La citoyenneté entre unité et diversité
p. 465-484
Texte intégral
1L’affaiblissement du lien social constaté dans la période contemporaine se trouve fréquemment évoqué au travers du recul du civisme, qui n’est rien d’autre que la conséquence de la perte de contenu de l’idée contemporaine de citoyenneté. Celle-ci fut construite en étroite relation avec l’idée de nation1, dans le prolongement des lumières du xviiiè siècle. Très tôt en France, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen donna une acception éminemment politique au concept de citoyen en lui conférant, avec l’article 6, le droit de concourir à la "formation" de la loi, s’agissant d’une des caractéristiques fondamentale de la société politique. C’est donc cette dimension de la vie sociale qui se trouve directement impliquée dans le constat de l’appauvrissement du contenu des deux notions jumelles, celles de citoyen et de nation.
2Une première cause de ce relâchement du sentiment d’appartenance politique réside dans la prise en compte accrue de la dimension économique et sociale des démocraties contemporaines, au détriment de l’aspect politique qui avait vu se constituer le concept de citoyen. À cet égard, le néolibéralisme valorisant l’idée de marché ne fait que prolonger les effets de l’État-providence étudiés par D. Schnapper2. Dans le même sens, se consacrant à l’étude du phénomène du déficit démocratique que connaissent les institutions européennes, P. Rosanvallon cherche à caractériser les mutations qui apparaissent dans les démocraties contemporaines, pour relever ce qu’il désigne comme "une" "pluralisation" des acteurs du politique"3, laquelle provient de l’antécédence de l’ "homme des besoins" sur le citoyen.
3Parallèlement, J. Habermas pouvait alors insister sur les mutations à l’œuvre dans l’État-nation, devenu un cadre de plus en plus inapproprié à l’expression de la vie démocratique, du fait de l’internationalisation des échanges et de la globalisation des marchés, appelant à la préservation de la catégorie du citoyen par une organisation politique d’un niveau supérieur4. Ces brèves évocations attirent l’attention sur deux caractères de la citoyenneté, sa dimension prioritairement politique, qui conditionne le second aspect, la généralité qu’elle suppose dans la définition de cette composante élémentaire de la société politique que constitue précisément le citoyen. Au regard des observations de P. Rosanvallon, c’est donc la confrontation entre ce caractère de généralité, constitutif de la citoyenneté et la diversité des conditions engendrées par la vie sociale concrète qu’il convient de caractériser à la fois pour décrire la complexité de l’expérience contemporaine et rechercher les voies d’une recomposition de la figure moderne du citoyen5. Une première voie est ouverte par la confrontation avec les conditions d’affirmation de la citoyenneté, dont la dimension politique est immédiatement affirmée par le lien étroit établi avec la souveraineté, trop souvent dissimulée par la référence exclusive à l’idée de nation, comme notion intégratrice. Or la citoyenneté moderne tend à se vivre de plus en plus à des niveaux distincts, qui éloignent de la conception unificatrice issue de la Révolution française. A cela s’ajoutent des données plus sociologiques introduisant des facteurs de dissociation plus actifs, suscitant alors d’autres modèles d’intégration, tel que le communautarisme.
I - D’UNE CONCEPTION UNITAIRE DE LA CITOYENNETÉ À LA VISION ÉTAGÉE DE SON ORGANISATION
4L’analyse conduite vise à mettre en relation le modèle issu de la Révolution, préparé par les constructions doctrinales antérieures, avec de nouvelles formes d’organisation à caractère constitutionnel, spécialement du fait du développement de l’Union européenne, mais également de l’intensification de la décentralisation, procurant à cette dernière un contenu politique, comme ceci est consacré dans le cadre des États régionaux, notamment l’Italie et l’Espagne. La difficulté consiste à maintenir une conception unitaire dans laquelle le citoyen est l’unité fondamentale du tout qu’est la société politique ou le corps politique, c’est à dire encore la nation ou le peuple6.
Le citoyen comme unité élémentaire de la société politique
5Diverses sources convergent pour former le concept de nation, à la fois d’origine contractualiste et jusnaturaliste. Mais l’élément déterminant pour donner sa consistance unitaire à l’ensemble social se trouve dans l’idée de souveraineté, fruit des évolutions caractéristiques de la monarchie d’Ancien régime et de théories du pouvoir élaborées dans d’autres cadres, notamment par Thomas Hobbes, qui oppose souverain et sujet dans le contexte étatique (chap. 17 du Leviathan), avant que Rousseau n’en vienne dans une perspective démocratique à rappeler la double nature de l’individu, précisément celle de citoyen et de sujet7.
La souveraineté déterminant de la citoyenneté
6Il existe une unité profonde entre les juristes de la monarchie et la majorité des membres de l’Assemblée constituante, qui tient à la conception abstraite du pouvoir, fondée sur l’idée de souveraineté, dans le prolongement de la théorie de Bodin. Cette permanence du concept explique le rejet par les constituants de modèles étrangers, dont celui de la Grande Bretagne, malgré la figure unitaire que proposait l’image du Roi en Parlement, en raison de l’éclatement de la représentation qu’elle implique, entre différentes institutions, donc d’un risque de résurgence de l’image du régime mixte qu’elle aurait entraînée.
7Le projet révolutionnaire d’une régénération de la société, de sa constitution et finalement de l’homme8, particulièrement mis en lumière avec le débat relatif à le Déclaration des droits, appelle une reconstruction selon des modèles abstraits de la relation de pouvoir, qui est exclusive de toute catégorie sociale située historiquement et donc de toute approche de caractère sociologique. Comme le souligne P. Rosanvallon, la réflexion sur le découpage administratif de la France et la création du département se place dans ce cadre9. De manière très remarquable, il existe une correspondance entre la volonté politique et celle de nature religieuse de création d’un homme nouveau, qui garantisse l’unité du peuple à réaliser et celle du pouvoir sur laquelle il doit reposer. Au chrétien de Saint Paul correspond le citoyen, image laïcisée de la fraternité humaine. Celle-ci n’existe que par l’unité du pouvoir, à l’identique de la royauté exercée par le Christ qui fait être le peuple chrétien composé d’individus égaux.
8Une telle perception suppose donc l’abolition de toute forme d’organisation de caractère inégalitaire. C’est ce qui résulte du décret du 4 août 1789, avec l’abolition des privilèges et des mesures successives destinées à supprimer toute collectivité préexistante, dont la disparition est d’ailleurs rappelée par le préambule de la constitution de 1791. Se trouve ainsi réalisé le projet de l’abbé Sieyes d’instituer une égalité de caractère juridique entre les associés, car "vivant sous une loi commune et représentés par la même législature"10. La difficulté de l’œuvre constitutionnelle sera de ne pas permettre la renaissance d’une quelconque forme d’aristocratie qui serait destructrice de l’association, c’est à dire encore de la nation ou du peuple. À l’arrière plan, c’est la formation de la volonté générale qui se trouve conditionnée par l’égalité entre les associés et l’absence de corps intermédiaires qui conduiraient sinon à la lutte entre des volontés particulières et au primat de l’une d’elles11. Cette notion mise en avant surtout par Rousseau est l’instrument de la finalité d’intérêt général qui est assigné au corps social, à laquelle doit concourir chaque citoyen. Or il convient de rappeler que la volonté générale n’est que la souveraineté en acte.
9Un opuscule publié anonymement pendant la période prérévolutionnaire, intitulé Catéchisme du citoyen12, permet de mieux apprécier à la fois l’influence de la pensée rousseauiste dans le milieu judiciaire et le rôle accordé à la souveraineté. Il y est précisé : "C’est l’autorité souveraine, ou le pouvoir suprême qui gouverne absolument et en dernier ressort les intérêts de l’association"13. Il fait résider ce dernier dans la volonté générale, c’est à dire dans la volonté de l’ensemble des "membres de la société", "le corps du peuple"14. La logique contractualiste oblige à fonder la démarche sur l’égalité essentielle entre les individus devenus des citoyens. L’autorité souveraine n’est pour l’auteur que "l’agrégat des pouvoirs individuels des associés"15 et s’exprime par la fonction législative.
