Introduction
p. 9-34
Texte intégral
1Paradoxe du Grand siècle en Europe, alors que l’Angleterre connaît deux révolutions, la France comme la Prusse, l’Autriche ou la Russie, voit le renforcement des prérogatives du prince1. Mais à la différence du royaume prussien, dans le royaume de France, la victoire de l’absolutisme est loin d’être univoque. Sa « naissance dramatique »2 témoigne qu’il s’agit d’abord d’une doctrine de la crise de l’État forgée en réaction aux troubles internes consécutifs aux guerres de religion et à la Fronde. Elle triomphe un temps à partir du début du gouvernement personnel de Louis ΧIV. Mais, loin d’avoir été admis sans réserve par les hommes de l’ancienne France, le modèle Louis quatorzien de la monarchie absolue est contesté dès la fin de règne du grand roi.
2De fait, à partir de ce moment, la contestation politique, longtemps bâillonnée, reprend de la vigueur. La conjoncture historique s’y prête. En effet, la possible accession du Duc de Bourgogne au trône représente un bref espoir pour la noblesse de secouer le joug d’un Louis XIV vieillissant. Le traité d’Utrecht, l’affaire des princes légitimés, la régence, situation de précarité constitutionnelle3, sont autant d’occasions qui traduisent l’affaiblissement du principe de la continuité monarchique et donc de l’État. La vieille "querelle du bonnet", qui oppose les noblesses de robe et d’épée, remet en question l’unité de l’aristocratie ainsi que son rôle dans le royaume. La réflexion politique hostile à l’absolutisme va se remettre à fleurir. S’engage alors un débat qui marque véritablement dans l’idéologie l’un des temps forts de la « cassure entre les droits du roi et ceux de la nation »4. De fait, le modèle idéologique de l’union entre le monarque et les gouvernés5 est mis en cause6. L’image officielle de la monarchie se trouve alors contestée.
3Aussi, à partir de là, nombre de penseurs du xviiieme siècle s’interrogent sur la nature de la monarchie française. Cette interrogation est à n’en pas douter l’un des signes de la crise de la conscience européenne en France7. En effet, la remise en cause de l’origine historique de la monarchie témoigne bien de cette crise idéologique, caractérisée par un passage de l’esprit classique, assis sur l’ordre et la stabilité, à une soif du mouvement8. Parmi les contestataires de la monarchie française, artisans de la crise de la conscience européenne, il y a « ceux qui pactisent en les minant, avec les institutions politiques et sociales (...) véritables "aristocrates" des révolutions »9. Ce dernier qualificatif –par trop littéraire pour être scientifiquement opératoire– n’en reflète pas moins l’esprit d’Henri de Boulainvilliers, Comte de Saint-Saire, Sire de Léon, Seigneur de Nesle en Bray, de Beaubec la Ville et du Mesnil Mauger.
4D’ailleurs, c’est l’image d’un opposant à la monarchie absolue qui a d’abord focalisé l’intérêt des historiens contemporains qui se sont intéressés au deux derniers siècles de l’époque moderne10, et ce, même si certains ont, également souligné son apport à l’historiographie des institutions11. Ce vif intérêt tranche nettement avec la vie monotone d’Henri de Boulainvilliers.
5Ce seigneur normand est né le 21 octobre 1658 à Saint-Saire, en pays de Bray, dans la généralité de Rouen, en Normandie12. Il était le premier fils du comte François de Boulainvilliers et de Suzanne de Manneville13.
6Il convient d’insister particulièrement sur la généalogie de cet aristocrate, car elle est déterminante pour comprendre la constitution de son univers mental. De fait, Boulainvilliers a consacré de nombreux efforts à retracer l’histoire de sa famille, se conformant à une pratique classique de l’aristocratie de l’époque14. Dans ses travaux généalogiques, il soutient, afin de démontrer l’antiquité de sa noblesse, que l’origine de sa lignée résiderait dans une vieille famille saxonne déportée par Charlemagne au viiième siècle vers ce qui préfigurait la future France15. Il prétend aussi descendre des seigneurs de Croy. Or, cette famille, étant affiliée aux rois Buda et Etienne de Hongrie, Boulainvilliers pouvait ainsi se prévaloir d’une ascendance royale. Mais cette prétention devait susciter les doutes des généalogistes professionnels16.
7De fait, les seuls documents qui demeurent aujourd’hui sur la généalogie des Boulainvilliers ne remontent qu’au tout début du xvème siècle17. La seigneurie de Bon Saint-Saire appartenait aux Ossegnies avant cette date. Cette famille s’étant éteinte, le Parlement de Paris devait attribuer ses biens à Philippe de Boulainvilliers, affilié à l’épouse de Gadiffer d’Ossegnies, par arrêt du 31 juillet 140018. Les autres documents conservés aux Archives Nationales témoignent de l’existence, au cours des xvème, xvième et xviième siècles, des seigneurs de Boulainvilliers dont sera issu le Comte Henri19.
8Si aujourd’hui, cette recherche d’une ascendance royale peut paraître futile20, elle reste néanmoins significative pour éclairer la personnalité de Boulainvilliers. En effet, s’il est vrai que la noblesse de l’aristocrate normand ne devait pas être contestée21, le roi n’avait érigé la seigneurie de Boulainvilliers en comté que par lettre patente du 9 avril 165822. Aussi, la fraîcheur de son titre, au demeurant situé au bas de la hiérarchie nobiliaire23 explique, sans nul doute, que le comte normand ait cherché des origines familiales plus prestigieuses. En rattachant sa lignée à la dynastie royale de Hongrie, Boulainvilliers entendait montrer l’ascendance princière de son nom ; ce qui devait lui conférer une noblesse aussi prestigieuse que celle des princes étrangers qui occupaient, avec la famille royale, le sommet de la hiérarchie des titres de noblesse24. Ce genre de revendications nobiliaires était au demeurant courant pour l’époque25.
9Un tel conformisme social caractérise également la formation scolaire de Boulainvilliers. En effet, ce dernier a reçu, comme beaucoup de nobles de l’époque, une excellente éducation26. Après avoir fréquenté ce qui semble avoir été une préparation à l’entrée au collège27, le jeune aristocrate intègre Juilly, en 166928, en qualité de pensionnaire. Dans ce même établissement tenu par les oratoriens, Montesquieu fera sa scolarité quelques trente années plus tard. Cette institution prestigieuse, où seule accède l’élite argentée29, avait vraisemblablement été choisie par la famille de Boulainvilliers par méfiance à l’égard des jésuites30. Le jeune homme y demeurera jusqu’en 167431, accomplissant, d’ailleurs avec brio32, le cycle complet d’enseignements axé essentiellement sur les lettres grecques et latines, la rhétorique et la philosophie33.
10Au cours de cette période de formation sans histoire du jeune élève34, deux faits déterminants méritent d’être relevés. Durant l’année scolaire 1672-1673, il suit l’enseignement de rhétorique sous la direction du père Richard Simon35. Ce dernier s’était distingué par une critique historique de l’Ancien testament dans laquelle il démontrait que le Pentateuque n’avait pas été écrit par Moïse, mais par des scribes du temps d’Esdras (vers 525 av. J.-C.) sous la direction de la grande Synagogue. Simon attaquait également la doctrine de Saint-Augustin sur le péché originel, la grâce efficace et la prédestination gratuite. Tout ceci devait lui valoir, par ailleurs, de quitter l’oratoire en 1678 et d’être poursuivi par Bossuet comme hérétique36. Boulainvilliers n’a pas complètement subi l’influence de Simon. Ainsi, il ne reprend pas ses positions religieuses. Cependant, l’enseignement de l’oratorien devait le sensibiliser à l’intérêt du discours historique37. Toutefois, Simon ne fut certainement pas le seul enseignant à inciter Boulainvilliers à s’intéresser au passé. En effet, ce dernier a eu la chance de suivre à Juilly un cours d’histoire de France38, enseignement encore fort rare dans les collèges du xviième siècle. L’assiduité à ces cours était réservée d’ailleurs aux seuls pensionnaires des collèges, car ils étaient dispensés en dehors des heures normales39. Ces leçons ne pouvaient avoir qu’un profond écho sur un enfant nourri dès son plus jeune âge par les récits d’une famille qui prétendait à des origines militaires du viiième siècle40.
