L’indépendance financière des époux face aux techniques bancaires
p. 77-89
Texte intégral
1Le mariage, technique bancaire ? Aborder l’indépendance financière des époux face aux techniques bancaires conduit à rappeler que le mariage a, lui-même, de tout temps, pu être conçu comme une technique bancaire. Durant tout le xixe siècle et une bonne partie du xxe, par l’effet combiné de la prédominance du mari et de l’incapacité de la femme mariée1, le législateur nommait ainsi l’homme à la direction de la « banque ménagère » que constituait la communauté conjugale, avec pour mission de pourvoir aux besoins de la famille tout en le dispensant habilement d’une « comptabilité fastidieuse et impossible » entre époux2.
2L’on comprend dès lors que l’époux se faisait d’autant plus volontiers le banquier de sa femme qu’elle apportait un gros patrimoine. La figure d’Aristide Rougon chez Zola (« la Curée ») ou du Baron de Nucingen chez Balzac (« Le Père Goriot ») évoquent à merveille ces maris dont la gestion quelque peu zélée de la fortune de leur épouse conduira l’une à la ruine (Delphine de Nucingen) et l’autre à la mort (Renée Béraud Du Châtel ép. Rougon dit Saccard). Les auteurs n’ont d’ailleurs qu’à peine romancé une certaine jurisprudence en la matière3.
3Le mariage, technique d’indépendance financière. Paradoxalement pourtant, ce même mariage pouvait aussi être une technique d’indépendance financière à partir du moment où il permettait de s’émanciper d’une minorité courant alors jusqu’au terme de la vingt-et-unième année. Mais l’on comprend que l’opération était plutôt à l’avantage du garçon, sa femme passant de la dépendante protection de son père à celle de son mari4, propter fragilitatem sexus5.
4L’on conçoit dès lors que l’indépendance financière des époux n’était pas celle qui eût pu exister entre les époux.
5L’indépendance financière, pilier du mariage. Avec le temps, l’indépendance entre les époux s’est affirmée. Théoriquement d’abord, avec la loi ancienne mais marquante du 18 février 1938 qui a donné aux femmes leur pleine capacité juridique6, laquelle s’est traduite, du point de vue bancaire, par la loi du 22 septembre 1942 qui leur a permis d’ouvrir et d’utiliser un compte7. Pratiquement, cependant, les pouvoirs du mari n’ayant pas été réduits, on considérait que la femme, mariée sous la communauté, agissait en vertu d’un mandat donné par son mari, chef de la communauté8. C’est dire que le mari conservait un droit d’opposition sur le fonctionnement du compte ouvert au nom de son épouse9.
6Il a donc ensuite fallu attendre les lois du 13 juillet 1965 et du 23 décembre 1985 pour que cette indépendance devienne effective par la consécration de l’égalité, d’abord partielle (en 1965, le mari reste le chef de famille) puis totale entre les époux10, chacun disposant des mêmes pouvoirs et de la faculté de se faire ouvrir, « sans le consentement de l’autre, tout compte de dépôt et tout compte de titre en son nom personnel », comme l’affirme depuis cinquante ans, l’article 221 du Code civil11.
7Dans le cadre du mariage, cette indépendance financière n’interdit cependant pas au banquier de présumer que l’époux déposant des sommes sur un compte dont il n’est pas titulaire, puisse en avoir la libre disposition12, même, depuis 1985, « après la dissolution du mariage »13, ce qui occasionne parfois des difficultés14.
8En outre, l’indépendance financière des époux n’amoindrit pas la solidarité que la loi institue entre eux à propos des dettes ménagères normales15. En revanche, elle renforce le pouvoir de chacun de les contracter seul16. L’apparition de davantage d’égalité est allée de paire avec davantage de liberté.
9Ce principe d’indépendance financière forme ainsi, depuis 1965, l’un des piliers du régime matrimonial primaire. Il est d’ordre public et persiste quel que soit le régime matrimonial dit secondaire, retenu par les époux17. Bien sûr, ces régimes vont amoindrir ou élargir cette indépendance en fonction de leurs règles propres. L’on est porté à penser que le régime de communauté universelle rendra les époux plus dépendants l’un de l’autre que le régime de séparation18. Mais ce qui peut être vrai en terme de propriété des biens ne l’est pas à propos des pouvoirs dont chacun dispose sur les biens communs et qui restent les mêmes.
10Pouvoir et propriété. C’est dire que si le traitement de l’indépendance financière des époux face aux techniques bancaires renvoie à l’articulation classique entre pouvoir et propriété quant au fonctionnement des comptes ouvert dans un établissement, cette summa divisio doit être envisagée du point de vue du dépositaire, c’est-à-dire du banquier des époux, quel que soit le régime matrimonial.
