Du sujet au citoyen : Les prémices de la citoyenneté dans les cahiers de doléances de la Province de Languedoc aux États généraux de 1789
p. 229-243
Texte intégral
1Deux définitions, parmi d’autres, du terme « citoyen » vont servir de base à notre étude. La première, tirée de l’ouvrage intitulé « Histoire et dictionnaire de la Révolution française 1789-1799 » de J. Tulard, J.-F. Fayard et A. Fierro énonce : « Défini par le Dictionnaire de l’Académie en 1786 comme « habitant d’une ville, d’une cite », le citoyen désigne dès la campagne électorale de 1788-1789 l’homme devenu libre par rapport au sujet du roi »1. La seconde est tirée du « Dictionnaire d’histoire du droit et des institutions publiques (476-1875) » de A. Babot, A. Boucaud-Maitre et P. Delaigue : « Selon la définition traditionnelle, le citoyen par opposition au sujet, est membre de la communauté politique et, en tant que tel, jouit de droits politiques plus ou moins étendus, lui permettant de concourir au gouvernement de l’État »2.
2Ces deux définitions, marquées par l’évolution du concept de sujet vers celui de citoyen, font référence à un certain nombre de critères ou d’éléments constitutifs de la citoyenneté.
3D’abord, dans la Déclaration des droits de l’homme et du Citoyen du 26 aout 1789, le terme « citoyen » est cite à neuf reprises : « le citoyen apparait comme un individu titulaire de droits qui lui permettent de se situer et d’agir dans la société ; il a le droit de concourir à la formation de la loi, est admissible à tous les emplois publics, consent et participe à la contribution publique ; il a la liberté de parler, écrire et imprimer, la Loi étant à la fois la limite et la garantie de ses droits »3.
4Ensuite, la Constitution du 3 septembre 1791 donne le définition des « citoyens français », définition qui sera par la suite modifiée et aménagée en fonction du contexte politique. Ainsi, la citoyenneté est liée à l’âge4, à la nationalité5 et à la participation à la vie politique, notamment par le biais des élections6.
5Certains de ces critères ou de ces éléments constitutifs de la citoyenneté sont expressément mentionnés dans les cahiers de doléances du Languedoc aux États généraux de 1789.
6Ces cahiers de doléances présentent un double intérêt, qui tient tant à la situation particulière de la Province de Languedoc à la fin de l’Ancien Régime qu’a la richesse des sources les concernant7 .
7D’abord, en 1789, la Province de Languedoc est la plus grande de la Monarchie. Limitée à l’est par le Rhône, au sud par le Rousillon, le Comté de Foix et la Gascogne et au nord par la Guyenne, l’Auvergne et le Lyonnais, elle s’étend sur 4 000 000 d’hectares, du pied des Pyrénées aux portes de Lyon et compte environ 1 800 000 habitants.
8Cette originalité concerne aussi sa structure administrative et le fonctionnement de ses institutions. En effet, la Province de Languedoc, placée sous la souveraineté immédiate du Roi de France, a, à sa tête, le représentant direct de l’autorité royale, l’Intendant, qui administre deux Généralités : Montpellier et Toulouse8. A cote de l’Intendant, le Parlement de Toulouse possède en 1789 tout le Languedoc sous sa domination. A ces institutions il faut encore ajouter les États de Languedoc, qui continuent à se rassembler annuellement jusqu’à la fin de l’Ancien Régime9 et dont le rôle principal consiste à consentir et à repartir les impôts de la Province. Cette dernière n’y est d’ailleurs qu’imparfaitement représentée puisque si le Clergé et la Noblesse comptent chacun vingt-trois représentants et le Tiers État soixante-huit députés10, dans les délibérations, ces derniers n’ont droit qu’à la moitié des voix des deux autres ordres. Les lacunes d’une telle organisation ont d’ailleurs été soulignées par la Cour des Comptes, Aides et Finances de Montpellier dans ses « remontrances » du 26 février 1788, relatives à « l’édit du vingtième »11. Les États de Languedoc exercent ainsi leur autorité sur les diocèses et les communautés qui sont aussi des administrations provinciales.
9Quelques chiffres permettent enfin d’illustrer brièvement la situation financière et religieuse du Languedoc. D’abord, le montant global des impositions de la Province s’élevé à 14 415 731 livres et celui de ses revenus est de 3 101 445 livres. Il faut encore préciser que le trésor royal a emprunte 104 408 000 livres a la Province de 1776 à 1788, sur lesquelles 69 millions sont encore dus au 1er juillet 1789. On peut néanmoins affirmer que cette administration provinciale est en elle-même peu onéreuse et que c’est le trésor royal qui absorbe environ les onze douzièmes des recettes totales de la Province12.
10Ensuite, concernant l’organisation religieuse, les États de Languedoc regroupent deux grandes provinces ecclésiastiques : l’Archevêché de Toulouse et celle de Narbonne. Ainsi, la Province de Languedoc compte 176 couvents et 42 abbayes d’hommes, 60 monastères et 21 abbayes de femmes, pour un total de plus de 3400 personnes, soit une moyenne de 1 religieux pour 380 habitants pour l’ensemble de la Province. Tous les hôpitaux relèvent du gouvernement ecclésiastique ainsi que les quinze collèges du Languedoc, alors que l’instruction primaire est quant à elle à la charge des communes sous la surveillance du Clergé de la paroisse.
11Cette situation particulière de la Province de Languedoc a nécessairement rejailli sur la composition des assemblées préparatoires à la réunion des États généraux, lesquelles, conformément au règlement du 24 janvier 1789, ont lieu par Sénéchaussée, pendant le mois de mars, aux dates fixées par les Sénéchaux de la Province. Ces assemblées comprennent des membres du Clergé, de la Noblesse et du Tiers État13 , choisis et députés avec des cahiers de doléances14, ceci pour les douze Sénéchausées de la Province, c’est-à-dire, Annonay, Béziers, Carcassonne, Castenaudary, Castres, Limoux, Mende en Gévaudan, Montpellier, Nimes et Beaucaire, le Puy en Velay, Toulouse et Villeneuve de Berg en Vivarais.
