Un regard original sur la citoyenneté, du crépuscule des Lumières à la Révolution : Mirabeau
p. 197-228
Texte intégral
1Les Historiens des Idées Politiques considèrent généralement que l’apparition d’un mot nouveau ou la réapparition d’un mot ancien avec une acception nouvelle peuvent servir à dater et à comprendre la genèse d’une idée ou d’un phénomène historique1. En France, c’est au siècle des Lumières que la réflexion sur la citoyenneté est la plus féconde. Si le terme citoyen n’est pas d’un usage courant dans la première partie du xviiième siècle2, l’utilisation du vocable se fait plus fréquente à partir de 1750 notamment à travers les remontrances parlementaires3 et la littérature philosophico-politique qui se développent dans le cadre de la monarchie absolue. C’est en effet contre la dérive despotique de la royauté d’Ancien Régime que se forge le concept moderne de citoyen, entendu comme celui qui participe à l’autorité souveraine4. Le mot citoyen était employé par les juristes dès le xvième siècle pour désigner le Français par opposition à l’étranger, c’est cette acception purement civile que l’on retrouvait sous la plume de Bodin, Pothier ou Domat.
2Cependant, à l’entour du xviiième siècle, le terme citoyen retrouve son acception politique, « naturelle » diront les révolutionnaires, mais sans pour autant perdre son sens civil. Comme le souligne Mme Anne Lefebvre Teillard, « la dichotomie romaine droits civils, droits politiques, semble avoir permis aux deux acceptions civile et politique de cheminer côte à côte sous l’Ancien Régime[...] »5.
3La lente mutation déjà à l’œuvre au xviième siècle s’accélère dans les dernières décennies précédant la Révolution, et on assiste à une véritable « boulimie » sémantique et idéologique autour de la notion de citoyen qui préfigure la rupture révolutionnaire6. Il n’est donc guère surprenant que ce concept occupe une place fondamentale dans la pensée politique d’un auteur comme Mirabeau. Pensée à bien des égards méconnue, qui contrairement à une idée reçue présente par ses apports une originalité incontestable7 et mérite une analyse approfondie8.
4Rien ne prédestinait a priori le jeune Honoré Gabriel Riqueti, Comte de Mirabeau, né en 1749 au sein d’une grande famille de la noblesse provençale, à devenir le prophète et l’Hercule de la Révolution. Mais, les sévérités excessives d’un père qui ne le comprend pas, mêlées à un caractère intrépide et épris de liberté, vont contribuer à en faire un révolté9. Le sentiment d’être citoyen intervient très tôt dans sa vie et constitue un trait essentiel de son esprit qui se retrouve dans la plupart de ses écrits. Son premier livre l’Essai sur le despotisme est ainsi présenté par Mirabeau lui-même comme « une profession de foi de citoyen »10. La lecture de Tacite11 et de Cicéron12 a nourri son enfance et éveillé très tôt en lui un enthousiasme pour la citoyenneté antique et les valeurs qui s’y rattachent : bravoure, patriotisme, idéal de vertu et de liberté. Les vicissitudes d’une jeunesse orageuse et dissolue rythmée par les lettres de cachet, qui le plongent dans l’obscurité des cachots, et les procès successifs dont il fait l’objet, l’amènent à éprouver dans sa propre chair l’arbitraire de la justice d’Ancien Régime. La découverte de Rousseau, avec qui il se sent une communauté de cœur et d’esprit, ne fera qu’affermir ce sentiment qui l’habitera tout au long de sa vie. La citoyenneté est donc en premier lieu chez Mirabeau un sentiment, elle se vit d’abord comme un état intérieur avant d’être conceptualisée.
5Les fondements théoriques de cette conceptualisation ne sont pas en réalité à rechercher exclusivement du côté de Rousseau et de l’École du droit naturel ; la plupart sont issus du courant physiocratique dont son père est un des plus illustres représentants. Cette rencontre de deux projets de société contradictoires et en apparence inconciliables13 que l’on observe également chez d’autres révolutionnaires comme Sieyès ou Condorcet illustre la complexité et l’ambiguïté des idées à l’œuvre dans les dernières décennies du xviiième siècle. Mirabeau, en philosophe éclectique, va puiser dans cet enchevêtrement de concepts et d’idées élaborés par les penseurs des Lumières et leurs prédécesseurs, les matériaux nécessaires à la construction d’une théorie et d’une pratique de la citoyenneté.
6En politique averti, il comprend très tôt le rôle stratégique que peut jouer l’opinion publique14 , notion récemment découverte par les physiocrates, dans la lutte engagée pour la réforme du système politique et la régénération du Royaume. L’émergence de la notion de citoyen a un lien direct avec celle de cette nouvelle force dont la maîtrise va devenir un enjeu crucial à la veille de la Révolution. C’est la part prise par le Comte de Mirabeau, dans ce formidable bouleversement qui prélude à la naissance du citoyen moderne puis, à la consécration de ses droits sous la Révolution qu’il convient d’analyser. On s’intéressera au rôle précurseur joué par Mirabeau sous l’Ancien Régime dans l’émergence de cette nouvelle culture de la citoyenneté (I) ; avant d’envisager la contribution du tribun aixois à la théorie du citoyen révolutionnaire (II).
I - MIRABEAU ET LES PRODROMES DE LA CITOYENNETÉ MODERNE
7C’est autour du binôme citoyen/despotisme qu’il faut rechercher les prémisses théoriques de la conception de la citoyenneté de Mirabeau. À l’origine centrée sur la reconnaissance des droits naturels et civils du citoyen, sa réflexion s’oriente également par la suite vers une revendication des droits politiques par l’intermédiaire du concept de représentation.
- Citoyen, despotisme et droit naturel
8On trouve encore employé sous la plume de Mirabeau, le terme « sujet » pour désigner l’individu vivant sous un gouvernement monarchique, par opposition au « citoyen » qui vit sous une République. Mais cette définition purement institutionnelle a tendance à s’estomper au profit d’une acception beaucoup plus large du mot citoyen, porteuse de valeurs, comme la vertu, le patriotisme et l’idée de participation active au sein de la société que ne saurait traduire le terme « sujet ».
9Dans le très évocateur Essai sur le despotisme, se retrouvent tous les lieux communs des Lumières. Mais, la plume acérée de l’auteur alliée à une audace et un sens de la formule indéniables leur confèrent une tonalité radicale qui va contribuer à en faire un des grands succès de librairie de ces dernières décennies pré-révolutionnaires, qui voient la remise en cause de l’absolutisme au nom de la raison et des droits naturels de l’homme. Mirabeau part d’un postulat en apparence simple, mais capital dans ses conséquences : le despotisme constitue la négation de la citoyenneté ; mais il permet également l’institution de cette dernière qui se fonde en quelque sorte en lui résistant.
« Dans le despotisme » écrit Mirabeau « la force est le seul droit ; Il n’y a de loi que celle du plus fort ; la justice n’y existe pas : il n’y a point de citoyen. Un homme n’est qu’un esclave ; un esclave ne doit rien, parce qu’il n’a rien de propre. Un homme de cœur sortira bientôt d’un pays où le despotisme sera établi : s’il ne le peut pas, il sera bientôt dégradé. Où la patrie ne doit rien, on ne lui doit rien, parce que les devoirs sont réciproques »15.
10Dans ces quelques lignes se trouve formulé un point essentiel de sa conception de la citoyenneté. Sous le despotisme il ne peut y avoir d’homme libre, de citoyen, il n’y a que des esclaves. L’esclavage ne peut se définir comme une aliénation de la liberté16, ce qui signifierait pour l’homme, un don de sa propriété personnelle17. Cela est impossible car la liberté est un droit naturel et imprescriptible. Cette conception présente des similitudes frappantes avec celle de John Locke, même si ce dernier n’est pas directement cité. Il est avéré que Mirabeau a été dès son adolescence sensibilisé aux théories de l’auteur de l’Essai sur l’entendement humain18.
11La servitude comme l’ont déjà affirmé Tacite19 et la Boétie est en quelque sorte volontaire, les hommes ayant eux-mêmes forgé « leurs chaînes en établissant leurs législations »20 qui sont devenues « la base de la tyrannie »21. Cette affirmation semble contredire la proposition précédente selon laquelle l’homme ne peut aliéner sa liberté. Toutefois le mot servitude s’applique ici a l’ensemble de la communauté humaine et non à l’individu pris isolement. Mirabeau, imprégné par les théories physiocratiques et de l’école du droit naturel, considère a cette époque que les hommes n’ont ni le pouvoir ni le besoin de faire leurs lois, il leur suffit de puiser leurs principes dans la nature qui « est une parfaite législatrice », ou plutôt la seule véritable22. La loi naturelle est irréfragable, aucune loi positive ne peut l’abroger23. Elle est le fondement de toutes les législations, mais les individus s’écartent trop souvent de « cette loi simple, une et sublime »24. Le despotisme ne tire sa source que de la prétention prométhéenne des législateurs qui « ont ose croire qu’il était en leur pouvoir de créer des lois pour l’homme. Que n’entreprenaient-ils pas aussi de reculer et d’avancer les saisons ! »25. De cet état de chose résultent, l’insuffisance, la défectuosité et les dangers de la plupart des législations humaines. L’empreinte physiocratique est ici indéniable. La plupart des arguments de Mirabeau semblent tires parfois mot pour mot de l’Ordre essentiel et naturel des sociétés politiques de Le Mercier de la Rivière paru en 1767. Cependant, et cela se comprend aisément dans un ouvrage écrit pour fustiger le despotisme, Mirabeau ne cite jamais directement le théoricien du despotisme légal26.
12On est bien loin du volontarisme juridique rousseauiste dont Mirabeau se fera plus tard le chantre en proclamant à la suite de l’auteur du Contrat social que la loi est l’expression de la volonté générale. Il n’est point question à cette époque des droits politiques des citoyens, il s’agit seulement des droits naturels qui préexistent a la naissance même de la société politique. Remontant, à la suite de Locke « à l’origine des sociétés »27, Mirabeau s’inscrit en faux contre l’opinion de Hobbes : l’homme n’est pas mauvais par essence, il a reçu un instinct social de la nature. La « sociabilité » est « la première des vertus, parce qu’elle est le premier des besoins »28.
13Apres avoir hardiment réfute l’auteur du Léviathan, le jeune apprenti en philosophie n’hésite pas à s’attaquer à Rousseau auquel il voue pourtant une admiration profonde et sincère. L’état de nature l’intéresse peu, il préfère porter son attention sur l’état social. Mirabeau juge inconcevable l’opinion exprimée par Rousseau dans le Discours sur l’origine de l’inégalité des conditions parmi les hommes selon laquelle « l’homme dans l’état de nature répugnait a la société et [...] que la nature n ‘avait pas destiné l’homme a la société »29. L’homme n’a pas pu faire un mauvais marche quand il s’est rapproché de ses semblables30. Il expose en termes déjà très clairs l’idée qu’il se fait des principes qui ont présidé à la naissance de la société civile :
« les hommes n ‘ont rien voulu ni du sacrifier en se réunissant en société ; ils ont voulu et du étendre leurs jouissances et l’usage de la liberté par les secours et la garantie réciproques. Voilà le motif de la subordination qu’ils rendent à l’autorité souveraine, à qui le peuple a confié sa défense et sa police. Les citoyens conservent dans la société bien ordonnée toute l’étendue de leurs droits naturels, et acquièrent une beaucoup plus grande faculté d’user de ces droits. Tout ce qui leur était permis dans l’état primitif leur est encore permis : tout ce qui leur était défendu leur est encore défendu ; et ce tout (sic) se réduit à garder et multiplier ses propriétés, et a respecter celles d’autrui : la seule différence entre l’état primitif et l’état social, c’est que plus la société est complète et plus chacun a de propriétés »31.
14Toute association suppose donc des droits, des devoirs et une justice exécutive. Dans sa conception ces droits et ces devoirs sont les mêmes pour tous. Comme les physiocrates, Mirabeau accorde une importance tout aussi grande a l’intérêt individuel qu’a l’intérêt collectif. La citoyenneté se fonde dans la pensée de Mirabeau sur la nécessaire réciprocité entre les droits et les devoirs32. Selon ce « théorème important, base de l’économie politique »33 le citoyen ne doit a la société qu’en raison du profit qu’il en retire34. Mais ce constat n’exclut pas l’altruisme ni le dévouement du citoyen pour le bien commun caractéristique de l’idéal de la citoyenneté antique. Une idée semblable se retrouve dans le Discours sur l’économie politique de Rousseau : « Au fond, comme tous les engagements de la société sont réciproques par leur nature, il n ‘est pas possible de se mettre au-dessus de la loi sans renoncer à ses avantages, et personne ne doit rien à quiconque prétend ne rien devoir a personne »35. Dans une édition postérieure et augmentée de l’Essai sur le despotisme parue en 1776, Mirabeau développe plus longuement cette idée en des termes très proches de la formulation rousseauiste : « Celui qui regarde avec indifférence l’intérêt général de la société » doit renoncer à la protection de la société. « Celui qui n’aide pas ses semblables » doit renoncer « a en être aide », et s’isoler « au milieu du monde »36. Cet ajout confirme la diversité des influences qui anime la pensée politique de Mirabeau, même si en 1775, l’empreinte physiocratique semble la plus marquante.
15Despotisme et citoyenneté sont deux concepts par nature antinomiques mais c’est dans leur rencontre que s’opère la fondation de la citoyenneté moderne. La résistance au despotisme instituant en quelque sorte le citoyen des Lumières, est ainsi conçue comme un devoir civique et fondateur. Le despotisme n’est pas comme on a pu l’écrire « une forme de gouvernement, c’est l’anéantissement de toute forme essentielle de gouvernement ; c’est un état contre nature »37.
16L’homme possède des « droits naturels antérieurs à toute société, et conséquemment a toute autorité »38 . La soumission des peuples a un pouvoir arbitraire ne procède donc que de « l’ignorance ou l’oubli de leurs droits. Instruisez les rois et les sujets » écrit Mirabeau, « et le despotisme est coupe au pied »39. Il est donc nécessaire de rappeler aux hommes et aux citoyens leurs droits et leurs devoirs qu’ils oublient trop souvent, aveugles par leurs préjuges, leur ignorance des faits, leur manque de sagacité, ou énerves par l’influence du gouvernement et de ses suppôts, et de les ramener aux vrais principes et notamment à ce « principe saint et indestructible, qu’il est de devoir et de premier intérêt pour tout citoyen de lutter pour sa patrie »40. Le devoir le plus important pour le citoyen réside dans l’attachement qu’il doit aux lois de son pays et dans les efforts qu’il doit mettre en œuvre pour leur maintien et leur défense et pour celle de la société. Au sein de cette dernière, les devoirs sont les mêmes pour tous, pour le plus élève des citoyens comme pour le plus obscur. Ils sont plus ou moins sacres, en fonction de l’équité du gouvernement, et sont et ne peuvent être enfin comme l’ont démontré les économistes, « que proportionnels aux droits »41. Droits et devoirs, tel est le balancier de l’humanité42. La morale est également la même pour tous. Ainsi, la division de la morale de d’Alembert qui différencie le philosophe du simple citoyen est pour Mirabeau infondée :
« C’est un étrange être qu’un philosophe si sa morale est différente et distincte de celle de l’homme et du citoyen. Les devoirs de tous consistent dans l’accomplissement de la loi »43.