11Comme le note le Doyen Carbonnier, « mis à part quelques cas pathologiques de tyrannie domestique, la liberté patrimoniale des femmes mariées doit être conquise moins sur les maris que sur les tiers », parmi lesquels se trouvent les banques19.
12Dès lors, en effet, que tout régime matrimonial garantit l’indépendance financière des époux l’un vis-à-vis de l’autre, la question sera de savoir si les techniques bancaires mettent à mal ou améliorent cette indépendance.
13Paradoxe du sujet. Or cette question recèle un paradoxe. Juridiquement, la soumission à un régime matrimonial répond à une nécessité légale20 tandis que le recours à telle ou telle technique bancaire résulte de la faculté de contracter21. Toutefois, en pratique, dans l’esprit du monde, l’anticipation du risque de divorce et le mode de vie économique fondé sur le crédit renversent cette conception. La soumission à un régime matrimonial est désormais bien plus souvent le fruit d’un choix réfléchi des époux que le résultat d’une absence de choix, tandis que le recours aux techniques bancaires s’impose à eux à l’occasion de la réalisation de leurs projets de couple.
14Le choix d’un compte-joint, par exemple, quel que soit le régime matrimonial, n’est pas tellement lié à « l’avantage considérable » de pouvoir continuer à fonctionner au décès d’un des co-titulaires22. Il est souvent une nécessité requise par la banque à l’occasion de l’octroi d’un prêt immobilier afin de s’assurer qu’il sera le réceptacle des revenus du ménage utile au paiement des mensualités voire, en cas d’inexécution, à la mise en œuvre facilitée de voies d’exécution (saisie en compte).
15Une problématique : l’atteinte à l’indépendance financière. Dans ce contexte, une problématique émerge autour de l’atteinte au principe d’indépendance financière des époux. L’exemple cité nous montre que les techniques bancaires, que ce soit per se (en ce qui concerne les comptes indivis ou les comptes joints) ou par leurs effets (en ce qui concerne les emprunts), tendent à porter atteinte à cette indépendance.
16L’atteinte, dans quel intérêt ? Toutefois, l’atteinte sera diversement appréciée par le juge selon qu’elle s’opère dans l’intérêt de la banque eu égard à l’économie du contrat qui la lie aux époux, ou dans le seul intérêt d’un époux qui va, souvent sous couvert d’une apparence contraire à la réalité de sa situation juridique, s’appuyer sur telle technique bancaire à des fins personnelles. En ce cas, ses agissements et ceux de la banque seront à la fois contraires à son régime matrimonial et à l’économie du contrat passé avec la banque.
17Il nous faut donc aborder ces deux sortes d’atteintes à l’indépendance financière des époux : l’atteinte bancaire dans l’intérêt de l’établissement (I) et l’atteinte bancaire dans l’intérêt d’un des époux (II).
18La première est généralement admise, la seconde est généralement sanctionnée.
I. L’atteinte bancaire dans l’intérêt de l’établissement
19L’indépendance financière des époux est une réalité bancaire tant qu’ils n’ont pas de dette. Or, en mariage, l’absence de dette est devenue exceptionnelle dans une société qui vit à crédit. L’importance d’un emprunt immobilier pour l’achat de la résidence familiale ou de la souscription de crédits à la consommation n’emporte certes pas application de la règle de solidarité passive de l’article 220 du Code civil. Mais cette solidarité est généralement réintroduite contractuellement par la banque dès lors que les deux époux ont consenti au crédit (art. 220 al. 3)1.
20En théorie, le régime matrimonial ne fait pas obstacle aux droits du créancier, sauf dans les cas prévus à l’article 1415 du Code civil2. La banque pourrait donc se contenter de ce que chacun des époux débiteurs conserve son compte personnel.
21En pratique toutefois, la garantie de la banque est renforcée par la solidarité qui lie les co-titulaires d’un compte joint ou indivis. Ce dernier n’étant pas d’un usage commode au quotidien3, le choix des époux va se porter sur le premier. Son ouverture est ainsi devenue une forme de condition tacite mais nécessaire à l’octroi d’un crédit bancaire. Or le compte joint et la convention bancaire associée emportent des effets particuliers à l’égard des co-titulaires comme des créanciers. Ces effets dérogent au droit commun des régimes matrimoniaux en raison de la protection que la convention de compte joint organise au profit de la banque4.
22En effet, dès lors que la convention emporte une solidarité passive entre co-titulaires, les époux seront obligés à la dette. Le dépositaire sera donc en droit de prélever les sommes nécessaires, sans se soucier de savoir lequel des deux a la qualité de débiteur principal. L’atteinte à l’indépendance varie néanmoins selon le régime.
