L’accession des indigènes à la citoyenneté entre assimilation et réformisme : les mesures légales prises par l’Italie et la France en 19191
p. 393-420
Texte intégral
1L’Italie et la France avaient en commun un lien « privilégié » avec certaines de leurs possessions : l’Algérie pour la France, la Tripolitaine et la Cyrénaïque2 pour l’Italie. Cette relation résultait notamment de la proximité géographique de ces colonies3, de l’implantation réelle ou désirée de colons métropolitains et des espoirs mis dans leurs populations, placées dans la hiérarchie coloniale comme étant parmi les plus « évoluées » ou « civilisées »4.
2En 1919, l’Italie était une jeune puissance coloniale5 et son contrôle sur ses territoires d’Afrique du Nord demeurait mal assuré6. Pour cette raison et à cause des promesses faites aux populations locales de préserver leurs droits, elle se proposait de réaliser une nouvelle politique. Ce pays se voulait un modèle en matière coloniale à une période où les systèmes français et anglais montraient leurs limites7.
3À la sortie de la Première Guerre Mondiale, la question du statut des indigènes sujets et protégés se posa pour la France : il fallait récompenser ceux qui avaient combattu. Parallèlement, la remise en cause du phénomène colonial au niveau international nécessitait une amélioration de la condition juridique des indigènes8, voire la recherche d’une action innovante en la matière.
4La France avait une plus longue expérience des populations arabo-musulmanes. Or, celle-ci enseignait l’échec de ce qui à tort était nommé la « naturalisation » des indigènes, c’est-à-dire leur accession à la citoyenneté9. Ces demandes d’accession à la citoyenneté avaient été minimes depuis que le sénatus-consulte de 1865 les avait autorisées10. Les raisons invoquées prioritairement furent, à l’époque, le refus de l’indigène d’abandonner son statut personnel, l’attitude de l’administration et la lourdeur de la procédure. L’Italie et la France tentèrent de résoudre ces difficultés au moyen d’une politique ambivalente qui se voulait progressiste sans abandonner le système assimilationniste11. Certains projets précédant la loi du 4 février 1919 laissaient présager un tournant en la matière. En réalité, ces projets échouèrent tandis que l’Italie expérimentait un système mixte plus libéral.
I - L’ACCESSION DES INDIGÈNES À LA CITOYENNETÉ OPTIMO IURE
5L’accession à la citoyenneté optimo iure des indigènes avait déjà été instaurée par la France dans ses colonies. À l’inverse, l’Italie était novice dans ce domaine ce qui explique que sur le fond et la forme, elle s’inspira largement de la loi du 4 février 191912 dans ses décrets-lois des 1er juin et 31 octobre de la même année13.
- La tradition assimilationniste française (1865-1919)
6La loi de 1919 s’inscrivait dans une tradition d’accès à la citoyenneté des indigènes qui remontait au sénatus-consulte du 14 juillet 186514 et au Décret Crémieux du 24 octobre 187015.
7Lorsque pour la première fois, le gouvernement français donna la possibilité aux indigènes musulmans et Israélites d’Algérie d’obtenir la citoyenneté, celle-ci fut envisagée comme un privilège et les conditions afférentes étaient, à lire les décrets des 21 avril 186616 et 5 février 186817, relativement longues et complexes.
8L’indigène devait se présenter personnellement devant le maire de sa commune ou le chef du bureau arabe de sa circonscription. Il formait devant l’officier d’état public sa requête18 accompagnée d’une déclaration selon laquelle il s’engageait à être régi par les lois de la République française. Pour que sa demande soit recevable, l’indigène devait prouver qu’il avait 21 ans accomplis en présentant un acte de naissance ou un acte de notoriété dressé par le juge de paix ou le cadi sur l’attestation de quatre témoins. En pratique, il fallait si possible que ce dernier prouve une résidence d’un an dans la localité où la demande était formée afin que l’enquête de l’administration sur la moralité et les antécédents du demandeur soit considérée comme sérieuse19. Le général commandant la province et le Gouverneur de la colonie donnaient leurs avis. Enfin, le ministre de la justice faisait son rapport sur le dossier devant le Conseil d’État et un décret devait suivre. Pour l’indigène qui servait sous les drapeaux, l’unique différence dans la procédure concernait le procès-verbal de la requête. Celui-ci était dressé par le chef de corps ou l’officier supérieur commandant le détachement dans lequel l’indigène était intégré, pour être ensuite transmis au général commandant la province, accompagné de l’état des services du demandeur et d’un certificat relatif à sa moralité et à sa conduite.
9Dans le but d’obtenir les meilleurs résultats possibles, les autorités françaises cherchèrent dans une certaine mesure à limiter les difficultés que pouvaient rencontrer les demandeurs. Le décret du 5 février 1868 précisait dans son article premier que les actes de notoriétés que devait produire l’indigène étaient délivrés en brevet et dispensés d’homologation. Lorsque le demandeur était indigent, ses actes étaient exonérés de timbre et enregistrés sans frais. Les preuves concernant l’époque de la naissance et la durée de résidence dans la localité pouvaient être enregistrées sur le même acte devant le même juge de paix ou le même cadi. Lorsque l’indigène se trouvait dans l’incapacité de produire les quatre témoins nécessaires pour justifier de la durée de résidence dans la localité, il pouvait faire appel au magistrat qui y suppléait en s’appuyant sur les renseignements dont il disposait. Les autorités françaises tentèrent tout au long de la période coloniale de limiter les frais de justice des indigènes20, de rationaliser21 et de simplifier la procédure lorsque les distances s’avéraient handicapantes22. Elles étaient poussées dans cette démarche par les comparaisons que les indigènes pouvaient faire avec le système précédant l’occupation, où les frais de justice étaient réduits23.
10L’accession à la citoyenneté avait des effets - selon l’interprétation la plus courante du sénatus-consulte – individuels. Toutefois, une partie de la jurisprudence et de la doctrine n’en tinrent pas compte. Ainsi, en accédant à la citoyenneté, il était possible que l’indigène modifie involontairement la qualité de sa femme et de ses enfants mineurs. Lorsque le mariage était postérieur à l’accession à la citoyenneté, les enfants nés de l’union étaient généralement soumis au droit français. La Cour de Cassation adopta définitivement cette solution en l’élargissant à l’ensemble des enfants mineurs du nouveau citoyen nés avant ou après son changement de qualité24. Elle justifia sa décision en s’appuyant sur l’analogie entre la qualité d’étranger et de sujet national français. Cette technique, qui permettait au juge d’appliquer des articles du code civil et certaines lois aux indigènes sans que leur statut ne l’autorise, pouvait paradoxalement25 servir la politique d’assimilation juridique française. Lorsque le mariage était antérieur à l’accession à la citoyenneté, la doctrine et la jurisprudence ne s’entendaient pas sur la question du statut de l’épouse26. Selon une partie de la doctrine27 et de la jurisprudence28, appuyée par les autorités françaises29, toute la famille accédait à la citoyenneté au nom de sa nécessaire homogénéité juridique. D’un point de vue politique, la préférence pour la politique assimilatrice dirigeait ce choix, en particulier dans les années 1880.
11Dans le sénatus-consulte, il apparaît clairement que l’accession à la citoyenneté ne peut exister sans l’abandon du statut personnel indigène30 et que le but du législateur n’est pas d’imposer à l’indigène la citoyenneté française -donc la perte de son statut d’origine -, mais bien de lui offrir un choix.
12Or, ces deux fondements du texte de 1865 furent radicalement remis en question. Le lien nécessaire entre citoyenneté et abandon du statut personnel indigène était contredit par les premiers projets de « naturalisation dans le statut »31. Quant à la conception selon laquelle l’accession à la citoyenneté et le changement de statut étaient un choix, elle fut purement et simplement reniée par le Décret Crémieux du 24 octobre 1870.
13Avec le décret Crémieux, tous « les Israélites indigènes des départements de l’Algérie [étaient] déclarés citoyens français. ». Cependant, le décret du 7 octobre 187132 allait largement compliquer cette accession. Il interprétait le décret Crémieux de façon restrictive en imposant un délai et des conditions très précises aux Israélites pour s’inscrire sur des listes électorales. Ceux-ci devaient faire la preuve de leur naissance en Algérie avant l’occupation française, ou après, si leurs parents étaient établis en Algérie à l’époque où elle s’était produite33. Or, cette preuve pouvait être attestée : « soit par la production d’un acte de naissance, soit par sept personnes demeurant en Algérie depuis dix ans au moins, soit par toute autre preuve que le juge de paix admettra comme suffisante »34. La production d’un acte de naissance devait se faire, comme les autres preuves, dans un délai de vingt jours35. Cela s’avérait difficile à réaliser pour tout Israélite né dans une ville qui n’était pas celle où il résidait au moment du décret. Là encore, l’équation entre le nombre de témoins requis (sept) et le peu de temps imparti compliquait la tâche des demandeurs. En définitive, la solution pouvait reposer sur l’avis du juge de paix, ce qui laissait une assez grande marge d’incertitude. En cas de refus du juge de paix, l’Israélite avait trois jours pour se pourvoir devant le tribunal de l’arrondissement qui devait tenir audience dans un nouveau délai de trois jours au maximum afin de statuer en dernier ressort36.
14De plus, le décret de 1871 donnait la définition officielle du terme « indigène »37 dont le sens n’avait pas été précisé dans le décret Crémieux. Étaient considérés comme tels, les Israélites nés en Algérie avant la conquête ou nés plus tard de parents établis en Algérie lors de la conquête38. Cette définition devait restreindre la portée du décret de 1870, bien que cette affirmation soit à nuancer selon Eugène Audinet lorsque la solution proposée est comparée à celle du droit international39. Cette législation, non conforme à la tradition juridique du code civil, renouait avec les coutumes d’Ancien Régime en réintroduisant le droit du sol40.
15Une partie de la doctrine allait également l’interpréter dans un sens restreint de façon à ce que cette accession soit limitée dans le temps et l’espace en arguant que le Décret Crémieux n’avait été que la somme de « 35000 naturalisations individuelles » à une date précise. Là encore, cette thèse fut accréditée au plus haut niveau de l’État ainsi que par les tribunaux.
16Qu’en était-il finalement de la tradition française en Algérie ? Elle se caractérisait par une possible accession à la citoyenneté optimo iure. Ce changement de qualité était volontaire ou involontaire. D’une certaine façon, les règles touchant l’accession à la citoyenneté étaient « instables » puisqu’elles pouvaient être réinterprétées par une jurisprudence souvent partagée, mais influente dans ce milieu colonial. Enfin, la procédure à suivre, très proche des règles du droit de la nationalité pour les étrangers, était complexe. Du point de vue strictement légal, la loi de 1919 se rapprochait davantage des caractéristiques principales du sénatus-consulte de 1865 puisque dans les deux cas, l’accession était volontaire, individuelle et impliquait l’acquisition du statut personnel français.
17La loi de 1919 prévoyait de faciliter cet accès à la citoyenneté, mais également - de façon apparemment paradoxale - de renforcer le nombre de conditions auquel devait répondre le requérant.
18Les difficultés rencontrées par les indigènes étaient liées à l’esprit du droit de la nationalité français. Le modèle d’accession reposait en grande partie sur celui auquel les étrangers devaient se soumettre. Parce que l’intégrité de la nation pouvait en dépendre, le chef de l’État statuait en dernier lieu. Les indigènes d’Algérie français étaient en principe dans une situation différente puisqu’ils étaient des nationaux. Toutefois, certains auteurs ne manquèrent pas de souligner que le danger était quasi-similaire dans les deux cas. Ainsi, Élie-Edmond Azoulay dans sa thèse affirmait :
« ...des considérations particulières liées à l’organisation politique d’un pays, à la disproportion numérique de la masse des sujets par rapport à l’ensemble des nationaux, tirées du danger que pourrait faire courir à la colonie la présence d’une majorité de citoyens de la veille mûs uniquement par des calculs d’intérêts ou d’intrigues, peu aptes à sentir le bienfait qui leur serait concédé, sont de nature à faire hésiter le législateur dans l’attribution de droit et sur demande de la qualité de citoyen : la faveur du Chef de l’État armé d’un pouvoir discrétionnaire rendant impossible tout recours contentieux contre sa décision, inhérente à la naturalisation individuelle, retrouve encore ici, mais pour des raisons spéciales, toute sa justification »41.
