Violences familiales et médiation. Est-ce encore possible ?
p. 205-219
Texte intégral
1à travers les différentes contributions de cet ouvrage consacré à la médiation, familiale notamment mais pas seulement, il a déjà été possible, à de nombreuses reprises, de souligner tout l’intérêt de la médiation pour le règlement du litige, en ce qu’elle est tout autant un mode alternatif de règlement des différends qu’un mode apaisé de règlement des différends, pour décliner l’acronyme MARD. Une telle observation est vraie pour la médiation familiale, elle l’est également pour la médiation pénale, cette rencontre permise entre l’auteur et la victime de l’infraction afin de les conduire à trouver une solution leur permettant de régler de façon apaisée les suites (civiles) de l’infraction.
2Cela étant, si les vertus d’apaisement de la médiation sont indéniables, la question se pose légitimement de savoir si cette pacification du règlement du litige est possible, quel que soit le contexte, et particulièrement quel que soit le contexte familial.
3L’on comprend alors le thème de cette contribution, confrontant la médiation, cet apaisement permis ou recherché, aux violences familiales, souvent synonyme de drames humains.
4Les chiffres sont connus et leur rappel suffit pour prendre la mesure de la situation : en 2014, 118 femmes sont décédées des suites de coups de leur conjoint ou ex-conjoint (soit un décès tous les trois jours ; 134 si l’on compte les violences commises par un partenaire épisodique), et 25 hommes (26 si l’on compte les violences commises par un partenaire épisodique, soit un décès toutes les deux semaines) ; pour la même année, 35 enfants mineurs sont décédés dans le cadre de violences familiales. En 2015, les chiffres des décès sont en légère baisse (115 et 21, pour les violences commises par le conjoint habituel), mais les violences familiales restent à un niveau inacceptable1. On estime que 223 000 femmes sont victimes de violences conjugales dans des formes graves (plus de 50 000 subiraient des violences sexuelles), une estimation seulement car une femme sur sept déposerait plainte.
5Face à l’ampleur du phénomène, la question peut se poser de l’intérêt de la médiation, qu’elle soit familiale ou pénale, et de la recherche d’apaisement dans un tel contexte2. La question est simple : est-il pertinent, face à des violences familiales, de chercher à réconcilier les parties ?
6Le législateur s’est saisi de cette question et il a choisi sa réponse, en limitant, voire en excluant le recours à la médiation dans le cadre de violences familiales. Dès lors, à cette question posée, « Violences familiales et médiation, est-ce encore possible ? », la réponse est positive, mais le champ de la médiation s’est considérablement réduit.
7Pour expliquer cette réponse, il convient de reprendre les évolutions législatives qui ont conduit à ce constat (I), avant de revenir sur les raisons de ces évolutions (II), pour terminer en s’interrogeant sur leur opportunité (III).
I. Le constat de la limitation du recours à la médiation en matière de violences familiales
8Le constat est clair et sans appel : dans un contexte de violences familiales, le législateur a limité le recours à la médiation, d’abord pour la médiation pénale et plus récemment pour la médiation familiale.
9S’agissant de la médiation pénale, elle est prévue par l’article 41-1, 5°, du Code de procédure pénale, inséré par la loi du 23 juin 19993, lequel reprend le mécanisme introduit dès 19934, qui institutionnalisait une pratique remontant aux années 80. Initialement, ce texte prévoyait simplement que le procureur pouvait, préalablement à sa décision sur l’action publique, « faire procéder, avec l’accord des parties à une mission de médiation entre l’auteur des faits et la victime ». L’idée était simple et simplement exprimée.
10La loi du 9 mars 20045 a précisé les conséquences du succès de la médiation pénale, en indiquant qu’« en cas de réussite de la médiation, le procureur de la République ou le médiateur du procureur de la République en dresse procès-verbal, qui est signé par lui-même et par les parties, et dont une copie leur est remise ; si l’auteur des faits s’est engagé à verser des dommages et intérêts à la victime, celle-ci peut, au vu de ce procès-verbal, en demander le recouvrement suivant la procédure d’injonction de payer, conformément aux règles prévues par le nouveau Code de procédure civile ». L’intérêt de la précision était de permettre le recours à la procédure d’injonction de payer, pour cet accord de médiation qui a valeur de transaction entre les parties6 ; le processus de médiation tout comme son champ d’application n’étaient toutefois pas modifiés.