10Au delà de la cohérence théorique apparente de la construction ainsi divulguée par plusieurs auteurs, avec une relative similitude, se pose le problème du degré d’égalité atteint par le recours à la notion de citoyen, dont procède la formation du peuple-nation. Or, même en ne tenant pas compte de l’ambiguïté des concepts évoqués, comme des variations du sens qui leur est attaché, ainsi que le remarque d’ailleurs Rousseau à propos du vocable citoyen16, il convient de relever la difficulté tôt ressentie à articuler cette vision avec l’organisation concrète des institutions, à commencer par le droit de suffrage, dont dépend largement la réalisation du projet démocratique dans un cadre représentatif.
Citoyenneté et égalité politique
11La chaîne qui conduit de la souveraineté au citoyen, par l’intermédiaire du peuple-nation, selon une nécessité logique qui associe précisément chacun des éléments à l’autre, n’a de consistance que par l’égalité entre les composants individuels de la société politique. Il existe une parenté évidente, bien que l’objectif recherché ne soit pas toujours similaire, entre Hobbes et Rousseau quant à cette exigence. Pour le Génevois l’égalité est la condition de la liberté ; prévenant toute domination de l’un sur l’autre, mais pas de l’ensemble du corps social sur l’individu. Cette question a pesé sur l’organisation institutionnelle envisagée dès 1789 et se trouve au cœur du débat sur le bicamérisme. Toute idée pluraliste comme toute représentation d’intérêt particularisé se trouvent rejetées d’emblée. Les Monarchiens échouèrent très tôt dans leur tentative d’acclimatation d’un système à l’anglaise, malgré la prise de conscience du risque d’établir un despotisme législatif17. En 1792, l’idée bicamérale fut reprise par Barnave, qui souhaitait un Sénat représentatif des propriétaires, préfigurant ainsi les justifications avancées dans le cadre de la Constitution de l’An III, au moment où prime la stabilisation du processus révolutionnaire de l’invention démocratique.
12Déjà, au début des réflexions entreprises au sein du Comité de constitution, Mounier reprenait les arguments de Montesquieu pour justifier l’aménagement de l’éligibilité dans un sens inégalitaire : "Le pouvoir législatif ne doit être confié à des hommes sans fortune, qui n’auraient ni assez de loisir, ni assez de lumières pour s’occuper avec succès du bien général ; mais, par la représentation il établit des liens de fraternité entre les riches et ceux qui sont forcés de travailler pour leur subsistance"18. S’il requiert la possession d’un immeuble bâti pour être représentant, Mounier confère d’abord largement la qualité d’électeur, n’excluant que les personnes sans domicile ou d’une "extrême indigence"19. Mais rapidement, il énonce une condition juridique au droit de suffrage qui sera retenue ultérieurement : le paiement d’un impôt direct égal à trois journées de travail20. Exprimant les vœux du Comité de constitution, Mounier ajoute pour l’éligibilité "C’est un hommage rendu à la propriété qui complète la qualité de citoyen". Il convient de remarquer que cette propriété représente un droit fondamental pour les Constituant, ainsi que le rappelait Rabaut-Saint Etienne21 et que l’énonce d’ailleurs l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme, qui la place au rang des droits naturels, avec la liberté, la sûreté et la résistance à l’oppression.
13En 1791, au moment de la révision des décrets déjà adoptés, afin de déterminer le contenu définitif de la Constitution, fut précisée la nature représentative du régime qui ôtait toute dimension décisionnelle au droit de suffrage, au delà de la désignation des élus à l’Assemblée et contrairement à la tentative de renforcement de la démocratie qui apparût particulièrement dans le projet de Condorcet en 1793. Se trouve ainsi posée la question de la compétence des assemblées primaires, dans un contexte d’élections à deux degrés. Déjà, le 7 septembre 1789, Sieyes avait adopté un point de vue proche de celui de Mounier pour rejeter un démocratie à l’antique où le citoyen participerait directement à la formation de la loi, au profit d’un "législateur par représentation". Il précisait ainsi les deux exclusions qui lui paraissent essentielles à réaliser : "Car je soutien toujours que la France n’est point, ne peut être une démocratie : elle ne doit pas devenir une démocratie ; elle ne doit pas devenir un État fédéral composé d’une multitude de républiques, unies par un lien politique quelconque. La France est et doit être un tout...."22. Dans le même sens, Thouret rejetait la nature politique des communes, pour n’y voir qu’une agrégation de caractère privé23. Ces deux prises de positions convergeaient vers la solution consistant à ne pas permettre que les électeurs en viennent à se prononcer sur la législation.
14Au delà des explications classiques mettant l’accent sur la dimension sociale de valorisation de la bourgeoisie, les acteurs de la Constituante paraissent autant déterminés par des considérations d’ordre intellectuel, qui se situent bien dans l’environnement abstrait qui préside alors aux solutions retenues et que dénonçait déjà Malouet à propos de la souveraineté, débouchant sur une forme d’aristocratisme, fondé sur l’instruction comme le revendiquait Barnave24.
15Même si l’égalité des droits est nécessaire dans une logique contractualiste, au regard des conditions naturelles, dans le prolongement de Hobbes, Locke et Rousseau, les Constituants établirent un système politique modérément inégalitaire sur le terrain politique, remettant au progrès de l’éducation et à l’initiative personnelle le soin d’étendre les potentialités de la citoyenneté, afin de lui procurer sa dimension active. Mais parvenue à ce state, la logique représentative ne peut que brider le citoyen. C’est donc bien le primat attribué à la souveraineté qui aboutit, selon un paradoxe apparent, à une confiscation du pouvoir détenu par une abstraction, la nation-peuple, au profit de l’Assemblée. La tentative constitutionnelle de 1793 avait pour but déclaré de conférer une véritable égalité politique au citoyen, à la fois par l’instauration du suffrage universel masculin et par l’intervention des assemblées primaires dans le processus législatif. L’inapplicabilité de ces innovations, du fait du contexte politique, ne permit pas que soit remise en cause la logique représentative fortement ancrée en 1789-1791. Ce modèle qui s’impose pendant près de deux siècles, malgré les diverses tentatives pour étendre les droits du citoyen, se heurtent actuellement à une double limitation qui équivaut à une diversification de la citoyenneté politique, avec les progrès de l’Union européenne et les potentialités de la récente réforme de décentralisation qui soulignent les difficultés de caractérisation concernant la vie locale.
Vers une démultiplication de la citoyenneté
16Dans la conception classique de l’État, la citoyenneté se présente de manière unique, en relation avec l’unicité de la souveraineté, qu’elle désigne l’organisation interne du pouvoir ou la position de l’État dans son environnement international. Sa définition se rattache à celle de la nationalité, les étranger n’y ayant accès qu’après naturalisation. Malgré son universalisme, la Révolution n’a jamais connu d’extension sans condition de la citoyenneté aux étrangers, que l’on considère la Constitution de 1791, comme celle de 179325. Or, la situation actuelle se caractérise par une plus grande complexité du fait principalement de la consécration d’une citoyenneté de l’Union européenne (art. 17 Traité communauté européenne). Bien que le problème ne soit pas de même nature, on peut s’interroger sur une politique de décentralisation accentuée, adoptée en 2003, qui pousse à établir des comparaison avec les États régionaux, bien qu’elle soit récusée par ses concepteurs.
17La juxtaposition des citoyennetés : la solution adoptée dans le cadre de l’Union européenne.
18En ce cas, il s’agit d’une solution juridiquement originale, qui contraste avec la solution de la citoyenneté dans l’État fédéral, où elle est unique. L’institution d’une citoyenneté de l’Union résulte de Traité de Maastricht, qui la rattachait automatiquement à la possession de la nationalité d’un des États membres. Le Traité d’Amsterdam a clairement indiqué le principe de la juxtaposition des citoyennetés, par la nouvelle rédaction de l’article 17 du traité sur la Communauté européenne : "La citoyenneté de l’Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas".
