Avant-propos
p. 9-11
Texte intégral
1Constatant qu'aucune étude n'opposait les notions de fait du créancier et de faute de la victime, M. Le Magueresse eut l'ambition de confronter la responsabilité délictuelle et la défaillance contractuelle à cet égard. L'observation de départ est que le fait du créancier et la faute de la victime sont fréquemment confondues en jurisprudence, tant dans le domaine de la garantie contre les vices cachés que dans celui de l'obligation de sécurité et de l'acceptation des risques, ou encore au sein des contentieux de la résolution et de l'exception d'inexécution. Le but de sa démarche fut de démontrer que, bien qu'amalgamés en jurisprudence et en doctrine, ces mécanismes exonératoires signalent des spécificités propres à leur domaine. La notion de victime fautive ne doit être utilisée que dans le domaine délictuel, puisqu'à ses yeux le terme de victime présuppose un dommage corporel. La notion de fait du créancier, à l'instar de la faute de la victime, n'est véritablement adaptée qu'au régime de la défaillance contractuelle. Pour lui, cette expression ne doit être employée que lorsque le créancier d'une obligation contractuelle inexécutée a contribué, par son fait ou par sa faute, à l'inexécution ou à la mauvaise exécution de l'obligation de son débiteur.
2En second lieu, la notion de « cause exclusive », peu employée par le législateur mais figurant très souvent dans les arrêts, suscita sa curiosité. Selon lui, elle ne doit pas être uniquement considérée comme une cause d'exonération de la responsabilité civile. Lorsqu'elle se détache de la force majeure, la cause exclusive devient pour le juge une véritable cause de non-imputabilité. Il s'ensuit que coexistent sous le même vocable deux notions différentes, qui traduisent sa double fonction : celle d'une cause d'exonération, parfois doublée de celle d'une cause de non-imputabilité.
3À la lumière de ses observations du Droit positif, certains changements lui apparurent comme nécessaires, voire indispensables. Le premier porte sur les « petites victimes fautives » (selon l'expression de Lapoyade-Deschamps). Aujourd'hui, la Cour de cassation est implacable à leur égard. Les juges sanctionnent très durement les enfants qui ont la malchance d'être reconnus comme ayant commis une faute dans la survenance du dommage. L'auteur milite pour un traitement juridique plus humain de leur situation (comme le font assez régulièrement les juges du fond). Pour y tendre, il suffirait de renoncer à la pure analyse in abstracto de leur faute. S'agissant d'apprécier leur comportement, il se fonde sur Rodière pour combiner les approches subjective et objective (au lieu de privilégier l'une ou l'autre). L'avant-projet de réforme du droit des obligations opte d'ailleurs pour un retour à l'appréciation du discernement pour reprocher à un enfant sa propre faute et, ainsi, minorer ou exclure son droit à réparation. Cette ultime étape du retour à une dimension humaine de la faute des petites victimes leur épargnerait d'avoir à assumer le poids de circonstances dont elles n'ont pas perçu la dangerosité.
4M. Le Magueresse se demande ensuite s'il est nécessaire de transposer dans notre système juridique l'obligation de minimiser le dommage. Il n'est pas favorable à l'émergence d'une « obligation » de minimiser le dommage en tant que telle, dans la mesure où notre système juridique n'est pas démuni pour parvenir à un tel résultat (la faute de la victime en matière délictuelle, et le manquement au devoir de collaboration dans le domaine contractuel).
5Un changement significatif lui est également apparu comme nécessaire lors de l'analyse de la force majeure. Il souhaite qu'à la triade « extériorité, imprévisibilité et irrésistibilité » soit substitué le duo « extériorité et inévitabilité ». Ce dernier critère permettrait la synthèse des notions d'imprévisibilité et d'irrésistibilité qui, prises isolément, bloquent l'exonération. En effet, qu'il soit prévisible et irrésistible ou imprévisible et résistible, un évènement peut être inévitable. L'adoption de ce critère pourrait utilement redonner sa juste mesure au contentieux de l'exonération du transporteur, dont les tribunaux font aujourd'hui un véritable garant. Les arrêts de l'Assemblée plénière du 14 avril 2006, qui ont infléchi la rigueur de la Cour de cassation dans l'analyse de l'imprévisibilité et de l'irrésistibilité, ne remettent pas en question ce changement souhaité. Le critère fondateur de la force majeure, qui est l'extériorité de l'évènement, semble avoir été éludé par l'Assemblée plénière. Les critères proposés par M. Le Magueresse auraient permis de procéder à une exonération, sans dénaturer l'analyse de la force majeure en mettant à mal l'exigence d'extériorité. Ces développements impliquent une conception large de l'exonération. Logiquement la force majeure ne devrait pas être considérée comme une cause exonératoire de la défaillance contractuelle ; car, en réalité, elle constitue un cas d'extinction de l'obligation préexistante (et donc de l'obligation aux dommages et intérêts) ; alors qu'en matière délictuelle la force majeure empêche la naissance de l'obligation, puisque le dommage n'est pas imputable à l'agent. Mais, puisque le régime de la défaillance contractuelle a été contaminé par celui de la responsabilité délictuelle, il est devenu habituel d'analyser la force majeure comme une circonstance exonérant un débiteur contractuel ; l'auteur s'insère dans ce courant, sans doute inconsciemment.