23Pour les époux mariés sous le régime de la communauté, elle est faible car les dettes nées pendant le mariage sont communes par nature. Le principe étant celui de la gestion concurrente, ils pourront chacun engager les biens communs. La convention de compte joint ne va donc pas modifier la solidarité résultant de la communauté sauf dans l’hypothèse où les fonds propres d’un époux alimenteraient le compte bancaire joint.
24Pour les couples mariés sous le régime de la séparation (auxquels on assimile les partenaires de l’art. 515-4 al. 2 C. civ.), l’atteinte sera plus forte car le compte-joint les engage à la solidarité au-delà des prévisions de l’article 220. Chaque dépense, quelle qu’en soit sa nature, sera payée par prélèvement sur le compte joint si celui-ci est créditeur. S’il ne l’est pas, le prélèvement pourra avoir lieu sur l’un des comptes personnels créditeurs de l’un ou l’autre co-titulaire, sans que soit recherchée la qualité du débiteur principal.
25Vis-à-vis des créanciers autres que la banque, il faut aussi distinguer selon le régime matrimonial des conjoints débiteurs.
26Pour les époux communs en bien, le droit de poursuite des créanciers qui ne sont pas banquiers va s’exercer sur l’ensemble de la communauté5 donc sur la totalité du compte joint. Néanmoins, les fonds propres susceptibles d’appartenir à un époux seront exclus de la garantie des créanciers de l’autre6, tout comme les gains et salaires de celui qui n’est pas le débiteur7 puisqu’ils sont communs dès leur perception. Cette règle ne s’applique cependant ni aux dettes d’aliments, ni aux dettes ménagères qui continuent à relever de l’article 220, ni à certaines dettes fiscales telles que les montants dus au titre de l’impôt sur le revenu des personnes physiques ou de la taxe d’habitation8.
27Au regard de l’article 1415, l’existence du compte-joint peut être un obstacle pour le créancier d’un seul des époux. En effet, va se poser la question de l’identification des revenus du débiteur. Si la saisie des biens propres de la caution ou de l’emprunteur ne soulève pas de difficultés, il en ira différemment en ce qui concerne les revenus des deux conjoints car ils se mélangent en permanence9. La Cour de cassation affirme à ce sujet qu’il appartient au créancier d’établir que les deniers qu’il entend saisir sont bien des revenus de son débiteur10. Or cette preuve est, en pratique, très difficile à rapporter compte tenu de la confusion pratiquée par les époux sur leur compte.
28À l’inverse, la saisie pourra être pratiquée, sans difficulté, par les créanciers, directement entre les mains de l’employeur de l’époux débiteur, même sous le régime de la communauté universelle11, ou sur le compte courant exclusivement alimenté par les seuls revenus de l’emprunteur ou de la caution12.
29Concernant les époux en régime de séparation, l’article 1538 du Code civil conduit à réputer indivises les sommes ou valeurs figurant sur le compte joint. Le créancier de l’un des époux devra donc limiter son droit à la moitié indivise des sommes en compte13. Paradoxalement, le fait d’ouvrir un compte bancaire joint peut ainsi augmenter le gage des créanciers personnels des époux car ils pourront non seulement saisir les sommes présentes sur le compte personnel de leur débiteur, mais aussi provoquer le partage des sommes indivises14, ce qui a fait dire à certains auteurs qu’il s’agissait là d’une forme de quasi-communauté15. Si le créancier apporte la preuve que les fonds déposés sur le compte joint sont en totalité des fonds personnels appartenant à son débiteur, il peut même voir son gage étendu à la totalité du solde du compte. Cette preuve est rapportable par tous moyens.
30À travers la mise en lumière de ces quelques difficultés de créanciers non dépositaires de fonds, notamment au regard de la forte restriction apportée par l’article 1415 du Code civil au gage dont ils bénéficient, l’on comprend donc l’intérêt et l’avantage pour la banque de faire signer aux deux époux un engagement le plus large possible appuyé par la convention de compte joint.
31C’est dire que la première forme d’atteinte portée à l’indépendance financière des époux, en pratique la plus importante bien qu’elle apparaisse peu, en tant que telle, dans la jurisprudence, offre à la banque le bénéfice d’une solidarité entre époux quel que soit le régime matrimonial choisi. Elle constitue donc pour cette dernière une véritable garantie bancaire qui peut d’ailleurs créer des difficultés entre les époux car elle les renvoie aux règles de leur propre régime matrimonial afin de savoir comment sera réparti le poids de la dette.
32La seconde forme d’atteinte, elle, n’offre pas à la banque autant d’avantages. Elle n’est d’ailleurs pas dans son intérêt.
II. L’atteinte bancaire dans l’intérêt d’un des époux
33Hormis l’intérêt que la banque peut avoir à porter atteinte à l’indépendance financière des époux, l’un d’eux peut parfois en éprouver un à faire fonctionner le compte de son conjoint voire à profiter d’un moyen de paiement qui lui était destiné1.