19Toutefois, les deux traités reposent davantage sur l’Union entre les "peuples", un objectif politique étant retenu visant à pendre les décisions "le plus près possible des citoyens" (art. 1 traité Union européenne). Un changement de ton apparaît avec le projet de Traité établissant une constitution pour l’Europe, dès le préambule de ce texte, où la Convention affirmait avoir élaboré "cette constitution au nom des citoyens et des États d’Europe"26. De même, l’article 1er du projet de traité énonce ainsi l’origine de cette constitution européenne : "Inspirée par la volonté des citoyens et des États d’Europe de bâtir leur avenir commun...". Enfin, le texte adopté par la Convention modifie très légèrement la rédaction de l’article 17 du Traité Communauté européenne, pour introduire l’idée d’addition et non plus de complément s’agissant de la citoyenneté : "La citoyenneté de l’Union s’ajoute à la citoyenneté nationale et ne remplace pas"27. Une telle consécration répond pleinement à la volonté exprimée dans la déclaration de Laeken, de décembre 2001, de renforcer le caractère démocratique des institutions européennes. Parmi les droits reconnus figure celui, déjà existant, de participer aux élections au Parlement européen et aux élections municipales dans l’Etat de résidence. En outre, le titre 6 du projet de constitution énonce des droits liés à la vie démocratique et qui découlent directement de la qualité de citoyen. L’article 45 précise que les citoyens sont représentés au Parlement européen tandis que les États le sont au Conseil européen et au Conseil des ministres, réintroduisant le principe démocratique par la responsabilité des gouvernements devant les parlements nationaux.
20Les principes, comme les mécanismes qui les assortissent, soulignent clairement la dualité caractérisant l’Union et la Communauté européennes, qui explique le choix d’une juxtaposition des citoyennetés, contrairement à la solution fédérale traditionnelle. Toutefois, le processus d’établissement des États-Unis oblige à davantage de nuances, tant la dimension étatique était également présente, à côté de l’adoption populaire de la Constitution de 1787, à laquelle elle se réfère dans son préambule ("We the people..."). Sur ce point, l’idée présentée par O. Beaud de l’évolution d’une fédération à l’État fédéral est particulièrement féconde28, même si elle comporte un inachèvement, comme pouvait d’ailleurs le relever V. Constantinesco29. Les difficultés perçues ont pour mérite de montrer les limites de la notion de souveraineté et la légitimité de la recherche de voies originales pour rendre compte d’un processus particulier, sans équivalent historique.
21Ceci explique la primauté accordée à la notion de fédération par plusieurs acteurs politiques majeurs, de préférence à celle d’État fédéral. Ce fut le cas d’abord de M. Delors, avec sa proposition de création d’une fédération d’États-Nations30, relayé ensuite par M. Fischer, dans son discours de Berlin du 12 mai 200031. Optant également pour la préservation des États-Nations, le ministre allemand voit dans le principe de subsidiarité la réalisation d’un partage de souveraineté entre les deux niveaux. La Convention sur l’avenir de l’Europe a écarté de la rédaction finale de son projet toute allusion de principe portant sur la nature de l’Union, car une version de l’article 1er proposée par le Praesidium précisait que l’Union "gère, sur le mode fédéral, certaines compétences communes"32, le texte définitif se limitant à mentionner "le mode communautaire".
22D’un maniement devenu trop délicat, la notion de souveraineté a connu à la fois une relégation relative et un repositionnement dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel concernant les traités internationaux, alors que le préambule de la Constitution vise explicitement les "limitations de souveraineté". C’est la construction européenne qui explique ces évolutions, surtout avec le Traité de Maastricht, le Conseil préférant alors se référer à des "transferts de compétences", mais ceux-ci se trouvent encore encadrés par plusieurs obligations, dont l’absence d’atteinte portée "aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale"33.
23Si la double citoyenneté est ainsi reconnue aux nationaux des États membres de l’Union, la dimension nationale restera cependant dominante faute que soit créée une véritable opinion publique européenne34, les partis politiques devant jouer alors un rôle déterminant pour atteindre ce but, l’article 191 Traité communautés européennes leur confère d’ailleurs une double fonction de "formation d’une conscience européenne" et d’"expression de la volonté politique des citoyens de l’Union". Mais la citoyenneté est également l’objet d’une évolution dans l’espace national.
Décentralisation et diversification de la citoyenneté
24La réforme constitutionnelle ayant abouti à l’adoption de la loi du 28 mars 2003 est complexe. Elle vise à renforcer la décentralisation sans remettre en cause la nature unitaire de l’État, donc en excluant toute perspective fédéraliste, voire plus simplement régionaliste35. Tout en caractérisant la France comme "une République de proximité sur les territoires", le Premier ministre précisait devant le Sénat : "La France aura une organisation décentralisée, mais elle restera une et décentralisée"36. Le ministre de la Justice, M. Perben, se référait implicitement à des solutions jurisprudentielles antécédentes, en ajoutant : "Il faut désormais trouver un nouvel et meilleur équilibre entre le principe d’égalité et le respect des libertés locales"37. Les nouvelles dispositions expriment donc la volonté politique de rechercher cet équilibre, ce que traduit la rédaction de l’article 1er de la Constitution, en précisant à propos de la République une et indivisible, "son organisation est décentralisée", afin de procurer à la décentralisation une assise constitutionnelle renforcée.
25D’une rédaction parfois approximative, l’article 72 alinéa 2 de la Constitution fait application aux collectivités territoriales du principe de subsidiarité, indiquant une part d’inspiration de nature fédéraliste, même si M. Delors pouvait constater combien le principe apparaît davantage comme de nature philosophique que juridique38. L’observation s’applique sans difficulté à des collectivités dotées d’un statut d’autonomie politique, qu’il s’agisse de la Nouvelle-Calédonie (dispositions transitoires du Titre XIII) ou de la Polynésie (art. 74). Dans le premier cas, les innovations en application de l’accord de Nouméa de 1998, sont particulièrement étendues, comportant l’attribution d’un pouvoir législatif à l’Assemblée territoriale et d’une citoyenneté locale. Face à ces évolutions, un auteur a avancé l’idée d’une "souveraineté partagée"39. Du fait des susceptibilités rencontrées en Polynésie, il a pu être noté également que les dispositions de l’article 74 de la Constitution introduisent "une sorte de substitut de citoyenneté"40. Formellement, l’article 72-3 s’efforce de limiter l’incidence de la diversification : "la République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer...".
26Pour les collectivités dotées d’un statut de droit commun, à supposer que l’expression ait encore un sens face à la démarche d’expérimentation et à la diversification des situations qu’elle rencontre, une telle évolution paraît exclue. Le Conseil constitutionnel sanctionna radicalement la référence à "un peuple corse"41, ne retenant que l’existence du peuple français. C’est une implication de l’alinéa 2 de l’article 3 de la Constitution selon lequel : "Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en (la souveraineté nationale) attribuer l’exercice". Ce dernier texte fut d’ailleurs opposé par le Conseil d’État au gouvernement, dans son avis du 10 octobre 2002, concernant les modifications du statut préexistant outre-mer (art. 73 in fine).
27Sans doute peut-on soutenir que le faible degré de participation des citoyens à la vie locale reflète un comportement davantage consumériste de leur part et que les innovations constitutionnelles visent à remédier à une telle situation, mais il paraît actuellement difficile de mesurer avec précision le degré de transformation des institutions ainsi générées et les effets induits sur le comportement individuel. En réalité, le frein le plus assuré, sinon le meilleur, à une accentuation de la diversification locale réside paradoxalement dans le cumul des mandats et dans le rôle unificateur des assemblées parlementaires, spécialement le Sénat. Mais c’est reconnaître aussi la place déterminante des facteurs sociologiques dans les atteintes portées à la conception unitaire de la citoyenneté.
II - L’ÉROSION DE LA CONCEPTION UNITAIRE DE LA CITOYENNETÉ PAR LES ALLÉGEANCES CONCURRENTES
28Déjà, la citoyenneté européenne suscite une dimension originale qui peut préluder au renforcement de la tendance à l’effacement de la distinction entre national et étranger, du fait des protections d’application générale qu’entraîne la législation européenne, comme les textes généraux assurant la protection des droits (CEDH et Charte des droits fondamentaux). Mais l’intérêt doit également s’attacher aux données concrètes qui affectent l’évolution de la conception unitaire de la citoyenneté, par l’émergence de sollicitations qui tendent à rendre plus disparates les sentiments d’appartenance éprouvés par les individus. Ils se déploient sur un mode universaliste, par référence aux valeurs ou à la morale, mais également d’une manière davantage particularisée avec les intérêts concrets, ce qui renvoie au phénomène de la globalisation économique, dont les organisations économiques régionales, comme les Communautés européennes, sont des vecteurs de réalisation, parallèlement à des types d’organisation. Dans ce contexte, l’usage multiforme de la notion de citoyenneté ou de la qualification de citoyen masque une revendication pour davantage de liberté en faveur des acteurs économiques, notamment l’entreprise, ce qui prolonge l’affirmation immédiate d’une responsabilité directement assumée, rendant secondaire l’intervention étatique. Se constituent alors des faisceaux de relations complexes qui distendent le lien social tel qu’il était construit dans le cadre national, au profit de relations intéressées, tempérées ou masquées par une éthique universaliste aux composantes incertaines. Toutefois, l’évolution envisagée n’est ni générale, ni uniforme, il faut réintroduire les facteurs culturels et historiques qui induisent des expériences contrastées. De manière plus intemporelles, comme le rappelle D. Schnapper, cette expérience contemporaine n’est rien d’autre qu’une des concrétisations des aléas de la démocratie, soumise en permanence à des tensions contradictoires où il revient à l’État de les stabiliser par son action42.
