L’opposition suspect-patriote sous la Terreur
p. 257-268
Texte intégral
1Si la Terreur se marque par l’emploi de la violence et de la contrainte à des fins politiques, Patrice Gueniffey refuse de la considérer comme une simple illustration de l’illimitation du pouvoir, mais comme sa part obscure. Plus qu’un simple avatar tumultueux de la Révolution, il y voit « le produit de la dynamique révolutionnaire, et peut-être de toute dynamique révolutionnaire »1. Mais si la cause de la Terreur ne peut selon lui être expliquée par la peur, le fait est qu’elle joue en permanence sur ce registre. La peur est l’un de ses principaux ressorts, comme le confirme Tallien : « le pays a été divisé en deux classes : celle qui fait peur et celle qui a peur ». Dans son essai sur la Mentalité révolutionnaire, Michel Vovelle définit la Terreur comme « la peur contrôlée, maîtrisée, fixée dans les limites d’une justice populaire, non plus passive mais active, ce n’est plus celle qu’on ressent, panique et irrationnelle, mais celle que l’on inspire à bon escient aux ennemis de la liberté »2. La révolution ayant mis au point elle-même « les objets et les supports de son hostilité »3, c’est dans cette instrumentation de la peur qu’apparaît la figure du suspect.
2La suspicion existe dès le début de la révolution, dans une sorte de réflexe défensif de la population déstabilisée. Avec la guerre, qui confond vite opposition et trahison, elle change de nature. La pression ne cesse d’augmenter sur les suspects, considérés comme des otages de la république. Ils prennent ainsi part dans le mécanisme défensif de la république en guerre, leur arrestation étant le gage de la paix intérieure. Mais de simple réflexe défensif, la suspicion se mue en une nécessité constructive, exploitée par les nouveaux maîtres.
3Si la Législative vote l’arrestation des personnes suspectes dès août 1792, elle n’en donne pas d’autre justification que la clameur publique, au point qu’un an plus tard, Danton insiste sur la nécessité de n’arrêter que des hommes vraiment suspects. La mesure doit s’exécuter « avec plus d’intelligence que jusqu’à présent, où, au lieu de saisir les grands scélérats, les vrais conspirateurs, on a arrêté des hommes plus qu’insignifiants »4. L’orateur ne fournit pourtant aucun critère susceptible de déterminer les motifs d’une véritable suspicion. Après les périls d’août 93, alors que Billaud-Varenne demande à la Convention l’arrestation immédiate des suspects, Basire répond qu’il faut définir le terme pour éviter les excès et les différences de traitement entre les sections. Mais l’arrestation des suspects est une fois encore votée sans autre précision que la nécessité préalable d’opérer une épuration des sections chargées d’y procéder.
4Pendant longtemps, c’est surtout en dehors de l’assemblée que se poursuit la recherche d’une définition de la notion de suspect, d’après les éléments qui la constituent. Polysémique, elle combine des critères sociaux, politiques, religieux, voire moraux. Faute d’une définition légale, le terme est néanmoins sujet à toutes les interprétations, surtout les plus extensives. Alors qu’elle vient de mettre la Terreur à l’ordre du jour, la Convention comprend finalement qu’elle doit légiférer pour ne pas être débordée. Mais si l’article 2 de la loi du 17 septembre 1793 apporte bien quelques précisions, l’ensemble reste marqué par un flou extraordinaire dont il faudra donner la cause.
5Les lois étant systématiquement en décalage avec la réalité de la suspicion, la Convention suit le mouvement plus qu’elle ne l’inspire. L’étude s’appuiera donc sur les discours (prononcés dans les Clubs ou à l’Assemblée) et les écrits qui disputent de la question, sur les adresses envoyées par les sections et les comités de surveillance, ainsi que sur les lettres des représentants en mission. Ces sources soulignent combien ceux qui furent chargés de la recherche des suspects outrepassèrent la loi de septembre, jugée insuffisante (dans le silence longtemps bienveillant de la Convention).
6Si la dénonciation des suspects dépasse le cadre de la Terreur, elle en est inséparable dans la mesure où le gouvernement révolutionnaire l’a radicalisée en l’intégrant dans un discours pour justifier son action face à la menace. En l’espèce, comme la Terreur dont il est un des instruments, le suspect est investi d’une dimension à la fois défensive et constructive. Si la plasticité de la notion en fait un réceptacle de toutes les peurs (I), elle est aussi un élément fondateur du discours jacobin, dans lequel elle œuvre à la production d’une image de la citoyenneté et de la République (II).
I - LA PROSCRIPTION DES SUSPECTS POUR LA DÉFENSE DE LA RÉVOLUTION
7Le constat de la variété infinie des visages qui composent le phénomène de la suspicion oblige à rendre compte du flou apparemment volontaire des textes qui l’instituent.
- Les contours variés d’une notion polysémique
8Sous le terme générique de suspects, ce ne sont pas seulement des individus particuliers, mais bien des catégories de plus en plus larges qui sont visées, autour de mythes secrétés par la Révolution. Pour reprendre la présentation de Georges Lefèbvre, la suspicion « ne vise pas le coupable probable d’un fait accompli, mais l’auteur possible d’un crime éventuel dont on l’estime capable »5. Quels en sont les points d’imputation ?
