La théorie de la représentation de la nation anglaise
E. Burke
p. 193-204
Texte intégral
1Le xviiième siècle anglais retentit du grand débat constitutionnel entre la doctrine de la domination de la Couronne : la « prérogative royale », et la thèse de la suprématie du Parlement. Le triptyque qui, entre 1760 et 1783, soulève les questions de la suprématie des Communes, de la prédominance de la volonté populaire aux Communes et du rôle du monarque, déclenche la crise constitutionnelle qui pose le problème de la réforme et aboutit à l’affirmation du régime parlementaire1.
2La naissance de ce régime constitue la toile de fond de l’Angleterre de George III (1760-1820) sur laquelle se projette l’ombre prométhéenne de Burke (1729-1797). Dans cette crise constitutionnelle, Burke est le mentor du parti whig. Et tandis que son opposition va dans le sens d’un parlementarisme moderne, tel Janus, il contribue par son action politique à bloquer la réforme de la représentation politique.
3La représentation2, ce mécanisme qui fait advenir quelque chose qui n’a pas d’existence physique : une abstraction telle que le peuple ou la nation est au fond un exercice de la souveraineté qui implique une délégation de pouvoirs au profit du représentant. Par là même, elle soulève la question de la légitimité du représentant à signifier le représenté ainsi que la marge de liberté du représentant.
4Une relecture de Burke centrée sur la représentation, terrain dominé par l’abstraction, permet de découvrir un théoricien de haute volée. À partir d’un peuple théoriquement souverain, Burke développe une argumentation originale fondée sur la notion de représentation des intérêts et de la nation et élabore un modèle spécifiquement Anglais qui paradoxalement n’est pas sans rapport avec celui du maître de la représentation nationale moderne : Sieyès.
I. DE LA SOUVERAINETÉ DU PEUPLE À SA REPRÉSENTATION
Le peuple : souverain originaire
5Le terme de « Peuple » est un de ces nouveaux concepts clefs de l’esprit du siècle. Burke, par réaction contre les théories abhorrées des Philosophes qui aboutissaient, grâce à la théorie du Droit Naturel fondée sur la raison à établir la souveraineté populaire et à faire du peuple le souverain légitime de l’État, estime que tout le mal présent résulte de l’abus de ce terme vague, susceptible de toutes les interprétations et formule une conception toute particulière du peuple de ses droits et de ses devoirs. L’idée de peuple, précise Burke, est une idée « entièrement artificielle et faite comme toutes les autres fictions légales par accord commun »3. Aussi, loin d’être le maître du pacte et de la constitution, le peuple en est la créature4 ; une créature au lent développement historique. Le peuple correspond au besoin de chaque homme de sentir qu’il fait partie de quelque chose de plus durable que sa propre existence éphémère, qu’il est une époque de « l’espèce ». Ce besoin naturel se traduit par une structure au sein d’une constitution organique qui le lie à la Couronne et au Parlement
« Le peuple est le maître »
6À maintes reprises, Burke affirme que « le peuple est le maître »5. Il soulève ainsi une problématique qui s’insère dans le cadre plus large de la souveraineté caractérisée par l’idée de l’origine divine et populaire du pouvoir6. Dieu source de tout pouvoir intervient en ce monde. Il se dégage du pacte originel que si les hommes exercent la souveraineté elle n’est que relative du fait que Dieu détient la « suzeraineté suprême »7. Idée qui entraîna Fox à déclarer que Burke avait renié le Libéralisme issu de la Révolution de 1688.
7Dans sa volonté d’éviter l’arbitraire du pouvoir monarchique, il reconnaît habilement certains droits et certains pouvoirs au peuple numérique, notamment la liberté : ce « ressort vital et l’énergie de l’État lui-même »8. Mais cette liberté ou plutôt ces libertés historiques n’ont de sens que si elles sont reliées à la notion d’ordre : le peuple est libre, mais cette liberté lui impose des devoirs. À l’instar de Hobbes, Burke fait le panégyrique constant de ces contraintes qui ne sont jamais volontaires et qui sont la contrepartie des droits. En effet, dans sa pensée ce ne sont pas les droits du peuple qui sont prééminents mais ses devoirs. L’erreur consiste donc à croire que l’homme possède des droits sur le gouvernement alors que le droit véritable de la multitude consiste à être protégé dans ses intérêts9. Il se rapproche ainsi d’un de ses maîtres : Montesquieu en affirmant que le « malheur » provient de ces théoriciens qui « commettent presque toujours le sophisme de confondre le droit du peuple avec son pouvoir »10
8Étant donné qu’il rejette avec véhémence la théorie de Rousseau, il convient de ne pas se laisser abuser par son assertion selon laquelle le peuple est le maître. Il récuse11 en effet l’inaliénabilité de la souveraineté populaire qui combine les inconvénients notamment par la confusion qu’elle entretient entre l’origine du gouvernement et sa continuation12
9Son originalité consiste donc à accepter l’idée de souveraineté originaire du peuple tout en lui déniant le droit d’exercer le pouvoir sur le plan politique. Dans ce dessein, l’anti-volontariste qu’il est, considère que le gouvernement n’est pas comme dans la théorie individualiste affaire de volonté, mais de raison, et oppose la « volonté occasionnelle » à la raison permanente. Il souligne donc que le plus souvent « la volonté du grand nombre et son intérêt diffèrent l’un de l’autre »13 pour affirmer, au nom de la raison permanente, que la volonté du peuple n’est pas un critère du bon gouvernement. Enfin, argument décisif, la volonté souveraine de Dieu interdit au peuple de s’imaginer que sa volonté « est la mesure du bien et du mal »14. Il ouvre ainsi le champ à une philosophie de l’ordre en affirmant qu’il n’existe aucun rapport entre le bon gouvernement et le gouvernement de la multitude15
La délégation irrévocable du consentement
