L’Europe et le citoyen
p. 441-463
Texte intégral
1C’est en Europe que naît le citoyen en même temps que la cité. Non par l’effet d’une doctrine mais dans l’avènement d’une civilisation qui s’épanouit sur les bords de la Méditerranée, d’abord en Grèce puis dans le Latium. Comme le grec était pólitës membre de la pólis, le romain est ciuis membre de la civitas, l’un et l’autre termes expriment l’appartenance à une cité qui ne se confond pas avec la ville. L’un et l’autre témoignent de l’existence d’un ordre politique concret, póliteia ou res publica, qui dépasse et transcende les destinées individuelles de ceux qui les composent.
2Pourtant, si l’on en croit Emile Benveniste, les termes grec pólis et latin civitas « n’ont en eux-mêmes rien de commun. Mais l’histoire les a associés d’abord dans la formation de la culture romaine où l’influence grecque a été déterminante, puis dans l’élaboration de la civilisation occidentale moderne »1. Le grand linguiste rappelle d’abord qu’en grec, pólis montre encore « à date historique » le sens de « forteresse, citadelle »2, qui trouve sa correspondance dans d’autres langues indo-européennes ; mais il précise aussitôt que ce vieux terme indo-européen, a pris en grec - et seulement en grec - le sens de ville « ville, cité », puis « État ». Le citoyen grec est tel parce qu’il est membre d’une cité.
3Selon Benveniste, il en va tout autrement en latin3. Pour correspondre au grec pólis, le latin a « le terme secondaire ciuitas, qui indique littéralement l’ensemble des cives « concitoyens ». Il s’ensuit que le rapport que le latin établit entre civis et civitas est à l’inverse de celui que le grec montre entre pólis « cité » et pólitës « citoyen »4. Autrement dit, ici ce sont les citoyens qui forment la cité et non la cité qui institue les citoyens.
4Le croisement des constructions linguistiques livre une première interrogation sur la formation de la citoyenneté : est-ce la cité qui crée le citoyen ou bien l’inverse ? À l’heure où l’Europe prétend se construire comme unité politique autour d’une citoyenneté issue des traités, cette question reçoit un éclairage particulier. Si la pólis précède nécessairement le citoyen, la citoyenneté européenne n’est qu’une pseudo-citoyenneté. Si ce sont les citoyens qui forment la civitas, il convient d’examiner si la citoyenneté européenne présente une consistance suffisante pour fonder l’organisation politique fédérative que prétend annoncer le projet dit de « constitution pour l’Europe »5. Car dans un cas comme dans l’autre, que la perspective soit grecque ou romaine, il reste qu’avec Michael Walzer, on peut définir le citoyen comme « le membre d’une communauté politique, doté des obligations et des prérogatives attachées à cette appartenance »6. Ces prérogatives résident essentiellement dans la participation à la décision politique c’est-à-dire ce que nous appelons l’exercice, réel ou virtuel, des droits politiques.
5En effet, le terme romain citoyen (civis) désigne précisément la condition d’homme - i.e. d’homme libre - mais, à l’évidence, il ne saurait s’agir d’un homme abstrait. Les Romains, comme les Grecs, savent que l’homme est un zoon politikon aristotélicien. Dès lors, il n’y a de citoyens que rassemblés au sein de la res publica et l’inversion sémantique signalée par Emile Benveniste s’en trouve nettement relativisée.
6En même temps qu’ils inventaient le citoyen, Grecs et Romains, avaient à qualifier celui qui n’est que soumis sans pouvoir de décision. Tout naturellement, ils ont insisté sur la soumission (on retrouve les racines hypo en grec et sub en latin) mais aussi la substance en tant que sujet, le substrat des accidents pour reprendre, ici encore, les catégories aristotéliciennes. Le terme sujet présente donc dès l’origine les multiples sens que nous lui connaissons aujourd’hui.
7En effet, le sujet, apparemment simple à définir recèle en fait une richesse polysémique. Certes, sous l’angle de la philosophie politique et du droit de souveraineté, on peut s’en tenir à Rousseau pour qui « Les associés... prennent collectivement le nom de peuple, et s’appellent en particulier citoyens comme participant à l’autorité souveraine, et sujets comme soumis aux lois de l’État »7. Toutefois, nous pressentons bien une proximité avec le sens juridique général qui désigne comme sujet de droit toute personne (physique ou morale) dans le cadre d’un ordre juridique présupposé comme système « a quo »8. Dans cette acception, la philosophie juridique moderne, au moins depuis Guillaume d’Occam9, a construit la figure d’un sujet de droit soumis à des obligations, mais aussi ayant des droits, c’est-à-dire des pouvoirs susceptibles de revendication et qui répondent à la qualification de droits subjectifs comme appartenant au sujet. Un sujet de droit marqué du sceau du volontarisme.
8De même, chez Hobbes, si l’abandon de la capacité de volition lors de la conclusion simultanée du pactum societatis et du pactum subjectionis laisse démuni le sujet du Léviathan, aussitôt ce dernier vaincu et ne pouvant donc plus protéger ses sujets, la République est dissoute et chacun redevient libre de rechercher la protection n’importe où. Le sujet philosophique rencontre donc ici le sujet politique libéré de ses obligations à l’égard de la République10. Aussi bien, Hobbes dans l’intitulé du chapitre XXI du Léviathan parle de la liberté des sujets dans l’édition anglaise et de la liberté des citoyens dans l’édition latine. Mais surtout, c’est dans le traité De Civi, que le philosophe d’Oxford, développe une conception de la citoyenneté qui nous intéresse directement. L’ouvrage se présente en réalité comme un véritable traité du sujet où l’auteur nous livre une conception de la « citoyenneté » entendue, selon ses propres termes, comme une « sujétion civile ». Le « citoyen » hobbesien mu par son seul intérêt n’est finalement qu’un sujet qui, ayant institué le souverain, se borne désormais à appliquer la décision souveraine c’est-à-dire à obéir à la loi11 pour vivre en paix en bénéficiant des droits positifs que lui accorde l’autorité politique. La conception hobbesienne du citoyen comme « sujet civil » est radicalement contraire à la conception politico-héroïque du citoyen qui a imprégné la pensée européenne de la cité antique jusqu’à Jean-Jacques Rousseau. Elle mérite d’autant d’être relevée car nous la retrouverons occupant une place centrale dans le débat contemporain sur l’émergence d’une citoyenneté européenne d’une nature nouvelle.
9Enfin, plus largement, cette construction politico-juridique du subjectivisme prend place dans le vaste mouvement d’affirmation du sujet qui caractérise la philosophie des Lumières sous le patronage, aussi incertain qu’emblématique, du cartésianisme. Cette affirmation, trouve son point culminant dans la philosophie de Kant, tant par la reconnaissance des a priori rationnels du cogito que par la place de l’homme dans l’ordre des fins12, ainsi d’ailleurs que sa limite infranchissable l’entendement du sujet étant soumis au « tribunal de la raison » qui interdit toute subjectivité.
10Ce détour par la polysémie du sujet13 permet de mettre en évidence ce que la philosophie des Lumières - ici bien confuse et mal nommée -, a occulté depuis quelques siècles : le sujet ne s’oppose pas au citoyen, il s’oppose au souverain. Or, tous les auteurs sont d’accord pour reconnaître que ce n’est pas le citoyen qui est souverain, mais l’ensemble des citoyens, le peuple « en corps » selon la formule consacrée.
11Le citoyen considéré individuellement peut donc être simultanément sujet, il l’est même nécessairement, tandis que réciproquement le sujet n’est nullement privé de droits, contrairement à ce que l’imagerie révolutionnaire a colporté, mais simplement assujetti à un ordre qui lui préexiste. Dès lors, le sujet a évidemment la possibilité, plus ou moins grande in concreto, de revendiquer des droits qui peuvent être très étendus, en agissant dans le cadre des lois positives, mais il n’a pas celle de les modifier, cette tâche appartenant au citoyen. La sujétion ne se résume pas à l’obéissance, mais elle englobe toutes les situations dans lesquelles l’individu se trouve soumis à un ordre préexistant. Il en résulte qu’à la limite, même le souverain monarque de Bodin est sujet en tant qu’il est soumis aux lois divines et naturelles. Seul le tyran n’est pas sujet, qui gouverne en dehors des lois, et encore le monde grec nous le montre soumis au destin, à l’hubris et à toutes sortes de puissances comme se charge de nous le rappeler le dialogue socratique de Xénophon entre Hiéron le tyran et le sage Simonide14.
12Le citoyen est donc en même temps sujet, soumis à l’ordre démocratique, mais encore faut-il savoir ce qui dans cet ordre permet de forger la citoyenneté. Si la participation politique manifeste juridiquement l’exercice de la citoyenneté, pour Alain Touraine, être citoyen, c’est « se sentir responsable du bon fonctionnement des institutions qui respectent les droits de l’homme et permettent une représentation des idées et des intérêts. Ce qui est beaucoup, - ajoute-t-il - mais n’implique pas une conscience morale ou nationale »15. La précision relative aux droits de l’homme suscite une interrogation quant à son statut épistémologique : s’agit-il d’une condition socialement admise à l’époque actuelle - on en sera d’accord -, ou d’une condition substantielle d’existence du concept auquel cas il faudrait croire que les Grecs ignoraient ce qu’est un citoyen ?
13A l’évidence, posée en ces termes, la question ne peut recevoir qu’une seule réponse - sauf à confondre science et militantisme - mais du même coup, elle peut, sinon invalider, du moins remettre grandement en cause les discours qui prétendent fonder une citoyenneté en Europe, à partir de la seule philosophie des droits de l’homme. A travers plusieurs études, Dominique Schnapper a magistralement passé au crible la problématique contemporaine de la citoyenneté ainsi que les discours, académiques ou militants, qui se réfèrent à une « nouvelle citoyenneté » adossée à l’universalisme des droits de l’homme16. Elle en a aussi souligné les faiblesses et les impasses en critiquant l’abus du terme citoyen « utilisé à tout propos, jusqu’à être galvaudé »17. Dans une même perspective critique, on se propose d’examiner dans un premier temps, les discours qui envisagent le citoyen européen comme un sujet des droits de l’homme (I) puis, dans un deuxième temps, celui qui fait de ce citoyen le sujet d’une philosophie politique des droits de l’homme (II). Enfin, dans un troisième temps, on tentera de dégager les réquisits de la citoyenneté (III).