12On remarque dans ces assemblées une nette prédominance des avocats, qui s’explique aussi bien par l’importance du droit et la complexité des lois et des coutumes qui nécessitent constamment le recours à leur compétence, que par l’influence commune des idées des philosophes et des économistes sur le Tiers État et sur les avocats.
13Ainsi, les cahiers du Tiers État de Montpellier ont été rédigés par deux avocats : Verney et Albisson. La proportion des hommes de loi, parmi les commissaires charges par chaque collège, de la rédaction des cahiers du Tiers État est considérable. A Annonay, sur douze commissaires, on compte six avocats, à Carcassonne, il y a treize avocats et six notaires sur trente-six commissaires, à Castres, il y a quatorze juristes sur dix-sept commissaires, dont onze avocats, un conseiller, un juge royal et un notaire, enfin, à Nimes, plus de la moitié des commissaires sont avocats. Il convient de souligner que ces exemples caractérisent en réalité l’ensemble de la situation pour le Languedoc15.
14Dans les campagnes, les modèles généraux de cahiers ont été davantage utilises, de même que certaines communautés se sont fortement inspirées des cahiers rédigés par les communautés voisines.
15Dans tous les cas, la sincérité des cahiers semble indéniable et l’affirmation souvent formulée selon laquelle les cahiers de doléances ne représentent pas l’opinion formelle de la Nation ne s’applique pas, a priori, à la Province de Languedoc, même si, dans certains cas, il ont été écrits selon les directives données par de hautes personnalités. C’est notamment le cas des cahiers de doléances du Clergé de Montpellier et de Castres qui ont été imposes, selon E. Lavisse, par les évêques et les grands vicaires, ceci malgré les protestations du bas Clergé16.
16Les sources relatives à ces cahiers sont extrêmement riches, puisque la quasi-totalité de ceux-ci a été conservée. Ne manquent à l’appel que le cahier du Tiers État de la Sénéchaussée de Béziers et celui de la noblesse du Velay. Les textes originaux sont, pour la plupart, conserves aux Archives nationales, ainsi que, pour un petit nombre, aux Archives départementales de l’Hérault et de la Haute Garonne (dans le fonds de l’Archevêché de Toulouse). Toutefois, en dehors des textes originaux, tous les cahiers de doléances de la Province de Languedoc sont intégralement reproduits dans l’« Histoire générale de Languedoc » de Cl. Devic et J. Vaissete17. Cette dernière source servira principalement de base à notre étude. Les Archives départementales de l’Hérault renferment aussi de nombreux documents relatifs à la tenue des États Généraux de 1789, dans la série C, qui concerne l’Intendance du Languedoc18.
17Tous ces cahiers n’ont pas la même valeur : « Le plus étendu des cahiers du Languedoc est celui du Clergé du Velay. Vient en seconde ligne le cahiers du Tiers État de Montpellier. La Noblesse de Villeneuve de Berg ou du Bas Vivarais tient le troisième rang »19. Les cahiers les plus réduits sont ceux de la Noblesse de Gévaudan et du Clergé d’Annonay qui ne comptent respectivement que dix-huit articles et à peine plus de trente lignes. On note aussi une différence de ton dans les cahiers. Celui-ci est beaucoup plus net et tranchant dans les cahiers du Clergé, de la Noblesse et du Tiers État des grandes villes que des petites villes et des communautés locales20. Deux grandes idées se dégagent néanmoins de cette diversité et marquent le passage de la notion de sujet vers celle de citoyen : la liberté et l’égalité.
I - LA LIBERTÉ DANS LES CAHIERS DE DOLÉANCES DE LA PROVINCE DE LANGUEDOC AUX ÉTATS GÉNÉRAUX DE 1789
18La liberté peut, ici, être envisagée sous deux aspects. D’abord dans une conception plurielle, il s’agit des différentes libertés qui sont revendiquées par les trois ordres. Ensuite dans une conception beaucoup plus générale, il s’agit alors de la liberté revendiquée par rapport au pouvoir central.
- Les différentes libertés revendiquées par les trois ordres
19D’abord, les cahiers des trois ordres revendiquent la liberté individuelle.
20Ainsi, sous le titre « Liberté publique et individuelle », la Noblesse de Montpellier demande l’abolition des lettres de cachet en invoquant la liberté comme « le premier des biens » et comme « un droit que l’homme tient de la nature »21.
21On peut encore lire dans le cahier de la Noblesse de Carcassone : « Il est nécessaire de réunir et de fixer dans une charte les droits de la Nation et la liberté de chaque individu, fondée sur la propriété absolue de ses biens et la sureté des personnes ; du droit de sureté personnelle résulte celui de n’être jamais prive de sa liberté que par le vœu de la loi »22.
22Le Clergé et le Tiers État s’associent bien entendu à cette revendication.
23Sous le titre « Articles qui regardent le bien de l’État », le Clergé de Nimes demande au Roi la promesse de « garantir la liberté des citoyens de tout usage des lettres de cachet »23. On peut d’ailleurs remarquer ici que c’est le terme « citoyen » et non celui de « sujet » qui est utilisé.
24Cette revendication est aussi présente dans la plupart des autres cahiers du Clergé et dans ceux du Tiers État, avec pour ce dernier la volonté de voir également disparaitre toutes les charges et les servitudes personnelles, comme les banalités ou les corvées24.
25Ensuite, les cahiers de la Noblesse et du Tiers État demandent la liberté de la presse
26La Noblesse de Toulouse souhaite ainsi que « toute liberté soit rendue à la presse, a la charge par l’imprimeur d’apposer son nom aux écrits et de répondre personnellement de ce qu’ils pourraient avoir de répréhensibles »25. Le cahier du Tiers État de la même Sénéchaussée demande « d’établir la liberté indéfinie de la presse par la suppression absolue de la censure », aux mêmes conditions26.
27Seul le Clergé est plus réservé sur cette revendication puisque la plupart des cahiers, comme l’exprime celui de Montpellier, demandent expressément que « la liberté de la presse soit prohibée pour tout ce qui est contraire à la Religion, aux bonnes mœurs et à la tranquillité publique »27.