11D’ailleurs, c’est vers la carrière des armes, fonction idéalisée par l’aristocratie du Sang, qu’Henri de Boulainvilliers s’oriente à sa sortie du Collège. Un tableau de 1676 de Guillaume Le Marchand présentait déjà le jeune comte Henri au milieu de sa famille, paré tel un guerrier antique41. De fait, de 1679 à 1688, Boulainvilliers devait servir dans la première compagnie des mousquetaires42. C’est pendant cette période, ou très peu de temps après, qu’il voyagea tant en Allemagne qu’en Angleterre43. Mais sa carrière militaire dut s’interrompre vraisemblablement par manque d’argent, plaie d’autant plus mortelle qu’au xviième siècle, seuls les nobles les plus riches pouvaient demeurer dans l’armée44. Cet appauvrissement semble avoir été provoqué par un procès qui opposait Henri de Boulainvilliers et sa sœur à leur père, le comte François45. Ce dernier avait, en effet, décidé, après la mort de sa première femme, de se remarier avec une servante et souhaitait conserver illégalement le douaire de la défunte pour établir sa nouvelle épouse46. Soucieux de lutter contre le scandale et de reprendre en main les affaires familiales, Henri de Boulainvilliers devait épouser, le 26 septembre 1689 à Paris, sa première femme, Marie-Anne Hurault des Marais47 et transiger avec son père en partageant les petites seigneuries avec lui, ne lui laissant, jusqu’à son décès en 1697, que l’usufruit de la seigneurie principale de Saint-Saire48.
12À partir de ce moment là, Boulainvilliers va mener entre ses terres normandes et son appartement parisien, une vie somme toute monotone, marquée par la perte de sa femme et par celles de ses deux fils49. Il trompe alors la tristesse et l’ennui en rédigeant son œuvre, largement diffusée sous le manteau, sous forme de manuscrit. Les ouvrages de Boulainvilliers portent sur l’astrologie, la philosophie, et surtout sur l’histoire du gouvernement de la France, ainsi que sur les problèmes économiques de cette dernière, proposant des remèdes inspirés par un rejet de l’absolutisme de Louis XIV. Les thèses anti-absolutistes occupent en effet une place centrale dans ses écrits les plus importants : notamment les Lettres sur les anciens parlements de France que l’on nomment états généraux, les Mémoires sur l’ancien gouvernement de la France, un Essai sur la noblesse, des Mémoires adressés au Duc d’Orléans50 ainsi qu’une version corrigée de l’enquête menée par les intendants pour le duc de Bourgogne. D’autres travaux de moindre importance se bornent à répéter les idées contenues dans les livres précédents51. L’œuvre eut un large écho, tant en étant reprise qu’en étant critiquée tout au long du xviiième siècle. D’ailleurs, ses ouvrages politiques sont imprimés après sa mort52 survenue le 23 janvier 172253.
13Pourtant, il ne reste aujourd’hui aucun manuscrit autographe, ce qui rend difficile une datation précise de l’œuvre54. En effet, les indications chronologiques mentionnées sur certaines copies des ouvrages sont des plus douteuses. Reflètent-elles la date du texte original ou simplement celle de la copie qui a pu être bien plus tardive ? Seuls les ouvrages qui portent sur des événements précis permettent une datation approximative. Il en va ainsi de certains ouvrages rédigés lors des débats sur les renonciations au trône de France par le roi d’Espagne, de l’affaire des princes du sang, ou même des mémoires qui s’adressent au Duc de Bourgogne et au Régent55. Autant dire que toute tentative d’établir une bibliographie critique reste vaine, d’autant que la critique interne des textes de cet auteur ne permet pas de dégager des contradictions qui pourraient amener à penser qu’il y ait eu des inflexions importantes dans son travail de publiciste de la France. Cette déficience des sources a donc un impact fort heureusement limité sur l’analyse des idées politiques de Boulainvilliers. Élaborée vraisemblablement entre fin 1689 et 1722, sa pensée reste homogène et ne marque pas de véritable rupture. Toutefois, avant d’en aborder le contenu, il convient de déterminer l’incidence de la condition sociale de l’auteur sur ses réflexions.
14Effectivement, certains historiens ont soutenu que le projet politico-social de Boulainvilliers serait fortement inspiré par sa pauvreté56. Mais récemment, cette prétendue indigence fut remise en cause. En fait, Boulainvilliers devait percevoir à partir de 1690 un revenu annuel qui pouvant atteindre 9000 livres par an, somme confortable qui permet d’exclure l’aristocrate de la « plèbe nobiliaire »57. Toutefois, la pauvreté de Boulainvilliers ne saurait se mesurer seulement à ses revenus, mais aussi à la perception qu’il pouvait avoir de sa propre condition58. Force est alors de reconnaître qu’il se plaint d’un manque de reconnaissance sociale. Boulainvilliers écrit clairement, « la fortune m’a tellement éloigné des emplois convenables à ma naissance qu’on aurait peine à ne pas m’en attribuer la faute »59. Le regard que les autres portaient sur lui conforte cette image. Ainsi, le Régent devait justifier le don qu’il fit à Boulainvilliers en reconnaissant que sa famille avait été ruinée par les guerres faites auprès du roi, et que l’aristocrate était « dans la nécessité d’avoir recours à nos grâces pour prévenir la chute d’une maison »60. Le duc de Saint-Simon, digne représentant de la haute et riche aristocratie, estimait d’ailleurs que le comte Henri était « pauvre, honnête homme, malheureux en famille »61. Enfin, il faut rappeler que pour subvenir aux besoins de ses filles, l’aristocrate adopte la stratégie matrimoniale de l’ancienne noblesse ruinée du début du xviiième siècle62. Dès lors, comment douter que Boulainvilliers, prétendant avoir des origines royales, se soit senti injustement défavorisé dans la hiérarchie sociale, et que cette impression se soit répercutée au moins sur sa pensée politique ?
15Cependant, la situation sociale de l’auteur ne suffit pas, à elle seule, pour éclairer les conditions d’élaboration et d’évolution de sa pensée. R. Charrier rappelait qu’une histoire intellectuelle ne saurait faire l’économie de l’étude des « consommateurs » des œuvres63. Il importe également de savoir à qui s’adressaient les ouvrages de Boulainvilliers. F. Bluche a soutenu que les lecteurs de Boulainvilliers étaient essentiellement des « gentilshommes campagnards », parmi les « plus déshérités surtout »64. Mais ce jugement n’est pas étayé par des données quantitatives ou qualitatives précises. Les quelques informations qu’il est possible de rassembler sur le sujet, poussent à atténuer cette vue restrictive. Ces données permettent seulement de dire que les lecteurs de Boulainvilliers font partie d’une élite cultivée, fait banal dans une société à fort taux d’analphabétisme. Pour autant, ces derniers ne sauraient être classés dans une catégorie sociale strictement définie65. Au demeurant, il faut souligner que les écrits de cet auteur se sont d’abord adressés au Duc de Bourgogne et s’insèrent dans les travaux effectués par le cercle d’aristocrates qui entoure ce prince66. Par la suite, Boulainvilliers intègre l’entourage du Duc de Noailles, avec lequel il entretenait des relations de clientélisme67, et se rapproche du Régent Philippe d’Orléans68. Il est donc possible d’affirmer que les lecteurs du xviiième siècle ne cherchaient pas, dans les ouvrages de Boulainvilliers, une simple défense d’une vieille noblesse d’épée en voie de disparition. Il est de ce fait légitime de considérer que les travaux de cet auteur ne constituent pas seulement le pâle reflet d’une idéologie nobiliaire. Boulainvilliers a bien élaboré une pensée politique dont la cohérence sera analysée au cours de cette étude.
16Aujourd’hui, l’intérêt certain des historiens à l’égard de cet auteur contraste avec une connaissance partielle de sa pensée politique et institutionnelle. Si la pensée philosophique et religieuse de cet auteur commence à être bien connue, notamment grâce aux efforts d’analyse et d’éditions de Renée Simon69 et aux réflexions de P. Vernière70, J. Deprun71, S. Zaccone72 ou de D. Venturino73, les études sur ses idées politiques ne semblent aboutir qu’à des impasses logiques.
17En effet, les historiens qui ont consacré un travail approfondi au projet politique de cet auteur restent peu nombreux. Le premier fut un juriste, M. Belliot, qui, en 1888, soutint une thèse de doctorat sur le sujet74. Toutefois, son étude est restée datée par la découverte postérieure d’un nombre important de manuscrits inédits. De plus, Belliot fait de l’auteur un tenant d’une « aristocratie de conquérants, organisée démocratiquement (sic) et gouvernée par un roi »75. Il ne dégage pas vraiment une catégorie constitutionnelle précise. En 1940, Renée Simon devait revenir sur le thème. Son travail est étayé par de sérieuses recherches bibliographiques qui constituent le premier essai complet en ce domaine. Mais son analyse demeure fortement imprégnée d’un positivisme et d’un "psychologisme" qui régnaient dans l’histoire des idées depuis les premiers travaux de G. Lanson. Aussi, elle cherche simplement à dégager les idées de Boulainvilliers en s’appuyant sur des citations mises bout à bout. R. Simon finit par ne donner qu’un résumé des ouvrages politiques de l’auteur, sans adopter pour autant une interprétation synthétique de l’œuvre. Elle ne se prononce pas véritablement sur la nature de la pensée politique de Boulainvilliers. Elle cherche surtout à montrer que cet auteur est un défenseur de la tolérance, comme Bayle76.
18Les études plus récentes ne présentent pas de tels travers. Bien documentées, elles proposent des démonstrations synthétiques fondées sur une argumentation développée.