I - LE CITOYEN EUROPÉEN COMME SUJET DES DROITS DE L’HOMME
14Dominique Schnapper indique que les théoriciens et les partisans de la « nouvelle citoyenneté » qui, remarque-t-elle, se confondent le plus souvent, critiquent la notion de citoyenneté classique, à la fois sur le plan des faits et des valeurs18. Ces auteurs, au premier rang desquels Elizabeth Meehan, souhaitent voir se développer une conception nouvelle de la citoyenneté, « de nature économique et sociale, qui fonde une nouvelle pratique démocratique, qualifiée de participative ». Pour les représentants de ce courant, majoritairement nord-européen ou nord-américain, la citoyenneté « ne se définit plus seulement par un ensemble de droits-libertés - définition politique liée à l’État-nation - mais (...) ce sont les droits-créances qui deviennent les véritables droits politiques »19.
15De plus, le droit positif montre que les étrangers en situation régulière, bien que n’étant pas citoyens, et donc dépourvus des droits politiques, peuvent se prévaloir de l’ensemble des droits de l’homme20. Sans nier que seuls les nationaux-citoyens se voient reconnaître la plénitude des droits politiques, Meehan et de nombreux autres auteurs tirent argument de ce constat pour mettre en cause la netteté de la distinction entre citoyens et non-citoyens. Selon ces auteurs, être citoyen serait devenu moins significatif que « disposer d’un emploi régulier et de tous les droits qu’il implique ». Mme Schnapper souligne l’usage fréquent d’une formule selon laquelle la société politique serait « dévaluée » pendant que corrélativement, les sociétés étant « de moins en moins politiques, les étrangers en situation régulière disposeraient de l’essentiel des moyens de participer à la vie collective »21. Parmi les indices de cet affaiblissement de la citoyenneté nationale, « les régularisation des clandestins, présents sur le sol national, auxquelles procèdent régulièrement tous les gouvernements européens »22. L’individu, sujet des droits de l’homme, prend le pas sur le citoyen.
16Dès lors, la citoyenneté nationale devient « de moins en moins importante parce que le rôle de l’État national n’est plus militaire et politique : il doit d’abord agir pour réguler la production et la redistribution des biens collectifs (protections sociale, éducation, emploi) »23. On voit ainsi resurgir une vieille théorie bien connue des juristes de droit public, celle de l’État de service public cher aux disciples de Léon Duguit, un État prestataire de service s’opposant à la conception de l’État entendu comme puissance publique, comme pouvoir armé pour l’action pour reprendre la formulation de Georges Burdeau. La nouvelle citoyenneté, si elle existe, suppose que l’organisation, « corps sans âme », se substitue à l’institution. La mystique républicaine du citoyen héritée de l’Europe antique n’a pas sa place ici.
17L’étude des discours académiques et de la pratique fait apparaître une conception juridico-économique, mais non véritablement politique, du citoyen européen (1). Cette conception a pour corollaire historique d’une part l’affirmation déontique d’une identité entre l’individu sujet des droits de l’homme et le citoyen (2), et d’autre part, la description sociologique de cette identité (3).
- La conception juridico-économique du citoyen européen
18On sait, en effet, que - comme le rappelle Dominique Schnapper -dans les périodes récentes la nature purement politique de la citoyenneté « était liée à l’âge des nationalismes et à la constitution des États-nations. Les révolutions de la fin du xviiie siècle avaient libéré les nouveaux citoyens des États nationaux des entraves héritées de la société féodale ». Aujourd’hui, les théoriciens et partisans d’une nouvelle conception de la citoyenneté estiment que « la construction de l’Europe est en train de libérer les acteurs économiques des restrictions imposées par les frontières et par les législations héritées de l’âge des nations et des nationalismes. Dans la vie collective, c’est désormais la participation économique et sociale qui est devenue prépondérante. La véritable appartenance à la collectivité ne se définit plus par la participation à la politique mais par l’activité économique »24. On passerait ainsi de la citoyenneté politique classique à une citoyenneté économique se caractérisant par la participation à la décision économique. Or, dans la perspective ouverte par cette conception, tous les acteurs qui subissent la décision économique sans pouvoir influer sur elle se trouvent par là même exclus de la citoyenneté ainsi redéfinie. Il en résulte que l’affirmation de la citoyenneté sur un fondement économique s’accompagne logiquement de la revendication de droits économiques, comme au xviiie siècle la théorie politique de la citoyenneté s’était accompagnée de la revendication des droits politiques.
19De plus, concernant l’émergence d’une éventuelle citoyenneté européenne substantielle, le courant intellectuel auquel appartient Elizabeth Meehan considère qu’il y a entre l’économique et le politique non seulement un rapport d’analogie, mais encore de causalité. La constitution d’une unité économique européenne entraînerait, « par sa logique propre, l’unité politique » si l’on admet que le mouvement qui a conduit du marché commun à la monnaie unique impose une politique économique commune (dont le fameux pacte de stabilité est l’un des instruments emblématiques) et donc un pouvoir politique commun tandis que « des groupes d’intérêt transnationaux se forment qui agissent dans la même direction »25. L’économique, permet de réactiver le politique répondant par avance aux critiques de ceux qui refusent de croire en sa possible disparition.
20Il peut sembler paradoxal sinon contradictoire d’annoncer l’avènement d’une nouvelle citoyenneté sur un fondement économique et, dans le même temps, la réactivation du politique logiquement porteur de la conception classique de la citoyenneté. Il faut comprendre que cette nouvelle citoyenneté n’est ni seulement économique, ni seulement politique, mais en quelque sorte globale. Elle ne consiste pas dans la participation à la décision par le seul moyen du vote, dans le cadre électoral ou référendaire, mais également par celui de la revendication sous des formes les plus diverses : procédurière, associative, syndicale, économique (le boycott). Or, la mise en place d’un ordre juridique communautaire et européen contribue grandement à favoriser l’action revendicative des individus et des groupes au nom des droits de l’homme ou des droits fondamentaux, le vocabulaire fluctuant au gré des textes ou des auteurs.
21Les juristes ont mainte fois souligné la transformation du système juridique des États membres de l’Union européenne sous l’impact de la construction communautaire et européenne. Dans l’Union européenne, le citoyen peut plaider devant la CJCE contre son propre État. Au sein du Conseil de l’Europe auquel appartiennent les États membres de l’Union, la Convention européenne des droits de l’homme serait en passe de devenir « une véritable Constitution européenne des droits de l’Homme », et la Cour y voit « l’instrument constitutionnel de l’ordre public européen »26. L’adoption parallèle de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne proclamée lors du sommet de Nice de décembre 2000 va dans le même sens, la Charte reprenant les droits stipulés par la Convention auxquels viennent s’en ajouter de nouveaux. Cette Charte ne possède pas de valeur juridique et donc pas de « justiciabilité » mais le projet de constitution élaboré par la Convention pour l’avenir de l’Europe la reprend et pourrait, dans un avenir proche lui conférer valeur positive. Le Traité de Maastricht a établi le principe d’un mode de scrutin uniforme et donné le droit de pétition au « citoyen européen ». Un Comité des régions auprès du Parlement européen peut reconnaître aux régions « un droit légitime à l’autodétermination ». Le Traité d’Amsterdam conduit à la mise en place d’une politique de sécurité commune et à la création d’une sorte d’espace judiciaire que matérialise le mandat d’arrêt européen.
22Il faut admettre que, d’une façon générale, la construction européenne et les droits accordés par chaque État membre de l’Union européenne aux étrangers « communautaires », ressortissants des autres États membres, contribuent à l’évolution annoncée par les tenants de la « nouvelle citoyenneté » puisque les citoyens de l’Europe communautaire « disposent non seulement des mêmes droits civils, économiques et sociaux que les nationaux, comme tous les étrangers régulièrement installés, mais aussi d’un certain nombre de droits politiques liés à la citoyenneté européenne, en particulier le droit de vote aux élections locales et européennes »27.
23Le phénomène que l’on nous décrit ne s’arrêterait pas aux limites de la catégorie des « citoyens européens » tels que définis par les traités. Il s’étendrait de plus en plus à l’ensemble des résidents d’origine extra-européenne ne possédant pas la nationalité d’un État membre de l’Union européenne. L’annonce de cette extension s’effectue à son tour sous la double forme de l’affirmation déontique d’une identité entre sujet et citoyen et de la description sociologique de cette identité.
- L’affirmation déontique de l’identité du sujet et du citoyen
24Pour Mme Schnapper, la citoyenneté moderne se caractérise par son ouverture potentielle, à la différence d’autres organisations politiques fondées sur des principes religieux, dynastiques ou ethniques. Il n’est d’ailleurs pas certain que cette affirmation se vérifie, les organisations politiques fondées sur le principe dynastique pouvant être plus ouvertes que les démocraties parce que tout simplement beaucoup moins exigeantes28. Quoi qu’il en soit, elle constate que cette ouverture potentielle « paraît insuffisante aux penseurs de la citoyenneté-résidence dans la mesure où elle est légalement fondée sur la dimension nationale ». À ces penseurs, il ne suffit plus que la société démocratique soit « plus ouverte aux étrangers que les autres formes d’organisation politique et qu’on puisse acquérir la nationalité française, suisse ou allemande par naturalisation ou par les droits nés de la naissance ou de la scolarisation dans le pays d’installation ». Il ne leur suffit plus « que tout Etat national démocratique prévoit que l’étranger puisse se voir reconnaître le droit d’entrer dans la communauté politique, moyennant le respect d’un certain nombre de conditions fixées par le droit ». À les en croire, il importerait désormais « que soit pleinement reconnue une nouvelle citoyenneté, qui, d’ailleurs, serait en train de s’élaborer, fondée sur les droits de la personne et non plus sur l’appartenance nationale »29.