28Enfin, dans le domaine économique, différentes libertés sont réclamées par les trois ordres, qui souhaitent unanimement l’abolition des droits qui pèsent sur l’agriculture, qui gênent le commerce ou qui entravent l’industrie.
29Il s’agit en premier lieu de la suppression de la gabelle.
30Ainsi, tous les cahiers du Clergé se prononcent pour son abolition, qui coute trop cher à l’agriculture et aux paysans. Montpellier demande plus largement : « que l’agriculture soit spécialement favorisée et qu’elle reçoive tous les encouragements qu’elle mérite »28. Carcassonne veut aussi que l’on supprime entièrement les gabelles29.
31Les cahiers de la Noblesse s’associent à cette demande. C’est notamment le cas des cahiers de Montpellier30 ou de Toulouse qui dénoncent la « désastreuse gabelle »31.
32Il s’agit en second lieu de la suppression des traites et des différents droits, là encore, demandée par le Clergé et la Noblesse. Sont notamment vises « tous les droits de sortie sur les vins et les eaux-de-vie, droits qui grèvent les vignobles déjà aussi charges que les terres a blé, et décident l’étranger à donner la préférence aux vins et eaux-de-vie étrangers »32.
33Mais concernant l’économie, d’autres demandes émanent du Tiers État, qui est, en raison de sa fonction, directement intéressé par la question. Aux revendications précédentes, les cahiers du Tiers État ajoutent l’abolition de tous les leudes et péages (en dédommageant les seigneurs et autres propriétaires) et des banalités33. Différentes libertés sont ici revendiquées, par exemple pour la culture du tabac (à Toulouse, Carcassonne, Castelnaudary, Limoux et au Velay) ou encore pour permettre aux villes d’établir des caisses d’escompte et des monts-de-piété34.
34En fait, les trois ordres demandent d’une façon générale la liberté du commerce et l’abolition de toutes les entraves qui gênent sa liberté.
35Ainsi, le Clergé du Velay réclame : « que le commerce des grains soit toujours libre dans l’intérieur du Royaume »35 . Cette revendication rappelle la démarche de Turgot pour aboutir à la suppression des corporations, mais deux cahiers seulement se prononcent pour l’abolition des maitrises et des jurandes. Le Clergé de Béziers dans l’article 33 de son cahier demande : « la suppression de tout droit de maitrise et de jurande »36. Le Tiers État de Villeneuve de Berg réclame quant à lui : « la suppression de toutes les maitrises d’art et de métiers »37.
36En raison du silence de tous les autres cahiers sur une question aussi importante, peut-on en déduire que la Province de Languedoc condamne de façon quasi unanime le système individualiste et libéral propose, sans succès, quelques années plus tôt par Turgot ?
37Le peu d’intérêt que portent ces mêmes cahiers à l’industrie pourrait conforter cette opinion. En effet, le Tiers État de Limoux qui se fait le porte-parole des fabricants de draps, s’inscrit dans une démarche individualiste en demandant : « la suppression des inspecteurs des manufactures de draps et des plombs par eux fournis »38. Seule Montpellier formule ce même vœu39 et Carcassonne souhaite que l’on assure la prospérité des manufactures en leur rendant « la liberté qui en est l’élément et la vie » et en les préservant « de toutes les atteintes que l’esprit fiscal et règlementaire pourrait leur porter »40.
38Cette entente commune aux trois ordres sur la liberté en matière économique, mais restreinte a une minorité de cahiers, se retrouve de façon beaucoup plus générale, lorsqu’il s’agit de revendiquer une liberté beaucoup plus large, entendue cette fois-ci, face au pouvoir central.
- La liberté revendiquée face au pouvoir central
39C’est sans doute le sujet principal des cahiers de doléances de la Province de Languedoc et celui sur lequel tous les cahiers émettent des demandes communes, contre le pouvoir absolu et l’arbitraire ministériel. Le passage de la notion de sujet à celle de citoyen concerne ici principalement des question relatives à la constitution et a l’administration du Royaume et de la Province, ainsi qu’à la législation et à la justice.
40Concernant d’abord la constitution et l’administration du Royaume et de la Province, les cahiers sont semblables avec cependant une supériorité manifeste en matière de science politique dans les cahiers de la Noblesse, notamment pour les assemblées de Toulouse, Montpellier et Carcassonne, au niveau desquels seul le cahier du Tiers État de Montpellier peut prétendre se hisser. Ces demandes s’articulent autour de trois axes principaux : les trois ordres réclament une monarchie constitutionnelle, le consentement de la Nation à la loi et à l’’impôt et la responsabilité des ministres.
41En premier lieu, la monarchie doit donc être conservée mais elle doit être constitutionnelle. La Noblesse de Carcassonne l’exprime de la façon suivante : « Les principes de la Constitution française seront reconnus et assures dans la forme la plus solennelle, par un acte authentique et permanent »41. Le Clergé d’Annonay demande quant à lui : « une constitution qui rende inviolable et sacrée la liberté de tous les citoyens »42 et le Tiers État du Puy souhaite que soit établie : « une constitution invariable dans la Monarchie, qui sera légalement sanctionnée avant de s’occuper d’autres objets »43. Mais les vœux de la Noblesse de Béziers vont encore plus loin. Il faut en effet que « l’Assemblée générale s’occupe, comme d’un objet vraiment préliminaire, de l’examen, la rédaction et la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, déclaration qui servira de base à toutes les lois, soit politiques, soit civiles, qui pourront émaner, tant à présent qu’à l’avenir, de toutes les Assemblées nationales »44.