19Ainsi, H.A. Ellis a publié, en 1988, un ouvrage intitulé Boulainvilliers and the French Monarchy : Aristocratic Politics in Early Eighteenth-Century France77. Cet ouvrage constitue un nouveau progrès dans la constitution d’une bibliographie complète de Boulainvilliers. Au demeurant, M. Ellis, nourri d’histoire sociale, situe bien l’auteur dans le débat politique de son époque. Il est toutefois possible de discuter certaines de ses conclusions. Ce dernier est ainsi amené à réduire, abusivement semble-t-il, les idées de Boulainvilliers à celles d’un simple polémiste, défenseur de son ordre. H.A. Ellis affirme également que cet auteur est un « aristocrate réactionnaire », tout en reconnaissant de manière antinomique qu’il doit aussi être considéré comme l’un des « constitutionnalistes aristocratiques » de tradition libérale78.
20Par ailleurs, une étude publiée en 1993 est venue compléter la connaissance que l’on pouvait avoir de Boulainvilliers. Il s’agit du travail de D. Venturino qui dépasse la perspective de H.A. Ellis, puisqu’il concerne l’ensemble de la pensée de Boulainvilliers. Son ouvrage est sans conteste une étude précieuse pour comprendre la philosophie de cet auteur. M. Venturino a également le mérite d’améliorer la bibliographie de l’aristocrate. Mais, il semble que les conclusions relatives à l’histoire des idées politiques puissent être débattues, voire même contestées.
21Ainsi, M. Venturino sépare chez l’auteur ses conceptions sur l’histoire de France et son projet politique de monarchie nobiliaire79 afin de montrer la richesse de son apport à l’historiographie. Mais alors, on peut se demander pourquoi l’aristocrate utilise le discours historique pour exprimer ses idées politiques, et ne se cantonne pas à élaborer une construction relevant de la pure philosophie politique. Surtout, cette séparation amène M. Venturino à considérer qu’il n’existe pas de conception constitutionnelle chez cet auteur80. Pourtant, il apparaît que Boulainvilliers critique son époque en se référant continuellement à ce qu’il nomme une « constitution primitive »81. Enfin M. Venturino soutient, non sans contradictions, que le libéralisme de l’auteur serait caractérisé par son utilisation d’un « alphabet conceptuel moderne », et ce, afin d’élaborer une « théorie réactionnaire »82. En définitive, la lecture de ce dernier critique montre à quel point il semble difficile de déterminer la nature d’une pensée vouée à la fois au passé, tout en étant porteuse d’une certaine modernité.
22Cette étude se veut par conséquent un essai d’interprétation de la pensée politico-institutionnelle de Boulainvilliers. La démarche suivie ici est spécifique et relève de l’historien du droit et des idées politiques, dont la tâche principale consiste à étudier l’interaction entre la pensée politique et le droit83. Une telle démarche semble nécessaire pour un bonne compréhension du droit public de l’ancienne France. En effet, ce dernier est toujours présenté en ne tenant compte que des sources tirées des juristes favorables à la monarchie. Cette méthode est légitime mais ignore certains faits positifs. Elle ne montre pas les tensions idéologiques qui sous-tendent les règles de l’ancien droit public. En restituant la vision qu’avaient du droit public les autres acteurs, il est possible de mieux comprendre quel était le degré d’adhésion que la société manifestait à l’égard du système politique. Cette dimension de la réalité historique est d’autant plus significative, pour comprendre l’époque, que le droit public de l’ancienne France était coutumier. Sa formation et sa cristallisation dépendait d’un élément subjectif que l’on nomme communément « l’opinio juris sive necessitatis » ou « animus ». C’est dire que la connaissance de l’ensemble des attitudes mentales est nécessaire pour rendre compte de la « constitution » politique de l’ancienne France et des tensions qui la caractérisent.
23En d’autres termes, la problématique consiste à se demander si le projet politico-institutionnel de Boulainvilliers légitime, ou au contraire sape, les bases du droit public de son époque. Il est possible de se demander comment un auteur peut, à lui seul, témoigner d’une remise en cause des institutions politiques de l’époque moderne. En fait, le modèle historique que développe Boulainvilliers est intégré à la culture politique d’un certain nombre d’auteurs ou de groupes sociaux qui vont s’opposer à l’absolutisme.
24Il est vrai, les historiens ont toujours estimé que les penseurs anti-absolutistes, par leur marginalité, n’avaient pas contribué à la conception que se faisaient les français, à l’époque moderne, de leur droit public. Toutefois, il convient de remarquer que les penseurs hostiles à la monarchie absolue interviennent continuellement dans le débat politique. Ils ne sont pas seulement les porte-parole d’intérêts corporatistes. Dans leur discours, un matériau idéologique, hérité du Moyen-âge et répété inlassablement entre le xvième siècle et 1789, persiste tout en se transformant par strates succesives. Il semble donc possible de réinterpréter l’esprit du droit public de l’époque moderne avec l’éclairage de l’anti-absolutisme. L’intérêt de cette recherche sur la pensée politique et institutionnelle de Boulainvilliers devient alors évident. En effet, bien avant Montesquieu, il est certainement l’un des auteurs les plus radicaux à s’être opposé aux idéologues de la monarchie absolue.
25La démarche suivie consistera d’une part à analyser la pensée d’un auteur de l’ancienne France, en mettant en relief ses aspects passéistes ou modernes par rapport à l’époque où elle fut élaborée84, et d’autre part à chercher l’éventuelle postérité de cette pensée.
26Comment restituer l’articulation d’un discours de nature idéologique qui est toujours délicat à saisir scientifiquement puisqu’il cherche d’abord à convaincre. De fait, comme le rappelle P. Ansart, « le propre de l’idéologie est de forger un ensemble d’associations données pour nécessaires, (...) à partir de ces associations de base (...) le raisonnement pourra opérer par déduction pour fournir une explication aux multiples phénomènes rencontrés »85. Le risque est donc d’analyser un discours imaginaire, sans tenir compte de la part de réel qui a déterminé sa genèse. En effet, comme le rappelait dès 1898 l’historien positiviste Charles Seignobos, « les descriptions de faits imaginaires sont construites avec les faits extérieurs que l’auteur a vus autour de lui »86. Aussi, l’analyste de Boulainvilliers doit d’abord prendre en compte l’attitude de ce dernier à l’égard de la réalité qu’il dut affronter. Une démarche en trois temps paraît donc s’imposer.
27Après avoir exposé la spécificité de la méthode historique et philosophique de Boulainvilliers, il convient d’abord de présenter l’ampleur de sa critique. Cette dernière porte en priorité sur les fondements politiques de l’absolutisme. Mais son attaque va plus loin. En effet, Boulainvilliers dénonce également les agissements des rois sur la société, en les accusant d’avoir perverti le tissu social originaire et suscité la crise de l’époque moderne. Ainsi, au-delà du parti pris de l’opposant, il enrichit l’historiographie de l’absolutisme en montrant qu’il est à la fois un phénomène politique et social.
28L’analyse de cette critique permet de mieux comprendre ensuite la contradiction apparente qui caractérise son projet de réforme. En effet, Boulainvilliers propose une alternative sociale et politique dont la modernité découle paradoxalement d’un passéisme inhérent à toute sa démarche. Effectivement, son rejet de l’absolutisme le pousse à dégager une théorie de ce que l’on pourrait qualifier de "monarchie pré-parlementaire". Il est alors nécessaire d’affilier cet auteur à un courant de pensée, tout en évitant de recourir à une catégorie anachronique qui refléterait le débat politique révolutionnaire.
29La dernière étape de la démarche consiste à rechercher si Boulainvilliers a eu une incidence posthume sur la pensée politique française. Il est alors possible de remarquer que, si les idées de cet auteur seront reprises et controversées avant 1789, après cette date, son influence s’étiole.
Notes de bas de page
1 Voir R. Mandrou, L’Europe "absolutiste". Raison et raison d’État 1649-1775, Paris, Fayard, 1977.
2 Y.M. Bercé, Nouvelle histoire de la France moderne. La naissance dramatique de l’absolutisme (1598-1661), Paris, Seuil, 1992, T. III.
3 Les contestations politiques et sociales se sont presque toujours manifestées durant les régences. En effet, la régence demeure une situation d’exception que les monarques eurent beaucoup de mal à contrôler. En réalité, la réglementation générale de la régence est l’œuvre des constituants de 1791, voir P. Bodineau, « Le problème de la Régence dans les débats de l’assemblée constitutante », in 1791 la première Constitution française, Actes du Colloque de Dijon (26 et 27 septembre 1991), Paris, Economica "Droit public positif, 1993, pp. 205-216.
4 H. Morel, « Les droits de la Nation sous la Régence », in Mélanges H. Morel, Aix-en-Provence, P.U.A.M., 1989, pp. 428-443. Sur les ouvrages de Boulainvilliers rédigés au cours de la renonciation du roi d’Espagne et de l’affaire des princes légitimés, voir la bibliographie.
