Rapport de synthèse
p. 285-292
Texte intégral
1à l’issue de ces deux journées de colloque, nous pouvons dire que la réflexion a débuté grâce à une question, posée par Anne Leborgne : la médiation constitue-t-elle une alternative ou une étape du procès ?
2D’emblée, on peut se demander s’il ne convenait peut-être pas d’écrire et/ou : la médiation, alternative ET/OU étape du procès. On conviendra sans mal que telle formulation serait assurément moins séduisante que celle retenue par Anne Leborgne. Si le choix entre les deux conjonctions ne s’avère pas des plus élégants, il démontre toutefois qu’en ce domaine, il est question de diversité, de multiplicité.
3Ainsi, l’on a pu relever au cours de ces deux jours des expressions qui, assurément, renvoient à cette diversité, telles que celles que vient d’énumérer Madame le bâtonnier Andrée Minguet en se posant la question de savoir si la médiation va sauver sa mission et son image. De même, pour reprendre les formules d’Alain Sériaux, la médiation se développerait « tous azimuts », faisant l’objet d’un « foisonnement », au point que Virginie Larribau-Terneyre ait eu l’audace de sauter le pas et de s’interroger sur l’existence d’un socle commun.
4Foisonnement, mouvement, développement : que reste-t-il dans ce paysage un peu confus ? Demeure assurément un processus qui permet de renouer un dialogue et l’on a bien saisi avec les explications de Mme Jhonstone les dangers que la scotomisation fait courir aux relations interpersonnelles.
5Alors il reste avant tout un processus, un MARD, qui se distingue des autres : conciliation, convention de procédure participative, qui se diffuse, Bruno Sassani l’a rappelé, en Italie. Et il vient d’être indiqué par Mme Gorchs-Gelzer que la diversité se retrouve aussi en droit de l’UE dans le domaine de la consommation, où se distinguent finalement deux modèles. à côté d’un organe qui facilite les rapprochements, on en trouve un second qui propose ou impose des solutions. D’ailleurs, Madame Gorchs-Gelzer indiqua que l’Allemagne parle de « médiation stricto sensu », ce qui ne manque pas de retenir l’attention.
6Ce dont il est question, spécifiquement, pour la médiation, consiste à tenter d’étouffer voire d’éteindre le conflit qui nourrit le litige, familier du juriste. Voici peut peut-être le fameux concept unique, dont parlait N. Fricero, à l’instant en évoquant un concept unique mais une diversité des modalités fonctionnelles.
7Limitons-nous à la seule médiation. C’est déjà beaucoup. Peut-être le pluriel s’impose-t-il d’ailleurs : limitons-nous aux médiations.
8Qu’y a-t-il de commun entre les médiations CMAP de l’avenue Roosevelt présentées par Denis Mouralis, des médiations prud’homales qui interviennent dans un domaine marqué par une lutte des classes dont Alexis Bugada a rappelé la survivance, et l’importance statistique rappelée par Jean-Baptiste Perrier en matière de violences conjugales ?
9à l’issue de ces deux jours, on peut dire que ce qu’il y a de commun, ce sont trois éléments caractéristiques de la médiation. La médiation constitue un savant mélange du cœur, de l’argent et du temps. Pardonnez ma trahison du plan en trois parties, mais il s’impose ici et j’évoquerais donc le cœur tout d’abord ; l’argent, ensuite et le temps, enfin.
I. Le cœur
10Le cœur tout d’abord, comme siège des sentiments, de l’affect, de l’intime, constitue l’objet de la médiation. Ceci explique sans doute qu’il a beaucoup été question de médiation familiale durant le colloque. Dans l’espace, le constat se vérifie unanimement : la matière familiale constitue le terrain d’élection de la médiation. Et l’on a bien saisi en écoutant Jean-Baptiste Perrier toute la difficulté d’organiser une médiation lorsque des violences familiales sont commises. Cette importance du cœur est très nette lorsqu’on perçoit l’impérieuse nécessité d’adopter une posture de médiateur. Ceci pose pour le juriste la question fondamentale posée hier par Sylvaine Guillemard : quelle place reste-t-il pour le droit, pour le discours juridique au sein de ce processus ?
11Le batônnier Andrée Minguet s’est érigée ce matin pour dire qu’il convenait de se garder de trop judiciariser la médiation. Gardons le cœur de la médiation !
12Plus largement encore, une autre difficulté se pose, d’ordre technique. Si le RPVA a remplacé l’envoi ou le dépôt du dossier, la médiation en ligne peut-elle remplacer la médiation en présentiel ? La présence physique est-elle la seule à permettre ce jeu des sentiments et des élans du cœur ?
