Faut-il conserver le régime de communauté réduite aux acquêts ?
p. 51-61
Texte intégral
1La cinquantaine est l’âge de la maturité épanouie, de la pleine possession de ses moyens… c’est du moins ce que laisse entendre Mario Vargas Llosa dans son beau livre La tante Julia et le scribouillard, où le quinquagénaire au sommet de sa carrière se retrouve sous les traits de plusieurs personnages imaginés par le journaliste héros du roman. Mais la cinquantaine, c’est aussi l’âge des questions, des interrogations sur le passé, des bilans1, voire des projections sur l’avenir.
2La loi du 13 juillet 1965 a-t-elle bien vieilli ? N’est-il pas nécessaire de la réformer ? Elle s’est prudemment offert un lifting au plus bel âge de la vie par la loi du 23 décembre 1985, intervention dont elle portait la nécessité en elle-même, n’ayant pas osé parachever l’égalité entre époux que réclamait l’évolution des moeurs. Cinquante ans… Beaucoup de branches du droit taraudées par l’inflation législative envieraient cette insolente et tranquille maturité. En droit des procédures collectives par exemple, alors que la loi de 1867 avait vécu centenaire, l’ordonnance de 1967 n’a même pas atteint l’âge de la majorité, enterrée par la réforme de 1985, et les lois se sont succédées depuis à une cadence devenue quasi-annuelle. Le droit des régimes matrimoniaux semble ainsi ilot de stabilité dans un monde juridique en perpétuel bouleversement2. Cette sérénité a par contagion gagné la jurisprudence, qui avait adopté quelques décisions audacieuses au lendemain de l’entrée en vigueur de la loi de 1965 et semble se contenter aujourd’hui de procéder à de petits ajustements techniques.
3La loi de 1965 est-elle toujours en phase avec les moeurs ? L’attachement au modèle communautaire qui avait présidé au choix du régime légal ne s’est pas érodé3. L’égalité parfaite des époux dans le domaine patrimonial, dans la gestion des biens communs en particulier, ne suscite guère de contentieux ; le régime primaire dosant avec efficacité indépendance et interdépendance des époux n’est guère l’objet de controverse. Le tropisme des régimes matrimoniaux sur les règles applicables aux autres formes de couples pourrait suffire à apaiser toute crainte : dans leurs relations patrimoniales, le législateur ne s’est-il pas efforcé patiemment de rapprocher le régime des partenaires à un PACS de celui des époux ?
4La loi de 1965 paraît également en phase avec les évolutions économiques de la société. La dépréciation monétaire, qui d’ailleurs s’est ralentie aujourd’hui, a été très tôt prise en compte, en particulier dans le calcul des récompenses, le droit des régimes matrimoniaux étant un des premiers à faire triompher le valorisme sur le nominalisme.
5La diva est coquette, et sait masquer ses rides avec habileté. L’outrage des ans est pourtant plus grave qu’il n’y paraît au premier regard. La sécurité juridique doit être l’âme du droit des régimes matrimoniaux comme elle l’est de toute règle de droit. Les qualités d’un régime matrimonial doivent donc se mesurer à l’aune de la certitude et de la sécurité, en l’occurrence certitude quant à la qualification des biens, sécurité face au droit de poursuite des créanciers. Or force est de constater que le régime matrimonial légal repose aujourd’hui sur un actif incertain (I) et un passif insécure (II).
I. Un actif incertain
6Les frontières de l’acquêt de communauté restent floues (A) et des biens sont inutilement écartelés (B).
A. Des frontières floues
7L’acquêt, qui on peut le remarquer au passage n’a pas été défini par la loi du 13 juillet 1965, est unanimement considéré comme le bien acquis à titre onéreux pendant le mariage1. Une première série de difficultés peut provenir de cette définition. Mais tout bien acquis à titre onéreux pendant le mariage ne constitue pas un acquêt, la loi de 1965 ayant prévu plusieurs exceptions qui contribuent également à brouiller les frontières entre bien commun et bien propre.
