La promotion de la médiation familiale dans le ressort de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence
p. 141-152
Texte intégral
1Pour parler de la manière dont des magistrats peuvent promouvoir la médiation en matière familiale, il aurait fallu laisser la parole à un magistrat.
2Toutefois, un congé de recherches mené en 2014 m’a permis d’étudier comment les juges aux affaires familiales du ressort de la Cour d’appel utilisaient la médiation familiale et par ailleurs, une rencontre, université, magistrats, avocats, notaires, organisée en mars dernier, sur les bonnes pratiques dans les partages judiciaires et successoraux, me permet de rendre compte de la démarche innovante et très intéressante des professionnels du ressort, et d’étendre ma réflexion au domaine du contentieux successoral.
3En effet, quand on s’intéresse à la médiation en matière familiale, on oublie souvent le contentieux patrimonial, pour partie traitée par le TGI et non par le JAF. Cependant la finalité de la médiation familiale qui est d’apaiser un conflit parait tout aussi utile que le différend soit d’ordre extra patrimonial que patrimonial.
4Il est donc intéressant de rendre compte, et de la pratique de la médiation familiale par les JAF (I) et de l’incitation à la médiation familiale à l’occasion des liquidations successorales (II).
I. La pratique de la médiation familiale par les JAF du ressort de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence
5C’est une recommandation du Comité des ministres du Conseil de l’Europe du 21 janvier 1998 qui est à l’origine de l’introduction de la médiation familiale dans le Code civil : en 2002, à l’occasion de la réforme de l’autorité parentale (article 373-2-1), et en 2004, en matière de divorce, (article 255 du Code civil). Il y a donc presque 20 ans maintenant que ce processus est préconisé dans le contentieux soumis aux juges aux affaires familiales.
6Pour se faire une idée de l’utilisation de la médiation par les JAF du ressort, il faut d’abord fournir quelques chiffres.
7La Cour d’appel d’Aix-en-Provence couvre quatre départements sur lesquels sont implantés huit tribunaux de grande instance : les Bouches du Rhône (TGI d’Aix-en-Provence, Marseille et Tarascon), le Var (TGI de Draguignan et de Toulon), les Alpes de Haute Provence (TGI de Digne) et les Alpes Maritimes (TGI de Grasse et Nice).
8Mais outre le nombre de TGI, il faut faire avec le nombre de magistrats, d’individus en charge de ce contentieux à plein temps ou pas. à l’époque de l’étude1, dans le ressort de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 34 magistrats étaient en charge du contentieux JAF aux TGI, dont certains pour une part seulement de leur service2, ce qui ramène à 29,78 magistrats en « équivalent Temps Plein Travail » (ETPT), auxquels il fallait ajouter 9 ETPT à la Cour d’appel3, soit au total, 38,78 ETPT.
9Autant de personnes que de sensibilités…
10Cependant, à l’issue de cette recherche, il est possible de dire que l’usage de la médiation familiale commence à se généraliser dans le ressort de la Cour (A), mais que les pratiques restent diverses (B).
A. Un usage de la médiation familiale qui commence à se généraliser
11Cela se traduit par quelques statistiques et une extension du contentieux qui en fait l’objet.
1. Statistiques
12Compte tenu du volume du contentieux JAF, au sein du pôle famille des différents TGI, il y a souvent plusieurs cabinets qui le traitent, et au sein de ceux-ci, peuvent se côtoyer des magistrats dont certains en sont en charge à plein temps quand d’autres ne connaissent, par exemple, que de la tutelle des mineurs, ou des référés.
13Pour tirer un enseignement significatif, il aurait fallu pouvoir faire apparaître le nombre d’affaires envoyées en médiation familiale par chaque magistrat. La démarche paraissait simple dans son principe, mais elle s’est révélée pratiquement difficile à mettre en œuvre car aucun outil statistique n’est mis à la disposition des magistrats par la Chancellerie.
14Les juges aux affaires familiales ne sont pas tenus d’établir un rapport sur leur activité. Malgré cela, les magistrats en charge de ce contentieux à plein temps avaient à cœur de comptabiliser le nombre de dossiers envoyés en médiation, suite à un accord ou par injonction et certains ont fourni des chiffres, là où d’autres ont simplement estimé le pourcentage de dossiers envoyés en médiation familiale dans leur ressort : ainsi, c’est de l’ordre de 14 % au TGI de Tarascon (ce qui donnerait environ 180 médiations ordonnées).