5 Sur l’union mystique, voir d’abord le thème des deux corps du roi, mis en évidence pour le Moyen-âge par les travaux d’E. Kantorowicz, Les deux corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen Age, Paris, Gallimard, 1989. Ce dernier cherche dans les pratiques et les mentalités à déterminer la genèse du droit public. Sur le thème du corps du roi, dans les derniers siècles de l’ancien régime, L. Marin, Le portrait du roi, Paris, Éditions de Minuit, 1981, pp. 145-146. Pour une perspective plus orientée vers les liens entre imaginaire et genèse du droit public, R.E. Giesey, « Modèles de pouvoirs dans les rites royaux en France », Annales E.S.C., mai-juin 1986, N° 3, pp. 579-589. Sur l’enjeu idéologique qui se jouait autour de cette identification, notamment les limites de la sacralisation du corps royal, A. Boureau, Le simple corps du roi. L’impossible sacralité des souverains français. xveme-xviieme siècle, Paris, Éditions de Paris, 1988. L’union était aussi symbolisée par l’image du mariage du roi avec la nation ou par l’autorité paternelle entre le monarque et ses sujets, voir respectivement, R. Descimon « Les fonctions de la métaphore du mariage politique du roi et de la République France xveme-xviiieme siècle », Annales E.S.C., 1992, N° 6, pp. 1127-1147 ; A. Du Crest, La famille, cadre de l’autorité monarchique xvieme-xviiième siècles, thèse Droit, Aix-en-Provence (en préparation).
6 Sur la lente pénétration des images de l’union du roi et de ses sujets (début xviième siècle) et sur les limites de son établissement dans la mentalité de l’homme de l’ancienne France, consulter la synthèse de M. Vovelle sur les travaux les plus récents, « La représentation populaire de la monarchie », in K.M. Baker (ed. by), The French Revolution and the Creation of Modem Political Culture. The Political Culture of the Old Regime, Oxford, Pergamon press reprint, 1991, vol. 1, pp. 77-86.
7 P. Hazard, La crise de la conscience européenne (1680-1715), Paris, Fayard, 1961, (rééd., Paris, Le livre de poche, 1994).
8 Ibid., chap. I, passim.
9 Ibid., p. 420.
10 L’image de Boulainvilliers chez les historiens reste loin toutefois d’être homogène. Dans le mythique manuel républicain de Lavisse, Boulainvilliers est essentiellement présenté comme l’inspirateur de l’un des premiers clubs de philosophes, et surtout comme l’auteur d’une pensée aristocratique résolument anti-absolutiste, H. Carré, Le règne de Louis XV (1715-1774), in E. Lavisse (sous la dir. de), Histoire de France depuis les origines jusqu ’à la Révolution, Paris, Hachette, 1911, T. VIII (2), pp. 170 et 186. C’est essentiellement l’image d’un aristocrate rattaché au passé qui va perdurer chez les historiens ultérieurs. Ainsi, R. Mousnier, classe Boulainvilliers parmi « tous les rétrogrades du xviiième siècle », Les xvi et xvième siècles, Paris, P.U.F. "Quadrige", 1993, p. 366, (lère éd. Paris, P.U.F., 1953). À l’opposé de la sensibilité politique de Mousnier, A. Soboul perçoit l’aristocrate comme le chantre d’une « réaction féodale », La civilisation et la Révolution française. La crise de l’ancien régime, Paris, Arthaud "Les grandes civilisations", 1970, T. I, pp. 241-242. P. Goubert considère Boulainvilliers comme l’un des défenseurs d’une noblesse de sang qui tente de se refermer sur elle-même, L’ancien régime. La société, Paris, A. Colin, 1969, T. I, p. 152. H. Méthivier estime que cet auteur est l’historien de la « légende carolingienne », simple légitimation historico-idéologique de l’ancienne noblesse, L’ancien régime en France. xvième-xviième-xviiième siècles, Paris, P.U.F., 1981, p. 446. J. Meyer ne voit, également, en Boulainvilliers qu’un rétrograde. En effet, il remarque que cet auteur constitue l’une des références des parlementaires du xviiième siècle, lorsqu’ils mèneront une opposition aristocratique et réactionnaire contre Louis XV, La France moderne, in J. Favier (sous la dir. de), Histoire de France, Paris, Fayard, 1985, T. III, p. 437. C’est la même place qu’offre E. Le Roy Ladurie à Henri de Boulainvilliers dans son ouvrage sur l’ancien régime. L’auteur n’hésite pas à ranger Boulainvilliers parmi « d’obscurs théoriciens de la noblesse », L’ancien régime de Louis XIII à Louis XV. 1610-1770, Histoire de France, Paris, Hachette, 1991, p. 329. Plus nuancé, D. Roche affirme que Boulainvilliers serait le soutien d’un libéralisme nobiliaire opposé au libéralisme élitaire de l’historien absolutiste Dubos, La France des Lumières, Paris, Fayard, 1993, p. 193. J.-L. Harouel, dépassant la seule perpective historiographique, n’hésite pas à affirmer que l’une des causes de la Révolution française serait la critique nobiliaire anti-absolutiste, et il cite Boulainvilliers comme l’un des plus importants théoriciens de ce mouvement d’opposition, J.-L. Harouel, J. Barbey, É. Bournazel et J. Thibaut-Payen, Histoire des Institutions de l’époque franque à la Révolution, Paris, P.U.F. "Droit fondamental", 1993, 5ème éd., p. 521 (n. 484). Dans son récent ouvrage sur le temps des Lumières, J. de Viguerie s’inscrit contre le portrait tracé jusqu’alors, voyant en Boulaivilliers un « pré-libéral » favorable à des institutions représentatives limitant le pouvoir du roi, Histoire et Dictionnaire du temps des Lumières. 1715-1789, Paris, R. Laffont "Bouquins", 1995, p. 781.
11 A. Esmein, J. Brissaud et J. Declareuil évoquent Boulainvilliers pour rappeler qu’il est le représentant le plus éminent de la théorie germaniste, selon laquelle les francs auraient envahi la Gaule et l’auraient asservie par droit de conquête, A. Esmein, Cours élémentaire d’histoire du droit français, Paris, Sirey, 1912, 11ème éd., p. 50, (lère éd., 1892) ; J. Brissaud, Manuel d’Histoire du Droit français, Paris, éd. A. Fontemoing, 1898, p. 518 ; J. Declareuil, Histoire générale du droit français des origines à 1789, Paris, Sirey, 1925, p. 91 (n. 4). Fr. Olivier-Martin, favorable à l’absolutisme, condamne sans appel les théories de Boulainvilliers, qualifiées de « pseudo-historiques » et selon lesquelles la Nation, représentée par les états généraux, pourrait contrôler le roi, Histoire du droit français des origines à la Révolution, reproduction photomécanique de l’édition de Paris, Montchrestien, 1948, Paris, C.N.R.S., 1992, pp. 364 (n. 282) et 550 (n. 407). Quant à P. Sueur, il n’hésite pas à condamner « les théories fantaisistes » de Boulainvilliers selon lesquelles la noblesse de la période moderne serait issue des anciens conquérants francs du vème siècle, Histoire du droit public français. xvème-xviiième siècle. La genèse de l’État contemporain. Affirmation et crise de l’État sous l’ancien régime, Paris, P.U.F. "Thémis", 1994 (2ème éd.), T. II, p. 519. Toutefois, P. Ourliac et J.-L. Gazzaniga reconnaissent que les théories de Boulainvilliers ont infléchi les études historiques aux xviiième et xixème siècles, Histoire du Droit privé français de l’an mil au Code Civil, Paris, A. Michel, 1985, p. 11.
12 Les archives paroissiales de Saint-Saire restent lacunaires. Cette date fut d’abord donnée par L. Moréri, Le grand dictionnaire historique, Paris, 1759, T. II, pp. 132-133. R. Simon se réfère à la déclaration de l’auteur dans un manuscrit de la Pratique abrégée des jugements astrologiques, in Henry de Boulainviller, Historien, politique, Philosophe, Astrologue, 1658-1722, thèse Lettres Lille, Gap, 1940, p. 19. Cf. également C. Carton, « Un tableau, une famille en 1676 », Revue des Sociétés Savantes de Haute-Normandie, Lettres et Sciences humaines, 1974, N° 76, pp. 3-22. Cet auteur s’appuie sur Rotuli Scaccarii Normanniae, II, ch. XXXIII.
13 De La Chenaye-Desbois et Badier, Dictionnaire de la noblesse, nouvelle éd., Paris, 1863, T. III, p. 712 ; R. Simon, op. cit., eod. loc.
14 Sur ce point, voir F. Formel, Alliances et généalogie à la cour du grand roi : le souci généalogique chez Saint-Simon, Paris, Éditions Contrepoint, 1983, pp. 113 sq. ; H.A. Ellis, « Genealogy, History, and Aristocratic Reaction in Early Eighteenth-Century France : the Case of Henri de Boulainvilliers », The Journal of Modem History, june 1986, vol. 58, N° 2, pp. 415-451.