34S’il ne consent pas à de telles pratiques, l’époux victime des mouvements bancaires peut alors disposer d’une action en responsabilité contre… la banque, laquelle peut ensuite se retourner contre l’époux dont l’apparence laissait penser qu’il agissait légitimement. Sans être abondante, la jurisprudence n’est pas rare en la matière en raison de la présomption de pouvoir de l’article 221 du Code civil, dont chaque époux dispose sur ses comptes et qui affranchit le banquier de toute obligation de vérification aussi bien de ce pouvoir sur les fonds que du régime matrimonial applicable à son client2.
35Le banquier ne se soucie donc pas de savoir si les fonds sont des propres ou des communs. Seul l’intéresse son rapport avec le déposant. Or, tiré du droit commun du contrat de dépôt, l’article 1937 du Code civil oblige le dépositaire à ne restituer la chose déposée qu’à celui qui la lui a confiée, à celui au nom duquel le dépôt a été fait, ou à celui qui a été indiqué pour le recevoir3. La plupart du temps, seul l’époux déposant pourra, par conséquent, retirer les fonds déposés ou mouvementer son compte, sauf à donner procuration à son conjoint.
36Dans un arrêt marquant, la Cour de cassation a ainsi pu affirmer qu’une épouse n’avait pas le pouvoir de disposer des fonds déposés sur le compte ouvert au seul nom du mari dès lors qu’elle ne disposait d’aucune procuration, même s’il s’agissait de biens communs. Le mari avait donc pu valablement engager la responsabilité de la banque pour avoir laissé agir l’épouse4.
37Notons toutefois, que la jurisprudence relative à la procuration tend à s’assouplir au profit de la banque, amoindrissant ainsi sa responsabilité. La Cour de Poitiers, dans un arrêt du 23 novembre 2010, a rejeté la demande d’indemnisation d’un époux au motif que le conjoint sans procuration avait viré des fonds vers un autre compte qui se trouvait être le compte joint des époux5.
38Dans un arrêt du 3 juin 2015, la Cour de cassation a décidé que le banquier dépositaire, qui se borne à exécuter les ordres de paiement que lui transmet le mandataire du déposant, peut rapporter la preuve par tous moyens du contrat de mandat auquel il n’est pas partie6.
39Enfin, dans un arrêt du 17 novembre 20157, la Cour de cassation a admis que la responsabilité de la banque n’est pas engagée si le titulaire du compte ratifie les opérations faites par son conjoint sans procuration, conformément aux règles du mandat, cette ratification pouvant être tacite8. Or, en l’espèce, l’arrêt retient que la cour d’appel a suffisamment caractérisé le mandat tacite en indiquant que le titulaire du compte recevait un relevé mensuel, avait lui-même effectué de multiples opérations sur le compte, et ne pouvait ignorer la trentaine d’opérations ni l’émission d’un chèque de banque faites à l’initiative de son conjoint sur une période de plus d’un an. En outre, les sommes prélevées avaient été versées sur des comptes communs ou sur ceux de l’entreprise du titulaire du compte et les opérations n’avaient fait l’objet, de la part du titulaire, d’aucune réclamation avant les deux années qui ont suivi l’exécution des premiers virements.
40En revanche, toute procuration n’est pas signe d’absence de responsabilité. Il a été jugé en appel qu’une banque qui avait reçu un chèque libellé au seul nom d’un époux, avait l’obligation de créditer le montant sur le compte personnel de celui-ci9. En l’espèce, la signature et les indications du compte de l’épouse sur le dos du chèque, écrites ou non de la main du bénéficiaire, ne permettaient pas légalement à la banque de créditer le compte personnel de l’épouse car les procurations réciproques existantes sur les comptes des époux ne l’y autorisaient pas. Dès lors, en créditant le compte de l’épouse d’un chèque représentant le prix de vente d’un bien propre immobilier du mari, libellé au seul nom de ce dernier, la banque avait fait preuve d’une légèreté fautive dont elle devait réparation. Il est intéressant de noter que le préjudice du mari était établi dès lors que la banque n’avait pas réussi à démontrer le caractère ménager des dépenses effectuées par l’épouse à l’aide des fonds propres de son conjoint procurés par la remise du chèque litigieux.
41En dehors de cette articulation singulière entre le régime du contrat de dépôt et le principe d’indépendance financière des époux, mêmes les règles habituelles d’administration de la communauté légale sont ignorées. La banque ne peut donc pas se réfugier derrière l’article 1421 du Code civil qui permet à chacun des époux d’administrer les biens communs et d’en disposer pour échapper à la faute qu’elle commettrait en ne traitant pas qu’avec le dépositaire10.
42Comme a pu l’affirmer la Cour de cassation, elle n’est pas non plus fondée à invoquer les articles 1432 et 1540 sur la prise en mains par un époux des biens de l’autre au su de celui-ci, et sans opposition de sa part11. Ces deux textes excluent d’ailleurs les actes de disposition.