17Au-delà de ce principe général qui veut que « quelle que soit la place ou la nature ait fait naitre un citoyen, il doit toujours à la patrie [...] »44, Mirabeau admet que plus un citoyen se trouve favorise « par sa naissance, par ses titres, ses droits, ses privilèges, sa notabilité, ou, ce qui revient au même, par les bienfaits de la société, dont les avances portent un intérêt continuellement exigible, et plus il a l’obligation étroite de défendre son pays, sa constitution au péril de ses biens, de sa vie, de sa liberté même »45. Dans cette conception, les différences établies par la société entre les diverses classes de citoyens le sont dans l’intérêt de tous ses membres, et non pas à l’avantage exclusif des plus notables. Mais, le plus souvent, ces principes fondamentaux sont ignorés ou dédaignes par la plupart des individus qui « prostituent l’humanité par une obéissance passive » ou confondent, « suivant leurs préjuges, leurs préventions, mais surtout, suivant leur intérêt personnel, la servitude avec l’obéissance, et la fermeté avec la révolte »46. Cependant, Mirabeau ne préconise pas à ce stade une résistance active, armée, a un pouvoir despotique. Comme les physiocrates, il fait confiance à l’extension de l’instruction et au civisme, aussi convient-il de ne pas exagérer la hardiesse de ses propositions, elles ne dépassent pas en 1775 le cadre d’une revendication autour des droits civils : liberté personnelle, propriété, justice.
18On ne doit pas se laisser tromper par la radicalité et le potentiel révolutionnaire que renferme cette formule souvent citée qui sonne comme un avertissement du peuple au roi :
« Vous êtes en un mot son premier salarie, et vous n’êtes que cela ; or il est de droit naturel de pouvoir renvoyer celui que nous payons et qui nous sert mal, comme il est contraire à ce droit naturel que chacun ne soit pas libre d’examiner, de connaitre ses propres intérêts, et que les droits des hommes puissent être arbitrairement diminues par ceux qui ont été charges de les défendre »47.
19Cette affirmation incisive a l’insolence verbale inégalée ne débouche pas véritablement sur une revendication de droits politiques pour les citoyens. Il n’est nullement question de droit au suffrage, de représentation au sens moderne ou de participation des citoyens à l’élaboration des lois qui leur sont destinées. La loi n’est dans cette optique rationaliste que le reflet du droit naturel, de la raison universelle, la recta ratio cicéronienne, que le législateur doit se borner à rechercher et à développer48. On doit donc pour lutter contre le despotisme favoriser le développement de l’éducation des peuples et des rois et tout particulièrement « la science du droit naturel » qui, encore plongée dans une barbare obscurité, « est à peine à son berceau »49. La « science de l’éducation politique »50 est une science neuve qui consiste pour Mirabeau à inspirer aux hommes des préjuges qui tendent au bien général, et à y diriger les passions humaines qui malgré leur opposition apparente et les divisions qu’elles engendrent, doivent devenir « la base de l’union des citoyens, et le lien de leur fraternité quand ils seront éclaires et instruits »51.
20C’est à ce contrôle et a l’instruction de cette force sans pareil que constitue l’opinion publique que les philosophes doivent s’attacher. A l’instar de Rousseau, Mirabeau se place lui-même dans ce rôle d’« instructeur » de la nation, rôle qu’il tiendra à maintes reprises en dénonçant sans relâche les tares d’un régime dégénéré en despotisme. A ce titre, il représente à bien des égards l’archétype du citoyen des Lumières. La citoyenneté est ainsi envisagée comme un métier. Il déplore le manque de courage de la plupart de ses concitoyens qui subissent le joug sans oser élever la moindre critique. Il se compte parmi ces citoyens honnêtes « à qui l’amour de la liberté » à donne le courage d’écrire et de publier ces nouveautés hardies. Pressentant l’avènement prochain d’une nouvelle ère ou ayant « secoue cet esclavage de l’esprit », « la liberté courageuse de penser tout haut » introduira « tôt ou tard celle d’agir »52, il formule le vœu d’inspirer « a des citoyens plus habiles et plus éloquents [...] le courage nécessaire pour apprendre à leurs compatriotes, que chacun d’eux n’est en société que pour retirer de cette association son plus grand avantage »53.
21Ce vœu s’accomplira au-delà de ses espérances. Dans les dernières décennies de l’Ancien Régime, la littérature philosophico-politique connait une croissance exponentielle, une marée de libelles, pamphlets, professions de foi, catéchismes, à laquelle Mirabeau fournit une contribution de premier ordre, porte la revendication sur le terrain des droits politiques. On ne se contente plus de réclamer le respect des droits naturels et civils, on exige également la reconnaissance des droits politiques du citoyen et se fait jour l’idée d’une représentation nationale54.
- Citoyen et représentation
22De la parution de l’Essai sur le despotisme en 1775 à l’annonce de la convocation des Etats généraux en 1789, la pensée de Mirabeau connait une évolution sensible. Au cours de ces années ou se joue le destin de l’Ancien Régime, il a beaucoup lu et médité les œuvres de Rousseau et d’autres penseurs politiques français et étrangers. Sa réflexion sur la citoyenneté s’articule autour de deux axes fondamentaux : l’insuffisance des droits civils s’ils ne sont pas combines avec une certaine dose de liberté politique ; la nécessite d’une représentation nationale qui prend d’abord comme référence la théorie du citoyen propriétaire avant de la dépasser avec l’irruption sur le devant de la scène de l’idée d’une égalité politique des citoyens.
23Son second grand fait d’armes littéraire, Des Lettres de cachet et des prisons d’Etat55, véritable « livre noir »56 du despotisme, dénonce au tribunal de l’opinion l’usage des lettres de cachet et le traitement des prisonniers d’Etat comme des atteintes inqualifiables aux droits naturels et civils dont dispose chaque citoyen. Mais son contenu va au-delà de cette dénonciation que laisse suggérer son titre. Dans cet ouvrage, Mirabeau reprend et approfondit les thèmes esquisses maladroitement dans son premier essai en les colorant d’une teinte révolutionnaire et prophétique. Au terme d’une réflexion qui se nourrit dans un éclectisme revendique aussi bien de Rousseau, de la littérature parlementaire57 que de Lolme et Blackstone, Mirabeau en arrive au constat suivant : la liberté civile ne vaut rien sans liberté politique et réciproquement une liberté politique dépourvue de droits civils n’a pas de raison d’être58.
24Toutefois, il refuse de faire reposer les droits politiques des citoyens sur un quelconque contrat social. Dans le second chapitre des Lettres de cachet il explicite le sens qu’il donne à l’association des hommes entre eux. Elle ne peut porter que sur le maintien du premier droit de l’homme : la liberté, et sur le devoir de la défendre. L’homme n’est en société que pour augmenter ses forces et sa protection. Cette « convention tacite », ne constitue pas pour Mirabeau « un contrat social », c’est une loi naturelle qui témoigne de « l’intention manifeste des associes », de « leur intérêt évident, parce que l’homme ne peut que par le nombre, n ‘est fort que par la réunion, n ‘est heureux que par la paix »59.
25Ainsi, il rejette « l’idée d’un contrat originel » comme historiquement infondée. C’est une « chimère » qui n’existe qu’en théorie60. Cependant, si on admet ce pacte, il faut convenir qu’il ne peut avoir été contracte que dans l’intérêt des associés qui n’ont dû confier leur pouvoir a un chef que sous des conditions strictes61. Le prince n’était alors que le dépositaire et non le propriétaire du pouvoir. Mais avec l’abandon du principe électif au profit du principe héréditaire, la couronne est devenue une propriété. L’hérédité de la couronne qui « fait oublier très aisément aux individus qu’ils sont citoyens avant d’être sujets »62, a été jugée préférable aux élections qui souvent étaient la source d’une corruption dommageable aux intérêts du royaume. Mais faute d’avoir réservé à la nation le droit d’éduquer elle-même ses princes, on a laissé se développer et s’acclimater l’idée chez le prince et dans les peuples que « l’hérédité du sceptre était un droit indépendant du peuple, un don de Dieu, une acquisition de l’épée »63. Cette idée fausse et l’oubli d’un principe sacre selon lequel : « le droit de souveraineté, résidant uniquement et inaliénablement dans le peuple, le souverain n’était et ne pouvait être que le premier magistrat de ce peuple [...] »64, ont fait le lit du despotisme presque partout en Europe.
26Au contraire, le droit qui fonde l’hérédité de la couronne n’est qu’un « don de la nation »65, et peut donc être l’objet de modification et de restriction de la part de cette dernière, puisque aucun peuple n’a pu vouer lui-même « au malheur, a l’oppression, a la tyrannie, aux caprices d’un insensé, aux excès d’un furieux »66 et hypothéquer ainsi la destinée des générations futures. Le consentement, « au moins tacite », au pouvoir monarchique, et sa légitimation ne datent « que du moment où il a été juste »67. Là encore, on ne peut s’empêcher d’établir un parallèle avec la pensée lockienne. Le droit divin des rois n’est qu’une invention récente destinée à tromper les peuples. A l’origine, c’est bien le consentement qui est constitutif de la société politique et de l’Etat68.
27La protection et la justice du souverain étant dues à chaque citoyen, les hommes n’ayant déféré à l’autorité que pour en recevoir justice, il en résulte que « tous les citoyens ont droit de l’exiger du gouvernement établi »69. En ce sens, l’indépendance des juges « dans l’administration de la justice est aussi nécessaire que leur intégrité pour garantir la liberté, l’honneur et la vie des citoyens »70.
28Cependant, Mirabeau s’attache à prévenir la dérive amorcée au sein des parlements, qui tend à faire des magistrats des juges-législateurs. Ces derniers « doivent être les organes des lois et non leurs interprètes, sans quoi ils seraient législateurs »71 Leurs fonctions doivent se réduire « à décider que telle ou telle action est contraire à la loi écrite, qui a inflige à son infraction tel châtiment »72 d’où la nécessite de la précision et de la clarté de la législation73.
29Un pouvoir de législation sans restriction et sans partage combine au pouvoir d’exécution74 ne peut, quoiqu’en disent les économistes, opposes aux contres-forces politiques75, qu’engendrer la tyrannie76. L’instruction du monarque et des citoyens ne saurait être un frein suffisant : « Cette idée est précisément une chimère, mais précisément une chimère qui tend visiblement à introduire le despotisme »77.
30La sauvegarde de la liberté civile et politique des citoyens ne peut donc venir que d’eux-mêmes :
« Je sais, et je l’ai dit formellement, que la loi pour être juste, légitime, obligatoire, enfin vraiment loi, doit avoir le sceau d’un consentement libre et général ; j’ajoute que dans tout Etat ou les citoyens ne participent pas au pouvoir de la législation par la délégation d’un corps de représentants librement élus par la plus grande partie de la nation, sagement restreints par leurs instructions, notamment sur la nature de l’impôt et de la perception, et sujets au contrôle de leurs constituants, il n’y a point, il ne saurait y avoir de liberté publique. Je sais enfin que, dans les monarchies illimitées, ou le prince réunissant sans modification et sans partage le pouvoir législatif comme l’exécutif laisse du moins à ses sujets l’exercice de leur liberté particulière, en confiant a des cours de justice le pouvoir judiciaire ; ce pouvoir peut être en apparence hors de ses mains et ne l’être point en effet, au moins autant qu’il serait nécessaire pour la sureté des individus »78.
31On mesure à l’aune de ce passage l’évolution des idées de Mirabeau depuis la publication de l’Essai sur le despotisme. Si la dénonciation de l’arbitraire du gouvernement n’a fait que s’accentuer, les moyens qu’il propose pour lutter contre cet arbitraire sont sans commune mesure. En 1775, l’instruction et l’observation de la loi naturelle étaient le palladium de la liberté, sept ans plus tard, ce n’est plus seulement à ces dernières qu’il confie la protection des droits des citoyens, mais au consentement libre et général des individus a la loi qui leur est destinée, au sein d’une assemblée représentative, élue par la nation. Néanmoins, on ne doit pas se méprendre sur le sens de cette représentation : elle ne signifie nullement l’égalité politique. L’idée que la loi, pour être légitime et obligatoire doit procéder d’un « consentement libre et général » peut laisser suggérer une percée du volontarisme rousseauiste, mais cette dernière est relativement limitée. En effet, Mirabeau n’emploie pas l’expression « volonté générale », il fait référence à la vieille notion romaine de « Communis sponsio civitatis »79 . La loi demeure « l’expression fidèle du droit naturel, revêtue de la sanction du consentement public »80. En outre, l’hostilité à l’idée de représentation du Genevois dans le Contrat social conduit à ne pas exagérer le degré de cette influence.
32En fait, Mirabeau pas plus que les autres hommes des Lumières ne songe au suffrage universel. C’est l’impôt, c’est la propriété foncière qui fondent le droit politique des citoyens. Comme l’a démontré Pierre Rosanvallon, de d’Holbach aux physiocrates, le citoyen propriétaire constitue en effet à cette époque le modèle de référence des philosophes en matière de droit politique et un horizon indépassable81. Ce modèle, Mirabeau le connait bien, c’est celui préconise par son père et les autres membres de l’école physiocratique. L’axiome fondamental de cette école est connu : la terre étant le seul fondement de la richesse, la base normale de l’impôt ne peut-être que le territoire. Les seuls à devoir payer l’impôt sont donc les propriétaires fonciers. Selon les théories physiocratiques, les propriétaires fonciers étant les seuls à participer par leur production a l’enrichissement de la société, eux seuls doivent pouvoir exercer des droits politiques. Mirabeau a pu méditer en prison le Mémoire sur les municipalités rédige par Turgot et Dupont de Nemours qui ne paraitra qu’en 1788, mais dont il a eu très tôt le manuscrit entre les mains. Dans ce Mémoire, les deux économistes s’emploient à démontrer que la propriété foncière constitue « le véritable droit de cite »82, et insistent sur le caractère novateur d’une telle conception qui permet de dépasser la distinction des ordres, caractéristique de la société d’Ancien Régime, en fondant la représentation sur une base objective. Mirabeau avait également connaissance de la fameuse lettre de Turgot au Docteur Price dans laquelle il reproche aux législateurs américains d’avoir ignoré « la grande distinction, la seule fondée sur la nature entre deux classes d’hommes, celle des propriétaires des terres, et celle des non propriétaires ; à leurs intérêts et par conséquent a leurs droits différents »83.