6S'agissant enfin du sort du préjudice réfléchi, dit par ricochet, sa pensée fut orientée par celles d'auteurs selon lesquels « la solution rationnelle » est celle de l'inopposabilité de la faute de la victime initiale aux victimes par ricochet1. En effet, il est difficile d'admettre que les tribunaux puissent leur opposer la faute de la victime directe pour refuser la réparation de leur préjudice personnel. Cette solution ne se comprend en réalité que lorsque ces victimes exercent leur action à titre successoral, tenant ainsi leur droit du défunt, victime directe.
7Quant à la notion de fait du créancier, le contrat de cautionnement attira particulièrement son attention. Bien qu'étant le seul à connaître la figure légale de fait du créancier (C. civ., art. 2037), il n'a guère été étudié sous cet angle. L'approfondissement du fait du créancier dans le domaine spécifique du droit des sûretés s'est révélé d'une richesse insoupçonnée. Grimant le vocabulaire de la responsabilité civile, les juges ne voient dans le fait du créancier de l'article 2037 du Code civil que l'élément déclencheur du bénéfice de subrogation, permettant à la caution de ne pas acquitter la garantie due au créancier du débiteur garanti. Cependant, les tribunaux exigent que le fait du créancier soit exclusif pour ne libérer que partiellement la caution. En effet, celle-ci n'est libérée que dans la mesure des droits préférentiels perdus par le fait du créancier et garantis par le bénéfice de subrogation. Un objectif de cohérence conduisit l'auteur à proposer un fondement renouvelé du bénéfice de subrogation, permettant d'harmoniser les modalités jurisprudentielles de libération de la caution. Ce fondement est celui de la caducité partielle du contrat de cautionnement pour perte partielle de l'objet de l'obligation de la caution. Celui-ci présente à ses yeux le mérite d'effacer les incertitudes passées, quant aux différents fondements envisagés, et de donner à l'article 2037 du Code civil l'assise qui lui faisait défaut. La proposition est ingénieuse, mais je me demande si la notion de « caducité partielle » est recevable (je crois qu'il y a caducité totale ou pas de caducité).
8Enfin, l'auteur s'intéressa aux quasi-contrats, pour lesquels il suggère une approche unitaire de la faute, qui aurait le mérite de renforcer l'unité de la notion. Il est en effet singulier que la faute soit aujourd'hui un obstacle à la formation de l'enrichissement sans cause et de la répétition de l'indu subjectif, alors qu'elle est une simple source de responsabilité dans la gestion d'affaires et la répétition de l'indu objectif. Selon lui, la faute dans ce domaine devrait être cantonnée au rôle d'un instrument de mesure de la réparation.
***
9Le survol de quelques-unes des idées fortes de M. Le Magueresse, auquel je viens de procéder, démontre qu'il ne se contente pas d'une synthèse, étayée par une excellente connaissance et analyse de la matière. Il pose les bonnes questions, émet des critiques argumentées et raisonnées sur certaines positions, tout en suggérant de pertinentes évolutions sur d'autres, afin d'adapter et de renouveler le Droit positif dans le domaine de son étude. Son dessein fut de redonner une certaine cohérence au fonctionnement des deux causes d'exonération que sont le fait du créancier et la faute de la victime. Le lecteur ne sera peut-être pas toujours convaincu, mais il ne pourra qu'apprécier l'originalité et la modération des propositions. L'ouvrage, animé de bout en bout d'un souffle humaniste, ce qui est assez rare, constitue une contribution intéressante au Droit des obligations. Il est enrichi de graphiques et de schémas, et comporte des annexes considérables, constituant un remarquable outil de travail. Le style est limpide. Or, plus qu'une qualité intellectuelle, la clarté est une vertu morale, car elle atteste la probité d'un esprit qui se refuse au laisser-aller et aux facilités de l'à-peu-près. J'y vois la marque de l'auteur.
Notes de bas de page
1 B. Starck, H. Roland, et L. Boyer, Obligations, 1. Responsabilité délictuelle, Litec, 5e éd., 1996, p. 466, n° 1135. Mais ils ajoutent qu'elle « choque le bon sens ».
Auteur
Professeur émérite de la Faculté de Droit de Toulouse
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