10Dans sa construction doctrinale, le consentement des gouvernés diffère fondamentalement du consentement Rousseauiste qui a créé le lien social. En effet, selon Burke, c’est au contraire le lien social qui, par la suite, a exigé le consentement des gouvernés afin de légitimer le gouvernement. Une fois établi, le pouvoir est l’objet d’une « prescription »16 multi-séculaire qui rend le consentement irrévocable en liant les générations futures. Telle est la raison de son attaque des « Nouveaux Whigs » qui soutiennent que : « Le peuple ne doit connaître d’autorité que la sienne, ni d’autre règle de conduite que sa volonté... »17
11La notion de consentement revêt par ailleurs une seconde acception. Le Droit Naturel de type thomiste contraint les gouvernants à exercer le pouvoir dans le respect de la justice et de l’intérêt général. Par ailleurs, l’opinion publique les oblige à reconnaître au peuple la liberté ainsi qu’une portion de pouvoir. Toutefois, le peuple étant naturellement porté aux excès, ce pouvoir est dangereux. Il est donc plus sage de considérer que le peuple, titulaire de la souveraineté originaire, la délègue et se borne à exercer un contrôle des Communes qui correspond parfaitement à ses aptitudes :
12« C’est au peuple qu’il appartient de limiter l’autorité, mais l’exercer et la limiter à la fois serait contradictoire et par conséquent impraticable »18
13En définitive, sa solution est médiane : par le consentement initial, donc par la délégation normalement irrévocable19 du consentement, le peuple est le fondement de l’autorité. Néanmoins, il s’agit d’une souveraineté théorique pour deux raisons. D’une part, la conservation de la société, requiert que cette souveraineté, qui n’est qu’un dépôt, soit presque toujours en sommeil. D’autre part, si Burke utilise le peuple comme vecteur idéologique pour assurer aux Communes leur indépendance et leur contrôle de la monarchie, il instrumentalise le nombre et avoue crûment : « Le reste quand il est faible est l’objet de la protection, quand il est fort le moyen de la force »20
14C’est bien là, la conception d’un whig non démocrate, qui voit dans l’aristocratie la fontaine naturelle de l’autorité pour le peuple et dans la représentation le procédé permettant, grâce à la médiation du Parlement, de transmettre au roi « le sens collectif » de son peuple21, mais également de le contrôler.
Un peuple représenté par une minorité compétente
« La représentation naturelle du peuple »
15La méfiance à l’égard du mouvement démocratique, caractéristique de sa pensée, réside dans sa crainte des masses, mues par la passion et dans l’opinion pessimiste qu’il a de leurs capacités politiques. Défiance qui l’incite à refuser à la volonté populaire d’être la mesure de la rectitude : « On dit que vingt-quatre millions doivent l’emporter sur deux cent mille... cette façon de parler... est ridicule »22. Burke formule donc son idée de peuple en distinguant le peuple en tant que corps global de l’État et la partie restreinte qui en constitue l’agent politique :
« J’ai souvent essayé de compter et de classer ceux qui dans une perspective politique doivent être appelés le peuple... En Angleterre et en Écosse, j’estime que les hommes d’un âge adulte, n’étant pas sur le déclin de la vie, d’un loisir suffisant pour de telles discussions et de quelques moyens d’information et ceux qui sont au-dessus d’une dépendance de domestique peuvent se chiffrer à environ quatre cent mille. C’est là une représentation naturelle du peuple. Ce corps est ce représentant… C’est le corps public Britannique ; et c’est un corps très nombreux »23
16Dans la mesure où cette minorité de quatre cent mille électeurs (qu’il qualifie tantôt de « corps public britannique » tantôt de « peuple ») ayant des loisirs, de la propriété ou bien membres d’un corps responsable permettant d’appréhender les éléments de la politique doit sélectionner une élite de représentants24, Burke favorise un suffrage restreint de type capacitaire et censitaire. Ainsi, il arrive fort naturellement à inclure dans sa conception du peuple l’aristocratie et « l’aristocratie naturelle »25 dont la fonction consiste à éclairer les faibles, les ignorants et les moins pourvus en biens.
La règle de la « majorité compétente »
17Le "peuple" n’est donc pas l’universalité des citoyens de Montesquieu ou de Rousseau. En effet, « Le dogme politique Français : la majorité est le souverain perpétuel, naturel incessant et imprescriptible »26 n’a rien de naturel, c’est un produit de l’art27, une simple convention. Dès lors, Burke qui use du même concept que Rousseau mais en retourne sa signification, lance son attaque contre la théorie Rousseauiste de « a volonté générale ». Opposé à l’idée qui voit dans le peuple le corps édictant la loi car elle implique le nombre et l’égalité, il débouche sur une idée de minorité éclairée ou de "majorité compétente"28 , dans laquelle l’aristocratie naturelle joue le rôle de guide :
18« Il y a dans la nature et dans la raison un principe qui veut que, pour leur avantage, on néglige non l’intérêt mais le jugement de ceux qui sont numero plures en faveur de ceux qui sont virtute et honore minores »29. Burke propose donc, en substituant aux « numero plures » les « virtute et honore minores », un mode de dégagement de la « volonté générale » radicalement différent de celui de Rousseau car :
19« L’esprit est bien plus facilement conduit à acquiescer les actions d’un seul homme, ou de quelques-uns qui agissent comme procureurs généraux de l’État, que dans le vote d’une majorité victorieuse dans des conseils dans lesquels chaque homme a son rôle dans la délibération »30
20De fait, lorsqu’il parle de peuple, il en a une vue éminemment traditionaliste31 qui évoque la conception médiévale puisque cette multitude obéissante32, guidée par ses autorités naturelles s’exprime à travers cette minorité compétente, l’aristocratie naturelle. Il s’oppose donc, comme le fera Sieyès, à la majorité Rousseauiste qu’il assimile à l’état total, mais également à l’idée libérale « one man, one vote »
21Ainsi, conformément à l’idée whig de la curatelle politique du peuple, il anéantit l’hérésie révolutionnaire selon laquelle, l’opinion du nombre souverain constitue l’étalon politique. Contempteur des masses, il juge, à l’instar de Montesquieu33, que le peuple dans sa faiblesse n’est pas capable de discerner lui-même son véritable intérêt.