13Le Président Juston a rappelé les attentes européennes en matière de visioconférence. Et l’on voit poindre des nouvelles interrogations, occasions peut-être de futur colloque…
14Mais le cœur est aussi celui d’une Nation et l’on a bien saisi à entendre le Professeur Najet Brahmi, que l’essor de la médiation dans la loi constitue aussi un enjeu politique. Voyez comme en Tunisie la place de la médiation dans la loi civile est commerciale est liée à la fois à l’indépendance du pays mais aussi et surtout à la jeune Révolution de 2011.
15Il n’est pas seulement question de cœur, en matière de médiation, car l’on a beaucoup parlé aussi d’argent.
II. L’argent
16L’argent, ensuite, demeure liée à la médiation, notamment par le biais de la question fondamentale des coûts. La comparaison pouvait paraître intuitive et Pierre Garello nous a démontré sa signification, à l’aide de données chiffrées. Il fut particulièrement saisissant de voir, diapositives et power point à l’appui, la perspective de la justice « classique » et de la médiation, grâce à des chiffres précis. Il est en particulier très utile de bénéficier de données sur « le gain d’argent ».
17Et ce matin encore, Denis Mouralis nous a indiqué que la médiation présente un coût inférieur à celui l’arbitrage. Et l’on a bien compris qu’il est question, là encore, d’argent.
18Un gain d’argent, certes, mais pour qui ?
19Pour l’État, tout d’abord. Et s’il existe un point commun entre tous les États dont nous avons parlé, il s’agit sans doute de la situation des deniers publics et de la volonté de « désengorger les tribunaux » par considération pour nos finances nationales. Mais en même temps, Montserrat Perena Vicente, Carmen Lazaro, Emmanuel Guinchard ont tous dressé le même constat : celui du manque cruel de médiateurs. Ceci pose bien sûr la question de la formation, mais aussi celle des postes de magistrats, au sein desquels l’on trouvera sans doute de courageux défenseurs de la médiation. Anne Leborgne nous l’a dit pour le ressort de la Cour d’Aix, où se trouvent 29,78 équivalents temps-plein (TGI), auxquels s’ajoutent les conseillers d’appel, soit environ une quarantaine de personnes.
20Pour les personnes, il est également question d’économie, lorsque l’on traite de médiation. Denis Mouralis a expliqué que le CMAP présente un avantage financier comparatif par rapport à d’autres organismes d’arbitrage. Et l’on entend bien que la concurrence règne en ce domaine. Mme Gorchs-Gelzer a parlé d’un mode alternatif à moindre coût pour le consommateur. Là encore, voici une considération nouvelle pour le juriste. Ce dernier se trouve en effet face à autre chose que la justice étatique. Sur ce champ plus inconnu, la diversité règne encore. Mais en raison de sa diversité, la médiation concerne aussi des matières différentes, même si l’ombre du droit des affaires et de la matière familiale a plané sur l’ensemble de nos débats. Pour les époux, partenaires de PACS, concubins et, bien évidemment, pour les parents, l’un des interlocuteurs privilégiés sera le Bureau d’Aide Juridictionnelle.
21Pour les médiateurs, enfin, l’argent demeure une question évidemment importante. La table ronde relative à la formation des professionnels était remarquable car l’on sentait bien que chacun ne souhaitait pas « rater le train » pour reprendre une formule que l’on a entendu hier. Mme Clavier nous a expliqué les avancées, peut-être insuffisantes mais présentes tout de même, de la prise en charge de la médiation au titre de l’aide juridictionnelle.
22Bien évidemment, ceci concerne au premier chef les citoyens dont les ressources demeurent modestes, mais tout de même, la question de l’aide juridictionnelle intéresse aussi le médiateur lui-même. Et l’on a vu poindre une interrogation fondamentale : quelle rémunération pour le médiateur qui mène une médiation qui n’aboutit pas à un accord ? Demeure certes le rôle du rapport mais à bien y regarder, remettre ce rapport de mission présente un sérieux problème de conformité à l’exigence de confidentialité. Et l’on a appris avec grand intérêt, grâce à un médiateur présent dans la salle qu’un recours était pendant devant le Conseil d’état sur ce point.
23J’ouvre ici une parenthèse au passage pour dire qu’il s’agit d’un signe de réussite d’un beau colloque : les participants apportent des précisions, complètent, contestent parfois, ce que disent les orateurs.