9L’article 2 de la loi du 17 septembre fournit une première typologie des suspects, autour de trois critères principaux : politiques, économiques et sociaux. L’absence du critère religieux surprend, alors que c’est contre les prêtres réfractaires que la suspicion avait d’abord été développée. Mais le 5 septembre 1793, Basire avait convaincu la Convention d’un élargissement de la notion au-delà des limites qui l’avaient vu naître, au motif soit que les nobles et les prêtres avaient émigré, soit qu’ils avaient été déportés6. L’épisode est révélateur du fait que personne ne conteste la légitimité de la suspicion, dont seuls ses contours font finalement question.
10A cet égard, la loi étant presque immédiatement jugée trop restrictive, Chaumette en produit un commentaire le 10 octobre 1793, dans lequel il double le nombre des critères. Puis Barère expose à son tour « les caractères auxquels reconnaître les gens suspects »7. Ces extrapolations de la définition légale témoignent de l’élargissement de la lutte, qui est passée des ennemis déclarés de la révolution à ses opposants simplement supposés. Ce changement favorise une hypertrophie de la notion de suspect, constamment élargie pour attraper tous les adversaires de la révolution.
11Si l’hostilité contre la révolution et la République (dans leur acception jacobine) apparaît vite comme le plus petit dénominateur commun des suspects, elle se manifeste de plusieurs manières. Le suspect n’est pas seulement celui qui agit positivement contre la République, mais aussi, et peut-être même surtout, celui qui s’abstient ou celui qui en fait trop, La paranoïa est un élément constitutif de la suspicion, qui n’est pas seulement dans les rangs de ceux que l’on pourrait considérer comme naturellement suspects (visés par la loi du 17 septembre), mais dans les rangs mêmes de ceux qui se disent les partisans de la révolution, et dont l’ardeur outrée dissimule une volonté de nuire8. Si l’excès de zèle devient suspect, cette tendance paranoïaque se développe évidemment d’autant plus qu’elle ne trouve pas de limite dans une définition légale fixe.
12L’égoïsme et l’indifférence sont aussi visés. Chaumette suspecte ceux « qui n’ayant rien fait contre la Révolution, n’ont aussi rien fait pour elle »9, et les arrestations s’appuient sur les motifs d’égoïsme, d’avarice à l’égard de la patrie, ou de caractères dominés par l’intérêt particulier10. La possibilité même que subsiste un intérêt particulier heurte les jacobins, pour lesquels personne n’a plus droit à une vie privée. L’austère Saint-Just, pour qui le bonheur est une idée neuve en Europe, dénonce ainsi l’idée affreuse que certains se font du bonheur, parce qu’ils la confondent avec le plaisir11. Même les jouisseurs deviennent suspects de contre-révolution, révélant du même coup que si l’on est suspect par sa profession, son entourage et ses fréquentations, on l’est aussi par sa personnalité et son attitude.
13On est anti-révolutionnaire dès lors que l’on n’est pas pro-révolutionnaire. Il ne suffit donc pas de ne pas agir contre la révolution, il faut signaler effectivement et constamment son attachement. Même le silence est suspect, comme l’assène Robespierre le 21 messidor (« quand un homme se tait au moment où il faut parler, il est suspect »12). Il faut parler tout le temps en faveur de la révolution, c’est-à-dire approuver l’action du gouvernement révolutionnaire. Le vrai civisme est là13, et le patriote se signale par son engagement en faveur de la république. Cet impératif s’explique par le contexte de l’époque14, alors que l’activisme des sections comble avec peine le désintérêt des masses préoccupées de leur survie quotidienne. La menace de la suspicion apparaît donc un moyen de remobiliser.
14L’imprécision de la loi de septembre favorisant l’exploitation de ses silences dans un sens toujours plus extensif, pourquoi le législateur a-t-il couvert ce flou de la suspicion, dont l’esprit est en outre tellement en contradiction avec les principes proclamés depuis 1789 ? L’enjeu est important, car certains y voient un concentré de tous les excès de la Terreur (Benjamin Constant estime ainsi que « les hommes ambitieux de tyrannie ont personnifié de la sorte la société en masse, pour s’offrir à eux-mêmes, dans l’intérêt de cette société fictive et abstraite, l’holocauste des citoyens en détail »15). Pourquoi la Révolution s’est-elle donnée à elle-même un tel démenti ?
- Le flou juridique au service de fins politiques
15En matière de suspects, la subjectivité des dénonciations est souvent masquée derrière une prétendue évidence qui semble justifier l’absence de critères établis. Ainsi Collot d’Herbois se flatte-t-il de « reconnaître un suspect rien qu’en le regardant entre les deux yeux », et Fabre d’Eglantine prétend « sentir les suspects d’une lieue, comme un bon chien de chasse qui sent le gibier »16. L’idée de reconnaissance spontanée inspire aussi la commission créée pour le contrôle des motifs d’incarcération des suspects lyonnais, dont l’action « se fonde sur l’éclat de la vérité, le trait vif et pur du sentiment d’une conscience convaincue »17. Morales et politiques, les justifications se trouvent dans la conscience de ceux qui sont animés par l’objectif de sauver la patrie. Pourtant, même si la suspicion est plus un sentiment qu’un concept juridique, il apparaît nécessaire de la justifier.