8La définition de l’acquêt suscite à la première lecture des interrogations.
9Un bien ? La difficulté peut naître de valeurs qui ne sont pas avec certitude des biens, comme par exemple la force de travail. L’époux bricoleur qui améliore grâce à son labeur un bien propre doit-il récompenses à la communauté ? La jurisprudence a répondu par la négative2, en se fondant sur les textes relatifs aux récompenses, sans se prononcer sur la nature d’acquêt de communauté de la force de travail.
10Un bien acquis ? La notion d’acquisition implique un transfert de valeurs. Au lendemain de la réforme de 1965 l’ambiguïté des articles 1401 et 1403 du Code civil avait permis de faire naître une importante controverse parmi les auteurs : les gains et salaires d’un époux constituent-ils des acquêts ? Une réponse négative avait été défendue avec brio et véhémence par Henri Mazeaud3 : seuls les biens acquis avec les gains et salaires tomberaient en communauté. La jurisprudence a fort sagement rejeté cette analyse, se prononçant pour la nature commune des gains et salaires4. Mais la notion d’acquisition peut soulever des difficultés pour une opération de placement. Par exemple, la jurisprudence a considéré que le placement de fonds sur un compte épargne ne constitue pas un acquêt5, les solutions étant plus controversées pour un placement en bons de caisse6.
11Quid également du bien créé et non acquis pendant le mariage, qu’il s’agisse d’un fonds de commerce ou d’une œuvre d’art ? Doctrine et jurisprudence assimilent la création à l’acquisition, entraînant la chute en communauté des biens créés pendant le mariage7.
12Un bien acquis pendant le mariage ? Ce sont surtout ces frontières temporelles de l’acquêt de communauté qui sont sources d’incertitudes. Le bien acquis pendant le mariage est commun, celui acquis avant le mariage reste propre et celui acquis après demeure personnel à l’acquéreur. Cette rigueur toute mathématique se heurte à un processus d’acquisition qui s’étale dans le temps et chevauche le mariage ou sa dissolution. En principe, c’est le moment du transfert de propriété qui détermine la qualification du bien. Ainsi, en cas de promesse unilatérale de vente, la jurisprudence a décidé que c’est la date de levée de l’option qui doit être prise en compte8. Ces solutions devraient logiquement prévaloir pour les actions acquises par l’exercice de stock-options. La jurisprudence a ainsi considéré qu’elles constituaient des biens communs dès lors que l’option est levée pendant le mariage9. Mais on a pu faire valoir que cette solution fait dépendre la chute en communauté de l’exercice de l’option avant la dissolution du régime, ce qui introduit une potestativité susceptible d’encourager la fraude : au sein d’un couple en période de crise conjugale, un époux ne sera-t-il pas tenté d’attendre le divorce pour lever l’option afin de faire échapper ces actions nouvelles à la communauté ? De plus, cette solution ne tient pas compte de la nature de complément de salaire que constitue l’octroi de stock-options, ce qui illustre une autre difficulté de frontière de l’acquêt de communauté.
13En effet, tout bien acquis à titre onéreux pendant le mariage ne constituant pas un acquêt de communauté, il est parfois difficile de tracer la frontière entre l’acquêt et les biens qui reçoivent par exception une qualification propre. Un exemple emblématique réside dans les indemnités versées à un salarié pendant la durée du régime. Doit-on les considérer comme des acquêts, cette qualification étant renforcée par leur nature de complément ou de substitut de salaire ? Doit-on les considérer comme des propres en tant que créance incessible ou droit exclusivement attaché à la personne en vertu de l’article 1404 C. civ. ? La jurisprudence s’est laborieusement efforcé d’opérer un tri au sein de la nébuleuse d’indemnités existantes10. Si elle l’a en général fait avec bonheur, certaines solutions sont plus surprenantes. Ainsi la Cour de cassation a récemment considéré que la dotation d’installation allouée à un jeune agriculteur constitue un propre11 alors que sa nature de complément de rémunération nous ferait plutôt militer pour une solution contraire.