33Mirabeau fait sienne cette conception et y reste fidèle jusqu’au premier mois de l’année 1789. C’est elle qui domine en 1787 lors de la réunion de la première Assemblée de notables dont il dit avoir eu l’idée et trace le plan84, ainsi que dans le projet d’Assemblées provinciales présente par Calonne aux notables. Elle est encore présente en 1788, lorsqu’il publie son monumental ouvrage La monarchie prussienne dédie a son père85. Mirabeau salue dans l’Ami des hommes l’un des premiers penseurs à avoir prôné l’instauration dans les provinces d’administrations particulières composées de propriétaires ou de représentants de ces derniers, ayant pour fonction de repartir les impôts, de diriger les travaux publics et constituant des intermédiaires entre le peuple et le roi. Il semble qu’on la retrouve à nouveau dans la Déclaration des droits de tout peuple qui veut la liberté, écrite la même année pour soutenir les patriotes Bataves. Cependant dans ce texte, Mirabeau n’emploie plus les termes d’impôt ou de propriété mais lie le droit de suffrage et d’éligibilité à la « preuve d’un intérêt permanent » et à « l’attachement qui en est la suite »86. Faut-il voir dans ce changement de vocabulaire les prémisses d’un dépassement de la théorie du citoyen propriétaire ? L’esquisse de la distinction citoyen actif/ citoyen passif posée par Sieyès un an plus tard87 ? La réponse n’est pas aisée. Toutefois, l’exclusion des « individus qui n’ont rien » n’apparait plus exclusivement fondée sur cette absence de possession. Elle vise à prévenir le risque de corruption dont ces individus sont susceptibles de faire l’objet, et est conçue comme « le seul moyen de leur inspirer l’envie de sortir de l’indigence »88.
34Ce glissement à peine perceptible ici, de la notion de citoyen propriétaire à celle d’individu citoyen est réalisé dès les premiers mois de l’année 1789. L’abandon sans préalable du modèle du citoyen propriétaire au profit de l’égalité politique des individus citoyens a de quoi surprendre par son caractère radical et sa célérité. Mirabeau est sans doute l’un des premiers à avoir perçu la rupture politique et idéologique provoquée par le règlement de convocation des États généraux promulgue le 24 janvier 1789, qui ouvre la voie à une conception très étendue de l’électorat.
35Son discours Sur la représentation illégale de la nation provençale et sur la nécessité de convoquer une assemblée générale des trois ordres, prononce devant les Etats de Provence le 30 janvier 1789, prend acte de ce nouvel état de chose, en posant les principes fondamentaux qui président a la représentation d’une nation. La nécessité de représenter une nation ne se manifeste que lorsque les individus qui la composent sont trop nombreux pour exprimer leur vœu individuellement dans une assemblée unique. Des lors, on en forme plusieurs, et les individus de chaque assemblée particulière délèguent a un seul leur droit de suffrage. Ce droit de représentation qui est imprescriptible entre les citoyens peut donc se définir comme « le droit de se lier par la volonté d’autrui »89. Il résulte de cet état de fait que :
« Tout représentant est par conséquent un élu ; la collection des représentants est la nation, et tous ceux qui ne sont point représentants ont dû être électeurs par cela seul qu’ils sont représentés.
Le premier principe en cette matière est donc que la représentation soit individuelle : elle le sera s’il n’existe aucun individu dans la nation qui ne soit électeur ou élu, puisque tous devront être représentants ou représentes. Je sais que plusieurs nations ont limite ce principe, en n’accordant le droit d’élection qu’aux propriétaires, mais c ‘est déjà un grand pas vers l’inégalité politique »90.
36Pour saisir toute la portée de cette déclaration, il convient de la resituer dans son contexte. Mirabeau s’attaque dans ce discours au projet de la noblesse fieffée de Provence qui vise à exclure de l’Assemblée de la noblesse, les nobles non possédant-fiefs, mesure dont il sera la principale victime et qui le conduira à se présenter devant le Tiers-Etat. Cependant, on ne saurait réduire ce discours à une déclaration de circonstances. Le caractère novateur et la hardiesse des idées exposées ainsi que la clarté de cette exposition du point de vue théorique permettent de mesurer la mutation idéologique qui est en train de s’opérer dans sa conception de la citoyenneté. Il considéré ces principes comme « les fondements de tout droit public et l’unique sauvegarde de la liberté du genre humain »91.
37Avec la réunion des Etats généraux il ne s’agit plus comme dans les assemblées provinciales de confier à des individus propriétaires un pouvoir de gestion des affaires publiques, mais bien d’exprimer l’existence et les vœux de la nation. Cela suppose selon Mirabeau que la représentation soit égale tant en nombre qu’en puissance. Pour assurer cette égalité en nombre des représentants choisis par chaque agrégation de citoyens, on doit tenir compte non seulement du nombre d’électeurs mais également de la richesse, et des services que l’Etat retire des hommes et des fortunes composant l’agrégation. Pour que la représentation soit égale en puissance il faut que « les suffrages soient recueillis de manière que l’on ne puisse pas se tromper et prendre la volonté d’un ordre pour celle d’un autre, ou la volonté particulière de quelques individus pour la volonté générale »92. Le rousseauisme semble ici l’emporter sur la physiocratie, mais cette victoire n’est qu’apparente. Ces deux courants continueront d’irriguer en s’entrecroisant la réflexion du députe aixois a la tribune de l’Assemblée constituante lorsqu’il s’agira de fixer les droits civils et politiques des hommes et des citoyens. Mirabeau apportera sa pierre au bel édifice théorique élève par les révolutionnaires autour du concept de citoyen, qui demeure encore aujourd’hui la référence fondamentale.
II - L’APPORT DE MIRABEAU À LA THÉORIE DU CITOYEN RÉVOLUTIONNAIRE
38En 1789, c’est à travers l’appropriation collective de la souveraineté royale et le transfert du pouvoir du roi à la nation, que survient l’avènement de la citoyenneté moderne. Le terme citoyen recouvre à cette époque de multiples acceptions93. L’expression désigne tantôt le national, tantôt l’électeur, tantôt tout membre du corps social. Ces différents sens pouvant se combiner et se juxtaposer au gré des flottements du langage, ce qui rend impossible voire illusoire une définition unique de la citoyenneté révolutionnaire94. Une lecture attentive des discours et opinions formules par Mirabeau peut permettre néanmoins de tenter de préciser cette notion en déterminant la part prise par ce dernier a l’élaboration de la Déclaration de droits et à la définition des critères qui fondent la distinction entre droits civils et politiques.
- La contribution de Mirabeau à l’élaboration de la Déclaration des droits et l’incomplétude de la définition de la citoyenneté
39Le débat sur la citoyenneté s’engage dès les premiers mois de la Constituante autour de la question de la rédaction d’une déclaration de droits95. L’idée d’une déclaration correspondait à la mode du temps, et les révolutionnaires avait sous les yeux l’exemple américain. L’Archevêque de Bordeaux Champion de Cicé ne manque pas de rappeler « les obligations » qu’ont les constituants « à ce nouveau Monde, que l’Europe avait destiné à n’être qu’une métairie peuplée d’esclaves, et qui est devenue la patrie de la liberté, et en renvoie au milieu de nous les vrais principes »96.
40Mirabeau et ses collaborateurs genevois Clavière, Dumont et Du Roveray97, tout en acceptant le legs américain observent dans le Courrier de Provence98 que bien avant l’indépendance de l’Amérique, Rousseau avait découvert ces principes tires du droit naturel et « fondements réels de la société et les avait révélé au monde »99 . On a déjà ici poses en filigrane les jalons de la célèbre controverse entre Georg Jellineck et Emile Boutmy au début du siècle dernier sur les origines idéologiques de la Déclaration. Néanmoins, la quête des origines ne saurait se réduire exclusivement aux précédents américains et à la vulgate rousseauiste. Cela reviendrait à « occulte des pans entiers de vérité historique »100.
41Des travaux postérieurs ont fait justice de cette tradition paresseuse en élargissant sensiblement le champ de recherche autour des sources doctrinales de ce beau moment philosophique de la Constituante101. L’apport de Mirabeau à l’élaboration du texte a pu être ainsi réévalué. L’analyse approfondie et systématique des opinions du tribun à ce sujet et une mise en parallèle avec celles émises avant la Révolution confirment l’influence considérable sur sa pensée des théories physiocratiques et du jusnaturalisme lockien déjà soulignée par Stéphane Riais, sans exclure pour autant celle du rousseauisme ou du droit naturel d’un Christian Wolff102.
42A l’été 1789, on assiste à une floraison de projets ayant pour auteurs Lafayette, Sieyès, Mounier, Servan, Bouche, Gouges Cartou... Pour mettre de l’ordre et donner une cohérence a ce foisonnement d’idées issu de près de trente projets différents, le 12 aout, l’Assemblée sur proposition de Démeunier confie a un comité de cinq commissaires : le marquis de La Luzerne, les avocats Tronchet et Rhedon, Mirabeau et Démeunier lui-même, le soin de rédiger un projet de déclaration. Dans ce groupe d’hommes modérés, on ne compte excepte Mirabeau aucun grand ténor de la Constituante, et c’est en toute logique que Mirabeau s’impose comme le leader naturel du comité et se charge avec son « atelier » de procéder à la synthèse des projets. Il « avait eu » écrit Dumont dans ses Souvenirs, « la générosité ordinaire de prendre sur lui le travail et de le donner à ses amis. Nous voilà donc, avec Duroveray, Clavière et lui-même, rédigeant, disputant, ajoutant un mot, en effaçant quatre, nous épuisant sur cette tache ridicule et produisant enfin notre pièce de marqueterie, notre mosaique de prétendus droits naturels, qui n‘avaient jamais existé »103.
43Ce témoignage, même s’il est sans doute exagéré, fournit des indications éclairantes sur l’état d’esprit des hommes charges de rédiger le projet de déclaration. Dumont adepte du positivisme pense à l’instar de Hobbes que les droits ne peuvent exister que par les lois et non les précéder. La rédaction de la Déclaration ne doit donc intervenir, il en persuade Mirabeau, qu’après celle de la Constitution. Toutefois, si Mirabeau, s’est laissé convaincre par Dumont de l’opportunité d’un report de la rédaction définitive, ce ralliement ne semble pas devoir être interprète comme un rejet du droit naturel au profit du droit positif et de l’idée même de déclaration de droit, qu’il avait été l’un des premiers à réclamer sous l’Ancien Régime. On ne peut donc suivre sur ce point Alfred Stern quand il affirme que ses opinions avaient change « du tout au tout »104. De même qu’on ne peut souscrire au point de vue de Jacques Benetruy quant au ralliement complet de Mirabeau a la vision de Dumont105.
44L’analyse du projet présente le 17 aout à l’Assemblée par Mirabeau au nom du comité des cinq ne permet pas de tirer de telles conclusions. Si cette présentation n’est guère enthousiaste, le droit naturel est au cœur même du projet, même s’il apparait plus comme une arme tactique que comme une théorie scientifique achevée.
45Le préambule dont il est généralement admis qu’il est le fruit de la réflexion de Mirabeau106 et de ses collaborateurs genevois, proclame que « l’ignorance, l’oubli et le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption du gouvernement »107. Marcel Thomann, dont il faut souligner les éclairantes analyses sur les soubassements idéologiques et les sources doctrinales de la Déclaration a pu affirmer que cette formulation n’était que la version améliorée par les soins de Mirabeau du dernier paragraphe d’un écrit de Du Roveray intitule Thèses philosophiques de la patrie paru 1767108. Sans nier la part de Du Roveray dans ce travail, il convient de nuancer cette hypothèse, car la formule « l’oubli et l’ignorance des droits »109 se trouve textuellement dans l’Essai sur le despotisme écrit à une époque ou Mirabeau ne connaissait pas les Genevois. En outre, Mirabeau a été très tôt sensibilise aux théories du jusnaturalisme classique et moderne, même s’il est difficile de déterminer le degré exact de l’influence de ces dernières sur sa pensée, de laquelle ne se dégagé pas une conception claire et univoque du droit naturel.
46Si l’Esprit de Genève empreint du jusnaturalisme rationaliste d’un Wolff110 semble présent dans la pensée de Mirabeau, il côtoie dans une sorte de syncrétisme les théories physiocratiques et celle d’un Rousseau111 ou d’un Locke. Mirabeau assume d’ailleurs la grande part physiocratique de cet héritage, et reconnait sa dette envers son « père et son illustre ami Quesnay » qui ont consacré trente ans auparavant « ce principe élève, si libéral, si fécond », fondement de toutes les sociétés politiques : « que les hommes en se réunissant en société n’ont renoncé a aucune partie de leur liberté naturelle, puisque dans l’état de la plus grande indépendance nul d’eux n’a jamais eu le droit de nuire à la liberté, a la sûreté, ni à la propriété d’autrui : qu’ils n’auraient pu aliéner aucun des droits qu’ils tiennent de Dieu et de la nature, et qui sont inaliénables ; qu’ils ont au contraire voulu et du étendre, par des secours réciproques, leur sureté, l’usage de leur liberté, leur faculté d’acquérir et de conserver leurs propriétés »112.
47En fait, la plupart des idées exprimées dans le préambule et plus largement dans les débats relatifs à la Déclaration sont déjà en gestation dans les œuvres écrites par Mirabeau sous l’Ancien Régime.
48L’histoire a fait oublier à l’homme ses droits naturels, elle a en quelque sorte dénature l’homme. Les droits naturels s’étant effaces au fil de l’histoire de la mémoire humaine, a défaut de les retrouver dans leur pureté originelle, il apparait nécessaire de consacrer des droits civils qui se rapprochent au maximum de l’idée qu’on se fait de ces droits naturels dont la redécouverte ne pourra être que progressive. En fixant dans une déclaration solennelle les droits naturels inaliénables, imprescriptibles et sacres de l’homme, les rédacteurs entendent fournir aux réclamations des citoyens une base de référence simple et incontestable nécessaire à la conservation de la Constitution et de leur bonheur113.