22Après avoir filtré le peuple numérique par la « représentation naturelle », il aboutit logiquement à se poser en farouche partisan d’une représentation politique « artificielle »34 Dès lors, le Parlement, seul intermédiaire entre le roi et le peuple, se voit impartir la mission essentielle d’être le miroir du peuple en dégageant son véritable intérêt.
II. LA REPRÉSENTATION DES INTÉRÊTS ET DE LA NATION
23Les fondements traditionalistes de la pensée de Burke qui aboutissent au rejet de la souveraineté populaire expliquent son recours à une représentation articulée autour des idées d’intérêt et de nation.
Le corps électoral et sa représentation
Le refus de la représentation numérique
24En avouant que « le nombre mérite toujours quelque considération mais non une considération entière »35, Burke ne cesse implicitement d’opposer dans son concept de peuple, la notion qualitative à la notion quantitative. Dès lors, si chaque homme a le droit au bonheur, à la conservation et à jouir des avantages de la société, il nie avec force que ces droits impliquent celui de participer au pouvoir qui n’a rien d’un droit naturel36. Ainsi s’explique son refus de ce qu’il nomme « le droit de toucher un dividende égal sur les bénéfices de la société »37. En d’autres termes, si dans le domaine des droits civils les hommes détiennent des droits égaux, il n’en va pas de même dans le domaine politique ou leurs droits conventionnels sont variables, notamment celui de participer au pouvoir qui leur est généralement refusé.
25Le problème de l’élection des représentants relève, en réalité, pour Burke de la quadrature du cercle dans la mesure où il admet la nécessité du processus électif, tout en confessant que « l’élection populaire est un mal puissant »38. Reprenant dans d’autres œuvres, cette question, il s’oppose, dès 1769, à l’extension de l’électorat, en jugeant ce corps électoral déjà vénal et ignorant et va jusqu’à préconiser sa diminution39 :
26Dans les années 1780, l’agitation populaire consécutive aux difficultés (l’affaire Américaine et la politique absolutiste de Georges III) que connaît le royaume, soulève au Parlement le problème de la réforme parlementaire. Burke se montre, dès 1780, favorable au mouvement réformateur qui entend purger le Parlement de l’influence royale40 En revanche, lorsque ce dernier s’attelle au système électoral et notamment à l’extension du droit de vote41, il s’y oppose tel un roc42 et s’élève contre ceux qui prétendent que « chaque homme doit se gouverner lui-même et là où il ne peut aller lui-même, il doit envoyer son représentant »43 Ineptie fulmine Burke qui, en ne considérant que l’égalité morale44, conclut à l’inexistence de l’inégalité de représentation, et refuse donc sa modification45, au nom de la prescription de la constitution46.
27Sur ce terrain, le doctrinaire des whigs de Rockingham, soucieux de respecter « l’Établissement » révolutionnaire de 168847, entend visiblement d’une part préserver l’influence de sa classe et des Communes qu’une réforme parlementaire mettrait en danger, d’autre part assurer la prééminence d’un Parlement oligarchique, affranchi et de la tutelle royale et du contrôle populaire.
Représentation réelle et représentation virtuelle
28En partant de l’affirmation selon laquelle il est inconcevable de concevoir « les corps représentatifs et électoraux des Communes de ce royaume comme deux pouvoirs séparés et distincts »48, Burke est conduit, dans une lettre à Sir H. Langrishe concernant l’Irlande, à établir un diptyque assis sur la notion d’intérêt : la représentation réelle et la représentation virtuelle49.
29Son raisonnement repose sur l’idée selon laquelle le peuple choisit ses députés sur le fondement de l’identité d’intérêts locaux : foncier et commercial : « Nous, les Communes, représentons à la vérité par les chevaliers des Comtés l’intérêt foncier, par nos membres des villes l’intérêt commercial »50.
30Élu en 1774 de la riche cité de Bristol, grâce aux négociants mécontents de la perte du commerce avec l’Amérique, il insiste dans ses discours51, sur la nature et les limites des obligations du représentant52 Ainsi le député, gardien des droits du peuple, se doit d’être l’interprète des désirs des électeurs53 et l’avocat de leurs intérêts à condition qu’ils soient compatibles avec les règles éternelles de la justice et de la raison. En 1777, il expose les devoirs des électeurs en insistant sur l’idée selon laquelle le député54 doit soit mériter leur soutien soit encourir leur blâme55.