Mondialisation et citoyenneté économique
29Plusieurs auteurs font apparaître la tendance à une dissociation entre le domaine politique, relevant prioritairement de l’État et le domaine économique, lui échappant toujours davantage. En particulier, pour M. Jouanjan l’approfondissement de la construction européenne conduit à amplifier cette dichotomie, vidant l’État d’une part de ses compétences et lui faisant perdre ce faisant sa souveraineté43. Tendrait à s’affirmer une citoyenneté économique s’inscrivant dans un cadre normatif produit ultimement par d’autres instances que l’État et dont les activités font l’objet de régulations de plus en plus extérieures à celui-ci. E. Cohen souligne deux insuffisances de la situation contemporaine, l’absence de prise en compte par la sphère internationale d’aspects complémentaires, comme la politique de l’environnement et le fait que le dispositif de gouvernement devient complexe et donc peu lisible en terme de légitimité, au regard du citoyen44. Il nous semble que la difficulté principale dans le décryptage des évolutions en cours relève de la temporalité impliquée. Les sociétés industrielles issues du xixè siècle s’étaient largement projetées dans l’avenir, par la valorisation du progrès, tandis que les nôtres sont plutôt confinés au présent et l’anticipation de ce fait se trouve réduite. C’est donc à une réflexion sur l’émergence de cette citoyenneté économique qu’il convient de lier l’idée de globalisation, pour faire apparaître les partenariats caractéristiques de la gouvernance auxquels l’individu peut participer, mais sans négliger les voies de l’arbitrage qui rendent nécessaire le retour du politique.
Citoyenneté et gouvernance
30Un retour à Rousseau aide à comprendre l’origine de la globalisation du point de vue du citoyen. Il s’agit de préserver la liberté d’individus dans un environnement où en apparence sa participation aux décisions le concernant lui échappe de plus en plus, bien qu’il ne faille pas idéaliser à excès la réalité de son implication dans le cadre de la démocratie représentative. Rousseau débute le Contrat social par un paradoxe qui éloigne de la démocratie : "L’homme est né libre, et partout il est dans les fers"45. Il explique alors le fondement du rapport autorité-obéissance : "Convenons donc que force ne fait pas droit, et qu’on n’est obligé qu’aux puissances légitimes". De sorte que l’autorité procède d’une convention qui fait naître un rapport de droit qui caractérise ainsi le corps politique, constitué comme une "association". Celle-ci se particularise, par rapport à d’autres doctrines du courant contractualiste, par le fait que l’individu ne renonce à aucun de ses droits par la participation à l’ensemble politique ainsi formé.
31Sur la base uniquement des échanges économiques, il ne peut être question de fonder une communauté comparable à un peuple, c’et d’ailleurs la limite que rencontre l’Union européenne46. Hobbes comme Rousseau bâtirent un modèle politique largement pour échapper aux formes de lutte générées par la compétition économique47. C’est d’ailleurs un point de vue que conteste radicalement plusieurs auteurs du courant socialiste au xixè siècle, qui prônent un dépassement du politique pour fonder l’organisation sociale sur l’économique. Le propos concerne à la fois des socialistes utopistes, comme Saint Simon ou Proudhon, bien que pour ce dernier l’idée de fédération comporte une indéniable dimension politique48 et les tenants de la doctrine marxienne, même si Marx utilise l’instrument politique de la Révolution pour faire basculer le système capitaliste49. Comme le note P. Rosanvallon, il s’agit d’organiser "l’extinction du politique"50. Une raison beaucoup plus prosaïque empêche l’émergence d’une société de nature exclusivement économique, c’est l’existence d’une pluralité de marchés selon l’échange concerné. De sorte que les rôles peuvent se croiser, un consommateur devenir-producteur ou fournisseur et inversement, qu’il s’agisse d’ailleurs d’entreprises ou d’individus. De sorte que la référence à l’idée contemporaine de citoyenneté dans le domaine économique ne signifie pas la reconstruction d’une société globale, sur le modèle des socialismes utopiques correspondant à des modes d’organisation beaucoup plus simples qu’actuellement.
32La spécialisation et la globalisation des marchés, comme la contestation de l’État-providence, ont produit de nouveaux procédés destinés à rendre plus souples et fiables les relations entre les individus comme entre les entreprises, quitte à réduire la part des réglementations gênant les adaptations nécessaires au développement des activités économiques. Mais ces innovations ne sont pas détachées de l’influence étatique, comme le présente trop fréquemment un tableau exagérément simplificateur de la mondialisation51. Si les relations avec les entreprises ont été marquées par un phénomène de concentration, inégal selon les secteurs, les faisant échapper au contrôle des États, les crises rencontrées dans le processus, comme l’excès d’un renforcement du pouvoir au profit des dirigeants de ces entreprises, au détriment des actionnaires, ont entraîné des réactions s’exprimant à la fois par la notion de corporate governance et par la montée en puissance des instances régulatrices, mais aussi par une réappropriation par les États de leur rôle traditionnel. Au regard des manifestations de la souveraineté, il existe une démultiplication de son exercice, parallèle à celle qui caractérise la citoyenneté.
33Dans le contexte de la globalisation des échanges, c’est à dire de l’accentuation des effets d’une économie internationale ouverte, les entités publiques ont réagi ce qui entraîne un champ juridique complexe, animé par une pluralité d’acteurs produisant des normes interactives52. Malgré les insuffisances constatées53 dans les efforts de rééquilibrage du droit économique54, la prise en compte partielle d’une citoyenneté internationale ne peut être récusée. Sous l’aspect le plus traditionnel, apparaît d’abord la tendance à l’affirmation réitérée des droits de l’homme à l’échelon international, après la Déclaration universelle de 1948 ou la Convention européenne de 195055, la décennie 1990 a vu se multiplier les textes internationaux dans le domaine biomédical où les risques de la globalisation sont les plus directement perceptibles dans la mise en cause des aspects essentiels concernant la personne : Déclaration universelle sur le génome humain et Convention d’Oviédo sur les droits de l’homme et la biomédecine notamment56. Mais c’est ultimement l’État qui doit garantir le respect effectif de ces droits, éventuellement en appliquant une décision juridictionnelle, comme dans le cas de la CEDH.
34À côté de cet aspect classique, il convient de remarquer que la notion de gouvernance réintroduit la sphère publique et permet que par la concertation les citoyens puissent participer à une action médiatisée, grâce au relais des ONG, prenant place dans le processus des diverses formes de régulation57. Il s’agit d’une notion qui a enrichi l’approche traditionnelle des institutions politiques nationales, comme internationales. À la manière de l’idée de corporate governance appliquée à l’entreprise, pour signifier le retour du pouvoir des actionnaires, elle introduit de nouvelles modalités d’action de l’État, dans un contexte marqué par la complexité. Les contestations dont fait l’objet l’OMC, comme illustration du phénomène de globalisation des échanges commerciaux, présente l’intérêt de faire apparaître une mobilisation d’organisations de contestation qui jouent un rôle d’expression de préoccupations non encore assumées par d’autres institutions, comme la défense de l’environnement ou la prise en compte des inégalités de développement, mais également de légitimation de l’institution, dans la mesure où elle montre sa capacité à assimiler les demandes formulées. Une question délicate soulevée par ce mode d’action est celui de la légitimité des différentes instances concernées, dont la composition peut se révéler être technocratique.
