Propos introductifs
p. 17-20
Texte intégral
1Depuis la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 sur la protection de la nature, « la protection des espaces naturels et des paysages, la préservation des espèces animales et végétales, le maintien des équilibres biologiques auxquels ils participent et la protection des ressources naturelles contre toutes les causes de dégradation qui les menacent » sont considérés par le droit français comme d’intérêt général.
2Afin de s’assurer que l’environnement soit correctement pris en compte par les activités et décisions susceptibles d’y porter atteinte, cette même loi introduit, dans le droit français, l’obligation faite à un maître d’ouvrage d’effectuer une étude d’impact qui devra préciser quelles sont les mesures envisagées pour limiter les atteintes à l’environnement selon une démarche qui consiste à éviter le maximum d’impacts, à réduire ceux qui ne peuvent pas être totalement évités et enfin à compenser les impacts résiduels du projet sur l’environnement ou la santé humaine.
3Corrélatives à un dommage environnemental causé par une activité humaine, la compensation écologique implique donc que l’auteur de l’atteinte supporte la prise en charge des opérations destinées à remédier en natures aux dommages causés aux milieux naturels.
4La compensation écologique a longtemps été ignorée et était perçue comme un outil de dernier recours, la priorité devant aller à la prévention des atteintes au milieu naturel. L’évolution législative et les nécessités économiques font aujourd’hui de la compensation écologique une notion phare du droit de l’environnement.
5À nouveau mis sous les projecteurs par le projet de loi relatif à la biodiversité, la compensation écologique suscite de nombreuses problématiques juridiques, ainsi que de mise en œuvre.
6La réforme de l’étude d’impact impulsée par le Grenelle de l’environnement a permis de résoudre certaines lacunes criantes de la loi de 1976, en exigeant, notamment, que soient précisées dans les arrêtés d’autorisation les mesures destinées à éviter, réduire et compenser les impacts, mais aussi les modalités de suivi de leurs effets. Ces dispositions rendent les mesures compensatoires juridiquement contraignantes et une procédure de sanction en cas de non-conformité a également été instituée (par le Décret n° 2011-2019 du 29 décembre 2011 et l’Ordonnance n° 2012-34 du 11 janvier 2012 portant réforme de la police de l’environnement). L’évolution de la réglementation a donc renforcé l’importance d’une meilleure prise en compte de la biodiversité dans les projets d’aménagement, notamment en exigeant que les impacts soient dorénavant compensés.
7Mais malgré l’existence de « lignes directrices » publiées en octobre 2013 par le Ministère de l’écologie, visant à proposer des principes et méthodes lisibles et harmonisées au niveau national sur la mise en œuvre de la séquence « Éviter, Réduire, Compenser », des questionnements persistent du fait d’imprécisions juridiques qui résident dans la notion même de compensation et les difficultés liées à l’évaluation de la perte de biodiversité.
8En effet, la reconnaissance d’un principe de compensation des atteintes à la biodiversité fait débat car il reviendrait à reconnaître qu’il existe de fait un droit à détruire. À l’opposé, un certain nombre de projets dégradant la nature sont malgré tout indispensables et, dans ce contexte, la compensation est un outil qui intervient en toute fin d’un processus de réduction maximale des atteintes.
9Mais alors, que signifie compenser ? La détermination des mesures compensatoires interpelle inévitablement sur les rapports entre le droit et la science. Les imprécisions juridiques sont également dues à la pluralité des compensations écologiques donnant lieu à des régimes juridiques afférents dissemblables. Il est certain que l’indétermination initiale d’un régime des mesures de compensation a permis une grande flexibilité dans leur application, au bonheur des acteurs économiques, mais a également généré des difficultés, voire des défaillances pratiques lors de la mise en œuvre effective de ces mesures de compensation.
10Il en résulte que l’objectif poursuivi par le législateur n’est pas nécessairement atteint, et la plupart des mesures, telles qu’elles sont prescrites, ne conduisent pas réellement à remédier en nature aux atteintes pertes subies par les milieux naturels. Ces mesures de compensation s’apparentent souvent, n’ayons pas peur des mots, à un chèque en blanc permettant aux donneurs d’ordre de se dégager de cette obligation en se limitant à un dédommagement, à une indemnisation purement financière. Nous assistons donc à un véritable schisme entre les décisions prises fondées sur une compensation quelque peu idéalisée, plus précisément un instrument de lutte contre la perte de biodiversité, et la réalité des mesures le plus souvent sans équivalence écologique, parfois précaires, voire inexistantes.
11L’évolution législative ne rassure d’ailleurs pas beaucoup, dans la mesure où la loi n° 2016-1087 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages du 8 août 2016 introduit un nouveau chapitre dédié à la compensation des atteintes à la biodiversité dans le Code de l’environnement prévoit que dorénavant, le maître d’ouvrage pourra soit mettre directement en place ces mesures, soit confier leur réalisation à un opérateur de compensation, soit acquérir des unités de compensation dans le cadre d’un site naturel de compensation (C. env., art. L. 163-1). La création de marchés de la compensation suscite à ce titre de vives émotions.