49A côté de celle des physiocrates, l’influence de Rousseau semble incontestable, comme en témoigne la formulation de l’article 2 : « Tout corps politique reçoit l’existence d’un contrat social, exprès ou tacite, par lequel chaque individu met en commun sa personne et ses facultés sous la suprême direction de la volonté générale, et en même temps le corps reçoit chaque individu comme portion »114.
50Après une énonciation très générale des principaux droits naturels de l’homme dans les quatre premiers articles, le projet s’attache à décrire plus précisément les droits inhérents au citoyen. Il consacre le principe rousseauiste déjà sur toutes les lèvres de la loi expression de la volonté générale, et garante de la liberté, de la propriété et de l’égalité civile de tous les citoyens. La liberté ne consiste à n’être soumis qu’à la loi. Toute arrestation ou détention arbitraire sont prohibées. Le citoyen dispose des libertés de pensée et de réunion, de déplacement et de domicile, de propriété, de commerce et d’industrie. Il se voit également reconnaitre le droit de consentir à l’impôt et de résister à l’oppression. Enfin, tous les citoyens ont un accès égal à « tous les emplois civils, ecclésiastiques, militaires, selon la mesure de leurs talents et de leur capacité »115
51Le texte du comité est une œuvre de compromis rédigée en trois jours à partir de plusieurs projets qui différent par leur plan, l’enchainement des idées et des propositions, ce qui peut expliquer son imperfection, la lourdeur de sa rédaction dans laquelle on ne retrouve pas, hormis dans le préambule, le style aise de Mirabeau et son sens de la formule. Il était lui-même peu satisfait du résultat. Dans son discours de présentation du projet, ce dernier met en exergue les difficultés qui ont présidé à son élaboration : l’ancienneté du corps politique auquel il est destiné. La nécessite de lui donner une « forme populaire »116 en utilisant un langage qui soit compréhensible au peuple sans pour autant abandonner l’exigence de clarté et de précision dans l’énonce des principes fondateurs de la déclaration. Dans cette démarche, les membres du comité se sont également trouves confrontes a la difficile question de la distinction entre « ce qui appartient à la nature de l’homme, des modifications qu’il a reçues dans telle ou telle société »117. Si Mirabeau désirait dans l’absolu que la Déclaration ait une portée universelle, il avait, en politique pragmatique conscience de la nécessite d’établir d’abord les droits des citoyens français avant d’envisager ceux des « hommes de tous les temps et de tous les pays »118.
52Ainsi, tout en affirmant dans son préambule, l’existence de droits naturels inaliénables et imprescriptibles de l’homme, le projet définit avant tout les droits civils du citoyen détermines par la loi119. Le lendemain, le 18 aout, Mirabeau reprend la parole pour répondre aux critiques qui s’expriment par la voix de plusieurs membres de l’Assemblée à propos du projet présente par le comité des cinq. Il souligne l’« écueil sur lequel toucheront toutes les déclarations de droits c’est la presque impossibilité de ne pas empiéter sur la législation au moins par des maximes. La ligne de démarcation est si étroite pour ne pas dire presque idéale qu’on la franchira toujours »120. Les droits et la loi risquent ainsi d’entrer en concurrence. Il est donc vain de vouloir énoncer des principes philosophiques et métaphysiques comme le fait l’abbé Sieyès a ce peuple de France « vieilli au milieu d’institutions antisociales »121, sans lui en indiquer l’application. Si le philosophe qui « travaille pour le temps »122 peut et doit énoncer dans toute leur pureté les principes de la liberté, l’homme d’Etat « qui agit sur tous, et dans un moment donne, s’assujettit a une marche plus mesurée ; il ne livre des armes au peuple qu’en lui apprenant à s’en servir »123. Il propose donc de renvoyer la rédaction définitive des droits, au temps ou les autres parties de la Constitution seront-elles-mêmes fixées, tout en repoussant les accusations qui voient dans ce report un abandon de l’idée même d’une déclaration de droits et dénoncent l’hypocrisie de Mirabeau.
53Cette proposition de renvoi ne constitue pas comme certains ont pu le croire un repositionnement tactique et machiavélique, elle traduit plutôt comme l’a bien pressenti Stéphane Riais « la prise de conscience de l’insurmontable tache qu’on s’est assignée »124 ce que confirme le Courrier de Provence :
« Il est donc absolument nécessaire qu’une déclaration de droits ne soit point jetée en avant de la Constitution dont elle est la base, afin que les principes de liberté accompagnes des lois qui en dirigent l’exercice, soient un bienfait pour le peuple, et non pas un piège, et non pas un tourment. Il faut agir sur toutes ses facultés à la fois, sur son esprit pour l’éclairer, sur ses passions pour le contenir, sur ses sentiments pour en tempérer l’amertume et les diriger vers l’espérance »125.
54Mirabeau donne pour gage de sa bonne foi un article qu’il avait proposé au comité des cinq mais qui a été repousse. Il y proclamait le droit pour chaque citoyen d’avoir chez lui des armes et de s’en servir soit pour sa propre défense soit pour la défense commune et contre toute agression illégale qui mettrait en péril l’existence ou la liberté d’un ou plusieurs citoyens126. Cette proposition permettait de donner une base réelle et effective au principe lockien du droit de résistance à l’oppression conçu comme une conséquence logique des autres droits de l’homme127 . Elle était déjà incluse comme bien d’autres dans son projet de déclaration pour les patriotes hollandais, ce qui confirme bien que le tribun provençal n’a pas abandonné les principes qui étaient les siens avant la Révolution. Lorsque la loi positive enfreint le premier droit naturel de l’homme : la conservation de sa vie, ce dernier n’a d’autre choix que de recourir à la violence. Pour Mirabeau, si dans un Etat une partie des citoyens est armée et l’autre non, la partie qui possède le droit de porter des armes a de grandes chances de se transformer en une aristocratie oppressive pour le reste des citoyens. Il regarde comme une vérité démontrée par l’expérience et le temps qu’aucun pays n’est plus paisible et n’offre une meilleure police que celui ou la nation est armée128. Ce n’est pas tant le caractère radical de la proposition qui permet d’expliquer son rejet par le comité mais des raisons de prudence, le contexte politique agite, et le souci d’aboutir au consensus le plus large possible autour du projet. Même s’ils le rejettent, dans l’esprit des membres du comité le droit de porter des armes constitue l’un des principaux garants de la liberté politique et civile129.
55Des raisons semblables peuvent expliquer le caractère quelque peu en retrait du projet des cinq, en comparaison des autres projets. Soucieux d’apaiser le mouvement d’inquiétude ne dans l’assemblée a l’énonce de certains articles, le comité adopte une prudente réserve dans sa conception de la citoyenneté. Il ne retient pas la distinction dégagée par Sieyès entre citoyens actifs et citoyens passifs, mais ne mentionne pas pour autant l’égalité des citoyens en matière de droits politiques. Le projet du comité se contente de déclarer dans des formules vagues aux accents rousseauistes, que la loi, expression de la volonté générale, est élaborée par un corps de représentants élus par la nation, sans pour autant préciser les modalités et les critères de cette représentation. Mirabeau et ses collaborateurs sont tout à fait conscients des limites de cette déclaration. Elles tiennent aux difficultés rencontrées dans son élaboration ; difficultés qui « sont d’autant plus grandes, qu’avant de l’entreprendre on ne s’était pas fait une idée assez nette des objets qu’elle devait embrasser »130.
56Le projet de déclaration élabore par Mirabeau au sein du comité est finalement rejeté presque unanimement. C’est le projet du 6eme Bureau qui est retenu, mais il sera sensiblement améliore et transforme pour donner naissance au texte définitif. Dans ce dernier, et c’est sans doute l’un des legs les plus importants de Mirabeau a la postérité, son préambule est reproduit quasi textuellement. Le Courrier de Provence commente d’ailleurs avec ironie cette adoption a une très large majorité du préambule de la déclaration du Comite des cinq, « rejeté la veille presque unanimement avec fort peu d’examen »131. L’avancement de la rédaction de la déclaration fait sentir à l’Assemblée la difficulté soulevée par Mirabeau quelques jours auparavant, celle de traduire dans la langue du vulgaire les principes philosophiques :
« Les déclarations de droits ne seraient pas difficiles, si l’effet pouvait devenir la cause, si l’égalité qu’on veut rétablir était en vigueur, si, en déclarant ce qui doit être, on ne faisait pas un manifeste contre ce qui est ; en un mot, si les peuples pouvaient être avant la déclaration de leurs droits ce qu’ils doivent devenir par la constitution dont elle est la base »132.
57C’est cette difficulté qui permet sans doute d’expliquer que la Déclaration du 26 aout 1789, tout en proclamant les droits naturels inaliénables et sacres de l’homme et du citoyen, laisse planer le doute sur la question des droits politiques. Cela traduit l’incomplétude de la définition de la citoyenneté contenue dans ce texte fondateur. En effet, si l’article 6 semble consacrer implicitement l’égalité politique133, la Déclaration ne dit pas qui est citoyen. Cette question ne sera tranchée que quelques mois plus tard, lorsque s’engagera en octobre 1789 le grand débat sur les conditions requises pour être électeur et éligible.
- Droits politiques, électorat et éligibilité
58L’épineuse et non moins importante question des droits politiques apparait en pleine lumière lors du débat d’octobre 1789 qui vise à définir les critères qui président à l’exercice du droit de suffrage et d’éligibilité avec l’examen par les députes du rapport du nouveau comité de constitution134.
59Mirabeau n’a pu participer directement à l’établissement de ces conditions, puisqu’il ne faisait pas partie de ce comité et on chercherait en vain une réaction positive ou négative du tribun aixois a cet énonce dans le compte rendu des premières séances des débats parlementaires.
60Lorsque Montlosier le 20 octobre attaque la distinction citoyens actifs/citoyens passifs au nom de l’unité du droit de cite, et propose de ne considérer comme citoyens que les chefs de famille135 , Mirabeau garde le silence, de même, il ne fait aucun commentaire sur les critiques émises par Legrand, quant à l’âge de la majorité136 et sur celles de l’abbé Beaumetz et Target sur la condition de nationalité137. Deux jours plus tard, lorsque sont discutés les critères relatifs à l’âge, au domicile, et au paiement d’une imposition, Mirabeau reste à nouveau muet. Alors que d’autres ténors de la Constituante comme l’Abbe Grégoire, Duport et Robespierre attaquent avec virulence la quatrième condition qui lie le droit de suffrage a l’acquittement d’une contribution, comme tendant à établir l’aristocratie des riches, contraire à la Déclaration des droits et au principe sacre de la souveraineté du peuple138, le députe provençal demeure étrangement silencieux.
61Quelques indices sur la position de Mirabeau à ce sujet peuvent se dégager de l’examen des numéros du Courrier de Provence relatant les débats des 20, 21 et 22 octobre. On y trouve une brève analyse des conditions permettant l’exercice des droits de citoyen actif.
62Les rédacteurs du journal critiquent l’inexactitude et le caractère inachevé de l’article qui lie le droit d’un citoyen d’assister aux Assemblées primaires à la possession ou à l’obtention de la nationalité française, en formulant toute une série d’interrogations139. Selon eux, la rédaction de l’article laisse sous-entendre qu’il peut y avoir des citoyens qui ne sont ni nés ni devenus français, ou « qu’il y a des hommes nés, ou devenus Français qui ne sont pas cependant citoyens »140. Cet article n’explique pas d’ailleurs comment on peut naitre ou devenir français. La nationalité est-elle liée au droit du sol ? Faut-il pour cela être né sur le territoire national ? Sur un navire français ? Ne faut-il pas également, comme c’est le cas en Suisse, avoir été engendre par quelqu’un qui possède déjà le titre de citoyen ? Comment devient-on français ? La condition de domicile est-elle suffisante ? Et si oui, combien de temps un étranger doit-il résider en France pour être reconnu citoyen ? Une acquisition d’immeuble est-elle nécessaire ? L’obtention de la nationalité doit-elle être consacrée par une lettre de naturalisation donnée par le roi, par un acte du pouvoir législatif comme en Angleterre, ou par un simple serment de fidélité devant un magistrat comme c’est le cas en Irlande141 ?
63Les critiques du Courrier de Provence portent également sur la rédaction du second article qui fixe à vingt-cinq ans, l’âge du majorat politique. Cette entrée à vingt-cinq ans dans l’exercice des droits politiques apparait trop tardive à Mirabeau et a ses collaborateurs. L’âge de la majorité ne devrait point être fixe dans la constitution car il est appelé à varier. Le développement de l’instruction et l’effet d’une bonne constitution politique peuvent amener a un abaissement de cet âge142.
64En revanche, les auteurs se montrent assez laudatifs sur les conditions qui portent sur le domicile et le paiement d’un impôt direct. L’obligation d’être domicilie de fait depuis une année au moins dans l’arrondissement de l’Assemblée primaire, est une excellente loi qui devrait favoriser le retour dans les campagnes « d’une multitude d’oisifs qui trainent leur inutilité a la Cour, ou dans les villes » et les rendre « à leur destination première, celle de perfectionner l’agriculture d’animer l’industrie des cultivateurs ; et de soulager les malheureux »143.
65La quatrième condition, qui exige le paiement d’une contribution directe de la valeur locale de trois journées de travail, est également louable car elle établit un lien privilégié entre le citoyen et l’Etat. Le paiement d’une contribution permettant d’assurer la sureté de l’Etat et de rappeler à tous l’obligation du travail. Idée o combien utile que les préjuges et les institutions rétrogrades de la société d’Ancien Régime ont trop longtemps méprise144. Mirabeau et ses collaborateurs semblent donc accepter sans trop de réticence les conditions de domicile et de paiement d’une contribution. Loin de voir dans cette dernière mesure, comme ce fut le cas par la suite chez de nombreux historiens et publicistes, l’instauration d’un suffrage censitaire, ils la regardent comme une mesure utile par sa moralité, car elle incite les hommes au travail, que les révolutionnaires considèrent comme un instrument de régénération145. Combinée avec la condition de domicile, elle n’exclut en définitive de la citoyenneté active que des personnes à la marge de la société comme les mendiants et les vagabonds auxquels leur état de dépendance et leur oisiveté ne permettent pas d’exercer les droits politiques.
66Si l’on sait aujourd’hui que le contingent des passifs avait sans doute des bases sociales beaucoup plus larges146, cela n’empêche pas Mirabeau et la plupart de ses contemporains de considérer qu’avec l’abolition des privilèges et la destruction des ordres qui consacrent le triomphe du Tiers Etat, l’égalité politique est en grande partie réalisée. Ainsi, le député provençal accepte le principe de la distinction de Sieyès et fait sienne l’expression « citoyen actif »147.