11Concernant le champ d’application d’ailleurs, l’utilisation de la médiation pénale était loin d’être rare en matière de violences familiales (que certaines circulaires ont qualifié de délinquance urbaine) : du domaine initial des atteintes aux biens, l’usage de la médiation s’était en effet déplacé vers certains actes de violences intrafamiliales7, même si les pratiques étaient différentes selon les juridictions8. La loi ne posait pas de critères ni de délimitation, l’utilité du recours à la médiation étant renvoyée à l’appréciation du procureur au nom de l’opportunité des poursuites.
12La loi du 9 juillet 2010 avait considérablement modifié cette liberté d’appréciation9. Le recours à la médiation pénale devait être accepté seulement par la victime, et non plus par les parties ; l’idée était que l’auteur est présumé accepter cette mesure qui lui est favorable. Surtout, poursuivant son objectif de lutte contre les violences faites spécifiquement aux femmes, les violences au sein des couples et les incidences de ces dernières sur les enfants, la loi de 2010 avait précisé, à l’article 41-1, 5°, que « la victime est présumée ne pas consentir à la médiation pénale lorsqu’elle a saisi le juge aux affaires familiales en application de l’article 515-9 du Code civil en raison de violences commises par son conjoint, son concubin ou le partenaire avec lequel elle est liée par un pacte civil de solidarité ».
13La loi du 9 juillet 2010 avait donc introduit une première limitation textuelle à la possibilité de recourir à la médiation pénale en matière de violences familiales : la médiation n’était plus possible, par cette présomption de non-consentement, lorsque la victime avait demandé une ordonnance de protection.
14Le législateur avait ainsi créé un rapport d’exclusion, soumis à condition, entre violences familiales et médiation pénale, les premières excluant le recours à la seconde dans certains cas. La logique est identifiée et cette logique s’est encore accrue avec les lois plus récentes.
15La loi du 4 août 201410 a en effet supprimé cette référence à l’ordonnance de protection et cette présomption de non-consentement pour introduire de nouvelles conditions encore plus exclusives. Ainsi, « lorsque des violences ont été commises par le conjoint ou l’ancien conjoint de la victime, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son ancien partenaire, son concubin ou son ancien concubin, il n’est procédé à la mission de médiation que si la victime en a fait expressément la demande ». L’on passe d’une présomption de non-consentement à une exigence de demande expresse.
16De plus, la loi ajoute que l’auteur des violences doit également faire l’objet d’un rappel à la loi ; enfin, l’article 41-1, 5°, termine en indiquant que « lorsque, après le déroulement d’une mission de médiation entre l’auteur des faits et la victime, de nouvelles violences sont commises par le conjoint ou l’ancien conjoint de la victime, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son ancien partenaire, son concubin ou son ancien concubin, il ne peut être procédé à une nouvelle mission de médiation »11.
17Le mouvement est remarquable, entre 2010 et 2014, puisque l’on passe d’une limitation à une exclusion de la médiation pénale, en cas de violences familiales réitérées.
18Dès lors, à la question posée de savoir « est-ce encore possible », la réponse est un « oui, mais », c’est-à-dire que la médiation pénale peut être mise en œuvre pour des faits de violences conjugales, mais à la condition que la victime en fasse la demande (ce qui semble peu probable car, au-delà de ses intentions et souhaits personnels, elle est rarement informée de cette possibilité et de ses conséquences), et à la condition également qu’il ne s’agisse pas de violences réitérées après une première médiation.
19La médiation pénale n’est pas totalement exclue, mais sa mise en œuvre est sensiblement plus difficile12.
20Un tel mouvement est donc remarquable pour la médiation en matière pénale, et il l’est d’autant plus qu’il semble s’être transposé en matière civile, avec la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du xxie siècle.
21En effet, s’agissant de la médiation familiale, l’article 373-2-10 du Code civil13 indique qu’en cas de désaccord pour l’exercice de l’autorité parentale, « le juge s’efforce de concilier les parties », et qu’« à l’effet de faciliter la recherche par les parents d’un exercice consensuel de l’autorité parentale, le juge peut leur proposer une mesure de médiation et, après avoir recueilli leur accord, désigner un médiateur familial pour y procéder ».
22La proposition peut devenir injonction, non pas de recourir à la médiation (sauf dans les tribunaux désignés à titre expérimental), mais de « rencontrer un médiateur familial qui les informera sur l’objet et le déroulement de la médiation ». L’idée de ce texte était que, informées de tous les avantages offerts par la médiation familiale, les parties choisiraient alors d’entrer en médiation14.