15 Voir Description d’un manuscrit intitulé mémoires généalogiques et historiques de la maison de Boulainvilliers, B.N., Ms. Fonds français, dossiers bleus 119, fol. 123-124 ainsi que R. Simon, op. cit., p. 10. Cette assertion ne reposait évidemment sur aucune preuve tangible. De fait, la liaison entre aristocratie saxonne déportée et noblesse de l’époque moderne était une aberration au regard des lois de l’hérédité biologique -dont Boulainvilliers n’avait pas connaissance- ou des connaissances généalogiques de l’époque. Pourtant, l’auteur reprendra l’idée dans ses œuvres sous forme d’une assertion historiographique. Il affirmera ainsi que certains membres de l’aristocratie de l’époque moderne pouvaient être issus de cette noblesse saxonne déportée par l’empereur à la barbe fleurie, Mémoire sur la noblesse du royaume de France fait par M. le comte de Boulainvilliers, s.d., fol. 17 verso et 21. Voir également la version de ce texte issue d’un manuscrit de la Bibliothèque Municipale de la ville d’Angoulême, dans A. Devyver, Le sang épuré. Les préjugés de race chez les gentilshommes français de l’ancien régime (1560-1720), Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1973, pp. 519 (n. 9) et 521 (n. 10).
16 Cette prétention -qui était déjà celle des ascendants de Boulainvilliers-devait ainsi être remise en cause au milieu du xviiième siècle. Voir dans ce sens G.A. de La Roque (Seigneur de la Lontière), Histoire généalogique de la maison de Harcourt, Paris, 1662, T. II, L. XII, p. 1721. Surtout, Note de M. D’Hozier sur le nobiliaire de Picardie d’Audiguer (s.d., A.N. M.M. 1013, fol. 40), d’Hozier de Serigny étant chevalier et juge d’arme de la noblesse, qui a dressé les procès-verbaux de noblesse des élèves de l’École royale militaire entre 1753-1790, voir Ms. Fonds français 32060-32099. Enfin, voir De La Chenaye-Desbois et Badier, op. cit., eod. loc. Contra, voir R. Simon, op. cit., p. 16. Sur le détail de la controverse généalogique, voir H.A. Ellis, op. cit.
17 A.N., M. 353 (le dossier relatif à Boulainvilliers est le N° 2).
18 Ibid., pièce N° 1 (copie de l’arrêt).
19 A.N., M. 353 (dossier N° 2, voir les pièces de 2 à 20).
20 Les données relatives à une telle ascendance restent sujettes à caution. Il faut confronter aux généalogies établies par Boulainvilliers les données contradictoires proposées par les généalogistes qui se sont intéressés à la question. Ainsi, comparer Abrégé des familles considérables par leur ancienneté ou par les charges qu’elles possèdent, s.d., A.N. M.M. 1013, fol. 356 (vraisemblablement du xviiième siècle compte tenu des autres documents contenus dans ce manuscrit) qui confond deux familles Boulainvilliers homonymes, et les données du Dictionnaire de la noblesse, Paris, 1771, 2ème éd., T. II, pp. 739-740, ainsi que De La Chenaye-Desbois et Badier, op. cit., eod. loc, et enfin les données éparses et rarement reliées entre elles selon une stricte logique temporelle de R. Simon, op. cit., pp. 9-16.
21 Les Boulainvilliers vont affronter la grande enquête de noblesse entamée dès 1666, au début du règne personnel de Louis XIV, enquête qui se terminera en 1718. La noblesse de la famille sera maintenue le 18 avril 1668, cf De La Chenaye-Desbois et Badier, op. cit., eod. loc, ainsi que E. de Magny, Nobiliaire de Normandie, (réimpression de 1863), Paris, Contrepoint, 1974, p. 30. Sur les conditions de l’enquête en Normandie, E. Esmonin, La taille en normandie au temps de Colbert (1661-1683), thèse Lettres Paris, Paris, Hachette, 1913, pp. 202-224. Sur les conditions générales de la mise en place de l’enquête de noblesse en France, consulter R. Mousnier, Les Institutions de la France sous la monarchie absolue (1598-1789), Paris, P.U.F., 1996 (3ème éd.), T. I, pp. 113-114.
22 De La Chenaye-Desbois et Badier, op. cit., eod. loc.
23 Cette hiérarchie avait été établie par, l’Édit d’Henri III de 1582 posant une échelle des fiefs de dignités.
24 J.-P. Labatut, Les noblesses européennes de la fin du xvème siècle à la fin du xviiième siècle, Paris, P.U.F., 1978, p. 65.
25 Ibid., p. 76.
26 Le collège devient, dès le xviième siècle, l’étape obligatoire de l’éducation du jeune noble, R. Chartier, M.M. Compère et D. Julia, L’éducation en France du xvième au xviiième siècle, Paris, C.D.U./S.E.D.E.S., 1976, pp. 179-181 et F. Lebrun, M. Vénard, J. Quéniart et L.H. Parias (sous la dir. de), Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, Paris, Nouvelle librairie de France, 1981, T. II, p. 510. Bien sûr, la population des collèges est surtout représentée par l’élite bourgeoise, D. Julia et alii, op. cit., p. 193.
27 R. Simon affirme qu’un manuscrit d’Amiens indiquerait simplement que Boulainvilliers aurait fait ses études à "Piquepuce", et ce, sans plus de détail, op. cit., p. 23. Le nom de "Piquepuce" semble évoquer les conditions d’un hébergement de fortune. Or, les établissements préparatoires à l’entrée dans les collèges consistaient souvent en une modeste pension, F. Lebrun et Alii, op. cit., pp. 501-502.
28 C. Hamel, Histoire de l’Abbaye et du collège de Juilly depuis leur origine jusqu’à nos jours, Paris, Douniol, 1868, p. 563. Cette information est corroborée par R. Simon qui s’appuie sur des données que lui a communiquées l’abbé Bonnardet, censeur de Juilly à l’époque de la rédaction de la thèse de cette dernière, op. cit., eod. loc.
29 D. Julia et alii parlent d’une « élite de la fortune », op. cit., p. 180.
30 En effet, le choix des familles pour l’enseignement des Oratoriens était dicté essentiellement par la méfiance à l’égard des jésuites ou le goût pour le jansénisme, doctrine qui devait influencer profondément cet ordre, F. Lebrun et alii, op. cit., p. 509. Sur le jansénisme de l’oratoire, voir W. Frijhoff et D. Julia, « Les Oratoriens sous l’ancien régime », Revue de l’Histoire de l’Église de France, 1979, T. 65, pp. 225-265. Ce n’est vraisemblablement pas le jansénisme qui semble avoir poussé les Boulainvilliers à choisir Juilly. En effet, cette doctrine devait être reçue essentiellement dans l’aristocratie de robe. De plus, on ne retrouve pas dans les ouvrages ultérieurs d’Henri de Boulainvilliers de référence au credo janséniste. Par contre, le comte normand n’hésite pas à condamner les jésuites. Il remarque ironiquement, « dans la société des jésuites on met mieux à profit les pensées de Saint-Augustin (...) c’est lui qui a donné pour maxime, que la très bonne manière d’apprendre, c’est d’enseigner aux autres ce qu’on n’a jamais su. C’est ce qu’ils (les jésuites) pratiquent sans danger dans les écoles. Mais si cet usage est toléré dans les collèges, il ne le peut être à l’égard du public », Lettres sur les anciens Parlements de France que l’on nomme états généraux, Londres, Τ. Wood and S. Palmer, 1753, T. III, p. 199.
31 C. Hamel, op. cit., eod. loc. et R. Simon, op. cit., eod. loc.
32 Boulainvilliers accomplit sa sixième et sa cinquième en une seule année, R. Simon, op. cit., p. 25.
33 F. Lebrun et alii, op. cit., pp. 513 sq. et R. Simon dont les informations sur la scolarité de Boulainvilliers confirment la tendance générale des enseignements évoquée par l’ouvrage précédent, R. Simon, op. cit., eod. loc. Sur l’enseignement des Oratoriens et notamment à Juilly, outre l’ouvrage de C. Hamel op. cit., voir J. de Giry, Juilly. 1197-1977. Huit siècles d’histoire, Collège de Juilly, 1976.
34 Cf. R. Simon, op. cit., eod. loc.
35 Eod. loc.
36 Voir J. Steinmann, R. Simon et les origines de l’exégèse biblique, Paris, Desclée de Brouwer, 1960, ainsi que P. Auvray, R. Simon (1638-1712). Étude bio-bibliographique, Paris, éd. du Cerf, 1974.