31Opposé à la loi du nombre de Sieyès56, Burke préconise clairement une représentation réelle restreinte dans la mesure où elle s’appuie sur deux fondements : le talent (qui doit être rapproché de l’aristocratie naturelle) et la propriété57 De fait, c’est l’idée de propriété58 (foncière59) dont l’essence « l’inégalité » implique la restriction du droit de vote, qui domine la représentation60.
32Quant à la représentation virtuelle, elle repose sur « une communion d’intérêts »61 et vise à représenter non des individus mais les intérêts d’une localité ou d’une fraction du peuple c’est-à-dire une réalité impersonnelle. Il l’envisage pour des localités ou des groupes exclus du droit de vote. Ainsi, des localités dépourvues de représentant, telles que Birmingham, bénéficient néanmoins d’une représentation virtuelle dans la mesure où les députés de Bristol, intéressés à la prospérité du tout, représentent « l’intérêt commercial »62 qui peut être également l’intérêt d’autres cités telles que Birmingham. Cette représentation ajoute Burke de manière classique (cf. Blackstone) mais spécieuse, est quelquefois « meilleure »63 à condition d’avoir « un substratum dans la représentation réelle »64 qui lui confère la permanence. C’est ainsi, qu’il rejette la représentation virtuelle à propos de l’Irlande du fait de l’absence de droit de vote des Catholiques Irlandais65. De même, il estime, que la nature, en l’occurrence l’océan, s’oppose à l’idée de représentation virtuelle des Américains66.
33Cette représentation virtuelle des intérêts ne se lie pas à l’idée de mandat impératif alors même qu’elle implique théoriquement l’idée d’électeurs et de représentants particuliers. En fait la chose est logique : il considère qu’à l’instar de la représentation réelle, elle repose sur l’idée selon laquelle seul le Parlement, organe représentatif du peuple, dégage l’intérêt commun.
34Somme toute, il n’existe, selon Burke, aucune contradiction entre la représentation de l’intérêt local : foncier et commercial et celle de l’intérêt national. En effet, l’idée sous jacente qui sous-tend cette représentation est celle d’un double degré : « Nous sommes (affirme Burke en parlant des députés) les artistes experts... pour façonner leurs désirs en une forme parfaite »67. L’élite des députés, choisie par le corps électoral, en représentant « tout le peuple d’Angleterre collectivement »68 est donc seule habilitée à dégager l’intérêt général de la nation, qui à l’instar de Sieyès, évoque un composé chimique.
Le mandat représentatif national
35Le rejet de la représentation numérique du peuple incite Burke à mettre en avant le concept de nation en élaborant une théorie moderne et originale du représentant.
36Le concept de nation présente pour lui le double avantage d’être une projection de l’état anglais, historique et immortel69 et d’assurer, par le biais de la représentation, un intérêt unitaire.
37En fait Burke assigne à la nation anglaise qu’il définit comme une communauté dotée d’une essence morale70, reposant sur le sentiment et le préjugé71, une signification essentiellement historique : c’est une « idée de continuité qui s’étend dans le temps… »72.Il annonce ainsi le concept moderne de nation73 en se référant à son sens historique74 que la Révolution occulte, mais surtout en considérant que cette nation n’acquiert d’existence qu’à travers son Parlement qui tire sa légitimité de sa relation avec le peuple.
38Dès lors, répudiant la pratique de l’époque qui tendait à faire du député un mandataire75, il soutient de manière novatrice que le député ne saurait être un simple délégué lié par des instructions76 ou par un mandat des électeurs « ce sont là des choses…qui naissent d’une erreur fondamentale de l’ordre entier et de la teneur de notre constitution »77
39En conséquence, les députés qui sont indépendants du corps électoral représentent l’intérêt de la nation et agissent sur le fondement d’un mandat représentatif moderne :
40« Le Parlement n’est pas un congrès d’ambassadeurs d’intérêts différents et hostiles…que chacun doit soutenir en tant que représentant et avocat contre les autres représentants et avocats, mais le Parlement est une assemblée délibérative d’une seule Nation, avec un seul intérêt, celui du tout, où ce ne sont pas les buts, les préjugés locaux qui doivent guider, mais le bien général… Vous choisissez un député c’est bien, mais lorsque vous l’avez choisi, il n’est plus député de Bristol, il est membre du Parlement »78
41Avec une hauteur de vues indéniable, Burke annonce donc, dès 1774, la théorie de Sieyès. En effet, bien qu’il s’oppose à l’idée de souveraineté de la nation, il estime que le député représente non sa circonscription ou des intérêts fragmentaires mais la nation79 dont il tient ses pouvoirs et que le Parlement, en atteignant l’unité nationale dans la personne collective des représentants, exerce désormais la souveraineté.
42En définitive, la représentation de Burke relègue au second plan la notion d’intérêt local assuré par une élite de « trustees » censée représenter le tout et signifie la mise en forme d’un bien national, de type thomiste.
43De fait, l’intérêt national ne résulte ni d’une simple addition numérique d’individus ni même d’un calcul d’intérêts (de type utilitariste) mais d’un compromis d’idées qui se traduit par une véritable alchimie des intérêts objectifs composant la nation. Cette fonction est dévolue au Parlement qui, grâce à une délibération raisonnable, subsume de manière providentielle les différents intérêts en un intérêt unitaire de toute la communauté nationale, qu’il qualifie de « bien général, résultant de la raison générale du tout »80
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44Dans le champ constitutionnel, Burke apparaît avant tout comme une grande figure de parlementaire. Dans la tradition du whiggisme du xviiième siècle, il se pose en défenseur d’une constitution mixte, gage de la modération81 et d’un gouvernement représentatif dont la dimension oligarchique est incontestable à ses origines. Néanmoins son insistance sur la condition de l’équilibre à savoir la nécessité de la « mutuelle indépendance »82 des trois éléments de la Constitution, implique également l’idée d’une distribution des pouvoirs au profit du Parlement
45Ainsi se manifeste une fois de plus, l’ambivalence du penseur politique. Un penseur daté, fidèle au « Trusteeship whig », d’une part en théorisant une représentation dont la tonalité est organiciste, d’autre part en contribuant à bloquer la réforme parlementaire qu’effectueront les Libéraux au xixème siècle.