23La loi du 18 novembre 2016 a toutefois apporté une limite à ce vœu d’un apaisement choisi par les parties, en précisant que le juge peut enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur, « sauf si des violences ont été commises par l’un des parents sur l’autre parent ou sur l’enfant ». De nouveau, le recours à la médiation est limité dans le cadre de violences familiales et l’on retrouve une idée déjà portée, sans succès, dans le cadre d’une proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale en 2014, mais jamais examinée par le Sénat15.
24Le champ de la médiation est précisé, mais la portée de cette précision n’est pas sans soulever certaines questions. D’abord, il semblerait que seul l’alinéa 3 de l’article 373-2-10 soit modifié, de telle sorte que seule l’injonction de rencontrer un médiateur est exclue ; la proposition de médiation, avec l’accord des parties, prévue par l’alinéa 2 du même texte n’est pas concernée.
25De même, s’agissant des mesures provisoires relatives à la procédure de divorce, l’article 255 du Code civil16 permet au juge de « proposer aux époux une mesure de médiation et, après avoir recueilli leur accord, désigner un médiateur familial pour y procéder ». Le texte poursuit pour permettre au juge d’enjoindre aux parties de « rencontrer un médiateur familial qui les informera sur l’objet et le déroulement de la médiation »17.
26Ces dispositions n’ont pas été modifiées par la loi du 18 novembre 2016, la proposition de médiation et l’injonction de rencontrer un
médiateur restent donc possibles s’agissant des mesures provisoires relatives au divorce. La limitation est donc moins importante qu’il n’y paraissait, d’autant que l’on rappelle également que la proposition de médiation n’est pas écartée en matière d’autorité parentale dans le cadre de violences familiales : seule l’injonction de rencontrer un médiateur est désormais écartée, même si l’on devine que l’heure n’est pas à la promotion de la médiation dans un tel contexte, à tel point que certains n’hésitent pas à considérer que la médiation est exclue.
27Ainsi, pour la médiation familiale, comme pour la médiation pénale mais de façon plus récente, à la question posée de savoir « est-ce encore possible », la réponse est un « oui, mais », c’est-à-dire que la médiation familiale peut être proposée pour des faits de violences conjugales, mais il n’est plus possible d’enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur en cas de désaccord sur l’exercice de l’autorité parentale, ce qui limite sensiblement les perspectives d’une médiation.
28Il est tout à fait intéressant de remarquer cette proximité entre la matière pénale et la matière civile, conduisant dans un cas comme dans l’autre à un recul du recours à la médiation dans un contexte de violences conjugales. Cette proximité des champs laisse deviner que les raisons de cette limitation sont proches elles aussi, sinon identiques.
II. Les raisons de la limitation du recours à la médiation en matière de violences familiales
29Les raisons de cette limitation du recours à la médiation en matière de violences familiales ont été, en quelque sorte, résumées par le Garde des sceaux, pendant les débats à l’Assemblée nationale, lors de l’adoption de l’amendement présenté par la députée Cécile Untermaier dans le cadre de la loi de modernisation de la justice du xxie siècle. Selon lui, « il va de soi qu’en cas de violences avérées dans un couple, la conciliation est une procédure inadaptée »18.
30Une telle idée est partagée par d’autres : dans un contexte violent, la médiation ne permet pas « d’effacer tous les maux et des circonstances montrent que parfois, la rigueur de la loi doit primer »19.
31à travers la nouvelle précision de l’article 373-2-10 du Code civil, écartant l’injonction dans le cadre de violences familiales, le législateur vise donc à prendre en considération les intérêts de la victime, afin d’éviter de la confronter de nouveau à son « agresseur ». Lors d’une médiation familiale, cette rencontre pourrait en effet être vécue comme une nouvelle violence20.
32Cette logique se retrouvait déjà, en matière pénale, dans le cadre de la loi du 9 juillet 2010, à propos de laquelle il avait pu être dit qu’elle s’inscrivait dans « un système juridique compassionnel qui ne prend plus en compte que les victimes »21.
33Il s’agissait à l’époque de revenir sur l’idée qu’un mauvais conjoint pouvait rester un bon père de famille. Or, comme le soulignait le rapport de la mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, « par le simple fait d’infliger des violences à la mère de ses enfants, le père violent fait plusieurs victimes : sa femme et ses enfants »22. De plus, si la médiation pénale permettait dans certains cas d’obtenir une solution intéressante, l’agresseur et la victime étaient toutefois placés « sur un pied d’égalité »23.