19Les craintes des autorités sur place concernaient essentiellement la manipulation du vote politique. On retrouve ces arguments de façon récurrente dans les documents d’archives. Le Préfet du Département de Constantine en 1917 affirmait ainsi dans une lettre-rapport adressée au Gouverneur général :
« En se faisant inscrire sur les listes électorales françaises, les uns et les autres n’auront d’autre but que de constituer un bloc de naturalisés contre celui des Français d’origine. N’y-a-t-il pas, dans cette éventualité, un péril très menaçant pour l’influence française ? Ne peut-on craindre que, tôt ou tard, grâce à des déclarations en nombre suffisant, ces néo-français ne s’emparent des municipalités des communes rurales et ne chassent [les Français d’origine] des mairies après les avoir expulsés des terres de colonisation ? (...). J’estime, pour ma part, que la naturalisation qui élève le simple sujet musulman, à la qualité de Français, qui lui confère tous les droits civils et politiques, est une mesure très grave. Par suite, avant de la concéder, il doit appartenir à l’administration de vérifier si, au-dessus des conditions officielles, il n’existe pas des raisons de moralité, d’ordre, d’intérêt public, qui s’opposent à ce que l’intéressé soit adopté par la nation française ; s’il n’y a pas quelque motif de craindre que ce titre qu’il ambitionne ne soit par lui compromis ou souillé. C’est là, pour elle, une prérogative dont l’exercice est prédominant et sacré »42.
20La peur de l’étranger, complotant éventuellement avec l’indigène, se retrouve également dans ce type de correspondance comme le montre notamment une missive du Préfet du Département d’Oran en 1917 :
« Voilà une disposition qui peut avoir les plus graves conséquences pour la vie communale en Algérie. On peut être sûr que dans toutes les localités où l’élément étranger ou Israélite, joint à l’élément indigène sera suffisant pour constituer la majorité électorale, l’accord se fera entre ces deux parties pour écraser le troisième, celui des français de race. Le danger de l’envahissement par les étrangers de certaines régions de la colonie a préoccupé assez sérieusement les pouvoirs publics pour que ce péril ne soit pas rendu encore plus redoutable par l’entrée des indigènes dans nos luttes électorales. (...). L’étranger ne nous aime pas, l’indigène ne nous aime guère, il est donc à craindre qu’ils s’accordent pour lutter contre nous, et qu’ils ne créent toutes sortes d’embarras à l’administration et aux français d’origine »43.
21Le législateur tenta malgré ces craintes de faciliter l’accession de l’indigène à la citoyenneté française. Il était motivé essentiellement par l’échec du sénatus-consulte de 1865.
22L’administration était souvent pointée du doigt par les Parlementaires comme responsable, en partie, du chiffre relativement faible d’accessions à la citoyenneté44. Toutefois on ne peut affirmer que les témoignages vont tous en ce sens puisque des députés radicaux et socialistes, comme Albin Rozet, Georges Leygues, Doizy, Lucien Millevoye faisaient preuve en 1915 d’un jugement moins catégorique sur cette institution :
« Et si nous ne doutons pas que l’administration actuelle de l’Algérie n’ait tendance à favoriser les naturalisations, nous pouvons affirmer, sans crainte de nous tromper, qu’il n’en a pas toujours été de même. Les administrations des protectorats n’ont pas toujours été sans mériter les mêmes reproches que l’ancienne administration algérienne »45.
23Afin de remédier à ces abus, la loi de 1919 substituait dans l’instruction de la demande l’autorité judiciaire à l’autorité administrative.
24Le rôle du juge était de vérifier que les conditions requises avaient été remplies par l’indigène. Les pièces déposées étaient ensuite transmises au tribunal civil de l’arrondissement, avec avis donné au Gouverneur général et au Procureur de la République. Ceux-ci pouvaient faire opposition dans un délai de deux mois à partir de la demande de l’enregistrement de la requête au greffe, mais uniquement si l’une des conditions prévues par la loi n’était pas remplie. Après un délai maximum d’un mois, le tribunal devait statuer sur cette opposition. S’il donnait raison à l’indigène, il restait comme dernier recours au Gouverneur général, pour faire échouer la décision du tribunal, de présenter un arrêté pris en Conseil de gouvernement et approuvé par le Ministre de l’Intérieur, uniquement pour cause d’indignité46. Dans ce cas, la demande ne pouvait être renouvelée qu’après un délai de cinq ans. Contre la décision du tribunal était également ouvert à l’intéressé, comme au Procureur de la République, un pourvoi en cassation à caractère suspensif.
25Ce texte n’avait donc pas été motivé uniquement par un souci de faire échapper la procédure à l’administration. La volonté de raccourcir le temps des réponses aux demandes d’accession à la citoyenneté et le souhait de donner une possibilité supplémentaire à la requête d’aboutir - avec le droit de recours contre une décision défavorable des autorités françaises - étaient également des objectifs de la loi de 1919. En outre, cette dernière divergeait du sénatus-consulte de 1865 sur un point très important : la possibilité d’accéder à la citoyenneté n’était pas une faveur, mais un droit véritable conféré à l’indigène. Ce changement de conception allait nécessiter un renforcement des conditions d’accession à la citoyenneté. D’un côté, la loi de 1919 allégeait la procédure, de l’autre, elle la renforçait.
26Cette facilitation était donc largement à nuancer car la loi de 1919 introduisait des conditions qui n’existaient pas dans le sénatus-consulte de 1865. L’âge du requérant devait être au minimum de 25 ans alors qu’il était de 21 ans pour le sénatus-consulte. Il devait en outre remplir une des conditions suivantes : avoir servi dans l’armée française ou avoir eu un fils ayant pris part à une campagne de guerre ; savoir lire et écrire le français ; être propriétaire, fermier ou être inscrit au rôle des patentes ; être titulaire ou l’avoir été d’une fonction publique, d’un mandat électif ou d’une décoration ; être marié avec ou né d’un indigène devenu citoyen français. Ces dispositions écartaient certains individus qui pouvaient alors demander à accéder à la citoyenneté au moyen du sénatus-consulte.
27La loi de 1919 était également restrictive d’un point de vue territorial. L’étendue de son application, selon l’article 16 et contrairement au sénatus-consulte, se limitait au territoire civil de l’Algérie. Les indigènes nés et domiciliés dans les territoires de commandement et les territoires du Sud ne pouvaient y avoir recours47, ce que confirmaient des instructions pour l’application de la loi du 4 février 1919 insérées au Journal Officiel du 27 décembre 191948 qui précisaient toutefois « que cela ne doit s’entendre que des Indigènes qui sont nés dans ces territoires et qui y ont conservé leur domicile ». Les indigènes nés en territoire civil et habitant le territoire militaire pouvaient faire appel à la loi de 1919 pour des raisons d’égalité puisque la circulaire indiquait que « le fait qu’ils [aient] établi leur domicile en territoire militaire ne saurait leur faire perdre une faculté que la loi reconnaît expressément à tout indigène algérien domicilié en France, ou dans une colonie française ou dans un pays de protectorat »49. De même, les indigènes « nés dans les territoires soumis au régime du commandement, mais domiciliés dans une commune mixte ou une commune de plein exercice du territoire civil, et réunissant les conditions imposées par l’article 2 » pouvaient recourir à la loi de 191950. Cela indique que les indigènes algériens domiciliés en France bénéficiaient de cette loi s’ils étaient nés en Algérie.
28L’accession était aménagée pour une autre catégorie d’individus : la femme de l’indigène qui accédait à la citoyenneté après son mariage. L’alinéa final de l’article 2 précisait qu’elle pouvait demander à s’associer à la requête de son mari. Le projet présenté par Marius Moutet51 et, à la suite, la loi de 1919 ne suivaient donc pas entièrement sur ce point la jurisprudence favorable à l’assimilation de la condition de la femme à celle de son mari. Ils se rangeaient à l’esprit du sénatus-consulte de 1865 et aux conclusions de la Cour de Cassation dans son arrêt du 30 décembre 190752. Une circulaire du Ministre de l’Intérieur explicitait les modalités à suivre pour l’épouse53. L’enfant majeur avait également la possibilité de s’associer à la demande de son père lorsque celui-ci réalisait ses démarches. Pour la doctrine, le fait que l’article premier ne se prononçât pas sur l’enfant mineur signifiait que la loi entendait « implicitement attribuer d’office aux mineurs la condition du pere »54.
29Ces restrictions furent le résultat d’une volonté du législateur d’empêcher que l’accession à la citoyenneté devienne trop facile – puisqu’elle était un droit – et soit, de la sorte, instrumentalisée.
30Quelques mois après la loi du 4 février 1919, deux décrets réorganisaient l’accession à la citoyenneté des indigènes de Tripolitaine et de Cyrénaïque. La coïncidence des dates a-t-elle eu une influence sur le contenu des mesures ?
- La législation italienne : entre particularisme et influence française
31L’influence du texte français se fit sentir à propos des conditions obligatoires et facultatives à remplir par le requérant. Toutefois, certaines nuances existent entre les deux législations et révèlent des préoccupations parfois divergentes.
32Cicchitti affirmait en 1924 à propos des décrets du 1er juin et 31 octobre 1919 : « ces normes sont toutes calquées sur l’article 2 de la loi française du 4 février 1919, non seulement substantiellement mais aussi dans leur énonciation formelle »55. À ce témoignage, il faut ajouter la similarité absolue dans la rédaction de certains articles et la preuve – fournie par les archives – que les autorités gouvernementales étaient, en 191856, informées très précisément de la teneur des différents projets français précédant la loi du 4 février.
33Si l’on observe quelles étaient, de façon générale, les conditions obligatoires dans les deux législations, on relève qu’effectivement dans tous les cas, il fallait être majeur, monogame ou célibataire, n’avoir aucune condamnation pour délits qui entraîne la perte des droits politiques, et enfin avoir une résidence habituelle prouvée sur le territoire colonial et/ou métropolitain depuis un certain nombre d’années57.
34Dans les décrets italiens, la femme d’un indigène devenu citoyen italien pouvait – comme dans le texte français – s’associer à la requête de son mari sans qu’un changement de qualité ne lui soit, par conséquent, imposé. Les Italiens rompaient ainsi avec le principe d’assimilation familiale présent dans la loi du 13 juin 1912 pour la naturalisation des étrangers58.
35Les conditions d’accession facultatives possédaient elles-mêmes des ressemblances frappantes. Dans les deux cas, un certain niveau d’éducation ou une participation dans l’armée française ou italienne pouvaient être requis. Les trois dernières conditions mentionnées par les décrets italiens, c’est-à-dire avoir été investi d’une fonction publique, d’un mandat public électif ou avoir reçu une décoration du gouvernement, étaient des traductions littérales de la loi française. La dernière condition, « être né d’un citoyen libyen devenu citoyen métropolitain, quand le requérant avait déjà 21 ans passés », s’inspirait largement du texte français. Pourtant des différences demeuraient. Que révèlent-elles ?
36L’accession à la citoyenneté était un acte solennel qui nécessitait une certaine maturité pour le législateur français. Pour cette raison, il avait choisi un âge relativement avancé, 25 ans, pour pouvoir effectuer une demande, contre 21 ans pour les Italiens.
37La loi française semblait toutefois plus libérale sur un seul point. Elle imposait deux années de résidence sur le territoire algérien, en France ou dans une colonie ou un protectorat français, tandis qu’en accord avec leur législation sur la naturalisation des étrangers, les Italiens imposaient cinq années de résidence uniquement en Italie, en Tripolitaine ou en Cyrénaïque. Pourtant cette libéralité doit être largement nuancée, parce que, d’une part, l’application de la loi concernait uniquement une partie de l’Algérie, et que d’autre part, la loi française imposait de rester dans la même commune, contrairement à la loi italienne.
38En imposant la résidence dans la même commune, les nomades étaient catégoriquement exclus de l’accession à la citoyenneté. Particularité liée à la tradition juridique française de la Révolution, le vagabondage était associé à un manque de garantie morale, comme le notait en 1917 le Préfet du Département d’Oran : « Le but de cette condition est d’écarter de l’électorat indigène les individus non pourvus d’un domicile et qui, en raison de leur état de vagabondage ne présenteraient pas de garanties morales suffisantes »59.
39À côté des réformes concernant la possibilité d’accéder à la pleine citoyenneté française et italienne, les deux pays tentèrent de mettre en place de nouvelles solutions pour résoudre le problème de l’intégration de l’indigène sans qu’il n’ait à se départir de son statut personnel.