25Dans son intervention au colloque de Grenoble de 1998 sur les droits de l’homme et le suffrage universel, Bertrand Pauvert faisait exactement la même remarque en estimant qu’en fin de compte, « seules deux attitudes paraissent cohérentes, soit la conception classique qui lie le suffrage à l’appartenance à la nation et le refuse aux étrangers ; soit la conception tendant à considérer le suffrage comme un droit de l’homme et devant reconnaître alors le pouvoir de suffrage à tout homme où qu’il réside ». Observant l’évolution que l’on vient de décrire, il en concluait que « malgré une longue résistance française, à partir du moment où le suffrage est considéré comme un droit naturel premier et imprescriptible de l’Homme, il va de soi que le fondement nationalitaire du suffrage ne peut qu’être dépassé au profit d’une approche plus individuelle et résidentielle »30.
26La citoyenneté n’est donc plus l’apanage d’une catégorie déterminée de personnes se reconnaissant dans une communauté politique, mais elle devient un droit de tous au sein de l’humanité érigée en communauté. L’individu, comme sujet des droits de l’homme, est par nature citoyen ce qui annihile toute distinction entre l’homme et le citoyen. Comme le souligne Bertrand Pauvert, la négation de la dichotomie conduit à voir dans le vote « un droit appartenant à tout homme d’avoir part à la gestion du groupe dans lequel il vit. Un droit naturel à participer, en vertu duquel le suffrage est le corollaire d’un état personnel (...) Avec la confusion des notions d’homme et de citoyen, on ne saurait exclure un individu de la jouissance d’un droit réservé au citoyen, puisque tout homme par nature possède cette qualité. La théorie du contrat poussée à son terme, donne naissance à une analyse véritablement révolutionnaire, tout homme jouit des droits du citoyen et la catégorie des nationaux se voit effacée »31. Le sujet de droit(s) doit pouvoir accéder au suffrage sans autre condition que la résidence dans le lieu ou se déroule le scrutin et une capacité intellectuelle minimale. Pour les partisans de cette identité entre l’homme et le citoyen, la participation de fait à une société donne droit par elle-même à la citoyenneté.
27Se mettant à leur place, Bertrand Pauvert écrit : « Du moment que les individus sont là, c’est qu’ils sont intégrés : au nom de quoi exiger d’eux plus que ce qui permet de vivre dans une société donnée ? Il est indigne d’une véritable démocratie de mettre des conditions à l’obtention de la citoyenneté pour ceux qui souhaitent l’exercer. Un individu né ou arrivé jeune dans une société donnée doit avoir automatiquement droit à devenir citoyens, ainsi que tous ceux qui ont séjourné plus de cinq ans dans le même pays, même illégalement : ils ont de fait participé à la société »32. À la limite, on se demande même ce qui justifierait d’attendre un délai de cinq ans puisque dès lors que l’étranger n’est pas un simple touriste mais réside habituellement sur le territoire, il participe à la société. Quoi qu’il en soit, Bertrand Pauvert rejoint ici Dominique Schnapper lorsqu’elle signale les critiques radicales à l’égard de la citoyenneté classique formulées par des auteurs qui avancent que « la citoyenneté, dite classique, constitue un principe d’exclusion des non-citoyens et d’inégalité entre citoyens et non-citoyens qui est devenu insupportable, étant donné les valeur des démocraties modernes »33. Ainsi, de leur point de vue, « Toute condition mise à l’acquisition de la nationalité, en particulier en ce qui concerne l’assimilation culturelle ou la volonté de participer à une collectivité historico-politique, est injustifiée. La seule résidence doit donc donner droit à la citoyenneté, à l’exclusion de toute autre exigence de conformité ou de volonté »34.
28Cette description peut sembler outrancière et caricaturale, mais en réalité, elle est parfaitement fidèle, comme le montre le jugement d’Olivier Le Cour Grandmaison sur la question des droits politiques : « Les étrangers ont progressivement conquis, non sans peine, une égalité juridique presque entière dans le domaine civil et social. Du coup, les droits civiques sont apparus comme l’ultime discrimination séparant les Français des immigrés. Globalement égaux sur tous les autres points, ils demeurent inégaux sur un seul point : la citoyenneté autour de laquelle la nationalité élève encore une barrière dont l’existence est devenue problématique par cela même qu’elle constitue un obstacle à l’égalité et à la liberté de ceux qui se trouvent sur le territoire (...) C’est pourquoi, à la nationalité, il convient de substituer maintenant la résidence comme fondement de la citoyenneté »35. À la limite, comme le suggère Bertrand Pauvert, rejoignant dans un sens les propos de Meehan sur la citoyenneté économique, « Le mot même de « citoyen » avec sa connotation proprement politique, n’a plus de sens, le véritable acteur social serait désormais le « contribuable » ou « l’usager » qui s’affirme « responsable et sachant faire valoir ses droits »36.
- La description sociologique de l’identité du sujet et du citoyen
29Dominique Schnapper fait état d’une littérature scientifique visant à démontrer que les « travailleurs-hôtes » et leurs descendants « installés de manière stable dans les pays d’Europe de l’Ouest sans être devenus pour autant des citoyens et sans vouloir le devenir, seraient en train d’élaborer une nouvelle forme de citoyenneté »37. D’après des travaux utilisant les méthodes d’enquête propres à la sociologie, ces immigrés ont une pratique sociale nouvelle en ce qu’ils n’ont plus pour objectif d’obtenir la citoyenneté classique, c’est-à-dire politique, par la naturalisation. Toujours selon ces études, « Même leurs enfants n’adopteraient la nationalité du pays de naissance à laquelle ils ont droit en vertu du droit du sol qu’avec réticence. Disposant de l’ensemble des droits civils, économiques et sociaux consacrés par la législation européenne, sans être citoyens nationaux, ils sont ce que (Tomas) Hammar appelle les denizens »38. Au fond, ils constituent des sujets de droit, bénéficiant de prérogatives et de prestations très étendues mais sans participer institutionnellement à la décision politique. Toute chose égale par ailleurs, ils se trouvent dans une situation proche de ceux que Hobbes nomme improprement les citoyens qui, ayant abandonné leur capacité à vouloir entre les mains du souverain lors du pacte fondateur, attendent la protection en échange du respect des lois.
30Dans une étude de 1994 sur les limites de la citoyenneté en Europe, Yasemin Soysal va plus loin en considérant qu’il ne s’agit plus seulement « de caractériser un nouveau statut, celui de denizen, intermédiaire entre celui de national et d’étranger ». D’après elle, on assisterait désormais à l’émergence non seulement d’une nouvelle citoyenneté, mais d’une nouvelle conception de la citoyenneté, « reposant sur les droits universels de la personne humaine, indépendamment de toute inscription territoriale et de toute appartenance à un Etat-nation particulier. Cette citoyenneté qu’elle qualifie de post-nationale, fonde son existence et sa légitimité sur l’idéologie transnationale des droits de l’Homme et des conventions internationales qui les garantissent indépendamment de l’appartenance des individus à un État-nation particulier »39. Ces propos rejoignent ceux d’Elizabeth Meehan, pour qui le droit communautaire - et européen, faudrait-il ajouter - envisagé dans la perspective du renouvellement radical de la figure du citoyen, serait en train de faire naître « une citoyenneté fondée sur une conception, commune à tous les Européens, de solidarité et de justice sociale » qui ne serait plus « nationale ni cosmopolite mais multiple »40.
31Un examen, même sommaire et non scientifique, de l’usage du vocable « citoyen » peut nous renseigner sur cette évolution. Dans une acception produite par certains acteurs sociaux et complaisamment reprise et entretenue par les médias, la classe politique et même les discours académiques, est « citoyen » ce qui est réputé être bon pour la société et plus généralement pour l’humanité. On remarquera en passant que « citoyen » est utilisé comme adjectif - néologisme récemment accepté par les dictionnaires -alors que le substantif qui nous occupe se fait beaucoup plus discret. Quant au véritable adjectif, « civique », il a pratiquement disparu du vocabulaire, survivant encore dans l’expression « instruction civique » qui évoque la nostalgie des photographies sépia d’autrefois des cérémonies de remise des prix à l’école de la République. Ainsi, « l’entreprise citoyenne » évite par exemple de polluer en pratiquant « l’éco-citoyenneté » pendant que dans les universités, l’étudiant se voit attribuer des crédits - européens - pour valoriser ses « actions citoyennes » et que, pour tout un chacun, trier ses déchets devient un « acte citoyen ». Ces usages sémantiques ont assurément peu de rapport avec la décision politique mais ils en ont beaucoup avec le contrôle des conduites individuelles.
32Enfin, la nouvelle conception de la citoyenneté évoquée par Meehan soulève des questions, sinon des objections : l’existence d’une conception commune à tous les Européens concernant la solidarité et la justice sociale reste à démontrer. Les pratiques sociales dans les divers Etats manifestent des divergences et même des oppositions. Pour ne prendre que deux exemples, l’action syndicale n’est pas la même en Espagne, en France ou en Italie d’une part et en Allemagne d’autre part, tandis que le mythe du service public « à la française » qui garantirait l’égalité, n’a pas d’équivalent dans les autres États. Qui plus est, la question de l’attachement aux valeurs communes fait problème. En supposant qu’il y ait véritablement accord sur les fondements de la République indivisible, démocratique, laïque et sociale - ce qui est assez douteux -, comment vérifiera-t-on l’attachement de tout un chacun à ces valeurs ? Et, dans le cas où cela serait possible, écartera-t-on de la citoyenneté ceux qui ne feraient pas montre d’un attachement jugé suffisant ? On pourrait sans doute répondre en s’abritant derrière la formule de Saint-Just : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté », mais l’histoire a montré à quelles dérives menait une telle solution. La condition de nationalité, si elle n’est pas la seule possible, demeure la moins aléatoire et l’une des plus objectives41.