Technocraties arbitrales et démocratie "communicationnelle"
35La gouvernance se caractérise donc par l’intervention d’instances de nature publique, agissant sur délégation de l’État ou des États. M. Cohen a fort heureusement rappelé l’ancienneté de la théorisation des instances de régulation par le juge Brandeis d’abord, puis par J. Landis58. Par la nature des conflits à prévenir ou à régler, ces agences régulatrices se composent de hauts fonctionnaires et d’experts. A priori, cette solution semble donc éloignée de la logique démocratique. Toutefois, des représentants d’assemblées parlementaires peuvent également siéger dans ces instances.
36Cette solution présente quelques affinités avec les commissions de sages destinées à étudier une question sociale sur laquelle les acteurs politiques s’opposent et à proposer des solutions dans une perspective durable. La compétence technique ou les qualités inhérentes à la personne sont les arguments évoqués pour légitimer cette catégorie d’instance. Dans le cas des organes de régulation, l’acceptation de leurs décisions provient du dépassement de clivages partisans pour se concentrer sur les aspects proprement techniques. En pratique, leurs pouvoirs sont de nature différente, se rapprochant parfois d’une instance administrative (autorisations) et à d’autre moment d’un organe quasi-juridictionnel (injonctions, sanctions), voire de caractère normatif. Comme surtout dans le cadre étatique, avec les autorités administratives indépendantes dans le cas français, le développement du phénomène est intéressant dans le cadre international.
37À cet échelon, l’absence de gouvernement mondial ou l’incomplétude du système de pouvoir organisé régionalement (Union européenne) se trouve à l’origine du rôle conféré à ces instances de régulation, notamment pour le commerce international et la gestion financière ou monétaire. C’est ici qu’apparaît l’idée de démocratie communicationnelle popularisée par le philosophe allemand J. Habermas. Bien que son articulation concrète soit plutôt de l’ordre de l’esquisse, elle présente le mérite de montrer le rôle que les opinions publiques ont à jouer dans la prise de décision d’instances ad hoc de nature technique, ne procédant pas directement de processus électif classique. Outre le rôle des campagne de presse, éventuellement de la transmission directe de messages par Internet, il faut souligner encore le rôle dévolu aux ONG, même si leur nature démocratique peut être mise en cause.
38Par cette approche, se trouvent soulignées les potentialités de l’idée de citoyenneté dans un domaine, l’économie, jusqu’alors peu ouvert à son intervention. A cet égard, se trouve fréquemment évoqué le rôle tenu par la Banque mondiale, à la suite d’erreurs retentissantes, pour intensifier la communication avec les ONG, par contre, la BCE reste relativement isolée, sous réserve des liens institutionnels établis avec les banques centrales nationales relevant du SEBC. L’actualité nous montre surtout les actions entreprises à l’égard de l’OMC et des négociations ouvertes en son sein pour intensifier davantage le commerce des biens et des services. Malgré le caractère extrême de certaines initiatives, ce mode d’intervention n’est pas ignoré dans la perspective de la saisie de cette citoyenneté internationale. Toutefois, comme le rappelle E. Cohen, les ONG peuvent n’être que les intermédiaires d’États défendant la politique définie par ces derniers. Ainsi, une dimension économique est-elle ouverte à la citoyenneté qui n’est pas nécessairement en relation avec celle qui est organisée dans le cadre étatique, contribuant donc à la différenciation de la notion. Alors que tente de s’affirmer un universalisme des valeurs, fondé sur l’idée des droits de l’homme, il convient de souligner les difficultés rencontrées par cette démarche, du fait d’appartenances culturelles ou religieuses particularisées.
Citoyenneté et communautarismes
39La conception française a retenu une approche de la citoyenneté ne prenant pas en compte les données concrètes, en définissant un homme abstrait, le citoyen, qui avait également pour correspondant une entité de nature théorique, la nation. Même si des éléments de caractère psychologique ont pu être introduits dans la perception de cette donnée, notamment avec Renan dans son discours de la Sorbonne de 188259, pas très éloignée de l’idée de nationalité-éducabilité, développé par Fichte60, prédomine une dimension universaliste et intemporelle. Elle implique une pratique assimilationniste à l’égard des étrangers, en intégrant la nationalité et en devenant donc des citoyens. Or, ce modèle classique a connu de fortes fluctuations face à une autre forme d’organisation reposant sur l’intégration à des groupes déterminés sur la base d’un attachement religieux ou culturel. Toutefois, l’observation historique montre que la tension entre les deux modèles est ancienne et des réponses adaptées ont été recherchées à différentes époques, ce qui permettra alors d’aborder les difficultés contemporaines.
Exemples historiques de la réduction à l’unité
40Deux facteurs essentiels introduisirent des éléments de division dans la communauté humaine sur laquelle s’exerce le pouvoir politique : la religion et la langue.
41Pour les sociétés européennes, deux facteurs de division intervinrent à plusieurs siècles d’intervalle : le grand schisme de 1054 et la Réforme du xviè siècle. Pour les États occidentaux, c’est le second événement qui entraîna des luttes internes ayant de fortes conséquences politiques. Ainsi que le fit apparaître Hobbes, les conflits religieux purent s’appuyer sur des catégories sociales montantes, comme les bourgeoisies marchandes des villes en Angleterre, à l’imitation des Pays-Bas61. Le même phénomène peut d’ailleurs se retrouver dans le cas de la France, mais avec un rôle original joué par des membres de la noblesse.
42Face à ces divisions, plusieurs solutions prévalurent. La plus radicale consiste dans l’établissement d’une église nationale, dirigée ou protégée par le souverain politique, à limitation de l’expérience anglaise, mais qui fut élargie avec la généralisation du principe cujus regio ejus religio du Traité de Westphalie de 1648, dans le prolongement des enseignements de Luther. Une forme plus libérale était imaginée par Hobbes qui se contentait d’un culte officiel, reposant sur un credo de caractère latitudinaire, selon lequel Jésus est le Christ, réservant la diversité des convictions pourvu qu’elles ne dépassent pas le cadre privé (in foro interno). C’est par le canal de cette église officielle, de même que par l’intermédiaire des universités, que devait s’exprimer un enseignement officiel créateur d’une véritable idéologie devant unifier la communauté et construire une nation devant appuyer la réalisation d’un État moderne, fondé sur une vision originale du pacte social62.
43Les solutions du pluralisme religieux se révélèrent instables comme ce fut le cas en France de l’Édit de Nantes du 13 avril 159863, la construction d’un pouvoir absolu ne pouvant s’accommoder d’un facteur si actif de diversification sociale. Cependant, les options religieuses n’étaient pas toujours éloignées et le gallicanisme satisfaisait nombre de Huguenots64. Ce sont les conceptions politiques de l’absolutisme monarchique qui poussèrent au rétablissement de l’unité, sous l’empire de l’aphorisme traditionnel : "Une foi, une loi, un roi", conduisant directement à l’Édit de Fontainebleau de 1685, révoquant l’Édit de Nantes65. Parmi les élites parlementaires au xviiiè siècle, il convient de rappeler l’influence jouée par cette forme intermédiaire que représentait le jansénisme et qui fut source de nombreuses remontrances à l’égard de textes royaux, exprimant ainsi l’opposition à l’absolutisme monarchique. Plus tard, la sécularisation croissante rendit moins sensible la diversité religieuse et permit un rétablissement dans leurs droits des protestants, avant que la poussée du républicanisme ne conduise à la solution de la loi de séparation en 1905.
44Malgré la persistance d’une diversité fortement marquée entre les composantes du royaume, particulièrement de nature culturelle, à partir du xvè siècle, la France connaît une unité politique remarquable qui tient à la puissance du mythe étatique dans la création de l’idée nationale, qui devient à son tour l’image de référence avec la Révolution. Le fondement culturel de l’unité allemande66, donc de l’idée de nation, rend compte de l’importance du concept de peuple (volk), y compris dans les perversions raciales de la période nazie. A l’opposé, nombre d’États doivent composer avec une pluralité culturelle, issue des remaniements de frontières à la suite de conflits armés et de l’éclatement d’anciens empires, notamment à l’issue de la première guerre mondiale, après que les nationalité et les mouvements libéraux aient conduit à l’émergence de nouveaux États67. Les tribulations subies par les différentes communautés (nationales, culturelles, religieuses) expliquent les difficultés d’une transposition du principe nationalitaire face à l’existence de minorité rendant les regroupements difficiles, de même que leur coexistence. D’ailleurs des regroupements plus larges fondés sur la réalisation d’États multinationaux a pu se révéler également impossible à terme en Europe centrale68. Dans cet ensemble, le multilinguisme de la Suisse ne fut pas un obstacle à son unité, la reconnaissance de la "neutralité perpétuelle", par le Traité de Paris du 20 novembre 1804, servant d’ailleurs d’appui à la formation d’une véritable nation, malgré les conflits religieux qui conduisirent à la guerre du Sonderbund de 1847.