46Sous un autre éclairage, il se pose en constitutionnaliste moderne puisqu’il apporte à la démocratie représentative ses éléments essentiels : le député, le parti et le gouvernement de parti qui reposent sur une théorie originale de la représentation. Bien qu’elle écarte ces repoussoirs français que sont l’individu et le nombre, la modernité théorique de cette représentation de la nation anglaise est évidente. Elle implique en effet d’une part la capacité de jugement et l’indépendance politique du représentant, d’autre part un concept d’intérêt apprécié raisonnablement en fonction de l’intérêt national par le Parlement.
47En définitive, grâce à la représentation, le Parlement devient le centre névralgique du système politique anglais puisque, d’une part, il est le représentant « artificiel » du peuple et que d’autre part, sa qualité d’organe représentatif de la nation lui confère en réalité la souveraineté83.
48Dans un siècle dominé par les Lumières, cette pensée dualiste ne pouvait logiquement qu’occuper une place excentrique. Champion du passé en procès contre son époque, ce traditionaliste libéral est en même temps le chantre précoce de la représentation nationale, passée au tamis de l’intérêt et du talent ; concepts qui ne cessent de rebondir tout au long du xixème siècle (notamment84 chez les libéraux français85).
Notes de bas de page
1 Avec le ministère W Pitt (1784-1801), le régime parlementaire est à peu pres définitif : Le gouvernement dont les membres sont solidaires est pris dans un seul parti ; le premier Ministre est effectivement le chef de cabinet. Seule une véritable responsabilité politique devant des Communes soustraites à toute influence royale fait défaut.
2 Dictionnaire Constitutionnel, O. Duhamel et Y. Meny, PUF. 1992 verbo représentation « processus par lequel quelque chose…qui n’est pas réellement présent est rendu présent par un intermédiaire ».La représentation qui fait de l’un avec du multiple permet, précise Hobbes, de transformer la multitude en une personne unifiée.
3 Un Appel des Nouveaux Whigs,, Londres 1791 p. 190
4 Tome III, p 498 « Avant la société, dans une multitude d'hommes, il est évident que la souveraineté et la soumission sont des idées qui ne peuvent exister. C'est le contrat sur lequel la société est formée qui les crée »
5 Speech at the House of Commons, 1780 Tome II, p. 121
6 De cette théorie de la souveraineté émerge l'idée de l'origine divine et populaire du pouvoir. Dieu source de tout pouvoir intervient en ce monde. Le pouvoir s'analyse comme un dépôt aux hommes qui à l'origine détenaient la souveraineté, déléguée par la suite aux gouvernants. Il ressort du pacte originel que si les hommes exercent la souveraineté elle n'est que relative car Dieu détient la souveraineté ultime ; aussi « ceux qui sont convaincus de cette Volonté de Celui qui est la Loi des Lois et le Souverain des Souverains ne peuvent trouver répréhensible... la foi et l'hommage que nous lui adressons en corps... cette reconnaissance que nous faisons d'une suzeraineté suprême » l’État a été voulu par Dieu (Réflexions p. 161) pour la perfection de l'homme, mais sa forme et son fonctionnement dépendent d'un contrat passé par les hommes. Cette analyse thomiste est fondée sur deux éléments : le rapport moral voulu par Dieu, l'institution faite par l'homme.
7 Réflexions, p. 161
8 À letter to the sheriffs of Bristol …, 1777, Tome II, p. 31
9 « Les droits des hommes en matière de gouvernement consistent à ce que leurs intérêts soient protégés », Réflexions, p. 102
10 Ibid
11 Cf. Un Appel des Nouveaux Whigs,
12 Cf. Tome III, p. 497. Il condamne ceux qui ont l'audace de prétendre « que cette même souveraineté…est inaliénable » cf. Un Appel des Nouveaux Whigs, p. 84,.
13 Réflexions…, 1790, Paris, 1913, op. cit. p 84
14 Ibid., p 154
15 Ibid. p, 154 « enseigner aux citoyens que leur volonté est la loi conduit à des conséquences désastreuses, ils seront alors amenés à choisir ceux qui montrent une soumission abjecte à leur volonté occasionnelle et deviennent ainsi une très remarquable proie pour l'ambition servile des sycophantes populaires ou des courtisans flatteurs »
16 La théorie de la prescription dans le « Common Law » établit que l'usage et la jouissance immémoriale d'une chose constituent une revendication valable du titre. Cf. Ganzin La pensée politique d’Edmund Burke, LGDJ, 1972, op. cit. La théorie de la prescription, p. 181-182.