12Aux vues de ces différents constats, l’équipe de Droit de l’environnement et du développement durable du Centre de Droit Économique s’est tournée vers l’Agence ITER France, avec qui la Faculté de droit et science politique d’Aix-Marseille a développé un partenariat, afin d’étudier la mise en œuvre de mesures compensatoires, à partir d’un exemple d’une envergure particulièrement contraignante et novatrice.
13En effet, en sa qualité de Maître d’ouvrage des travaux de viabilisation et de préparation du site ITER de 2007 à 2010, l’Agence ITER France (CEA) a été soumise à une obligation de compensation suite aux défrichements réalisés sur le site ITER. Les contours de cette obligation ont été posés par voie réglementaire, plus précisément un arrêté préfectoral du 3 mars 2008.
14Les différents participants à cet ouvrage y reviendront de façon plus précise, mais notons dès à présent le caractère particulièrement exigeant des mesures imposées à l’Agence ITER France. En effet, l’arrêté prévoit tout d’abord la gestion conservatoire et durable de surfaces d’habitats naturels de haute valeur biologique proches ou dans l’enveloppe du site ITER sur 1 200 hectares pendant 20 ans et la définition d’un statut juridique approprié. L’arrêté prévoit ensuite l’acquisition foncière en vue de la préservation pérenne et de la gestion conservatoire d’un espace forestier à très haut intérêt patrimonial d’une surface portée à 480 hectares. Ces mesures somme toute « classiques » quant à leur nature, mais néanmoins très exigeantes quant à leur ampleur, les auteurs y reviendront, ont posé quelques difficultés pratiques. Par ailleurs, les pouvoirs publics sont allés au-delà du cadre de la réparation en nature stricto sensu, conduisant l’Agence ITER France à porter et véhiculer des valeurs éthiques.
15L’Agence ITER France a parfaitement saisi la philosophie globale des mesures prescrites et a choisi d’inscrire la mise en œuvre de ces engagements dans une démarche de responsabilité sociétale (RSE). Ainsi, au-delà d’une gestion foncière durable des espaces acquis au titre des mesures compensatoires, la stratégie développée repose sur une politique d’information et de sensibilisation du public, de concertation avec les parties prenantes et met également en œuvre des actions à valeur éducative sur les thématiques sociétales et environnementales. Le comité de pilotage imposé par l’arrêté a également suscité un dialogue entre les différentes parties prenantes dans un objectif de démarche collaborative quant à la mise en œuvre des dispositions de l’arrêté.
16La journée d’études qui s’est déroulée le 15 décembre 2015 s’inscrit dans la lignée de ces engagements et offre l’opportunité à la communauté scientifique d’Aix-Marseille Université de réfléchir à la portée de cette expérience acquise en matière de compensation. À l’heure où une réflexion nationale est engagée sur les avantages et inconvénients des différents mécanismes de compensation, le modèle mis en œuvre par le CEA mérite d’être examiné afin d’en retirer les éléments caractéristiques et d’en apprécier la portée. Partir de cette expérience pragmatique, présente l’intérêt scientifique de rechercher à conceptualiser un modèle de référence, tout en examinant également d’autres expériences de compensation mise en œuvre par des maîtres d’ouvrages différents. C’est donc de la recherche d’un modèle de compensation dont il sera question à l’occasion de cette journée d’étude.
17Indiquons dès à présent que cet ouvrage n’a pas la prétention de définir un tel modèle mais a pour but d’initier une recherche sur la thématique. Il constitue le point de départ d’un travail de recherche qui nécessitera d’être poursuivi. Nous nous attacherons, dans un premier temps, à une « Approche juridique de la compensation écologique » (Première partie), avant d’exposer, dans un second temps, « La mise en œuvre de l’obligation de compensation écologique par l’Agence ITER France : un modèle de référence empreint de valeurs éthiques » (Deuxième partie), pour enfin examiner « La diversité des programmes de compensation écologique » (Troisième partie).
Auteur
Maître de conférences HDR, Directrice de l’Institut de Droit de l’Environnement et du Développement Durable, Aix-Marseille Université, CDE (EA 4224)
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Les sources complémentaires du droit d’auteur français
Le juge, l’Administration, les usages et le droit d’auteur
Xavier Près
2004
Compensation écologique
De l'expérience d'ITER à la recherche d'un modèle
Virginie Mercier et Stéphanie Brunengo-Basso (dir.)
2016
La mer Méditerranée
Changement climatique et ressources durables
Marie-Luce Demeester et Virginie Mercier (dir.)
2022