45Ainsi, à l’unité de l’entité politique correspond une perception de plus en plus égalitaire du sujet, quand la bourgeoisie s’est établie avec une force suffisance, permettant la régression d’une conception hiérarchisée de la société, avant que ne soit reconnue la notion de citoyen. Une telle évolution prend également place dans des ensembles suffisamment homogènes du point de vue religieux et culturel. La persistance des minorités culturelles rend plus délicate la stabilisation des États de formation plus récente. Mais, même ceux qui possèdent une existence plus ancienne peuvent se heurter à de nouveaux défis qui rendent moins opératoire le caractère unitaire de la citoyenneté et obligent à rechercher de nouvelles voies permettant la coexistence de rattachements diversifiés et complexes des individus.
Les défis actuels à la citoyenneté : allégeance religieuse et pluralisme culturel
46La dimension religieuse de la vie sociale se traduit principalement par l’organisation cultuelle avec ses activités annexes, comme l’enseignement religieux. Ne seront abordés ici que les exemples européens, éloignés des modèles théocratiques retenus par plusieurs Etats. Cependant, différentes constitutions confèrent un rôle privilégié à une religion dominante, qui est alors une religion d’État, tout en garantissant l’essentiel des droits civiques et des libertés fondamentales des citoyens appartenant à une autre communauté religieuse. Tel est le cas du Danemark dont la constitution renvoie à une loi pour l’établissement du statut de l’Église nationale (art. 66), ce qui va de pair avec l’exigence de l’appartenance du roi à l’église évangélique luthérienne (art. 6), sur le modèle britannique69. Du fait du rôle tenu par la religion orthodoxe dans la défense de l’entité hellénique, la constitution révisée de 1975 lui confère une place privilégiée, celle d’une authentique religion d’État, comme ceci apparaît dans les dispositions générales par lesquelles s’ouvrent la constitution. L’article 3 énonce en effet : "La religion dominante en Grèce est celle de l’église orthodoxe orientale du Christ", il est ajouté : "Le texte des Saintes Écritures reste inaltérable". Mais le caractère démocratique se trouve également préservé par la liberté religieuse, notamment la liberté du culte conférée à toutes religions connues (art. 13). Également, l’article 4 reconnaît l’égalité devant la loi de tous les Hellènes (art. 4). Il demeure que la religion orthodoxe est pensée comme un élément central de l’identité grecque, maintenant ainsi un trait qui a constamment préservé l’unité nationale. D’une manière atténuée, la constitution confère cependant un rôle à l’Etat dans le développement de l’enseignement religieux : "L’instruction constitue une mission fondamentale de l’État, et a pour but... le développement d’une conscience nationale et religieuse..." (art.6-2). Dans plusieurs pays d’Europe orientale, la religion a été un facteur important de préservation de l’identité nationale y compris pour le catholicisme, avec la Pologne notamment, même si cette influence a légèrement décliné. En Irlande, l’allégeance constitutionnelle est globalement au christianisme, bien que l’évocation des luttes ancestrales apparaissant dans le préambule renvoie davantage au catholicisme. Toutefois, l’article 44 de la constitution garantit la liberté de conscience et celle de la pratique religieuse, ce qui est une précaution élémentaire dans la perspective d’une réunification de l’Irlande. Pourtant, les dispositions de l’article 41 relatives à la famille sont davantage de tonalité catholique. Pour l’instant, le problème religieux affecte plutôt l’Irlande du Nord et rend difficile une stabilisation du statut politique de l’ensemble irlandais.
47Un second groupe de pays a résolu les antagonismes religieux par la séparation entre l’Etat et les églises, donc par un statut de laïcité de cet État. Ce modèle de type français se retrouve dans les constitutions allemandes, en vertu des dispositions toujours en vigueur de la constitution de Weimar de 1919 (art. 136 et 137), sur la base de l’article 140 de la loi fondamentale, ainsi qu’italienne, sous réserve des accords du Latran (art. 7), espagnole ou portugaise et belge.
48Dans ces pays, spécialement en France, le problème religieux a été relancé par l’émigration en provenance de pays musulmans, dont la querelle sur le voile islamique est le signe le plus perceptible. Le plus grand éloignement culturel par rapport au judéo-christianisme a fait apparaître le risque d’une dynamique communautariste prenant place dans des États qui reposent sur une logique d’intégration. Outre les mesures évidentes de caractère économique et social, le facteur religieux appelle des évolutions parallèles pour permettre à la citoyenneté de s’exercer à l’intérieur de minorités qui risquent la marginalisation, mais aussi de contester le caractère laïque de l’État et donc de remettre en cause un modèle de construction de la nation70.
49Une difficulté comparable a été ressentie dans le cadre de l’Union européenne avec le projet de traité constitutionnel concernant la mention dans son préambule d’une référence à Dieu71, mais aussi au travers du débat relatif à l’adhésion de la Turquie, notamment à la suite de déclaration de M.Giscard d’Estaing72. Derrière la question religieuse se profile l’histoire culturelle des différents États et du traitement qu’ils réservent à leurs minorités.
50Plusieurs constitutions contemporaines reconnaissent explicitement des droits au profit de ces minorités culturelles et linguistiques. Ainsi, l’article 6 de la constitution italienne : " La République protège les minorités linguistiques par des mesures spécifiques". De même, la constitution espagnole s’efforce de trouver un équilibre entre le principe unitaire du peuple et de la nation espagnole, "Patrie commune et indivisible de tous les Espagnols" et l’"autonomie des nationalités" (art. 2). Ce dernier aspect comporte une traduction culturelle immédiate par la reconnaissance des "autres langues espagnoles" que le castillan comme langues officielles par les communautés autonomes concernées (art. 3). Le compromis repose donc sur l’adéquation entre les particularismes culturels et leur traduction territoriale. Le récent projet français concernant la Corse s’inspirait d’une logique comparable en visant à un regroupement dans le cadre de l’Ile73. Des garanties spécifiques dans plusieurs pays d’Europe orientale visent à conférer une représentation propre à diverses minorités culturelles.
51Les solutions retenues par les États montrent donc la nécessité d’intégrer les minorités, religieuses comme culturelles, notamment par l’intermédiaire de la représentation, mais plus profondément par des échanges plus fournis au sein de la société. Ainsi que le relevait le sociologue A. Touraine74, la peur véritable est celle "de perdre une identité menacée partout par la culture de masse transnationale", un phénomène comparable étant perceptible dans les anciens États satellites de l’Union soviétique, leur peuple aspirant à retrouver une identité qu’ils craignent de voir s’engloutir dans l’espace européen auquel ils aspirent à s’intégrer pour des raisons de progrès économique. Dès lors, la citoyenneté est à nourrir à la double source des particularismes locaux, qui entretient une diversité culturelle et de l’universalisme des valeurs auquel renvoient les droits de l’homme auxquels souhaitent se rattacher les diverses organisations internationales, à la suite de la dynamique entretenue par l’ONU et le Conseil de l’Europe, l’Union européenne étant venue plus tard sur ce terrain, au moins pour ce qui concerne l’adoption d’un texte marquant officiellement son attachement à cette dimension universelle, au delà de la seule préoccupation du fonctionnement des marchés75. C’est sans doute pourtant l’Union européenne qui va être appelée à donner les réponses les plus effectives aux questions soulevées, par la prise en compte plus importante des citoyens, à côté des États, comme des collectivités locales, réalisant de ce fait une synthèse à laquelle nombre d’États-nations sont mal préparés.
