« Entre droits et devoirs » : Le dilemme du christianisme et de la citoyenneté
p. 23-45
Texte intégral
1Comme le notait Jean Foyer, dans un colloque consacré à l’étude des rapports des Églises et du pouvoir politique : « Le citoyen est inséparable du fidèle, et le fidèle du citoyen et les Églises vivent dans les États »1.
2Cette constatation est loin d’être cantonnée à l’époque moderne. Bien au contraire, les problèmes posés par l’adhésion totale ou partielle aux exigences internes de la Cité chrétienne et, par extension, aux règles, aux comportements et aux relations extérieures avec la société politique et l’État, sont, durant les trois premiers siècles du christianisme, particulièrement aigus. Les difficultés ont d’ailleurs apparu dès la formation des premières communautés issues du judaïsme. Elles sont internes aux communautés et figurent au cœur des débats dès le milieu du Ier siècle : circoncision ou non – attitude propres des craignant-Dieu, des πρoσηλυτoι. Quant à leurs conduites extérieures, pendant longtemps, les églises chrétiennes sont animées par de fortes tensions eschatologiques – surtout dans les moments de persécutions. Il y a donc place seulement pour des adhésions partielles, ce qui entraîne des conséquences souvent tranchées et exclusives vis à vis de la société et du pouvoir romain2. Toutefois, celles-ci ne sont pas statiques. Elles évoluent avec le temps et les transformations qui atteignent autant les structures du pouvoir que les caractères de la citoyenneté.
3La question de la citoyenneté, elle-même, n’est pas des plus simples et ne relève pas d’un modèle unique. On sait ce qui différencie la conception grecque et romaine de la Cité et de la citoyenneté. Ainsi, le terme ‘óπoλίτης‘ désigne-t-il la participation à une abstraction (ή πóλις) : c’est la Cité qui fait le citoyen par son adhésion à ce concept. À Rome, le mot ‘civis romanus‘ désigne le statut commun à tous les citoyens de Rome. Ces derniers constituent un groupe dont l’unité repose sur un ensemble d’obligations, de droits, de privilèges. De même, la πoλιτεία grecque (droit de Cité) représente l’intégration dans une communauté politique souveraine, aux décisions de laquelle le nouveau membre est associé, alors que la citoyenneté romaine vaut surtout pour les droits civils3. Ceux-ci sont importants : les tria nomina, le mariage - qui assure la procréation d’ingenus - la propriété qui autorise la possession et l’aliénation des biens - le bénéfice de l’organisation judiciaire qui permet le plein exercice des droits (l’exception des peines corporelles, la faculté de provocatio à l’empereur contre les sentences de tout tribunal criminel, le droit aux honores...)
4Cependant, depuis l’an 27 (a.C), les droits politiques des citoyens sont réduits à presque rien. La romanisation a peu à peu vidé le statut civique de son contenu politique et, dès la fin du iie siècle, la citoyenneté s’est diluée en une simple commodité juridique qui facilite la circulation, la justice, l’ordre public, l’économie4. Par contre, à côté de cette Cité, cadre unique dégradé de la citoyenneté, il reste une culture romaine, pleinement originale, malgré des apports étrangers. Elle est un élément très complexe et sert de creuset pour les différentes cultures.
5Sous la République, les citoyens romains étaient « fils de la loi et du cultus »5. Ce dernier élément constituait en particulier l’animus romaine du civis - c’est à dire un ensemble de valeurs culturelles intériorisées, à la fois propres à la personnalité intime, psychologique, morale, et à la personnalité civique (participation aux actes cultuels surtout). Il n’a pas entièrement disparu. Le citoyen, et lui seul, a une animus romaine (et non ses enfants, sa femme, ses esclaves et membres de la domus)6.
6Bien dans la ligne de cette évolution, les efforts du pouvoir romain à faire coïncider l’Empire avec le monde habité (orbis - oίχoυµἐνη), à réaliser un isomorphisme politique et géographique global, ne sont pas seulement des prolongements des conceptions stoïciennes cicéroniennes (créer la commune société du genre humain)7. Ils visent aussi à distinguer l’humanitas du citoyen romain des composantes qui font partie des caractères humains propres aux autres peuples, comme le grec παιδεία différenciait le civilisé du sauvage.
7Ce débat, qui intéressera si fortement le monde chrétien, n’est pas seulement de nature anthropologique, car il place en son centre la question du mérite. Il se mélange à une conception philanthropique qui accorde plus de crédit à l’homme capable de faire davantage que ce qu’exige la simple justice.
8L’on y trouve également le choix entre une vision universaliste abstraite (la Grande Rome inclusive de tous les peuples conquis), ou au contraire ethnocentriste (et de nature essentiellement affective) - celle de la petite patrie8. À partir de l’empereur Sévère, les romains éprouvent le besoin de se réunir, de se rapprocher et de se soutenir en petites communautés. C’est ce qui explique la prolifération des Scholae, des sodalités et de toutes sortes de micro-sociétés. Et il a été bien mis en évidence que ces groupes (corpora) ont souvent une vocation religieuse. Avec leur culte privé, elles remplacent les grandes structures de la Cité. Elles sont des cercles politiques « circuli » qui donneront aux fraternitates chrétiennes des exemples de solidarité interne. Elles montrent que l’organisation de plus en plus rigoureuse des communautés chrétiennes, au cours du iiie siècle, a bénéficié de cette « division du sens civique commun »9.
9L’attitude des chrétiens peut se résumer à deux configurations, assez nettes doctrinalement. D’une part, celle pour qui l’Empire est une contrefaçon satanique du Royaume du Christ, par son affirmation même de l’unité, de l’universalité et de la « seigneurie » impériale. Les défenseurs de cette thèse sont partisans d’une séparation radicale - au moins sur le plan théorique, avec le monde politique et social romain. C’est le sens majeur d’une partie de l’œuvre de Tertullien, d’Hippolyte10 et de leurs émules. Elle procède d’une vision pessimiste à l’égard d’une humanité dégradée dont l’état rend absolument nécessaire la venue d’un Sauveur. L’autre attitude est plus optimiste. Elle est accueillante à l’idée d’une intégration des chrétiens dans la vie publique. L’histoire du monde est vue comme un progrès continu de l’humanité vers davantage de justice, de civilisation (ce qui englobe le pouvoir politique). Le monde est, de ce fait, préparé à recevoir l’Evangile11. C’est la conclusion, au ive siècle d’Eusèbe de Césarée, pour qui l’Empire romain établi par Auguste est le résultat de l’intervention directe de Dieu dans l’Histoire12. Plus nuancée et consciente du dilemme, à la fin du iie siècle, la célèbre Lettre à Diognète recommande l’intégration, aussi loin que les convictions chrétiennes le permettent13.
10Ces deux conceptions ont un point commun, dans la mesure où l’Empire est inclus dans le plan historique de Dieu et sa phase eschatologique finale, mais il ne faut pas manquer d’y voir les tensions internes. L’Église, à ses débuts, dépend moins de sa conduite morale et politique que de sa croyance théologique. Elle est, dans la vision qu’en donnent les auteurs chrétiens, animée par une recherche continue de ce qui est doctrinalement acceptable dans ses rapports avec la Cité. Les historiens anglo-saxons ont, depuis plusieurs années, beaucoup insisté sur la nature de ce problème qui est, à leurs yeux, lié à la séparation du Sacré et du Profane inscrite au cœur de la foi chrétienne et à l’attitude doctrinale de st. Paul, très complexe dans la pratique à l’égard du judaïsme et de ses prescriptions14. Ce qui ne laisse pas de côté non plus, comme s’y sont attachés aussi les théologiens et les sociologues, la question de la corrélation entre la netteté des idées sur Dieu (doctrine, orthodoxie) et le degré d’organisation des structures religieuses dans leur rapport avec la société.
11La relation citoyenneté et religion est, pour ces raisons, d’une très grande importance. Pour le pouvoir romain, la question de l’acceptation ou du refus des chrétiens, c’est à dire d’une rivalité entre Rome et le christianisme est cruciale. Car avec le temps, les chrétiens forment un groupe de plus en plus considérable. Il devient même socialement et politiquement dangereux, à partir du iiie siècle. C’est dire l’intérêt de connaître l’arrière plan historique, culturel et juridique pour comprendre la nature de ce phénomène qui ne doit pas être réduit à sa seule dimension théologique abstraite15. Il est aisé de constater que le pouvoir romain serre les rangs. Il change d’attitude par rapport au laxisme religieux qui avait été la pratique antérieure des anciennes fondations religieuses et accorde une attention de plus en plus vive à l’extension du christianisme. Dans le même temps, les chrétiens sont bénéficiaires de la désorientation sociale qui prévaut, surtout au iiie siècle. Beaucoup de gens sont à la recherche d’une nouvelle identité, dans de nouveaux groupes et autour de nouveaux chefs. Ce besoin, au sens politique et social du terme, a aussi des conséquences religieuses16.
12Ces constatations faites, il ne faut pas nier cependant, que le problème de l’identité religieuse et politique est rendu difficile par l’existence d’une obscurité terminologique propre à l’Antiquité elle-même. La pertinence du rapport des chrétiens vis à vis de la citoyenneté et de l’État dépend de ce que l’on met sous cette étiquette. L’on a, récemment, souligné les conséquences d’une projection des notions modernes sur des réalités antiques très différentes et les risques d’anachronisme réducteurs17. Il faut donc considérer que l’étude du vocabulaire propre aux chrétiens, aussi bien grec que latin, et qui leur sert à aborder la question de la citoyenneté, est indispensable. Il exprime en effet des valeurs spécifiques. Certains auteurs parlent de méta-valeurs romaines qui ne sont pas du tout les mêmes que celles des chrétiens dont la nouvelle axiologie contient une sotériologie diffuse (un messianisme nouveau, différent de celui des juifs). Or la langue est toujours histoire, comme elle cherche, derrière les apparences, la réalité du fonctionnement politique18. De même, la place éminente accordée à la conscience et à la loi, chez les Pères chrétiens des premiers siècles, correspond à un état d’esprit très éloigné des conceptions anonymes étatiques modernes, alors qu’elle rejoint celle de la pietas du civis romain. Elle est très personnaliste. En particulier dans la conviction que les abus et les maux dont souffre une société proviennent du mépris où l’on tient les préceptes divins dans la Cité.
13Ces questions de méthode posées, il paraît possible d’isoler, dans l’attitude des premiers chrétiens, deux caractéristiques bien identifiables. Elles ne sont pas seulement tributaires d’une période donnée, encore que les moments de persécution en révèlent plus profondément la nature et les manifestations. Elles tournent aussi autour de l’idée de « grande et petite patrie » qu’elles empruntent aux argumentations cosmopolites stoïciennes et plus particulièrement cicéroniennes, mais en y introduisant des notions tout à fait originales propres au christianisme19.
