La représentation dans les premières églises chrétiennes
(i-iiième siècles)
p. 77-93
Texte intégral
1“The Christian concept of representation is different from that of parliamentarianism, for two reasons. First, the leaders of the people of God, even if they are elected, do not receive their authority from below, but from above, by sacrament and mission. Secondly, faith cannot be represented by anyone, because salvation is something eminently personal, and cannot be attained by proxy”1
2Les conceptions juridiques au moyen desquelles s’exprime l’adhésion d’une communauté, qu’il s’agisse du choix d’un chef ou de l’établissement d’une règle, montrent clairement qu’il existe trois formes différentes : l’intervention directe, la collaboration et enfin la représentation. Ces trois modes se retrouvent dans l’Église, depuis le début de son histoire. Soit qu’elle les ait empruntés à des institutions antérieures, romaines en particulier, soit qu’elle les ait au contraire renforcés, ou même donnés en héritage.
3Cette simple remarque posée, il ne faudrait pas en déduire que l’Église puisse être totalement assimilée à n’importe quelle institution politique. Et en particulier, que les règles et les qualificatifs juridiques communs aux organisations politiques, absolues ou démocratiques peuvent lui être appliqués sans aucune réserve. La nature de l’Église, sa finalité propre, le fondement et la forme de sa communauté, tant matérielle que spirituelle (l’Église est – à la fois – une communauté spirituelle et une société humaine), obligent à ne pas se contenter de l’examiner d’une manière strictement juridique. Même si ce dernier trait est le plus nettement visible dans ses lois propres et ses institutions de gouvernement. La communauté ecclésiale, par exemple, n’est aucunement réductible à un groupe social quelconque. L’Église n’est pas une structure démocratique dans laquelle le peuple est souverain. Elle est une société instituée d’en-haut. Ainsi, le terme κοινωνìα ne correspond-il pas au sens profane de société, mais a une signification reprise de l’Ancien Testament grec « peuple élu et convoqué par Dieu ». La communauté est aussi, selon les définitions théologiques, un corps mystique, dans lequel les fidèles sont « unis par l’Esprit-Saint ». Elle est plus encore, pour reprendre des formules classiques, « le corps du Christ lui-même ». Dans le Nouveau Testament, le mot grec πληθος est souvent employé, non pas dans le sens d’une foule indéterminée, mais comme un groupe défini, constitué, capable de prendre des décisions importantes (de la même manière le terme πολλοí, contrairement à óχλος (Actes 4, 32- 15, 12 ; Marc 3, 7-8 ; Luc 19, 37)1. Tout cela n’exclut pas, évidemment, l’existence de règles, de hiérarchies et d’organisation des pouvoirs, mais, et c’en est une conséquence décisive, ne libère pas ces éléments juridiques, ces mécanismes – fussent-ils complexes et extrêmement proches des autres communautés politiques – d’un enracinement religieux propre dont ils sont tout à fait inséparables.
4Les exigences tirées de la nature spécifique de l’Église obligent donc à s’efforcer de conserver conjointement à l’esprit, dans l’examen de la représentation, un certain nombre d’éléments théologiques indispensables à sa compréhension, ainsi que des notions juridiques, plus traditionnelles sans doute, mais elles-mêmes plus ou moins influencées par le long héritage de la pratique cléricale. Pour ne prendre que quelques exemples majeurs la question de la légalité, le charisme des autorités, en particulier celui des évêques, la notion de peuple chrétien, la confusion de la communauté locale et de l’universalité2, le « corpus unus » et son corollaire nécessaire l’unanimité, les problèmes liés au langage utilisé par les premiers auteurs chrétiens.
5Si l’on s’en tient seulement à la question de la représentation, Harnack posait déjà au xixème siècle le problème suivant « Par qui et quand l’Église parle-t-elle ? ». Et il apportait d’emblée un élément de réponse, en écrivant que c’est l’Esprit-Saint qui confère finalement son autorité à sa parole. La représentation dans l’Église en est très étroitement tributaire. Il s’agit d’une affirmation que corroborait déjà, sous une autre forme, saint Augustin, lorsqu’il écrivait « Ego Evangelio non crederem nisi me catholicae ecclesiae commoveret auctoritas »3.
