La médiation familiale : une formation spécifique pour pratiquer une médiation menant à un apaisement du litige familial
p. 161-168
Texte intégral
La spécificité de la médiation familiale : maintenir le lien familial
1Il est sans doute tristement banal de rappeler que le conflit familial, quel qu’en soit le domaine (divorce, séparations, autorité parentale, fratries, intergénérationnel, décès, ruptures de communication, familles à multiples nationalités, protection de l’enfance, questions successorales et patrimoniales…) envenime parfois gravement les relations entre les membres de la famille. Cela entraîne pour chacun et particulièrement l’enfant des souffrances indicibles liées aux pertes de repères et de place, au non-respect des besoins et intérêts de chacun, à l’absence de dialogue et à l’impossibilité de trouver (et même de chercher) des solutions. Les liens familiaux se brisent, malmenant l’équilibre et le bien être de chacun, mettant parfois l’enfant gravement en danger. Pathologies physiques et psychologiques, conduites addictives, délinquance, suicide, chômage, perte du lien social accompagnent ainsi bien souvent la rupture du lien familial.
2Porté devant la justice, le conflit familial devient litige et le combat judiciaire ne fait bien souvent qu’aggraver, enkyster, les rancœurs, les colères, le désespoir, la sensation d’être dans une impasse. La solution juridique peut satisfaire l’une des parties, au détriment de l’autre. Pas toujours respectée, elle ne permet pas d’apaiser les relations et laisse les personnes dans un état de frustration préjudiciable à une poursuite saine de la relation – phénomène d’autant plus inquiétant en présence d’enfants.
3On l’a compris, conflit familial et droit ne font pas toujours bon ménage : on est là dans le domaine privé, voire intime, celui des émotions et des affects, plus que dans celui du droit.
4La médiation familiale permet aux personnes en crise de retrouver un dialogue et une capacité à gérer le conflit pour trouver par elles-mêmes des solutions pragmatiques mutuellement acceptables et donc efficaces. Ces solutions appartiennent aux personnes, elles sont humaines avant d’être juridiques, tenant compte des besoins de chacun des membres de la famille. Même si les solutions trouvées doivent s’inscrire dans le droit (voir par exemple Arrêté du 19 mars 2012 « le médiateur familial accompagne la recherche de solutions concrètes en amenant les personnes à trouver elles-mêmes les bases d’un accord mutuellement acceptable, en tenant compte de l’état du Droit, des besoins de chacun des membres de la famille et notamment de ceux des enfants, dans un esprit de co-responsabilité », Annexe 1. Contexte d’intervention) le relais vers le judiciaire ne se fera pas dans l’espace de médiation, mais en dehors, devant le juge, avec l’aide de l’avocat quand cela est préconisé par les textes. L’essentiel reste en médiation familiale le maintien du lien, de la relation nécessaire à l’intérêt de chacun et surtout des enfants.
5La médiation familiale est la première médiation qui s’est retrouvée inscrite dans le Code civil en 2002 (loi sur l’autorité parentale) puis en 2004 (loi sur le divorce) comme démarche pouvant être proposée aux familles par le juge pour venir non pas supprimer la procédure mais la soutenir, la compléter, l’apaiser et la rendre plus efficace.
6L’objectif est de rétablir entre les membres de la famille, par-delà le conflit, une (re)connaissance de l’autre dans sa différence, une altérité, pouvant mener à la reprise d’un vrai dialogue, au maintien de la relation familiale et à la recherche de solutions (les textes ne parlent pas d’accord, bien de solutions) consensuelles bénéfiques pour chacun, adultes et enfants.
Le médiateur familial exerce un métier objet d’une formation spécifique, certifiée par un diplôme d’état
7Le médiateur familial est garant d’un cadre précis favorisant des échanges respectueux et constructifs dans lequel il mène un processus spécifique auquel les personnes adhèrent librement. Il respecte une posture de tiers objectif sans pouvoir de décision. Il pratique l’art de l’écoute empathique à égale distance, favorise l’expression et l’accueil sans jugement des points de vue, des émotions, et des besoins. La reformulation et le recadrage favorisent une communication sans violence favorable à l’apaisement et à la recherche de solutions. Il intervient dans un cadre éthique : impartialité, indépendance, respect de l’altérité, objectivité, équité.
8Il mobilise des compétences adaptées aux situations de crise, au sein desquelles s’expriment fortement des affects, des tensions et des enjeux divers. Le médiateur familial travaille avec les familles à la croisée de l’intime et du public. Au cœur de la crise familiale il propose un espace où vont pouvoir se dire et s’entendre, en toute sécurité et efficacité, l’intime (histoires de vies, des relations, de la rupture, sexualité, argent, la crise, le conflit, les émotions – violence, peur, haine, amour aussi (pour les enfants…). L’intrication des liens familiaux à dénouer pour renouer une autre relation plus paisible, trouver une nouvelle organisation familiale, demande au médiateur familial un apprentissage spécifique et des compétences particulières.