34Afin d’éviter une victimation secondaire, à laquelle aurait pu conduire une nouvelle rencontre entre la victime et l’auteur des faits24, le législateur a donc choisi de limiter le recours à la médiation dans le cadre de violences familiales.
35Cette volonté est nette, d’autant plus que, s’agissant de la médiation familiale, le législateur a entendu protéger la victime dès lors que les violences sont alléguées. Cette précision n’apparaît pas à la lecture des dispositions du Code civil, qui sont imprécises sur ce point, et cette imprécision a d’ailleurs été soulevée devant le Conseil constitutionnel, pour contester l’article 6 de la loi dite « J 21 ». Selon les sénateurs requérants, les dispositions introduites méconnaissaient l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, dès lors qu’elles ne précisaient pas « si les violences doivent être constatées par le juge, établies dans une plainte ou simplement alléguées par l’une des parties »25.
36Saisi de cette difficulté, le Conseil constitutionnel a dû interpréter le silence de la loi, et son interprétation reflète le souci de protection des victimes qui avait déjà guidé le législateur.
37Après avoir observé que « le législateur n’a pas entendu subordonner l’interdiction faite au juge aux affaires familiales d’enjoindre aux parents de recevoir une information sur l’objet et le déroulement d’une mesure de médiation en cas de violences intrafamiliales à la condition que ces violences aient donné lieu à une condamnation pénale ou au dépôt d’une plainte », le Conseil indique en conséquence qu’« il appartiendra au juge d’apprécier la réalité des violences pour l’application du troisième alinéa de l’article 373-2-10 du Code civil »26.
38L’on comprend tout à fait ces arguments, en ce qu’il ne faut pas ignorer, par une foi absolue en la médiation, la difficulté dans laquelle ce procédé peut placer certaines victimes de violences familiales.
39Ce point de vue n’est d’ailleurs pas seulement celui du législateur français ; l’on peut remarquer sur ce point que la loi du 18 novembre 2016 s’inscrit dans le sillon tracé par la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique, dite Convention d’Istanbul du 12 avril 2011, ratifiée le 4 juillet 201427. L’article 48 de cette Convention d’Istanbul indique en effet que « les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour interdire les modes alternatifs de résolution des conflits obligatoires, y compris la médiation et la conciliation, en ce qui concerne toutes les formes de violence couvertes » par la Convention.
40Certes, l’injonction de rencontrer un médiateur n’est pas une obligation de médiation, mais l’on voit bien la logique visant à éviter d’imposer aux parties de rencontrer un médiateur, que ce soit pour une information ou pour une médiation, et ce afin de protéger la victime.
41Les textes internes et internationaux ne visent toutefois qu’à éviter les injonctions et obligations ; rien n’interdit la proposition, rien n’interdit aux parties d’y recourir dans certains cas. Une fois encore, lorsque la médiation semble utile, malgré les violences, lorsqu’elle est souhaitée par la victime notamment, elle doit pouvoir être mise en œuvre. Les hypothèses seront certes rares, mais il serait regrettable de se priver du recours à ce procédé lorsqu’il est utile.
42Cette dernière observation, tenant à la rareté des hypothèses, conduit toutefois à se poser la question de savoir si les dispositions ont réellement un impact sur le recours à la médiation. Il apparaît en effet que, dans les cas de violences familiales, le recours à la médiation était déjà devenu rare, ce qui conduit à se demander si cette limitation est effective, et plus largement s’il était opportun de la prévoir.
III. L’opportunité de la limitation du recours à la médiation en matière de violences familiales
43S’agissant de l’opportunité de cette limitation, l’on observe que, alors que la médiation pénale a pu, par le passé, être utilisée dans le cadre de violences intrafamiliales28, le recours à celle-ci était de plus en plus rare, avant même la modification opérée par la loi du 4 août 2014.
44De même, il n’est pas certain que la médiation familiale ait été très utilisée dans le cadre de violences familiales, certains rappelant que « le conflit est parfois tel que le juge n’use pas de son pouvoir d’injonction, tant il est certain que la rencontre avec un médiateur demeurerait vaine compte tenu des tensions existant entre les protagonistes »29 ; tel est bien sûr le cas de violences ou de menaces30.
45L’on pourrait alors considérer que la limitation textuelle, en 2014, du recours à la médiation pénale et, en 2016, du recours à la médiation familiale serait ineffective, puisque l’on vient limiter le recours à un dispositif déjà rarement mis en œuvre.
