Introduction à la première partie
p. 81-82
Texte intégral
1H.A. Ellis affirme que Boulainvilliers serait devenu absolutiste dès les débuts de la Régence pour soutenir son protecteur le Duc d'Orléans303. Opérant une lecture littérale du mémoire de l'historien normand sur les princes légitimés304, M. Ellis soutient que ce dernier aurait reconnu le bien fondé de la cause des bâtards de Louis XIV, dont la situation était pourtant issue d'un acte despotique du roi-soleil. Pourtant, une telle interprétation se heurte aux faits. Il faut rappeler, en effet, que le Régent Philippe d'Orléans avait d'abord refusé de prendre part dans la querelle, trop heureux de voir ses rivaux se déchirer305, avant d'épouser la cause des princes légitimes en faisant casser l'Édit de légitimation de Louis XIV306. On peut alors légitimement se demander quel intérêt aurait eu Boulainvilliers à défendre les prétentions des légitimés.
2En fait, loin de renforcer le pouvoir absolu, l'auteur saisit l'occasion de l'affaire de la légitimation des bâtards, pour « brocarder » et « critiquer la pratique monarchique », ainsi que l'affirme C. Saguez-Lovisi307. Une lecture attentive montre qu'il profite de la controverse sur les princes légitimés pour réactiver un discours anti-absolutiste. Au demeurant, une remarque de Boulainvilliers conforte l'interprétation de son mémoire sur les princes du sang. Il y affirme, comme une menace,
« si les princes légitimés avaient le malheur de succomber dans une pareille instance, (ils) pourraient interjeter appel au roi séant en son lit de justice, à la tête des États du royaume, seul tribunal de la voix publique, compétent pour décider une pareille contestation »308
3Cette assimilation erronée entre lit de justice et états généraux renvoie à l'histoire de la mythique assemblée souveraine309. Une telle vision s'éloigne de la conception autocratique selon laquelle un monarque peut statuer seul en matière de loi fondamentale, volonté manifestée par le roi-soleil lors de la légitimation de ses bâtards. Surtout, cette façon d'invoquer les assemblées d'États va à l'encontre de l'hostilité que leur manifestait Louis XIV310, et rappelle plutôt l'indépendance des États ligueurs de la fin du xvième siècle.
4Cette lecture du mémoire sur les princes du sang permet de redonner une cohérence à l'œuvre politique de Boulainvilliers et de rejeter toute inflexion qui rend la démarche de cet auteur gratuitement contradictoire. Il est ainsi possible de considérer qu'un anti-absolutisme patent caractérise l'ensemble de son œuvre. Cette critique s'inscrit en filigrane dans sa description du gouvernement idéalisé de la France. L'auteur estime que la monarchie absolue est le fruit de la perversion des institutions politiques, perversion qui débouche sur une emprise injuste de l'État sur les hommes et les richesses. Cette attaque s'appuie d'abord sur les outils intellectuels aristocratiques que constituent le germanisme et la féodalité. Ce discours, bien que situé, n'empêche pas Boulainvilliers de dégager une analyse approfondie de la mutation de la société française. En effet, révolté par le modèle politique absolutiste qu'il conteste, l'auteur en vient à dénoncer l'action du monarque sur l'organisation sociale.
Notes de bas de page
303 H.A. Ellis, Boulainvilliers and the French Monarchy. Aristocratic Politics in Early Eighteenth-century France, op. cit., pp. 169 sq.
304 Boulainvilliers, Mémoire touchant l'affaire de Mrs les princes du sang, in Etat de la France, contenant Quatorze lettres sur les anciens parlements de France, avec l'histoire de ce royaume depuis le commencement de la monarchie jusqu 'à Charles VIII. On y a joint des mémoires présentés à M. le Duc d'Orléans..., London, Roberts et Brindley, 1728, T. III, IVème mémoire.
305 J.-C. Petitfïls, Le Régent, Paris, Fayard, 1986, pp. 332-333.
306 Édit de juillet 1717 in Isambert, Decrusy, Taillandier, op. cit., T. XXI, pp. 144 sq.
307 C. Saguez-Lovisi, Les lois fondamentales au xviiième siècle. Recherches sur la loi de dévolution de la couronne, Paris, P.U.F., 1983, p. 59.
308 Boulainvilliers, Mémoire touchant l'affaire de Mrs les princes du sang, op. cit., IVème mémoire, p. 537.
309 D'autant que, tout au long de son œuvre, Boulainvilliers ne distingue jamais la spécificité du lit de justice et le confond avec les états généraux, institutions assimilées à la projection historique d'une imaginaire assemblée de la nation originaire.
310 J.-L. Thireau, Les idées politiques de Louis XIV, Paris, P.U.F. "Travaux et recherches de l'U.D.E.S.S.", 1973, pp. 61-62.
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