40Le statut personnel était en effet considéré par de très nombreux commentateurs de l’époque comme le véritable obstacle à l’accession à la citoyenneté des indigènes musulmans, attachés à ses règles d’essence religieuse. Un rapport rédigé par Marcel Morand nuançait cette vision, présentant l’importance que le statut personnel musulman conférait à l’homme comme la véritable raison du refus de l’indigène d’abandonner ses règles :
« Ce n’est point, en effet, quoi qu’on en ait dit, la religion qui constitue le grand obstacle à l’assimilation des indigènes. Les dogmes fondamentaux de l’Islam n’ont rien d’inconciliable avec notre organisation politique ou sociale. Le véritable obstacle, il est justement dans ce statut personnel que l’on va permettre à l’indigène citoyen de conserver. Ce à quoi l’indigène ne veut pas renoncer, c’est à sa conception du mariage ; c’est à la répudiation ; c’est à la polygamie ; c’est à l’infériorité de la femme en matière successorale et c’est au droit qu’il a de reléguer celle-ci au gynécée. Et s’il ne veut pas y renoncer, ce n’est pas uniquement, comme on le dit quelquefois, parce qu’il hésite à enfreindre sa loi religieuse et qu’il répugne au sacrilège, -puisqu’il ne craint point d’éluder cette loi quand elle le gêne (l’institution des habous, notamment, n’a pas d’autre raison d’être à l’heure actuelle) ; puisque le kabyle, pour qui toutes ces institutions sont d’origine coutumière et non point religieuse, n’a pas manifesté plus d’empressement que l’arabe pour la naturalisation du Sénatus-Consulte de 1865 ; - s’il ne veut pas y renoncer, c’est surtout parce qu’il lui faudrait abdiquer sa supériorité de mâle, s’imposer un sacrifice dans lequel il voit une véritable déchéance »60.
41Face à ce problème, les solutions furent de trois ordres : la création d’une citoyenneté intermédiaire propre à la colonie comportant des droits civils et politiques importants, tout en préservant le respect du statut personnel ; l’octroi de droits politiques aux indigènes sujets, donc des droits séparés de la citoyenneté ; et enfin, la « naturalisation dans le statut ».
II - DES SOLUTIONS LIBÉRALES AUX RÉSULTATS INÉGAUX
42La France échoua à imposer une solution novatrice, tandis qu’à l’inverse l’Italie appliqua une politique libérale dans la question de la relation entre citoyenneté et statut personnel des indigènes.
- L’échec de la politique novatrice française
43Les déclarations des autorités politiques pouvaient laisser penser que la loi de 1919 instaurerait le principe de « naturalisation dans le statut »61. Mais face à une forte opposition, la solution d’un augment des droits des indigènes avec le statut personnel et sans la citoyenneté fut préférée.
44La première proposition officielle qui fut faite en ce sens date de 188762 et fut présentée par Michelin et Gaulier qui déposèrent une proposition de loi pour les Musulmans analogue au Décret Crémieux, mais qui, au contraire de ce dernier, prévoyait la conservation du statut personnel musulman. Ce fut sans doute un des rares projets correspondant exactement à la définition de la « naturalisation dans le statut » puisque les indigènes nationaux accédaient à la citoyenneté pleine tout en conservant leur statut personnel d’origine63.
45En 1890, Alfred Martineau déposait à la Chambre des Députés une proposition de loi64 qui ouvrait une possibilité d’accession à la citoyenneté soit collective et obligatoire, soit facultative. Dans les communes où la population composée de citoyens français était plus importante que la population indigène sujette, les indigènes musulmans devenaient citoyens d’office et de plein droit. Dans les autres communes, la qualité de citoyen était accessible sur demande, en vertu du sénatus-consulte de 1865 ou même de plano pour les indigènes répondant à certaines conditions (avoir servi dans l’armée, exercé une fonction publique, etc.). Le statut personnel d’origine était maintenu pour certains de ces indigènes65. Dans tous les cas, les droits politiques pouvaient être exceptionnellement limités66. La motivation de la différenciation entre les communes à majorité citoyenne et à majorité sujette s’expliquait par la peur des débordements et de la mainmise indigène sur des mandats électifs.
46Après ce nouvel échec, les tentatives de « naturalisation dans le statut » furent abandonnées au profit de projets concernant essentiellement les indigènes militaires. En 1895, par exemple, Bazille67 soumettait à la Chambre une proposition de loi qui prévoyait que les officiers indigènes des spahis et des tirailleurs devaient obtenir d’office la qualité de citoyen français, tandis que les sous-officiers et les soldats de ces corps pouvaient en faire la demande68. La proposition Rozet, Leygues, Doizy, Millevoy69 consistait, elle, à faciliter l’accession à la citoyenneté uniquement pour les militaires et anciens militaires indigènes d’Algérie, de Tunisie et du Maroc. Cette accession pouvait se faire sur simple demande, à condition d’avoir 21 ans révolus, d’être monogame et de présenter un certificat de bonne conduite. L’accession – qui impliquait d’abandonner son statut – se faisait alors automatiquement sur décret du Conseil d’État. Bluysen reprenait une proposition du même type en l’étendant aux militaires et anciens militaires des colonies et pays de protectorats70.
47D’autres projets, enfin, précédèrent de peu la loi de 1919. Ces projets n’étaient pas aussi radicaux que les premiers projets de « naturalisation dans le statut », mais ils concédaient la conservation de certains avantages du statut personnel d’origine ou prévoyaient des aménagements juridiques. Ainsi, avec le projet Boussenot et Outrey71, le nouveau citoyen qui avait épousé plusieurs femmes avant d’accéder à la citoyenneté voyait ses mariages considérés comme putatifs. Violette72 enfin, proposait d’instaurer une qualité de « demi-citoyen » qui avait pour effet d’affranchir le sujet du code de l’indigénat et de le faire jouir de droits politiques limités.
48La proposition Lagrodillière, Grodet, Boisneuf, Candace, Boussenot, Gasparin, Diagne, Outrey était très proche de ce qu’allait être l’esprit de la loi de 1919 puisque son objectif principal était de « faciliter les naturalisations individuelles de nos sujets en transformant en droit ce qui n’était pour eux, jusqu’ici, qu’une possibilité dépendant du bon plaisir ou des caprices de l’arbitraire administratif »73. L’autorité judiciaire remplaçait donc l’administration. Les conditions obligatoires consistaient à faire une demande, à connaître la langue française et à ne jamais avoir été condamné. Cette proposition s’inspirait également de la « naturalisation dans le statut » du fait qu’elle autorisait l’indigène polygame à demander à accéder à la citoyenneté74. Enfin, elle prévoyait des droits politiques supplémentaires pour les indigènes qui ne désiraient pas accéder à la citoyenneté en créant un électorat spécial et en augmentant le nombre des élus. Le dernier projet – la proposition Doizy – s’axait principalement autour des droits des indigènes en dehors de la citoyenneté puisqu’il avait pour objectif une extension de la représentation indigène avec la participation des élus indigènes à l’élection des délégués sénatoriaux et des députés et une amélioration de l’électorat avec la constitution de djemâas dans les douars des communes mixtes du territoire civil.
49« L’électorat dans le statut » prenait clairement le pas sur la « naturalisation dans le statut ».
50La loi de 1919 doit beaucoup à ces différents projets qui envisageaient soit un augment des droits politiques hors de la citoyenneté, soit une « naturalisation dans le statut » qui a de rares exceptions près n’en étaient plus une.
51La proposition Moutet, qui inspira largement la loi de 1919, prévoyait d’accorder aux indigènes musulmans une forme limitée de « naturalisation dans le statut »75. Son principe même avait été relancé par une enquête publiée par la Revue Indigène en 191176 où des juristes de renom furent interrogés. Celle-ci inspira le rapport Moutet dans lequel elle était reproduite. La grande majorité des juristes qui y donnèrent leur avis acceptaient le principe même s’ils lui posaient des limites plus ou moins restrictives selon les cas. Ainsi Rouard de Card, Professeur à la Faculté de Toulouse, était favorable à une demi-citoyenneté (« demi-naturalisation ») qui comportait la conservation du statut personnel à condition que l’ensemble des indigènes musulmans soit soumis à ce système. Pour Arthur Giraud, Professeur à l’Université de Poitiers, elle constituait une possibilité mais n’était absolument pas recommandable. Audinet, Professeur à la Faculté d’Aix-en-Provence, était favorable à la « naturalisation dans le statut » du moment qu’elle était individuelle, tout en laissant au Gouvernement le droit de s’opposer par vote à l’accession d’un indigène à la citoyenneté pour cause d’indignité. De Bœck, Professeur à l’Université de Bordeaux, ne voyait pas d’obstacle à appliquer la « naturalisation dans le statut » aux indigènes algériens comme aux Tunisiens. Le fait que les conflits de lois engendrés par la « naturalisation dans le statut » ne soient pas particulièrement stigmatisés par ces juristes est sans doute lié à la présence des internationalistes en leur sein77. Il leur paraissait logique de résoudre les conflits de lois par analogie avec les solutions du droit international78.
52Toutefois, en observant attentivement ces avis, il apparaît que la majorité de ces auteurs s’accordait sur la création de deux types de citoyennetés, l’une pleine, obligeant à une renonciation à son statut personnel, l’autre, minus plena, permettant de garder son statut et impliquant une certaine infériorité politique. Il ne s’agissait donc pas d’une véritable « naturalisation dans le statut ». Rouard de Card fait une distinction très nette entre « demi-naturalisation » et accession à la citoyenneté optimo iure, cette dernière ne pouvant s’accompagner que d’un abandon du statut personnel indigène79. Pour Giraud, l’augment des droits politiques comme l’obligation du service militaire pouvaient être imposés sans pour cela les faire dépendre de la citoyenneté. Audinet bien que favorable globalement au principe, perçoit deux écueils à sa réalisation : le service militaire que les indigènes refuseront – selon lui– de faire80 et la gestion du changement de statut à chaque changement de religion qui implique, de plus, une dépendance du statut civil envers le statut religieux, principe contraire au droit public français81.
53Finalement, le projet de « naturalisation dans le statut » ne fut pas retenu. A la lecture des commentateurs de l’époque, diverses raisons peuvent expliquer ce rejet : l’inégalité civile qu’elle engendrait, les conflits de lois inextricables et la confrontation entre deux civilisations ou deux droits trop différents.
54Deux arguments se retrouvent en ce sens, tous deux reposant sur la tradition juridique de la France et sur les mœurs qui y étaient observés. Le premier consistait à affirmer que les principes qui allaient régir le statut personnel de la « citoyenne » musulmane étaient contraires aux règles du code civil82. Le second argument était qu’un statut religieux allait déterminer un changement de statut civil, principe une fois encore antithétique avec le droit français, d’autant que la France avait mis des siècles à s’extraire de l’influence catholique sur son droit :
« Toute l’histoire de France représente un long passé d’efforts et de luttes pour reléguer les religions dans le domaine de la conscience et pour libérer la vie civile des influences religieuses. Nous avons soumis à cette politique la religion catholique à qui nous avons arraché à travers les siècles, la justice, la vie civile, la naissance, le mariage, nous avons prononcé une séparation définitive de la loi et de l’église et aujourd’hui par une singulière contradiction, nous irions consacrer la main mise d’une religion étroite, dogmatique, révélée sur une notable partie de la vie d’un citoyen »83.
55Au-delà de ces arguments, la critique était adressée à un changement de politique : auparavant, le droit musulman était adapté au droit civil français, avec la « naturalisation dans le statut », l’inverse se produisait. Certains craignaient que ce système n’empêchât toute assimilation. Le rapport intitulé « Contribution à l’étude des réformes concernant la situation politique et économique des indigènes algériens » l’indiquait clairement :
« Dès lors, si l’on autorise l’indigène à réclamer la qualité de citoyen sans exiger qu’il renonce à tout ce qui l’éloigné de nous, il ne faut plus compter que jamais il se rapproche. À quoi bon ce rapprochement s’il lui est permis de recueillir tous les bénéfices sans s’imposer les sacrifices qu’il est exigé ? »84
56La peur d’être submergé par les nouveaux citoyens remontait également à la surface, notamment chez les colons et dans l’administration. Ils s’opposèrent d’ailleurs à la loi de 1919 pour ces mêmes raisons. Les droits politiques qu’elle donnait aux indigènes nationaux dans son second volet leur paraissaient une atteinte au contrôle qu’ils exerçaient dans la colonie.
57Cet augment des droits politiques se traduisit par l’extension de l’électorat et de la représentation dans les assemblées où siégeaient également des citoyens français ainsi que dans les assemblées où siégeaient uniquement des sujets.
58Dans le premier cas, la réforme concernait les conseils municipaux85 et les commissions municipales, les conseils généraux et les délégations financières. Le point le plus controversé concernant les conseils municipaux résidait dans le fait que les conseillers indigènes qui en faisaient partie participaient dorénavant à l’élection du maire. Déjà en 1916, le Gouverneur Général d’Algérie indiquait au Ministre de l’Intérieur qu’il s’agissait d’une atteinte à la souveraineté française :
« Cette liberté de peser sur la nomination des Maires n’est pas compatible avec la souveraineté française car d’après la théorie à laquelle nous restons fermement attachés, la souveraineté française ne peut être exercée directement et indirectement que par les citoyens français »86
59Les conseillers généraux indigènes musulmans pour leur part n’étaient plus élus essentiellement par un corps restreint composé de conseillers municipaux indigènes, de membres indigènes des commissions municipales et des chefs des kharoubas de l’arrondissement de Tizi-Ouzou. Il était reproché à ce système de faire élire les conseillers par des personnes non indépendantes de l’administration. Avec la loi de 1919, le corps électoral était étendu puisqu’il comprenait tous les électeurs inscrits sur les listes des communes de plein exercice de la circonscription, tous les membres indigènes des commissions municipales et des djemâas des communes mixtes. En outre, le nombre des conseillers au titre indigène était accru et un citoyen français avait la possibilité d’être élu délégué au titre indigène.