Notes de bas de page
1 La période révolutionnaire a contribué à valoriser la dimension politique contenue dans la notion de citoyen héritée du droit romain, même si elle coexiste avec l’aspect relatif à la nationalité qui domina largement sous l’Ancien régime, ainsi que le rappelait A. Lefebvre-Teillard – Citoyen, Droits, n° 17, 1993, p. 33 et s. Sous l’effet du courant philosophique des Lumières, notamment avec Rousseau, le vocable, citoyen tend à être retenu principalement dans sa dimension politique, laquelle se retrouve aussi chez Sieyes, notamment dans Qu’est-ce que le Tiers Etat ? (Quadrige, PUF, 1982, p. 75). Pour Rousseau l’ensemble des citoyens forme le peuple (Contrat social – chap. VI, Livre I). Toutefois, dans la seconde moitié du xviiiè siècle continue à être utilisée la notion de bourgeois ou de bourgeoisie auxquels sont attachés les droits de caractère politique (élection, participation), ceci afin de ne pas mettre en cause la souveraineté monarchique, donc en ne considérant que la dimension, purement municipale. Durant les débats au sein de la constituante, Mirabeau reprit la thèse de Sieyes, considérant l’identité entre peuple et nation (discours du 16 juin 1789).
2 D. Schnapper – La communauté des citoyens – Gallimard, 1994. L’auteur insistait sur la transformation des citoyens en producteurs-consommateurs ou encore en prestataires-bénéficiaires de services sociaux, p. 15 ; voir également p. 190 et s.
3 P. Rosanvallon – Le déficit démocratique européen – Esprit, octobre 2002, p. 90.
4 Rencontre avec Habermas – Le Monde 10 janvier 1997.
5 L’idée de citoyenneté a été étendue à l’organisation et au fonctionnement de l’entreprise, elle nous paraît être le pendant du recours à l’éthique dans ce même cadre et s’éloigne de la signification proprement politique qui s’attache au concept.
6 Malgré des glissements fréquents de sens des concepts politiques fondamentaux constatés à la fin du xviiiè siècle, l’idée de citoyenneté renvoie à celle de "membre du souverain", comme l’observe Lanjuinais dans son rapport du 24 avril 1793, cité par V. Azimi – Souveraineté nationale et conception française de la citoyenneté, in P. Gonot et J.P. Dubois -Citoyenneté, souveraineté, société civile – Dalloz, 2003, p. 25. Nous avons pu souligner déjà l’identité des notions de peuple et de nation relevée par plusieurs intervenant à l’époque : notre étude – La constitutionnalisation de la notion de peuple - LPA - n° 102, 25 août 1989, p. 9.
7 Rousseau – Du contrat social – Chap VI, Garnier – Flammarion, 1966, p. 52.
8 Sur la correspondance entre la corruption de l’Ancien régime et la régénération sociale, notamment depuis 1770 : A. de Baecque – L’homme nouveau – Dix huitième siècle (PUF, 1988, n° 20, p. 194 et s.) ; M. Ozouf – L’homme régénéré – Gallimard, 1989, p. 128 et s.
9 P. Rosanvallon – Le peuple introuvable – Gallimard, 1998, p. 36. L’auteur cite le passage dans lequel Sieyes évoque le processus de formation de la nation par le néologisme d’"édunation" – 2 octobre 1789.
10 E. Sieyes – Qu’est que le tiers Etat ? – Quadrige, PUF, 1982, p. 31.
11 Du contrat social - Livre II, chapitre III, précité p. 67.
12 Catéchisme du citoyen ou Eléments du droit public français, par demandes et réponses – 2è édition 1787. L’ouvrage fut rédigé par un avocat bordelais, Saige et parut d’abord à l’occasion de la réforme Maupeou. Il est fortement influencé par le Contrat social de Rousseau.
13 Idem p. 4.
14 Idem p. 9.
15 Idem p. 11.
16 Idem 52. À propos du citoyen, conçu comme partie du souverain et de sujet "soumis aux lois de l’Etat", il observe : "Mais ces termes se confondent souvent et sont pris l’un pour l’autre...". Parmi les notions au contenu variable figure également celles de République ou de Démocratie, à côté de nation ou de peuple : voir C. Nicolet – L’idée républicaine en France – Gallimard, 1982, p. 16.
17 P. Gueniffey – Constitution et intérêt sociaux : Le débat de l’été 1789 – Colloque "1789 et l’invention de la constitution" mars 1989.
18 Archives parlementaires – 12 août 1789, t. 8 p. 410. E. Mounier – Considérations sur les gouvernements et principalement sur celui qui convient à la France. Toutefois l’auteur ne se rend pas compte que l’argument utilisé concernant le soutien de l’opinion publique peut conduire directement à la démagogie et non à la démocratie.
19 Idem p. 413.
20 Intervention lors de la séance du 4 septembre 1789, Archives parlementaires, t. 8 p. 556. Pour le Comité, le suffrage devait rester largement attribué, ainsi que le précise d’ailleurs Mounier : "Tous les citoyens ont le droit d’influer sur le gouvernement, au moins par leurs suffrages...". C’est l’article 2 – titre III, chapitre I, section III de la constitution de 1791 qui énonce les conditions à remplir pour être citoyen actif. L’article 5 exclut notamment de ce droit les faillis ou insolvables. Pour les textes d’application en matière électorale pendant la Révolution, voir S. Aberdam et autres – Voter, élire pendant la Révolution française – CTHS, 1999.
21 Rabaut-Saint-Etienne – Préliminaire de la Constitution française, reproduit in S. Rials – La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, collection Pluriel, Hachette, 1988, p. 683.
22 Discours à la séance du 7 septembre 1789 – Archives parlementaires t. 8, p. 594.
23 Rapport sur le projet de constitution présenté par le Comité de constitution et de révision -Séance du 8 août 1791, Archives parlementaires, t. 29, p. 262.
24 "Le peuple est souverain ; mais dans le gouvernement représentatif, ses représentants sont ses tuteurs, ses représentants peuvent seuls agir pour lui parce que son propre intérêt est presque toujours attaché à des vérités politiques dont il ne peut avoir la connaissance nette et profonde" – Séance du 31 août 1791, Archives parlementaires, t. 30, p. 115.
25 Même si dans ce cas l’article 4 énonce des conditions plus libérales, la constitution de l’An III se montre plus rigoureuse, en particulier au regard du paiement d’une contribution directe et la possession d’une propriété, sauf avoir épousé une Française.
26 Voir le texte dans le rapport d’information présenté par M. Lequiller – Documents AN, 294 (1er juillet 2003), t. 3, p. 4. Egalement, supplément au Monde du 18 juin 2003.
27 Mais elle ne repose pas sur les mêmes fondements du fait de l’absence d’un Etat européen et implique des évolutions où le "statut social" tend à conférer un statut politique non seulement aux Européens, mais aussi aux étrangers : voir D. Schnapper – Citoyenneté et nationalité à l’épreuve de la Constitution européenne, in Ministère de l’Intérieur – Travaux du Centre d’études et de prévision – Nationalité et citoyenneté, nouvelles donnes d’un espace européen, mai 2002, n° 5, p. 180.
28 O. Beaud - Fédéralisme et souveraineté - RDP 1998, p. 109.
29 V. Constantinesco – Europe fédérale ou fédération d’États-nations - In R. Dehousse – Une constitution pour l’Europe ? Presses de Sciences Po, 2002, p. 138.
30 Devant la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne, M. Delors a justifié son expression par le fait que la globalisation rend nécessaire la préservation du cadre national : audition du 19 juin 2001, compte rendu n° 149.
31 Extraits dans le Monde 14-15 mai 2000, le texte intégral peut être consulté sur le site de l’Ambassade d’Allemagne à Paris. Ancien juge à la Cour constitutionnelle allemande, Dieter Grimm retient l’expression d’"association d’Etats". Dans son raisonnement, il se réfère notamment aux développements concernant l’exigence de "structures intermédiaires" entre l’Etat et les citoyens pour constituer un Etat démocratique (partis, syndicats, mouvements de citoyens, groupes d’intérêts...) – Le moment est-il venu d’élaborer une constitution européenne ? In R. Dehousse – Une constitution de l’Europe, précité, p. 76.
32 Projet d’article 1 à 16 du Traité constitutionnel, document du 6 février 2003, Conv. 528/03. Le Président Giscard d’Estaing était hostile à l’idée de Fédération appliquée à l’Europe et préférait une formule plus vague "Union d’Etats gérant des compétences fédérales" – AN Délégation pour l’Union européenne, audition du 23 octobre 2001, compte rendu 159.
33 Voir les précisions de J.F. Flauss, in J. Chwarze, La naissance d’un ordre constitutionnel européen, Nomos, Baden-Baden, Bruylant, Bruxelles, 2001, p. 48.