16Exprimant la logique défensive des nouveaux maîtres, Robespierre explique à de nombreuses reprises que « le mal qu’on fait est suscité par ceux que l’on vise », et que « la mesure de la force (du gouvernement révolutionnaire) doit être l’audace et la perfidie des conspirateurs ». Le gouvernement répondant à l’hostilité des suspects, son action est appuyée « sur la plus sainte de toutes les lois, le salut du peuple ; sur le plus irréfragable de tous les titres, la nécessité »18. Barère reprend la même trame pour justifier la suspicion : « Une institution terrible, mais nécessaire, une institution qui a sauvé la France malgré quelques abus (quelle institution en a jamais été exempte ?) a été disséminée dans toutes les sections, dans toutes les communes. La loi qui a fait arrêter les personnes suspectes a été et a dû être portée. (...) l’opinion publique a désigné la majeure partie des suspects ; la loi a dû les frapper »19.
17La finalité et la nécessité justifient les moyens utilisés. Dans la période troublée que traverse la patrie, la fonction essentielle de l’État, qui est de veiller à la protection des personnes et des biens, est éclipsée derrière l’impératif du salut public. Et il n’apparaît pas utile de préciser les critères de la suspicion, dès lors que ceux qui dénoncent les suspects en sont animés. Mais comment admettre que la seule limite à la délation réside dans la conscience des citoyens, dont rien n’indique que le souci du salut public n’y est pas concurrencé par des griefs plus personnels ? Car si l’argument du salut public justifie l’absence de définition légale précise, force est de constater que cette absence favorise des débordements20.
18A la fin de l’année 1793, Camille Desmoulins entame la campagne des Indulgents dans le numéro 3 du Vieux Cordelier21. Dans un style caractéristique, plein de références à l’antiquité, il évoque le crime de lèse-majesté, d’abord circonscrit sous la République romaine, puis exagérément enflé sous l’Empire, au point que tout le monde pouvait en être suspecté. Établissant un parallèle entre la République et le Despotisme, il souligne alors que si pour la première, « il vaut mieux ne pas punir plusieurs coupables que de frapper un seul innocent », le second estime au contraire « qu’il vaut mieux que plusieurs innocents périssent que si un seul coupable échappait ». En conséquence de quoi il accuse le Comité d’avoir jugé que « pour établir la République, il avait besoin un moment de la jurisprudence des despotes ». Le temps de crise étant passé, la Terreur doit être rapportée, ou au moins certains de ses mécanismes nuancés : la suspicion doit laisser place à la clémence22.
19Si le gouvernement minimise un temps ces critiques, elles révèlent pourtant le trouble qui saisit la société (et bientôt la Convention). En dépit de l’espèce d’évidence invoquée à l’appui de la suspicion, le gouvernement confronté à la contestation cherche à persuader de son droit23. Mais où est le droit ?
20On est évidemment choqué par la transformation de la présomption d’innocence en présomption de culpabilité24, ainsi que par l’absence délibérée de formalisme pour priver les suspects de la liberté, dont le ministre de l’intérieur Garat rappelait pourtant dès mai 1793 qu’elle est « le premier des biens de l’homme naturel, le premier des droits de l’homme en société »25. Dénonçant l’imprécision de la loi de septembre, Desmoulins estime qu’en matière de suspects, tout le monde prétend faire la loi sous couvert de l’interpréter26. Précisons que dès le 17 septembre 1793, Chalier justifiait le flou de la loi en expliquant que « c’est précisément parce que l’article n’est pas précisé qu’il vaut mieux » (il laisse toute latitude aux représentants)27.
21Or après s’être longtemps accommodés de cette imprécision, les députés finissent par la dénoncer dans la loi du 22 prairial an II, qui fait des suspects les ennemis du peuple. Ils réclament « une rédaction moins vague et plus caractérisée »28, semblant se rappeler opportunément de la nécessité pour « les lois révolutionnaires (d’être) claires (pour) ne donner lieu à aucune équivoque »29. Duhem leur répond qu’« à force de demander des explications, on atténue les lois les plus salutaires ». Par où il faut comprendre que dans la logique du gouvernement révolutionnaire, l’évidence du salut public dans la conscience des patriotes rend encore inutile toute précision légale30. Louis Jacob a bien montré que la suspicion résulte « d’un ensemble d’indices dont aucun n’est à lui seul une preuve. Elle n’est que le résultat d’une impression subjective, toute morale »31. Impression subjective de ceux qui dénoncent, à propos de laquelle Robespierre précise que l’absence de critères légaux maintient en alerte la vigilance des patriotes. C’est le sens de sa réponse aux lyonnaises venues manifester pour la libération de leurs époux emprisonnés : « Peut-être serait-il utile de prendre un parti pour séparer l’aristocratie du patriotisme (...) ; mais c’est une chose infiniment délicate. Si nous n’en combinions pas mûrement le résultat, les individus chargés de remplir la maison [de suspicion], que vous leur auriez donnée, pourraient oublier la sévérité qui convient à ceux dont le mandat est de sauver la patrie ».32.
22Ceci révèle surtout que pour les maîtres du gouvernement, les suspects ne sont que des symboles ; ils n’importent pas en tant que tels et doivent être sacrifiés au salut public. Saint-Just avait d’ailleurs prévenu : « il y a quelque chose de terrible dans l’amour sacré de la patrie ; il est tellement exclusif qu’il immole tout sans pitié, sans frayeur, sans respect humain à l’intérêt public »33.
23Mais alors que l’idée du sacrifice des suspects au salut public fonde justement l’opposition des Indulgents, pour qui la suspicion n’est pas conforme au droit34, les maîtres du gouvernement répondent que si le droit protège bien les individus, la politique vise le salut public : la suspicion dépasse la sphère du droit.
