL et P. LAGARDE, t. 2, n° 499 ; Y. LEQUETTE, thèse précit., n° 175 et s.
117 Cass. civ., 25 mai 1948, Lautour, R. 1949. 89, note H. BATIFFOL, D. 1948. 357, note P.L.-P., S. 1949. I. 21, note NIBOYET, J.C.P. 1948. II. 4532, note VASSEUR, B. ANCEL et Y. LEQUETTE, op. cit., n° 19. Cette prise en considération de principes doués de valeur universelle est aujourd'hui admise par l'ensemble de la doctrine : v. D. HOLLEAUX, J. FOYER, G. de GEOUFFRE de La PRADELLE, Droit international privé, Masson, 1987, spéc. n° 591 ; P. MAYER et V. HEUZÉ, Droit international privé., n° 200 ; Y. LOUSSOURARN et P. BOUREL, op. cit., n° 254 ; B. AUDIT, op. cit., n° 304 (cet auteur appelle toutefois à la prudence dans l'emploi des termes "ordre public véritablement international, v. n° 302) ; H. BATIFFOL et P. LAGARDE, op. cit., t. 1, n° 365 ; adde Ph. FRANCESCAKIS, "Droit naturel et droit international privé", Mélanges Maury, 1960, I, p. 113 et s.
118 V. P. LEREBOURS-PIGEONNIERE, Précis, 4ème éd., n° 269 et s.
119 V. H. BATIFFOL et P. LAGARDE, op. cit., 7ème éd., t. 1, n° 359.
120 P. MAYER et V HEUZÉ Droit international privé, n° 200.
121 V. Y. LOUSSOUARN er P. BOUREL, op. cit., n° 254.
122 V. D. BUREAU, thèse précit., n° 779 et s., spéc. n° 784.
123 H. BATIFFOL et P. LAGARDE, op. cit., 7ème éd., t. 1, n° 358, note 1. La Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, qui présente la particularité d'être dotée d'un organe juridictionnel chargé de contrôler l'application et l'interprétation par les États signataires des droits et libertés qu'elle énonce, remet-elle en cause cette affirmation ? On ne saurait nier l'existence d'un ordre public européen. La Cour européenne des droits de l'homme en a expressément posé l'existence en indiquant que la Convention doit jouer le rôle "d'instrument constitutionnel de l'ordre public européen" (C.E.D.H., 28 juil. 1998, Loizidou c. Turquie, aff. 40/1993/435/514, Rec. 1998, IV. V. F. SUDRE, "Existe-t-il un ordre public européen ?" in : Quelle Europe pour Premiers Droits de l'Homme, Bruylant, Bruxelles, 1996, p. 39). Mais si les notions d'ordre public européen et d'ordre public international ne sont pas sans entretenir des rapports, elles doivent être clairement distinguées. La Convention s'applique à tout procès se déroulant devant la juridiction d'un État partie, qu'il comporte ou non un élément d'extranéité, dès lors qu'il entre dans son champ d'application. En droit international privé, le juge d'un État signataire, requis d'intégrer au for une norme étrangère (règle ou décision, quelle que soit son origine) contraire à la Convention, doit donc se demander si ce faisant il contrevient lui-même à un droit fondamental que l'État dont il relève s'est engagé à respecter (sur cet effet dit "extraterritorial de la Convention", consacré par l'arrêt Soering rendu le 7 juil. 1989 par la Cour de Strasbourg, Recueil Série A, n° 161, v. not. P. MAYER, "La Convention européenne des droits de l'homme et l'application des normes étrangères", R. 1991. 651 ; adde du même auteur "Droit à un procès équitable et conflit de juridictions" in Les nouveaux développements du procès équitable au sens de la Convention européenne des droits de l'homme, 1996, p. 125 ; Y. LEQUETTE, "Le droit international privé et les droits fondamentaux" in Libertés et droits fondamentaux, Dalloz, 6ème éd., 2000, p. 95 ; L. SINOPOLI, Le droit au procès équitable dans les rapports privés internationaux, thèse Paris I, 2000). Dans cette perspective, l'exception d'ordre public international, qui assure traditionnellement la défense des valeurs essentielles du for contre les atteintes que pourrait leur porter l'introduction des règles ou décisions étrangères, est appelée naturellement à étendre son jeu à la défense des droits inscrits dans la Convention. Ainsi l'ordre public européen a-t-il vocation à être intégré au sein de l'ordre public international. Néanmoins, il faut souligner que l'ordre public international, dans la mesure où il se propose de protéger des valeurs propres au for non inscrites dans la Convention, déborde l'ordre public européen. Par ailleurs, on peut concevoir que l'intégration européenne conduise l'ordre public européen, tel que défini par la Convention et interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, à jouer le rôle d' un ordre public interne à l'ordre juridique européen et commun aux États parties. Dans cette perspective, les normes internes contraires des États signataires devraient céder devant cet ordre public européen, sans qu'il y ait lieu de faire jouer systématiquement ce dernier à l'encontre des normes étrangères contraires. Autrement dit, tout ce qui serait d'ordre public européen ne serait pas nécessairement d'ordre public international (pour une justification différente de la modulation de l'ordre public européen, à l'instar de l'effet atténué de l'exception d'ordre public international, v. P. MAYER, art. précit., G. COHEN-JONATHAN, "Conclusions générales" in Les nouveaux développements du procès équitable au sens de la Convention européenne des droits de l'homme, Bruylant, Bruxelles, 1996, p. 158).