60Les délégations financières connaissaient une réorganisation similaire : le corps électoral du territoire civil était étendu, le nombre de délégués indigènes augmenté et un citoyen français pouvait être élu délégué au titre indigène.
61Ces mesures avaient clairement pour but d’accroître la représentation indigène et l’électorat pour encourager les indigènes à participer à la vie politique française. Elles visaient également à empêcher les concentrations de pouvoir qui engendraient du clientélisme ainsi que la formation de potentats locaux. Dans cette optique, la loi du 4 février 1919 prévoyait une incompatibilité absolue entre les mandats de conseiller municipal général et de délégué financier, et les fonctions de caïd, agha, bach agha, secrétaire de commune mixte, de sous-préfecture, garde champêtre, garde forestier, agent de police de commune mixte.
62Les mesures concernant la représentation des indigènes dans leurs propres assemblées répondaient à un but différent, correspondant à la définition de la politique d’association : celui de « faire évoluer l’indigène dans sa civilisation ». Cela se fit par la reconstitution des djemâas et des douars dans les communes de plein exercice et des douars de commune mixte. Le décret du 6 février 1919 redonnait à la djemâa le pouvoir de délibérer relativement à la gestion des biens et pour toutes les affaires concernant l’administration du douar. En cas de désaccord entre la djemâa et le conseil municipal, le préfet devait approuver la délibération du conseil pour qu’elle soit exécutoire. La djemâa avait alors la possibilité de se pourvoir devant le Gouverneur général contre la décision préfectorale. Dans les communes mixtes, les djemâas eurent toujours une existence légale, mais leurs représentants étaient nommés et en très faible nombre. La loi du 4 février modifiait cette organisation en substituant des membres élus aux membres nommés et donnait au président le droit de participer aux délibérations de la commission municipale.
63Les indigènes algériens bénéficiaient d’autres mesures. Ainsi tandis qu’avec la législation précédente, l’indigène ne pouvait accéder qu’à certaines fonctions énumérées limitativement, l’article 14 de la loi du 4 février 1919 instaurait un régime inverse qui faisait de cet accès la généralité tandis que l’exception résidait dans « la liste des fonctions d’autorité » qui ne pouvaient être exercées que par des citoyens français.
64Enfin, la loi du 4 février 1919 réduisait le régime pénal particulier aux indigènes en disposant dans son article 14 que les « électeurs ne pouvaient être condamnés en ce qui concerne les contraventions et les délits, que pour les mêmes faits et par les mêmes tribunaux que les citoyens français sous réserve des mesures spéciales édictées pour la protection et la conservation des forêts par la loi du 21 février 1903 et des dispositions de la loi du 14 juillet 1914 relatives à la mise en surveillance spéciale ». Toutefois, la loi du 4 août 1920 revenait sur cette acquisition : les sujets électeurs retombaient en effet dans le régime de l’indigénat s’ils encouraient une condamnation à une peine supérieure à trois mois d’emprisonnement pour crime ou délit et ils devaient se soumettre concernant le commerce des armes de guerre et la détention des munitions au décret du 12 décembre 1851.
65Le législateur de 1919 n’opta donc pas pour la « naturalisation dans le statut » mais pour un augment limité des droits politiques.
66L’Italie ne fut pas confrontée à une opposition similaire à celle que le gouvernement français rencontra à la suite de la première version du projet de loi de 1919. Les promesses faites dès l’occupation et les conditions de légitimation de l’autorité italienne87, la difficulté de pacifier la Tripolitaine et la Cyrénaïque pendant la Première Guerre Mondiale88, son expérience coloniale récente, le faible peuplement italien de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque et la volonté de s’affirmer dans un contexte international plus réceptif à la situation des populations colonisées, la poussèrent à réaliser un véritable projet d’augment des droits, plus avancé que la loi du 4 février 1919.
- Une politique italienne libérale
67Les Italiens créèrent légalement un type particulier de citoyenneté qui n’avait pas les avantages de la citoyenneté métropolitaine, mais permettait la conservation du statut personnel. Elle s’accompagnait de droits individuels et politiques importants, réservés aux citoyens coloniaux musulmans de Tripolitaine et de Cyrénaïque.
68Les décrets des 1er juin et 31 octobre 1919 abolissaient la sujétion. La « citoyenneté italienne de Tripolitaine et de Cyrénaïque »89 pouvait s’acquérir par de nombreux moyens, ce qui facilitait son accessibilité. Elle reposait sur le droit du sol90 ou le droit du sang91 et l’indigène y accédait également par mariage92.
69Cette citoyenneté coloniale s’accompagnait d’un augment significatif des droits politiques et des libertés personnelles.
70À côté du traditionnel respect du statut personnel et successoral, de la religion et des coutumes locales, la liberté individuelle –sauf cas prévus par la loi en vigueur en Italie– des citoyens libyens était préservée. Leurs biens étaient protégés par les principes d’inviolabilité du domicile93 et de la propriété94. Les indigènes avaient le droit d’exercer une profession sur le territoire métropolitain à condition de posséder les titres nécessaires. Peut-être à la suite des recommandations faites par Gaetano Mosca devant le Sénat, l’accès à certaines fonctions fut élargi dans la colonie95 puisque les indigènes purent accéder aux charges de juge, chancelier, secrétaire ou officier judiciaire96.
71Au point de vue politique, ils bénéficiaient d’un droit électoral actif et passif, dans les conditions prévues par l’ordonnancement spécial, et du droit de pétition au Parlement national. De plus, citoyens italiens de la colonie et citoyens italiens métropolitains étaient égaux indistinctement devant la loi. La liberté de déplacement était également prévue puisque les citoyens libyens jouissaient du droit de séjour et du droit d’émigration dans les conditions prévues par la loi. Leur liberté d’expression (liberté de presse et de réunion) était aussi garantie.
72Les citoyens italiens coloniaux étaient exemptés du service militaire obligatoire tandis que des forces armées locales composées de volontaires devaient être constituées. Les personnes résidant ou ayant des intérêts en Tripolitaine étaient exemptées de tout impôt direct du Trésor Public qui n’avait pas de caractère général et qui n’avait pas été consenti par le Parlement local, avec des modalités d’application et de distribution établies par ce même Parlement, les entrées correspondantes étant réservées aux besoins de la Tripolitaine.
73Sur le plan de l’éducation, la liberté de l’enseignement privé était garantie, l’instruction primaire était obligatoire – mais uniquement pour les Musulmans de sexe masculin – et l’instruction secondaire et supérieure, sous la responsabilité du gouvernement, était facultative. Les Musulmans recevaient leurs cours en arabe dans les écoles privées, et dans le secondaire les matières scientifiques étaient enseignées dans cette même langue. L’enseignement de la langue italienne était obligatoire dans toutes les écoles, sauf dans les trois premières classes de l’élémentaire où il était seulement facultatif. Enfin, l’enseignement pour les Musulmans de principes qui contrastaient avec leur religion était exclu.
74Plus généralement, les langues italienne et arabe étaient placées sur un pied d’égalité en Tripolitaine et en Cyrénaïque, ce qui impliquait que l’une comme l’autre puissent être utilisées dans les actes officiels. Cela nécessitait en outre que les lois italiennes qui devaient être observées par les citoyens de Tripolitaine et de Cyrénaïque soient rédigées dans les deux langues.
75Diverses raisons expliquent les mesures prises par l’Italie. Ainsi en est-il de ses désillusions d’après-guerre97 et de sa volonté de montrer l’exemple en matière coloniale en se forgeant l’image du « bon colonisateur ». Dans sa réponse à Gaetano Mosca, le rapporteur Del Giudice affirmait devant le Sénat lors du débat sur la conversion en lois des décrets des 1er juin et 31 octobre 1919 :
« Je remarquerai seulement cela : l’Italie qui est la nation la plus pauvre en colonies, a donné avec les statuts concédés à la Tripolitaine et à la Cyrénaïque, un exemple de traitement libéral par lequel elle a surpassé le traitement des puissances plus riches en colonies, et même de l’Angleterre qui pourtant fait preuve de largesse en matière d’autonomie coloniale »98.
76Une autre raison était liée à la situation sur place : certains affirmaient que cette libéralité avait été la conséquence logique des promesses qui avaient été faites au moment de l’occupation de la Tripolitaine, promesses quasiment d’autonomie99. Pour Ambrosini, il s’agissait davantage d’un moyen d’apaiser les rebelles sur place100. Dans cette perspective, les exigences des chefs de tribus en Tripolitaine en matière de système colonial et leur détermination jouèrent peut-être un rôle. De fait, les autorités italiennes se retrouvèrent dès 1912 devant des négociateurs avertis101 réclamant, entre autres, l’autonomie et l’égalité de tous devant la loi en Tripolitaine et en Métropole102. L’ancien député de Zauia au Parlement ottoman, Mohammed Farhad bei avait été très clair sur les enjeux d’un accord entre Italiens et Tripolitains :
« Je cite par exemple ce qui est arrivé à l’Angleterre avec les Bœrs. Ils firent longtemps la guerre et à présent ils se sont entendus et ils vivent en bons amis. N’importe quelle puissance qui vient à Tripoli devra concéder de tels droits politiques. Ceux-ci se réduisent à la forme de gouvernement à adopter pour le pays qui devrait être l’autonomie. Réfléchissez. Nous n’imaginons pas pouvoir chasser les troupes italiennes des localités (...) sur la côte, mais l’Italie ne peut croire davantage qu’elle pénétrera facilement à l’intérieur. Les sacrifices que cela lui coûterait lui ferait perdre tous les avantages qui l’ont persuadée de venir en Tripolitaine. L’unique solution est l’entente réciproque sur ce que nous demandons, c’est-à-dire l’autonomie »103.
77L’Italie s’inspira de différents modèles. L’influence de la législation française est évidente dans la première partie des décrets organisant l’accession à la citoyenneté de plein droit, tandis que certains des principes-clefs revendiqués par les Anglais - ou même les Hollandais- dans certaines de leurs colonies furent utilisés par les Italiens dans la seconde partie de la loi, en particulier le respect important des religions et des coutumes, la forte participation de l’élément indigène à l’administration locale et l’existence d’un Parlement au sein de la colonie104.
78Toutefois, d’autres États servirent également de source d’inspiration. Ce fut le cas notamment de l’Autriche-Hongrie et de la Russie installées respectivement en Bosnie-Herzégovine et au Turkestan. La politique de ce premier pays servit même de guide au moment de l’installation de l’Italie en Tripolitaine sur la question des pouvoirs à laisser au Calife. Le gouvernement italien appliqua de façon presque identique le système dans sa colonie, se privant involontairement d’une partie de son pouvoir sur le cadi. Cette influence du modèle autrichien n’était pas limitée à l’Italie. Le rapport du Gouverneur Général de l’Algérie de 1916 en fait état :
« Les partisans de l’accession des indigènes aux droits politiques compatibles avec le maintien de leurs statuts invoquent généralement quatre exemples, celui de l’Autriche-Hongrie et de la Russie qui assureraient leurs droits de citoyens aux musulmans de Bosnie-Herzégovine et du Turkestan, puis celui de la France qui possède aux Indes et au Sénégal des citoyens français musulmans bénéficiant du statut personnel. On nous permettra de faire remarquer qu’entre les droits politiques du citoyen français, maître de par son bulletin de vote des destinées du pays, et ceux du citoyen russe ou autrichien, inclinés sous la loi d’une monarchie héréditaire qu’ils ne peuvent ni changer, ni diriger, il n’existe aucune comparaison possible. Entre la Douma et le Parlement autrichien, dont le droit de contrôle est restreint, d’une part, et les Chambres françaises dont les pouvoirs sont souverains, la distance est grande. Je récuse donc ce précédent »105.