46Cela étant, il est possible que le souhait du législateur soit de limiter plus encore le recours à la médiation dans de tels contextes, jusqu’à l’écarter. Si telle est la logique, la question se pose : cette nouvelle limitation est-elle opportune ? Au regard des raisons avancées, tenant à la nécessaire protection de la victime, il est difficile de répondre par la négative, de laisser la victime subir de nouvelles pressions, de la laisser en difficulté face à son conjoint violent.
47Dans toutes ces hypothèses, il est important de protéger la victime ; mais toutes les situations ne sont pas identiques et la médiation, familiale ou pénale, pourrait avoir un intérêt dans certains cas.
48S’agissant de la médiation familiale, il convient immédiatement de distinguer selon que les violences ont concerné les enfants ou le conjoint. Dans le premier cas, il nous semble que la médiation doit toujours être exclue, car elle porte sur l’autorité parentale ; dans le second, elle peut, dans certaines hypothèses, être utile.
49Certains font en effet valoir qu’en présence de violences conjugales, « ce type de médiation a porté ses fruits dans des cas concrets »31 ; certaines études révèlent que les individus apparemment imperméables à cette approche s’y adaptent et trouvent une solution apaisée à la situation, dans un contexte protégé32.
50Ce point de vue est loin d’être partagé par tous33 ; toutefois, il ne s’agit pas de dire que la médiation est toujours souhaitable, loin de là. Il s’agit plutôt de remarquer que dans certains cas, dans de rares cas peut-être, la médiation pourrait être utile, notamment dans l’hypothèse de violences « contextuelles », car « la médiation familiale peut être un excellent lieu de traitement et/ou de prévention des violences conjugales »34.
51Il semble alors opportun de ne pas fermer totalement la voie de la médiation familiale dans un contexte de violences conjugales. À cet égard, il est intéressant de rappeler que, si la loi du 18 novembre 2016 écarte, à juste titre, l’injonction, le texte laisse toujours au juge la possibilité de proposer une médiation familiale dans le cadre de violences conjugales35. Il semble important de laisser au juge cette possibilité, pour les hypothèses, certes sans doute rares, où la médiation est utile.
52L’on pourrait (devrait ?) pour cela faire confiance au juge, capable d’apprécier l’utilité d’une médiation familiale dans un tel contexte, en apportant si nécessaire des garanties visant à protéger les intérêts de la victime, en suivant par exemple le modèle allemand36.
53L’on pourrait également faire confiance au médiateur familial37, d’autant que son statut professionnel lui impose d’être « particulièrement attentif aux situations d’emprises et de violences conjugales ou familiales susceptibles d’altérer le consentement de l’une ou l’autre partie et même de refuser la médiation au cas où ces conditions ne seraient pas réunies »38.
54La tendance actuelle est toutefois celle d’une limitation généralisée, et l’on voit poindre le risque de cette généralisation : le législateur vient empêcher le juge de proposer une médiation familiale, soit par la loi39, soit en conduisant à une sorte d’autocensure.
55Le risque est d’autant plus grand que l’on peut considérer qu’il s’est réalisé s’agissant de la médiation pénale. Pour cette dernière, le recours est plus que limité, puisque la médiation pénale ne peut être mise en œuvre qu’à la demande de la victime des violences conjugales et elle est exclue en cas de réitération après une première médiation40.
56Par cette restriction et cette exclusion, le législateur a souhaité limiter très fortement le recours à la médiation pénale en matière de violences conjugales. De nouveau, l’on aurait pu (dû ?) considérer que le procureur de la République était à même d’apprécier l’opportunité d’une telle mesure, comme il le fait d’ailleurs pour toutes les infractions ; il aurait été possible ici de continuer à lui faire confiance, quitte à poser un cadre de médiation plus protecteur.
57Une telle logique aurait été très intéressante, car il est important de souligner qu’en matière pénale, les violences conjugales ne signifient pas toujours la fin du couple. L’on est parfois surpris de constater que le couple peut survivre aux violences et que parfois la victime ne souhaite pas la condamnation de l’auteur.
58Dans certains cas, alors que le conjoint violent a fait l’objet d’une mesure d’éloignement du domicile familial, le couple se reforme et la vie commune reprend, en violation de cette mesure41 ; de telles situations existent et il est nécessaire de pouvoir s’y adapter.
59Vertu du pardon ou signe inquiétant d’une soumission, de telles situations impliquent alors que les époux, concubins, co-pacsés poursuivent leur relation, pendant l’exercice des poursuites, ce qui peut générer de nouvelles difficultés. En restreignant, voire en interdisant le recours à la médiation pénale dans ces situations, le législateur ne permet pas à la victime de profiter des vertus de la médiation, vertus que souligne d’ailleurs d’une façon générale la directive « Victime » du 25 octobre 2012, avant d’appeler à la mise en place de garanties42.