33L’existence d’une citoyenneté « multiple », quant à elle, ouvre deux hypothèses. La première est l’entrecroisement de plusieurs unités politiques entre lesquelles on aurait éliminé tout risque de conflit profond, ce dont l’histoire se charge de nous montrer l’impossibilité. La deuxième est l’absence de toute unité politique véritable ce qui est tout aussi impossible, revenant à postuler une extinction du politique.
II - LE CITOYEN EUROPÉEN COMME SUJET DE LA PHILOSOPHIE POLITIQUE DES DROITS DE L’HOMME
34Depuis longtemps, partisan proclamé d’un dépassement de l’État-nation, comme le rappelle le titre d’une de ses publications42, Jürgen Habermas entreprend de penser la citoyenneté européenne en dépassant la citoyenneté nationale. Cette citoyenneté européenne, fruit de la philosophie des Lumières, doit se construire dans le cadre, à la fois axiologique et rationnel, d’un « patriotisme constitutionnel » (1). Mais, parce que la raison s’est laissée prendre au piège du sujet conduisant la res publica moderne à une impasse, il lui faut dorénavant se déployer dans l’inter-subjectivité en se pliant à l’impératif de la communication ou, si l’on préfère, à une éthique de la discussion (2). En détournant une formule célèbre, on peut dire que pour Habermas si un seul sujet éloigne de la citoyenneté, plusieurs y ramènent.
- Le « patriotisme constitutionnel »
35Contrairement aux théoriciens de la « nouvelle citoyenneté », Habermas se réfère à une conception essentiellement politique pour penser la citoyenneté européenne « post-nationale » en la dissociant de la nationalité. Il nie vouloir supprimer ce qu’il appelle le « patriotisme national » autrement dit le sentiment qu’éprouve l’individu concret pour son pays qui reste le « lieu de l’affectivité », c’est-à-dire le lieu où l’on partage une même culture et une même histoire. Toutefois, il entend dissocier ce sentiment de l’exercice de la citoyenneté qui devrait, selon lui, s’effectuer dans le cadre européen.
36Cette citoyenneté européenne devrait garder un sens véritablement politique et traduire l’attachement à des valeurs communes aux démocraties européennes telles qu’elles s’expriment à travers l’adhésion aux droits de l’Homme. Il s’agit du fameux concept forgé par Habermas de « patriotisme constitutionnel »43. Un « patriotisme constitutionnel » qui, se référerait ou devrait se référer aux principes abstraits, que formulent les déclarations des droits de l’Homme et l’État de droit. Dans ces conditions, l’espace public européen deviendrait le « lieu de la loi » où pourrait s’enraciner ce « patriotisme constitutionnel ». Le projet, qui inspire visiblement certains courants44, permettrait de dissocier « l’identité nationale, avec ce qu’elle comporte de dimensions historiques, ethniques et culturelles, de la participation civique et politique, fondée sur la rationalité de la loi et les droits de l’Homme. Le sentiment patriotique ne serait plus seulement lié à une nation culturelle et historique particulière. L’idée nationale serait dissociée de la pratique de la citoyenneté »45.
37Il importe de savoir que la notion de « patriotisme constitutionnel » a été élaborée par Habermas dans une perspective spécifiquement allemande pour tenter de penser l’Allemagne vaincue de l’après-guerre. On sait toute la méfiance que pouvait susciter, hors des frontières germaniques, le possible réveil d’un nationalisme allemand et l’on connaît la boutade du général de Gaulle à propos de la partition allemande : « j’aime tellement l’Allemagne que je préfère qu’il y en ait deux ». On sait moins qu’à l’intérieur même des frontières de la République fédérale, le sentiment national fit l’objet de vifs débats. L’attachement à l’identité allemande, aux traditions culturelles et à l’histoire de l’Allemagne faisait peur. En outre, comment pouvait-il se manifester de manière cohérente alors que le pays était coupé en deux ? Dans le contexte de la guerre froide, le rideau de fer ne séparait pas seulement des Landër, mais il distinguait deux sociétés régies par des idéologies incompatibles.
38Dès lors, pour Habermas, c’est autour des valeurs fondamentales de l’ordre constitutionnel que les citoyens de la République fédérale devaient se rassembler. Il écrit que les défenseurs du « patriotisme constitutionnel » devaient « tout faire pour que l’accent soit mis sur l’identification à la nation civique de 1949 en tant qu’elle était porteuse d’une valeur normative propre, afin qu’elle n’ait plus rien à voir avec la prise en considération de valeurs prépolitiques telles que le peuple compris comme communauté historique de destin, la nation comprise comme communauté linguistique et culturelle, voire le système social et économique comme communauté d’aptitude au rendement »46. S’étant félicité de constater à travers des enquêtes sociologiques la « délégitimation du nationalisme allemand », il s’est inquiété quelques années plus tard, lors de la réunification, de ce que la République fédérale dont on avait affirmé qu’elle était une « communauté politique se situant au-delà de l’État-nation », soit renvoyée « à ce passé d’État-nation que ses citoyens avaient cru surmonté »47.
39La citoyenneté habermasienne occupe une place majeure dans le courant des théories de la citoyenneté postnationale qui défendent l’idée d’un pacte social ou d’un « contrat de citoyenneté »48 selon l’expression de Jacqueline Costa-Lascoux. C’est autour de cette dernière notion que se construisent les propositions de découplage de la citoyenneté et de la nationalité, que l’on se place dans le cadre de l’actuel État-nation ou dans celle de l’Europe fédérale49. Pour Jacqueline Costa-Lascoux, les droits de citoyenneté peuvent être accordés à tous, y compris aux étrangers non européens conservant leurs cultures particulières, à condition de prendre un engagement en « faveur de l’adhésion aux valeurs démocratiques ». Les pratiques sociales issues de ces cultures particulières apparaissent légitimes a priori sous la seule réserve de leur compatibilité avec « les principes supranationaux des droits de l’homme »50. On dresse même le catalogue, forcément provisoire, des bonnes pratiques fondées sur « le respect des droits fondamentaux de la personne (notamment la non-discrimination raciale, sexuelle ou religieuse, les droits de l’enfant...), une laïcité reformulée, la contribution généralisée à l’impôt et aux charges sociales »51. On remarquera en passant que la catégorie juridique classique des charges publiques disparaît au profit de celle des charges sociales (dont on chercherait vainement la délimitation et le fondement) et que, pour s’en tenir au cas français, la multiplication des affaires et des polémiques liées au port du « voile islamique » montre que la reformulation consensuelle de la laïcité n’est pas pour demain52. Quoi qu’il en soit, cette approche rencontre et épouse nettement celle de Jürgen Habermas.
40Deux points méritent l’attention. D’une part, l’évidente transposition du modèle du « patriotisme constitutionnel » de l’Allemagne réunifiée vers l’Europe communautaire. D’autre part, pour fonder une communauté politique, Habermas rejette catégoriquement toute référence à ce que l’on appelle la nation ethnique et en appelle à une nation civique purement rationnelle dans une démarche quasiment kantienne. Pourtant, en France, presque au même moment, Dominique Schnapper soutient qu’aucune nation n’est purement « civique », mais que « Toute nation est à la fois civique et ethnique ». Dans La Communauté des citoyens53, elle estime qu’il faut abandonner la traditionnelle opposition, historique et idéologique, que les historien et les penseurs ont fait entre la « nation ethnique » (le Volk allemand) et la « nation civique » (la nation politique française)54. Aussi propose-t-elle plutôt que de séparer l’ethnique et le civique, de les articuler concrètement à travers des institutions qui leur fassent leur place en indiquant que c’est peut-être « sous forme d’inspiration fédérale, comme le suggère Thierry Chopin après d’autres, que pourrait alors s’organiser un espace public européen »55. Un espace qui ne serait pas « la simple extension de l’espace public national mais une entité politique nouvelle qui prendrait pleinement en compte l’existence des nations historiques. C’est ce que firent en leur temps, les Fouding fathers de la Constitution américaine, les États-Unis ayant été construits à la fois comme une communauté de citoyens et comme une fédération d’États »56.
41En toute hypothèse, la fragilité du concept habermasien réside dans sa formulation même. Les droits de l’homme et la rationalité de la loi, fondements du « patriotisme constitutionnel », suffisent-ils à susciter chez les citoyens une adhésion sincère et durable à la communauté politique ? Question d’autant plus difficile à résoudre que Habermas se méfiant de l’enthousiasme qui anime les communautés politiques, il ne lui reste que la raison « communicationnelle » pour maintenir cette adhésion.
- La citoyenneté par la communication entre les sujets
42Pour comprendre comment fonctionne la raison « communicationnelle » pour produire de la citoyenneté, il convient de remonter à l’origine de la démarche habermasienne. Se rangeant du côté des défenseurs de la raison contre ses détracteurs les plus divers (Nietzsche, Léo Strauss, Heidegger, Foucault, etc.), Habermas est contraint d’admettre dès 1963 dans Théorie et pratique, que le naufrage du droit politique moderne, son « épuisement », est celui du paradigme d’une raison centrée sur le sujet57. Il imagine alors qu’en lui substituant « le paradigme de l’intercompréhension, les symptômes d’épuisement doivent (effectivement) disparaître »58. Le penseur de Francfort estime que « dans le domaine social et, notamment, dans la sphère juridico-politique, le travail de la raison est inséparable d’une inter-subjectivité que, pour l’essentiel, médiatisent le langage et, plus précisément, la pratique de la discussion »59. Une discussion comprise comme « le lieu d’excellence où s’entrecroisent le monde vécu et l’action quotidienne de la communication »60. On voit ici comment Habermas, dans un effort de dépassement de Kant, entend contourner le piège de la réflexivité où peut conduire la morale inconditionnée de la raison pratique. À travers la rencontre des subjectivités, l’éthique de la discussion réintroduit une condition dans la recherche de ce qui doit être.