79Du point de vue de la participation des indigènes aux charges locales, les décrets de 1919 s’inscrivaient dans la continuation du décret royal du 6 avril 1913 qui prévoyait déjà un engagement actif des sujets dans l’administration de la Tripolitaine. Dans certains postes administratifs qui dépendaient du Gouverneur, les bénéficiaires devaient être choisis parmi les chefs indigènes. Ainsi, si le Chef de la région (le Commissaire régional) devait être un fonctionnaire italien civil ou militaire, le chef de la circonscription (Délégué de circonscription) et le chef du district urbain et rural (Agent de district) étaient, en vertu de l’article 5 du décret royal du 6 avril 1913, « choisi, en règle générale, parmi les notables et les chefs indigènes, sujets italiens, qui ont les aptitudes nécessaires. » Ces postes n’étaient confiées à des fonctionnaires italiens que « dans des cas spéciaux »106. Les maires et les membres du conseil municipal pouvaient également être désignés parmi les citoyens ou les sujets107. Les indigènes étaient autorisés à aller dans les forces de mer ou de terre de la colonie ainsi que dans la marine marchande et à exercer des fonctions et emplois civils dépendant de l’administration locale108. Enfin, ils avaient un rôle consultatif important dans les régions et les districts ruraux109.
80Les décrets de 1919 franchirent un pas supplémentaire dans ce domaine.
81Le système administratif établi laissait une place très importante au pouvoir du gouverneur et l’administration était omniprésente dans la gestion du territoire. À côté des autorités politico-administratives préposées à la région, à la circonscription et au district, étaient institués un Conseil de Région, un Conseil de circonscription et un Conseil de district110. Ils étaient élus par la population de la circonscription parmi les citoyens qui y résidaient et convoqués en session ordinaire deux fois par an en février et en août et de façon extraordinaire chaque fois que cela était nécessaire ou réclamé par la moitié au moins de ceux qui les composaient. Ils étaient présidés par les chefs des administrations concernées et avaient pour compétence de délibérer en matière d’administration ordinaire.
82Outre ce renforcement de la participation des indigènes dans les organisations locales, l’Italie prévoyait de créer deux parlements locaux : l’un en Tripolitaine, l’autre en Cyrénaïque. L’Italie devait tenir compte du fait que la Turquie avait offert aux indigènes tripolitains la possibilité d’envoyer des représentants au Parlement autonome de Constantinople111.
83Il était nécessaire d’avoir atteint l’âge minimum de 30 ans et d’être citoyen métropolitain ou citoyen italien tripolitain pour être membre actif du Parlement. Pour exercer un droit électoral il fallait avoir 21 ans révolus. Dans le cas des citoyens métropolitains, il était nécessaire, en outre, de pouvoir prouver une résidence en Tripolitaine de cinq ans pour être élu et de trois ans pour être électeur. Les membres du Parlement étaient en partie élus, en partie désignés, mais le nombre de ces derniers ne pouvait excéder le septième des membres élus.
84Le Parlement possédait essentiellement un pouvoir de gestion locale. Il était en effet de sa compétence de délibérer sur l’utilisation de certains impôts. Il délibérait également sur les critères directifs des services publics civils gérés avec des fonds alloués à la part ordinaire du bilan de la Tripolitaine et toujours quand les propositions relatives n’impliquaient pas une dépense supérieure à celle inscrite au bilan lui-même.
85Il avait en outre un rôle consultatif dans la nomination des commissaires régionaux, des délégués de circonscription et des agents de district. La nomination revenait au gouverneur qui devait, avant de faire son choix, demander son avis à une commission spéciale (le Conseil de Gouvernement). Cette commission était composée du Gouverneur - qui la présidait-, de deux membres qu’il avait nommés ainsi que de huit membres élus par le Parlement.
86Le Parlement avait enfin une double faculté. Il devait approuver toutes les mesures nécessaires à l’application des principes contenus dans la loi fondamentale de 1919112. De plus, les « lois, les décrets et les règlements qui à partir du présent décret sanctionnaient en Italie de nouvelles normes se référant à la citoyenneté [entraient] en vigueur pour les citoyens mentionnés à l’article l113 seulement s’ils [étaient] expressément étendus et après qu’ils aient été préalablement approuvés par le Parlement local »114. Selon Mondaini, le Parlement offrait ainsi aux indigènes un moyen de faire évoluer leurs coutumes de leur propre chef115.
87Si ce Parlement devait, en principe, évoluer, il possédait donc un pouvoir limité. La véritable figure décisionnaire dans la colonie demeurait le gouverneur car à ses fonctions habituelles, s’ajoutait la faculté qu’il possédait de dissoudre le Parlement à la seule condition de convoquer les nouveaux comices dans les quatre mois suivant cette dissolution.
88En outre, l’Italie privilégiait juridiquement l’élément musulman. La question ne se posait, il est vrai, que peu en Algérie avec le décret Crémieux. Néanmoins, les indigènes israélites algériens conservaient les mêmes droits en principe que les indigènes musulmans. Or, le Président du Parlement de Tripolitaine ou de Cyrénaïque116, élu au sein de l’Assemblée ne pouvait être qu’un Musulman117.
89En Cyrénaïque, le gouvernement tint davantage compte de l’organisation sociale préexistante.
90La politique d’institution d’un Parlement fut en partie un échec puisqu’en Tripolitaine, les autorités italiennes ne parvinrent pas à le constituer, tandis qu’en Cyrénaïque l’opération réussit, celui-ci commençant même à fonctionner.
***
91In fine, l’Italie s’est montrée en 1919 plus libérale que la France, contrairement à ce qu’aurait pu laisser penser certains projets de cette dernière. Les indigènes français réclamèrent d’ailleurs au gouvernement les mêmes droits qu’en Tripolitaine118. Azoulay va jusqu’à se demander si les « statuts libyens » n’ont pas conduit les indigènes algériens à considérer la France comme une nation ingrate119.
92Les politiques libérales de la France et de l’Italie sont le résultat de la montée de l’idéal démocratique. En France, ce phénomène prit la forme d’un débat idéologique qui transcendait les clivages politiques entre partisans d’une politique « républicaine » dans les colonies et d’une politique « libérale »120 ou « réformatrice ». Ainsi dans la correspondance administrative lit-on que « des législateurs républicains121 ne pourront donc qu’hésiter avant d’augmenter dans nos communes, qui sont pour la très grande majorité attachées au principe républicain, des causes nouvelles d’agitation et de désordre dont les indigènes ne bénéficieront pas »122.
93Ces « républicains » se considéraient comme les véritables héritiers des principes de la Révolution Française et du code civil que les libéraux voulaient mettre à mal :
« Or par une conséquence paradoxale, c’est M. Delangle qui proclama la séparation de la loi civile et de la loi religieuse, et ce sont les arabophiles qui veulent la confusion des deux domaines et chose pire encore, la subordination de la loi civile à la loi religieuse. On reconnaît un culte officiel, on le consacre dans un texte légal, en supprimant au profit d’une religion et de ses adeptes une partie de notre code civil ; celle précisément qui fixe l’une des conquêtes les plus précieuses de la Révolution le mariage purement civil, l’égalité dans les successions, les garanties accordées à la femme, à l’épouse et à la jeune-fille »123.
94Ce mouvement libéral qui touchait l’ensemble de l’Europe n’était pas étranger à l’influence américaine et à ses idéaux déclarés d’après-guerre. Ambrosini y voyait une des raisons majeures qui avait poussé l’Italie dans cette voie124 et Bassi expliquait la persistence de l’opposition tripolitaine par le discours de Wilson du 7 janvier 1918125. Au-delà de la récupération de cet argument par des auteurs proches du fascisme, cet élément est un des rouages d’un mécanisme plus vaste qui a conduit aux tentatives de réformes.
95À l’idéal démocratique, s’ajoutait une transformation en profondeur de la société. De nouvelles matières comme la sociologie ou la psychologie apparaissaient et se développaient, tandis que le prestige du droit faiblissait126. Ce dernier n’était plus le guide de la société, mais un instrument entre les mains de cette dernière, tandis que parallèlement se faisait sentir le nouveau poids de l’opinion publique métropolitaine, ainsi que la montée des théories humanitaires favorables au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
96L’historiographie fasciste italienne fit des « statuts libyens », une preuve de faiblesse inacceptable de la part du gouvernement127. La loi du 26 juin 1927 n° 1013 restreignit une partie des libertés personnelles et des droits politiques octroyés et le gouvernement direct de la métropole fut complètement rétabli. Le système parlementaire -bien que limité - fut abattu et remplacé par un pouvoir encore renforcé du gouverneur. Mussolini avait ainsi remplacé le système parlementariste dans la métropole comme en Tripolitaine et en Cyrénaïque par un pouvoir, sous bien des aspects, autocratique. La politique philo-musulmane, relevant plus souvent de la propagande que du droit, fut elle aussi maintenue, voire renforcée.
97Tout au long de son occupation en Tripolitaine, l’Italie fit du respect des coutumes et du droit indigène – en particulier du statut personnel – son maître-mot, jusqu’à ce que ce dernier devienne un prétexte à la ségrégation. À partir des Années Trente, les autorités cherchèrent à séparer davantage les deux communautés (citoyens métropolitains italiens d’une part et citoyens libyens italiens de l’autre) jusqu’à enlever à ces derniers toute possibilité d’accéder à la citoyenneté pleine et cela, au nom de la protection de leur statut personnel128.
98La loi française ne résolut pas les problèmes liés à la relation entre le statut personnel indigène et la citoyenneté. L’accession à la citoyenneté au moyen de la loi de 1919 ne fut pas un franc succès129. Divers projets furent envisagés sans résultats probants jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale.
99Cet échec était le résultat des contradictions de la politique coloniale française et du rapport – parfois ambigu– qu’entretenaient libéraux et républicains avec la politique d’assimilation.
100Le Gouverneur Général de l’Algérie le notait en 1916 :
« Quant à l’assimilation, but avoué, proclamé par tous les législateurs qui se sont succédés depuis la conquête, on cherche vainement à la chasser de nos préoccupations, comme les spectres de certaines légendes, elle se représente toujours. Vainement on la travestit ou on la décore de noms différents, rapprochement, collaboration, association, au fond ce que nous voulons c’est que les indigènes se civilisent selon la conception française, rapprochement, compréhension des esprits et des cœurs, association, ne sont que les étapes de l’assimilation. Vainement on cherche à se le dissimuler à soi-même, mais on poursuit encore et toujours l’assimilation. S’il en était autrement, nous évacuerions le pays et nous laisserions le peuple indigène livré à ses propres lois et à ses propres coutumes. Il faudrait en finir avec les contradictions... »130.
101L’introduction de mesures libérales timides ne pouvait qu’échouer dans une organisation coloniale essentiellement modelée par des principes assimilateurs. Toutefois, changer réellement de politique conduisait à une remise en cause du système français de l’intérieur et en particulier de certains principes juridiques comme l’indivisibilité de la République ou l’égalité des statuts personnels entre citoyens. Derrière ce motif de principe, se dessinait une peur réelle, celle de l’envahissement politique de l’Algérie, puis de la France par les nouveaux citoyens.
Notes de bas de page
1 Il s’agit de la loi française du 4 février 1919 pour l’Algérie et des décrets-lois italiens des 1er juin et 31 octobre 1919 pour la Tripolitaine et la Cyrénaïque.
2 Ces deux territoires se fondirent dès l’occupation italienne sous l’appellation courante de « Libye » alors qu’elle n’apparut officiellement que plus tardivement.
3 Le terme « colonie » est considéré dans son sens large.
4 Sur la relation « droit, civilisation et race », v. Emmanuelle Saada, « Citoyens et sujets de l’Empire français. Les usages du droit en situation coloniale », Genèses, n° 53, 2003, en particulier pp. 18 et s.
5 V. Angelo Del Boca, Gli italiani in Libia, Roma-Bari, Laterza, 1986-88, 2 vol. ; du même auteur, Gli italiani in Africa orientale, Milano, Mondadori, 2000-2002, 3 vol. et Nicola Labanca, Oltremare, Bologna, Mulino, 2002.
6 V. Luigi Tuccari, Governi militari della Libia, 1911-1919, Roma, SME, Ufficio Storico, Fusa ed., 1994, 2 vol.
7 De façon constante pendant l’occupation de la Libye, la doctrine relevait qu’aucun des systèmes en vigueur dans les colonies en matière de citoyenneté ne pouvait servir de modèle unique au législateur italien. V. notamment Mario Ratto, « I grandi problemi della Libia. La conquista morale degli indigeni », Rivista Coloniale (R. C.), juillet 1913, p. 34 et pp. 36-37 : « Mais nous pouvons arriver au-delà des espérances les plus audacieuses des arabistes et islamistes français, avant tout parce que nous sommes logiquement liés par ces sortes de précédents et nous pouvons tirer profit des erreurs et de l’expérience française et anglaise.... ». Cicchitti constatait plus tard « qu’après presque 80 ans de multiples tentatives [la France] n’a pas réussi à donner aux coloniaux d’Afrique une législation réellement inspirée par des concepts d’égalité avec les blancs. » (A. Cicchitti, « Cittadinanza e sudditanza nella legislazione coloniale italiana », R.C., n° 1-2, janvier-février 1924, p. 121). Dans le même sens : G. Mondaini, « Il problema della cittadinanza ai sudditi coloniali », Rivista delle Colonie (R.D.C.), janvier 1939, pp. 51-73.