42En second lieu, la Nation doit consentir à la loi et à l’’impôt par l’intermédiaire des États généraux. La Noblesse de Toulouse l’exprime clairement de la façon suivante : « aucune loi générale et permanente ne sera établie qu’au sein des États généraux et que par le concours mutuel de l’autorité du Roi et du consentement de la Nation ; que les lois ainsi arrêtées et portant dans le préambule ces mots : « De l’avis du consentement des Trois États du Royaume, » seront envoyés avant la séparation de l’Assemblée nationale aux Cours de Parlement pour les faire inscrire sans modification sur leurs registres, les adresser aux Baillages et Sénéchaussées, et les faire exécuter de suite dans toute l’étendue de leurs ressorts, sans que, pour quelque raison que ce soit, elles puissent s’en dispenser ; que néanmoins ces Cours pourront en tout temps faire sur les dispositions de ces lois telles observations que leur zélé leur inspirera, et les adresser aux États généraux, lesquels avec le concours de l’autorité royale y statueront suivant ce qui a été juge le plus avantageux pour la nation »45.
43Le Clergé de Toulouse est tout aussi clair : « Les lois qui réuniront l’autorité du Roi et le consentement de la nation seront enregistrées par les Cours souveraines qui les feront exécuter, et les Cours ne pourront, sous aucun prétexte, en retarder l’enregistrement ou y mettre des modifications »46.
44Bien entendu, tous les cahiers du Tiers État s’associent à ce vœu et réclament le droit pour la Nation de consentir à la loi et à l’impôt, comme en témoigne cet extrait du cahier du Tiers État de la Sénéchaussée du Puy : « Aucune loi, aucun impôt, aucun emprunt, aucun changement dans la valeur des monnaies, sans le consentement de la Nation »47.
45Les trois ordres du Royaume s’accordent enfin sur la question de la responsabilité pénale des ministres.
46C’est une demande générale des cahiers de la Noblesse, comme l’exprime celle de Toulouse : « tous les ministres et autres agents du pouvoir exécutif, qui se seront rendus coupables d’infraction à la charte constitutive des droits nationaux et individuels, seront poursuivis par les Procureurs généraux devant les Cours, lorsque la Nation ne sera point assemblée, et devant les États généraux pendant leur tenue ; les infractions dont il s’agit seront irrémissibles comme le crime de lèse-majesté »48. Cette revendication est aussi exprimée de façon générale dans les cahiers du Tiers État. Ainsi, Montpellier souhaite que : « les Ministres du Roi soient déclarés responsables de toutes les dépradations dans les finances, abus de pouvoir et d’autorité, et de toutes atteintes portées par le Gouvernement aux droits tant nationaux que particuliers, et que les auteurs de ces infractions soient poursuivis sur la dénonce de la Nation »49. Le Clergé quant à lui reste plus réservé sur ce point. Le cahier de Béziers souhaite seulement un : « retour périodique aux États généraux, et que les Ministres y rendent compte de leur administration »50. Moins timoré le Clergé de Castelnaudary demande : « la responsabilité des Ministres a la Nation et la connaissance publique par voie de l’impression de tous les objets de comptabilité »51. Un troisième cahier du Clergé seulement évoque cette question, celui de Villeneuve de Berg : « les Ministres seront comptables aux États généraux de l’emploi des deniers publics »52.
47A l’inverse, les doléances du Clergé sont nettement supérieures à celles de la Noblesse et du Tiers État dans le domaine de la législation et de la justice, doléances qui s’inscrivent naturellement dans le cadre de la liberté générale qui est revendiquée face au pouvoir central.
48Les trois ordres demandent d’abord la rédaction d’un code civil et d’un code criminel, ainsi que la reformé des procédures.
49Le Clergé de Toulouse veut que l’on travaille a : « la rédaction des Codes civil et criminel, et que le dernier proportionne la qualité des peines a la qualité des délits, sans distinction des personnes »53. Ces codes doivent aussi montrer plus d’humanité à l’égard des criminels et être approuves et consentis par la nation. Le Clergé de Limoux souhaite quant à lui que : « le Code immense du droit français, Recueil qu’il n’est donne qu’a peu de se procurer en entier et a aucun de bien connaitre, d’ordonnances, édits déclarations et arrêts du Conseil, fut rédigé en un seul corps de droit ; ce ne serait plus les lois de tous les siècles de la monarchie et de tous les rois de France ; ce serait désormais le Code de Louis XVI et la loi du siècle le plus éclaire »54. La Noblesse de la même Sénéchaussée indique les points sur lesquels on devra reformer les lois civiles, « notamment sur le fait des testaments, substitutions, donations, évocation, et de celle qui a pour objet la poursuite du crime de faux, sera vivement sollicitée »55.
50Tous les cahiers du Tiers État veulent aussi que l’on rédigé de nouveaux codes civil et criminel, ainsi qu’une reformé de la procédure. Montpellier souhaite moins de sévérité pour les galériens, que l’on réduise l’application de la peine de mort, que l’on proportionne les peines aux crimes, que la procédure criminelle soit rendue publique et qu’un défenseur soit donne à l’accuse »56.
51La longueur et le cout des procédures sont aussi unanimement dénonces. C’est le Clergé de Villeneuve de Berg qui émet ici les souhaits les plus précis et propose « d’adopter la forme usitée au conseil du Roi et au tribunal de l’Intendance du Languedoc, ou l’on ne plaide que par requête ». Il est ensuite remarque que : « les attributions sans nombre accordées à l’Intendant du Languedoc n’empêche pas que la justice soit rendue promptement par ces magistrats et qu’il n’y ait d’autres dépens que le cout de quelque requête taxée 30 livres »57.
52Les trois ordres demandent ensuite que l’on rapproche la justice des justiciables, et pour cela, plusieurs solutions sont proposées. Tous les cahiers du Clergé demandent la conservation du Parlement de Toulouse avec ses droits, privilèges et l’étendue de son ressort. Le Clergé de Carcassonne propose même de multiplier les Cours souveraines « pour rapprocher les justiciables des tribunaux de dernier ressort et de donner un règlement qui simplifie la forme des procès et déterminé à des époques fixes leur durée »58. Villeneuve de Berg demande que l’on accorde aux Sénéchaussées la juridiction présidiale pour statuer définitivement jusqu’à la somme de 2000 livres59. De nombreuses autres solutions sont encore proposées par le Clergé, comme la création de tribunaux de simple police dans les campagnes. La Noblesse et le Tiers État s’associent à ces souhaits, comme à Castres ou il est demande l’établissement de « juges de paix devant lesquels les parties devront se retirer avant d’être reçues à plaider »60.