6La période en cause n’est pas non plus indifférente. L’on sait qu’entre le premier et le troisième siècle les chrétiens sont confrontés à l’attitude souvent hostile du pouvoir romain. Ce qui explique que dans les moments de persécution, les tendances apocalyptiques, messianiques, millénaristes connaissent un regain d’activité, même si certains auteurs formulent déjà des modes de conciliation, voire de compromis avec les autorités impériales4. Ainsi, se fondant sur une acceptation évangélique formelle des autorités politiques, reprise par st Paul, beaucoup d’auteurs chrétiens opposent à la légalité un jugement moral. Ils demandent, à la fois, à l’autorité politique d’exercer ses prérogatives avec justice, selon le droit, mais ils réclament également le droit de désobéir aux lois iniques. Cela introduit dans le jeu politique un ferment permanent de contestation et montre que la politique chrétienne et la politique romaine ne se situent pas sur un même plan5. En outre, cette attitude chrétienne enlève aux modes opératoires de représentation, issus de la société politique romaine, une bonne part de leur force, ou du moins oblige à leur associer (parfois même à leur substituer), des formes religieuses plus charismatiques, souvent d’origine juive vétéro-testamentaire.
7Il y a donc, on le constate, des ingrédients originaux qu’il convient de mettre en évidence pour tenter de souligner les caractères propres de la représentation dans l’Église des premiers siècles. En effet, pour les premiers chrétiens, la présence de Dieu est littéralement vécue et témoignée. Dieu est au milieu d’eux. Ce caractère est tout spécialement mis en exergue dans le « rapport » de la conférence dite aussi - concile de Jérusalem - dans les Actes, où l’accent est mis sur Dieu « Il a paru bon au Saint-Esprit et à nous »6. Un tel langage peut paraître étrange. Mais pour les chrétiens de ce temps, il n’est aucunement présomptueux. Il exprime la conviction d’un fait. Comme il témoigne, dans sa sincérité, de l’essence de la foi chrétienne Dieu est en tout et son Esprit travaille à ce que la vérité puisse s’exprimer dans les communautés, aux moments les plus décisifs, alors même que les débats et les rivalités sont les plus forts. Ce qui était effectivement le cas pour cette réunion, dans laquelle, à la fois, la question de l’unité de l’Église, le mode et l’universalité de sa mission étaient en jeu. Et où bien sûr, le problème de la représentation commence d’être déjà posé7.
8Il faut s’arrêter d’abord sur quelques points relatifs à la théologie du système de la représentation dans l’Église ancienne8. Dans les trois premiers siècles du christianisme, ce qui domine, dans les modes d’organisation et de fonctionnement, ce ne sont pas – en premier lieu – les données juridiques, en tant que telles. Mais en faire la constatation ne doit pas se limiter à relever simplement la force des charismes qui sont cependant indéniables dans l’autorité épiscopale, ou encore la légitimité de son ministère, en particulier. Il convient d’insister aussi sur les conséquences dérivées de l’expression politique de l’idéal communautaire, de la notion de peuple de Dieu et de l’imbrication d’une vision locale et universelle de l’Église en ce qui concerne la représentation.
9De la même manière, il n’est pas non plus possible de traiter de la représentation en omettant la force d’une certaine cohérence de pensée -chez les chrétiens, comme dans la communauté civique de Rome -autour d’une grille de lecture personnelle du pouvoir politique9.