37 En ce qui concerne l’influence de Simon sur Boulainvilliers, il faut d’abord considérer que le prêtre ne dispensait qu’un enseignement de rhétorique et ne pouvait certainement pas parler à son aise de ses travaux, d’autant que l’état de la congrégation indiquait que les enseignants de l’oratoire devaient, « dans leur enseignement, suivre les méthodes éprouvées, éviter les questions contestées et ne jamais parler de politique », cité par C. Hamel, op. cit., p. 245. Toutefois, P. Vernière soutient que Simon qui était en train de traduire Les cérémonies des juifs de Léon de Modène aurait mis ses meilleurs élèves dans la confidence, Spinoza et la pensée française avant la Révolution, Paris, P.U.F., 1954, vol. 1, p. 307. Plus vraisemblable est la deuxième affirmation de Vernière, selon laquelle Simon aurait suscité l’intérêt de ses élèves pour l’histoire des religions. Si l’on cherche dans l’œuvre du comte l’influence de l’exégète oratorien, il faut d’abord remarquer que Boulainvilliers a d’abord adopté une attitude franchement hostile à la critique historique stricte des textes de la religion catholique. Mais, vers 1700, il change d’opinion et cherche à concilier l’Écriture avec la science physique. Il s’engage ainsi dans une critique rationaliste du miracle. Cf. P. Vernière, ibid., vol. 1, p. 313.
38 R. Simon, op. cit., p. 26.
39 F. Lebrun et alii, op. cit., p. 521.
40 Voir R. Simon qui retrace la généalogie de Boulainvilliers en se fondant justement sur les généalogies élaborées par le comte normand et qui traduisent la conscience que l’aristocrate avait de son passé, op. cit., pp. 10-16.
41 Cf. C. Carton, op. cit. Le tableau atteste que le jeune Henri avait été élevé selon les valeurs classiques de la noblesse de sang, qui voyait dans l’épée la seule fonction légitimante de la noblesse dans la société. Voir E. Schalk, L’épée et le sang. Une histoire du concept de noblesse (vers 1500 - vers 1650), Seyssel, Champ Vallon, 1996 (édition française de From Valor to Pedigree. Ideas of nobility in france in the Sixteenth and Seventeenth Century, Princeton, Princeton University Press, 1986).
42 L. Moréri, op. cit., eod. loc.
43 La seule mention de ces voyages se trouve dans un factum relatif à un procès entre Boulainvilliers, son beau-frère et son beau-père. Dans ce document, il est écrit qu’« à l’égard du Sieur comte de Boulainvilliers (...) il a été neuf ans dans le service, il a voyagé en Allemagne et en Angleterre durant la paix », Procès verbal de M. Le Nain, 17 août 1694 B.N., M.S.F., dossiers bleus, 119, fol. 85 sq. R. Simon en a déduit que ces voyages durent avoir lieu entre 1688 et 1689, car il a quitté le service en 1688 et s’est marié en 1689, op. cit., p. 31 (n. 70). Mais, en fait, la période de paix en France ne s’étend que de la paix de Ratisbonne de 1684 à la déclaration de guerre de la France à la Hollande du 26 novembre 1688. En conséquence, rien n’empêche de penser que ces voyages ont été antérieurs à 1688.
44 Ainsi, en Beauce, en 1600, les lignages nobles militaires disposaient de deux fois plus de terre que ceux qui s’abstenaient de faire la guerre, J.-M. Constant, La noblesse française aux xviième et xviiième siècles, Paris, Hachette 1994, p. 171, (lère éd., Paris, Hachette, 1985). En Bretagne, il est possible d’observer, tant au xvième qu’au xviième siècle, une rareté des carrières militaires dans la petite noblesse, M. Nassiet, Noblesse et pauvreté. La petite noblesse en Bretagne xvème-xviiième siècle, Rennes, Archives Historiques de Bretagne, N° 5, 1993, pp. 138-146. Cette absence d’argent devait d’autant plus cruellement faire défaut à Boulainvilliers, qu’à partir de 1688 la paix allait être rompue. Or, les périodes de guerre engendraient plus de frais pour le soldat.
45 Il est en effet plausible de penser que le différend qui les opposait allait inciter François de Boulainvilliers à couper les vivres à son fils.
46 Pour le détail du procès qui dura de 1685 à 1690, voir H.A. Ellis, op. cit.
47 R. Simon, op. cit., p. 28.
48 En effet, le Juge d’armes de Neuchâtel indique qu’« Henry de Boulainvilliers, seigneur et patron de Saint-Saire en Bray, du Mesnil Mauger, de Beaubec-la-ville, présenta ses armes au bureau de Neuchâtel en Normandie le 26 juin 1697 », et que « séparément François de Boulainvilliers, seigneur usufructuaire de Saint-Saire, de Nesle présenta les siennes le 13 juillet 1697 », B.N., Ms. Fonds français, dossiers bleus 119, fol. 101 recto. Cette solution s’avérait provisoire. François de Boulainvilliers devait décéder le 13 décembre 1697, R. Simon, op. cit., p. 30. Dès lors, l’intégralité des seigneuries allait revenir au comte Henri. En effet, la coutume de Normandie prévoyait le droit d’aînesse mâle pour la succession des biens nobles, E.-J. Tardif, Coutumier de Normandie, Rouen-Paris, 1903, T. I, IIème partie, art. LXXXIV, § 4-6, p. 78.
49 R. Simon, op. cit., pp. 28-30.
50 On a écarté ici quatre de ses Mémoires dont l’attribution à Boulainvilliers semble douteuse, cf. bibliographie.
51 Pour un récapitulatif général, consulter la bibliographie.
52 Notamment, à partir de 1727, date à laquelle ses œuvres politico-institutionnelles les plus importantes, ses Mémoires historiques sur l’ancien gouvernement de cette monarchie jusqu’à Hugues Capet et ses quatorze Lettres sur les anciens Parlements de France que l’on nomme états généraux, seront publiées, cf. bibliographie.
53 Cf., A.N., M.C. XIV 255, février 1722.
54 Sur ce point, voir les arguments invoqués en bibliographie.
55 Cf. bibliographie.
56 R. Simon insiste sur la pauvreté de Boulainvilliers, op. cit., p. 30. Un historien-anthropologue a soutenu qu’en affirmant que la nécessité de l’argent a conduit la noblesse à s’abaisser, Boulainvilliers ne se fait pas seulement l’interprète de la réaction instinctive d’une catégorie sociale, soucieuse de maintenir son statut, A. Devyver, op. cit., p. 355. Ceci implique donc pour cet historien que le déterminant social fut tout de même l’un des ressorts de l’élaboration de la pensée de Boulainvilliers,.
57 Ce terme -qui vise la noblesse si pauvre qu’elle devait être exemptée de capitation- se retrouve chez J. Meyer, dans l’un de ses articles des années 1970 invitant les historiens à repenser le problème de la noblesse pauvre dans les derniers siècles de l’ancien régime, « Un problème mal posé : la noblesse pauvre. L’exemple breton au xviième siècle », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, avril-juin 1971, T. XVIII, pp. 161-188. On retrouve la catégorie de plèbe nobiliaire dans la thèse d’un élève de J. Meyer qui devait appliquer les méthodes de son maître à l’exemple breton, M. Nassiet, op. cit., p. 210. M. Meyer considérait, en étudiant l’exemple breton au xviiième siècle, que le seuil de l’aisance pour la haute noblesse n’existait qu’au-delà de 10.000 à 20.000 livres. Pour la moyenne et petite noblesse cette même « aisance » varie entre 1000 et 3000 livres, « Un problème mal posé : la noblesse pauvre. L’exemple breton au xviième siècle », op. cit. Ces chiffres ont été récemment affinés pour la fin du xviième siècle et le début du xviiième siècle pour la même Bretagne. La petite noblesse est constituée par les familles qui détiennent entre 300 et 900 livres de rentes annuelles, M. Nassiet, op. cit., p. 206. A côté de ces chiffres, dont la valeur reste purement indicative, il existe un second élément qui milite en défaveur de la pauvreté de Boulainvilliers. Son contrat de mariage fut signé à Versailles par des membres de la famille royales, dont Louis XIV, ce qui représente somme toute une coûteuse forme de représentation sociale, H. A. Ellis, op. cit.
58 J. Meyer affirme que « le principal est de savoir comment la noblesse française a réellement ressenti la pauvreté (...) il existe une noblesse qui se sent pauvre en fonction de ses besoins particuliers, sans que pour autant le tiers état et surtout le peuple des campagnes, ressentent ce niveau de "richesse" comme typique de la pauvreté », thème de recherche qui appartient selon l’auteur à « l’histoire des mentalités sociales » (« Un problème mal posé : la noblesse pauvre. L’exemple breton au xviième siècle », op. cit., p. 166), ou plus prosaïquement ici à la perception qu’a Boulainvilliers de sa place dans la hiérarchie sociale.
59 Boulainvilliers (M. le comte de), Essais sur la noblesse de France contenant une dissertation sur son origine et son abaissement, Amsterdam, 1732, p. V.