9Il est amené à mettre en place une méthodologie adaptée à la problématique familiale dans son ensemble, prenant en compte les histoires de chacun, les rôles et places et le lien qui uni(t) (ssait) les personnes et se dénoue devant lui, leurs incidences sur chacun. Sans ce travail préliminaire, le dialogue aura du mal à se renouer, les solutions à se trouver. Les personnes peuvent se retrouver entrainées dans leurs difficultés, il devra déceler les failles psychologiques pour réorienter les personnes par exemple en thérapie. Il devra repérer les fonctionnements et dysfonctionnements. Connaitre le cadre juridique choisi par les personnes et les inviter à vérifier auprès des professionnels la légalité de leurs décisions…
10Il doit pouvoir connaitre et analyser le contexte familial juridique, psychologique et sociologique qui entoure la famille. Il est amené à collaborer avec d’autres professionnels sur les champs de la santé, administratif, social, économique, juridique.
11Il doit avoir lui-même travaillé sur ses propres affects et émotions liés à son histoire familiale, pour les mettre à distance pendant le travail avec les familles venues en médiation. La pratique en formation du jeu de rôle et l’analyse des pratiques restent essentielles pour lui permettre de mener à bien la mise en place de sa posture de tiers et la mise à distance de ses propres émotions. Il se remet en question régulièrement lui et sa pratique.
Le Diplôme d’état de médiateur familial
Les textes
Décret n° 2003-1166 en date du 2/12/03 publié au JO le 9 décembre 2003 portant création du Diplôme d’état de médiateur familial ;
Arrêté en date du 12/02/04 publié au JO le 27/02/04 relatif au Diplôme d’état de médiateur familial ;
Circulaire n° DGAS/4A/2004/376 en date du 30 juillet 2004 relative aux modalités de la formation préparatoire au Diplôme d’état de médiateur familial et à l’organisation des épreuves de certification ;
Arrêté du 19 mars 2012 relatif à au diplôme d’état de médiateur familial et arrêté du 2 août 2012 modifiant l’arrêté du 19 mars 2012 relatif au diplôme d’état de médiateur familial.
Une formation centrée sur le cœur de métier, la pratique et l’environnement familial
12La formation préparant au diplôme d’état de médiateur familial est ouverte aux candidats justifiant d’un diplôme national au moins de niveau II, en droit, psychologie ou sociologie et/ou (selon le niveau du diplôme) de trois années au moins d’expérience professionnelle dans le champ de l’accompagnement familial, social, sanitaire, juridique, éducatif ou psychologique. Les candidats à la formation de médiateur familial sont sélectionnés sur dossier et entretien.
13La formation comporte 595 heures dont 105 heures de formation pratique (stage dans un service de médiation familiale auprès d’un médiateur familial) sur une période maximale de trois ans.
14La formation théorique comporte une unité de formation principale portant sur le processus de médiation et l’intégration des techniques de médiation (méthodologie), d’une durée de 315 heures et trois unités de formation contributives : droit : 63 heures ; psychologie : 63 heures ; sociologie : 35 heures et 14 heures destinées à la méthodologie du mémoire.
15Le diplôme est certifié par un certain nombre d’épreuves : présentation et soutenance d’un dossier de pratiques professionnelles, d’un mémoire lors d’une épreuve organisée par les directions régionales de la jeunesse et des sports et de la cohésion sociale, contrôle continu et épreuve écrite de chaque unité contributive (droit, sociologie, psychologie), présentation individuelle et/ou collective et analyse d’une action d’information et de communication sur la médiation familiale.
16Le diplôme peut aussi être obtenu par la validation des acquis de l’expérience (VAE) pour les candidats justifiant des compétences professionnelles acquises dans l’exercice d’une activité salariée, non salariée ou bénévole, en rapport direct avec le contenu du diplôme.
Référentiels de formation
17Le diplôme d’état de médiateur familial atteste des compétences de spécialisation professionnelle d’accompagnement des familles en conflit vers la reconstruction des liens familiaux et la recherche de solutions, et qui puisent dans les champs du social, psycho et juridique.
1. Aptitudes pour exercer les quatre fonctions attachées à sa profession
18Capacité d’écoute ; sens du dialogue ; recul et sens de l’observation ; créativité ; goût du contact humain ; discrétion, bon équilibre émotionnel (IRTS PACA et Corse) font partie des aptitudes requises pour exercer la médiation familiale au travers de ses quatre fonctions principales :
Accueil/évaluation/information/orientation : savoir accueillir et évaluer avec elles la situation des personnes, leur demande, leur capacité à communiquer, à accepter le cadre de la médiation, leur engagement et la pertinence de l’indication de médiation.