14La « grande patrie » offre aux chrétiens un ensemble de conditions positives. Elle les autorise à accepter de collaborer aux exigences de la Cité. Celle-ci est vue sous un angle englobant, une κοινη morale, base d’une société politique selon la nature, où les chrétiens sont, par leur foi et ses exigences, tout naturellement de bons citoyens et dans laquelle le ius gentium apparaît comme un facteur (commun dénominateur) qui permet de concilier le monde impérial romain et la communauté des nations préalables à la Cité céleste.
15La « petite patrie », au contraire, est exclusive. Elle regroupe ceux qui pensent être d’une autre race et que l’on reconnaît tels pour les exclure. L’écart se creuse alors entre cette « pars melior (ou) odiosa humani generis » chrétienne et la société constituée autour de l’empereur. Celui-ci est devenu « Maître et Seigneur ». Il apparaît comme une image de référence (είχών) totalement inacceptable aux yeux des chrétiens. Ce qui explique autant les débats nourris au sujet de la citoyenneté et ses devoirs que la nature « civique » des persécutions20.
I - LA GRANDE PATRIE ET LES CONDITIONS DE L’ACCEPTATION
16La question de l’acceptation par les chrétiens des normes et des voies pratiques communes en usage dans la société romaine, ainsi que de l’usus politique impérial doit partir, nous semble-t-il, non pas d’abord des exigences externes qui les déterminent, mais d’un ensemble de conditions internes au christianisme lui-même. Car les débuts de la construction de la citoyenneté chrétienne révèlent moins les emprunts et les refus de Rome que les conditions et les conséquences de l’échec de l’évangélisation (mission chrétienne) dans le milieu juif21. Celle-ci entraîne de facto la prédominance des éléments pagano-chrétiens de la Grande Église, la rupture avec Israël, l’extension de l’Évangile aux nations. Déjà, Marcel Simon avait, il y a quelques dizaines d’années, souligné l’importance de la transition entre le ier siècle, où la citoyenneté chrétienne prend appui sur la conception d’un peuple constitué autour de la conjonction juifs-gentils22 et le iie siècle, au cours duquel le nouveau peuple s’affirme comme un Israël d’un type original, universaliste, qui rallie (comme l’Empire) toute l’humanité23.
17Il s’agit d’une situation qui n’est pas sans peser longuement dans la vision chrétienne du pouvoir politique. Puisque c’est sur elle que prend appui encore Origène dans son argumentation contre Celsus. Il lui rend par là-même des points, en acquiesçant au fait que, en réunissant l’οίκουμένη sous un unique pouvoir, Rome a créé un seul peuple. C’est ce qui a préparé la venue du Christ, en empêchant l’isolement des nations. Par cette construction de l’espace politique né de l’impérialisme romain, la citoyenneté romaine a incontestablement facilité la formation de la civitas chrétienne24. Avec toutefois l’introduction d’une perspective historique jusqu’alors inconnue. Pour les chrétiens, dès le début de la réception du Message évangélique, l’histoire est d’ores et déjà dépassée, parce qu’elle est comprise à partir d’une transcendance qui l’englobe toute.
18Cette situation explique, non pas le ralliement, mais un certain consentement aux institutions et à l’autorité de Rome. Elle résulte, d’une part, du caractère plus contrasté qu’il n’y paraît de la réalité du pouvoir impérial dans la période du Haut-Empire. Comme on a pu l’écrire : « Que de diversités cachées sous une majestueuse façade ! Diversités régionales pour les cités et les peuples, italiens et provinciaux ; mais surtout, peut-être, diversité des comportements réels par rapport à une norme...dont nous ne saisissons guère l’application concrète, et pour tout dire le vécu »25. L’Occident et surtout l’Orient offrent des exemples variés de citoyenneté et même des citoyennetés multiples (c’est le cas des gens aisés) qui laissent possible la jouissance de libertés non négligeables, pour peu qu’on n’aille pas contre les lois de Rome26. Il existe même des possibilités d’échange de citoyenneté (ίσοπολιτεία). Ou encore l’octroi de la citoyenneté, pour repeupler des cités ou renforcer le corps civique (άναπληρωσις). Ces pratiques anciennes, hellénistiques ont marqué les populations, même juives, et l’on a ainsi montré que la famille de Paul de Tarse en avait été le bénéficiaire.
19D’autre part, une autre considération entre en jeu et elle n’est pas des moindres. À de nombreuses reprises, les auteurs chrétiens insistent sur le fait que la société politique est une exigence de la nature humaine. Elle dérive du caractère sociable de l’homme. Même Lactance, si porté à être pessimiste sur la question de justifier les structures politiques de la Cité, le reconnaît27. L’on est sur une sorte de terrain anthropologique commun où la rencontre de Rome et des chrétiens est tout à fait possible, d’autant qu’il s’y ajoute un élément complémentaire qui lui donne une résonance amplifiée et qui réunit citoyens romains et croyants dans le Christ : c’est la nature morale de la citoyenneté.
20Pour les romains, en dépit de l’importance du substrat juridique la citoyenneté est avant tout morale. De l’association, du contrat « social et politique » initial, naît une nature morale de l’homme. C’est ainsi qu’est constitué l’homme politique romain, l’homme politique idéal, le bonus, l’optimus civis »28. Or, dans la conscience politique des chrétiens, la citoyenneté est aussi inséparable de cette même nature morale. Elle doit être plus encore éloignée de toute légalité formelle. Elle doit simplement être juste. Elle relève du juste. Ce n’est pas seulement une question se rapportant à l’établissement de critères de nature juridique, même si ceux-ci sont importants29. Bien sûr l’État assure l’ordre, la paix sociale (ce qui est sa fonction naturelle) et donc le citoyen y trouve un ensemble de conditions propres à ce qu’il recherche. Il lui est alors facile d’obéir aux lois et aux coutumes et par là-même d’être bon et loyal. Mais les apologistes vont plus loin : Justin, par exemple, souligne combien les règles humaines sont nécessaires et que l’autorité du Censeur est indispensable au fonctionnement de la société. Car, écrit-il : « Nier l’existence d’une sanction de la vie morale...c ‘est détruire la base de toute vie politique et sociale et rejeter les règles humaines »30.
21Ainsi, toujours selon l’apologiste grec, la confession d’être un civis n’enlève-t-elle pas la nécessité de se comporter en bon citoyen. De la même manière, l’accusation portée contre un chrétien (à partir du seul nomen christianum) ne dispense pas de vérifier s’il est un bon ou mauvais citoyen. C’est un argument qui lui sert d’ailleurs à laisser tout son rôle à la justice qui doit faire la preuve du caractère répréhensible du comportement et non pas le lier simplement à une qualité juridique et politique31. L’adresse de Justin à l’empereur Antonin le Pieux (à ses fils adoptifs, au Sénat et au populus romanus) n’est pas seulement un catalogue défensif, elle est tout aussi bien un énoncé des facteurs de la communion sociale naturelle qui réunit les chrétiens et le corps politique romain, autour des mêmes exigences de piété et de sagesse. Le loyalisme civique auquel répond l’attitude des adeptes du Christ est centré sur la bonne conduite, le respect de la religion qui n’est pas contraire à la raison, la paix et la charité universelle, la soumission à l’impôt32.
22Même si ce rappel de l’apologiste et martyr du iie siècle prend place dans ce que Ch. Munier appelle les thèses d’un « avocat de la cause perdue des chrétiens »33, il souligne aussi combien la citoyenneté chrétienne s’inscrit dans un schéma politique qui inclut les caractères communs de la civitas romaine. C’est d’ailleurs tout à fait vérifiable dans l’examen des bases sur lesquelles repose l’attitude conciliante des apologistes et qui sont, sans équivoque, de nature morale. Elles s’appuient sur la solution scripturaire apportée à la question de la légitimité de l’État par st Paul (Romains XIII, 1-7). À partir de cette fondation, st Irénée, Justin, Tertullien, Origène pour se limiter aux plus explicites, ne craignent pas d’affirmer que les vertus chrétiennes sont aussi des vertus civiques romaines34. Bien plus, le civisme des chrétiens est renforcé par leur désir de faire la volonté de Dieu et la crainte de son jugement35. Le fait que l’expression de la citoyenneté passe par un langage de nature théologique « chaque communauté doit être une image de la Sainte Église de Dieu qui est sur terre et dont les membres sont dispersés sur la terre », comme le souligne fortement Harnack36 n’en réduit pas la portée et les exigences, au contraire. Elle oblige les chrétiens à être un modèle par l’esprit de fraternité qui les unit. Elle est comme un exemple pour les « étrangers », c’est à dire le monde du dehors. Ce qui est une réponse à l’orgueilleuse affirmation de l’aristocratie qui se considère comme la « pars melior humani generis » et qui entend le rester.
23Les chrétiens sont donc tout dévoués au bien commun et à la construction de la Cité terrestre. Leur utilité sociale n’est pas remise en cause par leur attachement au Royaume de Dieu37. Une large part du travail d’explication et de défense des apologistes consiste, en effet, à élaborer une théologie de l’État et de la communauté politique, en tenant compte de la perspective du Salut. Le citoyen est défini, non seulement par rapport à une orthodoxie, d’autant plus ferme qu’elle prend place dans un contexte marqué par des tensions eschatologiques et des persécutions, mais selon une orthopraxie qui conjugue une conduite morale rigoureuse (celle du christianus) et le respect d’un ordre cohérent de nature politique (celui où opère le comportement du civis)38.
24Ce terrain de rencontre de l’utilitas reipublicae et de l’utilitas chrétienne porte en germe une riche démonstration : tous les auteurs chrétiens, à quelques exceptions près, témoignent de la coïncidence entre la pratique des vertus, selon la foi, et les mores civiques les plus exigeantes. Le désintéressement, l’hospitalité, la recherche de la paix, le respect des lois de la Cité sont la marque d’un bon citoyen39. Pour Origène, qui en fait une obligation stricte, seuls les chrétiens sont de bons citoyens, car leur obéissance aux lois postule une limite morale décisive, lorsqu’ils refusent « des lois qui ne sont plus des lois »40. Ce point n’est pas sans lourde conséquence et l’on sait, par Tertullien, combien les citoyens chrétiens appartenant aux classes supérieures de la société ont mal supporté de devoir rester à l’écart des fonctions publiques, pour des raisons tenant à l’incompatibilité entre la règle de leur foi et des pratiques civiles marquées désormais d’un sceau d’infamie41. C’est dans ce sens restrictif, mais moralement et politiquement fondé, qu’il faut comprendre le « τί παρά τους νόμους πάττωντας » (activités contraires aux lois) de Justin42.
