Les suites de l’accord amiable en afrique
p. 205-210
Texte intégral
1Il n’entre pas évidemment dans ce propos d’envisager les formes de médiation dans tous les pays composant cet immense continent. Et pourtant la question ne manque pas d’intérêt car en Afrique la discussion sous l’arbre à palabres n’est-elle pas une forme coutumière de résolution des conflits ? En d’autres termes en introduisant la médiation, le droit de l’OHADA (Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires) auquel il sera fait référence ne renoue-t-il pas avec une culture séculaire ? Les Actes uniformes de l’OHADA n’avaient pas prévu en effet la médiation comme mode alternatif de règlement des conflits. Ce manque a donc été réparé par l’Acte uniforme du 23 novembre 2017 qui organise de manière très élaborée une procédure amiable de médiation. Ce mécanisme ne peut que satisfaire les opérateurs économiques et les juristes africains très attachés à ce mode de résolution des litiges.
2Au regard du thème de ce colloque, il n’entrera pas davantage dans ce propos de décrire par le menu toutes les dispositions qui désormais organisent la médiation dans le droit de l’OHADA1. On y retrouve de manière très détaillée tous les mécanismes et les principes qui figurent habituellement dans les textes organisant la médiation : nombre et mode de désignation des médiateurs, articulation de la procédure avec les juridictions judiciaire et arbitrale, statut du médiateur et conduite de la procédure par ce dernier. Principes d’intégrité morale, d’impartialité et d’indépendance du médiateur. Principe de liberté des parties dans la conduite de la médiation. Efficacité et confidentialité du processus de médiation dans le respect de l’ordre public.
3Et après, dira-t-on ? Telle est la question posée par nos collègues et amis, organisateurs de ce colloque. Cette interrogation suggère deux questions. Une fois l’activité de médiation épuisée, comment signifie-t-on qu’elle est parvenue à son terme (I) ? Débute alors une phase d’exécution spontanée ou forcée de l’accord, ce qui peut être l’occasion d’une remise en cause de ce dernier (II).
Le terme de la médiation
4L’article 12 de l’Acte uniforme relatif à la médiation a prévu très précisément les causes qui mettent fin à la médiation (A). Ces causes confèrent à l’écrit un rôle essentiel, mais pas nécessairement exclusif (B).
Les actes mettant fin à la médiation
5On est a priori en présence d’une alternative simple : soit la médiation est couronnée de succès, soit elle échoue. Dans le premier cas, il faut mettre en œuvre l’accord conclu, résultat de cette médiation. On y reviendra.
6Dans le second cas, les parties se retrouvent dans la situation initiale qui prévalait au moment où elle se sont entendues sur une procédure de médiation ; encore que les parties ne peuvent pas faire comme si une tentative de médiation n’avait pas eu lieu. En effet l’article 11 de l’Acte uniforme prévoit de manière très détaillée que toutes les personnes qui ont été associées de près ou de loin à la médiation ne peuvent se servir dans une procédure ultérieure, judiciaire, arbitrale ou amiable, des preuves, faits et arguments qui ont pu être développés au cours de la médiation. Cette solution est classique : en matière de médiation, en droit français, elle figure par exemple dans l’article L. 131-14 du Code français de procédure civile et dans l’article 21-3 de l’ordonnance du 23 novembre 2011 en application d’une directive européenne2. Le principe de confidentialité de la médiation est ainsi préservé au-delà même de celle-ci. L’article 11 alinéa 9 sanctionne d’ailleurs par l’irrecevabilité toute information issue de la médiation et produite à titre de preuve dans une autre procédure : la divulgation n’est autorisée, en vertu de l’article 10, que lorsqu’elle est exigée par la loi ou nécessitée par la mise en œuvre de l’accord de médiation.