17 Un Appel des Nouveaux Whigs, op. cit, p. 84-85.
18 Un Appel, op. cit. p 183 « L'homme d'État... en cherchant le lieu où doit résider le pouvoir politique, n'a d'autre fin que celle d'en rendre les effets plus ou moins salutaires, en le dirigeant sagement et en le renfermant dans de justes bornes. C'est pour cette raison que nous voyons que les législateurs n'ont placé qu'à regret le pouvoir entre les mains du peuple parce que là il ne saurait être arrêté, réglé, dirigé. C'est au peuple qu'il appartient de limiter l’autorité, mais l'exercer et la limiter à la fois serait contradictoire et par conséquent impraticable »
19 Ce schéma de pensée est une reprise de la théorie scolastique. On retrouve également cette idée chez les Monarchomaques (Vindiciae...) et chez Suarez.
20 Three Letters…on the proposals for peace with the Regicide Directory of France, 1796, Tome V, p. 189-190.
21 « Sa Majesté reçoit le sens collectif de son peuple de la part de ses Communes assemblées en Parlement » Tome II p 259. A representation to his Majesty, 1784
22 Un Appel des Nouveaux Whigs, op. cit. p 84
23 Three Letters, op. cit. 1796, Tome V, p. 189-190.
24 ibid., « Ce corps est ce représentant et la représentation artificielle dépend de ce corps davantage que de l'électeur »
25 L’aristocratie naturelle (cf. Un Appel des Nouveaux Whigs p 198 sq.), c’est-à-dire la carrière ouverte aux talents et au mérite, est une exigence de la société. Cette élite impliquant l’éducation, le caractère et l’intelligence constitue un idéal de Burke et joue un rôle social et politique déterminant en assurant le progrès et en étant le guide naturel du peuple,
26 Thoughts on French affairs, 1791, Tome III, p. 352, « Le dogme politique Français : la majorité est le souverain perpétuel, naturel incessant et imprescriptible... elle est la maîtresse de la forme et de I'administration de l'État... les magistrats... ne sont que des fonctionnaires obéissant aux ordres que cette majorité peut faire. Ceci est le seul gouvernement naturel, tous les autres sont tyrannie et usurpation »
27 Un Appel des Nouveaux Whigs, p. 192 car « hors de la société civile, la nature ne la connaît pas du tout"
28 Terme de Kirk. The conservative mind, Chicago 1953, - 478 p.
29 Un Appel des Nouveaux Whigs, p. - 197.
30 ibid., p. 192.
31 Il n'entend pas les masses au sens moderne mais un corps politique bien construit et en accord avec la nature
32 Réflexions, p. 402
33 Esprit des Lois, Livre XI, 6 Paris 1979, Garnier « le grand avantage des représentants c’est qu’ils sont capables de discuter les affaires. Le peuple n’y est point du tout propre ; ce qui forme un des grands inconvénients de la démocratie »
34 Three Letters…, op. cit. 1796, Tome V, p. 189-190.
35 Un Appel des Nouveaux Whigs, p. 197.
36 Ibid. p 97 « pour ce qui est de la part de pouvoir, d'autorité et de direction que chaque individu devrait avoir dans les affaires de l'État, je nie qu'elle soit un des droits fondamentaux des hommes réunis en société civile »
37 car poursuit-il « Celui qui n'a mis que cinq shillings dans la société a autant de droits à son apport que celui qui y a mis cinq cents livres sterling a de droits au sien ». Ibid.
38 Bill for shortening the duration of Parliament, 1782, Tome VI, p. 132. « Gouverner selon le sens et agréablement pour l'intérêt du peuple est un objet de gouvernement grand et glorieux. Ceci ne peut être obtenu que par le moyen de l'élection populaire et l'élection populaire est un mal puissant »
39 Observations on …the present state of the Nation, 1769, Tome I p 259 « en vérité, en considérant la charge immense et dangereuse des élections, la vénalité prostituée et hardie, la corruption des mœurs, l'oisiveté et la débauche de l'espèce inférieure des électeurs, aucun homme prudent ne voudrait proposer d'augmenter un tel mal s'il est, comme je le crains, hors de notre pouvoir de lui administrer quelque remède »..
40 Speech on. a plan for the better security of the independence of Parliament and the economical reformation of the civil establishments, 1780, op cit. Tome II p 55, vise surtout le « Patronage » immodéré dont les whigs avaient fort à se plaindre. Ces idées seront d'ailleurs introduites par les réformateurs dans le bill de 1782
41 Les réformateurs préconisent un Parlement triennal, la création de nouvelles circonscriptions, la suppression des bourgs de poche et des bourgs pourris et une extension de l'électorat. Speech on a bill for shortening the duration of Parliament, 1782, Tome VI, p. 141-142 : « Ainsi, à mon opinion, la brièveté d'une session triennale aurait les mauvais effets suivants : elle rendrait le membre davantage corrompu de manière étroite et choquante, elle augmenterait sa dépendance vis-à-vis de ceux qui pourraient le mieux le soutenir lors de son élection…elle rendrait l'électeur infiniment plus vénal, et elle rendrait tout le corps du peuple concerné par les élections, qu'il ait ou non le droit de vote, plus anarchique, plus paresseux, plus débauché »
42 Ainsi, en mai1782, le jeune W. Pitt propose un « comité d'enquête sur l'état de la représentation au Parlement ». Ce projet prévoit une redistribution des sièges (un député de plus par comté), la révision des circonscriptions et l'élargissement de l'électorat.
43 « speech on the reform of the representation in the bouse of Commons », mai 1782 Tome VI, p. 145
44 Ibid. p 149 « Quel symptôme trouvons-nous de cette inégalité ? Ce n'est pas de l'inégalité arithmétique que nous devons nous inquiéter S'il y a une égalité morale, ceci est le desideratum dans notre constitution et dans chaque constitution du monde ».
