Introduction à la première partie
p. 45-46
Texte intégral
1L’Histoire des avocats n’est pas une histoire linéaire, ni même continue. Elle est parcourue de convulsions, de cisaillements, d’une disparition suivie d’une renaissance, desquelles naissent de véritables révolutions professionnelles. La plus sensible de ces “lignes de rupture” est incarnée par la Révolution de 1789. Comme l’affirmait le pourtant fort modéré Bergasse105, dans son rapport au premier comité de constitution sur l’organisation de la justice, “les circonstances présentes demandent un autre ordre judiciaire”106 ; nouvel ordre dans lequel l’avocat devait occuper une place certes, toujours spécifique, mais différente de celle qui était la sienne sous l’Ancien Régime. Il est donc possible de préciser et d’illustrer la réalité de cette rupture, unanimement partagée par les historiens, à travers l’analyse des mutations de la position de l’avocat de l’Ancien Régime à la Révolution, à la fois comme praticien du droit et comme acteur politique.
2Dans la Marseille d’Ancien Régime, l’activité de l’avocat revêt en effet un double aspect : d’une part l’exercice professionnel, d’autre part la présence dans la vie publique. Si seul le premier est commun à tous les avocats, le second acquiert au cours du xviiième siècle, une dimension fondamentale.
3La Révolution modifie l’univers immédiat des avocats de Marseille, les faisant passer de la Cité à la Nation, tout en sacrifiant leur identité professionnelle : la rédaction des cahiers de doléances matérialise l’accession des avocats à la vie politique nationale, alors même que la suppression des barreaux, décidée par la Constituante, brise leurs structures professionnelles tout en consacrant la dissolution de la fonction d’avocat dans le corps de la Nation. La dualité de l’avocat, praticien du droit et acteur politique, est déchirée en 1789. Elle ne se recompose qu’au siècle suivant.
4De rouage mineur mais indispensable de l’appareil judiciaire d’Ancien Régime, l’avocat devient un acteur politique majeur, d’abord à l’échelle municipale, puis nationale, au prix de la perte de son identité professionnelle et de son collectif.
5Rendre compte de la réalité complexe du barreau marseillais de l’Ancien Régime à la Révolution, suppose de s’intéresser, dans un premier temps, à l’activité tant publique que professionnelle des avocats à la fin de l’Ancien Régime, caractérisée par une structure collective encore à l’état embryonnaire et une présence marquée dans la vie municipale (Titre I). Dans un second temps, la Révolution opère pour les avocats de Marseille, le passage de la Cité à la Nation, décuplant leur rôle politique. Mais, cette reconnaissance publique est contrebalancée par la perte soudaine et traumatisante de tout cadre professionnel distinctif (Titre II).
Notes de bas de page
105 Personnage ambigu, avocat, tout à la fois proche des philosophes et si modéré qu’il finit par se retrouver dans la contre-révolution, Me Nicolas Bergasse se fit d’abord connaître dans l’affaire Kornmann, qu’il perdit mais transforma en véritable dénonciation du système judiciaire d’Ancien Régime. C’est lui qui, le 17 août 1789, présenta à l’Assemblée, un rapport sur l’organisation du pouvoir judiciaire, qui devait provoquer la dissolution du barreau. Voir J.-P. ROYER, Histoire de la Justice en France, op. cit., p. 248 et suiv.
106 A. P., Tome VII, Séance du 17 août 1789, p. 449.
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