Les offres de formation à la médiation et les enjeux professionnels (Table ronde)
Le point de vue de l’avocat
p. 168-175
Texte intégral
1Lors de cette table ronde, l’intervenant se propose de développer deux points pour contribuer à la connaissance et à la réflexion relatives à la formation à la médiation des avocats.
2Seront d’abord présentées les modalités de cette formation ; s’ensuivra une réflexion sur les enjeux professionnels pour la profession d’avocat.
I. La formation à la médiation des avocats
A. Le rôle historique de la FFCM
3La Fédération Nationale des Centres de Médiation (FNCM), devenue aujourd’hui Fédération Française des Centres de Médiation (FFCM)1, a joué un rôle historique déterminant dans la promotion et le développement de la médiation au sein de la profession d’Avocat, par la création de centres de médiation, en partenariat avec les Ordres.
4Elle a contribué à maintenir une exigence de qualité en veillant au respect des règles d’éthique et de professionnalisme qu’elle a édictées.
5Elle a tissé des partenariats avec les Universités, les Chambres de commerce, les Ordres professionnels, pour proposer des formations pertinentes et qualifiantes.
6Les formations dispensées le sont toutes par des médiateurs praticiens.
7La Fédération a également mis en place un livret du médiateur permettant à chaque praticien de suivre et justifier de son parcours de formation, ainsi qu’un Annuaire National des Médiateurs de la Fédération, regroupant l’ensemble des médiateurs agréés et des organismes de formation reconnus pour leurs compétences et leur respect de la déontologie.
8La reconnaissance des formations par la Fédération accompagne les démarches de prise en charge des professionnels auprès de leurs organismes de formation continue2.
B. Le parcours de formation des médiateurs
9La formation des médiateurs comprend un parcours de formation obligatoire d’au moins 200 heures, dont la moitié de pratique, que chaque médiateur doit accomplir dans un délai de cinq ans maximum, en choisissant librement son organisme de formation.
10Ce parcours contient une formation de base de 40 à 60 heures, également ouverte à toutes les personnes ayant à connaître de la gestion des conflits ou prescriptrices potentielles de médiation : y sont dispensées les notions de base, l’esprit de la médiation, ses méthodes, ses outils et le droit applicable.
11Il comprend ensuite une formation d’approfondissement d’au moins 140 heures portant sur la pratique du médiateur, sous la forme de modules d’une ou deux journées.
12Enfin, le parcours de formation se poursuit par une formation continue annuelle et/ou une ou plusieurs sessions d’analyse de pratique de 20 heures par an.
13Facultativement, un parcours de spécialisation peut être poursuivi à travers le Diplôme d’état de médiateur familial ou des diplômes universitaires de niveau Master 1.
C. Le contrôle et l’adaptation du parcours de formation
14La Fédération labellise le Centre de médiation auprès duquel le médiateur a adhéré.
15Il s’engage à respecter les statuts et le règlement intérieur de la Fédération et à suivre les formations labellisées par elle, selon les critères précédemment évoqués (cf. B).
16à titre exceptionnel, les médiateurs formés avant le 1er/01/2015, qui n’ont eu que 40 ou 50 heures de formation initiale et dont la compétence est reconnue au regard de leur expérience professionnelle, peuvent être dispensés de la formation d’approfondissement.
17Cette exception est transitoire : elle ne pourra s’appliquer que jusqu’au 01/01/2018.
18Depuis le 1er/01/2015, la formation continue de 20 heures annuelles doit être répartie entre 10 heures de formations stricto sensu et 10 heures qui peuvent se partager entre analyses et échanges de pratique, ainsi que la participation à des colloques, congrès ou séminaires.
D. L’homologation des formations
19Selon la décision à caractère normatif du Conseil national des barreaux du 25/11/20113, il revient à cet organisme représentatif de la profession d’avocat d’homologuer les établissements de formation et les actions de formation dispensées aux avocats.
20Il convient de remarquer que toutes les formations dispensées au sein des Centres de Formation des Avocats (CRFPA ou EDA) bénéficient d’une homologation de droit.
21Cette homologation est délivrée par le Conseil national des barreaux, sur proposition d’un comité scientifique, chargé de s’assurer de la qualité et de l’intérêt des intervenants et des formations.
22La personne physique ou l’organisme qui sollicite cette homologation doit au préalable avoir déclaré son activité de formateur auprès de l’autorité administrative compétente, en application de l’article L 6351-1 du Code du travail.
23Le Conseil national des barreaux référence annuellement l’ensemble des formations ou établissements de formation homologués.
E. Le référencement auprès du CNMA
24Lors de son assemblée générale des 9 et 10 décembre 2016, le Conseil national des barreaux a adopté une décision à caractère normatif portant modification du Règlement intérieur national de la profession d’Avocat4.
25Tout avocat référencé par le Centre national de médiation des avocats (CNMA) peut être investi d’une mission de médiateur.
26Le Centre national de médiation des avocats5 est un centre d’information dédié à la promotion d’une médiation de qualité ainsi qu’à la place de l’avocat dans le processus de médiation ; il ne s’agit pas à proprement parler d’un centre de médiation.
27Son objet est, notamment, de promouvoir la formation des avocats en médiation et de mettre à leur disposition des outils susceptibles de développer et de parfaire leur pratique de la médiation, qu’il s’agisse d’informations relatives aux formations dispensées en matière de médiation que d’outils techniques et espaces d’échanges entre avocats médiateurs.
28Pour être référencé sur l’annuaire du CNMA, il est demandé de justifier d’une formation qualifiante de 200 heures, réparties en 140 de formation pratique et en 60 heures de formation théorique, soit 140 heures de formation et des expériences pratiques en matière de médiation pour combler le déficit de 60 heures de formation théorique, soit encore de quatre ans de pratique de la médiation et 120 médiations, en lieu et place des 200 heures.