25La pertinence de ces thèses, dans leur rapport à l’histoire politique de l’Empire, est encore soulignée, a contrario, si l’on retient l’esprit qui les anime dans l’examen des forces qui militent, au cours du iiie siècle, en faveur du maintien de l’unité de l’Empire, et tout particulièrement le rôle de l’empereur Aurélien comme « pacator et restitutor orbis ». Ne sont-elles pas l’expression d’un monisme politique (dont les œuvres de Justin et de Tatien, par exemple débordent), avec l’affirmation d’une seule religion au service d’un pouvoir impérial déclinant et agressé de toutes parts et qui cherche une issue dans la mise en place d’un étatisme croissant ? Il provoquera certes une attitude de refus très ferme de la part des chrétiens43, mais c’est aussi parce qu’il est le résultat d’un abandon de la vieille utilitas publica (au sens de l’intérêt commun à tous les hommes - utilitas hominum - qui englobait par la même les chrétiens), devenu nécessaire en raison de la situation de l’Empire. Le pouvoir implique désormais un type particulier de relations entre les citoyens et l’État. Incamé dans un autocrate dominus, devenu de plus en plus souverain, mais entouré d’une institution étatique à qui l’on doit des obligations multiples de plus en plus contraignantes44.
26Il reste une autre question importante en ce qui concerne l’adhésion, revendiquée, des communautés chrétiennes, à la loi commune de l’Empire. Elle tient à la fois aux débats qui se multiplient à propos de la résolution des conflits entre la conception étroite et large du droit de cité au moment de la naissance du christianisme, comme elle dépend également des caractères concrets des différents modes d’intégration à la citoyenneté, de leurs relatives variétés, ainsi que des libertés qui en découlent et dont certains chrétiens sont les bénéficiaires.
27Un retour à la vieille conception de la citoyenneté romaine, et en particulier aux discussions apparues autour de la lex Licinia de civibus redigundis de 95 a.C. semble, à cet égard, nécessaire. Non seulement parce que cette loi (qui entend barrer l’accès jusqu’alors facile des alliés à la citoyenneté) est connue comme une des causes principales de la guerre civile de la fin du ier siècle, mais parce qu’elle a eu, de ce fait, pour résultat final, la généralisation de la citoyenneté romaine à travers la municipalisation de l’Italie et donc la mise en place des prémisses d’une politique d’élargissement de la citoyenneté à tout l’Empire qui trouve son achèvement dans la Constitutio Antoniniana de 21245. Cette politique mettra fin à la vieille division de la société romaine bâtie sur le dualisme d’un droit strict (ius civile) – principe juridique fondateur de l’organisation urbaine - et d’un droit naturel (ius gentium) unissant tous les hommes étrangers à la civitas. Et l’on sait (L. Winkel) que la distinction entre le ius civile, ius gentium et ius naturale a été élaborée spécialement par Ulpien pour justifier l’esclavage.
28La question politique posée pour les alliés de Rome : devait-on les accueillir largement dans la citoyenneté, puisqu’ils avaient contribué à aider la Cité dans ses conquêtes, allait devenir un des problèmes clés pour la société romaine46 ; de la même manière que celui de son propre élargissement sera débattu vigoureusement dans les toutes premières assemblées chrétiennes dont les Actes font mention47.
29En prenant le parti de ceux qui refusent toute concession, la loi Licinia Mucia entraîne la rupture des anciennes alliances et la guerre, mais provoque aussi l’élaboration du projet d’une Italia où tous les hommes seraient citoyens de la nouvelle cité. Cette loi est cependant tout à fait dans la ligne des conceptions des juristes préclassiques dont les auteurs du texte sont les derniers représentants. Ceux-ci sont en effet partisans d’une vision cohérente et dualiste du monde. On y trouve, d’une part, un principe de base selon lequel la nature contraint l’homme à vivre avec tous ses semblables, dans des relations fondées sur une aide mutuelle et en conformité avec les exigences d’une bona fides qui trace des limites à ne pas dépasser. De l’autre, il existe un droit pour tout homme de fonder des cités en tenant compte des exigences de son être et de ses particularités propres, dans lesquelles il mènera une existence conforme à ses intérêts individuels, familiaux et patrimoniaux spécifiques.
30Cicéron nous a transmis des traces de cette doctrine des juristes préclassiques. Il affirme à plusieurs reprises l’existence de deux sociétés : une société large et une société plus restreinte qui regroupe ceux qui appartiennent à une même nation ou une même cité. Ce qui postule, à ses yeux la distinction du droit des gens et du droit civil48.
31Ce qui est important pour notre propos, c’est que ce dualisme juridique et politique est au cœur des relations sociales de toute l’Antiquité et que, par conséquent, lés premiers chrétiens y sont confrontés dans leur manière de concevoir leurs rapports avec l’ensemble du corps social et même « toute l’humanité », puisque celle-ci fait partie de la définition de l’orbis (οίχουμένη) chrétien. Il est patent chez les Grecs qui refusent tout mélange possible avec les barbares. Il part de la constatation de l’impossibilité de partager avec tout le monde les fruits de la terre, l’habitat, les richesses acquises par le travail et l’ingéniosité. Il s’établit sur une sorte d’avarice, séparatrice, qui refuse la communion des biens et des personnes.
32Cette volonté de préserver le territoire et les biens de la cité est une force de nature anthropologique. Elle ne trouve pas son expression première dans les barrières de la langue ou dans celles de la communauté du sang ou de la culture. Il existe, en effet, dans l’homme, des éléments asociaux qui ne relèvent pas de la nature, de son être constitutif premier, mais des conditions historiques de son apparition et de son développement. Ils exigent qu’il puisse mettre à l’écart, enlever à autrui ce que le travail de ses ancêtres a péniblement réalisé au cours des ans. C’est ainsi qu’il réalise son existence autonome. Par là-même, l’être individuel affirme sa volonté de posséder des choses à part et d’en exclure les autres49.
33Ainsi, l’homme a-t-il deux patries. La première le rattache à toute l’humanité. Elle lui vient de la nature. La seconde est celle de sa cité – sa patrie que lui ont légué ses ancêtres.
34Toutefois, les idées formulées autour de cette partition (du point de vue de la science politique en général - civilis scientia), ne sont pas seulement réductibles à ce dualisme du système juridique dans lequel le ius civile apparaît comme un droit qui sépare les hommes entre eux et protège des intérêts particuliers, et le ius gentium : un droit qui garantit des principes solidaires communs. On y trouve aussi un fort courant selon lequel, l’amour de la patrie conduit à l’amour de tout l’univers50. Cela se traduit dans un culte social consacré aux vertus universelles que symbolisent les mots : Pietas, Mens, Virtus, Fides51. Chaque Cité doit ainsi travailler à servir deux buts, auxquels les chrétiens se rallient sans réserve : protéger sa propre identité, mais aussi concourir à la réalisation de l’unité de l’humanité en admettant, en son sein, par une hospitalité généreuse, le reste des hommes. C’est dans ce contexte idéologique qu’intervient la Lex Licinia Murcia avec sa logique individualiste et particulariste. L’écho de son échec se trouve renforcé par le fait que l’Imperium procède davantage du ius gentium que du ius civile. Et ce ius gentium crée une civilisation nouvelle en favorisant naturellement le maximum d’intégration des peuples étrangers, tout en gardant l’idée qu’il s’agit d’un droit civilisateur52.
35Sur ce socle d’une identité composite de la citoyenneté se greffent des particularités dont quelques unes peuvent être brièvement relevées, car elles confortent chez les premiers chrétiens une acceptation tacite du pouvoir politique.
36La question est historiquement complexe et il n’est possible de la traiter ici que d’une manière sommaire. Elle doit être appréciée en fonction de la situation chrétienne. C’est à dire en tenant compte du fait que le christianisme est d’abord oriental. Or la domination de Rome en Asie s’est exprimée, sur le point de la citoyenneté, de façon particulière. Rome n’a pas imposé aux anciennes πολιτείαι - districts organisés autour d’un centre urbain (pas exactement des cités au sens habituel du terme) des modes de fonctionnements copiés sur le sien53. Au contraire, la domination de Rome a amplifié un processus d’urbanisation dans lequel la cité grecque continue de constituer le cadre de la vie publique, sociale et culturelle (par exemple, la cité est le sanctuaire local de tous les dieux (Πάντές θεοί). Elle est désormais gréco-romaine. L’appartenance à de grandes familles, à des castes, conserve un caractère supra - civique. Ce phénomène renforce encore plus les citoyennetés multiples. Enfin, être grec est un état très supérieur à celui de barbare, même si juridiquement, il n’y a pas de différence entre le grec d’une cité et un paysan de la Cappadoce - ils sont tous les deux des pérégrins.
37Au ier siècle, la qualité de grec est considérée comme une étape presque indispensable à l’accès à la citoyenneté romaine. Or le recrutement des chrétiens grecs d’Asie Mineure montre une importante concentration de citoyens romains appartenant au milieu élevé de l’aristocratie municipale. Beaucoup sont des notables parfaitement intégrés et même des membres éminents de la société civique54.
38Enfin l’interrogation sur le fait que cette situation ne concerne pas directement le milieu juif tombe très vite, en raison des nombreux exemples d’intégration des juifs dans le gouvernement de certaines cités d’Asie. L’exemple bien connu de st Paul – citoyen romain – laisse place à d’autres cas où des juifs sont mentionnés en tant que citoyens de cités (Éphèse, Sardes). A ce titre, ils gèrent des magistratures civiques, s’occupent des liturgies, jugent de leurs affaires par le moyen de leurs propres tribunaux. Les documents chrétiens et juifs les plus contemporains l’attestent (Actes 19, 23-40 – Flavius Josèphe)55.
39Ce constat à la fois historique et juridique, à propos de la grande patrie, permet d’apporter quelques éléments quant à la connaissance de la réalité de l’acceptation des devoirs de la citoyenneté, la place occupée par les adeptes du christianisme dans la vie publique et surtout les conditions politiques auxquelles ils sont confrontés et vis à vis desquelles ils sont amenés à composer. Mais il convient aussi de prendre la mesure des refus qui sont au cœur des relations entre les chrétiens et la cité. Le dilemme inscrit au cœur du christianisme prend alors une signification politique qui dépasse de loin les simples difficultés de se comporter en bon citoyen « esse pro cive », même au pris de changement d’habitudes, de mœurs (mutare habitum). Il est fondé sur une conscience politique chrétienne autrement plus exigeante, longtemps de nature eschatologique, dans laquelle l’image (είχών) de référence qui inclut la révérence due au pouvoir impérial, ne peut s’accommoder d’une simple adhésion traditionnelle.