34 Sur la place du Parlement européen dans le développement des relations avec les citoyens et la prise en compte de leur demande : N. Clinchamps – Parlement européen et droit parlementaire – Thèse Paris 1, 28 septembre 2002, p. 126. et s. (multigraphie).
35 Voir les fortes affirmations de O. Gohin - La nouvelle décentralisation et la réforme de l’Etat en France - AJDA, 24 mars 2003, p. 524.
36 Discours lors de la séance du 29 octobre 2002, J.O. Débats Sénat, p. 3213 et 3214.
37 Idem p. 3215.
38 Audition précitée devant la Délégation pour l’Union européenne (compte rendu n° 149).
39 J.Y. Faberon – Les territoires "spécifiques"de l’Outre-Mer - Pouvoirs locaux, n° 51, 2001, IV, p. 7.
40 J.Y. Faberon – JCP - Administration et Collectivités territoriales, n° 3, 28 octobre 2002, p. 106.
41 Décision 91-290 du 9 mai 1991 – Après avoir constaté que le concept peuple français est de nature constitutionnelle, le Conseil le définit en ces termes : le peuple français est "composé de tous les citoyens français sans distinction d’origine, de race ou de religion".
42 D. Schnapper – La communauté des citoyens, précité, p. 103-104.
43 O. Jouanjan – Ce que "donner une constitution à l’Europe" veut dire – Cités, 13, 2003, p. 34.
44 E. Cohen – L’ordre économique mondial - Fayard, 2001, p. 67, 280.
45 Au chapitre IV du Livre I il ajoute : "Renoncer à sa liberté c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs", édition Garnier-Flammarion, précité, p. 46.
46 De manière significative, le projet de constitution pour l’Europe élaboré par la Convention mentionne seulement "les peuples de l’Europe", par référence aux Etats-membres.
47 L’école physiocratique s’appuie sur l’organisation politique existante pour lui faire prendre conscience des lois économiques naturelles et faire comprendre aux gouvernants les réformes à introduire. Mais les sujets sont également destinataires de l’enseignement économique diffusé notamment par les Ephémérides du citoyen, afin d’aider à transformer les individus en citoyens, comme le préconise le marquis de Mirabeau.
48 La position du second auteur est beaucoup plus nuancée : P.J. Proudhon - Du principe fédératif et de la nécessité de reconstituer le parti de la Révolution, 1863, p. 77. II écrit notamment : "Le contrat de fédération, dont l’essence est de réserver plus au citoyen qu’à l’Etat, aux autorités municipales et provinciales plus qu’à l’autorité centrale, pouvait seul mettre sur le chemin de la vérité". Pour une lecture politique de ce contrat de fédération : A. Leroy - Histoire des idées sociales en France, t. 2, Gallimard 1962, p. 106.
49 A. Piettre – Marx et marxime – PUF, 1973, p. 75.
50 P. Rosanvallon – La démocratie inachevée - Gallimard, 2000, p. 178-179.
51 R.P. Appelbaum et autres - Rules and networks – Hart publishing, Oxford, Portland Oregon, 2001, p. 6. Voir également les nuances introduites par E. Cohen – L’ordre économique mondial, précité, p. 79.
52 Par exemple, dans le domaine sanitaire, sous notre direction – Jeux de normes dans la recherche biomédicale. Publications de la Sorbonne, 2002 ; également notre étude : Interactions normatives et recherche biomédicale - Revue générale de Droit médical, n° 3, 2000, p. 21.
53 M. Delmas-Marty – La difficile naissance du droit de demain – Le Monde 16 novembre 2001 ; également, Du droit mondial à la force du droit international – Le Monde 22 mars 2003.
54 Parmi les efforts pour adopter le droit privé aux conditions nouvelles de la globalisation, il convient de rappeler le rôle de l’UNCITRAL (Commission des Nations Unies pour le droit commercial international) et d’UNIDROIT (Institut international pour l’unification du droit privé) ; s’y ajoutent également les travaux de l’Union européenne et de l’Organisation des Etats américains.
55 Doivent également être pris en considération les deux pactes de 1966 adoptés sous l’égide de l’ONU.
56 Voir le texte in N. Lenoir et B. Mathieu - Le droit international et la bioéthique – Que Sais-je ? 3395.
57 J.L. Quermonne – L’Europe en quête de légitimité – Presses de Sciences-Po, 2001, p. 75.
58 E. Cohen – L’ordre économique mondial, précité, p. 220. J. Landis qui a réalisé la théorisation de la régulation dans son ouvrage The administrative Process, où la complexité des problèmes techniques rencontrés par l’Etat l’a poussé à admettre l’existence d’un 4eme pouvoir, dit "administratif empruntant aux fonctions des trois autres.
59 E. Renan Qu’est-ce qu’une nation – Conférence du 11 mars 1882, Discours et conférences, Calmann-Levy, 1922, p. 306.
60 J.G Fichte – Discours à la Nation allemande (1807-1808), présentation A Renaut – Imprimerie nationale, 1992, p. 42. Pour une comparaison entre la France et l’Allemagne : J.M. Woehrling - le concept de citoyenneté à la lumière d’une comparaison franco-allemande – Revue d’Allemagne, t. 33, n° 1, 2001, p. 13.
61 T. Hobbes – Behemoth, the history of the civil wars of England. C’est l’édition de 1682 qui est reprise dans les œuvres publiées par Sir William Molesworth.
62 Notre thèse – Politique et religion dans le "Leviathan" de Th. Hobbes – Thèse Bordeaux I (actuellement Bordeaux IV), 1970, multigraphie.
63 II fut le résultat d’un soutien apporté par les modérés de chacun des partis en présence. Mais il apparaissait à beaucoup comme un simple armistice (E.G. Léonard - Histoire générale du protestantisme, t. 2, 1961 ; et E. Labrousse – La révocation de l’Edit de Nantes - Payot, 1985, p. 28).
64 Idem p. 68-69.
65 Sur la diversité des causes et l’importance des considérations psychologiques personnelles : J.P. Labatut – Louis XIV Roi de Gloire - Imprimerie nationale, 1984, p. 270 et s.
66 Il est de même nature pour l’Italie, où persiste actuellement encore un fort municipalisme qui limite la portée de la construction étatique.
67 Sur les contextes : J.B. Duroselle – L’Europe – Histoire de ses peuples – Perrin, 1990, p. 478.
68 S. Pierré-Caps – La multination - O. Jacob, 1995, p. 100.
69 Voir les textes constitutionnels in C. Grewe et H. Oberdorff – Les constitutions des Etats de l’Union européenne, Documentation française. Dans le cas de la Grande Bretagne, l’appartenance religieuse du monarque est régie par l’Act d’Etablissement de 1700 ; voir le texte in Public Law and Human rights 2002-2003, présenté par C. de Than et E. Shorts – Sweet et Maxwell, 2002, p. 9.
70 La création du Conseil français du culte musulman, avec l’élection de ses instances, se veut une réponse à cette préoccupation ; sur les tendances : Le Monde – 4-5 mai 2003.
71 Le second alinéa ne retient qu’une formulation très édulcorée : "S’inspirant des héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe.." ; voir le texte du projet de traité in rapport d’information P. Lequiller, t. 3, Doc AN n° 994, 1er juillet 2003. Sur les protestations des églises : Le Monde 3 juin et 12 juin 2003.
72 Déclaration de V. Giscard d’Estaing, Le Monde – 8 Novembre 2002 et les observations de D. Cohn-Bendit – Libération 19 novembre 2002.
73 Sur la présentation de la collectivité territoriale unique de Corse et la consultation sur cette réforme de la population : loi n° 2003-486 du 10 juin 2003, JO du 11 juin 2003, avec en particulier l’annexe présentant l’architecture de la réforme projetée, qui a été d’ailleurs écartée par le résultat négatif du référendum.
74 A. Touraine – L’Hymne à la nation – Le Monde 18 septembre 1990.
75 Cet universalisme est d’ailleurs parfaitement compatible avec la défense des droits des minorités à laquelle la Cour européenne des droits de l’homme s’est déjà attachée : F. Benoit-Rohmer - La Cour de Strasbourg et la protection de l’intérêt minoritaire - RUDH 2001, p. 999.
Auteur
Professeur de Droit public à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV
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