14Comme le montre déjà cet exemple, c’est la confrontation entre l’acquêt de communauté et la catégorie des biens propres par nature qui suscite le plus de difficultés de frontières, aboutissant, pour certains biens, à leur écartèlement.
B. Des biens écartelés
15Au lendemain de l’adoption de la loi du 13 juillet 1965, le principe général de l’article 1404 in fine du Code civil énonçant que forment des propres, « plus généralement, tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement rattachés à la personne » a été invoqué par un courant d’auteur pour exclure de la communauté certains biens comme les clientèles, les offices ministériels ou les parts de sociétés de personne. La jurisprudence a rejeté cette analyse mais, afin de tenir compte du caractère personnel de ces biens, a repris la distinction du titre et de la finance qui dominait le droit antérieur12. S’agissant d’une clientèle civile ou d’un office ministériel, le titre serait personnel à l’époux qui exerce la profession alors que la finance tomberait en communauté. S’agissant de parts de société de personnes, le titre d’associé resterait personnel à l’époux associé, la finance tomberait en communauté.
16La distinction titre-finance paraît de prime abord séduisante. Elle permet un compromis entre le libre exercice de la profession ou des prérogatives d’associé, qui ne serait pas perturbé par les interférences avec le mariage, et l’enrichissement de la communauté qui tirerait profit de la clientèle, de l’office ou des parts sociales. En réalité, le charme de la formule, qui rassure par son côté xixe siècle, masque sa vacuité. La distinction titre-finance, pourtant reprise avec constance par la jurisprudence, constitue une formidable illusion car elle soulève plus de difficultés qu’elle n’en résout.
17Tout d’abord, la distinction titre-finance ne remplit pas la fonction qui devrait être la sienne puisqu’elle ne permet pas une claire répartition entre les prérogatives attachées au titre et celles attachées à la finance. Par exemple, un époux associé peut-il percevoir seul les dividendes ? La perception de dividendes relève-t-elle par essence de la qualité d’associé ? Une réponse négative a pu être défendue13 : la qualité d’associé ne jouerait que pour une prise de décision, comme celle de distribuer des dividendes, leur perception pouvant en revanche être effectuée par chacun des époux. La Cour de cassation n’a pas suivi cette analyse, permettant la perception des dividendes par le seul époux associé14, solution qui nous semble devoir être approuvée. La qualité d’associé ne saurait être conditionnée à une prise de décision et doit s’appliquer à toute conséquence pécuniaire de la titularité des parts. Quoiqu’il en soit, les divergences d’interprétation illustrent cruellement l’inutilité de la distinction titre-finance.
18D’une manière plus fondamentale encore, dire que la finance tombe en communauté signifie-t-il que seule la valeur de la clientèle, de l’office ministériel ou de la parts sociale intègre la communauté ou qu’ils y entrent en nature ?
19Les auteurs sont divisés et la jurisprudence n’est guère limpide15.
20Dans le prolongement de cette difficulté, auteurs et jurisprudence sont également partagés sur la gestion de ces biens. Faut-il rattacher cette gestion au titre et permettre la cession de la clientèle, de l’office ou de la part par un seul époux ou faut-il la rattacher à la finance et lui appliquer la cogestion prévue par l’article 1424 du Code civil ? La jurisprudence est pour le moins fluctuante. Par exemple, s’agissant de parts de société de personne, la jurisprudence traditionnelle exigeait que leur cession obéisse à la cogestion, en se fondant sur l’article 1424 du Code civil16, alors qu’une décision récente permet à l’époux associé de la réaliser seul17. La distinction titre-finance n’apparaît ainsi que comme une appellation, certes élégante, mais creuse, susceptible de justifier tout et son contraire.