15Alors qu’à Digne les bains, le pourcentage indiqué était d’environ 2 % (pour un volume annuel de dossiers identique à celui de Tarascon, c’est-à-dire 1500 affaires).
16Il y avait donc des pourcentages assez différents selon les juridictions, cependant, tous les magistrats rencontrés reconnaissaient l’intérêt d’y recourir lorsque l’affaire s’y prêtait. Alors, justement quand nos magistrats la proposaient-ils ?
17Il faut savoir que tout repose sur la bonne volonté et l’investissement personnel des magistrats et des greffes, qu’il n’y a pas d’instructions spécifiques de la Chancellerie et pas de politique coordonnée par la Cour d’Appel, ce qui offre une grande liberté aux magistrats.
2. Le contentieux concerné
a. La nature des affaires
18En théorie, tous les contentieux soumis au JAF peuvent donner lieu à une médiation judiciaire ; non seulement les questions traditionnelles de divorce et après divorce, et d’exercice de l’autorité parentale, mais aussi la fixation d’une obligation alimentaire, le changement de prénom, et l’article L. 213-3 du COJ ajoute, depuis 2009, les demandes relatives au fonctionnement des régimes matrimoniaux et des indivisions entre personnes liées par un pacte civil de solidarité ou entre concubins, ainsi que les questions de partage des intérêts patrimoniaux des couples, mariés, partenaires et concubins, et encore, depuis 2010, la protection de la personne majeure menacée de mariage forcée et celle des conjoints, partenaires et concubins victimes de violences.
19Sur ce point, on signalera que la loi Justice 21 a exclu l’injonction à la médiation familiale en cas de violence mais que le Conseil constitutionnel a laissé un petit espace de liberté en indiquant que « le législateur n’avait pas entendu subordonner l’interdiction de recevoir une information sur l’objet et le déroulement d’une mesure de médiation à la condition que ces violences aient donné lieu à condamnation pénale ou dépôt d’une plainte. Il appartient désormais aux juges d’apprécier la réalité des violences alléguées ».
20L’article 1071 du cpc dispose, d’une manière générale, que le juge aux affaires familiales saisi d’un litige peut proposer une mesure de médiation et après avoir recueilli l’accord des parties, désigner un médiateur familial pour y procéder, et encore enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur familial qui les informera sur le processus de médiation.
21Sur le terrain toutefois, l’étude a montré que c’est principalement en présence d’enfants mineurs, donc dans le contentieux du divorce (en principe, hors divorce par consentement mutuel), de l’après divorce et de l’autorité parentale que les juges aux affaires familiales avaient le « réflexe » médiation familiale. Il est évident que les dispositions des articles 255 et 373-2-10 du Code civil les y invitent.
22Toutefois, la médiation familiale était aussi utilisée à Tarascon dans le contentieux des obligations alimentaires et dans celui des liquidations de régimes matrimoniaux qui trainent en longueur. La médiation familiale était également proposée à l’occasion des ruptures de pacs (Toulon et Tarascon). Enfin, majoritairement les JAF l’utilisaient aussi dans les affaires concernant le droit de visite des grands-parents (Draguignan, Grasse, Marseille, Tarascon, Digne) ; il en était de même pour les demandes de maintien de liens entre enfants et anciens concubins, fondées sur l’article 371-4 C. civ. (Tarascon).
b. La situation factuelle des parties en présence
23On ajoutera que pour les magistrats interrogés, ce n’était pas simplement la nature du contentieux qui les invitait à proposer une médiation familiale, mais aussi la situation des parties en présence. Certains magistrats y étaient surtout sensibles quand la séparation était récente, là où d’autres étaient attentifs au caractère récurrent du conflit familial, ou encore à la situation de recomposition familiale ayant modifié les équilibres émotionnels.
24à Grasse, une médiation familiale a même été ordonnée dans un divorce par consentement mutuel car, à l’audience, les époux avaient avoué ne pas se parler !
25Les dossiers revenant en après divorce alors même que la procédure de consentement mutuel avait été utilisée étant très nombreux4, on saluera la démarche effectuée par la présidente du pôle famille de Marseille auprès du barreau, afin de sensibiliser les avocats sur l’intérêt de l’insertion, dans les conventions de divorce par consentement mutuel, d’une clause prévoyant que les parties sollicitant la modification de leur convention doivent, préalablement à la saisine du juge, avoir tenté une médiation.