43Comme l’explique fort bien Mme Goyard-Fabre, dans la perspective habermasienne, « le mérite de la raison « communicationnelle » est double : d’une part, elle récuse le solipsisme » dans la mesure où le moi, avec ses sensations et ses sentiments ne peut constituer la seule réalité existante et « la discussion ne peut, à l’évidence, s’enfermer dans la subjectivité (...) ; d’autre part, elle ne réclame pas d’exigences logiques (...) L’inter-subjectivité est nécessairement le champ dans lequel, sur fond d’intégration sociale, la raison « discursive » et « communicationnelle » déploie, à l’intention des autres et en une quête de consensualité, une démarche « procédurale » d’argumentation et de justification »61. Si l’on admet, que la citoyenneté en actes produit de la normativité, la raison communicationnelle trouve sa légitimité en ce qu’elle établit une relation interne entre la genèse et la valeur du droit politique en soumettant ce droit à « l’entente inter-subjective et à la reconnaissance réciproque »62.
44Sur un arrière-plan à la tonalité plus militante, la démarche habermasienne consiste à « refuser « les chemins de l’autorité » politique et la souveraineté du Pouvoir au motif qu’elles expriment le dogmatisme et la domination »63. Simone Goyard-Fabre rappelle que ce refus procède « d’une « raison critique » qui rejette la tonalité « métaphysique » des fondations que la philosophie moderne a assignées au droit politique »64. Cette démarche n’est cependant pas exempte de risque et pourrait même être taxée d’inconséquence en ce qu’elle fait dépendre l’existence de la démocratie de l’inter-subjectivité. Comme l’observe Mme Goyard-Fabre, « À la limite, subordonner le droit politique au consensus social équivaut à l’absence de gouvernement et d’appareil juridique pour réguler la vie sociale : c’est une utopie suicidaire »65. C’est pourquoi, anticipant ces critiques, Habermas souligne que les concepts d’activité communicationnelle et de monde vécu sont complémentaires et que cette complémentarité « rend possible la rationalisation de la condition des hommes (...) à travers les éléments toujours plus différenciés de la culture et de l’espace social »66. Mais cette complémentarité ne se résume-t-elle pas en dernière analyse à un de ces slogans puérils du type « enrichissons-nous de nos différences » ?
45Habermas n’est évidemment pas aussi naïf et trace un schéma plus compliqué qu’il n’y paraît. Dans la perspective « post-moderne » qui est la sienne, « l’espace public politique » ne se réduit pas à « l’autonomie systémique » du Pouvoir ; il est « domestiqué », en un mouvement qui distingue entre ce qui relève de la « régulation » et ce qui relève de « l’inter-compréhension »67. En clair, la régulation normative ne disparaît pas au profit de la communication inter-subjective mais prend appui sur elle et en favorise la continuité. Toutefois, malgré ces précisions, Mme Goyard-Fabre se demande s’il n’est pas périlleux pour le droit politique de se plier, « fût-ce de manière consensuelle, aux pressions des masses plutôt qu’à la souveraineté du peuple et de tenter de répondre (sans pouvoir jamais y parvenir d’ailleurs) aux vœux des consommateurs et des usagers plutôt qu’à l’idéal de la citoyenneté ? »68. Sur le fond, elle s’accorde avec Alasdair McIntyre pour douter « que la raison communicationnelle puisse fonder solidement une conception nouvelle du droit politique »69. En effet, elle avertit que la posture habermasienne implique une distinction radicale entre d’une part la « rationalité instrumentale » monologique et conduisant à l’impasse de la philosophie politique moderne et d’autre part, une « rationalité dialogique » dont le statut demeure pour le moins flou sauf à remettre en « chantier le problème fondamental de la socialité ». Or, sur ce point crucial, Habermas en est réduit à vanter paradoxalement « les mérites du modèle de la Cité grecque »70, la post-modernité se tournant en dernière instance vers la pré-modernité. Finalement, cet appel à l’Antiquité, qui résonne comme un aveu de faiblesse, incite Mme Goyard-Fabre à demander avec une pointe d’ironie : « N’y aurait-il pas dès lors beaucoup de précipitation dans le discours qui proclame l’avènement de la post-modernité ? »71
III - LES RÉQUISITS DE LA CITOYENNETÉ
46On a essayera de mettre à jour ces réquisits en privilégiant une approche réaliste au sens que cet adjectif possède en philosophie politique, et donc en écartant les éventuels présupposés idéalistes autant que les concepts purs a priori. Le premier réquisit consiste en ce que la citoyenneté ne peut être que politique (1), le deuxième, qui prolonge le premier, exprime le besoin d’un lieu où se concrétise la citoyenneté (2), le troisième enfin concerne l’aptitude de la démocratie à susciter le civisme sans lequel il n’est point de citoyen (3).
- La citoyenneté ne peut être que politique
47Pas plus que le suffrage qui en est l’expression concrète la plus emblématique, la citoyenneté ne saurait être accordée de manière universelle. Si tout juriste sait pertinemment que l’expression « suffrage universel » n’a aucun sens, la question de l’attribution ou de la reconnaissance de la citoyenneté semble plus difficile à élucider. Le vocable citoyen apparaît tellement chargé de force symbolique qu’en refuser l’application à une personne ou à une catégorie de personnes est presque assimilé à une violence qui rejetterait les intéressés hors de la société voire de l’humanité. La force des mots est telle que l’individu auquel on ne reconnaît pas hic et nunc la qualité de citoyen, parce qu’il n’en remplit pas les conditions, paraît victime d’une véritable exclusion.
48Or, comme le rappelait Olivier Beaud en 1992, toute société « a besoin de reposer sur un élément d’identification qui inévitablement se révèle un élément de différenciation par rapport à d’autres sociétés. Ainsi, le sentiment d’identification sociale se fait, qu’on le veuille ou non, en partie par opposition à ce que représente autrui. Cette vieille leçon de la philosophie ou de l’anthropologie politique vaut toujours et donc vaut pour nos sociétés contemporaines dont le sentiment communautaire revêt la forme du lien national »72. C’est également l’opinion de Dominique Schnapper qui affirme : « Il faut en effet qu’existe un lieu de l’expression démocratique, il faut un lieu de la décision proprement politique, où s’exprime la volonté démocratique, où l’on décide de la répartition des ressources collectives, où l’on décide de défendre, au besoin par les armes, la collectivité et ses valeurs »73. Au demeurant, c’est moins le modèle national qui est en cause ici, que le principe même de toute construction politique car, « que la citoyenneté découle des droits des personnes ou de l’appartenance à une nation - ou, dans les pays démocratiques, d’une combinaison de l’un et de l’autre -, elle devra toujours être garantie par des institutions et des pouvoirs politiques reconnus comme légitimes. Quel que soit son niveau - national, infra-national ou européen -, il faut un lieu du politique, où se prennent les décisions et les arbitrages et qui dispose des moyens de les imposer »74.
49Dans un sens à peine différent, Carl Schmitt observait dans sa Verfassunglehre de 1928 que les droits démocratiques du citoyen « ne présupposent pas l’individu humain libre dans l’état extra-étatique de « liberté » mais le citoyen (Staatsbürger) vivant dans l’État, le citoyen »75. Ces droits ont, de ce simple, fait un caractère « essentiellement politique »76, car ce sont des droits liés à un status politique77 ou des droits du peuple78.
50Schmitt rappelle fermement que l’égalité de tout « ce qui a figure humaine » ne peut donner « ni un État, ni une forme de gouvernement, ni une forme gouvernementale. On ne peut en tirer ni des distinctions ni des délimitations (Abgrenzung) spécifiques, mais seulement la suppression de distinctions et de frontières (Grenze) ; on ne peut constituer à partir d’elle des institutions d’un genre spécifique, et elle ne peut contribuer qu’à dissoudre et éliminer les distinctions et les institutions qui n’ont plus de force »79.
51Revenant au critérium fondamental de sa définition, le juriste berlinois y puise la justification de l’attribution des droits politiques aux seuls nationaux. Les droits du citoyen ne s’étendent pas aux étrangers, « sinon la communauté et l’unité politique cessent d’exister et on voit disparaître le présupposé essentiel de l’existence politique, la possibilité de la distinction ami-ennemi »80. Mais outre cette raison, fondée sur une définition du politique dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle ne fait pas l’unanimité, le juriste allemand rappelle cette évidence que l’égalité « qui fait partie de l’essence même de la démocratie ne s’applique donc qu’à l’intérieur (d’un État) et pas à l’extérieur : au sein d’un Etat démocratique tous les nationaux sont égaux »81 parce qu’il ne peut y avoir d’égalité qu’à l’intérieur d’une catégorie laquelle n’existe que par sa délimitation82.