10Les structures politiques chrétiennes de la représentation existent, bien sûr, mais d’une manière seconde. Cela est patent dans l’Église primitive, jusqu’à ce que la mise en place d’institutions juridiques stables (à partir du ivème siècle), la plupart héritées de Rome, permette de vérifier que la représentation, dans les premières communautés chrétiennes, n’est plus seulement fondée sur les vieilles traditions religieuses (collégiales juives, pastorales évangéliques), mais qu’elle se construit aussi sur des règles empruntées, plus ou moins complètement, au droit romain (terminologie, technique juridique, institutions) et qu’elle constitue, en même temps, un vaste champ d’expérimentation ecclésiologique à travers les siècles.
11I -La primauté d’une conception théologique de la représentation la représentation du corpus ecclesiae.
12II - Entre charisme et mandat les formes originales de la représentation des communautés chrétiennes.
I. LA PRIMAUTÉ D’UNE CONCEPTION THÉOLOGIQUE DE LA REPRÉSENTATION : LA REPRÉSENTATION DU CORPUS ECCLESIAE. LE τησ ενωτεως (SOUCI DE L’UNION)
13La question de la représentation dans l’Église des trois premiers siècles ne fait pas partie des matières traitées dans les manuels d’histoire du droit ou d’histoire des idées politiques. Le terme est même absent dans l’index des ouvrages consacrés à l’histoire du droit canonique et des institutions ecclésiastiques les plus récents. Cela ne signifie cependant pas qu’il n’y ait eu aucune tradition canonique antérieure, ni aucun héritage relatif à la représentation. Mais celle-ci n’émerge pas suffisamment en tant que telle, dans les écrits chrétiens, entre le premier et le troisième siècle, avant les premiers textes juridiques, évidemment plus tardifs. Il est cependant possible de constater des traces très nettes qui conduisent à la question de la représentation. D’autant que celle-ci se révèle primordiale face aux risques de désunion de communautés dispersées et marquées par des charismes et des intérêts locaux.
14L’existence d’un socle biblique fort, centré autour d’une méfiance envers un pouvoir religieux qui s’exprimerait autoritairement et qui prendrait, par exemple, une forme monarchique, constitue un repérage initial déterminant. En effet, on constate que pour pallier ce risque, la collégialité émerge de nombreux textes de l’Ancien Testament. Elle fait mention de la nécessité de s’en tenir à l’avis du conseil des anciens, des prophètes. Elle accorde une large place à la représentation des notables d’une famille sacerdotale (2 Rois 19,2), d’une région (Juges 11,5), d’une tribu (Deutéronome 31,28), d’une agglomération rurale ou urbaine (Deutéronome 16, 18 ; 21), et surtout d’un peuple (Exode 3,16 ; Nombres 11,16). Cette collégialité s’applique particulièrement aux anciens qui ont plus tard des responsabilités dans les communautés juives de l’exil du judaïsme hellénistique (Judith 8,10 ; 1er Livre des Maccabées 12,35 ; Luc 7,3). Il en résulte que, d’une manière générale, dans l’héritage des institutions de l’Ancien Testament, Dieu est bien le Pasteur du peuple, mais c’est la synagogue qui gouverne. Elle a la charge d’instaurer un dialogue direct entre Dieu et les communautés locales qu’elle dirige. L’on trouve ainsi les prémisses de notions relatives à un fonctionnement collégial et des modes d’assemblée « représentative »10.
15Dans les premières communautés chrétiennes, plusieurs éléments paraissent liés entre eux. Il est ainsi possible de trouver, dans les écrits chrétiens des trois premiers siècles, de nombreux exemples portant sur la force de l’idéal communautaire, le souci d’exprimer la cohésion des égaux fraternels, alors même que ce qui est en jeu c’est seulement une question d’autorité pastorale (celle de l’évêque, des presbytres), dans le cadre d’un corpus unus initial, de dimension restreinte, locale. Mais la nécessité intervient très tôt d’inscrire ces réalités dans un ensemble plus vaste celui de l’Église universelle (catholique). Elle oblige à ne pas séparer la petite unité locale et la grande universalité. Elle contraint à traduire dans des pratiques, tout autant que dans des notions théologiques, puis juridiques, un système de représentation de tout le peuple de Dieu. Le concept de l’Église universelle est ainsi inséparable de la vision chrétienne de la représentation.
