Présentation générale : Une loi symbolique
p. 9-11
Texte intégral
1La loi du 13 juillet 1965 de réforme des régimes matrimoniaux, dont on célébra à Aix-en-Provence, le 11 décembre 2015, le cinquantenaire, en dressant un bilan et en traçant des perspectives, constitue un symbole à trois égards. Ce texte est un symbole pour le couple tout d’abord, pour le patrimoine familial ensuite et, pour l’art de rédiger les lois, enfin.
2Un symbole pour le couple, tout d’abord, car la loi du 13 juillet 1965 constitue évidemment un texte fondamental pour l’accès de la femme mariée à une indépendance juridique et, pour tout dire, à une véritable capacité juridique. Voilà l’épouse investie des mêmes pouvoirs que son époux pour gérer la masse commune. Cette revalorisation des prérogatives juridiques de l’épouse est évidemment fondamentale dans la France des années soixante et marquera une volonté de faire correspondre la loi civile aux évolutions sociales et culturelles du moment. Mais l’œuvre d’égalisation des droits et devoirs entre les époux était apparue, pour certains, comme demeurant au milieu du gué. Ne parlait-on pas en effet encore, au sein du Code civil, du mari et de la femme ? L’on pouvait pensait que de telles expressions « genrées » connaîtraient quelques déboires dans un contexte post-moderne où l’égalité se confond trop souvent avec la non-discrimination. Ainsi la loi du 23 janvier 1985, outre d’utiles aménagements techniques du droit des régimes matrimoniaux, va remplacer le « mari et la femme » par « les époux ». L’expression « bon père de famille » succombera quant à elle le 4 août 2014…
3L’incidence technique de cette égalité nouvelle entre les époux, déjà pressentie par Carbonnier, se trouve évidemment dans la nécessité de trancher lorsque l’unanimité fait défaut. Seul un tiers extérieur peut le faire. Ainsi la loi du 13 juillet 1965 marque l’essor d’une judiciarisation du droit des régimes matrimoniaux. Si l’essor du juge avait été prédit, il est évident qu’en 1965 et, même en réformant le divorce en 1975, la place occupée aujourd’hui par le divorce comme mode de dissolution du couple marié n’avait pas été mesurée. Dans « les perspectives », on ne peut que s’interroger sur la liquidation, sur le rôle respectif du juge et du notaire dans les opérations liquidatives, au lendemain de l’ordonnance du 15 octobre 2015. Sa date d’entrée en application, le 1er janvier 2016, approchait lorsque se tint le colloque, et il n’est pas certain que la volonté de simplifier le droit, affichée par ce texte, ait été depuis atteinte.
4Le juge dont il était question dans la loi du 13 juillet 1965 et dans la loi du 23 décembre 1985 était le juge interne, le juge français. Là encore, le paysage juridique est aujourd’hui totalement bouleversé par l’essor du droit européen et du droit international. D’autant que si les rapports familiaux s’internationalisent, le patrimoine familial subit le même phénomène. Sur ce point, la loi du 13 juillet 1965 exprima la force d’un autre symbole.
5On peut parler d’un symbole pour le patrimoine familial, ensuite, car la loi du 13 juillet 1965 concernait le patrimoine familial d’une manière assez classique, c’est-à-dire qu’il était question essentiellement d’une propriété immobilière de la résidence de la famille, voire d’une exploitation agricole ou artisanale. La loi du 23 décembre 1985 modernise à certains égards ces règles. Pour autant, le patrimoine familial s’est évidemment modifié de manière considérable dans sa consistance en un demi-siècle. La détention des biens immobiliers par le biais d’un Société Civile Immobilière est devenue d’un usage extrêmement courant, ce qui modifie sensiblement l’habituelle distinction entre règles de propriété et règles de pouvoir en droit des régimes matrimoniaux.
6Au-delà de la consistance du patrimoine, c’est l’existence même du patrimoine familial qui se trouve au cœur des préoccupations contemporaines : l’obsession législative moderne consiste à protéger le patrimoine familial de l’entrepreneur. Il suffit pour s’en convaincre de songer à l’EIRL, à la déclaration d’insaisissabilité, à l’assouplissement des modalités de changement de régime matrimonial.
7Alors qu’en 1965 et 1985 le droit des régimes matrimoniaux constituait assurément une pièce maîtresse du droit civil, il ne se conçoit désormais souvent que dans son articulation avec le droit des entreprises en difficultés ou le droit des sociétés (civiles et commerciales).
8À ce titre, les deux textes objet du colloque ont peut-être façonné une sorte de charnière entre un ancien monde et un nouveau.
9Le troisième symbole concerne l’art de rédiger les lois puisque la loi du 13 juillet 1965 demeure un modèle légistique, voire un idéal-type. Tous les éléments furent en effet réunis à l’époque, en commençant par une impulsion politique forte, celle du général De Gaulle, relayée par d’éminents professeurs de droit, le garde des Sceaux Jean Foyer et, bien évidemment, Jean Carbonnier, concepteur et plume de cette loi. Le style pur, simple et efficace des dispositions alors introduites dans le Code civil demeure lui aussi un modèle qui semble aujourd’hui, non sans une pointe de nostalgie, indépassable. Plus largement, la loi du 13 juillet 1965 répondait à des attentes sociales fortes, et correspondait à une aspiration du moment, tout en respectant histoire et tradition. La méthode législative distingue également ce texte. Sa rédaction fut en effet précédée d’une importante enquête sociologique, sous forme d’un questionnaire, afin de connaître les attentes des citoyens français. L’on parlerait aujourd’hui d’une « étude d’impact ». Sauf qu’à l’époque, la référence aux évolutions sociales, que l’on tenta de mesurer et connaître, constitua une véritable innovation, au point que c’est un juriste, François Terré, qui commentera dans la grande revue française de sociologie, L’année sociologique, fondée par E. Durkheim, les résultats de cette enquête qui servit de base au travail du législateur.
10Un demi-siècle plus tard, que reste-t-il de ce texte, dernier survivant d’une époque législative aujourd’hui regardée avec nostalgie et admiration ? De normes de droit positif, assurément. Il en va des lois comme des hommes : lorsque surgit le temps des anniversaires et des célébrations, l’occasion est offerte de dresser des bilans et de tracer des perspectives. Les participants au colloque ont tous accepté avec enthousiasme de prendre part à ces réflexions.
Auteur
Agrégé des Facultés de Droit, Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
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1965-1985-2015 : Cinquante ans de droit des régimes matrimoniaux
Bilan et perspectives
Vincent Egéa (dir.)
2018