52Or, c’est cette égalité démocratique qui est « la condition préalable de toutes les autres égalités : égalité de la loi, égalité de suffrage et de vote, égalité du service militaire, admissibilité égale aux emplois ». Dès lors, le suffrage qualifie universel en tant qu’il est accordé à tous les citoyens « n’est donc pas le contenu de l’égalité démocratique, mais la conséquence d’une égalité présupposée ». C’est seulement dans la mesure où tous les citoyens « sont présupposés égaux qu’ils doivent avoir un suffrage égal, vote égal etc. Ces égalités sont des applications et non l’essence de l’égalité démocratique »83. L’approche réaliste et les antinomies qu’il privilégie toujours dans ses modes de raisonnement le conduisent à soutenir qu’une égalité qui aurait pour seul contenu d’être commune à tous les hommes serait « une égalité apolitique », parce qu’il lui manquerait « le corollaire d’une inégalité possible ». Il insiste fortement sur ce point en affirmant que « Toute égalité tire son importance et son sens de la corrélation avec une inégalité possible (...) Une égalité sans la possibilité d’une inégalité, une égalité que l’on a de soi et que l’on ne peut perdre en aucun cas est sans valeur et indifférente »84. Plus récemment, Dominique Schnapper effectue un constat quasiment analogue en rappelant que la citoyenneté classique se pensait « dans les termes d’une dialectique de l’exclusion et de l’inclusion » parce que « Toute organisation, politique ou non, par définition, inclut les uns et exclut les autres. L’État national démocratique n’échappe pas à cette règle. Il est fondé sur un principe d’inclusion des citoyens et d’exclusion des non-citoyens des pratiques politiques »85. C’est pourquoi, en son temps, Schmitt estimait déjà que la démocratie politique « ne peut donc pas reposer sur l’absence de distinction entre tous les hommes, mais seulement sur l’appartenance à un peuple précis, cette appartenance pouvant être déterminée par des facteurs très divers »86. Et le juriste berlinois de conclure sa démonstration par une formule saisissante : « La notion essentielle de la démocratie, c’est le peuple et non l’humanité »87.
53Schmitt note encore que lorsque l’étranger est traité sur un pied d’égalité, « cela ne porte pas sur les affaires politiques et il s’agit des conséquences des droits universels libéraux dans le domaine apolitique (propriété privée, protection juridique etc.) »88. Dès lors, ce n’est pas en tant que citoyen, mais en tant que sujet de droit, entendu non sous l’angle de la sujétion mais comme titulaire et bénéficiaire de droits-libertés, que l’individu est considéré. Les droits politiques réservés aux seuls citoyens, se distinguent de l’ensemble des droits de l’homme qui concernent tous les individus indistinctement et dont on peut dire que l’homme est le sujet. Le juriste berlinois observe d’ailleurs à cet égard que même la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789 « qui dit d’abord que tous les hommes sont naturellement libres et égaux cesse néanmoins de parler d’« hommes » pour passer au « citoyen » dès qu’elle aborde les droits politiques liés à l’État (art. 6 et 13) »89. On sait que dès les débats de la Constituante, la signification de cette distinction a suscité de nombreuses interrogations chez ceux-là mêmes qui étaient en train de l’adopter avant de se prolonger dans la doctrine publiciste française. Bien des années plus tard, Raymond Aron n’hésitera pas à soutenir que « l’histoire a confirmé la discrimination entre les droits de l’homme et ceux du citoyen. Les droits que la déclaration énumérait appartiennent les uns aux hommes en tant que tels, les autres aux citoyens, donc aux membres d’une collectivité publique »90.
- Le lieu de concrétisation de la citoyenneté : résistance du fait national
54Dominique Schnapper soutient qu’en raison de la construction de l’Europe, « la relation entre nationalité et citoyenneté est aujourd’hui au cœur du débat démocratique, ce qui explique la passion dont elle est chargée, alors que l’idéologie dominante est devenue volontiers anti-nationale »91. Or, le fait est qu’« Il existe un lien historique entre la citoyenneté et la nation »92 puisque aussi bien, le combat démocratique, « tout au long du xixe et du xxe siècle, consista à revendiquer que la citoyenneté coïncidât avec la nationalité »93 et que dans tous les mouvements d’indépendance « en Europe et en Amérique aux xviiie et xxe siècles, en Afrique et en Asie au xxe, la revendication de l’indépendance nationale ne se séparait pas de l’affirmation de la citoyenneté »94. C’est pourquoi, il n’est pas exagéré d’affirmer que « La démocratie est née sous forme nationale »95
55Certes, Mme Schnapper admet que ce lien historique n’est « ni logique, ni nécessaire », car ce sont « les nationalismes du xixe siècle et la philosophie sociale qui les accompagnait qui ont posé le principe que la nationalité et la citoyenneté devaient être confondues ». Dès lors, on ne voit pas pourquoi aujourd’hui la citoyenneté ne s’exercerait pas « au niveau infra-national ou au niveau supra-national ? » dans la mesure où nous venons de voir qu’entre la nation et la citoyenneté, « le lien n’est pas logique mais historique ». Mais, précisément, « c’est un fait historique que nous ne pouvons juger sans importance et sans signification »96. Cela explique que « Si tous les peuples européens se réfèrent au principe de citoyenneté, les pratiques et les institutions par lesquelles ce principe organise concrètement la vie politique varient d’un pays à l’autre selon l’histoire de la formation de l’État et de la nation ». C’est ce qui amène Dominique Schnapper à préciser que « Tout ce qui donne une réalité concrète au principe de citoyenneté a toujours été et reste, pour l’instant, national »97.
56Elle doute d’ailleurs que l’évolution soit aussi avancée que ne le proclament les théoriciens de la nouvelle citoyenneté. Yasemin Soysal admet elle-même que les modes d’intégrations des étrangers restent largement nationaux au sens où ces étrangers sont partiellement « acculturés à la société nationale à laquelle ils participent ». Dominique Schnapper soutient que leurs enfants, « en nombre croissant, prennent la nationalité du pays dans lequel ils sont installés », contrairement à ce que semblent montrer les enquêtes, et elle suggère non sans raison que « si leur rapport à la nation est plus instrumental que dans le passé, c’est qu’ils participent à une évolution de l’ensemble des sociétés nationales ». Elle en conclut que la nation, « lieu de socialisation, de continuité historique et d’identité collective », garde plus de force que ne le pensent « les théoriciens des diverses formes de « nouvelle citoyenneté », justement sensibles à la nouveauté des phénomènes transnationaux ». Mme Schnapper n’hésite pas à prendre position en jugeant que « La politique européenne devrait pleinement prendre en compte les réalités nationales, non les nier »98. Or, il convient de noter que la dite politique européenne est imprégnée tout à la fois d’une vision des droits de l’homme hostile à l’État-nation et d’une culture politico-juridique caractéristique de l’Europe du Nord, marqué sans doute par le protestantisme, très éloignée du modèle romano-canonique propre aux pays latins et catholiques qui culmine dans la conception française de l’État-nation. C’est un peu ce qu’illustre Bertrand Pauvert lorsqu’il estime que l’ouverture à tous de la qualité de citoyen entraîne « ipso facto la fin du modèle républicain et français du citoyen » et que « l’Homme-citoyen annonce bien la mort du Citoyen prométhéen créé par la République », en ajoutant que, la citoyenneté de résidence « traduit un projet politique dont le sens n’est cohérent qu’avec la conception civile de l’administration municipale qui prévaut culturellement dans l’Europe anglo-saxonne et l’Europe du Nord »99.
57Par ailleurs, si l’on examine la question du rapport entre l’Europe et le citoyen, il faut reconnaître que « pour l’instant, il n’existe pas juridiquement de citoyenneté européenne indépendante de la citoyenneté nationale »100. Et, pour répondre aux partisans d’une conception économique et sociale de la citoyenneté, il suffit de constater qu’il n’existe pas dans l’Europe communautaire une relation d’imputation, et encore moins de causalité, entre les droits de l’homme et les droits politiques. En effet, « même si l’Union accorde les mêmes droits économiques et sociaux à travers tout l’espace communautaire non seulement aux citoyens des nations qu’elle regroupe mais aussi aux étrangers qui y sont régulièrement installés, la citoyenneté politique ne se déduit pas, pour l’instant, du fait qu’ils sont titulaires de ces droits civils et sociaux »101.
- L’aptitude de la démocratie à susciter le civisme
58Dans les dernières pages d’un article d’une très grande richesse, Dominique Schnapper aborde des questions simples - elles pourraient même paraître simplistes -, mais qui ne peuvent demeurer sans réponse.
59La première s’adresse à la construction de Jürgen Habermas et consiste à se demander jusqu’à quel point l’adhésion intellectuelle à des principes abstraits - respect des droits de l’Homme et de l’État de droit, « patriotisme constitutionnel » - peut remplacer, « en tout cas dans l’avenir prévisible, la mobilisation politique et affective que suscite l’intériorisation de la tradition politique et culturelle nationale ? »102. D’un point de vue pratique, « Peut-on intégrer les hommes par des idées aussi respectables que l’État de droit et le « patriotisme constitutionnel », mais aussi abstraites ? Peut-on concevoir dans un avenir proche une politique qui ne prenne pas sa source dans l’ensemble des valeurs, des traditions et des institutions spécifiques qui définissent une nation politique ? ». Répondant implicitement, mais sans ambiguïté, par la négative, l’auteur craint que ce refus systématique de tenir compte des ressorts les plus profonds de la citoyenneté ne rende « encore plus fragiles des sociétés démocratiques qui sont déjà de moins en moins politiques ? »103. Car enfin, il faut se garder d’oublier que les sociétés humaines « ne sont pas constituées de sujets de droits ou de citoyens, mais d’individus concrets avec leurs passions et leurs fidélités particulières »104. La deuxième question vise plutôt les partisans de la nouvelle citoyenneté auxquels on ne fera pas obligatoirement crédit de leurs affirmations : « peut-on adhérer sans réticence - demande Mme Schnapper - à l’idée de citoyenneté-résidence et à la célébration de la nouvelle citoyenneté des personnes et à l’épuisement de la citoyenneté nationale « classique » ? »105. Elle remarque notamment que « l’argumentaire des partisans de la citoyenneté-résidence » soulève « des interrogations fondamentales sur l’organisation politique et sur le fondement de sa légitimité ». Car, l’attribution sans condition de la citoyenneté « à tous ceux qui sont présents sur le sol national », pour la seule et unique raison qu’ils participent de fait à la société, « impliquerait de remettre en cause le principe de transcendance par le politique qui est au fondement de la citoyenneté. Les sociétés humaines, mêmes démocratiques, mêmes modernes ou post-modernes, peuvent-elles évacuer la dimension proprement politique ? Peuvent-elles être réduites aux seuls intérêts aux seuls intérêts matériels, à la seule participation concrète à la vie économique, en évacuant toute transcendance et tout projet politiques ? Comment pourraient-elles, dans ce cas, arbitrer entre les intérêts des individus et des groupes qui sont par nature divergents ou opposés, mobiliser les énergies contre un péril extérieur ? Où et comment s’exprimerait la volonté démocratique, la volonté de se défendre ? »106.