40La petite patrie est exclusive. De même que la communauté des saints qui réunit désormais les adeptes de la religion du Christ, elle dépasse les frontières de l’État et de la société romaine traditionnelle. Lorsque la conscience de ce qui réunit les chrétiens dans la foi est plus forte que ce qui les rassemble politiquement, les réflexes « identitaires » sont nombreux et la coexistence entre l’univers romain et les chrétiens est marquée par des incompatibilités majeures. L’on voit alors que le terrain de rencontre de ces trois siècles est plein d’incompréhensions et de ruptures. Il contient en germe toutes les tensions futures de l’histoire, comme il porte aussi la marque du choix fondamental de la conscience dans lequel s’inscrit nécessairement la citoyenneté chrétienne.
II - LA PETITE PATRIE ET LES RAISONS DU REFUS
41L’expression ne doit évidemment pas être prise dans sa dimension réductrice terrestre, au sens d’un territoire particulier, d’une commune, ville ou région. Elle ne découle pas non plus d’un quelconque enracinement personnel, selon la tradition, dans lequel la communauté du sang rassemble, à l’instar des vieilles familles, tous ceux qui sont rattachés à un ancêtre commun, ainsi que leurs familiers « οίχέται, famuli ». Ici, nul héritage grec de οίχος, du γενος, ou de la gens romaine. Ce qui compte est beaucoup plus de nature théologique et morale, même si d’autres composantes peuvent être dégagées.
42Il convient, tout d’abord, d’apporter une attention particulière au fait que les premières communautés chrétiennes ont une conscience propre : celle de constituer une communauté eschatologique. Ainsi, l’Apocalypse qui a été reçue, avec une certaine hésitation par les églises d’orient est-elle accueillie par les chrétiens occidentaux qui la lisent dans une transcription latine et qui n’ont aucun doute sur son auteur (saint Jean)56. Les chrétiens ont reçu, dans l’envoi même de la Pentecôte, l’effusion de l’Esprit Saint qui, dans le même temps qu’il les détourne du ciel où leurs regards étaient levés dans l’attente du retour du Christ, leur donne comme mission de s’appliquer à la conversion des nations. Ce point ne relève évidemment pas de la simple expression historique, mais il doit cependant être gardé en mémoire pour comprendre la nature et les formes empruntées par la résistance chrétienne à l’univers politique, social et culturel romain. La vieille formule des « saints » par laquelle se désignent eux-mêmes les membres des églises en est le signe le plus manifeste. Or, elle apparaît dès les toutes premières phases de la constitution de l’Église57. Dès son origine, celle-ci est vue comme une communauté sainte (άγια έχχλησια). Et en particulier l’Église- Mère de Jérusalem.
43Cette conviction forte, inébranlable, est associée à une mise en garde vis à vis du monde. Le premier réflexe (on n’ose pas dire devoir) du chrétien n’est donc pas de se mettre, sans réfléchir, au service de la communauté politique, mais de se garder des dangers qu’elle recèle. À chaque fois qu’il le peut, st Paul montre les risques encourus, et au tout premier rang, celui d’être esclave du monde, de ses erreurs, des pensées vaines, des éléments sans valeur, ni force. Dans cet esprit, retourner au monde (sauf pour le convertir) est considéré comme un abandon de la foi initiale qui unit le chrétien au Christ58.
44Cette attitude contient également un jugement sur le monde. Il n’est ni neuf, ni propre au christianisme, car ses expressions bibliques et intertestamentaires sont bien connues59. Mais, pour les chrétiens, le salut final est devenu une réalité beaucoup plus tangible. Au cours des deux premiers siècles, elle est même vécue à l’échelle des générations humaines, à laquelle ils doivent participer directement par leur foi. Nul doute que la théorie et la pratique ne soient ici mêlées. À tel point que pour certains historiens anglo-saxons, toute l’ecclésiologie de ces premiers temps du christianisme est marquée par une empreinte pragmatique en ce qui concerne la citoyenneté chrétienne. C’est elle qui serait la clé des manifestations de refus ou d’acceptation des obligations sociales et politiques60.
45Ces thèses intéressantes par la richesse de leurs perspectives et la variété de leurs exemples semblent toutefois trop éloignées de toute considération théologique. Dans la citoyenneté chrétienne, il y a une dimension verticale (communauté des saints), on l’a vu, qui s’ajoute à la dimension horizontale traditionnelle. Il faut en extraire les éléments les plus significatifs. Cet unisson est fondé sur des croyances bibliques très fortes dans lesquelles on trouve une mentalité portée à tout diviniser61. Il faut aussi ajouter - ce qui est particulièrement pertinent à partir du iie siècle, où l’Empire est de plus en plus tributaire des années, tant pour sa protection aux frontières que dans la constitution elle-même du pouvoir politique devenu très fragile sur le plan institutionnel - qu’il y a une opposition irréductible entre les chrétiens et la violence de l’État et de la société romaine. Les chrétiens refusent la violence comme loi, car la nouvelle finalité de l’histoire, depuis la mort du Christ, est fondée, à leurs yeux, sur une consécration et un rachat de la violence qui fait de cette dernière le fondement du salut des hommes. La Fax romana et la Pax christiana sont inconciliables. Ce qui explique leur longue réticence à accepter qu’un soldat puisse être chrétien et à refuser, encore plus radicalement, qu’un baptisé ou un catéchumène puisse devenir soldat62.
46Les auteurs chrétiens s’attachent à montrer que désormais la destinée humaine n’est plus aucunement redevable d’une quelconque appartenance à un corps politique et social particulier. C’est une rupture religieuse, culturelle et politique considérable, dans une antiquité romaine (ou grecque antérieurement), où les liens avec une Cité – un Empire – portaient le sceau de l’héritage d’une glorification et même d’une divinisation de l’autorité et qui prétendait à l’éternité de sa civilisation (témoin l’exaltation culturelle de la Roma aeterna)63.
47Maintenant le salut n’a plus de dimension sociale. Ce qui déracine profondément le rapport citoyen - chrétien. Pour les intellectuels romains, c’est une trahison des plus graves et une attitude complètement fausse, car toute l’histoire de Rome infirme une telle conduite. En développant ses institutions, en imposant sa loi aux autres peuples, la Cité a réalisé le devoir inscrit dans son mythe originel, depuis la vieille leçon de Virgile (Enéide 6, 852) : faire régner la paix « paci imponere morem ». Ce sentiment reste profondément ancré dans la conscience politique des romains. Celse, rapporté par Origène, parle de l’Empire comme d’un îlot de civilisation au milieu des barbares.
48Même si tous les Pères de l’Église ne sont pas d’accord sur ce point -car certains montreront que l’Église est en sûreté dans l’Empire, alors que partout ailleurs elle serait livrée aux barbares - st Augustin se fait encore l’écho de cette séparation qui caractérise les rapports politique et foi. Dans son analyse pourtant raisonnée de l’histoire de Rome, il écrit qu’il n’importe pas, pour le salut éternel, que l’on soit sujet d’un prince ou d’un autre et que les empires sont des vaines gloires64.
49Cet éloignement vis à vis du pouvoir politique, si tangible des premiers âges chrétiens, et qui les enferme parfois dans une attitude sectaire, repose sur leur conscience d’être « étrangers au monde » (extranei a turbis selon l’expression de Tertullien)65. Ce sentiment ne doit pas surprendre. Les chrétiens et les païens ont la même perspective du caractère étranger du « corps chrétien ». Là encore, la leçon des historiens anglo-saxons est très éclairante lorsqu’ils soulignent que leur séparation radicale sur le plan idéologique est même éclipsée par le fait qu’ils constituent un groupe nettement isolé du reste du corps social66. Car il ne faudrait pas croire que, pour les auteurs chrétiens, il existe une confusion entre la sphère de l’ordre naturel et la communauté religieuse. Bien au contraire. Lorsque Tertullien écrit « fratres autem etiam vestri sumus iure naturae matris unius » (nous sommes même vos frères par le droit de la nature, notre mère commune), il n’entend pas que cette commune humanité engendre une identité entre les hommes du point de vue de l’appartenance religieuse. Pour lui, cette dernière ne relève évidemment pas de l’ordre naturel. Le citoyen chrétien a fait, en professant sa foi, une démarche personnelle, spontanée et libre. Il a posé, par là même, de nouvelles conditions à son appartenance politique et sociale67.
50Il ne faut toutefois pas exagérer la dimension de ces refus. L’Église des martyrs a opposé un « non possumus » à l’État impérial et à de nombreuses formes de son activité politique, mais elle n’a jamais appelé à se révolter contre lui. Souvent les chrétiens font de la résistance passive, plus ou moins catégorique68. Mais leur action se trouve freinée en raison de leur croyance en la certitude d’un châtiment divin suprême qui résultera inéluctablement de la victoire finale du Christ. C’est ce qui est révélé a contrario par l’étude des persécutions au cours desquelles les chrétiens sont châtiés cas par cas, selon le type d’infraction à la citoyenneté69. L’on trouve surtout des exemples qui dénoncent la vision conquérante de Rome et en particulier l’idée d’une citoyenneté agressive vis à vis des autres peuples
51Cela explique aussi la longue résistance à l’acceptation du service militaire. Le soldat citoyen est un des plus actifs artisans des conquêtes. Il est une pièce maîtresse de la pietas civique traditionnelle et de l’orgueil de Rome qu’elle inclut. Toutefois, ces sentiments, si forts soient-ils, ne vont pas jusqu’à la contestation totale de la légitimité des institutions politiques. Mais ils l’ébranlent progressivement70.
52Pour bien comprendre les raisons politiques de cette attitude, il convient de ne pas les séparer d’un jugement plus général qui doit être porté sur la fonction des institutions impériales romaines. Depuis l’empereur Auguste, le pouvoir a cherché à centrer la romanitas autour de l’Urbs, pour éviter à l’Empire d’être fragmenté et que le risque d’une société ouverte (au sens de Karl Popper) et plurielle n’aboutisse à sa disparition. Il en a résulté que l’Empire, né de la contrainte militaire, a fini par traiter les peuples conquis comme des citoyens ordinaires et les citoyens ordinaires comme des peuples conquis71. Ce qui a été, de fait, une cause supplémentaire de tension entre les chrétiens persécutés et l’État. E. Cizek a bien souligné que le milieu du iiie siècle est particulièrement touché par ce phénomène, au temps d’Aurélien72. Il aboutit à une grave crise d’identité dont la « cause des causes » réside dans cette incapacité de l’Empire à se fédérer, à couvrir un territoire immense et à continuer à faire vivre ses habitants selon un même système de valeurs, sans lequel il perd peu à peu sa raison d’être.