24La plupart des arrestations sortant du cadre flou de la loi de septembre, le droit naturel est souvent invoqué dans les débats sur les suspects35. Desmoulins rappelle ainsi que « dans la déclaration des droits, il n’y a point de maisons de suspicion, il n’y a que des maisons d’arrêt. Le soupçon n’a point de prisons, mais l’accusateur public ; il n’y a point de gens suspects, il n’y a que des prévenus de délits fixés par la loi ». Il accuse donc le Comité de s’être cru autorisé à voiler « pendant quelque temps la statue de la Liberté » au nom de la République à établir36. Le 16 ventôse an II, la section Marat entreprend d’ailleurs de voiler le tableau de la Déclaration des droits de la salle des séances du Conseil général de la Commune (geste symbolique en réponse au décret du 8 ventôse ordonnant la mise sous séquestre des biens des suspects, en violation du droit de propriété)37. Mais la Déclaration lui est opposée en retour par le président de séance, qui explique que la mesure étant prise pour la subsistance des patriotes indigents, est au contraire parfaitement conforme au droit naturel. Comme déshumanisés par la charge symbolique dont ils sont revêtus, les suspects apparaissent finalement traqués au nom de l’humanité.
25Le droit positif ne leur vient pas plus en secours. Parmi les partisans de la suspicion, personne ne songe à la faire entrer dans les limites du droit pénal38. C’est en substance la réponse du président de la Convention à la délégation de femmes lyonnaises : « Mal à propos vous la confondez, cette mesure salutaire, avec une loi pénale ; le salut du peuple est ce qui a déterminé les arrestations qui affectent votre sensibilité ». Comme pour souligner le caractère finalement modéré des mesures révolutionnaires, il ajoute qu’à Athènes « une loi du plus sage des législateurs, le vertueux Solon, condamnait à la peine de mort tous les citoyens qui, dans les événements révolutionnaires, n’avaient pris aucun parti ».
26La distinction fameuse exposée par Robespierre entre le régime constitutionnel et le régime révolutionnaire fonde encore le rapport préalable à la loi du 22 prairial, où Couthon défend que l’on confonde « les mesures prises par la République pour étouffer les conspirations, avec les fonctions ordinaires des tribunaux pour les délits privés et dans les temps de calme »39. L’intérêt public étant en jeu, la gravité du délit probable impose de sortir de la voie pénale ordinaire (la démonstration se concluant sur l’affirmation selon laquelle il s’agit moins de punir les ennemis du peuple, que de les anéantir). Dans ces conditions, le droit positif apparaît d’autant moins susceptible de prévenir le dérapage de la suspicion, qu’il l’organise lui-même dans la loi de prairial.
27En matière de suspects, le juridique est donc évincé par les finalités politiques du gouvernement révolutionnaire40. Outre le contexte défensif, la raison s’en trouve sans doute dans le fait que pour les Jacobins, le suspect est l’élément d’un discours dans lequel il œuvre au fondement de la république.
II - L’EXPLOITATION DU SUSPECT AU FONDEMENT DE LA RÉPUBLIQUE
28Dans la dimension fondatrice que lui confère la logique jacobine, le thème du suspect souligne en creux les qualités du patriote. Mais au-delà de l’individu, il œuvre aussi à la consolidation de la République, par le renforcement de son unité dans la désignation de ses ennemis internes.
- À rebours du suspect, l’idéal du citoyen patriote
29Les Jacobins considèrent vite avec méfiance l’ensemble du pays (hors des clubs et des sections), radicalisant encore un peu plus la « classification péremptoire qui partage les français (...) en deux catégories de citoyens : les purs et les indignes, les patriotes et les suspects »41. L’opposition des termes est essentielle, puisque par les griefs qui lui sont reprochés, le suspect dévoile les qualités du bon citoyen qu’est le patriote.
30Parmi celles-ci, la délation est présentée comme un devoir civique, auquel l’œil de la surveillance, emblème révolutionnaire, rappelle en permanence les citoyens : qui soutient ce regard est innocent, qui ne le soutient pas est suspect. Derrière l’exploitation politique de la dénonciation, la capacité à déceler le suspect signale les citoyens comme des patriotes. Autant dire donc avec Claude Lefort que « l’identité de l’homme révolutionnaire lui est donnée par l’ennemi »42, le suspect. Leur opposition est d’ailleurs allée croissante, jusqu’à connaître son apogée dans la loi du 22 prairial, où elle devient pour ainsi dire physique : sans défense, les personnes arrêtées sont directement confrontées aux jurés-patriotes, « défenseurs naturels et amis nécessaires des patriotes accusés »43.
31Mais c’est précisément à l’occasion du vote de cette loi que le terme de patriote, si évident qu’il n’avait pas reçu jusqu’alors de définition précise (pas plus que son corollaire le suspect), suscite des débats à la Convention. Les députés hésitent après l’élimination des factions, ne pouvant s’appuyer sur un vocabulaire décidément mouvant : si l’on ne sait plus qui est patriote, tout le monde peut-être suspect. Au nom du Comité, Duhem exploite à nouveau l’argument de l’évidence : « nous entendons tous ce qu’est un juré patriote, c’est un homme dans le sens de la révolution, un véritable ami de la liberté, un chaud défenseur du patriotisme qu’on opprime et qu’on calomnie »44. Mais le terme se révèle en réalité aussi protéiforme que celui de suspect, et en dépit de multiples présentations empreintes d’un indéniable romantisme45, il n’existe pas un prototype positif de l’homme révolutionnaire.