53Enfin, dans le cadre de cette reformé de la justice, les trois ordres demandent la suppression des tribunaux d’exception et le Tiers État réclame en outre l’abolition des justices seigneuriales, qui pour Montpellier constituent « la source d’un nombre infini d’abus »61. Cette dernière doléance va bien dans le sens de l’égalité, seconde idée caractéristique du passage de la notion de sujet à celle de citoyen.
II - L’ÉGALITÉ DANS LES CAHIERS DE DOLÉANCES DE LA PROVINCE DE LANGUEDOC AUX ÉTATS GÉNÉRAUX DE 1789
54A l’instar de la liberté, l’égalité dans les cahiers de doléances de la Province de Languedoc peut être appréhendée de deux façons. D’abord dans une conception générale, l’égalité politique est prédominante et elle met en avant la participation des citoyens à l’exercice du pouvoir politique, notamment par le droit de vote. Ensuite, et non moins importante, c’est l’égalité fiscale qui est revendiquée dans les cahiers de doléances des trois ordres.
- L’égalité politique
55L’égalité politique fait avant tout référence au droit de vote des citoyens, qui leur permet, selon l’une des définitions de la citoyenneté citée précédemment, de concourir au gouvernement de l’État. Or, dans les cahiers de la Province de Languedoc, en 1789, c’est d’abord du droit de vote aux États généraux dont il est question, avec ici quelques opinions divergentes.
56Tous les cahiers du Clergé, sans exception, se prononcent pour le vote par ordre. Le Clergé de Carcassonne exprime et justifie ce choix de la façon suivante : « La France étant une Monarchie dont la constitution admet trois ordres distincts, et leur unanimité étant indispensable pour exprimer le national, le veto dévolu à chaque ordre garantissant à tous les trois une égale influence, afin que nul ne puisse être opprime par les deux ordres réunis, le Clergé pense qu’aux États généraux on doit opiner par ordre et non par tête. Cet ancien usage lui a paru avantageux, puisqu’il établi un équilibre parfait, et qu’il empêche qu’aucun ordre ne puisse être sacrifie aux prétentions et rivalités des autres ordres et qu’il soustrait à l’autorité tout moyen de s’élever sur les ruines de tous »62 . Le Clergé de Nimes déclare quant à lui que : « lorsqu’il s’agira de former une délibération, ses députés doivent s’en tenir, autant qu’il sera possible, à voter par ordre, cette manière de délibérer étant la plus usitée, et la seule propre à conserver l’indépendance des ordres et l’égalité d’influence qui leur appartient dans les États généraux »63. Enfin, le Clergé de la Sénéchaussée du Velay réclame : « dans les États généraux, l’opinion par ordre, qu’il regarde comme constitutionnelle, parce qu’elle est consacrée par l’usage et par une longue suite d’Assemblées nationales ; parce que ce moyen est le seul qui pourrait prévenir l’abus qui résulterait inévitablement de la composition actuelle des États généraux, ou le Tiers État, par le nombre, serait toujours assure de faire la loi aux deux autres Ordres, ce qui serait également inconstitutionnel et injuste, parce que c’est le moyen le plus sûr et je seul même qui puisse assurer et garantir la sagesse des délibérations des États »64.
57Les avis sont plus partages sur la question du vote dans les cahiers de la Noblesse. Quatre d’entre eux seulement se prononcent d’une façon absolue en faveur du vote par ordre. Il s’agit des cahiers de Castres, Limoux, Castelnaudary et Toulouse, qui s’expriment ainsi : « Ils maintiendront l’usage ancien et consacre par les ordonnances de voter par ordre, sans que les deux, suppose qu’ils fussent d’accord, puissent y lier le troisième, ordonnance du mois de mars 1356 ; ordonnance d’Orléans, article, 135. Et si ceux qui semblent annoncer la demande de voter par tête , les trois ordres réunis, parvenaient à faire prévaloir, même dans l’ordre de la Noblesse, cette réclamation, nos députés, après avoir hautement proteste contre une innovation destructive du plus grand intérêt de tous les ordres et du système constitutionnel de la Monarchie, déclareront (sans toutefois se retirer) que la Noblesse de la Sénéchaussée de Toulouse ne tiendra point pour obligatoires les délibérations ainsi prises qui pourraient être préjudiciables à son ordre, et que jamais elle n’y accédera, ni par une adhésion formelle, ni en se prêtant à leur exécution »65.
58Tous les autres cahiers de la Noblesse sont plus réservés sur cette question. Ainsi, pour Carcassonne : « On opinera par ordre et non par tête, si ce n’est en certains cas, et du consentement des trois ordres, donne par ordre »66. Montpellier se montre plus précis dans sa proposition : « L’opinion par ordre et l’opinion par tête ayant, l’une et l’autre, des avantages et des inconvénients, aucune de ces deux manières de voter ne doit obtenir la préférence ; dans tous les cas il serait sage d’ordonner plutôt que l’opinion par tête n’aura lieu qu’en matière de contributions, et que l’ancien usage de l’opinion par ordre sera conserve lorsqu’il s’agira de statuer sur des objets de législation ou d’administration »67. Cette solution se retrouve dans les cahiers de Béziers, Annonay et Villeneuve de Berg. Enfin, la Noblesse de Nimes se prononce exclusivement pour le vote par tête68.
59Cette dernière solution est de toute évidence, celle qui est souhaitée par l’ensemble des cahiers du Tiers-État, qui veut ainsi être entendu et participer réellement a la vie politique du Royaume.