7Que la médiation soit un succès ou un échec, l’article 12 pour sa part énumère les actes ou faits qui mettent un terme à la médiation. Soit il s’agit d’un acte écrit signé par les deux parties faisant état d’un accord conclu ou au contraire d’une volonté de mettre fin à la médiation ; soit il s’agit d’une déclaration écrite unilatérale émanant de l’une des parties adressée à l’autre partie ou du médiateur adressée aux deux parties. Dans les deux cas, l’acte écrit peut soit constater la réussite de la médiation, soit au contraire l’impossibilité d’aboutir dans le délai imparti à l’origine. Cette impossibilité peut résulter par exemple d’une carence de l’une des parties qui se refuse à participer à la médiation. La partie qui se prévaut de la fin de la médiation doit évidemment en administrer la preuve qui peut se faire par tout moyen3. Le terme de la médiation peut enfin résulter de l’expiration du délai de médiation alors même qu’aucun accord n’a été conclu, sauf prorogation de ce délai décidée par les parties. Si enfin, une médiation a été tentée à l’initiative d’un juge ou d’un arbitre, en l’absence d’accord, la procédure judiciaire ou arbitrale reprend son cours normal (art. 12 al 8)
8à la lecture de l’Acte uniforme, on ne peut que souligner le luxe de détails avec lesquels ces dispositions ont été rédigées au risque d’une confusion ou d’une contradiction. C’est le cas à propos de la forme écrite par laquelle il est mis fin à la transaction.
Le rôle de l’écrit mettant fin à la médiation
9Hormis le cas où a expiré le délai de médiation, le terme de la médiation doit donc, au terme de l’article 12, résulter d’un acte écrit4. Or l’article 16 alinéa 1er dispose que cet écrit n’est pas nécessairement exigé. Le texte dispose en effet : « Si, à l’issue de la médiation, les parties concluent un accord écrit réglant leur différend… ». Ce n’est, ajoute l’article 16, qu’à cette condition que l’accord acquiert une force obligatoire et lie les parties.
10La confrontation de ces deux dispositions permet ainsi de penser que la rédaction d’un écrit n’est pas obligatoire. Mais en outre, une lecture littérale de l’article 12 conduit à affirmer que tant qu’il n’y a pas d’écrit, la procédure de médiation est présumée ne pas avoir pris fin.
11L’exposé de ces textes laisse ainsi apparaître une contradiction. A priori la rédaction d’un écrit n’est certes pas obligatoire. On pourrait donc concevoir une médiation qui bien que couronnée de succès ne serait pas sanctionnée par un écrit. Sauf qu’en l’absence d’écrit, cet accord n’aurait pas de force obligatoire puisque l’article 16 fait de cet écrit une condition du caractère obligatoire. Dès lors au regard de l’article 16, quelle portée pourrait bien revêtir un accord non écrit, résultat d’une médiation ? L’exécution de cet accord ne pourrait résulter que de la bonne foi des parties.
12On sait le rôle que la bonne foi joue dans les relations commerciales internationales. Mais il demeure dans cette hypothèse un problème de preuve d’autant plus que l’une des parties pourrait toujours mobiliser l’article 12 pour affirmer qu’en l’absence d’écrit la médiation n’a pas pris fin.
13C’est une situation juridique dont le caractère inextricable est renforcé par une autre disposition de l’article 16 alinéa 1er qui dispose qu’est susceptible d’exécution forcée l’accord issu de la médiation dont il n’est pas précisé à ce sujet qu’il doit être écrit. S’agit-il d’une omission des rédacteurs du texte ou ce dernier doit-il être interprété comme se référant à la première phrase de l’article 16 prévoyant cette exigence de l’écrit ? Si on admet que l’accord résultant de la médiation peut ne pas être écrit, dès lors comment forcer une exécution en l’absence de preuve écrite de l’accord issu de la médiation ? Pour éviter une cause supplémentaire de discussion, la réponse à cette question ne peut être que pratique : à savoir que les parties auront toujours intérêt à rédiger un écrit ayant pour objet de décrire précisément les éléments de l’accord issu de la médiation et dont l’exécution éventuellement forcée serait ainsi facilitée.