16Sans doute une des marques les plus précoces de cette attitude est-elle celle de l’évêque Ignace d’Antioche qui donne des conseils à son jeune confrère Polycarpe, dans l’exercice de sa charge11. Son langage révèle son souci de l’union (της ενωτεως) et sa volonté de donner à l’évêque une autorité qui ne repose pas seulement sur des rapports de type juridique ou politique, plus ou moins inspirés des pratiques des assemblées romaines, mais qui trouve fondamentalement son inspiration dans le ministère du Christ. C’est cet enracinement premier qui permettra de construire l’autorité épiscopale sur la transmission successorale apostolique et la représentation qu’elle suppose12.
17Cette question n’est cependant pas réductible à une vision charismatique, juridique et territoriale fixée une fois pour toute. La formule bien connue « Là où est l’évêque, là est l’Église » peut être entendue, au simple sens local (dans la formule de st Ambroise « Ubi Petrus, ibi ergo Ecclesia ». Ce qui est l’opinion de V. Saxer. Car il ne faut pas perdre vue que la Lettre d’Ignace d’Antioche porte en germe les origines du monépiscopat »13. Toutefois, l’évêque ne fait pas que concentrer entre ses mains des fonctions initialement collectives, prendre la tête du collège presbytéral et lier organiquement à sa personne les presbytres qui forment son conseil. En effet, le terme « επíσκοnος », lui-même, n’est pas toujours présent dans les textes anciens (Eusèbe, III 14 ; 21 ; IV, 1,4,5,11,19). Et de toutes façons, la charge épiscopale (την προστασιαν – την λειτουργιαν) n’inclut pas un pouvoir (potestas -εχουσια) qui créerait un rapport de subordination ou de représentation de la communauté. Par exemple, il n’y a pas de différence d’autorité sacerdotale entre les évêques et les presbytres, seulement une différence d’autorité disciplinaire. Ce qui donne un sens spécifique à la collégialité. Beaucoup plus juste théologiquement est la conception selon laquelle l’évêque est celui qui rend actuelle et présente l’autorité du Christ. Il est l’intendant de la communauté au nom de Dieu.
18C’est à ce titre qu’il préside aux sacrements : baptême et eucharistie. Les premiers chrétiens considèrent en effet que l’évêque, vicaire du Christ sur terre, est le lien immédiat entre chacun d’entre eux et Dieu. Il n’est donc pas véritablement choisi par un vote humain (ανθροπον χειροτονουµενος). C’est parce qu’il est un homme juste qu’il est inscrit au presbyterium (εν πρεσβυτεριο καταλεγοµηνος)14. À la suite de st Paul, les auteurs chrétiens ne cesseront de répéter que le langage de l’autorité de l’évêque, son inspiration remonte, à l’origine, au Christ15. Par exemple son droit à dire la vérité de la tradition, ou encore à pardonner, lui confère un pouvoir croissant. Il y a ainsi une spécificité élective chrétienne. L’Église, avec ses institutions, son organisation est capable d’assurer aux chrétiens un lien entre chacun et le Royaume de Dieu qu’il espère. C’est un mode d’existence sociale et de rapports politiques qui se construit peu à peu et fournit la matière fondatrice de la politeia chrétienne16.
19Ainsi la famille chrétienne, la fraternité qu’elle exige de tous, l’idéal communautaire exprimé par une cohésion particulièrement forte dans les périodes de tension sociale et politique s’accordent-ils de plus en plus avec le concept d’Église universelle17. Les évêques inscrivent leur pouvoir dans des limites théologiques et juridiques de plus en plus précises. Mais il faut attendre le iiième siècle pour voir exprimer de manière cohérente les constituants théologiques et juridiques de l’autorité épiscopale, dans son rapport avec l’unité de l’Église et son universalité. Toutefois, on peut, avec Irénée de Lyon et Hippolyte de Rome, dès la deuxième moitié du iième siècle, constater la force de l’idée d’une chaîne apostolique qui relierait, dans une succession ininterrompue, les Douze Apôtres et les chefs des communautés. Elle devient l’argument le plus fort et le plus explicite de l’autorité des évêques et de l’obéissance qui leur est due18. Et l’on a souligné combien, un siècle plus tard, st Cyprien en fera le point central de son argumentation, liant aussi l’autorité épiscopale à celle des prêtres de l’Ancien testament que les juifs ont perdu entre-temps19.