67Dans la séance du 27 Octobre, Mirabeau sort enfin de son mutisme, pour proposer une nouvelle condition à exiger pour être électeur ou éligible. Il s’appuie sur une loi de la République de Genève « qui éloigné de tous les droits politiques de tous les conseils, le citoyen qui a fait faillite ou qui vit insolvable, et qui exclut de toutes les magistratures, et même de l’entrée dans le grand conseil, les enfants de ceux qui sont morts insolvables, à moins qu’il n ‘acquittent leur portion virile des dettes de leur père »148.
68Selon lui, cette loi « politique et fondamentale » saluée par Montesquieu en son temps et parfaitement adaptable à la France, est de nature à « relever la morale nationale », ranimer le commerce et l’industrie et ramener la prospérité dans l’Etat. En ce domaine, conseille Mirabeau, il faut se garder de suivre l’exemple de l’Angleterre ou une « loi injuste, reste honteux de la féodalité, [...] met à l’abri de toute poursuite pour dettes »149 le citoyen appelé à représenter la nation au parlement.
69A l’inverse des Anglais, il propose de décréter l’impossibilité d’être élu et l’exclusion des conseils municipaux, des assemblées provinciales et de l’Assemblée nationale, ainsi que l’interdiction d’exercer aucune charge municipale ou de justice, pour tout citoyen en état de faillite, banqueroutier ou débiteur insolvable (Art. l). Cet article repose sur une idée simple en apparence : le citoyen inhabile à gérer ses affaires personnelles ne saurait mener a bien la gestion des affaires publiques. Mirabeau étend également cette exclusion a tous « ceux qui n‘auront pas acquitte dans le terme de trois ans leur portion virile des dettes de leur père mort insolvable, c’est-à-dire la portion de ses dettes dont ils auraient été charges s’ils lui eussent succède ab intestat » (Art.2). Seule une élection nouvelle pourra permettre aux citoyens ayant acquitte leurs dettes d’occuper à nouveau les places dont ils ont été exclus (Art.3)150.
70Si le premier article du projet de loi est reçu avec une grande faveur dans l’Assemblée, les deux suivants font l’objet de nombreuses critiques. Le duc de la Rochefoucault salue cette proposition et dit lui-même pouvoir témoigner des « heureux effets qu’elle a produit à Genève » mais estime la seconde partie de la motion « trop rigoureuse à l’égard des enfants des banqueroutiers »151. Le lendemain Barnave lui emboite le pas et plaide pour son rejet. S’il ne conteste pas le caractère moral de la loi, il la juge inadaptée a un pays de l’étendue de la France. Cette « loi d’argent » peut convenir à une République commerçante comme Genève mais non à une nation agricole comme la française. En outre, elle milite contre les droits de l’homme en niant le principe constitutionnel de la personnalité des fautes et établit un véritable délit de parente en faisant rejaillir sur les fils les torts des pères, par leur exclusion du droit d’éligibilité152. Telle n’est pourtant pas l’intention de Mirabeau qui accuse Barnave d’avoir travesti le sens de sa proposition. L’exclusion des enfants n’est pas conçue comme « une peine infamante » mais représente une « précaution très sage et très politique » indépendante de la taille des Etats et de leur nature, visant à la formation d’« un grand esprit de famille » entre tous les citoyens. Dans son esprit, « la représentation politique » exige « quelque chose de plus que cette probité vulgaire qui suffit pour échapper aux tribunaux »153.
71Soucieux de donner à la citoyenneté de solides fondements moraux, Mirabeau propose à l’assemblée d’instaurer un tableau des citoyens sur lequel seront inscrits de manière solennelle par les assemblées primaires, tous les hommes ayant atteint l’âge de vingt-et-un an, après la prestation d’un serment de fidélité aux lois de l’État et au Roi. Nul ne pourra être électeur ou éligible dans les assemblées primaires, sans cette inscription154. Cette idée d’inscription civique que Mirabeau emprunte à Sieyès, remonte à Athènes, ou après deux ans de service militaire, école d’égalité et d’apprentissage de la subordination a la loi, les jeunes Athéniens étaient inscrits à l’âge de vingt ans sur le rôle des citoyens.
72A l’instar de Rousseau, Mirabeau considère que « la langue des signes est la vraie langue des législateurs »155. De bonnes mœurs valent mieux que des lois et des tribunaux. Cependant, les lois étant le nécessaire complément des mœurs, dans le futur code pénal, « une des peines les plus raves pour les fautes de la jeunesse sera la suspension de son droit à l’inscription civique, et l’humiliation d’un retard pour deux, trois ou cinq années »156. Selon lui, cette peine diamétralement opposée par son caractère, a l’arbitraire des lettres de cachet, loin de flétrir la jeunesse devrait au contraire provoquer une émulation en son sein et faire de « l’éducation le premier intérêt des familles »157. Si on en venait un jour à émettre des critiques sur la sévérité de cette punition, il faudrait s’en réjouir : ce serait « une grande preuve de la bonté de notre constitution politique ; vous auriez rendu l’état de citoyen si honorable, qu’il serait devenu la première des ambitions »158.
73Pour donner la solennité indispensable à cette entrée dans la communauté civique, Mirabeau prévoit l’instauration d’une cérémonie patriotique ou « tout [...] parlera d’égalité ; toutes les distinctions s’effaceront devant le caractère de citoyen : on ne verra que les lois de la patrie »159. Cette idée également inspirée de Sieyès, mais qui se trouve déjà chez Rousseau160, témoigne du caractère hautement symbolique de la citoyenneté révolutionnaire. Empreinte d’un caractère religieux, cette fête au cours de laquelle le citoyen prête serment de fidélité à la nation est censée rappeler avec éclat aux hommes leurs droits et leurs devoirs. Cette « motion qui appartient à l’art si intéressant et si peu connu de gouverner une Nation par les mœurs, et de monter les âmes des citoyens à ce degré de forces qui a produit dans l’antiquité de si grandes choses »161 fut reçue par acclamation. Ce quasi-unanimisme de l’Assemblée autour de l’idée d’égalité n’est qu’éphémère. Il est rompu dès le lendemain, avec l’adoption d’une condition liant l’éligibilité à l’Assemblée nationale au paiement d’une contribution équivalente à la valeur d’un marc d’argent.
74Dans la discussion houleuse autour de la condition du marc d’argent se cristallisent toutes les divergences qui animent les constituants dans leur conception de la citoyenneté. Cette condition contrairement aux autres, tend à exclure de l’Assemblée nationale près des 2/3 des citoyens. Elle apparait a beaucoup comme une rupture de l’égalité politique établissant une nouvelle aristocratie fondée sur la richesse162. Plusieurs orateurs se succèdent pour demander sa suppression et tenter de ramener l’Assemblée « aux principes consacres par la déclaration des droits »163. Mais les protestations de Pétion de Villeneuve, Dupont de Nemours, Prieur, Mirabeau, Garat demandant la substitution de la confiance au marc d’argent comme « le vrai titre, le titre légal, civique d’éligibilité »164 ne sont d’aucun effet. La majorité des députés accepte le marc d’argent en y ajoutant à la suite d’une proposition de Pison de Galland165, l’obligation de posséder une propriété foncière166.
75Dans le Courrier de Provence, Mirabeau et son atelier commentent longuement cette décision funeste qui consacre le triomphe de « personnes éprises de distinctions sociales »167, pour lesquelles les qualités nécessaires pour être électeur ne sauraient suffire pour être éligible. Paradoxalement, déplore Mirabeau, « le peuple se plaint de l’aristocratie, et c ‘est lui-même qui la fait naitre et qui l’enracine. Ses besoins ; son admiration servile pour tout ce qui brille, y font plus que les prétentions de l’orgueil. Il va de lui-même au devant de son oppression »168.
76Cette disposition, contraire à la conservation de l’équilibre social ne fait qu’ajouter au préjuge favorable du peuple envers tout homme réputé pour ses lumières, ou sa fortune, des « privilèges consacres par la loi »169. L’énorme contribution exigible en Angleterre pour être éligible au Parlement ne saurait en aucun cas justifier le marc d’argent, du fait des graves abus qu’elle a généré. Ainsi, en dépit d’apparences trompeuses, cette loi visant à consacrer « l’indépendance du citoyen est un gage réel de sa servitude »170.
77Elle aura pour conséquence l’introduction d’une « propriété fictive et simulée »171. Un individu qui ne disposerait pas d’une propriété assez étendue pour être éligible pourra former des arrangements secrets avec de grands propriétaires fonciers et se faire inscrire frauduleusement, devenant par la même une créature dans les mains de ces derniers.
78Le 10 décembre, la question des critères exigibles pour être éligible se trouve de nouveau posée à la clôture du débat sur les municipalités. Mirabeau revient à la charge et tente d’atténuer les effets pervers du marc d’argent, par l’établissement d’un système d’élection graduel aux différentes fonctions publiques. Selon ce cursus honorum électif, pour être éligible à la dignité suprême de représentant à l’Assemblée nationale, il faudra avoir été élu deux fois membre d’une assemblée administrative, ou d’un tribunal.
79Pour Mirabeau, cette marche graduelle est dictée par la nature et la raison qui « veulent que l’on passe par les fonctions les plus simples de l’administration, avant que de parvenir aux plus compliquées ; qu’on étudie les lois dans leurs effets dans leur action même, avant que d’être admis a les reformer, et a en dicter de nouvelles ; qu’on ait subi enfin un genre d’épreuves qui écarte l’incapacité ou la corruption, avant que d’arriver à l’Assemblée nationale »172.
80Un tel système tire de « la pratique des républiques, les mieux ordonnées, les mieux affermies »173 de l’Antiquité174, renferme selon le publiciste provençal « une sauvegarde essentielle de la constitution »175 future. Loue par « l’auteur immortel du Contrat social »176, il consacre l’égalité comme « principe indestructible » de la loi fondamentale de l’Etat177.
81L’exigence d’un noviciat pour pouvoir prétendre à l’éligibilité au corps législatif est dans son esprit le nécessaire complément de celui qui préside à l’inscription des jeunes gens âgés de vingt et un ans sur le Tableau des citoyens. Ce n’est pas par hasard si la motion de Mirabeau prévoit qu’à cet âge, tout citoyen actif pourra être admis aux emplois municipaux. Ces emplois représentent en effet le premier échelon dans la marche graduelle des fonctions publiques ; l’élection à l’Assemblée nationale constituant le faite de l’édifice de la citoyenneté dont la base est formée par l’inscription civique. Les citoyens qui se destinent à ces emplois sont ainsi « dans l’heureuse nécessite de dépendre de l’estime de leurs concitoyens, dès les premiers pas de leur carrière »178.
82Les motifs en faveur de l’adoption d’un tel système ne manquent pas. Sa mise en place entrainerait une révolution dans l’esprit d’une jeunesse trop longtemps frivole et corrompue. La brigue et l’ascendant des familles ne seraient plus les instruments d’une victoire a une élection nationale. En outre, en rendant « toutes les fonctions publiques intéressantes et honorables »179, en mettant de « la fraternité » dans toutes ces dernières, elle répandrait « une émulation de vertu et d’honneur » dans les municipalités en donnant de « l’éclat à tous les emplois décernés par la patrie »180.
83L’objection selon laquelle ce système serait attentatoire au principe de « la liberté des élections » en prescrivant « des limites à la confiance » est selon lui dénuée de fondements réels :
« Déterminer un certain degré de fortune ou un certain ordre de naissance, et en faire une condition d’éligibilité, c’est frapper tous ceux qui sont hors de cette ligne, c’est prononcer exclusion contre eux, c ‘est les déshériter d’un droit naturel ; mais fixer à la marche des avancements des règles qui sont les mêmes pour tous, qui laissent a tous les mêmes droits, les mêmes espérances, qui sont dirigées contre les privilèges en faveur de l’égalité, ce n ‘est point blesser le principe, c’est le protéger et le garantir »181.
84Ainsi, l’adoption du système graduel permettrait de doubler en quelque sorte la confiance dont doit jouir l’Assemblée. En effet, selon le principe de la représentation nationale, un député, bien qu’élu par un nombre limité de citoyens dans un seul département, devient le représentant de tout le Royaume182. Ce principe constitutionnel fondateur de l’unité nationale doit cependant, du fait du nombre restreint de citoyens concourant à cette élection, être renforce par un mécanisme permettant d’asseoir la confiance sur des bases plus larges. C’est ce qu’opère le système graduel. D’une part, il donne aux électeurs les moyens de choisir en toute connaissance de cause, les candidats ayant déjà fait les preuves de leur capacité et de leurs vertus au cours d’un mandat inferieur. D’autre part, il étend le nombre de citoyens participant directement ou indirectement à la nomination des députés au corps législatif.
85Bien conscient de la gageure que représente l’entrée en vigueur immédiate d’un tel mécanisme institutionnel, mais, persuade que le législateur se doit de « travailler pour le temps »183, Mirabeau propose que sa mise en application ne soit effective qu’au bout d’une dizaine d’années. Le temps que le nombre de citoyens élus dans les municipalités, les tribunaux, ou les départements soit assez élevé pour permettre aux électeurs d’effectuer leur choix parmi un vaste et riche panel de candidats.
86Cependant, Mirabeau a beau déployer des trésors d’éloquence pour défendre un projet qu’il présente comme « la clé de la voûte sociale »184 et encourager l’Assemblée à se projeter dans l’avenir, les nombreuses critiques dont il fait l’objet185 conduisent les députes à prononcer un ajournement indéfini.
87La dernière grande controverse née au sein de l’Assemblée à propos de la citoyenneté tourne autour de la question de l’admission des minorités aux emplois civils et militaires et à l’exercice des droits politiques. Les différentes réponses apportées à cette interrogation fondamentale permettent de saisir le degré réel d’ouverture des conceptions de la citoyenneté des Constituants186. Si l’admission des Protestants à l’exercice des droits politiques et a tous les emplois civils et militaires est largement acquise, il n’en est pas de même d’une minorité comme les Juifs ou d’un état comme celui de comédien.
88Dans ce domaine encore, la position de Mirabeau va dans le sens d’une extension la plus large possible des droits civils et politiques. Sous l’Ancien régime déjà, il avait milite en faveur de l’émancipation civile et politique des Juifs, contre les préjuges négatifs injustement mais largement répandus à propos de cette communauté187. Son intervention en réponse à l’abbé Beaumetz qui avait laissé entendre que « les Juifs ne voudraient peut-être pas des emplois civils et militaires »188 auxquels l’Assemblée se proposait de les admettre, n’est donc pas surprenante :
« Eh ! Messieurs, serait-ce parce que les Juifs ne voudraient pas être citoyens, que vous ne les déclareriez pas citoyens ? Dans un gouvernement comme celui que vous élevez, il faut que tous les hommes soient hommes ; il faut bannir de votre sein ceux qui ne le sont pas, ou qui refuseraient de le devenir »189.