60Comme pour la médiation familiale, il pourrait donc sembler opportun de permettre une médiation pénale dans ces hypothèses, lorsque les faits laissent penser qu’elle serait profitable pour la victime, et ce d’autant plus qu’il faut rappeler que la réussite de la médiation pénale, si elle se traduit souvent par un classement sans suite, n’empêche pas l’engagement des poursuites pénales43.
61La logique pourrait alors être tout à fait intéressante : la médiation pénale pourrait se conjuguer aux poursuites pénales, car elles n’ont pas le même objet (l’une concerne l’action civile, l’autre l’action publique) et car la première n’est pas une cause d’extinction de l’action publique44.
62L’on voit tout l’intérêt d’une telle conjugaison, soumise à la condition de la protection des intérêts de la victime : le conflit est apaisé, entre l’auteur et la victime, qu’ils poursuivent ou non leur relation, et l’auteur peut tout de même faire l’objet d’une sanction pénale.
63Plutôt que rechercher la limitation ou l’exclusion, une telle logique semble devoir être encouragée, toutes les fois où la médiation pénale peut paraître profitable, en n’y voyant plus une alternative au procès, mais bien une étape du procès, pour reprendre la problématique de cet ouvrage.
64à la question posée de savoir si la médiation est encore possible en matière de violences familiales, la réponse était un « oui mais », tant la limitation du recours à la médiation semble être recherchée. Pourtant, cette limitation du recours à la médiation dans le cadre de violences conjugales n’est pas toujours opportune, et ce aussi bien pour la médiation familiale que pour la médiation pénale.
65Il conviendrait alors de ne pas accentuer la limitation en matière de médiation familiale, afin de laisser la possibilité au juge de la proposer lorsqu’elle peut être utile, sans pouvoir l’imposer. Il conviendrait surtout de revenir sur la limitation prévue en matière de médiation pénale, afin de redonner la possibilité au procureur de la proposer lorsqu’elle peut être utile, sans l’imposer, tout en lui laissant la possibilité de poursuivre l’auteur devant les juridictions pénales.
66Cela pourrait être une perspective, au moins un souhait pour la médiation du xxie siècle, dans le cadre de violences conjugales : laisser aux magistrats le soin d’en apprécier l’utilité.
Notes de bas de page
1 Selon le Rapport de politique pénale du garde des Sceaux (mai 2017, p. 7), en 2016, le nombre d’affaires de violences conjugales enregistrées par les juridictions a continué de croître. On compte ainsi 36 987 affaires au cours du premier semestre 2016, soit 11 % de plus qu’en 2016, 31 % de plus qu’en 2012. Il faut être prudent, l’augmentation peut traduire une hausse du nombre de faits, mais aussi une « simple » hausse des dénonciations ; la tendance est toutefois à une augmentation du nombre d’affaires, ce qui révèle a minima la persistance du phénomène, sinon son aggravation.
2 Plus généralement, sur cette question et la place particulière de la médiation en matière familiale, v. L. Weiller, « La médiation familiale », in L. Weiller (dir.), Les transformations du contentieux familial, PUAM, coll. équipe Pierre Kayser, 2012, p. 59 ; v. également Th. Clay, « L’arbitrage, les modes alternatifs de règlement des différends et la transaction dans la loi Justice du xxie siècle », JCP G 2016, 1295, spéc. n° 36, où l’auteur relève qu’il s’agit « d’une médiation d’un type particulier, non seulement parce que son régime loge principalement dans le Code civil, mais aussi parce qu’elles concernent les affaires sans doute les plus délicates car les plus douloureuses ».
3 Art. 1 de la loi n° 99-515 du 23 juin 1999 renforçant l’efficacité de la procédure pénale.
4 La médiation pénale avait été introduite quelques années plus tôt dans le Code de procédure pénale par la loi n° 93-2 portant réforme de la procédure pénale ; sur ce point, G. Blanc, « La médiation pénale », JCP G, 1994, I 3760.
5 Art. 69 de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.
6 Civ. 1re, 10 avril 2013, n° 12-13.672.
7 V. sur ce point, E. Maurel, « Le recours à la médiation pénale par le procureur de la République », AJ Pénal, 2011, p. 219 ; certains considéraient même que, pour les violences familiales, le recours à la médiation pénale était « plus adapté » que la composition pénale, J. Lebois-Happe, « De la transaction pénale à la composition pénale », JCP G, 2000, 198.