32Le jacobinisme associe le patriotisme à la vertu, sans laquelle la Terreur est funeste. Elle est omniprésente dans le discours des maîtres du pouvoir, essentiellement dans sa dimension civique. Dans son discours sur les principes de morale politique, Robespierre la vante comme un sentiment sublime, qui « suppose la préférence de l’intérêt public à tous les intérêts particuliers (...) Tout ce qui tend à concentrer les passions du cœur humain dans l’abjection du moi personnel, à réveiller l’engouement pour les petites choses et le mépris des grandes, doit être rejeté ou réprimé »... réprimé par la Terreur (« sans laquelle la vertu est impuissante »). La politique est morale et la morale est politique, au point que « chaque corruption morale est en même temps corruption politique et réciproquement »46.
33Or comme de l’absence de nuance dans cette opposition établie entre la vertu et le vice, découle nécessairement la stigmatisation de ceux qui ne s’engagent pas en faveur de la révolution, les suspects ne le sont pas tant par rapport à des critères légaux que par rapport à la vertu révolutionnaire (jacobine). Et dans cette perspective, ils apparaissent finalement comme les instruments d’une pédagogie de la citoyenneté (vertueuse), sous forme de dissuasion politique47. Mais comme il y a loin de l’idéal à la réalité de la citoyenneté patriote, un principe de répression infinie peut alors s’installer. Et c’est assez logiquement (en tout cas dans la logique froide de Robespierre, Couthon, Saint-Just) qu’au terme de l’article 6 de la loi du 22 prairial, encourent la mort ceux qui auront cherché « à dépraver les mœurs et à corrompre la conscience publique »48. L’assimilation de la vertu civique à la vertu, justifie qu’en plus de contrôler les actions, le gouvernement prétende aussi sonder les reins et les cœurs. L’idéal de surveillance se mue en une exigence de transparence, selon laquelle le vrai citoyen est celui qui n’a rien à cacher et qui accepte d’évoluer sous le regard des autres.
34Dans cette mesure, le patriote est avant tout le militant clubiste (les sans-culottes et les jacobins se voient comme une élite de la vertu patriotique) qui vit activement la Révolution, à laquelle il sacrifie son existence privée. Le départ entre le suspect et le bon citoyen est dans le patriotisme, dont la composante essentielle est le sacrifice de sa personne et de ses biens à la patrie49. La création de la patrie supposant une tension de l’individu vers le collectif, la citoyenneté patriotique est active, le sujet républicain est « un être politique qui, chaque jour, doit mériter la place qui lui est réservée »50. Comme l’explique Billaud-Varenne, le civisme est « le principe sublime de l’abnégation de soi-même »51. Replié sur son intérêt privé, le suspect ne mérite pas de la nation. Dans leur logique de purge de tout ce qui n’est pas patriote, les membres du gouvernement révolutionnaire apparaissent alors prêts à sacrifier les générations présentes pour le bonheur des générations futures (au risque de confirmer le mot de Vergniaud « la Révolution est comme saturne : elle dévorera tous ses enfants »). Mais ce sacrifice est justifié par la vocation constructive de la Terreur, qui œuvre à la fondation du nouvel ordre républicain.
- La suspicion au fondement du nouvel ordre républicain
35Saint-Just veut « créer un ordre de choses tel qu’une pente universelle vers le bien s’établisse ». En même temps qu’elle régénère l’individu pour en faire un citoyen patriote, la politique associée à la vertu forme un collectif -la société républicaine. Billaud-Varenne veut « recréer le peuple qu’on veut rendre à la liberté », pour faire de la société « un échange journalier de secours réciproques »52. Dans ces conditions, la solidarité est une nécessité à laquelle la Terreur doit éventuellement contraindre les citoyens. Mais parce que la fraternité est toujours susceptible d’être rompue, Barère alerte ses concitoyens : « tout français aujourd’hui est votre frère, jusqu’à ce qu’il se montre ouvertement traître à la patrie »53.
36La mise en garde témoigne de ce que l’union forgée par la Terreur se fonde surtout en opposition à ceux qui représentent un danger de dissolution. De Brissot invoquant la nécessité de grandes trahisons, à Saint-Just pour qui la république est la destruction totale de ce qui lui est opposé, la logique des révolutionnaires est animée par cette idée que l’on saisit mieux ce contre quoi on lutte que ce pourquoi l’on se bat. Et c’est précisément ici que les suspects resurgissent : ils incarnent ce risque de dissolution contre lequel la communauté doit s’unir, qui se révèle plus lisible que tout élément positif d’union. Pierre Rosanvallon relève ainsi parfaitement la nécessité constitutive de la désignation de l’ennemi, qui dessine « en creux la figure d’un peuple qui ne s’affirme que dans la lutte contre ce qui n’est pas lui »54. Identifié au peuple vertueux dont il forge l’image et qu’il prétend représenter (s’opposer au gouvernement, c’est s’opposer au peuple), le gouvernement révolutionnaire exclut le pluralisme politique au nom de l’unité républicaine55.