La phase d’execution de l’accord issu de la médiation
14Cette phase se situe dans l’hypothèse la plus favorable : à savoir une médiation qui a réussi5. L’Acte uniforme ne se prononce pas sur la nature juridique de l’accord. S’agit-il d’une transaction au sens que lui confèrent les articles 2044 et suivants du Code civil français ? Sauf que cette qualification va en réalité dépendre de la loi applicable en la matière. On sait que la qualification s’opère normalement selon la loi du tribunal saisi. Or il n’est pas certain que les Codes civils des 17 pays africains membres de l’OHADA adoptent le même régime juridique de la transaction, notamment quant à l’autorité de la chose jugée dont elle bénéficie en droit français. Que se passera-t-il par conséquent lorsque l’une des parties refusera d’exécuter l’accord conclu ? Celle-ci pourra-t-elle saisir un tribunal national pour faire juger le différend objet de la transaction ? A priori l’action devrait être déclarée irrecevable si la transaction bénéficie au regard de la loi applicable de l’autorité de la chose jugée. Mais il subsiste donc une incertitude.
15Cette difficulté peut être heureusement contournée par la possibilité qu’offre l’Acte uniforme, dans son article 16, alinéa 2 et suivants, de conférer à l’accord la force exécutoire, autrement dit de permettre une exécution forcée (A). Encore faudra-t-il que l’accord respecte l’ordre public du pays d’exécution (B).
La procédure d’exécution forcée
16L’Acte uniforme, toujours en vertu de l’article 16, prévoit deux modalités permettant de conférer la force exécutoire à l’accord.
17Inusitée en droit français, une première modalité se traduit, sur requête conjointe des parties, par la possibilité de déposer, au rang des minutes chez un notaire l’accord de médiation avec reconnaissances d’écritures et signatures. Chaque partie peut à sa demande obtenir la grosse ou une copie exécutoire de l’acte.
18L’Acte uniforme prévoit aussi la possibilité, également consacrée en droit français6, de saisir la juridiction compétente en vue d’une homologation ou d’un exequatur de l’accord de médiation. Le juge peut être saisi soit conjointement par les deux parties, soit à la demande de la partie la plus diligente. Il statue par ordonnance et doit se borner à vérifier l’authenticité de l’accord de médiation sans pouvoir en modifier les termes.
19Le juge doit statuer dans les quinze jours de la demande, ce qui devrait permettre à l’acte de produire rapidement ses effets. L’efficacité de l’acte est en outre renforcée par une disposition qui prévoit une homologation ou un exequatur de plein droit si le juge n’a pas statué dans les 15 jours du dépôt de la demande. Dans ce cas, c’est le greffier en chef ou l’organe compétent qui appose la formule exécutoire.
20La décision qui accorde l’homologation ou l’exequatur n’est susceptible d’aucun recours. La décision qui en revanche refuse l’homologation ou l’exequatur peut faire l’objet d’un recours devant la Cour commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) qui a 6 mois pour statuer.
21L’article 16 a prévu en outre le cas où la médiation est intervenue alors qu’une procédure arbitrale est en cours. Les parties peuvent demander à l’arbitre de constater l’accord dans une sentence d’accord-parties. L’arbitre statue sans débat à moins qu’il estime nécessaire d’entendre les parties. La sentence d’accord-parties ne constitue pas un acte de nature juridictionnelle car l’arbitre ne fait constater l’accord des parties. Une telle sentence ne devrait donc pas exiger une homologation ou un exequatur pour bénéficier de la force exécutoire, ni même autoriser un recours en révision. La seule possibilité serait de remettre en cause à travers la sentence l’accord lui-même sur le fondement du dol lorsque l’une des parties démontrerait la tromperie dont elle a été victime de la part de l’autre partie7.
22Tout devrait donc aller assez vite, sauf que le texte ne prévoit pas de délai dans lequel l’arbitre devrait statuer. C’est manifestement le souci de ne pas perdre de temps qui a inspiré les rédacteurs du texte. Encore faut-il que l’accord de médiation ne soit pas contraire à l’ordre public.