Médiation/gestion de conflit construction/reconstruction de liens : élaborer le cadre de médiation familiale, conduire et réguler des entretiens en favorisant l’écoute mutuelle, l’expression en toute sécurité de la parole et des émotions ainsi que le respect de l’autre. Travailler les histoires familiales, les rôles et places. Permettre aux personnes de dépasser le conflit pour renouer le dialogue, maintenir/transformer la relation et trouver des solutions mutuellement satisfaisantes.
Promotion et partenariat.
Formation et recherche : participer à des séances d’analyse de la pratique, se former, mener des actions de formation et à des projets de recherche, participer à la formation de médiateur familial dans son ensemble. Accueillir en stage des étudiants en formation de médiateur familial.
2. Environnement familial (formations contributives)
19Connaissance du droit de la famille, des notions sur la famille en psychologie et sociologie. Le médiateur familial pourra ainsi appréhender le contexte privé et social de la famille venue en MF, garder un seuil de vigilance lui permettant de réorienter la famille en cas de besoin, de lui donner éventuellement un minimum d’information sans jamais être appelé à prendre en ces domaines de posture d’expert.
3. Les compétences
20Le médiateur familial doit savoir :
Créer et maintenir un espace tiers de médiation :
Poser sa légitimité en tant que médiateur et investir une posture de tiers impartial.
Aider à préciser la nature du conflit, ses incidences sur les relations au sein de la famille, les besoins et les intérêts de chacun : Savoir repérer les dynamiques et les blocages relationnels entre les personnes, appréhender la gestion de crise et les situations d’urgence, construire un espace de parole, clarifier la situation de chacune des parties, les rôles et places de chacun au sein du système familial, permettre la prise de conscience des besoins respectifs et de ceux des enfants, savoir accueillir les émotions, prendre de la distance et gérer ses propres émotions face aux enjeux du conflit.
établir la reconnaissance réciproque du bien-fondé de chacun, faire accepter les différences, être en ouverture à l’un et à l’autre, favoriser et organiser un contexte de négociation, garantir un temps de parole équitable, reconnaître et valoriser les différences, rétablir les conditions d’écoute, un dialogue direct entre les personnes, faire émerger les points d’accord et de désaccord
Restaurer les liens et accompagner les personnes, impulser la recherche de solution activer la créativité, maintenir une communication de qualité entre les personnes, créer les conditions pour que les personnes s’approprient la résolution de leur conflit, aider à organiser des liens nouveaux entre les personnes, accompagner la faisabilité et le démarrage du projet défini.
Concevoir un cadre d’intervention professionnelle dans le champ de la famille.
Analyser et évaluer une situation familiale : accueilli, conduire un entretien : technique de communication, écoute-reformulation, saisir les non-dits pour les faire clarifier, introduire l’absent, distinguer les éléments factuels d’une situation, identifier les contraintes extérieures, analyser les influences et les enjeux extérieur, appréhender la situation de façon globale, identifier la nature des difficultés et l’impact de la rupture ou du conflit aux plans émotionnel, conjugal, parental, économique, juridique, faire émerger la demande et les priorités de chacun puis celles communes.
Capacité d’initiative.
Comprendre les différents systèmes familiaux : mobiliser les savoirs théoriques/famille : sociologiques, psychologiques, anthropologiques, mobiliser la connaissance du contexte juridique, des droits sociaux, mobiliser les savoirs théoriques : psychologie de l’enfant, de l’adolescent, du couple, des interactions familiales.
Communication partenariat :
Informer sur la démarche de médiation et promouvoir une culture de médiation : animer des groupes, susciter l’intérêt pour la médiation familiale, diversifier les supports de communication.
Développer les partenariats utiles à la médiation familiale et s’inscrire dans des réseaux en préservant l’identité de la médiation familiale.
Faire évoluer sa pratique de médiateur familial, contribuer à la formation des médiateurs familiaux et à la sensibilisation des autres professionnels nécessaire en construisant une identité professionnelle claire et structurée. Savoir accompagner des stagiaires en formation de médiation familiale et mobiliser des compétences pédagogiques, Savoir s’auto-évaluer et prendre du recul sur ses pratiques professionnelles, savoir faire évoluer sa pratique de médiateur familial, réactualiser ses connaissances, savoir conceptualiser ses pratiques professionnelles, structurer une veille professionnelle.
Conclusion
21La médiation familiale reste une médiation particulière en ce qu’elle vient toucher aux fondamentaux de l’être humain, ce qui l’a construit, qui l’anime au plus profond dans des mécanismes conscients et inconscients.
22Mettre en mouvement avec les personnes les liens familiaux demande à la fois un savoir être et un savoir-faire qui garantissent de la part du médiateur une intervention respectueuse des mécanismes familiaux. Il met à distance ses propres affects tout en faisant preuve d’une grande vigilance pour aider les personnes à exprimer en toute sécurité leurs émotions et à dépasser leurs conflits pour retrouver un dialogue, chercher des solutions et transformer harmonieusement l’organisation familiale.
Auteur
Médiatrice familiale, Ancienne Directrice de l’Association de médiation Résonances
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