21Plus encore que les incertitudes concernant l’actif de la communauté légale, l’insécurité qui domine les règles gouvernant le passif nous semble critiquable.
II. Un passif insécure
22L’insécurité des règles gouvernant le passif de la communauté légale vient d’un principe général dangereux (A) que le législateur a tenté de limiter de manière désordonnée, par des règles éparses (B).
A. Un principe général dangereux
23Le principe qui domine le passif de la communauté est celui de l’article 1413 du Code civil : « Le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs ».
24Cette règle de principe, issu de la loi du 23 décembre 1985, est extrêmement novatrice car elle met fin aux inégalités du droit antérieur entre créancier du mari et créancier de la femme. Désormais, que la dette soit entrée en communauté du chef du mari ou de la femme, qu’elle soit contractuelle ou extracontractuelle, professionnelle ou non, chaque époux engage ses biens propres et les biens communs, si l’on excepte les gains et salaires du conjoint (art. 1414 C.civ.). Chaque époux offre au droit de poursuite de ses créanciers les biens qu’il a pouvoir d’administrer, ses biens propres et les biens communs, illustration de la forte corrélation entre gestion et passif.
25La solution paraît donc particulièrement dangereuse pour le ménage puisque toute dette professionnelle d’un époux peut conduire à la saisie des biens communs. Comme l’a écrit très clairement le doyen Simler, « chacun, en somme, peut ruiner son conjoint »1. Ce risque, certes présent lors de l’adoption de la loi du 13 juillet 1965, a été masqué par la symbolique consécration d’une égalité accrue entre époux. Surtout, ce risque qui a pu paraître marginal au moment de l’adoption de la loi de 1965, a été renforcé par les évolutions sociologiques de ces dernières années, l’essor du modèle de l’exercice d’une activité professionnelle distincte par chacun des époux, dans un environnement économique de plus en plus incertain.
26Lorsqu’une procédure collective est ouverte contre un époux, les biens communs sont compris dans l’actif de cet époux débiteur : ses créanciers peuvent demander à être payés sur les biens communs et son conjoint supportera dans sa part de biens communs le poids du passif. Mais les créanciers du conjoint in bonis, voulant se faire payer sur les biens communs doivent-ils être soumis aux règles des procédures collectives ? La jurisprudence a répondu par l’affirmative dans un important arrêt d’Assemblée plénière2, dont elle a poussé jusqu’à son paroxysme les conséquences. Ainsi les effets de la procédure s’appliquent aux biens communs sans qu’il soit possible de les diviser en préservant la part du conjoint in bonis. Cette solution aboutit de facto à un dessaisissement du conjoint in bonis de ses pouvoirs sur les biens communs. Par exemple, le bail précaire accordé par le conjoint in bonis sur un bien commun a été considéré comme inopposable aux créanciers de son conjoint3. Cet impérialisme des procédures collectives est d’autant plus dangereux pour les finances du ménage que le domaine d’application des procédures collectives, initialement limité aux commerçants, a été progressivement étendu aux agriculteurs, aux artisans et aux membres des professions libérales.
27Face à ce risque, le législateur a préféré multiplier les règles spéciales plutôt que mener une réflexion d’ensemble.
B. Des protections éparses insuffisantes
28Le législateur est intervenu par touches successives pour mettre en place des mécanismes protecteurs ponctuels.
29Le premier est l’instauration d’une information obligatoire du conjoint. Au delà des mécanismes prévoyant une information générale des époux sur les régimes matrimoniaux, une loi du premier août 2003 pour l’initiative économique a adopté un article L. 526-1 du Code de commerce disposant que
« lors de sa demande d’immatriculation à un registre de publicité légale à caractère professionnel, la personne physique mariée sous un régime de communauté légale ou conventionnelle doit justifier que son conjoint a été informé des conséquences sur les biens communs des dettes contractées dans l’exercice de sa profession ».