45 Speech on the reform of the representation, 1782, Tome VI p 146
46 Letter on the duration of Parliament, Tome VI, p. 2. « Je ne nie pas que notre Constitution puisse avoir des défauts... et qu'ils devraient être corrigés » mais « somme toute cette constitution a été notre orgueil et un objet d'admiration de toutes les nations... ».
47 Letter to the chairman of the Buckinghamshire Meeting, 1780, Tome VI, p. 2.
48 A representation to his Majesty,1784, Tome II p 259
49 letter to Sir H. Langrishe (1792) concernant l'Irlande Tome III p. 298 sq.
50 Speech, tome II, p. 154
51 Cf. speech to the electors of Bristol, 1774 Tome 1, p. 438-455.
52 les relations les plus étroites doivent nécessairement exister entre l'électeur et le député. Speech at the conclusions of the Poll. 3 nov. 1774, tome 1, p. 446. « Certainement gentlemen, ce doit être le bonheur et la gloire d’un député de vivre dans l'union la plus stricte, la correspondance la plus étroite et la communication la moins réservée avec ses électeurs »
53 Speech at… the conclusions of the Poll. 3 nov. 1774, tome I, p. 447.
54 ibid., p. 446
55 Ross Hoffmann Levack - Burke's selected writings, New York, A Knopf,1959., P..118 « Si les députés sont honnêtes, ils méritent le soutien et je suis sûr, ils le désireront ; s'ils sont corrompus, ils méritent et j'en suis sûr ils doivent encourir le blâme et la réprimande... nous devons être encouragés par nos électeurs et nous devons en avoir la crainte respectueuse, sinon nous ne ferons jamais notre devoir comme nous devrions le faire ».
56 Burke ne saisit pas le concept de représentation politique telle que l'a dégagée la Constituante. Il attaque ce système (cf. Réflexions, p. 82 à 85) qui, selon lui, ruine la propriété alors que la Constituante par sa fameuse distinction entre citoyens actifs et passifs bride la représentation par la propriété. En fait, sur ce terrain, il n'y a qu'une différence de degré entre la représentation Burkienne et la représentation Révolutionnaire.
57 Réflexions p. 82 « Toute forme de représentation d'un État ne peut être qu'imparfaite si elle ne fait leur place tout à la fois au talent et à la propriété ».
58 cf. D.Baranger « Parlementarisme des origines », Paris, PUF, 1999, souligne p 200 que les députés etaient désignés non pour représenter leurs électeurs mais une réalité matérielle : le territoire, la terre. Ils pouvaient donc toujours invoquer l’intérêt supérieur de l’Angleterre contre celui de la collectivité d’électeurs.
59 « Elle est le fondement et le soutien de toutes les autres », Tracts relative to the laws against Popery in Ireland, Tome VI, p. 43
60 Il consacre sa prééminence par la vieille idée de l’identité d'intérêts entre l'intérêt privé et l'intérêt public et par l’invocation de la pensée politique depuis l’Antiquité. Three Letters…, 1796, Tome V, p. 342.
61 Letter to Sir H. Langrishe, 1792, Tome III, p. 334 et 336. « La représentation virtuelle est celle dans laquelle il existe une communion d'intérêts, une sympathie de sentiments et de désirs entre ceux qui agissent au nom d'un groupe du peuple et le peuple au nom duquel ils agissent, quoique les fidéicommis ne soient pas réellement choisis par lui...... le peuple peut se tromper dans ses choix, mais on se trompe rarement sur les sentiments et l'intérêt commun »
62 "Nous, les Communes, représentons à la vérité… par nos membres des villes l'intérêt commercial » Speech at Bristol previous to the elections, 1780, tome II, p. 154
63 Letter to Sir H. Langrishe, 1792,. Tome III, p. 334 et 336 « elle est en maint des cas même meilleure que la représentation réelle ; elle possède la plupart de ses avantages et est libre de la plupart de ses inconvénients »
64 Ibid.
65 ibid., Tome III, p. 305. la constitution « n'est pas faite pour des exclusions grandes, générales et des proscriptions ».
66 Speech at … Bristol, 1774, T 1, p 438-455
67 Speech on a plan…, op. cit. 1780, Tome Il, p. 121
68 Speech at Bristol, 1780, tome II, p. 154
69 Cet État est naturel dans le sens où cette association historique est le produit de la raison politique de l'homme à travers les siècles. Il est immortel et continu et se caractérise par un lien entre les vivants, les morts et les hommes à naître. Ainsi, Burke invente l'idée de Nation en faisant de l'État qui se confond avec la Nation le carrefour des générations "c'est pour le bien des individus… que les corps collectifs sont immortels. Les Nations elles-mêmes sont de tels corps collectifs » Réflexions, p. 228-229. À ce propos Hayes « The Historical evolution of modern Nationalism » New-York 1931, p. 110-111, opère une distinction fort intéressante : l'un fondait le passé national sur les droits naturels, l'autre sur les droits historiques. L'un était démocratique, l'autre était aristocratique sinon réactionnaire. L'un soulignait la souveraineté absolue de l’État National et s'efforçait de développer une religion populaire de la Nation, l'autre tendait à regarder la souveraineté comme plurale et cherchait à réconcilier la loyauté avec l'État national en liant la loyauté à la classe et à la localité et peut-être surtout au christianisme traditionnel.
70 Three Letters… op cit. 1796 Tome V, p. 220 « la Nation est une essence morale et non pas une disposition géographique ou une catégorie de nomenclature »
71 Speeches, Tome II, 30 mai 1794. P 1-53 « Après l'amour des parents pour les enfants, l'instinct le plus fort à la fois naturel et moral qui existe en l'homme est l'amour de son pays. Le sol natal a une douceur qui va au-delà de l'harmonie de la poésie ».