53Dans certaines régions, la volonté de vivre en romain est plus forte qu’ailleurs, mais cela correspond souvent à un patriotisme grossier (que symbolisent les mots « fora, templa, theatra »). C’est le fait d’une culture élémentaire pratiquée par des soldats, par exemple. Ce qui éloigne encore plus les chrétiens d’un esprit civique militaire auquel ils sont malgré tout confrontés en raison des levées obligatoires73. Le loyalisme est de ce fait largement défaillant, d’autant que le critère de la légitimité politique impériale est lui-aussi considérablement affaibli. Il est devenu difficile de distinguer un usurpateur d’un empereur légitime, particulièrement dans les provinces frontalières où les sécessions des populations sont nombreuses, ainsi que celles des généraux (70 empereurs entre 193 et 284).
54Les changements sociaux sont tout aussi nets. Tertullien, Origène s’en font l’écho. Et le phénomène va croissant. Le christianisme n’est plus une religion d’esclaves, de femmes et d’enfants. Cela explique la nature « civique » des persécutions du iiie siècle contre des citoyens qui occupent une place décisive dans la société romaine et dont la loyauté est essentielle au bon fonctionnement de l’État, ainsi que celui de tout l’appareil culturel et religieux traditionnel, pour la période qui va de Dèce à Dioclétien74. Même si, d’autre part, la religion civique romaine s’est atrophiée et est beaucoup moins stricte75. En effet, le milieu du siècle correspond à la fin du modèle politique des classes riches, mais sa jurisprudence reste celle d’une classe, selon Max Kaser76. Alors que les membres de l’ordre équestre, en particulier, ainsi que l’ensemble de la classe sénatoriale sont de plus en plus portés par le désir de s’enrichir, s’enivrent de la jouissance des biens matériels et abandonnent la politique à la tyrannie des empereurs barbares, les citoyens chrétiens sont animés par la volonté de construire une nouvelle citoyenneté politique. Elle englobe non seulement les classes dirigeantes mais aussi tous les déracinés de l’ordre social (paysans cherchant du travail, soldats démobilisés, rentiers ruinés, esclaves). Ainsi se crée une nouvelle société, carrefour des masses urbaines et lieu d’une appartenance religieuse qui prend corps dans la communauté des églises locales et de leur solidarité.
55Le vocabulaire grec se fait le révélateur de cette appropriation sociale et de cette constitution d’une nouvelle « societas ». Les chrétiens opposent explicitement la charité, la pitié (ελεημοσύ νη) à la φιλοδωρία (le souci de la réputation, la munificence) qui motivait alors l’attention aux autres. La lecture de l’Évangile montre bien l’étendue de cette révolution sociale :
56l’Évangile est prêché aux miséreux « πολλοί », c’est-à-dire à tous les pauvres y compris ceux que la bienfaisance traditionnelle (bono benefactio) romaine ignore77. L’importance de ce phénomène ne doit pas être sous-évaluée. Il constitue une rupture profonde avec les comportements traditionnels. Il est politiquement plus important que l’encratisme sectaire qui caractérise encore certaines petites communautés repliées sur elles-mêmes et refusant toute compromission avec le siècle. L’« athéisme politique » en est une marque de reconnaissance et fait que le terme passe de la langue grecque à la langue latine lui donne une universalité à l’échelle de l’Empire. Bien au-delà de l’héritage judaïque hellénistique.
57La question de la « petite patrie » passe aussi par la persistance des liens hérités des communautés juives. Les chrétiens sont les disciples du Christ, mais selon les observations de leurs contemporains ils ne sont pas nés d’une quelconque filiation céleste. Leur nomen, tout d’abord, les enracine dans un univers tout à fait identifiable, même si leurs caractéristiques sont, pendant plus longtemps qu’on ne le croit généralement, difficiles à établir -tant à leurs yeux propres qu’à ceux de leurs adversaires.
58Jusqu’à une date difficile à établir, les premiers chrétiens sont seulement des « hairesis nazôraiôn » (Actes 24,14 ; 28, 22)78. Ensuite, au regard de la citoyenneté et de ses exigences calculées du point de vue judiciaire, le nomen christianus équivaut à un nomen criminis. C’est ainsi que dans la rhétorique judiciaire on commence toujours par l’énoncé du chef d’accusation. Pour les romains, il s’agit d’une question primordiale. Elle anticipe toutes les autres. Pour les chrétiens aussi. Les apologistes sont très attachés à montrer que, contrairement aux attaques des philosophes, des magistrats et de la foule de leurs adversaires, le nom de chrétien est plutôt synonyme de bons citoyens. Cela montre a contrario l’importance du nom pour les deux parties79, mais n’enlève pas toute sa complexité à une réalité historique confuse, dans laquelle coexistent toutes sortes de dénominations et qui fait que la citoyenneté romaine n’est pas encore contrebalancée, à la fin du iie siècle, par une unité structurelle et religieuse80.
59Dans ce même ordre de rapport avec le nomen, parmi les éléments les plus singuliers de l’opposition à la nature politique du pouvoir romain, il faut faire une place à la signification théologique du nom du Seigneur. L’on sait que le mot Seigneur a le sens de Dieu dans les Évangiles et que dans la version grecque de la Bible (dite des Septante, au iiie siècle a.C.) les traducteurs ont utilisé le mot Seigneur (Ο Κυριος) pour traduire Dieu. Ce qui explique que dans les régions de langue grecque, les premiers chrétiens, plutôt que de proclamer que César est Seigneur ont préféré le martyre. C’est peut-être dans cet esprit qu’il faut interpréter certaines réticences des chrétiens d’en appeler à César. Car l’on sait qu’il s’agit d’un droit majeur de la citoyenneté. Par là même, les adeptes du Christ signent leur refus d’être civis81. Car dans le monde ordonné du cosmos créé par le Logos, il n’y a pas de place pour un monde désordonné et indûment divinisé dont l’empereur romain serait le Dieu vivant.
60Ce point de la confusion prolongée entre juifs et chrétiens doit être soigneusement examiné. Il est sûr qu’au iie siècle (le discours de Celse l’atteste), les juifs utilisent le terme de « concitoyens » (πολίται) à propos des chrétiens. Cela signifie, à tout le moins, qu’aux yeux du philosophe romain, juifs et chrétiens ont la même origine82. Celse explique alors que les chrétiens ont fait sécession. Or non seulement cette situation montre l’importance de la matrice juive dans l’engendrement du proto-christianisme, débat qui est devenu depuis quelques années, chez les chercheurs, une « doctrina communis »83, mais oblige à tenir compte du fait que ce judéo-christianisme a vécu plus longtemps qu’on ne l’imagine souvent. Il ne faut pas créer des oppositions trop artificielles entre les différentes formes de judaïsmes (hellénistique - palestinien), même si cela est une théorisation confortable dans l’examen du développement futur du christianisme. Simplement, la pluralité des conditions juridiques des juifs a bien plutôt offert aux chrétiens des modèles dans leurs relations avec le pouvoir politique84. Et la Grande Église chrétienne de la gentilité a pu s’en servir pour mettre davantage l’accent sur ses caractères civiques propres85.
61En ce qui concerne le domaine juridique général, il ne faudrait pas laisser de côté les éléments de l’identité juive qui, dès le premier siècle, ont pu opposer les règles du droit civil de la patrilinéarité et de la matrilinéarité et dont il conviendrait de tenir compte pour examiner les conditions de l’ouverture du christianisme aux païens. Mais l’on peut aussi se contenter de relever la force de certaines prescriptions juives qui ont pu être utilisées pour constituer un obstacle spécifique à l’acceptation de la citoyenneté romaine et renforcer les attitudes chrétiennes de refus. C’est le cas des règles de pureté. Elles ne sont pas, à proprement parler, des prescriptions d’ordre éthique, mais plutôt destinées à sauvegarder l’identité du peuple élu, en maintenant vive sa conscience particulière d’avoir des liens directs avec Dieu. La parenté de ces interdits juifs et des avertissements déjà cités, de Tertullien par exemple, est très claire. Les uns et les autres (juifs et chrétiens) ne doivent pas se mélanger aux autres races. Suivant ce point de vue, certains chrétiens entendent former un groupe à part « politoïde ». Même si cela est plus facile, selon les époques, pour les chrétiens vivant du commerce que pour ceux qui entendent poursuivre une carrière administrative, ces règles font partie du respect de la politeuma (c’est à dire leur comportement en tant que citoyen) qui les sépare des païens, de leur société et de leurs institutions politiques86.
62Deux caractéristiques internes au christianisme amplifient ce retrait. Elles ont d’ailleurs constitué le sceau initial de l’identité chrétienne : le baptême et l’héritage du martyre. En effet, la période qui va du ier au ive siècle connaît un grand développement de l’initiation chrétienne qui s’adapte aux circonstances particulières dans lesquelles se trouvaient les communautés. Confrontées à un monde hostile, aux persécutions, ces dernières n’ont eu de cesse de renforcer leurs structures d’accueil, de manière à pouvoir vérifier, par des épreuves longues et complexes, le sérieux de l’engagement des néophytes. C’est toute l’institution du catéchuménat87. Dans cette perspective, il est aisé de voir dans les rites du baptême une sorte de pendant qui s’oppose aux rites romains de la citoyenneté : la lustratio, l’illumination (φωτισμός), la purification et la régénération qui en résulte88.
63Ainsi le baptême accomplit-il une transformation qui rend parfaitement égaux tous les croyants89. De plus, à côté du rachat qui ne peut trouver de comparaison politique immédiate dans le cadre de la citoyenneté romaine, le baptême est porteur d’un signe et même d’une marque comme celle en usage dans l’armée (στίγμα - σφραγίς) et par laquelle sont clairement identifiés les soldats qui font partie de la troupe combattante et qu’on ne peut alors confondre avec les ennemis. Enfin, l’existence de deux modes d’accès à l’Église, pendant quelques temps : l’un pour les juifs circoncis – de type eschatologique et l’autre pour les gentils – baptême d’initiation et de repentir leur enlevant toutes leurs impiétés, permet à tous (juifs d’origine et chrétiens venus du paganisme) de se reconnaître comme appartenant à un seul et même corps « ceux qui sont devenus les croyants en Christ » et, le cas échéant, de s’exclure totalement de la société politique. Caractère renforcé lorsque triomphe le modèle du baptême de pénitence associé à la mission de convertir toutes les nations90.