60En quelques lignes, les thèmes fondamentaux de la citoyenneté sont mis en évidence. D’abord, la transcendance par le politique que les conceptions contemporaines paraissent vouloir mettre en cause comme d’ailleurs toute transcendance sous l’accusation de renvoyer - horresco referens - à une vision métaphysique du monde. Ensuite, la possibilité de surmonter les conflits internes en faisant prévaloir l’intérêt collectif sur les intérêts particuliers. Car, si l’on fait disparaître la référence affective au passé, à la culture et à l’ensemble des éléments qui font la spécificité du groupe, au nom de quoi va-t-on prétendre imposer des obligations à ses membres ? La vertu du citoyen, le civisme, consiste à surmonter l’égoïsme, à accepter des contraintes, et même des sacrifices au nom de l’intérêt supérieur de la res publica, ce qui implique que celle-ci soit axiologiquement donnée comme supérieure. Une société politique qui a l’individu, sujet des droits de l’homme, comme fin ultime peut-elle survivre en tant que société politique ? Très trivialement, comment par exemple faire admettre aux citoyens de fournir un effort de solidarité si aucun élément politique - et non pas moral -ne leur permet de se sentir effectivement solidaires ? Pour Dominique Schnapper, la solidarité entre les hommes « vient de ce qu’ils forment une « communauté de citoyens ». Sinon, au nom de quoi certains acceptent-ils qu’une partie des richesses qu’ils produisent soient transférées à d’autres ? Au nom de quoi seraient-ils prêts, éventuellement, à prendre des risques personnels pour défendre la communauté des citoyens à laquelle ils se sentent appartenir ? »107. Or, cette communauté de citoyens ne saurait s’étendre indistinctement à toute l’espèce humaine au nom de droits universels c’est-à-dire revendicables par tous au besoin contre la communauté.
61Enfin, last but not least, si le citoyen, plus imprégné de Hobbes et de Locke que de Rousseau, songe avant tout à la préservation de ses droits à commencer par celui de vivre, comment acceptera-t-il de risquer cette vie, le cas échéant, pour défendre la res publica ? La réponse est dépourvue d’ambiguïté : « Pas plus que la citoyenneté, la défense n’est nécessairement nationale, mais la volonté de se défendre et d’affirmer les valeurs collectives doit exister, au niveau national ou au niveau européen. Dans l’histoire, les entités politiques qui n’ont pas affirmé leurs propres valeurs et ne se sont pas mobilisées pour les défendre, au besoin les armes à la main, ont connu des destins tragiques »108.
Notes de bas de page
1 E. Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes. T. 1 Economie, parenté, société, Ed. de Minuit, 1969, p. 367.
2 « comme le remarque Thucydide : « l’akrópolis (« citadelle ») est encore appelée jusqu’à maintenant pólis par les Athéniens » (II, 15). Tel était le sens préhistorique du mot, d’après ses correspondants védique pür « citadelle » et lithuanien pilís « Burg, château-fort », E. Benveniste, op. cit., p. 367.
3 « Le nom de la « ville », urbs, est d’origine inconnue ; on a conjecturé - sans preuve d’ailleurs - qu’il viendrait de l’étrusque. Toujours est-il que, désignant la « ville », urbs n’est pas corrélatif de gr. pólis, mais de àstu (αστυ), dont il a calqué les nuances de sens dans ses dérivés : urbanus « de la ville » (contraire de rusticus « de la campagne »), d’où « fin poli » d’après gr. asteîos », E. Benveniste, ibid.
4 E. Benveniste, ibid.
5 Il s’agit du projet élaboré par la « Convention pour l’avenir de l’Europe » sous la présidence de M. Valéry Giscard d’Estaing ; projet dont on ne saurait dire encore à sa lecture s’il recèle la constitution d’un Etat fédéral au sens du droit constitutionnel, d’un simple traité « constitutif » au sens du droit international ou d’autre chose comme on le lit parfois.
6 M. Walzer, « Citizenship », Political Innovation and Conceptual Change, T. Ball, J. Farr, R. Hanson eds., Cambridge, Cambridge UP, 1989, ch. 10, p. 211.
7 J.-J. Rousseau, Contrat social, 1, I, ch. VI.
8 Cette expression renvoie à la distinction de Mario Losano entre système « a quo » et système « ad quem », où le droit se présente soit comme un ordonnancement - système ou ordre - donné institutionnellement (système « a quo »), soit au contraire comme le résultat d’un travail permanent de la doctrine et de la jurisprudence (système « ad quem »), v. notamment M. Losano, Sistema e struttura nel diritto, Torino, 1968. Un rappel éclairant de cette distinction se trouve dans un article récent de Christophe Grzegorczyk, « Ordre juridique comme réalité », Droits. Revue française de théorie juridique, PUF, n° 35/2, « Ordre juridique », pp. 103 s. Sur la synonymie entre ordre et système, et sur leur valeur opératoire on renverra à l’introduction d’une étude déjà ancienne, S. Caporal, L’affirmation du principe d’égalité dans le droit public de la Révolution française (1789-1799), Economica PUAM, 1995, pp. 13-14.
9 V. sur ce point M. Villey, « La genèse du droit subjectif chez Guillaume d’Occam », Archives de Philosophie du droit, vol. IX, 1964 et Seize essais de philosophie du droit dont un sur la crise universitaire, Dalloz, 1969, coll. philosophie du droit, pp. 140 s.
10 Th. Hobbes, Léviathan, trad. fr. F. Tricaud, éd. Dalloz, 1999, ch. XXIX, p. 356.
11 Th. Hobbes, De Civi, 1642, trad. fr. Du Citoyen, Lib. Général Fr., 1996. A v. notamment sur ce point l’introduction de Gérard Mairet.
12 Dans les conjectures sur les commencements de l’histoire humaine, Pléiade, II, p. 509 AK, VIII. p. 133 et la Critique de la faculté de juger, §3, Pléiade, II, pp. 1232-1234 ; AK, V, pp. 429-431, apparaissent les concepts de « fin dernière » (letzer Zweck) et de « but final » (Endzweck). On ne cherchera pas à élucider ici la question de la différence entre les deux concepts qui a donné lieu à débat entre J.-M. Beyssade et A. Renaut dans le Bulletin de la Société française de philosophie, A. Colin, juil-sept., p. 120 s.
13 Détour au demeurant modeste puisqu’on a examiné seulement quatre des huit acceptions différentes recensées dans le Vocabulaire de la philosophie de Lalande.
14 Xénophon, Hiéron, figure notamment en introduction de l’essai de Léo Strauss, De la tyrannie, NRF, 1954, traduit de l’anglais par Hélène Kern et suivi de l’article en réponse d’Alexandre Kojève, « Tyrannie et sagesse ».
15 A. Touraine, Critique de la modernité, Paris, Fayard, 1992, pp. 380-381.
16 V. notamment D. Schnapper, La communauté des citoyens. Sur l’idée moderne de nation, Paris, Gallimard, nrf/Essais, 1994 ainsi que « Comment penser la citoyenneté moderne », Philosophie politique, n° 8, La Nation, PUF, 1997, pp. 9 s. et enfin, « Citoyenneté et nationalité à l’épreuve de la construction européenne », Nationalité et citoyenneté, nouvelle donne d’un espace européen, Centre d’Etudes et de Prévision, SIRP, n° 5, mai 2002, pp. 175 s. ce dernier article reprenant largement la problématique du précédent en l’approfondissant.
17 D. Schnapper, « Comment penser la citoyenneté moderne », p. 11.
18 D. Schnapper rappelle que ces thèmes ont été développés par de nombreux auteurs mais que l’« on en trouvera une formulation particulièrement claire dans Elizabeth Meehan, Citizenship and the European communauty, Londres, Sage, 1993, D. Schnapper, « Citoyenneté et nationalité... », p. 179.
19 D. Schnapper, « Citoyenneté et nationalité... », p. 180.
20 Ibid.
21 Op. cit., pp. 181-182.
22 Op. cit., p. 182.
23 Ibid
24 Op. cit., p. 180.
25 Op. cit., p. 181.
26 CEDH, 23/03/95, Loizidou, A/310, §75 cité in C. Picheral, L’ordre public européen. Droit communautaire et droit européen des droits de l’homme, La Documentation française, coll. Monde européen et international, Paris, 2001, p. 15.
27 D. Schnapper, op. cit., p. 184.
28 Le royaume de France, si l’on excepte l’épisode des guerres de religion, intègre plus aisément les différences que la République démocratique. Il se donne par exemple un premier ministre italien avec Mazarin ou un généralissime allemand avec le maréchal de Saxe.
29 D. Schnapper, op. cit., p. 185.
30 B. Pauvert, « La nationalité comme fondement du suffrage, - pérennité ou obsolescence d’un concept ? », actes du Colloque de Grenoble avril 1998, Les droits de l’homme et le suffrage universel, sous la direction de Jean-Luc Chabot et Gérard Chianéa, L’Harmattan, 2000, pp. 43 s.