8 Les autorités anglaises opérèrent des réformes - les réformes Montagu-Chelmsford- en Inde en 1919 (v. Rudolf Von Albertini, La decolonizzazione, Torino, Società editrice internazionale, 1971, pp. 136 et s.).
9 Le terme de « naturalisation » des indigènes se retrouve tout à la fois dans la législation, la jurisprudence et la doctrine. Quelques juristes ont dénoncé cet amalgame, tel Sarrut : « J’observe incidemment que la plupart des auteurs, des arrêts et des documents officiels qualifient de naturalisation en masse, naturalisation collective, l’effet du premier décret du 24 octobre 1870. L’expression est manifestement impropre. Il ne peut être question de naturalisation à propos d’individus qui sont déjà des nationaux français.... » (Conclusions de l’avocat général Sarrut, dans Cour de Cassation, 18-27 avril 1896, Dalloz Périodique, 1896, I, p. 358).
10 Entre 1865 et 1915, 2396 Musulmans d’Algérie accédèrent à la citoyenneté française d’après le Professeur Patrick Weil (Qu’est-ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution, Paris, Grasset, 2002, p. 237). Toutefois ces chiffres sont nuancés par Laure Blévis : « Nos propres décomptes, à partir des décrets publiés au Bulletin officiel du gouvernement général de l’Algérie, font état de 1453 « indigènes » algériens naturalisés entre 1870 et 1919, 512 Marocains naturalisés durant la même période et de 203 Tunisiens. À titre de comparaison, 31496 naturalisations ont été prononcées en Algérie, tout statut confondu. P. Weil, reprenant les données du rapport de Marius Moutet au projet de loi de 1919, avance le chiffre de 2396 naturalisations enregistrées entre 1865 et 1915 (il est possible que le chiffre du rapport ne fasse pas de distinctions entre les naturalisations « africaines »). » (L. Blévis, « La citoyenneté française au miroir de la colonisation : étude des demandes de naturalisation des « sujets français » en Algérie coloniale », Genèses, op. cit., p. 45, note 49).
11 Il existe plusieurs types d’assimilation dans les colonies : la volonté de « rendre semblable » peut toucher l’administration, la justice, etc. Nous l’entendons ici dans la définition que lui donne le Professeur Christian Bruschi : « ...dans les colonies, l’assimilation avait un tout autre contenu. Elle consistait en une adhésion à la civilisation, aux mœurs françaises. L’ « indigène » assimilé était celui dont le mode de vie pouvait s’identifier au mode de vie français, qui parlait français et qui, en conséquence, méritait d’être régi par les lois civiles et politiques françaises. L’assimilation était une condition d’accès à la citoyenneté française avant d’en être le résultat. C’est cette assimilation d’origine coloniale qui est passée plus tard dans le droit de la nationalité ». (C. Bruschi, « Droit de la nationalité et égalité des droits de 1789 à la fin du xixème siècle », dans S. Laacher (sous la direction de), Questions de nationalité. Histoire et enjeux d’un code, Paris, L’Harmattan, 1987, p. 44).
12 Journal Officiel (J.O.), 6 février 1919, pp. 1358-1359.
13 « Reggio Decreto (R.D.) 1° giugno 1919 che approva le norme fondamentali per l’assetto della Tripolitania, n° 931 », Raccolta ufficiale delle leggi e dei decreti del Regno d’Italia, v. 2, 1919, pp. 1844-1852 et « R.D. 31 ottobre 1919 che approva le norme fondamentali per l’assetto della Cirenaica, n° 2401 », Raccolta ufficiale..., op. cit., vol. 6.1, 1919, pp. 5702-5712.
14 P. de Ménerville (M.), Dictionnaire de législation algérienne. Code annoté et manuel raisonné des lois, ordonnances, décrets, décisions et arrêtés publiés au Bulletin Officiel des Actes du Gouvernement, Alger-Paris, Jourdan-Durand (1860-72), 1866, t. II, vol. II, pp. 152 et s.
15 M., op. cit., t. II, vol. III, p. 228.
16 M., ibid, t. II, vol. II, pp. 159-160.
17 M., ibid., 1868, t. II, vol. III, p. 227.
18 Le terme « requête » doit être entendu ici comme synonyme de « demande » et non dans le sens juridique de » requête civile ».
19 V. L. Dunoyer, Étude sur le conflit des lois spécial à l’Algérie, Thèse, Droit, Paris, 1888, p. 191. L’article 4 du décret du 5 février 1868 précise : « Lorsque le demandeur en naturalisation ne justifie pas qu’il réside depuis une année au moins dans la localité où sa demande est formée, il en est référé par les juges de paix ou par les cadis au procureur impérial du ressort, au commandant de la subdivision ou du cercle, ou au chef du bureau arabe, suivant le territoire. À la suite de ces communications et en exécution des ordres hiérarchiquement transmis, les actes de notoriété reçus au lieu de la résidence du demandeur peuvent être contrôlés par le juge de paix du dernier domicile de l’étranger, ou par le cadi du dernier domicile ou du lieu de naissance de l’indigène. » (M., op. cit., t. II, vol. III, p. 227).
20 V. par exemple, les articles 1er et 3 du décret du 5 février (M., ibid.). V. également la circulaire générale du 22 octobre 1869 du Maréchal Mac-Mahon, qui s’inquiétait des erreurs de procédures commises par les indigènes qui augmentaient leurs frais : « ...j’ai eu plus d’une fois l’occasion de remarquer que, nonobstant la constatation de l’état de monogamie, libellée dans le procès-verbal d’enquête de l’autorité administrative, des indigènes ou étrangers musulmans ou Israélites se croyaient obligés dans certaines localités, de faire constater le même fait par un acte du cadi, établi sur papier timbré, avec traduction par un interprète assermenté - Cette formalité surérogatoire a surtout le grave inconvénient d’occasionner des frais tout à fait frustratoires aux postulants que l’on induit à y recourir. » (Circulaire générale du 22 octobre 1869, M., ibid., t. II, vol. III, pp. 227-228).
21 Article 2 du décret du 5 février 1868 (M., op. cit., t. II, vol. III, p. 227).
22 Article 5 (M., ibid.).
23 V. William Shaler, Esquisse de l’État d’Alger, Saint-Denis, Bouchène, 2001 (réedition d’un ouvrage de 1830, avec les notes du Professeur Claude Bontems), p. 42.
24 « L’indigène musulman admis à jouir des droits de citoyen français est dans une condition identique à celle de l’étranger naturalisé français. Ses enfants mineurs deviennent donc comme lui citoyens français et sont justiciables des tribunaux français. » (Cour de cassation, Chambre civile (Cass. Civ.), 30 décembre 1907, R.A., 1908, II, p. 15).
25 Le paradoxe réside dans le fait que l’indigène est considéré comme un étranger -alors qu’il est un national - pour in fine parvenir à mieux l’assimiler.
26 Contra l’assimilation de la femme : Cour d’Alger, 5 juin 1883, Revue Algérienne (R.A.), II, p. 312.
27 L. Hamel, « Naturalisation des indigènes musulmans de l’Algérie », R.A., 1887, I, pp. 35 et s. ; A. Hugues, La nationalité française chez les musulmans d’Algérie, Thèse, Droit, Paris, 1899, p. 184 ; E. Larcher, note sous Cass. Civ., 30 décembre 1907, R.A., 1908, pp. 15-16 ; E. Larcher, « Effets du mariage d’une femme indigène musulmane avec un indigène admis à la jouissance des droits de citoyen après la dissolution du mariage », R.A., 1908, I, pp. 209 et s.
28 « La femme indigène musulmane devient Française par le seul fait de la naturalisation de son mari, indigène musulman algérien, et est régie, comme telle, par le statut personnel français ; Par suite, elle peut invoquer les dispositions du code civil et de la loi du 9 mars 1891 relatives aux droits de succession du conjoint survivant. » (Tribunal de Tizi-Ouzou, 12 mars 1896, R.A., 1896, II, p. 341). La jurisprudence favorable à cette thèse était minoritaire.
29 « Circulaire du Gouverneur Général du 24 juin 1884 », Estoublon et Lefébure, Code de l’Algérie annoté, Alger, Jourdan, 1884, p. 638.
30 « Les indigènes pourront sur leur demande être admis à jouir des droits de citoyen français ; dans ce cas, il est régi par les lois civiles et politiques de la France. » (Article premier du sénatus-consulte de 1865, M., op. cit., t. II, vol. II, pp. 152-153).
31 Exceptionnellement l’expression sera conservée comme telle du fait qu’elle était utilisée par les juristes de l’époque et qu’elle l’est encore aujourd’hui dans les études. Ainsi, nous éviterons tout doute ou toute confusion du lecteur. Pourtant, du strict point de vue juridique l’expression devrait être : « accession à la citoyenneté dans le statut ».
32 Décret du 7 octobre 1871 (M., ibid., t. II, vol. III, pp. 228-229).
33 Article 1er du décret du 7 octobre 1871 (op. cit.).
34 Article 3 du décret du 7 octobre 1871 (ibid.).
35 Article 2 (ibid.).
36 Article 4 (ibid.).
37 Définition qui n’allait pas dans le sens du droit international. V. E. Audinet, « La nationalité des Israélites Algériens », Revue Générale de Droit International Public, n° l-6, 1897, pp. 484-485.
38 « (...) seront considérés comme indigènes, et à ce titre demeureront inscrits sur les listes électorales, s’ils remplissent d’ailleurs les autres conditions de capacité civile, les Israélites nés en Algérie avant l’occupation française ou nés depuis cette époque de parents établis en Algérie à l’époque où elle s’est produite. » (Article 1er du décret du 7 octobre 1871, op. cit.).
39 E. Audinet, op. cit., p. 485.
40 V. à ce sujet : Bernard D’alteroche, De l’étranger à la seigneurie à l’étranger au royaume (xi-xvème siècle), Bibliothèque de Droit Privé, Paris, L.G.D.J., 2002 ; Anne Lefebvre-Teillard, « Ius sanguinis : l’émergence d’un principe, éléments d’histoire de la nationalité française », Revue Critique de Droit International Privé, 1993, n° 2, pp. 223-250 ; Peter Sahlins, « La nationalité avant la lettre. Les pratiques de naturalisation en France sous l’Ancien Régime », Annales Histoire Sciences Sociales, septembre-octobre 2000, pp. 1081-1108 ; Ahmed Slimani, La modernité du concept de nation au xviiième siècle (1715-1789) : apport des thèses parlementaires et des idées politiques du temps, Aix-en-Provence, P.U.A.M., 2004, pp. 164-166.
41 Elie-Edmond Azoulay, De la condition politique des indigènes musulmans en Algérie. Essai critique sur la loi du 4 février 1919, Thèse, Droit, Alger, 1921, p. 44.
42 « Rapport du Préfet du Département de Constantine au Gouverneur Général, le 23 novembre 1917, à propos du statut des indigènes, de la naturalisation et du rapport Moutet », p. 5, Centre des Archives d’Outre-Mer (C.A.O.M.), 12H49 (« Réformes. Indigénat »).
43 « Rapport du Préfet du Département d’Oran au Gouverneur Général, le 14 novembre 1917, à propos du statut des indigènes, de la naturalisation, du rapport Moutet », p. 12, C.A.O.M., 12H49 (« Réformes. Indigénat »).
44 Si les lenteurs et les vexations de l’administration sont reconnues, un travail approfondi mériterait d’être fait en ce domaine afin de savoir quelles étaient la réalité du terrain et la véritable part des situations décrites par André Bonnichon pour la Kabylie : « ...nul n’ignore le peu d’empressement mis par l’administration et la justice algérienne à accueillir les demandes de naturalisation. On nous a cité le cas d’une justice de paix importante de Kabylie où 72 dossiers de naturalisation avaient dormi pendant deux, trois et quatre ans. » (A. Bonnichon, La conversion au christianisme de l’indigène musulman algérien et ses effets juridiques (un cas de conflit colonial), Thèse, Droit, Paris, 1931, p. 14).
45 « Proposition de loi ayant pour objet de faciliter aux militaires indigènes originaires de l’Algérie, de la Tunisie et du Maroc l’accession à la qualité de citoyen français, présentée par M. Albin Rozet, Georges Leygues, Doizy, Lucien Millevoye, députés », J.O., Documents parlementaires de la Chambre (Doc. Parl. Ch.), séance du 1er avril 1915, annexe n° 820, p. 302.