64Quant au martyre, il s’inscrit dans une tension eschatologique et une confiance totale dans la proximité de la Parousie. Il permet un accès direct et simplifié au Royaume de Dieu. Il libère par là-même le chrétien de sa tâche terrestre, puisque les conditions qu’on lui a faites, et le sacrifice dont il est l’offrande personnelle, le dispensent de tout autre preuve. Il marque son temps, spirituellement, mais aussi en tant que modèle de vie humaine. C’est à ce double titre que les martyrs sont des intercesseurs.
65Cette question n’est pas seulement réductible aux trois premiers siècles. L’historien anglais R. Markus notait, il y a quelques années, que dans l’Église Constantinienne - c’est à dire après que le christianisme et le pouvoir politique romain eurent constitué des liens tels que toute la communauté sociale et politique terrestre se trouvait englobée dans le champ de la foi, les chrétiens éprouvaient le besoin de se rassurer quant à la mémoire des martyrs. Ne la trahissaient-ils pas ? Comment pourraient-ils lui être encore fidèle91 ? Le poids historique de l’Église du refus se manifestait encore avec une grande force, à tel point qu’il n’est pas exclu d’y trouver l’explication de la naissance d’une autre identité exclusive : celle où les ascètes succèdent aux martyrs comme héros et intercesseurs.
66La question de la « petite patrie » et de ses refus restera longtemps posée. Parfois même de manière cruciale, en raison de la répétition des persécutions de l’ère de Dioclétien. A deux siècles de distance (IIe - IVe), les épisodes montanistes et donatistes expriment l’un et l’autre la persistance de ces tensions. Le premier cherche à la fois à être la vraie Église (au sens théologique) et à être reconnu officiellement par le gouvernement romain, mais comme une communauté de foi, pure de toute compromission, et qui se réfugie dans l’idéal. Le second témoigne d’un enthousiasme religieux délibérément provocateur contre les autorités, excluant toute participation à la vie politique. Il est porteur, à très court terme, de scissions entre les diverses communautés et refuse de voir la lente christianisation de l’Empire.
67Les montanistes sont ainsi les témoins de la solution radicale, dans laquelle le dilemme entre la citoyenneté politique et l’appartenance au christianisme est tranché sans nuance. Les donatistes ne voient pas que la solution qui sera prise par l’empereur Théodosien dans l’édit de Thessalonique, le 28 février 380, avait déjà été envisagée dès le iie siècle par certains apologistes92. Elle réunissait, à l’instar de la vieille Rome, la Religion et l’Etat. Elle posait le caractère exclusif du catholicisme. Elle faisait coïncider totalement l’identité chrétienne et l’identité politique.
68Cette situation nouvelle laisse un répit aux débats internes - et l’on sait qu’elle sera de longue durée. Elle oblige à mettre entre parenthèse la tension des premiers siècles et sa problématique93. La renonciation au monde est vécue autrement. Elle ne met plus en cause la citoyenneté politique et ses exigences propres. Apparemment, le dilemme est résolu et la question du comportement des chrétiens (dans leur vie publique en particulier, pour qu’elle soit compatible avec les exigences de la perfection chrétienne), posée de manière tout à fait différente. Un explication peut être trouvée dans le fait qu’il existe désormais une classe de « refusants ». Il s’agit des moines réguliers. Situés hors du monde, à l’écart de ses devoirs et de ses compromissions, ils sont chargés de racheter les fautes de tous, y compris celles des citoyens chrétiens ordinaires dont l’attitude est de plus en plus déterminée par une obligation de conscience plutôt que par des contraintes politiques et juridiques extérieures strictes (gouvernants compris). Le sujet de l’Église s’efface donc peu à peu derrière le citoyen. Toutefois, au-delà de ces exemples historiques, ce que l’on doit surtout retenir, dans les rapports entre les chrétiens et le pouvoir politique durant les trois premiers siècles, c’est l’exceptionnelle fécondité d’une tension qui a conduit la conscience chrétienne à tracer, le plus rigoureusement possible, les termes du débat dans lequel devait s’inscrire son adhésion ou son refus du politique, et par la même de la citoyenneté.
Notes de bas de page
1 Actes des journées internationales d’histoire du droit d’Angers, 30 mai-1er juin 1985, Presses de l’Université d’Angers, Angers, 1987, p. 25.
2 O. Montevecchi ; « Nomen Christianum », dans R. Cantalamessa, L.F. Pissolato (éd.), Paradoxos politeia. Studi patristici in onore de G. Lazzati, Milan, 1979, p. 485-500.
3 Andrea Giardina, L’homme romain, Paris, 1992, p. 20.
4 Cl. Nicolet, « Le citoyen et le politique », dans L’homme romain, A. Giardina, op. cit. p. 25-69. Voir en dernier lieu, O. Behrends, « Die oikumene der antiken Civitates und die Privatrechtsordnungen Europas und der Welt », dans Der praktische Nutzen der Rechtsgeschichte, H. Hattenhauer zum 8.September 2001, hrg. J. Eckert, C. F. Müller Verlag, Heidelberg, 2003, p. 23-61 « Das Imperium schützt nach aussen das Territorium und seine Bewohner, nach innen sorgt es für Recht und Ordnung, indem es die Rechtsformen gewährleistet... » (58-58).
5 FI. Dupont, Le citoyen romain sous la République, Paris, 1989, p. 85. La liberté fait perdre, par exemple, ses caractères à un nègre. Ce n’est plus qu’un trait de sa personnalité. Les caractéristiques ethniques ont cessé d’exister, au point que la liberté politique, liée intimement à la Cité, a pour conséquence que la notion de citoyen l’emporte sur celle de sujet.
6 Ibidem, p. 22-23.
7 De finibus 3, 19, 62. « La nozione di ‘romano’ tra cittadinanza e universalité ». Atti del II seminario internazionale di studi storici « Da Roma alla terza Roma », 21-23 aprile 1982, Univ. « La Sapienza », Roma, (Documenti e studi, 2), Napoli, 1984.
8 Cf. la fonction encore non négligeable des vieux piliers de la religion officielle, au milieu du iiie siècle : Roma aeterna. Victoire Augute, Jupiter Capitolin (optimus Maximum). R. Laurence, J. Berry (ed.), Cultural identity in the Roman Empire, London, New-York, 1998.
9 J. Gagé, Les classes sociales dans l’Empire romain, Paris, 1964, p. 255-260.
10 Commentaire sur Daniel IV, 8-9 (Sources chrétiennes 14, Paris, 1947, p. 278-279). Toutefois, Tertullien, change d’opinion entre l’Apologéticum, l’Ad nationes et ses autres œuvres marquées par le montanisme, comme le De idolatria, Ad scapulam, Scorpiace, De corona.
11 En 170, Méliton de Sardes adresse une apologie à Marc-Aurèle dans laquelle il plaide pour le christianisme : il est né avec l’Empire et lui porte bonheur, car depuis Auguste il a survécu sans dommage (cité dans Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique IV, XXVI, 7-8 : « έχ του μηδέν φαωλον απó της Αύγούστου άρχης άπαντησαι αλλατούναντίον απαντα λαμπρα χαι ένδοξα χατα τας πάντων εύχάς »). Origène bénit l’unification impériale, signe que Dieu a préparé les païens a recevoir le message du Christ Contra Celsum II, 30 (Sources chrétiennes 132, Paris, 1967, p. 260-263).
12 C’est le sens de l’accomplissement de la Pax Augusta vue dans la lecture du Psaume 72, 7, 8 et d’Isaïe II, 4. L’Empire est devenu l’instrument choisi par la Providence (Hist. eccl. I, 23).
13 Selon l’expression de H. Markus, The End of Ancien Christianity, Cambridge U.P., 1990.
14 La même attitude peut être vérifiée chez Minucius Felix, Octavius 2,4. Selon N. Baynes, ldolatry and the early Church, ces tendances au refus “are to be found at the heart of Christianity”, Londres, 1955, p. 124.
15 Cf. A. Destro, M. Pesce, « Conflitti di integrazione : la prima Chiesa e la Comunità Ebraïca nella polis » dans L. Padovese (éd.) Roma, la Chiesa e la sua storia, 1994, p. 105-138 ; réédit. Antropologia delle origini cristiane, Bari, 1995, p. 21-38 ; 39-62. Et plus récemment, les dernières mises au point dans M. Barbaglio, « Rassegna di studi di storia sociale e di ricerche sociologiche sulle origini cristiane », Rivista Biblica, 36 (1998), 377-410 ; 495-520.
16 E. R. Dodds, dans Age of Anxiety.Pagans and Christian, Cambridge, 1965, p. 137-138, est très clair: “membership of Christian community might be only way of maintening their self-respect and giving life some semblance of meaning”.
17 Cl. Nicolet (dir.), Du pouvoir dans l’Antiquité : mots et réalités, Droz, Genève, 1990, p. 5 et 6
18 C’est le « λόγω μεν έργω δε » selon Aristote et repris par Thucydide pour qui « ce sont les hommes qui font la Cité » et non les institutions « ανδρες γαρπόλις » VII, 77, 7 (discours de Nikias), traduction D. Roussel, Histoire de la guerre entre les péloponésiens et les athéniens, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1964, p. 1244. Pour ce qui relève du domaine latin, voir J. Béranger, « L’expression du pouvoir suprême chez Tacite », Du pouvoir dans l’Antiquité, op. cit. p. 205 et plus généralement Chr. Mohrman, Latin vulgaire, latin des chrétiens, latin médiéval, Paris, 1955.
19 G. D. Guyon, « À propos du cosmopolitisme chrétien (ier - iiie siècles) », Revue Méditerranées, n° 26 (2000), p. 55-74.
20 R. Minnerath, Les chrétiens et le monde, Gabalda, 1973, p. 256. G.D. Guyon, « Les persécution, st Cyprien et les lapsi. Notes sur la formation de la tradition disciplinaire dans les communautés chrétiennes du iiie siècle », revue Méditerranées, université Paris X-Nanterre, n° 4 (1995), p. 61-88.
21 A.v. Harnack, Mission und Ausbreitung des christentums, Leipzig, 1906, passim.
22 Actes 2, 37 ; 3, 25-26.
23 Verus Israël. Études sur les relations entre Chrétiens et juifs dans l’Empire romain (135-425), 2° éd., Paris, 1964, p. 101 s. C’est aussi un écho à l’intégration des peuples, des communautés indigènes, dans un ensemble politique et culturel commun, résultat de la conquête et qui finit par englober tout l’Orient grec. Grâce à la conquête, la fusion des élites s’accomplit par le moyen de l’extension de la citoyenneté. Cf. B. Holtheide, Römische Bürgerrechtspolitik und römische Neubürger in der Provinz Asie, Freiburg, 1983, p. 22-39. En Égypte, Syrie, aux bords de l’Euphrate (le roi Osroène est chrétien entre 179-216), en Asie Mineure où les chrétiens sont majoritaires, en Arménie, le christianisme apparaît comme la religion orientale la plus universelle et pouvant s’adapter à l’Occident. Pour beaucoup de peuples il y a un syncrétisme chrétien.