30Le dispositif apparaît d’abord peu ambitieux, puisque c’est le conjoint lui-même qui doit délivrer l’information. De plus, l’information renferme en elle-même ses limites : informer n’est pas protéger et l’information ne portera ses fruits que si les conjoints en tirent les conséquences.
31Un second mécanisme de protection consiste dans l’instauration d’une insaisissabilité de certains biens. Ainsi, une loi du 1er août 2003, au domaine d’application sensiblement élargi par une loi du 4 août 2008, avait permis à une personne physique exerçant une activité commerciale, artisanale, agricole ou libérale de déclarer insaisissable sa résidence principale ou tout bien foncier, bâti ou non bâti non affecté à un usage professionnel (art. L. 526-1 C.com anc.). La loi du 6 août 2015 a supprimé l’obligation de déclaration qui intervenait souvent un peu tard, instaurant une insaisissabilité de plein droit de la résidence principale de l’entrepreneur individuel (art. L 526-1 C.com.), sans que ne soit supprimée la possibilité d’effectuer une déclaration d’insaisissabilité pour les autres biens4.
32Enfin, d’une manière plus déterminante encore, la création du patrimoine d’affectation par la loi du 15 juin 2000 a modifié le droit de poursuite des créanciers prévu par l’article 1413 du Code civil. En effet, un entrepreneur individuel peut affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d’une personne morale. L’affectation d’un bien commun à l’exercice de son activité professionnelle par un époux limite en effet doublement le droit de poursuite des créanciers (art. L. 526-12 1° et 2° C. com.). Les biens communs non affectés sont soustraits au droit de poursuite des créanciers professionnels de l’affectant. Les biens communs affectés sont soustraits au droit de poursuite des créanciers personnels de l’affectant ou des créanciers de son conjoint.
33Quelle que soit la portée pratique des mécanismes mis en place, la technique législative utilisée ne peut qu’être critiquée. On peut observer d’emblée qu’il ne s’agissait pas pour le législateur d’améliorer les règles du passif de la communauté légale. Ces mécanismes n’ont pas été incorporés dans le titre du Code civil consacré aux régimes matrimoniaux mais dans le Code de commerce et la plupart ne sont pas limités aux seuls époux mariés sous le régime de communauté légale.
34Surtout, en procédant par petites touches, sans vision d’ensemble cohérente, le législateur s’est contenté de replâtrages successifs alors que le droit des régimes matrimoniaux a besoin de cohérence et de certitude.
35Cette intervention pourrait paraître prélude à un vibrant plaidoyer pour une refonte législative en profondeur du régime légal, d’autant plus qu’il serait irréaliste de conseiller aux époux de le contourner, la proportion de conjoints soumis au régime légal tournant aux alentours de 80 % et ne connaissant pas d’évolution sensible au fil du temps.
36En réalité, notre conclusion sera beaucoup plus nuancée.
37Les incertitudes des règles du régime légal en matière d’actif ne nécessitent pas une intervention législative. La jurisprudence, s’appuyant sur les travaux de la doctrine, pourrait aisément gommer les principales en abandonnant la distinction du titre et de la finance. Il paraît contraire à l’esprit et à la lettre de la loi de soustraire les biens ainsi écartelés à la chute communauté. Reste à ménager l’indépendance d’un époux dans son activité professionnelle. La cogestion pourrait être limitée par le recours à la gestion exclusive des biens professionnels par l’époux exerçant une profession instaurée par l’article 1421 alinéa 2 du Code civil. Ainsi, la cession d’un office ministériel ou d’une clientèle de profession libérale pourrait être valablement réalisée par le seul époux qui exerce la profession. Quant aux parts de société de personnes, échapperaient à la cogestion les parts dont la détention est liée à une activité professionnelle5.
38Quant à l’insécurité engendrée par le passif, la protection instaurée par l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale de l’entrepreneur individuel nous semble constituer une avancée importante. Une modification du passif de la communauté légale ne devrait être envisagée qu’avec une extrême prudence afin de ne pas menacer cet équilibre difficile à réaliser mais fondamental entre protection du patrimoine familial et crédit du ménage.