31 Op. cit., p. 47.
32 Op. cit., p. 55.
33 D. Schnapper, op. cit., p. 184.
34 B. Pauvert, op. cit., p. 55. Ailleurs, Bertrand Pauvert développe ce thème à partir d’une des lectures possible de la Déclaration de 1789 : « si l’acceptation initiale et individuelle du contrat justifie l’autorité du souverain sur la société, les étrangers ont aussi conclu le contrat puisqu’ils sont soumis à cette autorité ; si cela n’était pas le cas, la garantie des droits posée par la Déclaration (art. 16) ne serait pas assurée. Ainsi, le Souverain tire son autorité non plus de la nation-Etat, mais du corps des hommes-citoyens, membres de la société et il n’est plus possible de fonder l’exclusion d’un droit sur la nationalité. Accorder le suffrage à tous, permet à quiconque réside en un territoire déterminé, d’exercer ses droits d’homme et de citoyen, pour concourir à l’expression de la volonté générale et à la formation de la loi. Le suffrage ne saurait reposer sur la nationalité, chacun possédant les droits du citoyen ; en votant l’homme exerce un de ses droits naturels et le suffrage devient une exigence sociale, car la société qui bafoue ce droit nie ce fondement. Le droit de suffrage devient la garantie de l’assentiment des hommes aux décisions voulues par la volonté générale et assure une marche régulière de la société », op. cit. p. 47.
35 O. Le Cour Grandmaison, « Immigration, politique et citoyenneté : sur quelques arguments », O. Le Cour Grandmaison et C. Withol de Wenden (dir.), Les étrangers dans la cité. Expériences européennes, Paris, La Découverte, 1993, p. 102, cité in extenso par D. Schnapper, « Comment penser la citoyenneté moderne », p. 18.
36 C. Withol de Wenden, Citoyenneté, nationalité et immigration, Paris, Arcantère, 1987, pp. 71-73.
37 D. Schnapper, op. cit., p. 183.
38 D. Schnapper, Ibid. Tomas Hammar, European immigration policy, Cambridge University Press, 1985 et « State, nation and dual citizenship », William R. Brubacker (dir.), Immigration and the politics of citizenship in Europe and North America, Lanham, New York, University Press of America, 1989, p. 83.
39 D. Schnapper, op. cit., p. 183. Cite p. 182 note 6 Yasemine Nuhoglu Soysal, Limits of citizenship. Migrants and postnational membership in Europe, Chicago & Londres, The University of Chicago Press, 1994.
40 D. Schnapper, op. cit., p. 181.
41 V. sur ce point S. Caporal, « Citoyenneté et nationalité en droit public interne », De la citoyenneté, Paris, Litec, 1995, pp. 59 s. et p. 68.
42 J. Habermas, Après l’Etat-nation. Une nouvelle constellation politique, Fayard, 2000, trad. fr. par Rainer Rochlitz.
43 J. Habermas, Ecrits politiques, Flammarion, 1990, notamment pp. 303-344.
44 Sur ces courant v. S. Caporal, « Constitution et Europe. Discours et doctrines », La Constitution dans la pensée politique, PUAM, 2002, pp. 401 et s.
45 D. Schnapper, op. cit., p. 186.
46 J. Habermas, Écrits politiques, Flammarion, 1990, p. 324.
47 J. Habermas, op. cit., p. 326.
48 D. Schnapper, « Comment penser la citoyenneté moderne », p. 20.
49 Pour un aperçu de cette démarche v. l’essai précité Après l’État-nation.
50 J. Costa-Lascoux, « L’étranger dans la nation », Raison présente, n° 106, 1992, pp. 79-93 cite in D. Schnapper, op. cit., pp. 20-21.
51 J. Costa-Lascoux, « Vers une Europe des citoyens », in J. Costa-Lascoux et Patrick Weil (dir.), Logiques d’États et immigrations, Kimé, 1992, p. 292.
52 Au moment même où l’on écrit ces lignes, l’adoption en première lecture par l’Assemblée nationale du projet de loi sur l’interdiction des signes religieux à l’école suscite de vives polémiques et de nombreuses manifestations révélatrices de clivages irréductibles dans la société française entendue globalement
53 D. Schnapper, La Communauté des citoyens, ouvrage précit.
54 D. Schnapper, « Citoyenneté et nationalité... », p. 187 note 14.
55 Thierry Chopin, « Fédération et démocratie en Europe », Commentaire, n° 86, été 1999, pp. 377-388 cité in D. Schnapper, op. cit., p. 187 note 15.
56 Op. cit., pp. 187-188.
57 J. Habermas, Theorie und praxis. Sozial-philosophische Studien, 1963 et 1971, trad. fr. 2de éd. Théorie et pratique, Payot, 1975.
58 J. Habermas, Le discours philosophique de la modernité. Douze conférences, 1985 ; trad. fr., Gallimard, 1988, ch. I.
59 S. Goyard-Fabre, Les principes philosophiques du droit politique moderne, Puf, 1997, p. 393.
60 Ibid.
61 Ibid. V. aussi dans le même sens S. Goyard-Fabre, Critique de la raison juridique, PUF, 2003, p. 28.
62 S. Goyard-Fabre, op. cit., p. 394 n. 1 rappelle à cet égard que Jürgen Habermas a vue dans l’opinion publique, dès sa thèse (Strukturwandel der Öffentlichkeit, 1962), une dimension constitutive des sociétés.
63 S. Goyard-Fabre, op. cit., p. 395.
64 Ibid.
65 Ibid.
66 Ibid.
67 Ibid.
68 Op. cit., p. 396.
69 S. Goyard-Fabre, op. cit., p. 396 et n. 1 qui cite A. McIntyre, After Virtue, Londres, 1981, et Whose Justice ? Wich Rationality ?, University Notre-Dame Press, 1988, les deux ouvrages ont été publiés en France aux Puf dans la collection Léviathan Après la vertu, 1995 et Quelle justice ? Quelle rationalité ?, 1993.
70 J. Habermas, L’espace public, trad. fr. de Strukturwandel der Öffentlichkeit, Payot, 1978, pp. 15-16.
71 S. Goyard-Fabre, op. cit., p. 396.
72 O. Beaud, « Le droit de vote des étrangers : l’apport de la jurisprudence constitutionnelle allemande à une théorie du droit de suffrage », RFDA 1992, p. 416.
73 D. Schnapper, op. cit., p. 176.
74 Op. cit., pp. 188-189.
75 En français dans le texte NdT. Aussi bien, contrairement aux droits fondamentaux de l’individu, les droits du citoyen ne peuvent pas être illimités.
76 C. Schmitt, Théorie de la Constitution, trad. L. Déroche, préface O. Beaud, PUF, Léviathan, 1993, Verfassunglehre, Duncker & Humblot, Berlin, 1928 et 1989, p. 306.
77 Georg Jellinek, Allgemeine Staatslehre, 3e éd. allemande (Théorie générale de l’Etat) ; L’Etat moderne et son droit, trad. G. Fardis, Paris, 1911-1913.
78 Fleiner, Schweizericsches Bundestaatsrecht, p. 288.
79 C. Schmitt, op. cit., p. 364.
80 Op. cit., p. 306.
81 Op. cit., p. 365. De même, sous l’angle des obligations pesant sur le citoyen, il rappelle que « Les devoirs fondamentaux ne sont pas des devoirs de l’humanité en général, mais seulement des devoirs des nationaux », op. cit., p. 312.
82 Pour un salutaire rappel de cette évidence, v. J. Rivero, « Rapport sur les notions d’égalité et de discrimination en droit public français », Les notions d’égalité et de discrimination en droit interne et en droit international, Travaux de l’Association Henri Capitant des amis de la culture juridique française, t. XIV, 1961-1962, Paris, Dalloz, 1965, pp. 350-351 et dans un sens proche L. Sfez, Leçons sur l’égalité, Paris, FNSP, 1984, p. 24.
83 C. Schmitt, op. cit., p. 366.
84 Op. cit., p. 365.
85 D. Schnapper, op. cit., p. 185.
86 C. Schmitt, op. cit., p. 365.
87 Op. cit., p. 371.
88 Op. cit., p. 365.
89 Ibid
90 R. Aron, « Une citoyenneté multinationale est-elle possible ? », Commentaire, hiver 1991, n° 56, p. 702 et « Is multinational citizenship possible ? », Social Research, XLI, 4, p. 640. La convergence des analyses de C. Schmitt et R Aron ne surprendra que ceux qui se bornent à opposer le passé nazi du juriste allemand au libéralisme et à la judéité du grand intellectuel français. Le père de Dominique Schnapper qui y fait plusieurs références dans ses Mémoires parues chez Julliard en 1983 rappelait déjà dans une lettre du 24 août 1963 avoir « toujours eu horreur de (s’) ériger en juge ». Sur les relations entre les deux hommes et la confrontation de leurs points de vue, on renverra à l’étude récente de P. Muller, Carl Schmitt et les intellectuels français. La réception de Carl Schmitt en France, éd. FAEHC, Mulhouse, 2003. L’auteur, qui a travaillé à partir de multiples sources et notamment la bibliothèque universitaire de Bâle, entend montrer que les années sombres du berlinois ne justifient pas la « reductio ad hitlerum » d’un engagement qu’il estime « limité et obéré de nombreuses arrières-pensées ». Il se laisse parfois aller à rompre des lances pour mettre fin à ce qu’il appelle « les incompréhensions et les déformations » et considère la plupart des schmittiens comme étant de bonne foi (ce qui n’est peut-être pas toujours certain) selon l’adage in dubio pro reo, mais il n’en fournit pas moins un éclairage fort intéressant et utile assorti d’une solide documentation sur les « préoccupations voisines » des deux hommes.
91 D. Schnapper, op. cit., p. 177.
92 Op. cit., p. 175.
93 Ibid.
94 Ibid.
95 Ibid.
96 Ibid.
97 Op. cit., p. 178.
98 Op. cit., p. 188.
99 B. Pauvert, op. cit., p. 54.
100 D. Schnapper, op. cit., p. 177.
101 Ibid.
102 Op. cit., p. 187.
103 Ibid.
104 Ibid.
105 Op. cit., p. 188.
106 Ibid.
107 Op. cit., p. 189.
108 Ibid.
Auteur
Professeur à l’Université de Saint-Etienne Doyen de la Faculté de Droit
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