46 À ce propos, Azoulay s’interroge sur la réelle avancée de la loi de 1919 dans le domaine du veto en comparant le droit du Gouverneur général à celui qu’avait le Chef de l’Etat (v. E.-E. Azoulay, op. cit., pp. 68-69).
47 Azoulay émettait à ce propos l’hypothèse suivante : « Nous voyons là une anomalie difficilement explicable : aussi sommes-nous amenés à croire que l’article final de la loi ne semble devoir concerner malgré sa généralité, que la deuxième partie relative au statut politique proprement dit. On comprend mieux qu’en raison de l’organisation administrative spéciale aux territoires militaires, les dispositions concernant le régime électoral et la représentation musulmane ne puissent y être mises en application. » (E.-E. Azoulay, op. cit., op. 58-59).
48 « Instructions pour l’application de la loi du 4 février 1919 », J.O., 27 décembre 1919, pp. 15169-15171.
49 Instructions concernant l’article 16 (point 15 des instructions), J.O., op. cit., p. 15171.
50 Ibid., p. 15170.
51 Avocat, député socialiste, il sera par la suite Ministre des Colonies pendant le Front Populaire.
52 Cass. Civ., 30 décembre 1907, op. cit.
53 Il devait être demandé au requérant lorsqu’il se présentait devant la justice de paix si sa femme se joignait à la requête. Lorsque la réponse était positive, l’épouse devait soit faire une déclaration verbale devant le magistrat, soit fournir un acte dressé dans les formes légales et contenant la manifestation expresse de sa demande. Pour pallier tout conflit ultérieur, la circulaire précisait qu’il « y aura lieu également de signaler au requérant que bien que sa femme, en cas d’abstention demeure soumise à la loi musulmane, le mariage est désormais soumis aux dispositions de la loi française au point de vue de sa dissolution, et ne peut plus être dissous que par un divorce judiciaire. » (v. J.O. du 27 décembre 1919, op.cit.).
54 Azoulay, op. cit., p. 64.
55 A. Cicchitti, « Cittadinanza e sudditanza nella legislazione coloniale italiana », R.C., mai-juin 1924, p. 169.
56 « En réponse au désir que tu as exprimé à ce sujet dans ta lettre du 4 courant, je te transmets (...) des bulletins parlementaires français, avec deux projets de lois se référant à la question de l’indigénat en Algérie, au Maroc et dans les Colonies françaises. » (« Lettre adressée au Ministre des Colonies Colosimo, Paris, le 2 mars 1918 », Archives du Ministère de l’Afrique Italienne (A.S.M.A.I.), Posizione 98 (« Concessione dei diritti politici-Riforme. Periodo 1919-23 »), fase. 17). Malvezzi récupéra également des documents à ce sujet pour les transmettre à Schanzer et Nallino. Il s’agit d’une demande datant d’avril 1919 (A.S.M.A.I., Posizione 98, op. cit.).
57 V. l’article 32 du décret du 1er juin 1919 et l’article 34 du décret du 31 octobre 1919 (Raccolta ufficiale delle leggi e dei decreti del Regno d’Italia, op. cit, p. 1850 et p. 5710).
58 « La femme mariée ne peut assumer une citoyenneté différente de celle de son mari, même s’il existe séparation personnelle entre les conjoints. » (article 10 de la loi du 13 juin 1912, v. Scipione Gemma, La legge 13 giugno 1912 sulla cittadinanza, Roma, Atheneum, 1913, pp. 84-86 et L. Bussoti, La cittadinanza degli italiani. Analisi storica e critica sociologica di una questione irrisolta, Milano, FrancoAngeli, 2002, pp. 33-36).
59 « Lettre du Préfet du Département d’Oran au Gouverneur Général, le 14 novembre 1917 », op. cit., p. 8.
60 « Contribution à l’étude des réformes concernant la situation politique et économique des indigènes algériens », p. 18, Alger, exemplaire de mars 1916, C.A.O.M., 12H49 (« Réformes. Indigénat »).
61 V. à ce sujet la lettre de Georges Clemenceau et de Georges Leygues publiée dans Le Temps du 1er janvier 1916 et réclamant la « naturalisation dans le statut ».
62 V.J.O., Doc. Pari. Ch., séance du 16juin 1887, 1887, p. 915.
63 « Si les lois politiques de la France peuvent être appliquées avec avantage aux indigènes musulmans de l’Algérie, il n’en est pas de même des lois civiles. Les mœurs et les coutumes des Français ne peuvent pas être imposées aux musulmans. Les règles du code civil sur le mariage et l’organisation de la famille notamment ne peuvent pas être imposées aux musulmans. Nous vous proposons, en conséquence, de maintenir pour les indigènes musulmans de l’Algérie l’application de leurs lois personnelles, à moins qu’ils ne consentent librement à se soumettre aux lois civiles françaises. » (J.O., Doc. Parl. Ch., séance du 16 juin 1887, op. cit.).
64 V.J.O., Doc. Parl. Ch., séance du 21 juillet 1890, annexe n° 857, 1890 (v. II), pp. 1625-27.
65 « Une question controversée est de savoir si les arabes naturalisés devront continuer de jouir de leur statut personnel ou accepter notre législation. La seconde solution serait évidemment la meilleure ; cependant, nous ne la proposons pas d’une façon absolue. Elle risquerait de troubler trop profondément les coutumes établies depuis plusieurs siècles, notamment en ce qui concerne la polygamie et la propriété collective ; elle pourrait mécontenter les indigènes au lieu de nous les rallier ; elle creuserait un fossé entre eux et nous au lieu de le combler. » (op. cit.. p. 1627).
66 L’article 4 de la proposition est ainsi rédigé : « les lois politiques de France sont applicables aux indigènes naturalisés. Toutefois les droits électoraux ne sont accordés qu’à ceux qui savent parler français. » (ibid.).
67 J.O., Doc. Parl. Ch., 1ère séance du 11 décembre 1895, annexe n° 1667, 1895, pp. 1516-1517.
68 Article premier : « la nationalité française est accordée sur leur simple demande aux hommes de troupes des régiments de tirailleurs et de spahis algériens comptant huit années de service dans l’armée française. ». Article 3 : « à dater du jour de la promulgation de la présente loi, les officiers indigènes des régiments de tirailleurs et de spahis algériens sont déclarés citoyens français. ». Article 4 : « un décret déterminera la nature des justifications à produire pour l’obtention de la naturalisation. » (op. cit., p. 1547).
69 J.O., Doc. Parl. Ch., séance du 1er avril 1915, annexe n° 820, pp. 302 et s.
70 J.O., Doc. Parl. Ch., séance du 15 juin 1915, annexe n° 1005, pp. 572 et s.
71 J.O., Doc. Parl. Ch., séance du 24 juin 1915, annexe n° 1034, pp. 667 et s.
72 J.O., Doc. Parl. Ch., séance du 23 septembre 1915, annexe n° 1286, pp. 1008 et s.
73 « Proposition de loi ayant pour objet de déterminer les conditions d’acquisition par les indigènes de l’Algérie, des colonies et pays de protectorat, des droits civils et politiques ou de la qualité d’électeur au titre indigène, présentée par MM. Joseph Lagrosillière, Albert Grodet, René Boisneuf, Gratien Candace, Georges Boussenot, Gasparin, Diagne, Ernest Outrey, députés », J.O., Doc. Parl. Ch., séance du 20 mai 1915, annexe n° 935, p. 482.
74 Le maintien de la polygamie malgré l’accession à la citoyenneté est une mesure à relativiser, car il semble qu’à l’époque le législateur pensait qu’il s’agissait d’un phénomène minoritaire. Il en allait de même en Italie (v. le discours de Gaetano MOSCA au Sénat pour la conversion en loi des décrets des 1er juin et 31 octobre 1919, Atti Parlamentari, Senato del Regno, séance du 26 mars 1920, p. 606).
75 « C’est ainsi que pour la seconde des conditions générales, le projet gouvernemental a cru devoir établir la nécessité, pour pouvoir accéder à la qualité de citoyen français, d’être monogame ou célibataire. C’est la question de la naturalisation dans le statut qui paraît. Nous avions accepté un système transactionnel qui était représenté par les articles 11 et 12 de notre projet ainsi conçus : « Art. 11. - L’indigène devenu citoyen français par application de la présente loi sera soumis aux lois civiles de la métropole, mais il ne le sera que pour l’avenir, sous la réserve des droits acquis. (...). » Nous pouvions ainsi naturaliser des indigènes polygames.... » (Commentaire de Moutet sur le projet de loi de la commission et celui du gouvernement, J.O., séance du 2 août 1918, Doc. Parl. Ch., annexe n° 4920, p. 1306).
76 Revue Indigène (R.I.), n° 63-64 (« La naturalisation des musulmans dans leur statut »), juillet-août 1911.
77 On notera que Marius Moutet s’appuyait sur « l’autorité d’un jurisconsulte éminent : M. Weiss » pour justifier d’une « naturalisation dans le statut » partielle (J.O., Documents Parlementaires de la Chambre (Doc. Parl. Ch.), séance du 2 août 1918, annexe, n° 4920, p. 1306). Or, André Weiss était Professeur de droit international.
78 V. à ce sujet la réponse de Audinet (R. L, op. cit., p. 432).
79 Rouard de Card préconise un système progressif : dans un premier temps, l’indigène peut obtenir une « demi-naturalisation » qui a des effets individuels, lui confère des droits politiques, mais uniquement en Algérie, et lui permet de conserver son statut personnel indigène. Elle est accordée par le Gouverneur Général après avis du Conseil de Gouvernement et enquête préalable de l’administration. Après dix ans de « demi-naturalisation », il était possible d’obtenir la pleine citoyenneté. Pour cela, une nouvelle enquête administrative était menée et la citoyenneté était accordée par le Président de la République sous forme de décret après avis du Gouverneur Général. Elle impliquait la reconnaissance de tous les droits politiques en Algérie et en Métropole, l’obligation du service militaire et l’abandon du statut personnel indigène. Enfin, l’accession à la « demi-naturalisation » et à la citoyenneté étaient gratuites (v. la réponse de Rouard de Card, R.I., op. cit., pp. 423-425).
80 Réponse de Audinet, ibid., p. 433.
81 « Seulement il faut remarquer que le Français-Musulman ne sera soumis au statut musulman qu’autant qu’il continuera d’appartenir à cette religion. S’il venait à en changer, son statut changerait également. On ne comprendrait pas, par exemple, qu’un Français non musulman continuât à pratiquer la polygamie. Il y aurait donc des Français dont la condition dépendrait de leur confession religieuse. Cela ne serait-il pas contraire aux principes fondamentaux du droit public actuel ? » (ibid., p. 432).
82 « Rapport du Gouverneur Général de l’Algérie au Ministre de l’Intérieur », p. 18, Alger, janvier 1916, C.A.O.M., 12H49 (« Réformes. Indigénat »).
83 « Rapport du Gouverneur Général de l’Algérie au Ministre de l’Intérieur », op. cit., p. 16.
84 « Contribution à l’étude des réformes concernant la situation politique et économique des indigènes algériens », op. cit., p. 17.
85 La réforme prévoyait pour les conseils municipaux et les commissions municipales les changements suivants : l’inscription sur les listes électorales se faisait d’office et non plus sur demande de l’intéressé ; le corps électoral était élargi : il comprenait en plus des catégories restreintes énumérées par le décret du 7 avril 1884, les commerçants patentés, les membres des chambres d’agriculture ou de commerce, les diplômés, les personnes ayant obtenu des récompenses dans les concours ou les expositions agricoles ; le nombre des élus au Conseil municipal des communes de plein exercice était augmenté – la limite passant de 6 à 12
86 « Rapport du Gouverneur Général de l’Algérie au Ministre de l’Intérieur », op. cit., p. 55.
87 V. en particulier les difficultés rencontrées autour du Traité de Lausanne dont le texte définitif date du 18 octobre 1912.
88 L’armée italienne fut confrontée à diverses rébellions qui l’empêchait d’étendre son occupation entre 1915 et 1918. En 1918, le Ministre Colosimo cherchait à réinitier une « offensive politique », qui visait à « obtenir pacifiquement la soumission sur la base des anciennes promesses qui auraient éliminé le danger de la répétition de lamentables erreurs » (cité par L. Tuccari, op. cit., vol. I, p. 231). À la fin de l’année 1918, certains chefs rebelles créèrent la « République de Tripolitaine ». Peu de temps après, les négociations pour le « Statuto » débutèrent pour aboutir aux décrets de juin et octobre 1919. Les pourparlers avaient pourtant connu une interruption en avril, certains chefs locaux redemandant l’établissement d’un protectorat italien assurant une grande autonomie à la Tripolitaine (Ibid., pp. 236 et s.).