37Après l’élimination des factions, il ne tarde pourtant pas à éprouver les limites de cette logique négative de l’unité. Il se trouve alors dans une impasse : pour faire l’unité du peuple, la Terreur avait besoin de suspects à dénoncer –suscitant l’hypertrophie constante de la notion, puis sa transformation en celle d’ennemis. Mais après avoir dénoncé des ennemis communs, le gouvernement révolutionnaire s’est retourné contre ses propres soutiens. Or si la citoyenneté est conçue en termes de sacrifice, l’élimination des factions apparaît finalement comme le sacrifice de trop exigé de la population. L’unanimité obtenue par la violence sème le doute chez des citoyens (et les députés) désemparés, incapables de départager avec certitude les suspects des patriotes. En dépit de l’espèce d’évidence instituée dans les esprits, l’absence de définition légale se fait désormais sentir. D’autant que si les citoyens ne comprennent plus la logique de la Terreur, ils n’en voient pas non plus le terme.
38Les finalités politiques invoquées à l’appui de la suspicion n’étant plus lisibles, le droit un temps éclipsé ne tarde pas alors à faire sa réapparition contre ce qui est désormais dénoncé comme de l’arbitraire. Après la chute de Robespierre, la loi de prairial est rapportée à l’unanimité le 14 thermidor, alors que le 18 est décidée la mise en liberté de ceux dont les causes d’arrestation ne figurent pas dans la loi des suspects. Ce n’est pourtant que le 15 vendémiaire an IV que la Convention rapporte les décrets relatifs aux personnes suspectes. La délation est dénoncée, et la loi redevient une limite aux débordements. Déchargée de sa vocation constructive (fondation d’un homme nouveau), la suspicion ne vise plus que les « ennemis du bon ordre ». Preuve éclatante de ce changement, la lettre adressée par Merlin de Douai (alors ministre de la police générale) qui explique que l’on ne doit poursuivre que les « individus condamnés ou prévenus de délits qui nécessitent leur arrestation. Une plus grande extension qui porterait sur d’autres, désignés vaguement comme suspects ou à surveiller, pourrait devenir dangereuse en donnant lieu à des actes arbitraires, à des vexations, en compromettant, contre le vœu de la justice et des lois, la liberté de beaucoup de citoyens »56. Le citoyen étant redevenu la fin de l’État, et non un moyen de sa politique, sa protection lui est un devoir. Le suspect est rentré sous le droit.
Notes de bas de page
1 P.Gueniffey, La politique de la Terreur, Paris, Fayard, 2000, pp. 13-14.
2 M. Vovelle, La mentalité révolutionnaire, Paris, éd. Sociales, 1985, p. 62.
3 Ibid., p. 87.
4 Danton, Convention nationale, Archives Parlementaires, 1ère série, 1789-1799, t. 72, 12 août 1793, p. 103.
5 G. Lefebvre, La Révolution française, Paris, PUF, 1968, p. 148.
6 Basire, Convention nationale, A.P., t. 73, p. 417. La loi de septembre n’évoque pas non plus les étrangers, déjà atteints par une loi du 6 septembre 1793. D’abord limitée aux ressortissants des pays en guerre contre la France, la suspicion s’étend progressivement à tous les étrangers. Voir le rapport de Garnier (de Saintes) au nom du Comité de Sûreté Générale, Buchez, Roux, Histoire parlementaire de la révolution française, Paris, Paulin, 1834-1838, t. 29, p. 54.
7 Barere, Convention nationale, 6 nivôse an II (26 décembre 1793), Buchez, Roux, op.cit, t. 31, p. 22.
8 Ex. Grangeneuve, Convention nationale, 26 mars 1793, A.P., t. 40, p. 583 : Suspect est celui qui revêt le « faux masque du patriotisme ». Chaumette, Commune, 20 vendémiaire an II (10 octobre 1793) : suspects ceux qui arrêtent l’énergie du peuple « par des discours astucieux, des cris turbulents et des menaces » (alinéa 1) ; ceux qui « parlent mystérieusement des malheurs de la République, s’apitoient sur le sort du peuple, et sont toujours prêts à répandre des mauvaises nouvelles avec une douleur affectée » (alinéa 2).
9 Ibid., alinéas 6, 7, 8.
10 Voir par ex. la Liste des suspects du département des Basses-Pyrénées, 1793. Société des bibliophiles du Béarn, Pau, 1877, 119p.
11 Cité par A.Camus, L’homme révolté (Gallimard, 1951), Paris, Folio, 2002, p. 165.
12 Cité par J.-P. Domecq, Robespierre, derniers temps (Seuil 1984), Paris, Pocket, 2002, p. 137.
13 Plus que dans les certificats de civisme, dont tout le monde avait des doutes sur la manière dont ils étaient délivrés...ou pas. Voir L. JACOB, Les suspects pendant la Révolution, Paris, Hachette, 1952, p. 59. L’auteur évoque le cas d’attestations de non-suspicion délivrées dans le département de la Haute-Vienne (attestations délivrées par les conseils de district et de département, quand les certificats de civisme l’étaient par la municipalité).
14 Le rejet violent de l’indifférence, assimilée à une trahison, s’explique aussi par le volontarisme des jacobins, pour qui la réussite de la révolution ne dépend que de l’énergie des hommes à la soutenir. Voir A.SOBOUL, Les sans-culottes parisiens en l’an II, Paris, Seuil, 1979, pp. 26-27.
15 Cité par L. Jaume, L’individu effacé, Paris, Fayard, 1997, p. 75
16 Cités par P. Bessant-Massenet De Robespierre à Bonaparte, Paris, éd. De Fallois, 2002, p. 31.
17 P. Belda, D’une décentralisation hésitante à une centralisation vigoureuse. Faiblesse et disparition de l’autonomie de la municipalité révolutionnaire lyonnaise (12 avril 1790-7 ventôse an IV), thèse Lyon, octobre 2003, 865p. ; pp. 722-723.