39Comme l’observait Portalis,
« il faut être sobre de nouveautés en matière de législation, parce que s’il est possible, dans une institution nouvelle, de calculer les avantages que la théorie nous offre, il ne l’est pas de connaître tous les inconvénients que la pratique seule peut découvrir ; (qu’) il faut laisser le bien, si on est en doute du mieux »6.
Notes de bas de page
1 « La communauté de biens entre époux, bilan critique », JCP N 2009, 1185 à 1193 ; E. Rousseau, « Les 50 ans du régime légal de communauté : vers un divorce pour les noces d’or ? », RLDC 2015/128, n° 5912 ; H. Lécuyer, « Changer de régime légal ? », JCP N 2014, n° 31/35, HS, 19 ; C. Grare-Didier, « La communauté légale : failles et modernité », in I. Dauraic, C. Grare-Didier et S. Gaudemet (dir.), Quelle association patrimoniale pour le couple ?, Dalloz, 2010, p. 3.
2 Cf. P. Malaurie et L. Aynès, Droit des régimes matrimoniaux, 6e éd., 2017, n° 305, qui parlent « d’oasis ».
3 M.-P. Champenois-Marmier et M. Faucheux, Le mariage et l’argent, PUF, 1981.
1 Cf. par exemple, F. Terré et P. Simler, Les régimes matrimoniaux, Dalloz, 7e éd., 2015, n° 277.
2 Jurisprudence initiée par civ. 1re, 30 juin 1992, JCP 1993.I.3656, n° 11, obs. A. Tisserand ; RTDCiv. 1993.410, obs. F. Lucet et B. Vareille (pour le travail d’un époux sur un propre de son conjoint) et civ. 1re, 5 avr. 1993, RTDCiv. 1995.638, obs. F. Lucet et B. Vareille (pour le travail d’un époux sur un de ses propres.
3 H. Mazeaud, « La communauté réduite au bon vouloir des époux », D. 1965.91.
4 Cf. G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, Sirey, 2e éd., 2001, n° 260.
5 Civ., 1, 3 nov. 1983, Bull. civ., n° 250, D. 1984, IR. 274, obs. D. Martin ; Defrénois 1984, art. 33379.1081, obs. G. Champenois.
6 Pour la qualification d’acquêt, civ. 1re, 22 oct. 1980, Bull. civ., n° 267 ; D. 1981, IR.462, obs. D. Martin ; JCP 1982.II.18757, note R. Le Guidec ; Defrénois 1981, art. 32608.461, obs. G. Champenois. Contre la qualification d’acquêt : Caen, 3 mai 1977, D. 1978.IR.325, obs. D. Martin.
7 Cf. par exemple, N. Péterka, Régimes matrimoniaux, Dalloz, 4e éd., 2015, n° 265.
8 Req. 26 nov. 1935, DP 1936,.1.37, rapp. Pilon ; S. 1936.1.52 ; civ. 1re, 1er déc. 2010, RTDCiv. 2011.111, obs. J. Hauser et 379, obs. B. Vareille, Defrénois 2011.378, obs. G. Champenois.
9 Cass. 1re civ., 9 juillet 2014, n° 13-15.948, FS P+B+I, Bull. Joly oct. 2014, n° 10, p. 378, obs. A. Rabreau ; AJ fam. 2014.508, obs. Hilt ; JCP 2014.1013, note F. Sauvage ; D. 2014.2436, obs. A. Rabreau ; JCP N 2014.1318, obs. E. Naudin.
10 Cf. par exemple R. Cabrillac, Droit des régimes matrimoniaux, LGDJ, 10e éd., 2017, n° 154 et 174.
11 Civ. 1re, 15 avr. 2015, RLDC 2015/127, n° 5882, obs. M. Jaoul ; D. 2015.2095, obs. V. Brémond, qui note en ce sens : « Une nouvelle fois, cette décision illustre le caractère délicat, pour ne pas dire parfois un peu mystérieux, de la qualification de propre par nature ».
