De l’aide à la médiation : le nouveau dispositif de prise en charge de la médiation au titre de l’aide juridictionnelle
p. 153-168
Note de l’auteur
Quelques éléments sur le parcours de l’intervenante : – 1995 à 2002, découverte de la médiation dans mes fonctions de juge aux affaires familiales ; – 2008 à 2011 : en tant que présidente du pôle famille du TGI de Marseille, partenariat avec les associations de médiation familiale et le barreau de Marseille par la création d’un dispositif de médiation préalable à la convocation en justice (« double convocation ») ; – 2012-2014 : formation à la médiation familiale par obtention du diplôme de médiateur familial ; – 2015 : pratique de la médiation l ; – 2015 à ce jour, gestion d’un dispositif essentiel de l’accès au droit par la présidence du bureau d’aide juridictionnelle du TGI de Marseille.
Texte intégral
Introduction
Rappels sur le dispositif d’aide juridictionnelle
1L’aide juridictionnelle permet pour des personnes aux faibles revenus d’agir en justice ou de se défendre en bénéficiant de l’assistance d’un huissier et d’un avocat et de la prise en charge de frais induits par le procès ; les frais sont financés par le budget du ministère de la justice (dans le Budget 2016, l’AJ a été évaluée à 405 M€) ; actuellement, il existe 3 niveaux de prise en charge :
100 %, pour toute personne percevant le RSA une personne seule ou un revenu mensuel inférieur à 1007 € ;
55 %, pour une personne percevant entre 1007 et 1190 € ;
25 %, pour une personne percevant entre 1191 et 1510 €.
2Des correctifs de ressources de 181 € par personne à charge majorent ces seuils.
3Pour bénéficier de l’aide juridictionnelle, la personne doit avoir déposé au BAJ sa demande avant ou pendant l’instance.
4En 2015, 460 000 personnes ont été bénéficiaires de l’aide juridictionnelle en matière civile, dont plus de 213 000 dans les contentieux familiaux (376 156 saisines du juge aux affaires familiales la même année.
La politique sociale d’accès à la médiation
5Introduite en France dans les années 1990, la médiation est une activité libérale, vigilante par déontologie à conserver son indépendance par rapport à toute structure extérieure ; son utilité pour le maintien du lien social et l’apaisement du conflit a toutefois été rapidement admise par les structures publiques, justifiant, concernant la médiation familiale, l’octroi de financements dans un double objectif : assurer la pérennité des structures de médiation familiale et rendre la médiation accessible à tous publics ; l’octroi de subventions émanant de la CAF, du conseil général de la direction départementale de la cohésion sociale, de la MSA, et du ministère de la justice a donc permis l’élaboration de tarifs adaptés aux revenus des médiés puis, en 2010, d’un barème national de tarification des prestations de médiation (un entretien d’1h30 est payé 2 € pour les bénéficiaires du RSA ; 8 € environ pour une personne percevant un revenu de 1500 € ; un tarif maximal de 131 € est appliqué aux rémunérations supérieures à 5000 €) ; seules les associations conventionnées en raison de leur expérience et de la qualité de leur offre sont bénéficiaires de ces financements et tenues d’appliquer ce tarif.
6L’intérêt social pour le processus de médiation et la volonté d’en assurer le développement, au-delà de la matière familiale, pour tous types de contentieux, a conduit le législateur à intégrer, par une loi du 8 février 1995, les frais des médiations ordonnées en justice dans les frais de justice pris en charge par l’aide juridictionnelle ; cependant cette rémunération, chiffrée par le médiateur dans un mémoire d’honoraires qui pouvait varier d’un médiateur à l’autre et d’une médiation à l’autre en fonction du nombre d’entretiens et du fait que le médiateur était ou non conventionné, n’était pas tarifée.
7C’est au décret 2016-1876 du 27 décembre 2016 que l’on doit l’unification de la rémunération des médiateurs intervenant au titre de l’aide juridictionnelle.