43Peut-elle alors se prévaloir de l’existence d’un mandat apparent qui, lui, est susceptible de porter sur des actes de disposition ? La jurisprudence est réticente à l’admettre dans les rapports des époux avec les tiers12 et ce, d’autant plus que ce tiers est un banquier professionnel13. Un arrêt rendu par la Cour de Colmar le 28 janvier 2015 a récemment rappelé cette position14. Admettre que le banquier a légitimement cru à l’étendue des pouvoirs du conjoint mandataire dans des circonstances qui l’autorisaient à ne pas vérifier les limites exactes de ses pouvoirs15, reviendrait à vider l’article 221 de sa portée16.
44Les juges le répètent ainsi régulièrement :
« les règles relatives à la représentation mutuelle des époux dans leurs rapports avec les tiers sont sans application à l’égard du banquier dépositaire, lequel est tenu, en sa qualité de professionnel, de ne restituer les fonds déposés qu’à celui au nom duquel le dépôt a été fait ou à celui qui a été indiqué pour les recevoir »17.
45C’est dire que si la présomption de l’article 221 protège le banquier, elle accroît corrélativement sa responsabilité dès lors que les sommes déposées n’appartiennent pas à l’époux déposant. L’indépendance financière des époux est donc bien respectée, parfois même au détriment de la communauté si l’on considère que les sommes déposées sur un compte personnel ne pourront pas toujours être perçues par le conjoint désireux de les affecter aux dépenses du ménage18. Il y a là comme une forme d’égoïsme que la banque peut fort bien ignorer, du moins tant qu’aucune opposition de l’un des conjoints aux agissements de l’autre ne s’est manifestée19.
46Conclusion. Ceci invite sans doute les époux à être prudents lors du recours à certaines techniques bancaires.
47Il est, en effet, préférable pour les époux que le compte joint demeure un outil de financement des besoins du ménage pour ses dépenses courantes et non un réceptacle de l’ensemble des revenus du couple. L’époux commun en bien se gardera ainsi de transférer des fonds propres vers le compte joint. Pour les époux séparatistes, les transferts de fonds personnels devraient être évités et l’épargne ne pas être recueillie sur un tel compte. Il importe effectivement que le solde créditeur du compte joint reste limité afin de réduire les effets de la solidarité au profit de la banque. Plus largement, dans les deux cas, l’indépendance des époux sera d’autant mieux garantie que leurs gains et salaires seront domiciliés sur des comptes personnels, desquels ils pourront procéder à des virements sur le compte joint à proportion, dans l’idéal, de leurs facultés contributives respectives aux besoins de la vie commune. L’on conçoit toutefois que la banque auprès de laquelle est ouvert le compte joint tiendra un discours exactement contraire, surtout si les époux ont leur compte personnel ailleurs. Entre la garantie d’indépendance de ses clients et la garantie de sa créance, la banque aura vite tranché : où le droit admet parfois que l’ordre privé l’emporte sur l’ordre public.
Notes de bas de page
1 V. à ce sujet, G. Baudry-Lacantinerie, Précis de Droit civil, t. 1er, Larose & Forcel, 2e éd., 1885, p. 358 et s., n° 623 et s. ; 1925, M. Planiol et G. Ripert, Traité élémentaire de Droit civil, 10e éd., t. 1er, 1925, p. 315 et s., n° 925 et s.
2 Anc. art. 217 C. civ. ; Ph. Malaurie et H. Fulchiron, Droit civil. La famille, 3e éd., 2008, p. 698, n° 1827.
3 Pour la jurisprudence sur l’anc. art. 217 C. civ., cf. par ex., P. Gilbert et J. Sirey, Code civil annoté, 3e éd., t. 1er, Marchal & Billard, Paris, 1882-1886, p. 132 et s., spéc. n° 6 et s. ; Pandectes françaises, t. 38, vol. 1, 1895, p. 201 et s., n° 1771 et s.
4 A. Colin, H. Capitant et L. Julliot de la Morandière, Cours élémentaire de Droit civil français, t. 1er, Dalloz, 11e éd., 1947, p. 209, n° 255 et s.
5 « En raison de la fragilité du sexe » féminin.
6 A. Colin, H. Capitant et L. Julliot de la Morandière, op. cit., p. 215, n° 262.
7 La loi modifia l’article 221 qui disposait alors qu’« en application de l’article précédent, la femme peut, sous sa seule signature, faire ouvrir, par représentation de son mari, un compte courant spécial pour y déposer ou en retirer les fonds qu’il laisse entre ses mains ». Les lois du 9 avr. 1881 et du 20 juill. 1895 autorisaient déjà l’épouse à effectuer et retirer des dépôts en compte mais seulement dans des Caisses d’épargne et le retrait des fonds n’était possible que tant que le mari ne s’y opposait pas. Ultime manifestation de l’adage « Uxor non est propria socia (sed speratur fore) », l’ouverture d’un compte en banque restait, elle, impossible sans l’accord de l’époux, cf. A. Colin, H. Capitant et L. Julliot de la Morandière, op. cit., p. 247, n° 307.