60 A.N. M. 353, dossier N° 2, (pièce N° 21), Acte de donation royale d’une terre d’alluvions dans le Marquenterre, don du Régent. Sur les difficultés juridiques que rencontra la famille de Boulainvilliers pour détenir définitivement ce bien, voir R. Simon, op. cit. pp. 32-35. Le Régent devait également attribuer une pension de 3000 livres à la seconde femme de Boulainvilliers lorsqu’elle devint veuve, R. Simon, op. cit., p.43 et H.A. Ellis, op. cit.
61 Saint-Simon (M. le Duc de), Mémoires de Saint-Simon, éd. Boislisle, Paris, Hachette, 1905, T. XXVI, pp. 245-247. H.A. Ellis a soutenu que Saint-Simon, faisant partie des plus grosses fortunes de France, ne pouvait ranger Boulainvilliers que parmi les membres pauvres de la noblesse (op. cit., p. 421). Pourtant, cet historien affirme que les remarques du duc ne sauraient représenter un fait absolu. De fait, pourquoi l’historien devrait-il mépriser à ce point un fait d’ordre psychologique ? Une telle attitude est incompatible avec l’établissement d’une histoire des mentalités qui s’appuie d’abord sur les perceptions mentales des acteurs de l’époque. Le témoignage de Saint-Simon est d’autant moins douteux que, comme l’a montré R. Simon, le célèbre mémorialiste, généralement si féroce, adopte une attitude très favorable au comte de Saint-Saire, op. cit., pp. 35-36. Attitude d’autant plus remarquable que Boulainvilliers n’avait pas hésité à l’égratigner en opposant une critique au mémoire sur la renonciation du roi d’Espagne rédigé par le duc, Réflexions et considérations sur le Mémoire des formalités nécessaires pour valider la renonciation du roy d’Espagne (cf. bibliographie).
62 En effet, même si les vieilles familles nobles préféraient se marier entre elles, les difficultés financières qu’elles pouvaient rencontrer devaient les amener à développer des stratégies matrimoniales qui assurent à leur lignée un riche héritage, de l’argent frais ou des terres. Elles n’hésitaient pas à opérer une alliance avec une famille fraîchement anoblie, ou de noblesse de robe, voire avec la roture, J.-M. Constant, op. cit., pp. 118-119. L’exemple de Boulainvilliers témoigne de la complexité des stratégies mises en œuvre. En effet, il devait perdre ses deux fils en 1709. Le premier, mousquetaire, fut tué à la bataille de Malplaquet, le second, ecclésiastique, devait décéder vraisemblablement de maladie, De La Chenaye-Desbois et Badier, op. cit., eod. loc. et R. Simon, op. cit., p. 31. Il ne lui restait plus que deux filles. Il est vrai qu’il allait marier, en 1721, sa première fille à un riche seigneur de vieille noblesse, François de la Fontaine-Solare, Comte de la Boissière, De La Chenaye-Desbois et Badier, op. cit., T. VII, p. 239 et R. Simon, op. cit., p. 43. Mais il allait d’abord unir, en 1719, sa seconde fille, Suzanne, à Gabriel Bernard, Comte de Rieux, fils du célèbre banquier roturier de Louis XIV, Samuel Bernard, De La Chenaye-Desbois et Badier, op. cit., T. III, p. 714 et R. Simon, op. cit., eod. loc. Ce second fait révèle le sens de la stratégie matrimoniale de Boulainvilliers. En effet, il faut rappeler que la coutume de Normandie prévoyait le partage égalitaire, entre les filles, des biens nobles selon la règle « Tout franc tenement doit estre départi entre seurs », E.-J. Tardif, op. cit., art. IX, § 1, p. 8 ; P. Ourliac et J. de Malafosse, Histoire du droit privé. Le droit familial, Paris, P.U.F., 1968, T. III, p. 402. L’antériorité du mariage de la seconde fille, qui tranche avec les habitudes de l’époque, ainsi que la signification juridique de cette alliance, à savoir que la moitié des biens nobles de Boulainvilliers devaient échoir à une famille encore hier roturière, témoigne du besoin que ce dernier avait de s’associer à la richesse des Bernard.
63 R. Chartier, Au bord de la falaise. L’histoire entre certitudes et inquiétude, Paris, A. Michel, 1998, pp. 54 sq.
64 F. Bluche, La vie quotidienne de la noblesse française au xviiième siècle, Paris, Hachette, 1973, p. 231.
65 Les quelques fragiles informations, issues des catalogues des manuscrits des bibliothèques publiques, incitent à moduler le jugement de F. Bluche. Ainsi, l’un des manuscrits de Boulainvilliers, qui demeurent aujourd’hui, appartenait au comte de Toulouse, prince de la famille royale, A. Molinier, Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque Mazarine, T. II, p. 519 et Τ. III, p. 1. Des manuscrits ont appartenu à Alexandre-Marie-François de Paule de Dompierre, Seigneur d’Hornoy Fontaine, qui n’avait rien d’un pauvre noble de campagne puisqu’il occupait la fonction de conseiller du roi, Louis Engeraud, Catalogue des manuscrits de la bibliothèque du Sénat, Paris, Plon, 1908, p. 124. La même observation peut être faite à l’égard des manuscrits conservés à la Bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence et qui appartenaient à Jean-François de Creil, Seigneur de Soisy, Catalogue des manuscrits de la bibliothèque municipale d’Aix-en-Provence, Paris, Plon, 1994, p. 199. Ce dernier fut dans la première moitié du xviiième siècle lieutenant général des aimées du roi et gouverneur de la ville et des citadelles de Thionville. Ce qui l’exclut du rang des petits seigneurs de campagne, De la Chenaye-Desbois et Badier, op. cit., T. III, pp. 452-453. Le Normant, Évêque du riche évêché d’Évreux possédait, également, des manuscrits de Boulainvilliers, H. Omont, Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque municipale de Rouen, Paris, Plon, 1886, p. 292. A l’inverse de F. Bluche, J.-M. Constant affirme que « dans l’état actuel de la recherche, il est difficile d’affirmer que la noblesse se reconnaissait en Boulainvilliers ou Fénelon. Avait-elle seulement pour objectif de partager le pouvoir avec le roi ? », op. cit., p. 238. Cependant, cette opinion semble exagérer le dédain de la noblesse pour l’opposition politique. Il convient alors de se demander comment envisager les relations entre l’attitude politique de la noblesse et Boulainvilliers. Il semble tout d’abord utile de rappeler que la noblesse ne forme pas un groupe unifié. Elle est un ordre déchiré par les querelles entre la robe et l’épée, ainsi que par l’opposition entre vieille noblesse et familles fraîchement anoblies. En effet, il est clair que la noblesse de la fin du xviième siècle et du début du xviiième siècle ne formait pas un groupe social homogène, apte à défendre une position politique uniforme, comme en témoigne l’étude de J.-D. Lassaigne, Les assemblées de la noblesse de France aux xviième et xviiième siècles, Paris, éd. Cujas, 1965 (voir surtout le témoignage du Président Lavie en conclusion, p. 158). Ainsi, Boulainvilliers ne saurait être réduit au rôle de simple idéologue. D’ailleurs, il existe dans son œuvre une intention polémique historiographique indéniable. Il faut ajouter à cela que Boulainvilliers n’a vraisemblablement ni assisté ni soutenu aucune assemblée de la noblesse. J.-D. Lassaigne affirme le contraire sur ce point. Il affirme que le Mémoire de la noblesse de France contre les Ducs et Pairs rédigé en 1717, véritable résumé des doléances de l’assemblée de la noblesse, devait être de Boulainvilliers, op. cit., pp. 137 et 144-146. Mais ce document est anonyme. M. Ellis dit, au contraire, que cet ouvrage serait de l’abbé Louis Legendre, pamphlétaire au service des princes légitimés, Boulainvilliers and the French Monarchy. Aristocratic Politics in Early Eighteenth-Century France, Ithaca and London, Cornell University Press, 1988, p. 183. D. Venturino affirme que l’argumentation de M. Ellis ne serait pas convaincante et se refuse à ranger le mémoire dans les attributions erronées ou douteuses, Le ragioni délia tradizione : Nobilità e mondo moderno ni Boulainvilliers (1658-1722), Turin, Casa éditrice de Le Lettere, 1993, p. 348. Pourtant, le chercheur italien ne propose pas de contre-argumentation. Le mémoire n’est certainement pas de Boulainvilliers. Différents arguments vont dans ce sens. En fait, le Régent était hostile aux assemblées de la noblesse, J.-D. Lassaigne, op. cit., p. 137. Boulainvilliers, qui avait reçu un don important de Philippe d’Orléans, en septembre 1716 devait conserver de bonnes relations avec le Duc de Noailles, alors Président du Conseil des Finances (dont l’aristocrate normand était le "client", cf. infra). Il n’avait donc aucune raison de participer à un mouvement que rejetait le pouvoir en place. La même raison détruit l’assertion d’A. Devyver selon laquelle Boulainvilliers aurait simplement participé à une session de l’assemblée de la noblesse en 1716, op. cit., p. 394. Le savant belge s’appuie sur un passage de Lancelot, Mémoires concernant les pairs de France avec les preuves, Paris, 1720, dans lequel est cité « le Comte de Boulainvilliers » donnant son avis à ladite séance. Il s’agit en fait d’un homonyme du comte Henri de Boulainvilliers, vraisemblablement Louis-Joseph d’Hallaincourt de Boulainvilliers, signataire d’une protestation de la noblesse du 11 juin 1717, A.N., K. 556, N° 13 et 115 et B.N., Ms. Clairambault 721, fol. 911 sq., reproduit dans J.-D. Lassaigne, op. cit., pp. 248-249. Pour autant, les ouvrages de Boulainvilliers traduisent bien un malaise politique. Mais, le fait de retrouver ses ouvrages chez différentes catégories sociales de lecteurs montre que cet auteur proposait plus un modèle général pour penser la crise de la société d’ancien régime, qu’un simple message partisan, propre à un groupe social parfaitement caractérisé.