8 « Le traitement judiciaire variera considérablement en fonction des tribunaux, certains privilégiant systématiquement la médiation pénale. », A. Mezard, « Le traitement judiciaire des violences conjugales », AJ Famille 2003, p. 410.
9 Art. 30 de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010.
10 Art. 33 de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.
11 Dans cette hypothèse, sauf circonstances particulières, le procureur de la République doit mettre en œuvre une composition pénale ou engager des poursuites.
12 La logique s’est encore poursuivie, comme en témoigne la circulaire de politique pénale du 2 juin 2016, invitant, en cas de violences intrafamiliales à une réponse pénale « rapide, empreinte de fermeté, et adaptée à la personnalité de l’auteur » (NOR : JUS D 1617914 C, p. 3).
13 Issu de la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale.
14 V. sur ce point N. Fricero, « Les modes alternatifs de règlement des différends dans la loi de modernisation de la justice du xxie siècle », Dr. fam., 2017, dossier 10, n° 5, qui souligne que « parmi les différentes causes d’échec du développement des modes amiables, on cite souvent la culture du duel judiciaire, de l’affrontement, qui serait celle du justiciable, voire des professionnels du droit. Pour inciter à une pacification des solutions, une information pertinente des intéressés doit être réalisée, particulièrement dans les conflits dans lesquels les aspects psychologiques sont essentiels. C’est ainsi que la loi française permet au juge aux affaires familiales d’enjoindre aux parents qui s’opposent sur l’exercice de l’autorité parentale, de se rendre à une réunion d’information sur la médiation familiale ».
15 Article 17 de la proposition de loi relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant, adoptée par l’Assemblée nationale le 27 juin 2014.
16 Issu de l’article 12 de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce.
17 Art. 255, 1° et 2° du Code civil.
18 J.-J. Urvoas, Audition devant la Commission des Lois AN, 3 mai 2016, p. 36, cité par Th. Clay, préc., n° 36 ; v. encore la circulaire du 2 juin 2016, préc., où le garde des sceaux indique que les violences familiales doivent faire l’objet d’une réponse ferme et qu’aucun fait avéré ne pourra rester sans réponse.
19 Y. Strickler, « Les modes alternatifs de règlement des différends dans la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du xxie siècle », Procédures 2017, étude 7, n° 15.
20 V. en ce sens L. Junod-Fanget, « Médiation et procédure participative dans la loi de modernisation de la justice du xxie siècle », AJ Famille, 2016, p. 596, qui relève « les phénomènes d’emprise psychologique, de culpabilité ressentie par une victime ».
21 E. Bazin, « Les nouveaux pouvoirs du JAF en matière de violences au sein des couples », JCP G 2010, 957, n° 1.
22 Rapport n° 1799, enregistré à l’Assemblée nationale le 7 juillet 2009 ; v. notamment C. Gatto, « L’enfant face aux violences conjugales », AJ Famille, 2013, p. 271 ; E. Durand, « Violences conjugales et parentalité », AJ Famille, 2013, p. 276.
23 A. Mezard, « Le traitement judiciaire des violences conjugales », préc.
24 Le gouvernement a souligné ce point, dans ses observations présentées lors de l’examen de la loi du 18 novembre 2016 par le Conseil constitutionnel, en indiquant qu’« il est en effet inapproprié d’imposer une rencontre avec un médiateur familial dans un tel contexte », en ajoutant que « quelle que soit la nature des violences, le parent victime ou le parent de l’enfant victime ne doit pas être placé dans une situation où l’autre parent pourrait à nouveau exercer une pression sur lui ».
25 Saisine du Conseil constitutionnel en date du 17 octobre 2016 présentée par au moins soixante sénateurs, en application de l’article 61, § 4, JORF du 19 novembre 2016, texte n° 5.
26 Cons. constit. 17 novembre 2016, n° 2016-739 DC, Loi de modernisation de la justice du xxie siècle, JORF du 19 novembre 2016, texte n° 4 ; le Conseil rejoint ici les observations du gouvernement.
27 Loi n° 2014-476 du 14 mai 2014 autorisant la ratification de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique, JORF du 15 mai 2014, p. 8033 ; pour la publication de cette convention, v. le décret n° 2015-148 du 10 février 2015.