8 A. Colin, H. Capitant et L. Julliot de la Morandière, op. cit., p. 245, n° 305 ; Ph. Malaurie et H. Fulchiron, op. cit., p. 707, n° 1836.
9 A. Colin, H. Capitant et L. Julliot de la Morandière, op. cit., n° 307 et t. 3, n° 71 et s.
10 À partir de 1985, la règle selon laquelle l’homme est le chef de sa femme (vir caput mulieris), qui avait si longtemps prévalue, disparaît.
11 Sur l’apport de la loi du 13 juill. 1965 et ses limites, cf. H. & L. Mazeaud, J. Mazeaud et M. de Juglart, Leçons de Droit civil français, t. 1er, vol. 2, Montchrestien, 4e éd., 1967, p. 461, n° 1089 ; pus largement, voy. D. R. Martin, « L’indépendance bancaire entre époux », rec. Dalloz 1989, chron. p. 135 ; « La portée de l’indépendance bancaire des époux », in F. Dekeuwer-Defossez (dir.), Indépendance financière et communauté de vie, LGDJ, Coll. LERADP, 1989, p. 41 à 54 ; M. Beaubrun, « L’autonomie bancaire des époux ou le droit matrimonial de demain », Defrénois 2010, art. 39102, p. 913.
12 Art. 221 al. 2 C. civ.
13 Art. 221 al. 2 mod. C. civ.
14 V. à ce sujet et en résumé, J. Carbonnier, Droit civil, vol. 1, PUF Quadrige, 2004, n° 566, spéc. p. 1261.
15 V. par ex., récemment, à propos de dépenses de santé, Cass. civ. 1re, 9 avr. 2015, n° 14-15.536 ; RTD civ. 2015, 598, obs. J. Hauser ; à propos du paiement de loyers, Cass. civ. 1re, 17 juin 2015, n° 14-17.906 ; D. 2015, 1756, note M. Nicolle ; D. 2016, 566, obs. M. Mekki.
16 Art. 220 C. civ.
17 C. Watine Drouin, « Les comptes bancaires des époux, clés pour le siècle », Cah. Dr. aff., 2000, AJ, p. 1479.
18 V. par ex., CA Rennes, 14 sept. 2015, RG n° 14/04700 ; JurisData n° 2015-020492 ; JCP G 2016, doctr. 698, obs. Ph. Simler : présomption de communauté des dettes contractées par les époux.
19 J. Carbonnier, op. cit., vol. 1, p. 1258, n° 564 d). 1er.
20 Art. 1387 C. civ.
21 Art. 1101 et 1102 C. civ., en vigueur au 1er oct. 2016.
22 En ce sens pourtant, J.-B. Dassy et M.-G. Migeon-Cros, « Couples, patrimoine : les défis de la vie à 2. - Le compte bancaire joint et les différents modes de conjugalité Quels pouvoirs ? Quelle propriété ? Quels engagements ? », JCP N 2010, 1200, § 1.
1 L’application des dispositions de l’art. 220 al. 3 in fine introduites par la loi du 17 mars 2014 apparaît bien marginale à cet égard.
2 La Cour de cassation en a d’ailleurs récemment déduit qu’il résultait de la règle de l’article 1415 que la banque garantie n’avait à l’égard du conjoint d’un époux caution, ni obligation d’information, ni obligation de mise en garde alors même que ce conjoint avait consenti au cautionnement sur des biens communs mais n’était pas partie au contrat de cautionnement, Cass. com., 9 févr. 2016, n° 14-20.304 ; Bull. Joly Sociétés, juin 2016, p. 317, note T. de Ravel d’Esclapon ; Petites Affiches, 9 juin 2016, n° 115, p. 17, note D. Gantschnig ; JCP G 2016, doctr. 553, obs. Ph. Simler ; Banque&Droit, mai 2016, p. 68, note E. Netter. Notons que l’art. 1415 C. civ. a été étendu à la garantie autonome, Cass. civ. 1re, 17 janv. 2006, JurisData n° 2006-031668 ; JCP N 2006, 1310, note V. Brémond.
3 Le compte indivis (Mme et M) est un compte bancaire ouvert par plusieurs titulaires ou co-titulaires qui peuvent désigner un mandataire en commun ou, à défaut, devront consentir unanimement à chaque opération.