89 L’emploi du terme de citoyen pour qualifier deux statuts différents engendra des confusions dans la législation et la doctrine (v. pour les réflexions de l’époque à ce sujet : A. Cicchitti, « Cittadinanza e sudditanza nella legislazione coloniale italiana », R.C., n° l-2, op. cit., pp. 112 et s. et R.C., n° 5-6, op. cit., pp. 163 et s. et pour une analyse actuelle : Ester Capuzzo, « Sudditanza e cittadinanza nell’esperienza coloniale italiana dell’età liberale », Clio, 1995, n° l). Toutefois, l’idée qu’il puisse exister explicitement deux types de citoyennetés n’était pas une nouveauté dans le droit italien. Sans remonter à l’Empire romain, il existait en Italie une « grande citoyenneté » et une « petite citoyenneté ». Cette dernière qui ne comportait pas les droits politiques disparut avec la loi du 13 juin 1912. Avant la dite-loi, il existait cinq formes de naturalisation. La « petite naturalisation » ne nécessitait aucune condition particulière. Elle était concédée par décret royal après avis favorable du Conseil d’État. Son octroi était purement arbitraire (v. Scipione Gemma, op. cit., pp. 38-39).
90 Conditions possibles concernant le droit du sol : être né en Tripolitaine à la date du décret, quel que soit le lieu de résidence, et ne pas être « citoyen italien métropolitain » ou citoyen ou sujet étranger ; être né en Tripolitaine si les deux parents sont inconnus ou s’ils n’ont pas la citoyenneté italienne, ni la citoyenneté ou la qualité de sujet d’un autre pays ; être une personne qui a une résidence habituelle et volontaire dans la colonie et qui n’est pas citoyenne italienne métropolitaine ou citoyenne ou sujette étrangère.
91 Conditions possibles concernant le droit du sang : être enfant d’un père citoyen né en Tripolitaine... ; être le fils d’une mère citoyenne née en Tripolitaine (...), si le père est inconnu ou s’il n’a pas la citoyenneté italienne, ni la citoyenneté ou la qualité de sujet d’un pays étranger.
92 Condition possible concernant le mariage : « la femme sujette italienne ou étrangère mariée à un citoyen né en Tripolitaine.... ».
93 Sauf disposition contraire de la loi elle-même, et dans ce cas, l’exception devait être appliquée en harmonie avec les coutumes locales.
94 Sauf cas d’expropriation pour cause d’utilité publique (le paiement d’une indemnité étant prévue par la loi) à condition que cela ne heurte pas des principes explicites contenus dans les lois locales.
95 Les décrets de 1919 prévoyaient que les citoyens libyens avaient le droit de concourir aux charges civiles et militaires dans les organisations locales. Le décret royal du 3 novembre 1921 relatif à l’administration de la justice en Tripolitaine admettait les citoyens italiens locaux aux fonctions de juges, greffier, secrétaire, officier judiciaire. Une disposition correspondante n’existait pas dans le décret royal du 27 août 1923 pour l’organisation judiciaire de la Cyrénaïque.
96 L’accession à ces fonctions était contrôlée puisqu’elles étaient confiées par décret royal sur proposition du Gouverneur (pour être juge) ou par décret du Gouverneur (pour être chancelier, secrétaire et officier judiciaire). Elles nécessitaient dans tous les cas que le candidat possède les titres requis par la loi pour y accéder (v. l’article 1 du décret-royal du 3 novembre 1921 : Nouovo ordinamento giudiziario della Tripolitania, Tripoli, Top. Scuola d’Arti e Mestieri, 1921, p. 6).
97 N. Labanca, op. cit., pp. 126 et s.
98 Il s’agit de la réponse de del Giudice à Mosca, dans : Atti Parlamentari, Senato del Regno, op. cit., p. 611. Pour Mosca, la préoccupation de l’Italie devait être l’intégration de l’élite tripolitaine plutôt que l’encouragement des idées autonomistes développées par les mouvements panislamiques. Cela paraissait une erreur d’autant plus grave à ce sénateur que la Tripolitaine ne représentait pas dans ce domaine « dans le monde musulman un pays à l’avant-garde ». (ibid., p. 605).
99 V. les déclarations de l’Amiral Borea Ricci du 7 octobre 1911 et celle du Général Caneva du 13 octobre du même mois. Le premier promettait le respect de leurs coutumes aux indigènes tout en affirmant qu’ils seraient les égaux des citoyens italiens à tout point de vue. Le second parla d’un « protectorat » italien sur la Tripolitaine. La question se posa de savoir si le gouvernement italien n’était pas lié par les promesses faites par le Général Caneva puisque le décret royal du 8 octobre 1911 n° 1128 avait attribué à ce dernier la pleine délégation des pouvoirs (v. Ugo BASSI, I parlamenti libici. Sulla partecipazione degli indigeni al governo della Libia, Modena, Tipografia E. Bassi e nipoti, 1924, p. 34).
100 G. Ambrosini, « Lo statuto dei nativi dell’Algeria e della Libia », Scritti giuridici in onore di Santi Romano, 1940, vol. III, pp. 317-318. Sur le déroulement de l’action et la « concession du Statut », v. L. Tuccari, op. cit., vol. I, pp. 236-239.
101 Ainsi à propos des termes des accords signés entre l’Italie et la Turquie -qui pour des raisons juridiques durent se faire en deux temps, la Turquie concéda d’abord l’autonomie à la population locale, puis l’Italie se déclara souveraine - Mohammed Farhad bei, présenté comme député au Parlement ottoman pour Zaouia, interrogeait les autorités militaires italiennes : « Alors comment expliquer le passage du traité qui concède l’autonomie ? » (« Réunion entre les officiers italiens et les chefs arabes à Fonduk el Magguz », p. 1, A.S.M.A.I., Posizione 126/1, fasc. 2 : « Memoriale sulla politica indigena, allegati vari e schema d’ordinamento politico-amministrativo »).
102 « Une fois que l’Italie nous aura accordé des droits égaux à ceux de ses fils, nous penserons à avoir aussi les mêmes devoirs. » (« Réunion entre les Parlementaires italiens et les Chefs arabes à Tripoli », 4 novembre 1912, p. 4, A.S.M.A.I., Posizione 126/1, fase. 2 : « Memoriale sulla politica indigena, allegati vari e schema d’ordinamento politico-amministrativo »).
103 « Réunion entre les officiers italiens et les chefs arabes à Fonduk el Magguz », op. cit., p. 2.
104 Les commentateurs de l’époque notèrent le rapprochement avec le système anglais : « Nous pouvons remarquer dans cette catégorie d’attribution et mieux encore dans les articles successifs à propos des mécanismes des organes exécutifs, une tentative de mise en place d’une espèce de self-government, tempéré toutefois par la souveraineté de la Métropole. Une telle autonomie est encore plus évidente dans l’administration (...). » (U. BASSI, op. cit., p. 39).
105 « Rapport du Gouverneur Général de l’Algérie au Ministre de l’Intérieur », op. cit., pp. 26-27. Le Gouverneur se réfère sans doute aux arguments exposés par De Bœck dans la Revue Indigène puisque ce dernier prit ces quatre exemples pour justifier de la possibilité d’introduire la « naturalisation dans le statut » en Algérie (v. réponse de De Bœck, R.I., op. cit., pp. 449-450).
106 Néanmoins, l’organisation politico-administrative de 1914 va imposer un correctif en disposant que le travail du délégué indigène est surveillé et au besoin coordonné par un organe italien qui contresignera les actes et la correspondance du délégué indigène et s’acquittera de toutes les attributions qui en matière de services civils, lui sont demandées par lois ou décrets spéciaux.
107 Cependant, il existait là-encore un contrôle. Un intendant, officier du Gouvernement surveillait le fonctionnement de tous les services municipaux.
108 L’accession à certaines fonctions et charges fut élargie (v. le discours de G. MOSCA au Sénat le 4 avril 1921, op. cit.) et le décret royal du 1er mai 1921, n° 759.
109 Le Conseil de Région est en effet composé, outre le Commissaire Président d’autant de notables et chefs indigènes qu’il y a de circonscriptions et de districts dépendant directement de la circonscription. Ces chefs et notables sont désignés par le Gouverneur.
110 V. article 25 du décret du 1er juin 1919, op. cit.
111 V. l’avis de Mondaini à ce sujet (G. Mondami, « La politica indigena dell’Italia coloniale », R.C., n° 9-10, septembre-octobre 1924, p. 345). À la suite de la Révolution opérée par les « Jeunes Turcs », un régime constitutionnel avait été introduit dans l’Empire ottoman. La Tripolitaine et la Cyrénaïque avaient alors été autorisées à envoyer leurs propres représentants au nouveau Parlement établi à Constantinople.
112 Articles 20 des deux décrets (Raccolta ufficiale delle leggi..., op. cit., p. 1848 et p. 5706).
113 C’est-à-dire les citoyens italiens de Tripolitaine et de Cyrénaïque.
114 V. article 38 du décret du 1er juin 1919 et 41 du décret du 31 octobre 1919 (Raccolta ufficiale delle leggi e dei decreti..., op. cit., p. 1851 et p. 5711).
115 G. Mondaini, « La politica indigena dell’Italia coloniale », op. cit., p. 345 et p. 351. L’auteur indiquait que le Parlement local était l’exemple d’une politique de « collaboration italo-arabe fondée sur la double base du respect pour la vie juridique indigène et de la progressive assimilation spontanée de [l’indigène] à l’élément juridique occidental. » (ibid., p. 351).
116 Le Parlement nommait également les cadis de la Tripolitaine. Dans ce cas, les membres non Musulmans de l’institution étaient tenus logiquement de s’abstenir.
117 Ce « préférentialisme » fut critiqué par des juristes contemporains aux décrets de 1919. V. notamment, A. Bertola, « Libertà ed uguaglianza religiosa negli statuti libici », Rivista di Diritto Pubblico, 1920, p. 392
118 Les autorités italiennes se félicitaient en 1919 de la situation dans laquelle était la France : « Il m’a semblé opportun de reproduire de larges morceaux du contenu de l’article parce que celui-ci s’inscrit parmi les multiples manifestations qui traduisent le dépit des collectivités françaises d’Afrique du Nord à cause de l’impression produite dans les populations indigènes par le geste libéral de l’Italie. » (« missive adressée au Chef du Bureau politique militaire à Tripoli », le 26 août 1919, p. 2, A.S.M.A.I., Posizione 98, fase. 14: « situazione politica e stato dello spirito pubblico indigeno », 1915-21).
119 R. Azoulay, op. cit., pp. 32-33.
120 Les auteurs « libéraux » préconisaient diverses solutions comme l’association ou la généralisation de la pratique du protectorat (v. R. Von Albertini, op. cit., pp. 496 et s.).
121 C’est nous qui soulignons.
122 « Rapport du Gouverneur Général de l’Algérie au Ministre de l’Intérieur », op. cit., p. 56.
123 « Rapport du Gouverneur Général de l’Algérie au Ministre de l’Intérieur », ibid., p. 18.
124 G. Ambrosini, « La condizione giuridica dei libici dall’occupazione all’avvento del fascismo », R.D.C., janvier 1939, n° 1, p. 85.
125 « Mouvement fécondé par les fameuses proclamations du Président Wilson et spécialement par les paroles contenues dans le message du 7 janvier 1918 dans lequel était proclamé la liberté des colonies de s’organiser et de se gouverner, – principe accepté intégralement dans les normes du Pacte pour la Société des Nations – et en raison desquelles surgirent diverses constructions temporaires de gouvernement dans les pays islamiques : parmi lesquels la République de la Tripolitaine dont les chefs pourtant – en raison de leurs dissensions et de leur conscience des conditions des populations libyennes qu’ils savaient ne pas être aptes à se gouverner sans l’appui d’une grande puissance- parvinrent à des accords avec le gouvernement italien (...). » (U. Bassi, op. cit., pp. 24-25).
126 Ainsi De Bœck affirmait dans la Revue indigène : « Mais la rigidité des systèmes juridiques doit céder le pas aux nécessités sociales. Bien mieux, les systèmes juridiques sont toujours révisables en vue de leur adaptation aux exigences de l’heure contemporaine. » (op. cit., pp. 447-448).
127 G. Ambrosini, « La condizione giuridica dei libici... », op. cit., pp. 76 et 90.
128 V. G. Ambrosini, « Lo statuto dei nativi... », op. cit., p. 320.
129 P. Weil, op. cit., p. 240.
130 « Rapport du Gouverneur Général de l’Algérie au Ministre de l’Intérieur », op. cit., pp. 33-34.
Auteur
A.T.E.R. à la Faculté de Droit d’Aix-Marseille
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