1965 : Jean Foyer et la restauration du Code civil
Le Général, le Ministre et le Doyen
p. 17-21
Texte intégral
1L’Empereur l’avait prédit, dans son exil à Sainte-Hélène : son code civil serait à réécrire dans les cinquante années qui marquerait sa promulgation.
2Il n’en fut rien et la société immobile du xixe siècle contribua à sa permanence puis à son culte. Fort du jugement de Stendhal, on y vit une œuvre parfaite et un glorieux acte de gouvernement. L’idée fut que cette « constitution civile de la France » était intouchable alors même que défilait la théorie des vraies constitutions politiques.
3Pourtant ce code qui avait si fortement contribué à stabiliser la société française au lendemain de la Révolution, par cette célèbre transaction entre la farine de l’ancien droit et le levain des idées nouvelles, finissait par être une source de sclérose.
4Que faire ? Un monument ne se reconstruit que s’il a été préalablement détruit : or le Code était presque intact. Dès lors la seule solution raisonnable fut d’entreprendre sa restauration.
5Dans ses Mémoires de ma vie politique, 1944-1988 sous le titre plus ample Sur les chemins du droit avec le Général1, Jean Foyer expliqua très bien le choix qui fut le sien de, premièrement, mettre un terme à la Commission de révision du Code civil laquelle, depuis la Libération, œuvrait, un peu esseulée, sous la présidence du doyen Julliot de La Morandière (dont on peut rappeler que le père fut l’un des professeurs du jeune Charles De Gaulle) ; cette commission n’avait pas démérité mais elle avait eu deux défauts. Tout d’abord, d’être trop nombreuse et par là de manquer d’unité ; ensuite de ne guère intéresser le pouvoir politique qui ne la stimula pas, ne lui donna ni directives, ni soutien. Deuxièmement, il décida non pas de rédiger un nouveau Code civil mais de rénover l’ancien, pan par pan, exactement comme, presque dans le même temps, André Malraux entreprenait de restaurer, en les ravalant, les grands monuments parisiens.
6Celui qui fut en charge de cette entreprise fut le doyen Jean Carbonnier (son livre : Droit et passion du droit sous la Ve République). Les choses étaient simples : le Général accordait une totale confiance à son garde des Sceaux, lequel soutenait sans défaillance une plume sûre et un esprit inventif.
7Le premier acte fut la rénovation complète et très innovante du droit des incapacités, loi qui fut suivie avec une grande attention par un conseiller technique, camarade d’agrégation du Ministre, François Terré. Ce fut d’ailleurs à cette occasion qu’intégra le cabinet une jeune magistrate : Simone Veil. Cela produisit la loi du 14 décembre 1964.
8Son succès, encouragea à poursuivre l’entreprise. Le cabinet s’attela à la réforme des régimes matrimoniaux. Ce droit, non seulement daté de 1804, mais dans ses profondeurs reprenait largement la version de 1580 de la coutume de Paris. Si le mari n’était plus le « maître et seigneur » de la communauté, il conservait une prééminence surprenante : politiquement émancipée par l’obtention du suffrage (dont on se souviendra qu’il fut le premier acte du Gouvernement républicain rétabli en 1944), la femme continuait à vivre sous la sujétion maritale dans le couple.
9À la vérité, ce projet semblait frappé par le destin. Non seulement la Commission de révision n’avait trouvé aucune solution conforme à l’évolution de la société, mais encore en 1959, un projet, voulu par Michel Debré, avait sombré corps et biens alors qu’Edmond Michelet tenait les sceaux.
10Il est vrai que Michelet, dont les éminentes qualités humaines sont et demeurent connues de tous (il suffit de lire son ouvrage de souvenirs sur la déportation : « Rue de la Liberté » pour en être saisi), n’était pas un juriste, ce qui est loin d’être un grief. Il avait contre lui, un vrai juriste Paul Coste-Floret, insigne professeur de droit à Montpellier (et, l’un des auteurs de l’actuel article 55 de la constitution), qui, reprenant la virulente opposition du tribunal d’appel de cette ville contre le texte du Code civil organisant ce que l’on dénomme aujourd’hui le « droit patrimonial de la famille », s’était déclaré d’une opposition catégorique contre ce projet.
11Jean Foyer aimait à raconter une anecdote à ce propos. Ce sachant peu au fait de la matière du droit civil, Michelet avait réservé une demie journée pour une sorte de cours intensif avec le premier président de la Cour de cassation. Celui-ci se rendit à la Chancellerie pour réitérer le rôle de Tronchet auprès de Bonaparte. À la fin de quelques heures d’entretien, le Garde conclut : « Si je vous ai bien compris, Monsieur le Premier Président, moi qui suis marié avec mon épouse sans contrat préalable nous sommes donc séparés de biens ».