4 M. Dupuis, « Une institution dérogeant aux règles des régimes matrimoniaux : le compte joint », D. 1988, chron. 39.
5 Art. 1413 C. civ.
6 Art. 1418, al. 1er C. civ.
7 Art. 1414 C. civ.
8 Art. 1685 CGI.
9 Comp., en ce qui concerne les biens communs, Cass. civ. 2e, 15 oct. 2015, n° 14-22.684 ; Procédures, nov. 2015, p. 78, note C. Laporte ; rappr., Cass. civ. 2e, 22 févr. 2007, n° 06-12.295, Bull. civ. 2007, II, n° 50.
10 J.-L. Puygauthier, « Cautionnement ou emprunt souscrit par un époux commun en biens : une jurisprudence bienveillante », Defrénois 2005, art. 38229 ; M. Grimaldi, « L’emprunt et le cautionnement », Gaz. Pal. 2008, 2, p. 3810 ; « La communauté de biens entre époux. Bilan critique », JCP N 2009, n° 22, 1185 à 1193.
11 CA Bordeaux, 4 sept. 2003, JurisData n° 2003-222593 ; Dr. famille 2003, comm. 147, obs. B. Beignier
12 Cass. civ. 1re, 14 janv. 2003, Bull. civ. 2003, I, n° 2 ; JurisData n° 2003-017243.
13 Cass. civ. 2e, 10 juill. 1996, JCP G 1997, I, 4008, obs. M. Storck.
14 Art. 815-17 C. civ. ; Cass. civ. 1re, 20 mai 2009, n° 08-12.922 ; JurisData n° 2009-048243 ; Dr. famille 2009, comm. 93, obs. B. Beignier ; RTD civ. 2009, p. 578, obs. R. Perrot ; D. 2009, AJ, 2714, obs. Ph. Delebecque ; JCP N 2009, 1286, note V. Brémond.
15 Ph. Simler, « L’indivision entre époux séparés de biens, une quasi-communauté ? », in Mélanges offerts à André Colomer, LexisNexis Litec, 1993, p. 146 ; B. Beignier, note sous Cass. civ. 1re, 20 mai 2009, préc. La Jurisprudence précise que le droit de propriété ne porte que sur les biens existant à l’actif du compte au jour où celui-ci est clôturé. Ainsi, la Cour de cassation a rejeté la revendication, par la veuve, de droits sur la propriété des obligations prétendument achetées à l’aide du compte joint ouvert au nom des deux époux, dès lors qu’elles ne figuraient plus audit compte, lors de sa clôture, Cass. civ. 1re, 19 févr. 1991, Bull. civ. 1991, I, n° 68 ; D. Martin, « Aspects juridiques du compte joint », RD bancaire et bourse 1988, n° 5, p. 4.
1 À propos d’un chèque émis au profit d’un couple, endossé par les deux époux mais encaissé par l’épouse sur son compte personnel, cf. Cass. com., 21 nov. 2000, Bull. civ. IV, n° 77 ; RJPF 2001, 2128, obs. F. Vauvillé ; RTD civ. 2001, 941, obs. B. Vareille ; RTD com. 2001, 199, obs. M. Cabrillac ; JCP G 2002, I, 103, n° 23, obs. M. Storck ; Defrénois 2001, 1127, obs. G. Champenois.
2 R. Cabrillac, Droit des régimes matrimoniaux, 9e éd., LGDJ, coll. Domat droit privé, 2015, p. 70, n° 78 et s. ; Ph. Malaurie et H. Fulchiron, op. cit., p. 707, n° 1837.
3 Cass. civ. 1re, 3 juill. 2001, Bull. civ. 2001, I, n° 198 ; RD bancaire et fin., sept. 2001, comm. 177, Fr.-J. Crédot et Y. Gérard ; D. 2002, 1102, note L. Comangès ; D. 2002, 3262, obs. J.-C. Hallouin ; JCP G 2002, I, 103, n° 17, obs. Ph. Simler ; JCP N 2002, 1206, note M. Brémond ; Defrénois 2002, art. 37508, n° 19, obs. G. Champenois ; Cass. com., 11 mars 2003, n° 00-20.866 ; JurisData n° 2003-018332 ; D. 2004, 1479, note M. Laugier ; JCP G 2004, I, 129, obs. Ph. Simler ; V. plus récemment, CA Angers, 11 févr. 2014, RG n° 12/02221 ; JurisData n° 2014-002704 ; CA Agen, 9 avr. 2014, n° 13/00390 ; JurisData n° 2014-007531.