124 Y. LOUSSOUARN et P. BOUREL, op. cit., n° 254.
125 B. OPPETIT, R. 1990. 762.
126 Sur cette notion, v. B. OPPETIT, "Justice étatique et justice arbitrale", art. précit. Sur les conséquences de cette distinction relatives à la compétence juridictionnelle fondée sur le déni de justice, opposée à un for de police, v. supra n° 225 et s.
127 P. MAYER et V. HEUZÉ, Droit international privé, n° 200.
128 V. supra, n° 167 et s.
129 V. supra, n° 205.
130 Comp. F. HAGE-CHAHINE : de manière plus radicale cet auteur soutient : "Les principes généraux qu'on a appelés, également, les "principes de droit naturel" ou de "justice universelle" sont ceux qui, à un moment donné, font partie de la civilisation française et sur lesquels le législateur ne veut pas revenir. Il y a là moins l'idée de justice que celle de politique législative. C'est ce qui, à notre sens, justifie la substitution de la loi française, et non pas d'une autre, à la loi étrangère évincée", thèse précit., n° 245.
131 P. MAYER et V HEUZÉ, Droit international privé, n° 211 ; adde D. BUREAU, thèse précit., n° 800 et s. ; A. BUCHER, "L'ordre public et le but social des lois", R.C.A.D.I., 1993, II, n° 239, p. 13 et s., spéc. p. 26 et s.
132 D. BUREAU, thèse précit., n° 801.
133 En raison de leur relatif degré de généralité et d'imprécision (V. J. CARBONNIER qualifiant les droits inscrits dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme d'"axiomes passe-partout", Droit civil, Les personnes, n° 7), les normes fondamentales, nationales ou internationales reçues au for se présentent le plus souvent comme des principes d'ordre public, dont la défense n'appelle, en principe, aucun traitement particulier (en ce sens v. P. MAYER qui souligne que la Cour de cassation n'attache pas d'importance au fait que le principe fondamental ait une valeur constitutionnelle, et qu'il doit en aller de même pour les principes inscrits dans des normes fondamentales internationales, "La Convention européenne des droits de l'homme", R. 1991, p. 651 et s. ; adde Y. LEQUETTE, note précit. sous Paris, 14 juin 1994). Il a pourtant été soutenu que le concept d'ordre public devrait pour eux faire l'objet d'un "affinement", et que les conditions habituellement réunies pour son intervention devraient être assouplies (P. HAMMJE, thèse précit., n° 851 et s.). La condition de l'intervention pourrait être modulée en fonction du contenu du principe menacé (P. HAMMJE, thèse précit., n° 869). Trop complexe pour être mise en pratique d'une manière générale (v. Y. LEQUETTE, note précit., spéc. p. 317), la proposition pourrait cependant trouver application dans les hypothèses (rares) où le principe fondamental considéré se révèle être un principe de justice universelle. Ne visant pas alors à protéger simplement l'ordre public étatique mais à œuvrer pour "la justice", l'exception d'ordre public pourrait intervenir indépendamment de l'existence de tout lien de la situation avec le for, ou plutôt sur la base de ce seul lien qualitatif, qui devrait réaliser un lien avec tout for. Quant à la suggestion de substituer une acception européenne de la proximité à l'approche nationale, quand est en cause la violation d'un droit consacré par la Convention européenne des droits de l'homme (P. HAMMJE, "Droits fondamentaux et ordre public", R. 1997, p. 1 et s., spéc. p. 17 et s.), elle contredit le caractère national de l'institution, pourtant démontré par ailleurs par l'auteur. A défaut de véritable intégration européenne, l'ordre public international, même nourri de principes communautaires (sur ce point v. S. POILLOT-PERUZZETTO, "L'ordre public international en droit communautaire. A propos de l'arrêt de la Cour de justice des Communautés du 1er juin 1999. (affaire Eco Swiss China Time Ltd)", J. 2000. 299) et des droits de l'homme européens, reste une réaction de défense de la société française, appelée à jouer seulement lorsque la société française est réellement atteinte (v. également supra, n° 285 note 1).