60Ensuite, l’égalité est demandée au niveau de l’admission à tous les emplois, mais il y a des divergences sur le problème de la vénalité des offices. Au sein du Clergé, seuls les cahiers du Puy, de Limoux et de Villeneuve de Berg sont favorables à son abolition. Ce dernier demande : « que la justice soit rendue gratuitement, par la suppression de toute sorte d’épice, et qu’on attribue des gages aux juges royaux ; que le nombre des juges dans les cours souveraines et les offices de procureurs de toutes les cours soient considérablement réduits, et qu’il soit pris des moyens pour substituer à la vénalité des charges un choix libre de personnes distinguées par leurs vertus et connaissance »69. Trois cahiers de la Noblesse sont aussi favorables à la suppression de la vénalité des charges, ceux de Castelnaudary, de Béziers et de Villeneuve de Berg. Contrairement aux deux ordres précédents, tous les cahiers du Tiers État, a l’image de celui de Toulouse demandent « d’admettre tous les citoyens aux emplois militaires et civils, notamment aux charges de magistrature »70.
61Enfin, l’égalité politique est réclamée au niveau local, dans le cadre de l’administration générale et fiscale, à travers une nouvelle constitution des États provinciaux, auxquels les trois ordres reprochent de façon unanime une mauvaise représentation, organisation et administration, sur des questions à peu près analogues à celles évoquées sur le plan national. Quelques unes des formes et raisons de ce mécontentement peuvent néanmoins être développées. Le Clergé du Velay « renouvelle ici le vœu qu’il a déposé dans le sein de sa Majesté, d’obtenir aux États de la Province et a ceux du pays une représentation libre et satisfaisante. La justice de cette demande est trop manifeste pour avoir besoin d’être développée et prouvée, et pour qu’on craigne qu’elle ne soit pas accueillie ; rien n’est plus propre à nous inspirer cette juste confiance, que les dispositions que Sa Majesté a déjà daigné témoigner de se porter à tous les changements de la Constitution actuelle, qui pourraient perfectionner l’administration de cette Province et assurer le bonheur de ses sujets du Languedoc »71 La Noblesse de Montpellier dénonce, quant à elle, à propos de l’administration des États : « Une constitution contraire aux véritables intérêts des peuples, vicieuse dans son régime, a excite les justes réclamations de tous les ordres de la Province de Languedoc ; le droit de voter l’impôt et de le repartir, dont jouissent les habitants de cette Province, se perd dans les fastes de la Monarchie ; l’exercice de ce droit n’a pu être confie qu’à l’Assemblée des trois ordres, mais le temps qui détruit, l’intérêt particulier qui corrompt, l’intrigue qui veille et s’agite sans cesse ont fait disparaitre de si beaux jours ; vingt-trois prélats, autant de seigneurs titres, quelques membres de l’ordre du Tiers, choisis ou subjugues, se sont investis des droits sacres de dix-huit cent mille âmes »72. Tout le Tiers État se joint à ces doléances, comme celui de Montpellier qui réclame à propos des États : « qu’ils soient absolument et entièrement supprimes, et qu’ils soient reconstitues en une forme libre, élective, et vraiment représentative des trois ordres »73.
62La question de la fiscalité et des finances est donc bien présente dans les demandes des trois ordres, aussi bien au niveau de la Province qu’au niveau du pays, compte tenu de l’importance de ce problème en 1789. Là encore, le consentement et la participation à la contribution publique, sur une base égalitaire, constitue l’un des critères de la citoyenneté présent dans les cahiers de doléances de la Province de Languedoc.
- L’égalité fiscale
63Les trois ordres sont unanimes, comme l’écrit le Clergé de Montpellier, pour « qu’il soit dresse tous les ans un état de la situation des finances du Royaume ; que cet état soit rendu public, ainsi que Sa Majesté a bien voulu l’annoncer et le promettre a ses peuples »74. La Noblesse de Toulouse demande : « que le tableau exact et détaille des finances soit remis à l’Assemblée nationale »75. Il y a également une quasi-unanimité sur la question de l’égalité fiscale, qui doit s’accompagner de la suppression des emprunts et de certains impôts comme la gabelle, ainsi que de la mise en place d’une caisse d’amortissement pour rembourser la dette publique et d’une simplification du système de perception des contributions.
64Tous les cahiers du Clergé sont donc favorables à l’égalité fiscale, comme par exemple celui de Limoux, qui demande : « qu’à l’avenir les contributions publiques seront sup portées également et proportionnellement par les trois ordres sans distinction »76. Ce nouveau principe dans la répartition des impôts doit permettre, pour le Clergé comme pour les autres ordres, de redresser la situation financière du pays. Pour le Clergé du Velay : « L’égalité proportionnelle des contributions de tous les ordres de l’État doit être une mine inépuisable pour le trésor royal »77.
65Mais certains cahiers posent des conditions à cette égalité fiscale. C’est par exemple le cas de celui du Clergé de Castres qui réclame en contrepartie de ses sacrifices pécuniaires le vote par ordre ou encore l’assimilation des dettes du Clergé aux dettes de l’État78. A l’inverse, certains cahiers réclament l’égalité fiscale et prévoient même des exemptions d’impôt pour les membres les plus défavorisés du Tiers État, comme « l’artisan qui n’a ni garçon ni compagnon, et en général tout manouvrier qui dénue de toute propriété ne vit que du travail de ses mains »79, ou encore, pour Toulouse, pour « ceux qui auront perdu leurs récoltes par grêle ou autres cas fortuits »80. Le Clergé de Castres se soucie quant à lui : « de la misère affreuse qui se fait ressentir particulièrement dans les campagnes considérant que l’état de détresse dans lequel le peuple gémit est occasionne par la surcharge des impôts dont le cultivateur est accable, et que cette classe de citoyens, bien loin de pouvoir payer de nouveaux subsides, est dans le cas de solliciter la modération de ceux qu’elle supporte »81.