89Comme la plupart des partisans de l’émancipation des Juifs, Mirabeau leur refuse toute existence en corps politique. Il n’y a désormais en France dans la sphère publique que des citoyens, toutes les distinctions doivent disparaitre :
« c’est à la messe qu’on est Catholique, c’est au Prêche qu’on est Protestant, c’est à la Synagogue qu’on est Juif. Mais dans le monde, devant les tribunaux, dans les différentes fonctions sociales, des patriotes sont tous de la même religion ; de la religion, des lois, des mœurs, des devoirs réciproques ; la tous les Français ont les mêmes sentiments, les mêmes obligations, les mêmes droits »190.
90Mirabeau développe ici une conception de la citoyenneté extensive mais exclusive qui témoigne de son refus et plus largement de celui des constituants de penser l’altérité et la différence. Les Juifs nés en France ont la nationalité française et sont donc citoyens. La jouissance de tous les droits afférents à cette qualité est liée directement et uniquement à la soumission des Juifs à « toutes les lois civiles et politiques du royaume »191. Toutefois, au-delà de la clarté qui se dégage de l’énonce de ces principes, leur mise en application s’avère problématique. En effet, il n’existe pas dans le judaïsme, une séparation entre le culte et les lois civiles et politiques. Quelle loi les Juifs suivront-ils en cas de contradiction entre la loi nationale et la loi « mosaïque » ? Les difficultés soulevées par cette question incitent Mirabeau à en demander son ajournement192, les conditions pour y répondre n’étant pas réunies.
91La situation des comédiens présente selon lui moins de difficultés. En effet, il n’existe aucune loi civile qui puisse permettre d’exclure les comédiens des droits politiques. Bien au contraire, l’article 4 de l’ordonnance des Etats d’Orléans, « ouvrage de l’immortel chancelier l’Hospital », une déclaration de Louis XIII d’avril 1641, ainsi qu’un arrêt du conseil de 1668, sont autant de témoignages en faveur d’une reconnaissance du « droit des comédiens a toute espèce d’éligibilité »193.
92De manière plus générale, Mirabeau considère qu’aucun état, quel qu’il soit, « quand il n’est pas proscrit par les lois »194 ne peut priver un individu de son rang de citoyen. Néanmoins, malgré son caractère englobant et extensif, cette affirmation ne concerne aucunement la gent féminine195.
93En ce domaine, Mirabeau se refuse à être plus sage que son siècle. Une pionnière du féminisme comme Olympe de Gouges qui a la mort du tribun, écrit une pièce de théâtre intitulée Mirabeau aux Champs Elysées, s’illusionne sur les véritables projets de ce dernier en faveur de l’émancipation féminine196. Cet amant de légende ne parvient pas à s’élever au-dessus des préjuges de son temps et regarde les femmes a l’instar des philosophes de l’Antiquité « comme des machines a enfants et a plaisir »197. Dans son plan d’éducation nationale, publie après sa mort198, il adopte le point de vue soutenu par Rousseau dans l’Emile. Les femmes étant destinées avant toute chose à la « vie intérieure »199, leur « constitution délicate »200 semble devoir les exclure des orages de la vie publique. Mirabeau va jusqu’à soutenir que ce serait « dégrader »201 les femmes que de les admettre a des fonctions publiques. « C’est en un mot, sous prétexte de les associer à la souveraineté leur faire perdre leur empire »202. Ainsi, il semble que le tribun ait été favorable à l’instauration d’une citoyenneté reflétant « les différences qui doivent distinguer les citoyens des citoyennes dans un ordre des choses conforme à l’admirable plan de l’auteur de l’univers »203. Dans cette conception, l’altérité de la femme est reconnue, mais paradoxalement, elle consacre et sert de justification à son exclusion des droits politiques.
94En définitive, l’apport de Mirabeau à l’élaboration de la nouvelle culture de la citoyenneté qui émerge en 1789 se révèle des plus féconds. Sa réflexion sur la citoyenneté puise ses racines dans la philosophie du droit naturel et les théories physiocratiques qui au crépuscule des Lumières rencontrent la volonté générale rousseauiste. Au contact de ces influences diverses, Mirabeau a été sous l’Ancien Régime l’un des premiers a pressentir et a prophétiser l’avènement du citoyen moderne et l’un des grands acteurs de la consécration de ses droits sous la Révolution. A ce titre, sa contribution mérite d’être revisitée, car elle fournit une grille d’analyse stimulante de la citoyenneté révolutionnaire à travers les projets, les espoirs, les doutes, les contradictions et les limites d’un des principaux leaders de la première génération des révolutionnaires.
Notes de bas de page
1 On peut se référer à ce propos à Q. Skinner, « Meaning and understanding in the history of ideas » in J. Tully (Ed.), Meaning and Context, Quentin Skinner and his Critics, Cambridge, Polity Press, 1988, pp.29-67.
2 Cf. J. M. Goulemot, Dictionnaire européen des Lumières, Paris, PUF, 1998, pp.216-221. Il faut toutefois signaler la présence des linéaments d'une théorie de la citoyenneté chez le Chancelier d'Aguesseau. Cf. la contribution de Ch. Bruschi, « Henry François d'Aguesseau, un juriste face au pouvoir » in pensée politique et droit, Actes du colloque de Strasbourg, 11 et 12 septembre 1997, Association Française des Historiens des idées Politiques, PUAM, 998, pp.343-363, et particulièrement pp. 354-357.
3 Cf. F. Bidouze, « Polysémie et diachronie du terme de citoyen dans les discours parlementaires au xviiième siècle : essai d’interprétation » in Invention et réinvention de la citoyenneté, Actes du Colloque international de Pau, 9-11 décembre 1998, éd. Joëlle Sampy, 2000, pp. 97-112.
4 P. Magnette, La citoyenneté, une histoire de l’idée de participation civique, Bruxelles, Bruylant, 2001, tout particulièrement le Chap. XI : « Les droits et la loi : la citoyenneté autour de la Révolution Française », pp. 182-202.
5 A. Lefebvre Teillard, « Citoyen » in Droits, 17, 1993, pp. 32-42, p. 39.
6 Cf. P. Retat, « The evolution of The Citizen from the Ancien Régime to the Revolution » in The French Revolution and the Meaning of Citizenship, (ed. By R. Waldinger, P. Dawson and I. Woloch), Contributions in Political Science n° 330, New-York, Greenwood Press, 1993, pp. 3-15.
7 C’est ce que nous avons entepris de montrer dans notre thèse.
8 L’ouvrage de Fr. Decrue De Stoutz, Études sur les idées politiques de Mirabeau, Paris, 1883, a beaucoup vielli. L’intéressant article de R. Moro, « Origini e formazione délia dottrina politica di Mirabeau (1774-1788) » in Il pensiero politico, III, 1970, n° 2, pp. 200-233, n’a qu’un objet limité.
9 Parmi les nombreuses biographies consacrées à Mirabeau, on peut citer L. et Ch. De Lomenie, Les Mirabeau, nouvelles études sur la société française au xviiième siècle, Paris, E. Dentu, 1879-1891, 5 vol. ; L. Barthou, Mirabeau, Paris, Hachette, 1913 ; Duc de Castries, Mirabeau ou l’échec du destin, Paris, Fayard, 1960, J. J. Chevalier, Mirabeau un grand destin manqué, Paris, Hachette, 1946, G. Chaussinand Nogaret, Mirabeau, Paris, Seuil, 1982 ; B. Luttrell, Mirabeau, New-York, Harvester Wheatscheaf, 1990.
10 Lettre manuscrite de Mirabeau au libraire hollandais Rey, du 22 octobre 1776, Fond Mirabeau, Bibliothèque Paul Arbaud, Aix-en-Provence, Dossier 71.
11 Parmi les auteurs antiques Tacite est celui que Mirabeau apprécie le plus et connaît le mieux. Il le cite à de très nombreuses reprises dans ses œuvres, et en fait de nombreuses traductions durant son séjour au donjon de Vincennes. Cf. H. Welshinger, Tacite et Mirabeau, Fragment inédit des œuvres de Mirabeau, écrites au donjon de Vincennes en 1779 avec facsimilé, Paris, Emile-Paul frères éditeurs, 1914.
12 L’auteur du De Legibus est cité à de nombreuses reprises dans les œuvres de Mirabeau. Une influence de Cicéron sur Mirabeau quant à sa conception des droits et des devoirs du citoyen n’est donc pas à exclure, même si l’influence de cet auteur sur les révolutionnaires ne doit pas être surévaluée. Cf. à ce propos la contribution de L. Reverso, « La pensée juridique romaine face aux « Droits de l’homme » ; l’exemple de Cicéron » in Fondations et naissances des Droits de l’Homme, L’Odyssée des Droits de l’Homme, Actes du Colloque international de Grenoble, sous la direction de J. Ferrand et H. Petit, Paris, L’Harmattan, 2003, t. I, pp. 13-47.
13 Sur ce point voir les travaux de R Bach, « Rousseau et les physiocrates : Une cohabitation contradictoire. » in Rousseau - Économie politique. Études Jean-Jacques Rousseau 11, 1999. pp. 9-82.
14 Les travaux fondateurs de R. Koselleck, Le règne de la critique, Francfort-sur-le Main, 1959, Paris, Ed. de Minuit 1979 et de J. Habermas, L’espace public, Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, 1990, ont souligné l’importance de l’émergence de la notion d’opinion publique à l’époque des Lumières. A leur suite les recherches autour de cette notion se sont multipliées et ont contribué à la préciser. On peut se référer à K. M. Baker, « Public Opinion as Political Invention » in Inventing the French Revolution. Essays on French Political Culture in the Eighteenth Century, Cambridge, 1990, pp. 167-199 ; M. Ozouf, « L’opinion publique » in K. M. Baker (sous la direction de), The Political Culture of the Old Regime, vol. I: The French Revolution and the Creation of Modern Political Culture, Oxford, 1987, pp. 419-434 ; E. Tortarolo, « Opinion Publique » in V. Ferrone et D. ROCHE, Le Monde des Lumières, Paris, Fayard, 1999, pp. 277-284 ; N. Luhmann, « L’opinion publique » in Politix, n° 55, 2001, pp. 25-59.
15 Essai sur le despotisme, Londres, 1775, p. 65
16 Ibid., p. 34.
17 Mirabeau emprunte le concept de propriété personnelle aux physiocrates. Lemercier de La Rivière parle à ce propos de la propriété personnelle exclusive que l’homme tient de la nature. L’ordre naturel et essentiel des sociétés politiques, t. I, Londres : J. Nourse Paris Desaint, 1767, Chap. II, p. 18-20. Sur la pensée politique de cet auteur cf. J. M. Cotteret, Essai critique sur les idées politiques de Le Mercier de La Rivière, Mémoire de D.E.S, Histoire du droit, Paris, 1959.
18 Je tiens à exprimer mes sincères remerciements à M. Henry Aureille qui a eu la gentillesse de me signaler une anecdote de Le Carpentier imprimée dans le Journal de Paris, n° 112, du 22 avril 1791, p. 452. Le Carpentier, professeur de Mathématiques à la pension militaire de l’Abbé Choquait, où Mirabeau fut placé par son père à l’âge de quatorze ans, dit avoir fait découvrir à son jeune élève l’Essai sur l’entendement humain de Locke. À sa lecture Mirabeau se serait écrié « Voilà le livre qu’il me faut » et aurait « en trois mois » achevé « la lecture de Locke ». Ce témoignage tardif est corroboré par une lettre du bailli au marquis de Mirabeau du 10 juin 1770 : « C‘est un singulier contraste que celui de son enfantillage avec des réflexions, des pensées et des écrits qui paraissent être de Locke[...] » in Mémoires biographiques, littéraires et politiques de Mirabeau, écrits par lui-même, par son père (Victor Riqueti, Marquis de Mirabeau), son oncle (le bailli de Mirabeau) et son fils adoptif (J-M-N Lucas de Montigny) Paris, Auguste Aufray imprimeur, Adolphe Guyot libraire, 1834, t.I, Livre III, p. 348.
19 Il semble bien que Mirabeau reprenne ici une idée de Tacite qui dans les Annales (I, 7, 1) évoque la tendance consubstantielle de l’homme a se ruer dans la servitude, in Tacite, Œuvres complètes, textes traduits, présentes et annotes par P. Grimai, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1990, p.377.
20 Essai sur le despotisme, op. cit., p. 37.
21 Ibid., p. 22.
22 Ibid. p. 46, a rapprocher de Le Mercier de La Rivière, L’ordre naturel..., t. I, Chap XI, pp 118-131 chap. XV, pp. 174-177, Chap. XVI, p. 201. « On doit remarquer ici que le terme faire des lois est une façon de parler fort impropre, et qu’on ne doit point entendre par cette expression, le droit et le pouvoir d’imaginer, d’inventer et d’instituer des lois positives qui ne soient pas déjà faites, c’est à dire qui ne soient pas des conséquences nécessaires de celles qui constituent l’ordre naturel et essentiel de la société. », (p. 175) et Dupont de Nemours, Maximes du docteur Quesnay, in E. Daire, Physiocrates, Quesnay, Dupont de Nemours, Mercier de la Rivière, l’abbé Baudeau, Le Trosne, Paris 1846, Genève, Slatkine 1970, t. I, p. 390, « Les hommes ni leur gouvernement ne font point les lois et ne peuvent point les faire. Ils les reconnaissent comme conformes à la raison suprême qui gouverne l’univers, ils les déclarent ; il les portent au milieu de la société [...] C’est pour cela qu’on dit porteur de loi, législateur, et recueil de lois, législation, et qu’on a jamais osé dire faiseur de loi, légisfacteur ». Cette conception de la loi naturelle manifestation de l’évidence inspirée de Malebranche, se retrouve également chez Rousseau. Mais ce dernier adopte une solution diamétralement opposée à celle des disciples de Quesnay. En faisant intervenir la volonté générale il pose comme postulat que l’ordre peut surgir du désordre même. Cf. C. Larrere, « Le gouvernement de la loi est-il un thème républicain ? » in Revue de synthèse, n° 2-3, 1997 pp. 237-258, p. 249.
23 Cf. A. Dufour, « La notion de loi dans l’Ecole du Droit naturel moderne. Etude sur les sens du mot loi chez Grotius, Hobbes et Pufendorf » in Archives de philosophie du Droit, t. XXV, 1980, pp. 211-224.