12 Pour une présentation de la doctrine et de la jurisprudence sur ce point, cf. par exemple A. Lamboley et M.-H. Lamboley, Droit des régimes matrimoniaux, Lexisnexis, 7e éd., 2015, n° 223 et s.
13 V. Zalewski-Sicard, note sous civ. 1re, 5 nov. 2014, RLDC 2014/122, n° 5704.
14 Civ. 1re, 5 novembre 2014, n° 13-25.820, V. Zalewski-Sicard, note cit. ; Gaz. Pal. 11/12 fév. 2015, p. 12, obs. R. Cabrillac ; Bull. Joly 2015, n° 3, p. 119, obs. A. Rabreau.
15 Cf. R. Cabrillac, op. cit., n° 181 pour les parts de société de personne, n° 184 pour les offices ministériels ou les clientèles de profession libérale.
16 Civ. 1re, 28 fév. 1995, Bull. civ., I, n° 104 ; JCP 1995.I.3869, obs. P. Simler ; Defrénois 1995.1469, obs. Champenois (nullité de la cession de parts d’un GAEC opéré par le mari sans le consentement de la femme) ; civ. 1re, 19 avr. 2005, JCP 2005.1.163, n° 15, obs. A. Tisserand-Martin (même solution pour des parts d’EURL) ; civ. 1re, 9 avr. 2011, D. 2012.36, obs. I. Tosi (même solution pour des parts de SCI).
17 Civ. 1re, 12 juin 2014, Defrénois 30 oct. 2014, p. 1093, note V. Barabé-Bouchard ; D. 2014.1908, obs. V. Brémond et 2434, obs. A. Rabreau ; LEDC sept. 2014, n° 8, p. 7, obs. M. Caffin-Moi ; Rev. Soc. 2014.734, obs. E. Naudin ; Gaz. Pal. 18 sept. 2014, p. 15, obs. C. Albiges ; RJPF 2015/1, p. 22, obs. V. Egéa ; civ., 22 oct. 2014, D. 2015.649, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ. Fam. 2014.707, obs. J.-F. Desbuquois ; D. 2015.2097, obs. J. Revel ; Gaz. Pal. 11/12 juin 2015, obs. C. Albiges (solutions adoptées pendant l’indivision post-communautaire, qui peut être transposée pendant le fonctionnement du régime).
1 « Pour un autre régime matrimonial légal », Mélanges en hommage à François Terré, Dalloz/Puf/Litec, 1999, p. 457. Comp., plus nuancé, G. Champenois, « L’article 1413 du Code civil condamne-t-il le régime légal de communauté ? », Mélanges en l’honneur d’André Ponsard, Lexisnexis, 2003, p. 129.
2 Ass. pl. 23 déc. 1994, JCP 1995.II.22401, note D. Randoux ; D. 1995.145, rapp.
Y. Chartier, note F. Derrida ; JCP E 1995.II.660, note P. Pétel ; Defrénois 1995, art. 36040, 445, obs. G. Champenois ; JCP 1995.I.3869, n° 8, obs. P. Simler.
3 Com. 4 oct. 2005, Bull. civ., IV, n° 193, D. 2006.86, obs. M. Le Corre ; Defrénois 2006, art. 38373, obs. B. Vareille.
4 Cf. V. Legrand, « Faut-il supprimer la déclaration notariée d’insaisissabilité ? », D. 2015.2387.
5 Terré et Simler, op. cit., n° 331 ; R. Cabrillac, op. cit., n° 191.
6 Discours préliminaire sur le projet de Code civil, in A. Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, t. 1, Videcoq, Paris, 1836, p. 466.
Auteur
Professeur à l’Université de Montpellier
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1965-1985-2015 : Cinquante ans de droit des régimes matrimoniaux
Bilan et perspectives
Vincent Egéa (dir.)
2018