66La Noblesse, excepte celle de Limoux, qui demande qu’aucune atteinte ne soit portée « aux privilèges, droits, distinctions et propriétés de la Noblesse »82 , s’associe sans réservés aux réclamations du Clergé. Aussi peut-on lire dans le cahier de Montpellier : « La contribution aux charges publiques est une des obligations du contrat social. Tous vos sujets, Sire, ayant un droit à la protection de l’État, aucun d’eux ne peut se dispenser de fournir à la dépense que cette protection exige ; ainsi, les impôts, de quelque nature qu’ils soient, doivent être, a l’avenir, également repartis sur tous les citoyens de tous les ordres, dans la seule proportion de leurs facultés. La Noblesse de la Sénéchaussée de Montpellier a déjà renoncé à ses anciens privilèges, elle réitère aujourd’hui cette renonciation en présence de Votre Majesté, et elle offre de contribuer à toute imposition, sans distinction de biens ni de personnes »83. Quant à la Noblesse de Toulouse, elle « offrira généreusement des sacrifices pour acquitter la dette du Gouvernement et soulager le peuple », tout en précisant que : « la Noblesse du Languedoc ne jouit d’aucune immunité personnelle dans la répartition des tailles, et tout ce qu’on a dit concernant les privilèges de la Noblesse dans les autres provinces, lui est étranger ; les biens-fonds du Languedoc sont nobles ou roturiers, et leur nature ne change point dans quelque mains qu’ils se trouvent ; cette immunité des fonds nobles et des fiefs n’est point un privilège personnel, mais un droit réel qui leur est attache par des lois positives et par la possession la plus ancienne ; les droits les plus sacres, ceux de la propriété entre les mains des citoyens, n’ont d’autre fondement qu’une possession semblable »84.
67Enfin, le Tiers État se prononce bien évidemment pour l’égalité fiscale, et ses doléances sur la question ne se distinguent des précédentes que par leur ton plus virulent. Ainsi, le cahier de Carcassonne réclame que : « la forme des subsides soit surtout fixe et exempte de tout arbitraire, soit dans l’assiette, soit dans la levée des impôts et qu’elle assure une égale répartition sur tous les propriétaires capitalistes ou fonciers » et que : « les objets qui méritent le moins de ménagement soient ceux qui, ne tenant point a l’encouragement de l’agriculture et du commerce, sont uniquement consacres à un faste ruineux, à alimenter les passions et à renverser les fortunes »85. Dans la mise en œuvre de cette égalité fiscale, le Tiers État de Castres précise que : « toute personne, de quelque ordre, de quelque classe qu’elle soit, sera assujettie à l’impôt personnel, qui devra toujours être proportionne aux facultés de chaque individu ; il sera pris les précautions les plus exactes pour parvenir à la connaissance de ces facultés, les hommes les plus impartiaux seront charges de cette recherche ; cet impôt pèsera principalement sur les célibataires, la taxe du père de famille diminuera en proportion du nombre de ses enfants, celui qui vivra du jour a la journée sera exempt entièrement »86.
68Pour conclure, on peut remarquer qu’en 1789, les doléances de la Province de Languedoc s’inscrivent parfaitement dans le mouvement de l’opinion publique nationale. La seule originalité du Languedoc réside dans le mécontentement exprime face à la représentation, a l’organisation et a l’administration de ses États. Mais toutes les autres réclamations, en accord avec les demandes du reste de la Nation, font clairement apparaitre les divers concepts et critères constitutifs de la citoyenneté, qui marquent le passage, au début de la Révolution française, de la notion de sujet à celle de citoyen. Les quatre-vingt-trois députés du Languedoc aux États généraux, qui comptent des noms célèbres parmi lesquels Boissy d’Anglas, Vernet, ou encore Rabaut de Saint-Etienne, vont s’attacher, avec le reste de la Nation, à rendre ces concepts opérationnels, dans les mois et années à venir, et à concrétiser en France, la transformation des sujets en citoyens.
Notes de bas de page
1 J. Tulard, J.-F. Fayard et A. Fierro, Histoire et dictionnaire de la Révolution française 1788-1789, R. Laffont, Paris, 1987, p. 650.
2 A. Babot, A. Boucaud-Maître et P. Delaigue, Dictionnaire d’histoire du droit et de institutions publiques (476-1875), Ellipses, Paris, 2002, p. 66.
3 Ibid.
4 En 1791, il faut avoir 25 ans pour être citoyen « actif ». L’âge de la citoyenneté sera ramené à 21 ans dans les constitutions de 1793, 1795 et 1799.
5 Voir les articles 2, 3 et 4 du titre II de la Constitution de 1791.
6 En 1791, la participation à la vie politique, par le biais des élections, est réservée aux seuls citoyens actifs, par opposition aux citoyens passifs, car les constituants considèrent alors qu’être électeur n’est pas un droit mais une fonction. Pour être citoyen actif, il faut répondre à plusieurs critères : être de nationalité française et âge de 25 ans, être domicilie pendant un an dans la ville ou le canton, payer une contribution directe au moins égale à trois journées de travail, être inscrit à la garde nationale, avoir prêté le serment civique et ne pas être, ni en état de domesticité, ni en état d’accusation, ni failli, ni insolvable. L’exercice de la citoyenneté sera ensuite plus largement ouvert avec l’instauration du suffrage universel en 1793 et en l’an VIII (en apparence seulement).
7 Les cahiers de doléances en général et ceux du Languedoc en particulier ont déjà fait l’objet d’un certain nombre d’études. On peut notamment citer : E. Bligny Bondurand, Cahiers de doléances de la Sénéchaussée de Nîmes, Documents inédits pour servir à l’histoire de la Révolution française, Nîmes 1808 ; A. Brette, Recueil des documents relatifs à la convocation des Etats généraux de 1789, 4 vol. , Paris, Imprimerie nationale, 1894-1915 ; Buirette, Questions religieuses dans les cahiers de 1789, Paris, 1905 ; E. Champion, La France d’après les cahiers de doléances de 1789, P. Colin, 1897 ; R. Chartier, Cultures, Lumières et doléances : les cahiers de 1789, R.H.M.C.,1979, p. 49 s. ; 1981, p. 68 s. ; A. Cochin, La campagne de 1789 en Bourgogne, in L’esprit du jacobinisme, Paris, P.U.F., 1979, p. 49 s. ; M. Denis et P. Goubert, 1789, Les Français ont la parole, Paris, Julliard, 1964 ; A. Desjardins, Les cahiers des Etats généraux et la Législation criminelle, Paris, Durand et Pédone, 1883 ; L. Fliche, Les cahiers de doléances du Languedoc aux Etats généraux de 1789, Thèse Droit, Montpellier, 1953 ; Gautherot, Les cahiers de 1789. La rédaction artificielle des doléances révolutionnaires, Revue des questions historiques, 1910 ; B. Hyslop, Répertoire critique des cahiers de doléances pour les Etats généraux de 1789 ; P. Leroux, 1933, Collection de documents inédits sur l’histoire économique de la Révolution française ; La Jonquière, Les cahiers de la Sénéchaussée de Castres en Languedoc, Paris, 1867 ; A. Mathieu, La convocation des Etats généraux de 1789 en Languedoc, Thèse Droit, 1917 ; Sagnier, Les cahiers de 1789, Revue d’Histoire Moderne, t. 8 ; Trouve (baron), Essai historique sur les Etats Généraux de la Province de Languedoc, Paris, 1818, 2 vol. ; G. V. Taylor, Les cahiers de 1789 sont-ils révolutionnaires ?, A.E.S.C. 28, 1973, 6, p. 1495 s. ; Vidac, Les cahiers de doléances du Tiers Etat aux Etats généraux de 1789, Paris, 1911.