24Dans une perspective quelque peu différente, Denis Mouralis nous a fait part ce matin des 30 % que le médiateur CMAP doit reverser au centre. La rémunération du médiateur constitue évidemment une question fondamentale, car l’on a bien saisi en écoutant Me Layet, Me Bataillé, Me Coutant et Mme Gueydan, que la réflexion du médiateur sur sa posture demeure tout à fait essentielle, qu’elle demande un effort personnel qui, comme toute force de travail, doit être correctement rémunérée.
25Songeons à l’aveu de Me Bataillé, qui nous indique ne pas pouvoir mener une médiation le matin et plaider l’après-midi. Se pose alors la question du temps.
III. Le temps
26De temps, enfin, il a beaucoup été question durant ces deux jours. Alexis Bugada a cité ce matin cette source originale du droit, cinématographique, pour rappeler à quel point cette portion de durée est importante. Dans la médiation, le propos se vérifie avec une acuité singulière. Grâce à la riche présence de collègues et amis étrangers, la réflexion sur la médiation s’est inscrite dans l’espace. Mais l’on ne pouvait qu’être frappé à l’écoute des contributions par la place de la médiation dans le temps.
27Le temps, que l’on définit communément comme une fraction de durée. Là encore, le pluriel s’impose. Ce sont les temps du processus de médiation dont il est question et j’évoquerai successivement le temps de la médiation, tout d’abord ; le temps de l’instance, ensuite ; le temps de la réforme, enfin.
28Le temps de la médiation tout d’abord, nécessite de rappeler comme le fit ce matin Anne Leborgne que la médiation constitue un temps spécifique par rapport au procès. En effet, la médiation prend du temps, A. Sériaux ayant précisé hier qu’il s’agit en effet de rechercher la valeur de justice. Mme Gorchs-Gelzer parlait ce matin de justice substitutive, une justice autrement ; ou bien encore d’un outil complémentaire, qui se trouve à côté de la justice classique.
29Pour faire cette œuvre de justice, il faut laisser du temps au temps. Vieux dogme peut-être, mais impérieuse nécessité tout de même ! Rétablir la communication prend du temps. Comment, dès lors concilier ceci avec la médiation familiale par skype, évoquée par le Président Juston ?
30Combien de séances de médiation l’aide juridictionnelle doit-elle prendre en charge ? Il est encore question de temps ici. Des interrogations riches apparurent sur le temps de la médiation, car trouver une posture de médiation paraît bien chronophage. Encore faut-il déterminer quand intervient la médiation. Voici poindre le temps de l’instance.
31Le temps de l’instance, ensuite, invite à situer la médiation. Pour nous autres, juristes, quand la médiation doit-elle intervenir par rapport à l’instance ?
32Emmanuel Guinchard a rappelé qu’en Angleterre et au Pays de Galles, 90 % des affaires n’aboutissent pas devant une juridiction. La médiation constitue un complément du procès civil et non un substitut. Les parties peuvent avoir intérêt à ce que l’on connaisse un procès (important en common law). De ce point de vue, il fut très intéressant de voir que l’état présenté comme modèle, le Québec, connaît une grande diversité de médiation, comme l’a présenté S. Guillemard. Outre-atlantique, la médiation constitue un concept multiforme. Ainsi lors de la conférence de règlement à l’amiable, le magistrat nommé ne doit pas avoir un lien avec l’affaire. Au Québec aussi, il existe une médiation obligatoire. Le greffier désigne le médiateur et les frais sont pris en charge par le ministère de la Justice.
33Et c’est bien la question du temps de l’instance qui, en Italie, a permis l’essor de la médiation. B. Sassani a parlé d’une crise de confiance envers l’institution judiciaire, en raison de la durée des procédures.
34Pour synthétiser, il apparaît que la médiation peut se situer à plusieurs moments. Bien sûr, nous connaissons la grande distinction fondamentale, assez nette dans le Code de procédure civile français entre la médiation judiciaire, dont on a beaucoup parlé et la médiation conventionnelle. La médiation conventionnelle qui, comme le démontra Laura Weiller, peut paradoxalement susciter un nouveau contentieux et retour devant le juge pour, cette fois-ci, interpréter les clauses de médiation. Voici donc un art subtil qui, pour paraphraser Flour, peut ouvrir sur une boîte aux surprises…
35Dans le cadre judiciaire, plusieurs formules existent là aussi, telles que la médiation obligatoire comme au Québec, la médiation proposée, l’injonction à rencontrer un médiateur. Montserrat Perena Vicente nous a déjà largement mis en garde. Attention à certaines réserves européennes qui s’inquiètent d’une éventuelle atteinte au droit d’accéder au juge. Natalie Fricero a rappelé les solutions strasbourgeoises sur ce point : une entrave, certes, mais pas substantielle !