29Cette initiative du conseil national des barreaux pour promouvoir la médiation au sein de la profession d’avocat sera l’occasion d’amorcer une réflexion sur les enjeux pour la profession d’avocat de la formation à la médiation.
II. Les enjeux pour la profession d’avocat
A. La qualité de la formation et la posture professionnelle
30Les conditions du référencement des médiateurs issus de la profession d’avocat auprès du CNMA peuvent laisser craindre une baisse du niveau d’exigence de la qualité de la formation des médiateurs.
31La FNCM devenue FFCM avait patiemment et courageusement construit un parcours de formation alliant modules théoriques et pratiques garantissant l’acquisition de compétences professionnelles permettant d’assurer des médiations de qualité.
32Les avocats présentent, de par leur statut et leurs compétences professionnelles, des atouts indéniables pour garantir une médiation de qualité, tels que le secret professionnel, leur déontologie (garantie d’indépendance), leur adhésion à une assurance de responsabilité civile professionnelle.
33Pour autant, l’acquisition de la posture de médiateur et le respect des garanties d’impartialité et de neutralité de ce professionnel méritent de consacrer, pour l’avocat, des efforts de formation et d’expérimentations d’autant plus indispensables qu’ils ne font pas partie de sa culture professionnelle.
34Le médiateur ne fournit aucun conseil aux personnes en médiation, pas plus qu’il n’influe sur le choix des solutions qui seront trouvées ; il ne dispense aucun conseil et se départit du prisme juridique dans son appréhension de la situation conflictuelle.
35Il existe donc un risque de dévalorisation de la qualité de la prestation de médiation, dont l’exigence de formation ne serait pas maintenue à un degré de qualité suffisant.
B. L’identification des enjeux repérables et sous-jacents
36Ce risque renvoie aux formations en médiation actuellement dispensées aux professionnels tels que les Notaires, Huissiers et, en particulier, Avocats qui souffrent d’une difficulté commune : elles appréhendent la médiation tantôt comme un « marché » qui ne doit pas échapper à la profession considérée, tantôt comme une « terra incognita » dont l’attrait/répulsion résiderait davantage dans les opportunités de développement personnel ou les perspectives illusoires de reconversion que d’applications professionnelles concrètes.
37C’est dire qu’elles sont sous-tendues par l’idée (consciente ou inconsciente) d’une rupture épistémologique entre les deux modèles d’intervention ; cette rupture (ou plutôt, son idée !) conduit à des réflexes corporatistes qui traduisent une incapacité à envisager des modes de coopération basés sur une reconnaissance réciproque de la légitimité et du territoire de chaque intervenant de la communauté des juristes, d’une part, et de celle des médiateurs, d’autre part.
38Ce sont en réalité des enjeux d’existence qui méritent d’être nommés et appréhendés à leur juste niveau d’expression, rationnel et irrationnel ; les peurs qui les sous-tendent conduisent trop souvent à escamoter la réflexion et à la réduire aux enjeux de subsistance.
C. La compétence et le métier
39Les notaires ont créé leur centre de formation à la médiation et proposent des médiations réalisées par des professionnels de leur corporation ; les huissiers affichent clairement leur ambition d’aborder la médiation comme un marché, avec la création de leur plate-forme de médiation à la consommation ; la profession d’avocat propose, de son côté, des formations dont le propos pédagogique est davantage basé sur une approche de la médiation conçue comme une « compétence », que comme un métier.
40Loin du terrain des idées, les enjeux de rentabilité économique et de périmètres d’intervention sous-tendent les propos pédagogiques les mieux intentionnés des promoteurs de formations des professionnels du droit.
41De leur côté, les médiateurs peinent à faire entendre à ces mêmes professionnels la singularité de leur posture et les modalités de leur processus d’intervention.
D. La singularité de la médiation familiale
42Cette situation est notamment sensible en matière familiale ; la médiation s’y est implantée en construisant un modèle épistémologique, éthique et économique spécifique (sanctionné par un diplôme d’état) différent des modes d’intervention des acteurs de la justice familiale.
43Pourtant, une réflexion est maintenant entamée au sein de l’APMF, regroupant des Médiateurs et Avocats intervenant dans le champ familial, pour construire des relations respectueuses de chacun, au service des personnes confrontées à un différend familial.
E. Intégrer la complexité et la complémentarité
44Le temps est propice pour proposer une réflexion et des modalités d’action sous-tendues par la volonté de conceptualiser des bases épistémologiques solides et de faciliter une coopération professionnelle concrète entre les différents intervenants dans le champ de la transformation et de la résolution des conflits.
45Cette réflexion doit se mener tant à l’Université, qu’en formation professionnelle, mais également sur le terrain, par la création de groupes de travail mixtes, pour favoriser des pratiques mieux adaptées aux personnes concernées.
46Il nous faut voir loin et haut pour garder le cap de ce projet de société ambitieux !
47Au-delà de l’avenir professionnel des différentes corporations concernées, il s’agit de penser et mettre en place un système qui réponde aux enjeux complexes du temps présent, avec le souci de participer à la construction et la préservation de la paix sociale.
F. Propositions concrètes
48En matière de formation professionnelle, proprement dite, cette ambition exige de construire des programmes de formation réunissant simultanément des médiateurs et des avocats.
49Ces formations, pour éviter les écueils précités, pourraient s’articuler autour de la nécessité d’explorer quatre catégories d’enjeux, plus spécifiquement professionnels :
enjeux d’existence ;
enjeux de valeurs et principes éthiques ;
enjeux de processus ;
enjeux de posture.
Notes de bas de page
Auteur
Médiateur référencé CNMA, Formateur et avocat
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