24 Essai sur le despotisme, op. cit., p. 47.
25 Ibid., p. 48.
26 Dans une lettre envoyée sous le pseudonyme de M. de Saint-Mathieu aux auteurs de la Gazette Littéraire le 15 décembre 1776 Mirabeau, écrit « despotisme légal ; il est certain que ces mots hurlent d’effroi de se voir accouples ; qu’on peut tirer de cette union difforme les conséquences les plus bizzares[...J ». Lettre de M. de S. M. publiée dans la 3ème éd. de l’Essai sur le despotisme. Paris, Lejay, 1792, p.XXVII.
27 Essai sur le despotisme..., op. cit., p. 37.
28 Ibid., p. 38
29 Ibid.
30 Ibid., p. 43. A comparer avec Le Mercier de La Rivière, L’ordre naturel... op. cit., t. I , Chap. I, pp. 3-15, ou l’auteur en exposant la théorie de l’ordre prouve que l’homme est destiné par nature à vivre en société.
31 Essai sur le despotisme, op. cit.p.45. A comparer avec L’ordre naturel... op. cit., Chap. II, pp. l7-19 et Chap. III p. 37 « chaque homme est dans l’obligation de concourir a garantir les propriétés des autres hommes, et ce devoir lui donne un droit qui met les autres hommes dans l’obligation de lui garantir les siennes ; pour donner de la consistance a cette garantie mutuelle, il s’établit entre eux des propriétés communes, par le moyen desquelles chacun multiplie naturellement ses pouvoirs et ses jouissances, ainsi par les nouveaux devoirs qu’il contracte il acquiert de nouveaux droits, qui rendent nécessairement sa condition meilleure à tous égards. », et J. Locke, Le second traité du gouvernement, Essai sur la véritable origine et la fin du gouvernement civil, 1689, trad. J. F Spitz, Paris, PUF, 1994, Chap.8, 95, p. 70 « Les hommes étant, comme on l’a dit, naturellement libres, égaux et indépendants, on ne peut mettre aucun d’eux hors de cet état, ni l’assujettir au pouvoir politique d’un autre sans son propre consentement. La seule manière, pour quelqu’un, de se départir de sa liberté naturelle, et de se charger des liens de la société civile, c ‘est de s’accorder avec d’autres pour se joindre et s’unir en une communauté, afin de mener ensemble une existence faite de bien être, de sécurité et de paix, dans la jouissance assurée de leurs propriétés, et dans une sécurité accrue vis-à-vis de ceux qui ne sont pas membres de cette communauté ».
32 L’ordre naturel..., op.cit., p. 24 « Nous pouvons donc renfermer tout le juste absolu dans un unique axiome : point de droits sans devoirs et point de devoirs sans droits ».
33 Essai sur le despotisme, op.cit., p. 70.
34 Ibid.
35 Rousseau, Discours sur l’économie politique, in Œuvres Complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1964, p. 249.
Chez Rousseau, l’intérêt individuel n’est pas une fin autonome. L’association des hommes en société a certes pour objectif la protection des biens et de la vie des individus, mais le contrat social a une finalité plus étendue : l’émergence de l’intérêt général.
36 Essai sur le despotisme, Londres, Neuchâtel, 1776, reproduit dans la Bibliothèque de Philosophie politique et juridique, Centre de philosophie politique et juridique, Université de Caen, 1992, avec un Avant-propos de S. Goyard-Fabre, p. 226.
37 Essai sur le despotisme, Londres, 1775, p. 64.
38 Ibid., p. 91.
39 Ibid., p. 59.
40 Ibid., p. 73.
41 Ibid., p. 70.
42 L’ordre naturel... op. cit., p. 37 Lemercier de la Rivière parle d’une « balance de devoirs et de droits réciproques et proportionnels ».
43 Essai sur le despotisme, Londres, 1775, p. 56.
44 Ibid., p. 72.
45 Ibid., pp. 70-71.
46 Ibid.
47 Ibid., p. 83.
48 Cf. M. Thomann, « un modèle de rationalité idéologique : le « rationalisme » des Lumières » in Archives de philosophie du droit, t. 23, 1978, pp. 131-145.
49 Essai sur le despotisme, op.cit., p. 53.
50 Ibid. p. 77.
51 Ce passage à été rajoute par la suite, et ne figure que dans l’édition de 1776, p. 61.
52 Essai sur le despotisme, Londres 1775, op. cit., p. 94
53 Ibid., p. 263.
54 Cf. a ce propos A. Slimani, La modernité du concept de nation au xviiieme siecle (1715-1789) : Apports des thèses parlementaires et des idées politiques du temps, Aix-en-Provence, PUAM, 2004, pp. 350-356.
55 Des Lettres de cachet et des prisons d’État. Ouvrage posthume compose en 1778, Hambourg, 1782.
56 Lettre manuscrite de Mirabeau à M. Boucher, 27 mars 1779, Bibliothèque Paul Arbaud, Aix-en-Provence, Fond Mirabeau, Dossier 71.
57 Notamment Les Maximes du droit public français que Mirabeau cite a plusieurs reprises dans les Lettres de cachet. Sur cet ouvrage, dont il attribue la paternité a un certain Michaud de Montblin, mais dont les véritables auteurs sont les avocats jansénistes, J.-B. Aubry, A. Blonde, N. Maultrot et C. May, cf. J.-L. Mestre, « L’évocation d’un contrôle de constitutionnalité dans les Maximes du Droit public français (1775) » in Etat et pouvoir, l’idée européenne, Aix-en-Provence, PUAM, 1992, pp. 21-36.
58 Des Lettres de cachet..., op. cit., Chap. X, p. 197.
59 Ibid., Chap. II, p. 31.
60 Ibid., Chap. IV, p. 72.
61 Ibid.
62 Ibid., p. 73.
63 Ibid., p. 75.
64 Ibid., p. 74.
65 Ibid.
66 Ibid.
67 Ibid., p. 75.
68 Cf. à ce propos, J. Dunn, La pensée politique de John Locke, Paris, PUF, Léviathan, 1991 ; J. Tully, Locke, Droit naturel et propriété, Paris, PUF, Léviathan, 1992.
69 Des lettres de cachet..., op. cit., p. 76.
70 Ibid., Chap.V, p. 80.
71 Ibid., p. 82, Mirabeau s’inspire ici d’un passage du de Legibus de Cicéron (III, c.I)
72 Ibid, p. 83.
73 On peut déceler dans ce domaine encore l’influence de Lemercier de La Rivière. Cf. l’Ordre naturel..., op. cit., Chap.XII pp. 138-141.
74 Ibid., pp. 142-143. Pour Lemercier de la Rivière et les physiocrates, le pouvoir législatif est inséparable de la puissance exécutive et cette puissance est par essence indivisible. Le pouvoir législatif ne peut donc être exerce que par un seul. chap. XV p. 176 « le pouvoir législatif n’est donc que le pouvoir d’annoncer des lois déjà faites nécessairement et de les armer d’une force coercitive ».
75 Ibid., Chap. XVII, p. 216 « Il est donc de l’essence de l’autorité de ne point être partagée : la diviser se serait la réduire à l’impossibilité d’agir, et par conséquent l’annuler[...] » et Chap XXI, pp. 268-271.
76 Des Lettres de cachet..., op. cit., Chap. VIII, p. 160.
77 Ibid., p. 159. « Les écrivains modernes, connus sous le nom d’économistes, sont à cet égard diamétralement opposés à mes principes : ils condamnent toutes les contre-forces politiques, parce que les voyant mal assises dans tous les gouvernements, ils les regardent comme inutiles et mêmes dangereuses ».
78 Ibid., Chap. IX, p. 180.
79 Ibid., Chap. V, p. 77, Mirabeau fait référence ici a Papinien, Livre Ier des Définitions, Digeste (I, III, 1) qui définit la loi comme une obligation contractée par toute la notion. « Lex est commune praeceptum, virorum prudentium consuetum, delictorum quae sponteve ! ignorantia contrabruntur, coercitio : communis reipublicae sponsio ». On remarquera que Mirabeau qui cite sans doute de mémoire substitue le terme civitatis à republicae.
80 Ibid.
81 Cf. P. Rosanvallon, Le Sacre du citoyen, Histoire du suffrage universel en France, Paris, Gallimard, 1992, pp. 45-48. Voir également à ce propos R. Carrier, « Citoyenneté politique, citoyenneté fiscale, d’une révolution à l’autre (1789-1850) » in Invention et réinvention de la citoyenneté, op. cit, pp. 199-211.
82 Mémoire sur les municipalités (1788) in G. Schelle, Œuvres de Turgot, Paris 1922, t. IV, p.585.
83 Cf. G. Schelle, Œuvres de Turgot, Paris 1922, t. V, p. 536. Cette lettre est reproduite par Mirabeau dans ses Considérations sur l’ordre de Cincinnatus ou imitation d’un pamphlet Angloamericain, Londres, chez J. Johnson, 1784.
84 Lettre de Mirabeau a J. Mauvillon, 20 janvier 1787 in Lettres du Comte de Mirabeau a un de ses amis en Allemagne écrites durant les années 1786, 1787, 1788, 1789 et 1790, SI., 1792, p.178.
85 De la Monarchie Prussienne sous Fréderic le Grand avec un appendice contenant des recherches sur la situation actuelle des principales contrées de l’Allemagne, Londres, Paris, Lejay, 1788, 4 tomes, t. 1, préface non numérotée.
86 Aux Bataves sur le Stathouderat, 1788, p. 121.
87 Dans son projet de déclaration des 20 et 21 Juillet 1789, Sieyès distingue deux types de droits : les droit naturels civils dont disposent tous les citoyens sans exception et les droits politiques (vote et éligibilité) dont disposent seuls les citoyens actifs, c’est à dire ceux qui « contribuent à l’établissement public » qui y ont un intérêt et une capacité. Cf. Archives Parlementaires de 1789 à 1860, Recueil complet des débats législatifs et politiques des chambres françaises imprime par ordre de l’Assemblée nationale, sous la direction de J. Mavidal, E. Laurent et E. Clavel, Première série (1789-1799) (désormais AP) t. VIII, p. 259.
88 Aux Bataves..., op. cit., p. 122.
89 Sur la représentation illégale de la nation provençale et sur la nécessité de convoquer une assemblée générale des trois ordres, prononce devant les États de Provence le 30 Janvier 1789, reproduit in Œuvres de Mirabeau, Paris, Lecointe et Pougin, Didier, 1834, t. I, p. 9.
90 Ibid., p. 6.
91 Ibid.,p.8.
92 Ibid., pp. 7-8.
93 Sur la polysémie de la notion et sa « difficile gestation » à l’époque révolutionnaire, on peut se référer à O. Le Cour Grandmaison, Les citoyennetés en Révolution (1789-1794), Paris, PUF. 1992, p. 8 et pp. 17-94.
94 Cf. M. P. Fitzsimmons, « The National Assembly and the Invention of Citizenship » in The French Revolution and the Meaning of Citizenship, op. cit., pp. 29-42.
95 Cf. à ce propos S. Rials, La déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Paris, Hachette, 1988, Chap. I : Le travail déclaratoire, pp. 197-319.
96 Courrier de Provence n° XX pour servir de suite aux lettres du Comte de Mirabeau a ses Commettons du 24 au 27 Juillet 1789, p. 19. et A. P., t. VIII, 27 juillet 1789. p. 281.
97 Cf. J. Benetruy, L’atelier de Mirabeau, quatre proscrits genevois dans la tourmente révolutionnaire, Paris, A et J. Picard & Cie, 1962.
98 Ce périodique fait suite aux Lettres du Comte de Mirabeau à ses Commettons, il est rédigé par ses collaborateurs mais exprime encore, du moins à cette époque en grande partie ses vues.
99 Courrier de Provence n° XX, du 24 au 27 Juillet 1789, p. 19.
100 M. Thomann, « Origines et sources doctrinales de la Déclaration des droits » in Droits, n° 8, 1988, pp. 55-70. p. 55.
101 Cf. les études de S. Rials, « Généalogie des droits de l’homme » in Droits, n° 2, 1985, pp. 9-12 ; « Le mystère des origines » in Droits, n° 8, 1988, pp. 3-23.
102 M. Thomann, « Influence du philosophe allemand Christian Wolff (1679-1754) sur l’Encyclopédie et la pensée politique et juridique du xviiieme siècle français » in Archives de Philosophie du droit, n° 13, 1968, pp. 233-248.
103 E. Dumont, Souvenirs sur Mirabeau et sur les deux premières assemblées législatives, Ouvrage posthume publie par M. J. L. Duval, Paris, C. Gosselin 1832, pp. 51-52.
104 A. Stern, La vie de Mirabeau, t. II, Paris, Librairie Emile Bouillon éditeur, 1896, p. 68.
105 J. Benetruy, op. cit., pp. 190-192.
106 Cf. M. Lherithier, « Mirabeau et nos libertés » in Annales de la Faculté des Lettres d’Aix, t. XXV, 1951, pp. 15-27.
107 A. P., t.VIII, p. 438.
108 Cf. M. Thomann, « Le Préambule de la Déclaration des Droits de l’homme. Quelques résultats inédits d’une recherche sur sa rédaction et son contenu doctrinal » in Revue d’Histoire du Droit (Tijdschrift voor Rechtsgeschiedenis), 1987, pp. 375-382.
109 Essai sur le despotisme, Londres, 1775, p. 59.
110 Mirabeau cite Wolff dans Des Lettres de cachet...Chap. III, p. 57 et lui consacre un long passage dans la Monarchie Prussienne op. cit., t. 1, p. 54. Ces indices semblent confirmer l’hypothèse de M. Thomann qui a la suite de R. Leforestier, (Les illuminés de Bavière et la Franc-Maçonnerie allemande, Paris 1914, p. 661), fait de Mirabeau un adepte du droit naturel wolffien. Cependant, il est difficile de déterminer le degré exact de cette influence.
111 Si l’on partage dans leurs grandes lignes les conclusions de S. Riais sur l’influence déterminante des théories physiocratiques et d’un certain lockianisme sur la pensée du tribun, ce constat ne semble pas exclure une influence même moindre du rousseauisme qui ne saurait se réduire seulement à « une vieille tendresse ». Cf. La déclaration..., op. cit., notamment chap. I, p. 202 et Chap II, pp. 383-390, note 139, p. 461
112 A. P., t. VIII, p. 453.
113 Ibid.
114 Ibid., 17aout 1789, p. 438.
115 Ibid.
116 Ibid.
117 Ibid.
118 Courrier de Provence n’XXIX du 18 au 19 aout 1789, p. 2.
119 Sur la tension existant entre droit naturel et droit positif dans la Déclaration, on peut se référer à M. Ganzin « La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : droit naturel et droit positif », in Les Principes de 1789, Aix-en-Provence, Collection d’Histoire des idées politiques, PUAM, 1989, pp. 81-112 ; P. Wachsmann, « Naturalisme et volontarisme dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789 » in Droits, n° 2, 1985, pp. 13-22.