36Montserrat Perena Vicente a posé des questions clefs sur ce point. Choses importantes. La médiation doit-elle être obligatoire ? Doit-elle se situer dans la procédure ou en dehors ? Quelles sont les conditions requises pour la force exécutoire ?
37Pour évoquer, enfin, le temps de la réforme, je donnerais volontairement un sens équivoque au terme « réforme ». Que convient-il de réformer ?
38L’objet de la réforme, pour nous juristes, concernent les textes. Ici, l’enjeu s’avère plus large car il convient aussi de réformer les mentalités. Voyons comment changer les textes tout d’abord et changer les mentalités ensuite.
39Pour changer les textes, nous avons saisi en écoutant Natalie Fricero que des obligations positives pèsent sur les états du Conseil de l’Europe. Pour autant, faut-il rappeler en ces murs, qu’il ne faut légiférer que d’une main tremblante ?
40La médiation, offre un champ d’observation légistique tout à fait original. Il est question d’expérimentation en ce domaine. Songeons à la médiation à titre obligatoire ! En 2010, furent nommées deux juridictions pilotes, les tribunaux de grande instance de Bordeaux et d’Arras. En 2016, dans la loi dite Justice 21, relayé par un récent arrêté de mars 2017, ce sont onze juridictions pilotes dont il a été question. Ces expériences locales fournissent des données chiffrées, montrent qu’il ne s’agit pas de lubies de farfelus, mais d’une des voies qui peut permettre d’atteindre l’idéal de Justice. Et l’on a bien saisi que tous, psychologues ou juristes, partagent ce noble but.
41Terminons par quelques mots sur le changement des mentalités. La réforme devient très ambitieuse lorsqu’elle concerne les esprits. Une génération, d’un point de vue démographique, c’est trente ans. Il a été beaucoup question d’inculquer une « culture » de la médiation. Il faut acquérir la « médiation attitude » nous a dit le Président Juston.
42Et l’on a constaté que ceci n’est pas propre à la France, puisqu’il s’agit même peut-être, d’un droit de l’homme, nous dit N. Fricero. Une angoisse a pu poindre, encore ce matin, à entendre Andrée Minguet, hier en fin d’après-midi, lors de puissants échanges : le juriste n’est-il pas contaminé ? N’est-il qu’un pécheur irrécupérable, nourri de recherche de litiges, d’opposition d’intérêts, pétri de ses réflexes naturels qui consistent à trancher, défendre et, en somme, obtenir la mort symbolique de l’autre.
43Qu’il me soit permis, pour terminer, de me rallier à l’optimisme qui caractérise la doctrine juridique d’Anne Leborgne et sa vision du monde. Les mentalités ont déjà changé et notre simple présence ici le démontre. Il faut louer les efforts inlassables des promoteurs de la médiation qui ont utilisé tous les leviers de diffusion concevables. Utiliser les textes, comme l’expérience du Président Juston. Dès le début des années 2000, furent ainsi saisies les possibilités offertes par les lois du 4 mars 2002, 26 mai 2004, pour proposer ou enjoindre en matière familiale la rencontre d’un médiateur.
44Il convient également de rapprocher les professionnels du droit, conclure des chartes, comme l’a indiqué hier Anne Leborgne, pour les partages judiciaires. Charte, guide de bonne pratique comme celui remarquable qu’a rédigé en Espagne Montserrat Perena Vicente, pour créer des petites normes, de soft law, pour changer la manière de faire.
45Il s’avère nécessaire enfin d’informer par des documents de présentations, par des bureaux d’accueil, par le rôle novateur du Bureau d’Aide Juridictionnelle, mais aussi par les rapports officiels. Songez à l’effort fourni par plusieurs de ceux qui sont présents ce jour : rapport Guinchard au sein duquel N. Fricero joua un rôle essentiel, rapport Delmas-Goyon, rapport Magendie III, rapport Juston auquel participa Anne Leborgne. Au-delà des divergences, cette vague de rapports constitue en elle-même une preuve de ce changement de mentalité.
46Pour conclure, la médiation est une subtile combinaison du cœur, de l’argent, du temps. à bien y regarder, n’est-ce pas là tout simplement la civilité, c’est à dire pour reprendre mot de Carbonnier, le vivre-ensemble. Voici deux jours qui ont apporté leur modeste pierre à nos infatigables efforts de recherche du bien vivre ensemble !
Auteur
Agrégé des Facultés de Droit, Aix Marseille Univ,
LDPSC (EA n° 4690), Aix-en-Provence, France
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