26La diversité des pratiques se manifeste également sur le terrain de la promotion de ce mode amiable de règlement du conflit familial.
B. Des pratiques diverses
27Ou comment les magistrats qui le défendent peuvent-ils en faire la promotion ?
28Il y a en effet différentes façons de développer la médiation familiale pour un magistrat convaincu de son utilité.
1. L’accès individuel du justiciable à l’information
29L’information relative à la médiation peut se traduire par la mise à disposition de plaquettes d’information à l’accueil du tribunal et dans la salle d’attente (Digne), et/ou par un affichage dans les locaux de la chambre de la famille (Aix, Grasse, Nice, Tarascon, Toulon).
30Plusieurs juridictions ont également tenté l’expérience d’une permanence, tenue à tour de rôle dans les locaux du tribunal par les associations de médiation. Ainsi, à Aix (en parallèle des audiences des 3 cabinets du mardi matin) et à Toulon où une permanence venait d’être mise en place en parallèle des audiences du vendredi matin. Mais on bute très vite sur des difficultés pratiques. Ainsi, à Marseille, aucun local n’avait pu être libéré à cette fin ces dernières années, malgré une demande de la présidente du pôle famille. à Nice, l’idée de projeter, les jours d’audience, un film sur la médiation familiale dans la salle d’attente des affaires familiales, avait été envisagée, mais, ici encore, les contraintes matérielles sont apparues difficiles à surmonter. Avec quel matériel procéder ? Comment choisir le support audiovisuel ? Qui serait responsable de la logistique ? Il est clair que de telles actions mériteraient d’être financées et coordonnées par la Chancellerie.
2. Les incitations à la médiation à l’audience ou avant l’audience
31L’information sur la médiation peut aussi être donnée aux parties, à l’audience même, par le magistrat.
32Ainsi, à Aix-en-Provence, à compter de juillet 2014, avait été mise en place une information sur la médiation familiale d’une durée de 30 mn avant le début des audiences du mardi, dispensée par un médiateur et un magistrat. Alors qu’à Nice, où le projet d’une information dispensée avant les audiences avait été envisagée, il avait été finalement abandonné, le choix ayant été fait de concentrer les efforts sur la réduction du temps d’attente des parties convoquées par plages horaires.
33à Tarascon, les magistrats insistaient sur l’intérêt de la médiation lors de l’audience, qu’il s’agisse des dossiers hors divorce, comme des procédures de divorces.
34Toutefois, compte tenu de la surcharge des audiences, c’est plutôt en amont de l’audience que se faisait la promotion.
35L’information sur la médiation familiale était parfois donnée verbalement par l’agent du greffe chargé de l’accueil des personnes qui veulent saisir le juge aux affaires familiales. Il faut alors que cet agent prenne le temps de discerner l’intérêt d’une médiation au regard de la situation des personnes et de leur degré de conflit. Ce système se pratiquait à Digne, mais il est clair que, dans ce tribunal, le volume de dossiers le permettait sans doute plus aisément que dans un TGI ayant un fort volume de contentieux ; et encore fallait-il cependant qu’à l’accueil, la personne ait à cœur de fournir ce service.
36Ensuite, dans certains TGI du ressort de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence était pratiquée la « double convocation ». L’expérience de la double convocation résulte du décret n° 2010-1395 du 12 novembre 2010 relatif à la médiation et à l’activité judiciaire en matière familiale. Envisagée à titre expérimental à Arras et Bordeaux5, pour les litiges portant sur l’exercice de l’autorité parentale, elle consiste à adjoindre à la convocation à l’audience adressée par le greffe aux parties, une invitation à rencontrer un médiateur familial avant l’audience. Spontanément, un certain nombre de juridictions en France ont adopté ce système sans attendre le résultat de l’expérimentation officielle.
37Certains tribunaux y avaient recours pour les procédures hors divorces (autorité parentale et pensions alimentaires), engagées sans avocats (Toulon, Draguignan), ce qui passait par un tri effectué par le greffe, et occasionnait une charge très lourde. Le fait de distinguer les dossiers sans avocat est peut-être une fausse bonne idée car cela peut donner l’impression que les magistrats incitent les parties à aller voir un médiateur familial plutôt qu’un avocat, ce qui peut alors susciter des réactions d’hostilité des barreaux.