120 A. P., t. VIII, p. 453
121 Ibid.
122 Courrier de Provence n° XXVTII. du 17 au 18 aout 1789, p. 2
123 Ibid.
124 Cf. S. Riais, La déclaration... op. cit., p. 206.
125 Courrier de Provence n° XXVIII, du 17 au 18 aout 1789, p. 2.
126 A. P., t.VIII, 18 aout 1789, p. 455.
127 Cf. F. Benoit-Rohmer et P. Wachsmann, « La résistance à l’oppression dans la Déclaration de 1789 » in Droits, n° 8, 1988, pp. 91-100, et notamment p. 97.
128 Ibid.
129 Ibid.
130 Courrier de Provence n° XXIX, du 18 au 19 aout 1789, p. 1.
131 Courrier de Provence n° XXX, du 20 et 21 aout 1789, p. 13
132 Ibid., pp. l4-15.
133 « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants a sa formation ».
134 Les conditions proposées pour exercer les droits de citoyen actif au sein de l’assemblée primaire du canton, sont les suivantes : 1° être Français ou devenu Français ; 2° être majeur ; 3° être domicilie dans le canton, au moins depuis un an ; 4° payer une contribution directe de la valeur locale de trois journées de travail, 5° n’être pas dans un état servile. Outre ces qualités, pour être éligible à l’assemblée de la commune ou a celle du département, il faut s’acquitter d’une contribution directe de la valeur locale de dix journées de travail. Cette contribution s’élevant à un marc d’argent (50 journées de travail) pour être éligible a l’Assemblée nationale. (A. P., t. IX, 29 septembre 1789, pp. 204-205).
135 Ibid., p.469.
136 Ibid., pp. 469-470. Legrand jugeait cet âge trop élevé et proposait 21 ans.
137 Ibid.
138 Ibid., 22 octobre 1789, p. 479.
139 Courrier de Provence n° LV, du 19 au 20 octobre 1789, pp. 20-21.
140 Ibid, p.21.
141 Ibid.
142 Ibid.
143 Ibid., pp. 22-23.
144 Ibid.
145 Il fait sienne l’opinion de Rousseau dans l’Emile, in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1969, t. IV, L. III, p. 470. : « Travailler est un devoir indispensable à l’homme social. Riche ou pauvre, puissant ou faible, tout citoyen oisif est un fripon ».
146 Cf. P. Gueniffey, Le Nombre et la Raison. La Révolution française et les élections, Paris, éd. de l’EHESS, 1993.
147 Toutefois, il rejette avec ses collaborateurs celle de citoyen passif jugeant que cette dernière « présente une image de sujétion et d’avilissement qui doit la faire proscrire du dictionnaire d’un peuple libre ». Il propose de lui substituer celle de « citoyen expectant » qui est de nature à inspirer « un sentiment d’espoir et de confiance qui adoucit l’exclusion, en la faisant envisager comme un état de passage et d’attente ». in Courrier de Provence n° XCIII du 12 au 15 janvier 1790, p. 23.
148 A. P., t. IX, p. 590.
149 Ibid., p.591.
150 Ibid.
151 Ibid., p. 591.
152 Ibid., p.595.
153 Ibid. Finalement, les difficultés soulevées par les deux derniers articles amènent l’Assemblée à renvoyer leur rédaction définitive au comité de Constitution. Revenant sur les débats, le Courrier de Provence répond plus directement aux objections de Barnave. Les deux principes posés par ce dernier « que nul ne saurait être tenu des fautes d’autrui » et « que la loi ne doit pas punir une conduite qu’elle autorise » sont tout à fait admissibles, mais leur application à la question est tendancieuse. D’une part, la ruine d’un père n’est souvent que le résultat des dettes qu’il a contractées pour ses enfants ou ce qui est encore plus grave, de leurs dilapidations. Les enfants peuvent donc être considérés « comme les associes naturels des entreprises de leur père », les cautions de son insolvabilité. « Rendre ceux-ci solidaires de la fortune paternelle, est une précaution très sage pour leur donner un intérêt à l’ordre, à la prudence, a l’économie ». D’autre part, cette loi sans contraindre les enfants à s’acquitter des dettes de leur père, ne les en dispense pas pour autant. Elle les invite par un « motif très puissant », celui de l’exclusion de certains emplois, à réhabiliter la mémoire de leur père en payant leur portion de ses dettes. (Courrier de Provence n° LIX, du 28 au 29 octobre 1789), pp. 6-7.
154 Ibid., p. 596.
155 Ibid.
156 Ibid.
157 Ibid.
158 Ibid.
159 Ibid.
160 Dans ses Considérations sur le Gouvernement de Pologne dont Mirabeau a pu lire le manuscrit lors de son emprisonnement au Donjon de Vincennes, (Lettres manuscrites de Mirabeau à Vitry, du 9, 19, et 25 janvier 1782, Bibliothèque Paul Arbaud, Dossier 74), Rousseau faisant référence aux peuples de l’Antiquité, insiste sur l’utilité des fêtes et des spectacles pour fonder l’union des citoyens : il loue ces cérémonies « qui, leur rappelant l’histoire de leurs ancêtres, leurs malheurs, leurs vertus, leurs victoires, intéressaient leurs cœurs, les enflammaient d’une vive émulation, et les attachaient fortement a cette patrie dont on ne cessait de les occuper ». Œuvres complètes, op. cit., t.III, p. 958.
161 Courrier de Provence n° LIX, du 28 au 29 octobre 1789, p. 8.
162 Mirabeau et ses collaborateurs se félicitent en revanche de l’adoption de la condition qui empêche d’exercer les droits de citoyen actif dans plus d’un endroit et de se faire représenter par un autre, comme « une loi d’égalité », et « un motif de résidence » pour les propriétaires des campagnes. Curieusement, ils jugent également celle qui prévoit le paiement d’une contribution directe égale à la valeur locale de dix journées de travail pour être éligible à l’assemblée communale comme « très propre à exciter, et honorer une laborieuse industrie », alors qu’elle semble fondée sur le même principe que la condition du marc d’argent. En effet, les conditions nécessaires pour être éligible différent dans les deux cas de celles requises pour être électeur. (Ibid., pp. 12-13.)
163 Ibid., p.17.
164 Ibid., p. 21.
165 A. P., t. IX, p. 599.
166 L’adoption de ces principes amène les constituants à s’interroger sur le sort des fils de famille, relativement à l’éligibilité. Alors que dans les pays de coutumes, l’expression « fils de famille » ne désigne que les mineurs vivant dans la maison paternelle ; dans les pays régis par le droit écrit comme la Provence, elle s’applique aux enfants qui sont sous la puissance paternelle. Les enfants se trouvent soumis, Mirabeau ne le sait que trop, a un « assujétissement anti-social » durant toute la durée de vie du père, à moins qu’un acte d’émancipation ne vienne les en libérer. Cette loi du droit écrit « barbare » et odieuse entraine plusieurs interrogations d’où résultent des difficultés insurmontables. Dans les pays de droit romain, les fils de famille n’ont ni domaine ni propriété. Si l’on admet que la contribution personnelle du père de famille est suffisante pour investir ses fils de l’éligibilité, « un marc d’argent peut créer sous le même toit, cinq ou six Députés à l’Assemblée nationale tandis que dans les pays coutumiers un seul est éligible à ce prix ». Si l’on refuse cet état de choses on peut priver la nation des services de citoyens utiles tout en mécontentant ces derniers. La seule solution consiste pour Mirabeau soit dans l’anéantissement de cette loi du droit écrit qui ferait « rentrer les fils de famille dans la qualité d’hommes et de citoyens », soit dans la suppression de cette « loi fâcheuse » qui lie l’éligibilité au paiement d’une « redevance ». Ces difficultés et les embarras nés de la diversité d’opinions ont pour conséquence l’ajournement de la question. Courrier de Provence n° LIX, du 28 au 29 octobre 1789, pp. 22-23.
167 Ibid., p. 15.
168 Ibid., p. 19.
169 Ibid., р.20.
170 Ibid., р.21
171 Ibid.
172 А. P., 1.Х, р.495.
173 Ibid.
174 Sur la référence à l’Antiquité sous la Révolution, cf. J. Bouineau, Les toges du pouvoir (1789-1799) ou la Révolution du droit antique, Toulouse, Association des Publications de l’Université de Toulouse-le-Mirail et éd. Eche, 1986 ; C. Mossé, L’Antiquité sous la Révolution Française, Paris, Albin Michel, 1989 ; H. Morel, « Le poids de l’Antiquité sur la Révolution Française » in Les Principes de 1789, op. cit., pp. 35-56 ; C. Nicolet, « Citoyenneté française et citoyenneté romaine. Essai de mise en perspective »in Le modèle républicain (sous la dir. de S. Berstein et O. Rudelle). Paris. PUF. 1992. DD. 19-56.
175 Ibid., p.495.
176 A.P.t.X. p.496.
177 Ibid. Cette idée est empruntée a Rousseau qui souligne l’intérêt pour le législateur d’accoutumer les citoyens « à la règle, à l’égalité, à la fraternité, aux concurrences, à vivre sous les yeux de leurs concitoyens et à désirer l’approbation publique. » (Considérations sur le Gouvernement de Pologne, in Œuvres Complètes, op. cit., p. 968). L’idée d’un noviciat est également présente dans son Projet de Constitution par la Corse. Rousseau y loue le système d’administration de l’Hôtel Dieu de Lyon, ou le passage par la régie des finances constitue « le noviciat des emplois publics » et le premier échelon pour accéder à une magistrature plus élevée, comme celle d’Echevin ou de prévôt des marchands. (Œuvres complètes, op. cit., p. 934).
178 L’idée d’un contrôle des citoyens sur leurs représentants a déjà été évoquée à l’Assemblée, début décembre, à propos de l’article 51 du projet du comité sur l’organisation des municipalités relatif au droit de dénonciation dont disposent les citoyens contre des officiers municipaux soupçonnés « d’infidélité dans le maniement des deniers communs », de trafic « des droits et intérêts de la commune », ou d’usage arbitraire de la violence. Cet article prévoyait que dans les cas cites, les citoyens devraient présenter à l’administration du département « un mémoire en dénonciation, portant la signature d’« au moins cent citoyens actifs ». L’administration départementale après vérification de celle du district, devait renvoyer la poursuite devant les juges compétents, et, « par provision, [...] selon la gravite des cas, suspendre de leurs fonctions, les officiers prévenus ». Mirabeau avait dénoncé cette disposition comme inadmissible, jugeant que de tels délits « devraient être dénonces par tous les citoyens » sans besoin d’intermédiaire. L’exigence d’un « nombre détermine de citoyens actifs pour faire cette dénonciation » constituait selon lui « un véritable vice constitutionnel », « un brevet d’impunité » délivré aux officiers municipaux. Pour Mirabeau, la dénonciation d’un crime public est un devoir pour tous les citoyens qui, pourvu qu’ils ne soient pas armes « ont droit de se réunir en tel nombre qu’ils veulent pour communiquer leurs lumières, leurs vœux, leurs titres ». La loi peut seulement déterminer le nombre de ceux qui doivent porter la pétition. Empêcher cette réunion constituerait une atteinte aux droits de l’homme. (A.P., t. X, 1er décembre 1789, pp. 344-345.)
179 Ibid., p.496.
180 Ibid.
181 Ibid., pp. 496-497.
182 Ibid., p.497.
183 Ibid., 15 décembre 1789, p. 579.
184 Ibid.
185 Ibid. Barnave attaque la motion de Mirabeau au motif qu’elle conduirait à une concentration des fonctions administratives et législatives dans un nombre restreint de mains, et repousserait l’âge d’entrée à l’Assemblée nationale a 35 ans (p.575). Barrère, tout en saluant le système graduel de Mirabeau en conteste l’application trop rigide qui tend « à resserrer le cercle des éligibles déjà si fort rétréci ». Une pareille loi avait été proposée par Mably aux Américains qui l’avaient sagement refusée (p. 576). Duport conteste le bien fondé de la motion qu’il juge contraire à la liberté et tendant à faire de l’Assemblée nationale un sénat, (p.577).
186 Cf. F. Hincker, « La citoyenneté révolutionnaire saisie à travers ses exclus » in Le Citoyen Fou, (sous la dir. de N. Robatel), Paris, PUF, 1991, pp. 7-28.
187 Cf. notamment Sur Moses Mendelssohn, sur la réforme politique des Juifs, Londres, 1787.
188 A. P., t.X, p. 781.
189 Ibid.
190 Courrier de Provence n° LXXXIII, du 23 et 24 décembre 1789, p. 16.
191 Ibid., p.15
192 A. P., t. X, p. 782.
193 Courrier de Provence n° LXXXIII, du 23 et 24 décembre 1789, p. 12.
194 Ibid., p. 14.
195 Sur l’exclusion des femmes des droits politiques on peut se référer à O. Le Cour Grandmaison, op. cit., Troisième Partie, Chap. III : Des femmes ou l’impossible citoyenneté, pp. 273-296.
196 Cf. M. Usandivaras, « Une lecture dramatique des discours de Mirabeau par Olympe de Gouges » in Revue d’Histoire du théâtre, 1997-11, n° 194, pp. 137-150., p. 145.
197 Lettre de Mirabeau à Chamfort, numéro III, in Chamfort : pensées, maximes, anecdotes et dialogues, précédées de l’histoire de Chamfort, par P. J. Stahl, Paris, 1860. cité par M. Usandivaras, op. cit., p. 146.
198 Travail sur l’instruction publique, trouve dans les papiers de Mirabeau l’aine ; publie par P. J. G. Cabanis, Docteur en Médecine, etc. a Paris, de l’Imprimerie nationale, 1791.
199 Ibid., Premier Discours, De l’instruction publique ou de l’organisation du corps enseignant, p.35
200 Ibid., p.36
201 Ibid., p.37.
202 Ibid., p.38.
203 Ibid.
Auteur
Allocataire-Moniteur à la Faculté de Droit et de Science Politique d’Aix-Marseille
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La modernité du concept de nation au XVIIIe siècle (1715-1789)
Apports des thèses parlementaires et des idées politiques du temps
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