24 Contra Celsum II, 30. Cf. Cl. Lovisi, « Les espaces successifs de la citoyenneté à Rome », dans P. Gonod, J.-P. Dubois, Citoyenneté, souveraineté, société civile, Dalloz, Paris, 2003, p. 9-20.
25 Cl. Nicolet, Du pouvoir dans l’Antiquité : mots et réalités, Cahier du Centre Glotz, I, Droz, 1990, p. 4.
26 Cf. M. Sartre, Asie Mineure et Anatolie d’Alexandre à Dioclétien (ive s. a.C - iiie s. p. C), Paris, 1995, p. 219. Certains groupes sont très privilégiés. Ils bénéficient de la liberté d’avoir des institutions politiques, judiciaires, financières, un calendrier civil et religieux...
27 Institutiones divinae V, 5-7.
28 Cl. Nicolet, « Le citoyen et le politique », dans A. Giordina (dir.), L’homme romain, op. cit., p. 32.
29 M. Pribilla, ,,An der grenze der Staatsgewalt“, Stimmen derZeit, 141, 1948, p. 410-127.
30 Apologie II, IX, 1-2.
31 Ibidem, I, 3,1.
32 Apologie I, Adresses II, V, VII, IX, XI, XII, XV, 9 -10, XVII.
33 « À propos des apologies de Justin », Variorum, C.S.S., 1991, p. iii, 186.
34 1 Pierre, 2, 13-17 ; Épître à Tite 3, 1 « Rappelle à tous qu’il faut être soumis aux magistrats et aux autorités, pratiquer l’obéissance, être prêt à toute bonne œuvre, n’outrager personne, éviter la chicane, se montrer bienveillant, témoigner à tous les hommes une parfaite douceur », (traduction de l’École biblique de Jérusalem), Paris, 2000.
35 Justin, Apologie I, 17, 1-2 ; 3-4.
36 Histoire des dogmes, Cerf / Labor et fides, Paris, 1993, p. 5
37 Justin, Ibidem 1, 12, 1-5.
38 La leçon de st Irénée est des plus claires Adversus Haereses V, 24, 1-4 (traduction A. Rousseau), spécialement : 24, 2 « Car Celui sur l’ordre de qui naissent les hommes est aussi Celui sur l’ordre de qui sont établis des rois convenant à ceux qui, à tel moment, sont gouvernés par eux » ; 24, 3 : « afin que, soumis à une autorité humaine et éduqués par ses lois, ils parviennent à une certaine justice et usent de modération les uns avec les autres... ». Une des premières vertus de cette pédagogie politique doit apprendre à l’homme à modérer sa sauvagerie innée. Elle doit l’éduquer pour qu’il agisse « selon la justice et la légalité – διкαίως кαί νόμιμος ».
39 G. D. Guyon, « Les premiers chrétiens et les valeurs de la vie publique romaine : utilitas communis chrétienne et l’utilitas reipublicae », Revue Méditerranées n° 16, (1998), p. 89-115.
40 Contra Celsum IV, 37-40. Adde, les arguments d’Origène dans son Commentaire sur Romains IX, 26-28, cités dans Ch. Munier, « La doctrine politique de l’Église ancienne », Revue des Sciences religieuses, 62, Strasbourg, 1988, repris dans Variorum C.S.S., 341, 1990, p. ii, 42.
41 De Idolatria 17 ; 18 ; 19, 2.
42 Allusion au rescrit d’Hadrien et reprise par Tertullien, Apologétique 3 s.
43 Rome est la communis patria de tous les sujets, une idée de civilisation dont l’empereur (Pater patriae) est le symbole contre le Dieu des chrétiens. Cf. A. Chastagnol, L’évolution politique, sociale et économique du monde romain de Dioclétien à Julien. La mise en place du régime du Bas-Empire (284-363), Paris, 1985, p. 81 qui souligne la place du culte solaire (Sol Dominus Imperii Romani), par rapport aux autres cultes de la religion romaine ancienne et qui devient le centre de gravité du paganisme unifié, reconstitué et première garantie du loyalisme impérial. Son attitude reflète à la fois son besoin de la forte minorité des chrétiens dont il reconnaît la bonne influence dans l’Empire et la force de l’obstacle à l’obéissance civique qu’ils constituent face à la religion étatique païenne du culte solaire. L’adoration de l’empereur « Pius, Felix, Invictus » reçoit l’appui des éléments les plus conservateurs qui y voient un moyen de s’opposer à l’expansion chrétienne.
44 Sur cette question qui relève aussi des techniques du droit et des modes de gouvernement : G. Longo, « Utilitas publica », Labeo 19 (1972), p. 3-71 qui complète J. Gaudemet, « Utilitas », R. H.D. 29 (1951), p. 465-499 et surtout, J.-P. Coriat, « Technique législative et système de gouvernement à la fin du Principat : la romanité de l’État moderne », dans Cl. Nicolet, Du Pouvoir dans l’Antiquité, op. cit. p. 228.
45 O. Behrends, « La lex Licinia Mucia de civibus redigundis de 95 A.C. Une loi néfaste d’auteurs savants et bienveillants », dans Antiquité et Citoyenneté, Actes du Colloque International de Besançon, 3-5 novembre 1999, édité par St. Ratti, Institut des Sciences et techniques de l’Antiquité, Série Littératures et civilisations antiques, Presses universitaires Franc-Comtoises, 2002, p. 15-33.
46 Cf. Vellius Paterculus II, 15 : « universa Italia... arma adversus Romanos cepit. Quorum ut fortuna atrox, ita causa fuit iustissima. Petebant enim eam civitatem, cuius imperium armis tuebantur... », cité par O. Behrends, art. cit. p. 18.
47 Controverses d’Antioche et de Jérusalem, 15, 1 « Καί τινες χαλθόντες άπο της Ιουδαίας έδίδασχον τούς άδελφούς ότιέάν μή περιτμηθητε τώ έθει τώ Μωϋσέως, ού δύνασθε σωθνατ » ; 15, 6 : « Συνήχθησαν τε οί άπόστολοι χαί οί πρεσβύτεροί ίδεϊν περί του λόγου τούτου ».
48 De Officio III, 17, 69 : Societas est enim... latissime quidem quae pateat, omnium omnes ; interior eorum qui eisdem gentis sint ; proprior eorum qui eiusdem civitatis. Cependant, Cicéron ajoute qu’une cité doit permettre qu’à côté d’un droit strict qui lui est propre, il existe un droit humain unissant les citoyens avec les autres hommes.
49 C’est le sens de l’αμικτον καί ακοινωνητον et de la πλεονεζία dont parle le stoïcien Chrysippe pour qui c’est une force positive et déterminante dans la constitution des cités. C’est aussi ce que relève Clément d’Alexandrie dans les Stromates IV, 26 qui déclare que pour des nécessités pratiques les hommes d’une cité sont tantôt des citoyens séparés du monde tantôt membres d’une commune humanité qui admet tous les hommes gouvernés par un seul droit. Ce qui le conduit alors à nier la réalité des cités terrestres.
50 Fr. Wieacker, Römische Rechtgeschichte, Göttingen, 1988, p. 628.
51 O. Behrends, Die Gewohnheit des Rechts, n° 20, p. xxx et les notes 190-191.
52 C’est un point de vue partagé par les grands juristes du droit classique : Ulpien, « ius gentium est, quod humanae utuntur », 1, institutionum, Digeste 1, 1, 1,4. Hermogénien « ex hoc iure gentium introductae, discretae gentes, regna condita... », Digeste 1, 1, 5. Idée qui s’inscrit également dans la reconnaissance du ius divinum comme la plus haute instance de légitimation du pouvoir politique et des rapports sociaux, même pour les philosophes les plus sceptiques. Cf. O. Behrends, „ Der Ort des Ius divinum. Vom klasssischen Rechtssystem des skeptischen Rationalismus zur Rechtsquellenlehre des religiös legitimierten Kaisertüm“, Burgerliche Freiheit und Christliche Verantwortung, Festschrift für Christoph Link, hrgg. H. de Wall, M. Germann, Mohr Siebeck, 2003, p. 557-585 : „ Das ist nach skeptischem Urteil nur in den unter den Menschen beobachtbaren und als ius gentium universalisierbaren Rechtsverhältnissen möglich“ (p. 559) ; „ Fur die politische Herrschaft bedeutete das, daβ das ius divinum zur höchsten Legitimationsinstanz wurde“ (p. 583).
53 M. Sastre, L’Asie Mineure et l’Anatolie d’Alexandre à Dioclétien, 1995, p. 138, 146, 209.
54 C’est ce que traduisent, en particulier les formules « euméniennes » tombales discrètes qui mentionnent des citoyens chrétiens ‘bouleutes et gérontes’, M. Sastre, L’Asie Mineure, op. cit. p. 332. Les exemples pris dans les textes chrétiens sont nombreux pour la région anatolienne et ne peuvent être cités (Epître aux Galates, Actes des Apôtres : églises d’Ephèse, Antioche de Pisidie, Lystra, Derbé, Hiérapolis, Phrygie). Au début du iie siècle, Pline le Jeune souligne la christianisation des régions occidentales de l’Asie (Lettres à Trajan, 10, 96-97, Paris, Les Belles Lettres, 1972.
55 Cf. Chr. Saulnier, « Les lois romaines sur les juifs selon Flavius Josèphe », Revue Biblique, 81 (1988) p. 161-198. Le même phénomène a pu être observé pour les non juifs qui formeront le groupe des craignant-Dieu ‘ θεοσεβεί’
56 Tertullien ne doute pas « Ioannes vero in Apocalypsi idolothyta edentes et stupra committentes iubet castigare » De praescriptione haereticorum 33. G. Bonner, Church and Faith in the Patristic tradition, CSS, Variorum, Aldershot-Hampshire, 1996, XII, p. 3 “Furthermore, there seems to have been in Latin Christianity - at least in North Africa, the cradle and nurse of Latin Theology – a stem enthusiastic element, to wich the vision of the Apocalypse made an immense appeal”.