38Devant d’autres juridictions en revanche (Grasse, Nice et Marseille), la double convocation était généralisée à toutes les requêtes (divorce, après divorce et hors divorce), avec ou sans avocats et sans tri par le greffe. La liste et les coordonnées des structures de médiation figuraient dans toutes les convocations adressées par le greffe avec un courrier incitant les personnes à contacter ces structures avant l’audience. Le système a le mérite de ne rien laisser passer mais peut se révéler moins productif, la liste faisant figure de clause de style. En outre, le magistrat ne peut tirer aucune conséquence du refus d’une partie de se rendre à l’entretien préalable de médiation.
3. L’injonction de rencontrer un médiateur familial
39En vertu des articles 371-2-10 al. 3 et 255 2° du Code civil, et 1071 du cpc, le juge aux affaires familiales peut aussi faire injonction aux parties de rencontrer un médiateur familial qui les informera sur l’objet et le déroulement de la procédure de médiation.
40Ici encore, il y a plusieurs façons d’utiliser l’injonction.
41En 2014, certains magistrats s’en servaient pour mettre à profit un renvoi (Marseille, Tarascon, Nice), et rationaliser le temps entre les audiences. Mais on peut aussi concevoir d’y recourir uniquement lorsqu’il y a des enfants en cause (Grasse, Toulon, Digne), ou du moins principalement, car il est évident que la présence d’enfants mineurs est une indication privilégiée pour mettre en place une médiation familiale en cas de désaccord des parents. On peut encore imaginer y envoyer systématiquement les parties, quel que soit le litige, lorsqu’un désaccord profond semble exister.
42Enfin, à Tarascon, à compter de 2014, les magistrats avaient choisi, outre l’information à l’audience, de rendre une ordonnance faisant injonction de rencontrer un médiateur, dans les dossiers concernant l’autorité parentale seulement (hors divorce et après divorce) avec ou sans avocats. L’ordonnance d’injonction indiquait en outre que le justificatif de ce que les parties avaient été à la rencontre serait demandé. Ce n’était pas une double convocation mais bien une décision du juge qui envoyait les personnes recevoir une information sur la MF.
4. Dernière façon de promouvoir la médiation : développer la collaboration TGI-avocats-médiateurs par des rencontres régulières sur les pratiques. C’était le cas à Tarascon, et à Aix, et cela se mettait en place à Toulon
43On le voit, des pratiques variées, mais manifestement, une volonté assez généralisée de promouvoir ce mode amiable.
44Un pas de plus vient d’être franchi avec la loi Justice 21 dont l’article 7 prévoit, pour une durée de 3 ans, à titre expérimental dans certains TGI6 (11 désormais) l’obligation pour les parents de recourir à une tentative de médiation familiale avant de saisir à nouveau le juge pour modifier ou compléter les modalités de l’exercice de l’AP ou la contribution à l’entretien de leur enfant. Et cela à peine d’irrecevabilité que le juge peut soulever d’office (sauf si la demande est présentée conjointement ou si l’absence de recours à la médiation familiale est justifiée par un motif légitime, ou si des violences ont été commises par un parent sur l’autre parent ou sur l’enfant).
45Mais le contentieux JAF n’est pas le seul contentieux familial sensible. En matière successorale, alors pourtant que le législateur est resté silencieux, cela n’interdit pas de « penser » médiation.
II. La pratique de la médiation familiale à l’occasion des liquidations successorales
46Si les compétences du JAF sont aujourd’hui très étendues, on l’a dit, l’article L. 213-3 du COJ lui confiant, non seulement le contentieux des couples mariés et celui de l’autorité parentale, mais aussi les intérêts patrimoniaux des concubins et partenaires pacsés et le contentieux des mineurs, le droit des successions lui échappe. Or, en ce domaine propre du contentieux familial successoral, aucun article dans le Code civil n’invite le juge compétent, le TGI, à faire usage de la médiation familiale en cas de litiges d’ordre successoral.