18 Robespierre, 5 nivôse an II, Buchez, Roux, op.cit., t. 30, pp. 460-461.
19 Barere, Convention nationale, 6 nivôse an II, Ibid., t. 31, p. 21.
20 Ils sont justifiés d’avance par la finalité du succès de la révolution. Dès mars 1793, la section de la Réunion explique que si « tous les excès du peuple sont des malheurs (...) ils sont inséparables d’une grande révolution, et quelquefois même nécessaires à sa propagation ». Convention nationale, A.P., t. 40, p. 582.
21 Desmoulins, Le vieux Cordelier, frimaire an II. Reproduction dans Buchez, Roux, op.cit., t. 31, pp. 173-181 (n° 4), pp. 182-196 (n° 3).
22 Celle-ci n’est pas une amnistie, car « une indulgence aveugle et générale serait contre-révolutionnaire ».
23 Claude Lefort précise que si Saint-Just « voudrait qu’on agît en silence, qu’on détruisît tout ce qui est opposé à la république en vertu d’une certitude qui se passerait de mots ; il ne le peut ». C. Lefort, « La Terreur révolutionnaire », in Essais sur le politique, xixè-xxè, Paris, Seuil, 1986, pp. 88-90.
24 Voir J.-M. Carbasse, « La justice pénale pendant la Révolution, quelques réflexions sur les droits de l’homme », Papers in public law, public legal history, natural law and political though, Estudios en homeraje al Professor Jésus Lalinde Abasia, Barcelone, Gráficas Caneta, 1992, p. 146. Du même auteur, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, Paris, PUF, 2000, pp. 3 82 suiv.
25 Garat, Convention Nationale, 6 mai 1793, A.P., t. 54, p. 195.
26 Desmoulins, Vieux Cordelier, n° 3, in Buchez, Roux, op.cit., p. 191, p. 195. Cité par L.Jacob, op.cit., p. 56. Dès le 5 septembre 1793, Barère récusait par avance l’accusation d’arbitraire, en affirmant que l’on n’est pas dans le cadre de vengeances illégales, puisque ce sont des tribunaux extraordinaires qui opéreront cette vengeance. Voir Buchez, Roux, op.cit., t. 29, p. 43. Le reproche d’arbitraire tombe si l’on considère que des commissions de contrôle des arrestations de suspects ont été instituées, de même que la possibilité pour les suspects arrêtés de présenter des réclamations. Albert Soboul estime que la possibilité même d’un élargissement des suspects témoigne du maintien d’un état de droit. A. Soboul, Dictionnaire de la Révolution, « suspects ».
27 Cité par L. Jacob, op.cit., p. 56. Le 5 septembre 1793, Barère récusait par avance l’accusation d’arbitraire, en affirmant que l’on n’est pas dans le cadre de vengeances illégales, puisque ce sont des tribunaux extraordinaires qui opéreront cette vengeance. Voir Buchez, Roux, op.cit., t. 29, p. 43. Pour certains, le reproche d’arbitraire tombe si l’on considère que des commissions de contrôle des arrestations de suspects ont été instituées, ainsi que la possibilité pour les suspects arrêtés de présenter des réclamations. J.L. Matharan affirme que la possibilité d’un élargissement des suspects témoigne du maintien d’un état de droit. Article « suspects », Dictionnaire de la Révolution, A. SOBOUL (dir.), Paris, PUF, pp. 1004-1008.
28 Delacroix, Convention Nationale, 24 prairial an II (12 juin 1794), Buchez, Roux, op.cit., t. 33, p. 205. Le député s’interroge sur le sens de l’accusation de dépravation des mœurs.
29 Mallarme, Ibid., p. 206.
30 Dès septembre 1793, Robespierre balayait la nécessité d’une justification matérielle des motifs d’arrestation des suspects, expliquant qu’il suffit « que la notoriété publique accuse un citoyen d’un crime dont il n’existe point de preuve écrite, mais dont la preuve est dans le cœur de tous les citoyens indignés ». Convention nationale, 24 septembre 1793, Moniteur, XVIII, p. 216. Cet argument fut opposé au décret Lecointre d’octobre 1793, auquel les représentants reprochaient de donner de l’audace aux suspects « car il n’est pas aisé souvent de démontrer matériellement la conduite et l’opinion de ces hommes qui, en secret, trament la perte de la république » Aulard (F.-Α.), Recueil des Actes du Comité de Salut Public, imp. nationale, 1889-1923, VIII, p. 87, lettre du 28 octobre 1793 (le décret fut rapporté dès le 24 octobre).
31 Jacob (L.), op.cit., p. 56.
32 Robespierre, Convention nationale, 20 décembre 1793, A.P., t. 82, p. 37.
33 Saint-Just, Convention Nationale, 11 germinal an II (31 mars 1794), A.P., t. 87.
34 Paraphrasant Rousseau, Desmoulins affirme que « le plus fort n’est jamais pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit » ; Buchez, Roux, op.cit., t. 31, pp. 173 suiv.
35 Dès mars 1793, la section de la Réunion explique : « sans doute nous devons être les esclaves des lois, et nous le serons, mais la conservation de soi-même est la loi première puisqu’elle est la plus naturelle ». Convention Nationale, 26 mars 1793, A.P., t. 40, p. 582.