28 V. sur ce point, E. Maurel, préc.
29 D. Calderon-Bruneau, « La médiation familiale », Dr. fam. 2011, prat. 1.
30 V. pour une illustration, CA Lyon, 29 janv. 2009, JurisData n° 2009-375647.
31 P. Aufiere, F. Housty, E. Schellino, « Des fleurs pour la médiation », AJ Famille, 2017, p. 192.
32 V. notamment J. Faget, Médiation et violences conjugales, Champ pénal, vol. 1, 2004 ; G. Cresson, « Médiation familiale et violences conjugales », Cahier du genre, n° 33, L’Harmattan, 2002.
33 V. notamment E. Bazin, « Violences familiales », Rép. pr. civ., Dalloz, n° 22, qui ne pense « pas que la médiation familiale soit de nature à solutionner des situations de violence entre parents. En effet, c’est à l’auteur des violences de se soigner et non à la victime de faire des concessions dans le cadre d’une médiation familiale… Surtout, c’est prendre parfois le risque d’une réitération de cette violence, notamment lorsqu’il existe une emprise ».
34 M. Juston, « Violences conjugales et affaires familiales », AJ Famille 2014, p.489, qui ajoute que « dans nombre de situations de violences conjugales, utiliser la médiation familiale permet à l’auteur de prendre conscience de la gravité des faits », elle constituerait « un puissant soutien pour la victime, dans l’intérêt supérieur de l’enfant ».
35 Sur cette obs. L. Junod-Fanget, « Médiation et procédure participative dans la loi de modernisation de la justice du xxie siècle », AJ Famille, 2016, p. 596.
36 En vertu du §36a FamFG (loi allemande sur la procédure civile en matière du droit de famille et d’autres affaires de la jurisprudence gracieuse), le tribunal allemand peut suggérer aux participants au procès familial une médiation, y compris en cas de violences conjugales, mais à condition que soient protégés les intérêts légitimes de la victime des violences (il s’agit notamment d’organiser un cadre protecteur pour le déroulement de la médiation : lieu, organisation de la prise de parole…) ; v. F. Ferrand, « Les modes alternatifs de résolution des différends en matière familiale », AJ Famille, 2013, p. 552.
37 Sur ce point, v. C. Chabault-Marx, « à propos de la médiation familiale : vers une judiciarisation du dialogue », D. 2012, p. 43.
38 Principes déontologiques et cadre éthique de la médiation familiale, adoptés par le Conseil national consultatif de la médiation familiale le 22 avril 2013.
39 Une proposition de loi visant à exclure le recours à la médiation en cas de violences conjugales et familiales avait été déposée le 19 octobre 2016 devant l’Assemblée nationale, dépassant donc les prévisions de la loi de modernisation de la justice du xxie siècle.
40 Art. 41-1, 5°, C. pr. pén.
41 La Cour de justice a eu sur ce point l’occasion d’indiquer qu’une telle mesure d’éloignement n’est pas soumise à l’accord de la victime et qu’une sanction d’éloignement peut être appliquée (et son non-respect sanctionné) même lorsque la victime conteste l’application d’une telle sanction, CJUE, 15 septembre 2011, C-483/09 et C-1/10, Gueye et Salmeron Sanchez ; la solution, rendue sous l’empire de la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil, du 15 mars 2001, relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales, ne semble pas remise en cause par la directive du 25 octobre 2012.
42 Selon le § 46 du préambule de la directive 2012/29/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité et remplaçant la décision-cadre 2001/220/JAI, « les services de justice réparatrice, tels que la médiation entre la victime et l’auteur de l’infraction […] peuvent être très profitables à la victime mais nécessitent la mise en place de garanties pour éviter qu’elle ne subisse une victimisation secondaire et répétée, des intimidations et des représailles ».
43 L’on respecterait ici les exigences issues du droit européen des droits de l’homme, la Cour de Strasbourg étant attentive aux mesures préventives et répressives mises en œuvre pour protéger les victimes de violences conjugales (CEDH, 23 février 2016, Civek c/ Turquie, n° 55354/11 ; 22 mars 2016, M. G. c/ Turquie, n° 646/10), l’absence de poursuites motivée par l’insuffisante gravité des faits étant en effet contraire aux normes applicables à la violence à l’égard des femmes (CEDH, 23 mai 2017, Balsan c/ Roumanie, n° 49645/09).
44 Crim. 21 juin 2011, n° 11-80.003.
Auteur
Professeur à l’Université Clermont Auvergne,
Directeur du Centre Michel de l’Hospital (EA 4232)
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