4 Cass. civ. 1re, 8 juill. 2009, n° 08-17.300, FS-P+B+I ; JurisData n° 2009-049070 ; D. 2010, 360, obs. V. Égéa, note F. Chénedé ; D. 201, 728, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2009, 404, obs. F. Chénedé ; RTD com. 2010, 416, obs. B. Bouloc ; JCP N 2009. 1329, note T. Douville ; JCP E 2009, 2022 et JCP G 2009, 353, note E. Naudin ; RD bancaire et fin., nov. 2009, comm. 180, Fr.-J. Crédot et Th. Samin ; Banque&Droit 2009, n° 128, p. 35, obs. T. Bonneau ; C. Assimopoulos, « Le point sur l’autonomie bancaire des époux. À l’occasion de l’arrêt de la première chambre civile du 8 juillet 2009 », Dr. famille 2009, étude 34 ; rappr. auparavant, Cass. civ. 1re, 11 juin 1991, n° 89-21.305, Bull. civ. I, n° 190 ; Defrénois 1992, art. 35408, p. 1550, obs. crit. G. Champenois ; JCP 1992, II, 21899, note crit. G. Paisant ; CA Lyon, 20 sept. 2001, JCP N 2003, 1008, note V. Brémond.
5 CA Poitiers, 23 nov. 2010, JurisData n° 2010-030389.
6 Cass. civ. 1re, 3 juin 2015, n° 14-19.825 et n° 14-20.518, P+B ; JurisData n° 2015-013109 ; D. 2015, 1588, note A. Tehrani ; AJ famille 2015, p. 414, obs. P. Hilt ; JCP G 2015, doctr. 1342, obs. M. Storck.
7 Cass. civ. 1re, 17 nov. 2015, n° 14-18.980, inédit ; JurisData n° 2015-025969 ; Rappr. CA Caen, 6 mars 2014, RG n° 12/01217 ; JurisData n° 2014-005046.
8 Rappr., Cass. civ. 1re, 6 mai 2003, n° 00-18.891, Bull. civ., I, n° 106 ; RD bancaire et fin., 2003, p. 279, obs. Fr.-J. Crédot et Y. Gérard ; JCP G 2004, I, 179, obs. Ph. Simler.
9 CA Reims, 21 juill. 2009, RG n° 08/01868 ; JurisData n° 2009-022302.
10 Cass. ass. plén., 4 juill. 1985, n° 83-17.155, Bull. civ. 1985, ass. plén., n° 4 ; JCP G 1985, II, 20457, rapp. A. Ponsard ; D. 1985, jur., p. 421 concl. J. Cabannes et note D. Martin ; rev. Banque 1985, p. 963, note J.-L. Rives-Lange ; RJ com. 1986, p. 246, note G. Parléani.
11 Cass. com., 11 mars 2003, n° 00-20.866, préc.
12 Cass. civ. 1re, 24 mars 1981, Bull. civ. 1981, I, n° 99 ; JCP G 1982, II, 19746, note
R. Le Guidec.
13 Cass. civ. 1re, 29 juin 2011, n° 10-11.683, inédit ; JurisData n° 2011-012924.
14 CA Colmar, 28 janv. 2015, RG n° 13/03940 ; JurisData n° 2015-001555 ; rappr. CA Agen, 23 nov. 2011, RG n° 11/00078 ; JurisData n° 2011-030687.
15 Rappr. Cass. Ass. plén., 13 déc. 1962, Bull. civ. 1962, ass. plén., n° 2.
16 Cass. civ. 1re, 8 juill. 2009, préc. ; Cass. com., 19 mars 2008, RD bancaire et fin. 2008, comm. 100, Fr.-J. Crédot et Th. Samin ; adde J.-J. Barbièri, « Nouveau recul de la théorie de l’apparence », JCP G 2009, 212 ; Ph. Malaurie, L. Aynès et P.-Y. Gautier, Les contrats spéciaux, 5e éd., Defrénois, 2011, n° 583 qui observent « qu’à l’égard des époux, la tendance actuelle est de n’admettre qu’exceptionnellement le mandat apparent à peine de retirer toute portée à la répartition des pouvoirs qu’organisent la loi et le régime matrimonial ».
17 Cass. civ. 1re, 29 juin 2011, n° 10-11.683 ; JurisData n° 2011-012924 ; RD bancaire et fin., nov. 2011, comm. 186, Fr.-J. Crédot et Th. Samin.
18 Rappr. V. Brémond, note sous Cass. civ. 1re, 3 juill. 2001, préc. : « L’intérêt de la communauté ne coïncide pas toujours avec l’intérêt des époux ».
19 V. par ex., Cass. civ. 1re, 16 mai 2013, n° 12-12.207 ; JurisData n° 2013-009362 ; CA Poitiers, 23 nov. 2010, RG n° 09/03613 ; JurisData n° 2010-030389.
Auteur
Maître de conférences HDR à l’Université de Toulon, Membre du CDPC – Jean-Claude Escarras (UMR CNRS 7318 DICE)
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1965-1985-2015 : Cinquante ans de droit des régimes matrimoniaux
Bilan et perspectives
Vincent Egéa (dir.)
2018