36 Desmoulins, in Buchez, Roux, op.cit., t. 31, p. 195.
37 Rapporté par A. Soboul, Les sans-culottes parisiens en l’an II, op.cit., p. 729.
38 Convention nationale, 30 frimaire an II (20 décembre 1793), A.P., t. 82, p. 35.
39 Couthon, in Buchez, Roux, op.cit., t. 33, pp. 189-190.
40 Les membres du tribunal révolutionnaire, qui jugent des suspects devenus accusés, acceptent l’asservissement du juridique au politique. Alors que les dantonistes arrêtés demandent l’audition de témoins à décharge, Fouquier et Herman écrivent au Comité de Salut Pubhc pour lui demander la conduite à tenir, « l’ordre judiciaire ne nous fournissant aucun moyen de motiver ce refus ».
41 P. Bessant-Massenet, De Robespierre à Bonaparte, op.cit., p. 29.
42 C. Lefort, op.cit., p.100.
43 Couthon, Convention nationale, Buchez, Roux, op.cit., t. 33, p. 191 (loi du 22 prairial an II, article 16).
44 Duhem, Ibid., p. 206.
45 Ex. Saint-Just : « un homme révolutionnaire est inflexible, mais il est sensé, il est frugal ; il est simple sans afficher le luxe de la fausse modestie ; il est l’irréconciliable ennemi de tout mensonge, de toute indulgence, de toute affectation. Comme son but est de voir triompher la révolution, il ne la censure jamais, mais il condamne ses ennemis sans l’envelopper avec eux ; il ne l’outrage point mais il l’éclaire (...). Un homme révolutionnaire est un point d’honneur ; il est policé sans fadeur, mais par franchise et parce qu’il est en paix avec son propre cœur ; l’homme révolutionnaire est intraitable avec les méchants, mais il est sensible ; (...) il poursuit les coupables et défend l’innocence devant les tribunaux ; il dit la vérité afin qu’elle instruise, et non afin qu’elle outrage (...) ». Rapport du 26 germinal an II, A.P., t. 88, pp. 613 suiv.
46 A. Camus, op.cit., pp. 158 suiv.
47 Parce que la conscience des citoyens orientée vers le salut public indique qui sont les suspects, Saint-Just y voit la meilleure des polices : « l’esprit public est dans les têtes ; (...) ayez donc une conscience publique, car tous les cœurs sont égaux par le sentiment du mal et du bien, et elle se compose du penchant du peuple vers le bien général ».
48 Cette assimilation de la vertu et de la politique n’étant toutefois pas précise pour tout le monde, certains députés s’interrogent sur la signification exacte de la dépravation des mœurs. Voir Buchez, Roux, op.cit., t. 33, p. 205.
49 L’exploitation du thème du sacrifice à la patrie n’est pas nouvelle. Ainsi Roland expliquait-il dès juin 1792 à Louis XVI que la patrie « est un être auquel on fait des sacrifices, à qui l’on s’attache chaque jour davantage par les sollicitudes qu’il cause, qu’on a créé par de grands efforts, qui s’élève au milieu des inquiétudes et qu’on aime autant par ce qu’il coûte que par ce qu’on en espère ». Cité par M. Vovelle, op.cit., p. 27.
50 Sur ce thème, voir Le citoyen : mélanges offerts à A. Lancelot, Paris, Presses de Science Politique, 2000, 319 p.
51 Billaud-Varenne, Convention Nationale, 1er floréal an II (20 avril 1794), A.P., t. 89. Robespierre rappelle vertement la dimension sacrificielle du civisme, aux lyonnaises venues réclamer la libération de leurs maris incarcérés. « Des femmes, des épouses, ne sont-elles pas aussi des citoyennes, et ce titre ne leur impose-t-il pas des devoirs supérieurs à ceux de leur qualité privée ? Ne les anime-t-il pas de vertus devant qui doivent disparaître toutes les vertus privées ? Leur est-il permis, lorsque la France est en guerre avec un grand nombre de tyrans, d’oublier leurs qualités de citoyennes pour ne se rappeler que celles d’épouses, de sœurs, de parentes ? ». Robespierre, Convention Nationale, A.P., 30 frimaire an II (20 décembre 1793), p. 36.
52 Billaud-Varenne, 1er floréal an I (20 avril 1794), Convention Nationale, A.P., t. 89, pp. 94 suiv.
53 Les révolutionnaires crurent à cet égard que « la menace dissuaderait en même temps qu’elle suppléerait aux défaillances de l’instinct de solidarité ». Domecq (J.P.), op.cit., p. 42.
54 P. Rosanvallon, Le sacre du citoyen, Paris, Folio, 2001, pp. 230-231. Lefort confirme que si « le peuple ne gagne la certitude de soi qu’autant qu’il se voit (...) en épiant les signes de trahison », le pouvoir « se signale comme révolutionnaire en désignant un ennemi d’où se fomente l’agression ». C. Lefort, op.cit., p. 131, p. 132. Précisons que dans cette obsession de la conspiration, les capacités des suspects sont non seulement surestimées, mais on n’hésite pas non plus à présumer leur solidarité (justifiant des arrestations groupées).
55 Voir P. Gueniffey, op.cit., p. 67.
56 Merlin De Douai, 21 pluviôse an IV, citée par P. Belda, op.cit., pp. 745-746.
Auteur
Maître de Conférences en histoire du droit Faculté de Bretagne-Sud (Vannes)
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