47Pourtant, intellectuellement, il est clair que les conflits qui naissent à l’occasion d’une succession relèvent d’un contentieux familial, même si c’est du contentieux patrimonial de la famille. Il s’agit bien de conflits entre membres d’une même famille. Les procédures de successions, au-delà des enjeux financiers qu’elles comportent, sont souvent le lieu de tensions, voire d’affrontements entre les parties, qui peuvent paralyser les opérations de liquidation et de partage. Le recours à la médiation est donc apparu bien utile aux praticiens du ressort, qui en ont développé l’usage malgré l’absence de textes spécifiques, avant de le recommander dans un guide des bonnes pratiques.
A. L’absence de textes spécifiques
48Il n’existe pas de disposition générale en ce sens dans le Code civil. En 1998, la recommandation du Comité des ministres visait manifestement les séparations conflictuelles et leurs répercussions sur des enfants mineurs et par la suite, aucun rapport, aucune étude spécifique à ma connaissance ne s’est intéressée à ce domaine.
49Est-il possible d’y recourir malgré tout ? La réponse se trouve dans le Code de procédure civile. En effet, si aucun article n’envisage la mé-diation dans le Titre I du Livre III du Code civil, il reste le CPC, Livre I Dispositions communes à toutes les juridictions, et Livre V, Résolution amiable des différends qui règlementent la médiation civile au sens large.
50Ces dispositions résultent d’une directive européenne du 21 mai 2008 (Directive 2008/52 CE du parlement et du Conseil du 21 mai 20087, « sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale ») qui a consacré une vision extensive du champ de la médiation8, et l’ordonnance du 16 novembre 20119 et le décret n° 2012-66 du 20 janvier 201210 en ont transposé la teneur.
51Au Livre Ier, la médiation judicaire est règlementée aux articles 131-1 à 131-15 du cpc, après la conciliation judiciaire et au Livre V, depuis 2012, ce sont les articles 1528 à 1567 cpc qui règlementent la conciliation et la médiation conventionnelle.
52L’art. 131-1 cpc dispose simplement que : « le juge saisi d’un litige, peut après avoir recueilli l’accord des parties, désigne une tierce personne afin d’entendre les parties et de confronter leurs points de vue pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose ».
53Ainsi, malgré l’absence de texte propre à la médiation successorale dans le Code civil, une médiation peut être envisagée, en matière de succession, en s’appuyant sur les dispositions de procédure civile, réglementant la médiation en général, qu’elle soit entreprise en amont du procès ou ordonnée par le juge avec l’accord des parties.
54Lors de ma recherche, en 2014, en dehors du contentieux soumis au JAF, j’avais posé la question aux présidents de juridiction, de l’usage de la médiation pour le contentieux de la famille relevant de la compétence du tribunal de grande instance. En 2014, certains magistrats avaient déjà compris que ce processus pouvait faire avancer les successions difficiles, mais ils étaient minoritaires à défendre l’idée (Toulon, Tarascon).
55L’absence de texte n’a pourtant pas empêché les praticiens de s’en emparer afin de pacifier les liquidations successorales et ils l’ont inscrit dans leur guide des bonnes pratiques.
B. Le guide des bonnes pratiques
56La situation a donc évolué, dans le sens d’une collaboration entre les différents praticiens concernés par ce contentieux technique et de la promotion de la médiation successorale.
57Au TGI d’Aix, magistrats, avocats et notaires ont travaillé ensemble afin d’élaborer une charte qui serait signée par les barreaux et imposant des « bonnes » pratiques communes. Un guide de ces bonnes pratiques a été présenté en mars dernier lors d’une journée d’étude à la faculté de Droit qui comporte trois volets : le principe de concentration des prétentions et des moyens, un principe de collaboration des acteurs, et un principe de prévention et d’apaisement des conflits.
58Les auteurs de ce guide estiment que tous les outils procéduraux et moyens d’action disponibles doivent être mobilisés pour apaiser ces conflits et faciliter les interventions des professionnels, en particulier du notaire, afin d’éviter un enlisement quasi irrémédiable des procédures.
59Parmi ces outils, la médiation successorale et familiale a été présentée comme un moyen efficace de dénouer des différends, certes cristallisés autour de questions patrimoniales, mais nées en réalité d’anciennes tensions familiales ou de ressentiments familiaux. Et les auteurs du Guide de noter que « la médiation constitue ainsi un espace pertinent, concomitant ou non d’une instance judiciaire, pour faire émerger ces tensions sous-jacentes et permettre une confrontation constructive des différents discours des parties ».