L’ordre public, obstacle à l’exécution de l’accord
23Lorsque la juridiction compétente a été saisie en vue d’une homologation ou d’un exequatur de l’accord de médiation, elle ne peut certes pas procéder à sa révision comme l’indique l’article 16 al. 3. Mais le juge saisi se doit évidemment d’examiner la licéité de l’accord au regard de l’ordre public du lieu d’exécution de la sentence8. Le texte le prévoit expressément (art. 16. al. 5)
24Il en va différemment lorsque le juge saisi à la requête conjointe des parties ou à la demande de l’une des parties laisse expirer le délai de 15 jours. Dans ce cas, comme souligné précédemment, c’est le greffier ou l’organe compétent qui appose la formule exécutoire. Mais en aucun cas l’un ou l’autre ne dispose de la compétence pour juger de la conformité de l’acte de médiation par rapport à l’ordre public du lieu d’exécution. L’article 16 al. 6 a prévu une solution originale. La partie qui n’a pas saisi le greffier ou l’organe compétent peut saisir la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA « d’un recours contre l’acte d’homologation ou d’exequatur automatique dans les quinze (15) jours de la notification de l’accord revêtu de la formule exécutoire » si elle estime que l’accord est contraire à l’ordre public ». La CCJA doit statuer dans un délai de 6 mois, les délais de procédure de son Règlement étant réduits de moitié. Mais le recours est suspensif de l’accord.
25Le texte manifeste à son tour le souci des rédacteurs de mettre en œuvre une procédure rapide qui n’entrave pas la vie des affaires. Il suscite néanmoins quelques interrogations.
26Pourquoi avoir attribué compétence à la CCJA et non pas à la juridiction compétente de lieu d’exécution de l’accord de médiation ? N’est-ce pas une source de retard alors que cette nouvelle procédure de médiation introduite par l’Acte uniforme se caractérise par sa rapidité ? Le juge national n’est-il pas mieux placé pour apprécier la conformité de l’acte par rapport à l’ordre public du pays d’exécution ? En conférant cette compétence en matière d’ordre public à la CCJA, on comprend le souci d’harmonisation des décisions de la part du législateur OHADA. Une autre interrogation peut alors être formulée. En fonction de quel ordre public, la CCJA devra-t-elle statuer ? A priori en fonction de l’ordre public du pays d’exécution. Mais il se peut que l’acte de médiation soit susceptible d’exécution dans plusieurs pays à la fois qui n’ont pas nécessairement la même conception de l’ordre public. La réponse à cette remarque est loin d’être évidente. Le recours à une médiation institutionnelle pourra permettre de trouver une solution puisque dans ce cas les parties sont présumées avoir adhéré au Règlement de médiation de cette institution. On ne serait trop conseiller une médiation d’une telle nature9.
Notes de bas de page
1 C. Poli, « OHADA et médiation : enfin un acte uniforme consacré à la résolution amiable des différends en droit des affaires », in Kluwer, Actualités du droit, 2017, [https://www.actualitesdudroit.fr/browse/afrique/ohada/10598/ohada-et-mediation-enfin-un-acte-uniforme-consacre-a-la-resolution-amiable-des-differends-en-droit-des-affaires] ; Z. Adema, « La consécration de ma médiation dans l’espace OHADA : un nouveau corps de la fonction judiciaire pour une procédure plus onéreuse », La lex4.com, 28 février 2018 ; C. Agossou, « Le développement de la médiation », MIDAA, For enterprising Africa.
2 Ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011 portant transposition de la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale.
3 Z. Adema, op. cit.
4 C. Poli, op. cit.
5 C. Poli, op. cit.
6 Art. 131-12 du code français de procédure civile. Art. 21-5 de l’ordonnance du 16 novembre 2011.
7 L. Hounbara-Kaossiri, Le recours en révision, DEA de droit privé fondamental 2009, Ngaoundéré, Mémoire on line. § n° 64 et 65.
8 C. Poli, op. cit.
9 C. Agossou, op. cit.
Auteur
Professeur émérite de l’université d’Aix-Marseille
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Les sources complémentaires du droit d’auteur français
Le juge, l’Administration, les usages et le droit d’auteur
Xavier Près
2004
Compensation écologique
De l'expérience d'ITER à la recherche d'un modèle
Virginie Mercier et Stéphanie Brunengo-Basso (dir.)
2016
La mer Méditerranée
Changement climatique et ressources durables
Marie-Luce Demeester et Virginie Mercier (dir.)
2022