134 V A. BUCHER, cours précit., n° 12 et s. ; P. MAYER et V. HEUZÉ, Droit international privé, n° 211. Principes d'ordre public et règles d'ordre public ne sont pas sans entretenir des liens. Amenés au gré des espèces à préciser le contenu des principes d'ordre public, les juges en tirent des règles qui ne sont que des applications des principes génériques. Une fois ces règles dégagées, il est naturel pour le juge de qualifier ces règles d'ordre public, voire de police. Illustration en est donnée dans l'espèce tranchée par la cour d'appel de Paris, le 14 juin 1994 (R. 1995. 310 note Y. LEQUETTE). Prenant acte de la décision de l'Assemblée Plénière de la Cour de cassation rendue le 11 décembre 1992 (J.C.P. 1993. II. 21991, concl. JEOL, note MEMETEAU, G.P. 1993. I. 180, R.T.D. civ. 1993. 325, obs. J. HAUSER, Gr. ar. jurisp. civ., 11ème éd., n° 23), ayant reconnu à une personne présentant le syndrome du transsexualisme le droit d'obtenir un changement d'état, sur le fondement du principe du respect dû à la vie privée (art. 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme), la cour d'appel de Paris en a déduit que ce nouveau droit consacré en droit interne devait être reconnu en droit international privé à toute personne domiciliée en France, sans considération du statut personnel de l'intéressé. Ainsi un principe d'ordre public (le principe du respect dû à la vie privée, en l'espèce), trop imprécis pour permettre à lui seul de régler positivement la question de droit laissée sans réponse par l'éviction de la loi étrangère jugée contraire à lui, peut toutefois donner naissance à des règles d'ordre public (le droit au changement d'état du transsexuel, en l'espèce) ; règles qui joueront à l'avenir tant un rôle négatif d'éviction de la loi étrangère contraire qu'un rôle positif de comblement de la lacune résultant de l'éviction. Mais comme le révèle le caractère éminemment contestable de la solution rendue dans l'espèce rapportée (v. en ce sens Y. LEQUETTE, note précit.), la plus grande prudence devrait être observée par le juge au stade de l'opération consistant à déduire des règles d'ordre public à partir d'un principe d'ordre public.
135 P. MAYER, op. et loc. cit.
136 A. BUCHER, cours précit., n° 14 ; cpr. P. MAYER et V. HEUZÉ, Droit international privé, n° 211.
137 A. BUCHER reconnaît : "Il n'en demeure pas moins que le droit positif connaît ces deux procédures et tend à les distinguer. Leur finalité étant la même, dans la mesure où il s'agit d'assurer l'application des règles d'ordre public du for, l'élément distinctif doit se trouver dans certaines particularités propres à ces règles". L'auteur suggère : "lorsqu'une règle d'ordre public détermine une solution d'intérêt général, également rencontrée dans un certain nombre de législations étrangères, [...] il n'y a pas lieu de renoncer à la désignation d'une loi étrangère en principe applicable [...]. En revanche [...] lorsque la règle d'ordre public est étroitement liée au fonctionnement de l'ordre social et économique de l'État, il s'avère difficile, voire impossible, de trouver des réponses appropriées dans une loi étrangère, si bien que l'application directe ou immédiate de la loi du for s'impose", cours précit., n° 16 ; cpr. P. MAYER et V. HEUZÉ Droit international privé, n° 211 ; A. CHAPELLE, Les fonctions de l'ordre public en droit international privé, thèse dactyl., Paris II 1979 ; F. HAGE-CHAHINE, thèse précit., n° 245, 256 et s.
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