I. La prise en charge de la médiation au titre de l’aide juridique
8Les sources législatives et réglementaires :
la loi du 8 février 1995 relative à l’organisation judiciaire, dans sa partie consacrée à la médiation judiciaire (article 22-2) ;
le Code de procédure civile, dans ses dispositions consacrées à la médiation : articles 131-6 et 131-13 du Code de procédure civile ;
la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, modifiée par la loi du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 ;
le décret du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique (modifié par le décret du 27 décembre 2016), introduisant dans un chapitre intitulé « de l’aide à la médiation » des articles 118-9 à 118-12.
A. Les modalités de prise en charge de la rétribution du médiateur par l’aide juridictionnelle en 2017
1. Quelles médiations ?
9Article 118-10 du décret du 19 décembre 1991 relative à l’aide juridique, modifiée par la loi du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 :
« Dès lors que l’une des parties à la médiation bénéficie de l’aide juridictionnelle, une rétribution est versée par l’état au médiateur, en cas de médiation ordonnée par le juge ou en cas de saisine du juge aux fins d’homologation d’un accord intervenu à l’issue d’une médiation conventionnelle ».
10Ce texte, général, s’applique aux médiations de toute nature (conflits sociaux, de voisinage, successoraux…).
« une rétribution est versée par l’état au médiateur […] en cas de saisine du juge aux fins d’homologation d’un accord intervenu à l’issue d’une médiation conventionnelle ».
11Ce second cas constitue une innovation intéressante, qui permettrait de financer le travail préalable de médiation conventionnelle, réalisé préalablement à une saisine judiciaire, et auquel les médiés souhaitent conférer force exécutoire par une saisine du juge sur requête conjointe.
12La dépêche ministérielle du 20 janvier 2017 relative à la prise en charge de la médiation au titre de l’aide juridique jette par contre un doute sur l’étendue de cette prise en charge en donnant de cet article l’interprétation suivante :
« dans le cadre d’une médiation conventionnelle, la rétribution du médiateur ne concerne que la phase de saisine du juge en vue de l’homologation de l’accord trouvé entre les parties. En aucun cas, le médiateur ne pourra percevoir de rétribution, au titre de l’aide juridictionnelle, pour la médiation conventionnelle en tant que telle ».
13Il est donc malaisé de comprendre à quel stade la prise en charge s’effectuera et quel travail couvrira la rémunération tarifée ; la dépêche ministérielle indique que « le rapport (mentionnant les termes de l’accord) est remis au juge par le médiateur lorsque les parties saisissent le juge et avant la tenue de l’audience d’homologation de l’accord ». Le travail de médiation a donc été nécessairement accompli en amont de la saisine, ce qui contredirait les termes de la dépêche. Manifestement, ce texte vise en réalité les dispositifs de double convocation organisés dans plusieurs juridictions (à réception de la requête, le juge propose aux parties un entretien d’information sur la médiation préliminaire à l’audience, qui peut permettre la mise en place d’une médiation avant l’audience).
2. Répartition des frais entre parties bénéficiaires de l’aide juridictionnelle ou non bénéficiaires
14Le partage des frais de médiation est décidé par les parties, et à défaut d’accord, à parts égales entre elles ; si les parties sont toutes deux bénéficiaires de l’aide juridictionnelle, elles sont dispensées de toute charge de consignation et ne supporteront à aucun moment le coût de la médiation, même si l’aide juridictionnelle est partielle ; celle qui n’est pas bénéficiaire de l’aide juridictionnelle consigne une provision fixée par le juge à titre d’avance sur cette rétribution.
3. Rétribution du médiateur
15Article 108-10 al. 2 décret du 19 décembre 1991 :
« Cette rétribution est versée après transmission par le médiateur au juge d’un rapport de présentation exposant les termes de l’accord et permettant au juge d’apprécier l’importance et le sérieux des diligences accomplies ».