57 Actes 9, 13 (τοις άγίοις), 32 (τούς άγίους) 41(τούς άγίους); 26, 10 (των αγίων), Romains 15, 25 (διαχονησα τοις άγίοις) - 31 (γένηται τοις άγίοις); I Corinthiens 14, 33 (πάσαις ταις έχχλησία των άγίων διδάσχω); 16, 1 (Περί δέ της λογίας της είς τούς άγίους); II Corinthiens 8,4 (τήν χοινωνία της διαχονίας της είς τούς άγίους); 9, 1 (Περί μέν γάρ της διαχονίας της είς τούς άγιους).
58 Cf. Épître aux Colossiens 2, 8 « χατά τήν παράδοσιν των άνθρώπων χατά τά στοχεια του χόσμου χαί ού χατά χριστού ». Galates 4, 9 « Comment retourner encore à ces éléments sans force, ni valeur, auquels à nouveau, comme jadis, vous voulez vous asservir ? » (τως έπιστρέφετε πάλιν έπι τά άσθενη χαί πτωχα στοιχεια, οις πάλιν άνωθεν δουλέυειν θέλετε).
59 G. D. Guyon, « Messianisme et eschatologie dans la conscience politique des premiers chrétiens (i-iii siècles) », Colloque Millénarisme, messianisme, eschatologie, Fondation Singer-Polignac, Paris, 1998, Revue française d’histoire des idées politiques, 10 (1999), p. 229-246.
60 G. Bonner, « Schism and Church Unity », dans Church and Faith in the Patristic Tradition, CSS, Variorum, Londres, 1996, XVI, p. 219. Du même, “The extinction of Paganism and the Church Historian”, Ibidem, XVII, p. 342.
61 Cette divinisation atteint toute chose. Le ciel et la terre sont des hymnes à la gloire de Dieu (Job 3817- Psaumes 148, 2-3).
62 G. D. Guyon, « La paix et la guerre dans les écrits chrétiens des trois premiers siècles », Revue Méditerranées, n° 20 (2001), p. 103-127.
63 R. Paschoud, Roma aeterna, Institut suisse de Rome, 1967.
64 Cité de Dieu 4, 3-6, 15 ; 5, 17, (éd. L. Jerphagnon), Paris, 2000.
65 Apologétique 31. Le mot « turbis » peut aussi se rapporter non pas à la société politique, mais à la foule désordonnée.
66 R. A. Markus, « From Augustine to Gregory The Great », History of Christianity in the Late Antiquity, Variorum CSS, 1983 (the problem of Self-definition: From Sect to Church, I, p. 13: ” Their doctrinal distinctiveness, however defined, was reinforced, sustained, perhaps even eclipsed, by their sociological distinctness as group set, literally, apart from their world ”.
67 Apologétique ΧΧΧΙΧ, 8-9.
68 Justin, Apologie I, 17; Théophile d’Antioche, Ad Autolycum I, 11. Attitude qui prend plutôt la forme d’un discours et non d’un complot contre les puissances publiques.
69 Tertullien en donne quelques exemples : Apologétique 2, 16 ; 10, 1 ; 24, 1 ; 28, 2 ; 35, 1, 5, 10. Minicius Felix, Octavius 12, 5. R. Mentxaka a étudié les persécutions en partant de ce point de vue politique et social et montré le poids de l’ignominie attachée à une condamnation qui excluait toute la famille du reste de la communauté civique. « les persécutions du christianisme à l’époque de Septime Sévère », dans Église et pouvoir politique, Journées internationales d’Histoire du droit, Angers, 1985, p. 66.
70 Encore que sur ce point, les attitudes sont variables, même chez le seul Tertullien (l’Apologétique soutient Rome, alors que d’autres œuvres la condamnent De oratione 5 ; De spectaculis 29 ; De fuga 12 ; De resurrectione 22). Quant aux écrits qui soulignent le rôle du citoyen qui porte les armes, certains sont très nets : Tertullien, Ad nationes II, 17 ; Apol. 25 ; Minucius Felix, Octavius 25 ; Lactance, Institutions divines V, 16,4. G.D. Guyon, « La paix et la guerre dans les écrits chrétiens des trois premiers siècles », art.cit., p. 103-127.
71 Comme le notait Georges Bernanos, « L’égalité absolue du citoyen devant la Loi est une idée romaine. À l’égalité absolue devant la Loi doit correspondre, tôt ou tard, l’autorité absolue et sans contrôle de l’État sur les citoyens » La France contre les robots, Paris, 1970, p. 43.
72 L’empereur Aurélien et son temps, Paris, 1994, p. 29. Paradoxalement, « la généralisation de la citoyenneté romaine avait engendré des tendances centrifuges », avec çà et là des îlots de résistance comme nous le rapporte Eusèbe de Césarée Hist. ecclés.7, 30, 78 à propos du conflit (entre 268 et 272) qui oppose les deux évêques de Palmyre où, chrétiens et juifs ne souhaitent pas que Palmyre remplace Rome.
73 M. Christal, « Armée et société politique dans l’empire romain du iiie siècle (de l’époque sévérienne au début de l’époque constantinienne), Civiltà classica e cristiana, 9, 1988, p. 169 s.
74 Pour M. Sordi, Il cristianesimo e Roma. Storia di Roma, Bologne, 1965, p. 217-231 ; « I rapporti fra il cristianesimo e l’impero dai Severi a Galieno », ANRW 23/1 (1979), p. 346-351, c’est ce qui explique, dès le iie siècle, la « rage antichrétienne » des populations, l’ignominie attachée aux condamnations de citoyens chrétiens et qui soustrait leurs familles du reste de la communauté civique.
75 C’est ce qui ressort de leur jugement dans le Ad scapulam, Apologétique 6 et le Contra Celsum.
76 Das römische Privatrecht, 2e édition, tome 1, München, 1971, p. 186, 284.
77 Luc 4, 18 : « Πολλα μέν ού χαί έτερα παραχαλών εύηγγελίξετο τον λαόν ». G. D. Guyon, « Les premiers chrétiens et les valeurs de la vie publique romaine (ier-iiie siècles). « l’utilitas communis chrétienne et l’ « utilitas reipublicae », art. cit., (charité chrétienne et patronage romain) p. 112-113.
78 « Ομολογω δε τοντό σοι ότι χατά την όδον ην λέγουσιν αίρεσιν... » - « περί μεν γαρ της αίρέσεως... ».
79 Cf. Les arguments de Tertullien, Apologétique 3,5 ; Ad nationes I, 3, 8-9.
80 Ces confusions de nom reflètent les rivalités des « petites églises ». Cf. sur les dénominations grecques des premiers chrétiens, M. A. Vannier, O. Wermelinger, G. Wurst (éd.), Antropos laïkos. Mélanges Alexandre Faivre, Fribourg, 2000. (Θεοσεβεις – φοβούμενοι τον Θεον – ίουδαιζοντες – χριστανός. Phénomène que W.H.-C. Frend, Martyrdom and Persécution in the Early Church, Michogan, 1965, p. 186 avait traduit en mettant en évidence l’interchangeabilité des termes : “The term for Jewish proselyte ‘theosebes’ became interchangeable with christianos in Antioche..” et le fait que les “Jews and Christians were not early distinguished by civil authorities”. À cet égard, l’exemple d’Antioche a bien été souligné, M. Clayton, N. Jefford, « Reflexion on the rôle of jewish christianity in second-century Antioche », dans Le judéo-christianisme dans tous ses états, Cerf, Paris, 2001, p. 147.
81 Cf. G. Lanata, Gli atti dei martiri corne documenti processuali, Milan, 1973, p. 72-73.
82 Origène, Contra Celsum II, 1.
83 Fr. Blanchetière, « La contribution du doyen Marcel Simon à l’étude du judéo-christianisme », dans Le judéo-christianisme dans tous ses états. Actes du colloque de Jérusalem, 6-10 juillet 1998, Lectio divina, éd. du Cerf, Paris, 2001, p. 22.
84 Selon Flavius Josèphe, les juifs citoyens d’Alexandrie ne sont pas alexandrins, mais ils ont les mêmes droits que les grecs (ισομοιρία, ισοπολιτεια), Antiquités XII, 8 ; XLX, 281. Guerre des juifs VII, 44, p. 519 ; II, 487-488, p. 281-282 (traduction P. Savinel, éd. de Minuit, Paris, 1977).
85 V. Fusco, Les premières communautés chrétiennes. Traditions et tendances dans le christianisme des origines, Cerf, 2001, p. 25-28 (bibliographie récente).
86 Cf. 1 Lettres d’Aristée à Philocrate IX, 139 et 142 (traduction A. Pelletier, Sources chrétiennes n° 89, Paris, 1962), p. 170 et 172 « Le Législateur, dans sa sagesse, instruit par Dieu dans la connaissance de toutes choses, nous a entouré de palissades sans failles et de murailles de fer, afin que nous ne nous mélangions d’aucune manière à aucune race, en nous gardant de toute doctrine insensée, adorateurs du Dieu unique et puissant ». Sur cette question, la bibliographie est ample, par exemple : E. M. Smallwood, « The jews under Roman Rule. From Pompey to Diocletian », Leyde, Studies in Judaism in Late Antiquity, 20, 1976, p. 120-143. H. Conzelmann, “Heiden – Juden – Christen. Auseinandersetzung in der Literatur des hellenistisch-römischen Zeit”, Tûbingen, Beiträge zur historischen Theologie, 62, 1981, 7- 42 et la synthèse de E. Schürer, Storia de! popolo giudaico a! tempo di Gesù Cristo, (éd. G. Vermes, F. Millar, M. Black) II, Brescia, 1987, spécialement p. 114-118 ; 567-571,
87 A. Benoît, Ch. Munier, Le Baptême dans l’Église ancienne, éd. P. Lang, Berlin/Paris, 1994, p. xxv.
88 Justin, I Apologie LXI, 4-13.
89 Ισότης, V. Saxer, Les rites de l’initiation chrétienne du iie au ve siècle. Esquisse historique et signification d’après les principaux témoins, Spolète, 1988.
90 G. Kretschmar, Die Geschichte des Taufgottesdienstes in der alten Kirche, Leitourgia 31, 1970.
91 The end of Ancien Christianity, Cambridge Univ. Press, 1990, p. 24.
92 Justin, Apologie i, 2, 12, 14, 39, 53, 57, 61, ou encore Tatien, Discours aux Grecs (A. Puech, Recherches sur le Discours aux Grecs de Tatien, suivies d’une traduction française du Discours avec notes, Paris, 1903), 7, 5 ; 24, 3 ; 27,6 ; 28, 1 ; 32, 1.
93 D. Stalter-Fouilloy, Histoire et violence. Essai sur la liberté humaine dans les premiers siècles, P.U.F., Paris, 1990, p. 27.
Auteur
Professeur à l’Université Montesquieu - Bordeaux IV
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