60Ainsi, même si le législateur est resté silencieux en ce domaine, des bonnes pratiques peuvent être mises en œuvre sur le terrain.
61Dès lors, plusieurs conclusions peuvent être tirées de ces observations.
62Les litiges familiaux, spécialement devant le JAF sont en constante augmentation.
63Globalement, ces litiges impliquent des personnes qui par définition, sont amenées à avoir des relations interdépendantes et qui vont se poursuivre dans le temps.
64En outre, ces litiges resurgissent dans un contexte émotionnel pénible et qui les exacerbe.
65Les conséquences de ces conflits sont préjudiciables pour les familles et le coût social économique et élevé pour les états.
66Or, le recours à la médiation peut, le cas échéant : améliorer la communication entre les membres de la famille, réduire les conflits entre les parties au litige, donner lieu à des règlements amiables, et assurer le maintien de relations personnelles entre les membres de la famille.
67Les magistrats concernés par le contentieux de la famille, au sens large, JAF et TGI, mais aussi les praticiens, sont nombreux à avoir compris que la spécificité de ces litiges invite à penser leur règlement autrement que par la seule voie du droit.
Notes de bas de page
1 En 2014. La fonction de juge aux affaires familiales est marquée par un fort taux de rotation des juges. Actuellement, vu l’augmentation du volume des affaires familiales, il y a en outre, une désaffection vis à vis de ce poste. Ce sont les jeunes qui y sont envoyés et qui n’y restent pas. Ces juges ne sont pas reconnus, voire dévalorisés. Pourtant ces juges qui voient les évolutions sociales sont à l’avant-garde des mutations de société. V. C. Tasca et M. Mercier, « Justice aux affaires familiales : pour un règlement pacifié des litiges », Rapport d’information n° 404, Sénat, 26 février 2014, p. 45.
2 Certains n’assurent que les référés, d’autres que le contentieux de la tutelle des mineurs.
3 Lors de cette recherche, il a également été possible d’assister à quelques audiences à la Cour d’appel et de comparer la pratique de la médiation familiale des trois formations collégiales de la chambre de la famille qui traitent en outre, de l’appel des dossiers d’annulation de mariage, de filiation et d’enlèvement international d’enfants, contentieux qui ne relève pas de la compétence des JAF, mais de celle des tribunaux de grande instance en formation collégiale.
4 De l’ordre de 40 % d’après le rapport au Sénat préc.
5 Arrêtés du 16 mai 2013, JO 31 mai 2013.
6 Arr. 16 mars 2017, NOR :JUSB1707997A : Bayonne, Bordeaux, Cherbourg en cotentin, Evry, Nantes, Nîmes, Montpellier, Pontoise, Rennes, Saint-Denis et Tours.
7 JOUE L 136 du 24 mai 2008.
8 La directive du 21 mai 2008 régit l’ensemble des médiations transfrontalières portant sur des matières de nature civile ou commerciale, que ces médiations soient judiciaires ou conventionnelles.
9 Ordonnance du 16 novembre 2011, v. Rapport au Président de la République, JORF n° 0266 du 17 novembre 2011, p. 19283 et B. Gorchs-Gelzer, « Regard critique sur l’ordonnance 2011-1540 transposant la directive médiation », Dr. et procédures, janv. 2012, chron. 2 ; N. Nevajans, « L’ordonnance du 16 novembre 2011 : un encouragement au développement de la médiation ? », JCP G, n° 6, p. 148 ; S. Tandeau de Marsac, « La transposition de la directive européenne sur la médiation en France », Cahiers de l’arbitrage, 1er avril 2012, n° 2, p. 341 ; « La transposition de la directive Médiation en droit français », LPA, 2 avril 2012, n° 66.
10 Décret n° 2012-66 du 20 janvier 2012. F. Rongeta-Oudin, « Le règlement amiable des différends est en bonne marche », JCP G, n° 7, 13 févr. 2012, p. 157 ; S. Amrani-Mekki, « Présentation du décret n° 2012-66 du 20 janvier 2012 », Gaz. Pal., 26 mai 2012, n° 147.
Auteur
Professeur, Aix Marseille Univ, Laboratoire de droit privé et de science criminelle (EA 4690), Aix-en-Provence, France
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1965-1985-2015 : Cinquante ans de droit des régimes matrimoniaux
Bilan et perspectives
Vincent Egéa (dir.)
2018