16Le principe du dépôt d’un rapport, transmissible seulement dans le cas d’une saisine du juge pour homologation, touche un aspect délicat de la déontologie du médiateur, tenu à la confidentialité ; la dépêche ministérielle du 20 janvier 2017 précitée relève d’ailleurs que ce rapport ne doit pas entrer en contradiction avec l’obligation de confidentialité qui s’impose au médiateur, qui ne peut pas révéler le contenu des discussions ; un modèle type, annexé au décret, est tenu à la disposition des médiateurs par le secrétariat greffe : il mentionne l’identité des parties, la date et le nombre des RV, et, sous la seule signature du médiateur, le contenu de l’accord.
17Article 118-11 décret du 19 décembre 1991 :
« Lorsque toutes les parties bénéficient de l’aide juridictionnelle, la rétribution du médiateur relevant de l’aide juridictionnelle est fixée par le magistrat taxateur au maximum à : 1° Lorsque toutes les parties bénéficient de l’aide juridictionnelle : 512 € hors taxes ; 2° Lorsque toutes les parties ne bénéficient pas de l’aide juridictionnelle : 256 € hors taxes pour chaque partie bénéficiant de l’aide juridictionnelle, dans la limite de 512 € hors taxes pour l’ensemble des parties bénéficiant de l’aide juridictionnelle ».
18Ce texte crée un plafond de rétribution peu adapté aux médiations effectuées entre plus de deux personnes (médiations successorales).
19Cette rétribution « maximale » est susceptible de réduction (en fonction des diligences accomplies, relatées dans le rapport, ainsi que le précise la dépêche ministérielle).
20Pour la partie ne bénéficiant pas de l’aide juridictionnelle un mémoire distinct non soumis à cette tarification devrait pouvoir être déposé, au tarif proposé par le médiateur et accepté par le magistrat, mais pas nécessairement identique à celui pris en charge par l’aide juridictionnelle.
21Article 118-12 du décret du 19 décembre 1991 :
« Lorsque les parties bénéficient de l’aide juridictionnelle et que la médiation est financée en partie par un tiers, la rétribution du médiateur relevant de l’aide juridictionnelle fixée par le magistrat taxateur ne peut être supérieure à la part restant à la charge des parties ».
22Sont ici visés manifestement les financements accordés en matière familiale par la CAF aux médiateurs conventionnés ; cette disposition, qui a pour objet d’éviter un double financement des structures de médiation conventionnées, introduit un mode de calcul complexe, dont le magistrat n’aura peut-être pas les éléments.
B. La rétribution majorée de l’avocat assistant un bénéficiaire de l’aide juridictionnelle dans le cadre d’une médiation ordonnée par le juge
23L’article 64-5 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique prévoit que :
« L’avocat qui assiste une partie bénéficiaire de l’aide juridictionnelle dans le cadre d’une médiation ordonnée par le juge a droit à une rétribution ».
24L’article 118-9 du décret du 19 décembre 1991 précise que cette rétribution s’effectue par une majoration appliquée à sa rétribution.
25Cette majoration était déjà prévue antérieurement dans le contentieux familial mais est revalorisée de 2 à 4 UV (soit une majoration de 128 € au lieu de 64 €) ; elle est étendue au contentieux social (prudhommes et sécurité sociale), aux baux d’habitation, et à toutes les matières civiles, en première instance et en appel.
26Elle compense notamment l’inconvénient résultant pour l’avocat de l’allongement de la durée de l’instance par l’effet de médiation ; on peut donc espérer que cette majoration joue dans la pratique des avocats un rôle positif et les amène à conseiller à leurs clients une médiation dont ils voyaient surtout les inconvénients en termes de gestion de cabinet.
II. L’impact du dispositif de l’aide juridictionnelle sur le développement de la médiation
27Les effets positifs des réformes récentes, qui sécurisent l’exercice de la médiation, sont réels ; mais notre dispositif d’aide juridictionnelle, conçu pour permettre aux justiciables d’être assistés au procès, ne parvient pas à s’inscrire véritablement dans une politique de promotion des modes alternatifs de résolution des litiges.