12Le premier magistrat de France constata aussi bien la faiblesse de ses talents de pédagogue que le péril qu’il y avait à lancer le Ministre dans une discussion devant le Parlement. Il advint ce qui devait arriver : Coste-Fleuret eut la part belle et, comme il convenait de sauver le Ministre de cette aventure, le Premier Ministre retira le projet purement et simplement.
13Tout était à reprendre.
14Le débat pouvait se résoudre à deux points : de quoi serait composée la communauté et comment serait-elle administrée ? Le défaut du projet Debré-Michelet avait sans doute été de manquer d’ampleur.
15Le doyen Carbonnier donna de l’envergure à son propre projet : il rénovait la communauté en la réduisant aux seuls acquêts (mais en maintenant une présomption faisant qu’en pratique bien des meubles, à défaut d’une preuve contraire, seraient attraits dans cette communauté) et distinguait divers niveaux d’administration (tout en laissant un fort pouvoir d’administration au bénéfice du mari qui, jusqu’en 1985, conserva son titre de chef de la communauté).
16Deux mesures furent plus contestables (mais qui n’était pas l’intention du doyen), la suppression pure et simple du régime dotal (l’on sacrifiait ainsi un peu gratuitement une tradition méridionale) et l’introduction du régime de participation aux acquêts (deux ans après la réconciliation franco-allemande on introduisait une coutume germanique qui, depuis lors, resta dédaignée tout comme le pain noir allemand a peu de prise sur la baguette française).
17Surtout, avec un prudent contrôle judicaire, l’on permit un changement de régime matrimonial. Cette réforme qui eut un fort succès, fut achevée par la loi du 23 juin 2006 qui réduisit considérablement le contrôle judiciaire. Ce fut cette disposition qui contribua à la diffusion de la communauté universelle, clause jusque-là très rarement mise en œuvre en France.
18La pleine réussite de ces deux entreprises valida la méthode suivie. Elle fut poursuivie dans les années qui suivirent et bien au-delà. La réforme des contrats, par l’ordonnance du 10 février 2016, est dans cette ligne même si on peut se demander si les murs porteurs de 1804 tiennent encore et poser la question d’une reconstruction plus complète. Ce serait la seule manière que le Code civil puisse demeurer fidèle à la pensée initiale de celui qui ordonna sa rédaction.
19Après son départ de la place Vendôme, Jean Foyer devint l’un des plus remarquables présidents de la commission des lois de l’Assemblée nationale, cela jusqu’en 1986. Il fut respecté de tous. Ce que l’on ignore c’est que réélu (pour ce qui fut son dernier mandat) député du Maine-et-Loire, Jean Foyer fut, assez naturellement candidat à redevenir président de la commission des lois. Mais le maire de Paris fit connaître son désaccord. Les députés de son groupe reçurent instruction de voter pour un autre, pour autant l’unanimité ne régnait pas sur ce point. C’est alors qu’une délégation importante des députés socialistes vint trouver Jean Foyer pour lui apporter son soutien et l’assurer qu’il serait élu s’il voulait bien se présenter.
20Imitant, dans d’autres circonstances, Georges Clemenceau qui n’avait pas voulu être élu contre sa famille politique, Jean Foyer les remercia avec émotion mais déclina cette offre. Lorsqu’il évoquait cela, il ne pouvait s’empêcher de faire allusion à ces « hommes de bonne volonté » sur lesquels la faveur du Ciel se répand.
21Ainsi se termina son œuvre de législateur.
22Jean Foyer, le plus souvent, est classé parmi les conservateurs et il n’aurait pas renié ce qualificatif, à la manière anglaise. Mais il fut un conservateur sachant que le seul moyen de conserver l’essentiel est de faire évoluer la manière de le mettre en œuvre. Si l’on considère son œuvre législative, comment nier qu’il fut, pour être plus exact dans la qualification un « conservateur actif ». Tant d’autres se griment en « progressistes statiques ». L’on connaît à satiété la réplique célèbre du Prince de Salina sur la nécessité que tout change pour que tout demeure. Mais, on oublie parfois le sens que lui donnait cet aristocrate. Le changement peut, tout simplement, camoufler le désir de l’immobilisme. Changer les tuiles, pour ne pas reprendre la charpente ; refaire les peintures, pour ne pas revoir la maçonnerie.
23Dans l’œuvre qu’il entreprit de rénovation du Code Napoléon, un esprit attentif verra que la manière de faire de Jean Foyer fut de dire qu’il fallait qu’il demeurât pour qu’il changeât.
24Tel fut cette entreprise où un général (comme Bonaparte) ne calcula pas la confiance qu’il accorda à un ministre habile qui sut mettre en avant un professeur qui ne savait pas qu’enseigner les lois mais les écrire.
25Cette triple conjonction des astres demeure un instant lumineux de l’histoire du droit civil français.
Notes de bas de page
1 Sur les chemins du droit avec le Général : Mémoire de ma vie politique (1944-1988), Fayard, 2006, sp. p. 317 et s.
Auteur
Doyen honoraire de la faculté de droit de l’Université de Toulouse
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