Ces références peuvent être utilement complétées par les bibliographies de deux manuels en particulier en ce qui concerne les Etats généraux de 1789 : F. Bluche, Manuel d’histoire politique de la France contemporaine, P.U.F., Collection Droit Fondamental, Paris, 1ère éd., 2001, p. 9 s. et M. Morabito et D. Bourmaud, Histoire constitutionnelle et politique de la France (1789-1958), Montchrestien, Domat Droit Public, 4eme éd., 1996, p. 73 s.
8 Dans les autres régions de France, l’Intendant n’administre qu’une seule Généralité.
9 Depuis leur fondation, la dernière séance des sessions des États de Languedoc est consacrée à la rédaction d’un cahier de doléances. La dernière réunion des Etats de Languedoc a lieu le 21 février 1789.
10 Ceux-ci ne sont d’ailleurs pas élus mais désignes par la possession de charges municipales généralement vénales.
11 L. Fliche, op. cit., p. 14.
12 Cl. Devic et J. Vaissete, Histoire générale de Languedoc, t. 13, 1877, p. 1369.
13 Le lieutenant-général de La Sénéchausée de Toulouse a établi, par ordonnance du 31 mars 1789, un règlement particulier, pour assurer la discipline intérieure dans l’assemblée du Tiers État. Cl. Devic et J. Vaissete, op. cit., t. 14, 1877, p. 2517 s.
14 Le terme général de « cahier de doléances » comprend trois éléments : le procès-verbal de l’assemblée électorale, le cahier de doléances proprement dit et le mandat confié aux députés élus, en général inclus dans le procès-verbal ou le cahier. L. Fliche, op. cit., p. 33.
15 L. Fliche, op. cit., p. 36 s.
16 E. Lavisse, Histoire de France des origines à nos jours, Hachette, t. 9, 1911, p. 343.
17 Tome 14, 1877, p. 2522 à 2870.
18 Ces documents sont répertoriés aux cotes suivantes : C. 877 à 879 (294 pièces, papier), C. 5958 (66 pièces papier ; 47 imprimes) et C. 4685 (69 pièces, papier ; 7 imprimes).
19 Cl. Devic et J. Vaissete, op. cit., t. 13, p. 1379 s.
20 L. Fliche, op. cit., p. 38.
21 Cl. Devic et J. Vaissete, op. cit., t. 14, p. 2658.
22 Ibid, p. 2670.
23 Ibid, p. 2554.
24 Voir par exemple le cahier du Tiers Etat de Toulouse, ibid, p. 2749.
25 Ibid, p. 2650.
26 Ibid, p. 2747.
27 Ibid, p. 2535.
28 Ibid, p. 2534. Pour autant, la grande majorité des cahiers (sans distinction d’ordre) n’évoque même pas la question de l’agriculture.
29 Ibid, p. 2551.
30 Ibid, p. 2534.
31 Ibid,p.2529.
32 Ibid, p. 2692-2693.
33 Ibid, p. 2749.
34 Ibid, p. 2750.
35 Ibid, p. 2596.
36 Ibid, p. 2602.
37 Ibid, p. 2864.
38 Ibid, p. 2842.
39 Ibid, p. 2665.
40 Ibid, p. 2791.
41 Ibid, p. 2670.
42 Ibid, p. 2629.
43 Ibid, p. 2810.
44 Ibid, p. 2694.
45 Ibid, p. 2648.
46 Ibid, p. 2530.
47 Ibid, p. 2811.
48 Ibid, p. 2649-2650.
49 Ibid, p. 2758.
50 Ibid, p. 2600.
51 Ibid, p. 2627.
52 Ibid, p. 2630.
53 Ibid, p. 2530.
54 Ibid, p. 2636.
55 Ibid, p. 2742-2743.
56 Ibid, p. 2771-2772.
57 Ibid, p. 2635.
58 Ibid, p. 2552.
59 Ibid, p. 2635.
60 Ibid, p. 2830.
61 Ibid, p. 2769.
62 Ibid, p. 2549.
63 Ibid, p. 2554.
64 Ibid, p. 2581.
65 Ibid, p. 2645.
66 Ibid, p. 2669.
67 Ibid, p. 2661.
68 Ibid, p. 2685.
69 Ibid, p. 2635.
70 Ibid, p. 2748.
71 Ibid, p. 2577-2578.
72 Ibid, p. 2664.
73 Ibid, p. 2758.
74 Ibid, p. 2534.
75 Ibid, p. 2651.
76 Ibid, p. 2624.
77 Ibid, p. 2588.
78 Ibid, p. 2614.
79 Ibid, p. 2555.
80 Ibid, p. 2529.
81 Ibid, p. 2550.
82 Ibid, p. 2711.
83 Ibid, p. 2660.
84 Ibid, p. 2678-2679.
85 Ibid, p. 2792.
86 Ibid, p. 2829.
Auteur
Maître de Conférences à l’Université de Montpellier I
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