A. La place résiduelle du médiateur dans ce dispositif
28Par la procédure participative, créée en 2010, les avocats ont la possibilité d’orienter leurs clients vers une autre issue que le procès ; ils percevront dans le cadre de l’aide juridictionnelle une rémunération égale à celle qu’ils auraient perçue dans le cadre d’un procès, du moins s’ils parviennent à un accord total ; à Marseille, cette procédure n’est pas utilisée par le Barreau dans les dossiers donnant lieu à aide juridictionnelle ; mais elle existe et les avocats peuvent toujours s’en saisir.
29Au stade du dépôt de la demande d’aide juridictionnelle, la possibilité d’une résolution du litige par la médiation n’est par contre pas proposée au justiciable : en effet, alors que la loi et sa matérialisation dans le dossier d’aide juridictionnelle donnent au justiciable le choix d’un avocat, d’un huissier et maintenant d’un notaire (pour le divorce par actes d’avocats), elle ne lui permet pas de solliciter la voie préalable de la médiation ; elle lui sera peut-être conseillée par son avocat si celui-ci voit une utilité à cette approche, mais pas nécessairement.
30Dans un dossier d’aide juridictionnelle, j’ai récemment constaté que la requérante, en situation de conflit familial, demandait explicitement et exclusivement une seule voie, la médiation ; je n’avais aucun pouvoir de désignation d’un médiateur, et devais opter entre une décision de rejet de sa demande assortie de l’envoi d’un courrier lui communiquant la liste des associations de médiation et leurs tarifs, ou la désignation d’un avocat, dans l’espoir que celui-ci pourrait entendre sa demande et solliciter pour elle une médiation judiciaire.
31L’aide juridique sortirait-elle de son cadre en prévoyant au dépôt du dossier une information sur la médiation et la désignation d’un médiateur si le requérant la réclame ?
B. Le rôle insuffisant du bureau d’aide juridictionnelle dans la promotion des modes alternatifs de résolution des litiges
32L’article 7 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique permet au Bureau d’aide juridictionnelle de rejeter la demande d’une personne dont l’action apparaît manifestement, irrecevable ; tel est le cas par exemple lorsque le justiciable sollicite la désignation d’un avocat au titre de l’aide juridictionnelle pour agir devant le tribunal des affaires de sécurité sociale alors qu’il ne justifie pas avoir saisi préalablement une commission de recours amiable dont la saisine est obligatoire.
33La volonté du législateur de promouvoir les modes alternatifs de résolution des litiges s’est plusieurs fois exprimée depuis 10 ans ; mais ces réformes ont été souvent limitées dans leurs effets ; on peut ainsi regretter que l’article 56 du Code de procédure civile dans sa version modifiée par un décret de 2015 impose que soient mentionnées dans une assignation en justice les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige, sans que l’inobservation de cette formalité ait été assortie d’une irrecevabilité.
34En effet, si le juge, constatant le défaut de telles diligences, peut renvoyer le demandeur vers une conciliation ou une médiation, il est tardif d’imposer cette démarche le jour de l’audience, au moment où l’affaire est prête à être jugée.
35Une réforme plus ambitieuse prévoyant l’irrecevabilité aurait permis au Bureau d’aide juridictionnelle de jouer en amont un rôle de filtre par un rejet de la demande d’aide juridictionnelle, les personnes ne justifiant pas avoir effectué une démarche de tentative amiable de résolution du litige étant alors invitées par courrier à y procéder par toutes voies utiles, et orientées le cas échéant devant un conciliateur ou un médiateur.
36Notre dispositif d’aide juridique peut encore évoluer pour sortir de la logique du « tout procès », dont on sait qu’elle ne règle pas tous les litiges, et parvenir à une orientation plus efficace entre le nécessaire recours à la justice dans les cas où il n’y a pas de volonté de conciliation et où le droit doit être dit, et l’espace de la médiation, qui permet dans bien des cas de trouver un accord amiable mieux admis et mieux exécuté.
Auteur
Magistrat Honoraire, Présidente du bureau d’aide juridictionnelle du TGI de Marseille
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