20Ces affirmations ne réduisent pas toutes les résistances. L’importance des charismes, en particulier l’existence de dons, d’expériences visionnaires sont reconnus aux évêques. Ils donnent à certains d’entre eux une plus grande autorité. Il ne faut pas oublier ce contexte d’une représentation où s’exaspèrent parfois les rivalités, entre détenteurs de pouvoirs charismatiques, dans lesquels les rêves des martyrs, les visions des confesseurs sont admirés et restent longtemps porteurs d’une crédibilité et d’une autorité particulièrement fortes. L’on assiste parfois à des conflits entre les évêques, auxquels on doit reconnaître un don de vision, et leurs « concurrents » locaux. Ces situations extrêmes obligent à soumettre ces manifestations irrationnelles à de scrupuleuses vérifications20.
21Cette émergence de l’autorité épiscopale trouve à s’exercer tout particulièrement dans la fonction de représentation. On doit souligner qu’elle prend, chez Tertullien, la forme de l’idée d’une « représentation du nomen christianum », c’est-à-dire « de tout le nom chrétien ». Le Concilium serait ainsi le lieu où des assemblées, réunissant toutes les églises, débattent de questions importantes et communes à tous les chrétiens. Or Tertullien dit bien que cette représentation de tout le nom chrétien « est célébrée avec beaucoup de respect ». Si l’on suit l’analyse de J. Gaudemet, le caractère vague de la formule laisse tout de même deviner la place importante de ces réunions et l’autorité qui s’attache à cette représentation de la communauté21. Pour ce qui a trait à une conception théologique universelle de la représentation les sources sont plus tardives. La représentation est très fermement attestée chez st Cyprien, bien qu’elle s’enracine dans une indépendance locale revendiquée. Mais malgré cette réserve, dans sa théologie de l’autorité épiscopale, les évêques peuvent représenter leur communauté locale pour les affaires de l’Église au sens large. Chaque évêque est responsable à l’égard de toute l’Église. Cyprien parle même d’une « concordia collegii sacerdotalis » qui les unit les uns aux autres, selon une formule qui sera appelée à une très large postérité « Episcopatus unus est, cuius a singulis in solidum pars tenetur »22. Tout cela témoigne de la force de la notion de Corpus unus, dans laquelle les chrétiens sont censés ne faire qu’un seul corps et qu’il s’agit donc de représenter sans la rompre23.
22La représentation est ainsi liée à une conception unitaire du corps chrétien. Le peuple chrétien est dit « le peuple de Dieu dans le monde ». Cette définition est extrêmement importante pour l’Église. Elle a des conséquences multiples. En particulier, il y a dans la communauté politique chrétienne et ses modes de représentation une solidarité civique du corps politique. Elle est pleinement originale. Elle n’est aucunement construite sur l’idéologie romaine du rassemblement des peuples ni sur les formes juridiques d’expression de son autorité24. Les chrétiens ont une éthique universelle, une image de l’assemblée qui comptent beaucoup plus que celles qui résultent de la loyauté civique romaine traditionnelle. Cette pensée politique a été notée comme étant un élément décisif des rapports des chrétiens et de la cité (R. Minnerath)25. Elle est d’autant plus opérante que les vieilles valeurs politiques romaines connaissent un net déclin au iième et surtout au iiième siècles. De même que le fossé qui sépare la citoyenneté de l’exercice réel du pouvoir s’est profondément creusé26 .