72 Speech on the reform of the representation, 1782, Tome VI, op. cit. p. 146-147. « Une nation n'est pas qu'une idée d'étendue locale et d'agrégation momentanée d'individus, c'est une idée. de continuité, qui s'étend dans le temps aussi bien que dans le nombre et dans l'espace. Et ceci n'est pas un choix d'un seul jour ou d'un seul groupe d'hommes, ni un choix tumultueux et étourdi, c'est une élection délibérée des siècles et des générations, c'est une constitution faite par ce qui est dix mille fois mieux que le choix, elle est faite par les circonstances particulières, les occasions, le caractère, les dispositions et les habitudes morales, civiles et sociales du peuple qui ne se découvrent que dans un long laps de temps. C'est un vêtement qui s'habitue au corps »
73 Toutefois, Burke n’envisage ni la signification sociale de la nation : le corps des citoyens égaux devant la loi ni le sens juridique : le pouvoir constituant.
74 Réflexions p 158 : « l'État devient une association non seulement entre les vivants mais ceux qui sont morts et ceux qui sont à naître"
75 En théorie le mandat impératif n'était pas reconnu en Grande-Bretagne du fait que la théorie médiévale de la « plena potestas » triomphé. Mais en pratique l'idée de représentation des intérêts allait à l’encontre de l’idée de mandat représentatif. C’est donc à Burke que revient le mérite de faire triompher le principe du mandat représentatif dans son discours de Bristol. Cf. J. Roels « Le concept de représentation politique au dix-huitième siècle Français ». Louvain -1969 - 182 p. (162-164).
76 Speech at …Bristol, 1774, Tome I, p. 447 « Votre député… vous trahit au lieu de vous servir s'il le sacrifie (jugement) à votre opinion »
77 ibid. p. 447 « Les instructions autoritaires, les mandats que le député... doit voter et défendre et auxquels il doit obéir, quoique contraires à la conviction la plus claire de son jugement et de sa conscience : ce sont là des choses…qui naissent d'une erreur fondamentale de l’ordre entier et de la teneur de notre constitution »
78 ibid., 447. Blackstone va dans le même sens :cf. ses « Commentaries... », Livre I –chapitre II : « Par conséquent, il n'est pas tenu, comme un député des Provinces-Unies, de consulter ses constituants ou de prendre leur avis sur aucun point particulier ». - « Chaque membre, bien que choisi par un district particulier, sert pour tout le Royaume. Car la fin pour laquelle il est envoyé est non pas particulière mais générale ». Ibid.
79 Thoughts on the causes… « La vertu, l’esprit et l’essence d’une chambre des Communes consistent à être l’expression, l’image des sentiments de la nation » Burke's selected writings op. cit. p. 28
80 Speech at Bristol, op. cit., Tome I, p. 447
81 Un Appel des nouveaux whigs, op. cit. p 86-87
82 Lettre à son traducteur, 1790,
83 Tout en affirmant que la monarchie doit conserver « sa prééminence parce qu’elle était le principe qui préside et lie le tout », Un Appel… op. cit. p 54, il dépasse l’idée de souveraineté partagée (King in Parliament) en incluant au profit du Parlement l’édiction et l’application des lois, cf. Thoughts on the causes… op. cit. et une puissance de contrôle.
84 Idée de représentation des intérêts que l’on retrouve au xix siècle notamment chez Bonald ou chez les Libéraux et dans une perspective différente chez Proudhon qui souhaite entendre réellement la voix de la nation dans tout ce qui la constitue : ses groupes, ses conditions. Cf. Contradictions politiques.
85 Madame de Staël dans « Des circonstances actuelles qui doivent terminer la révolution et des principes qui doivent fonder la république en France » (1798) use et abuse du terme de nation en se référant à sa signification sociale : le corps des citoyens égaux devant la loi. En réalité, elle tend à ne voir la collectivité politique, devenue souveraine en 1789 qu'à travers un régime représentatif qui l'épure. Il s'agit d'une technique, qui permet de représenter l'intérêt général de la nation. En privilégiant (p 24,) les facultés individuelles, le talent et l'utilité à l'égard des autres (p 11), la représentation aboutit ainsi à une inégalité de fait au profit de la propriété et des lumières. De plus, son régime représentatif est vicié par le fait que son système n'implique aucune liaison entre le chiffre de la population et le nombre des représentants (p 171). La liberté politique des modernes, dans un grand état représentatif, c'est le « pouvoir de choisir un homme sur cent mille pour prononcer sur tous ses intérêts ». Idée que reprend Rémusat en 1863. Le système a donc la vocation de sécréter une élite nouvelle et ouverte d'un millier de personnes, chargée de dégager l'intérêt général. Guizot dans Du Gouvernement de la France depuis la Restauration et du ministère actuel, Paris 1820 p 201 rejette la représentation démocratique comme un absurdité et précise que seule importe la représentation des intérêts. Charles de Rémusat illustre parfaitement l'ambiguïté de l'analyse libérale du suffrage universel, dans la mesure où il a longtemps considéré le suffrage censitaire comme "philosophiquement le plus valable, mais difficile à défendre politiquement". Quelques décennies plus tard, il écrit : "c'est moralement et non statistiquement qu'une Nation doit être représentée". Les élections de 1863, Revue des deux Mondes, 15 juillet 1863, p. 268.
Auteur
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille III
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