66 Boulainvilliers va ainsi corriger l’enquête demandée par le duc de Bourgogne aux intendants de France en 1697. Il écrit son fameux État de la France... (cf. bibliographie). Sur ce point, voir E. Esmonin, « Les mémoires des intendants pour l’instruction du duc de Bourgogne (étude critique) », in du même auteur, Études sur la France des xviime et xviiime siècles, Paris, P.U.F., 1964, pp. 113-130. Il n’a pas été possible de retrouver de document précis sur les relations entre le cercle du Duc de Bourgogne et Boulainvilliers. Il faut seulement signaler que le duc de Beauvilliers, personnage clef du cercle d’aristocrates réunis autour du prince, devait être témoin lors de la passation du contrat de mariage entre Boulainvilliers et sa première épouse, A.N., M.C. Cil, 148 (20 août 1689), cf. également H.A. Ellis, « Genealogy, History, and Aristocratie Reaction in Early Eighteenth-Century France : the Case of Henri de Boulainvilliers », op. cit., p. 422. Cet indice permet de penser qu’il y a eu des contacts entre Boulainvilliers et le cercle de Bourgogne. Sur le cercle de Bourgogne, voir G. Tréca, Les doctrines et les réformes du droit public en réaction contre l’absolutisme de Louis XIV dans l’entourage du duc de Bourgogne, thèse Droit, Paris, 1909, et plus récemment N.O. Keohane, Philosophy and the State in France : The Renaissance to the Enlightenment, Princeton N.J., Princeton University Press, 1981, pp. 332-338.
67 Le Duc de Noailles fut Président du Conseil des finances de 1715 à 1718. Son goût pour l’astrologie semble expliquer sa rencontre avec Boulainvilliers, Saint-Simon, op. cit., eod. loc, ainsi que R. Simon, op. cit., eod. loc. La nature des relations entre le Duc et Boulainvilliers réside avant tout dans le clientélisme. Le comte devait ainsi recourir à l’appui de Noailles pour faire nommer un candidat au prieuré de Neuchâtel, ce que montre la lettre du 21 avril 1716 du Duc de Noailles à l’archevêque de Rouen (B.N., Ms. Fonds français 6929, N° 8, fol. 229-230) et la lettre de la même date du Duc à Boulainvilliers, ibid., fol. 231. Surtout Boulainvilliers devait être, selon Bougainville, l’un des membres éminents d’un club de réflexion rassemblé autour du duc de Noailles, I.O. Wade, The clandestine organization and diffusion of philosophic ideas in France 1700 to 1750, New-York, Octagon books inc., 1967, p. 98. C’est là qu’il devait vraisemblablement faire la rencontre de l’historien Fréret (1688-1749). Ce dernier allait se rendre célèbre au début du xviiième siècle comme historien de la France. Il devenait membre de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, M.-B. Guerrin, « Deux amis. Nicolas Fréret (1688-1749) Henry de Boulainvilliers (1658-1722) », Dix-septième siècle, 1950, N° 7-8, pp. 197-204.
68 Aucune correspondance directe entre Boulainvilliers et le Régent n’a été trouvée. Il semble raisonnable de penser que c’est le duc de Noailles qui s’était fait le défenseur de Boulainvilliers à la Cour.
69 R. Simon, op. cit. pp. 358 sq. ; H. de Boulainvilliers, Oeuvres philosophiques, éd. Renée Simon, La Haye, Martinus Nijhoff, 1973.
70 P. Vernière, op. cit., pp. 306-322.
71 J. Deprun, « Boulainvilliers et Spinoza », in O. Bloch (sous la dir. de), Spinoza au xviiième siècle, Paris, Méridiens/Klincksieck "Philosophe", 1990, pp. 29-32. Cette courte note sur Boulainvilliers est fort intéressante car J. Deprun montre les emprunts conceptuels philosophiques de l’aristocrate à Malebranche et à Locke.
72 S.M. Zaccone, « L’interpretazione della "Genesi" in H. de Boulainvilliers, Fonti : Jean Leclerc e Thomas Burnet », Rivista di filisofia neo scolastica, 1980, N° 72, pp. 494-532 et 705-733 ; 1981, N° 73, pp. 157-178.
73 D. Venturino, op. cit. pp. 1-192.
74 M. Belliot, Boulainvilliers : Études de Droit public au xviiième siècle, thèse Droit, Caen, 1888.
75 Ibid., p. 128.
76 R. Simon, Henry de Boulainvilliers, Historien, Politique, Philosophe, Astrologue, 1658-1722, op. cit., p. 672.
77 H.A. Ellis, Boulainvilliers and the French Monarchy. Aristocratic Politics in Early Eighteenth-century France, op. cit., p. 283.
78 Ibid., p. 214.
79 D. Venturino, op. cit., chap. VI et VII, passim.
80 Ibid., pp. 295-302.
81 Sur l’existence d’une conception constitutionnelle chez Boulainvilliers, voir le troisième chapitre de la seconde partie de cette étude. A propos de l’influence du modèle de Boulainvilliers sur la conception constitutionnelle moderne, voir des éléments dans G. Lobrano, Diritto publico romano et costituzionalismi moderni, Sassari, éd. C. Delfïno, 1995, p. 7.
82 D. Venturino, op. cit., p. 313.
83 S. Goyard-Fabre soutient que « la philosophie politique ne doit pas s’en tenir, sous peine de ne pas être une philosophie, au dessein historiciste des institutions ou de leur fonctionnement. Il lui faut aller au-delà de la facticité et du positivisme scientiste qui s’en empare », Philosophie politique xvième-xxème siècle, Paris, P.U.F. "Droit fondamental", 1987, p. 13 (n. 4). La démarche de l’historien des institutions est bien plus modeste. Elle n’a pas les ambitions théoriques universelles de la philosophie politique. L’historien du droit s’intéresse au passé des institutions, au risque -peut-être- de l’historicisme et du positivisme, en ne se préoccupant que de faits positifs. Pour un positivisme élargi aux faits mentaux chez les historiens des institutions, voir B. Biancotto, O. Tholozan, E. Tillet, « Variations sur les concepts juridico-politiques en Histoire », Revue de la Recherche Juridique. Droit prospectif, 1996-4, pp. 1085-1099. Pour une démarche plus structuraliste, voir N. Rouland, « Persistance et invariances : Structure, Histoire, Droit », Revue de la Recherche Juridique. Droit prospectif, 1985-3, pp. 732-771. Il est alors tenu de s’intéresser à la pensée politique car, comme le rappelle P. Ourliac, « il existe dans toutes les institutions (...) une pensée politique actuelle ou virtuelle qui seule permet d’en comprendre l’essence », « Jean-Jacques Chevallier, Historien de la pensée politique », Revue d’Histoire du Droit Français et Étranger, 1981, N° 4, p. 656.
84 Pour une démarche analogue appliquée à l’histoire de France, voir J.-P. Brancourt, Le duc de Saint-Simon et la monarchie, Paris, éd. Cujas, 1971 ; E. Schalk, op. cit., p. 7. Mais la méthode utilisée dans cette dernière étude est nettement plus "anthropologiste". Pour une application totale de l’anthropologie et de ses catégories à un problème d’histoire moderne, voir E. Le Roy Ladurie, Saint-Simon ou le système de la Cour, Paris, Fayard, 1997.
85 P. Ansart, Les idéologies politiques, Paris, P.U.F., 1974, p. 24.
86 C. Victor-Langlois, C. Seignobos, Introduction aux études historiques, rééd., Paris, Kimé, 1992, p. 160, (lère éd., Paris, Hachette 1898).
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La modernité du concept de nation au XVIIIe siècle (1715-1789)
Apports des thèses parlementaires et des idées politiques du temps
Ahmed Slimani
2004
Les avocats à Marseille : praticiens du droit et acteurs politiques
xviiie et xixe siècles
Ugo Bellagamba
2001
Henri de Boulainvilliers
L’anti-absolutisme aristocratique légitimé par l’histoire
Olivier Tholozan
1999
Homo Civilis. Tome I et II
Contribution à l’histoire du Code civil français (1804-1965)
Jean-François Niort
2004