23On comprend mieux qu’étrangers à la Cité, par leur conscience même, les chrétiens ne se soient pas sentis attirés par une simple participation en tant qu’observateurs, et qu’ils aient cherché à construire leur théologie politique de la représentation sur des bases qui ne soient pas totalement confondues avec celles du système romain. La raison majeure, et qui conditionne très largement leur conception de la représentation, c’est la nature étrangère de la chose publique pour les premiers chrétiens. La respublica n’est pour eux aucunement réductible à un champ politique traditionnel, ne serait-ce que du simple point de vue territorial. Dans l’Église, la représentation ne s’exerce pas seulement, par le moyen d’une assemblée ou par le biais d’un territoire administratif, même au sens religieux commun. L’Église s’inscrit dans des εσχαται, c’est à dire des confins territoriaux incluant le futur Royaume de Dieu. Toutes ces notions doivent être comprises dans la nature et les formes d’expression de la représentation27.
24Cela dit, il n’est évidemment pas possible d’enlever aux modes opératoires de la représentation, dans les premiers siècles de l’Église, toute influence extérieure, qu’elle soit strictement juridique ou plus largement calquée sur des pratiques contemporaines d’expression du suffrage, elles-mêmes empruntées à des héritages très antérieurs. Par exemple, l’acquiescement unanime, le cri d’une foule ou d’une assemblée, sont généralement considérés comme un présage divin dans l’Antiquité28. L’on retrouve cette même croyance chez Eusèbe de Césarée, pour qui c’est un signe de Dieu. Par ce moyen, le suffrage chrétien imite donc, pour l’essentiel, son homonyme païen, tel que le connaissait la vie politique29.
25On le sait, les influences du droit romain sur les institutions chrétiennes ont été largement reconnues, dans des limites parfois très larges (par exemple chez Biondo-Biondi). Elles sont tout à fait visibles dans deux domaines principaux la terminologie et la technique juridique, bien qu’il soit possible de relever des traces nombreuses de transposition, d’adaptation des règles romaines aux besoins spécifiques de l’Église. Il est ainsi incontestable que l’autorité – y compris celle découlant de la représentation dans l’Église des iième et iiième siècles – a un fondement juridique. À tel point que certains spécialistes n’hésitent pas à affirmer que c’est seulement dans les divisions administratives civiles que se coulent les préséances et les structures ecclésiastiques (V. Saxer)30. Mais il serait erroné de s’en tenir à une vision strictement rationnelle et juridique des modes politiques chrétiens, à cause de la presque absence de la représentation à Rome. La représentation reste, dans ces siècles, une chose divine, dont il convient de tracer aussi quelques contours propres.
II. ENTRE CHARISME ET MANDAT LES FORMES ORIGINALES DE LA REPRÉSENTATION DES COMMUNAUTÉS CHRÉTIENNES
26Il y a, semble-t-il, plusieurs manières d’aborder la question de la représentation, en ce qui concerne ses formes, ses mécanismes, en sachant que, de toute manière, les théories juridiques de la représentation n’ont pas été énoncées avant les canonistes médiévaux. D’abord, on peut l’étudier en s’en tenant à la figure traditionnelle de l’autorité paternelle le père de famille, le roi, l’évêque, plus tard l’abbé dans son couvent, prennent leur décision, sans vote, ni délégation, (type monarchique). Ou bien, en considérant que la communauté peut confier à un ou plusieurs de ses membres un mandat, (type démocratique). Il est également possible d’examiner si ces modèles sont pleinement adaptés et reconnus comme tels, dans le cadre particulier de l’Église en gestation des trois premiers siècles. Ainsi, il ne faut pas trop se presser de mettre le mandat au cœur d’une théorie de la représentation qui, de toute façon, n’existe pas. Les leçons du Digeste, assez rares -au demeurant sur la représentation, ne peuvent pas non plus être reçues sans un examen scrupuleux. Ce n’est pas parce que le texte mentionne des procureurs représentant des individus dans le cadre de l’action judiciaire, ou qu’une personne morale pouvait y être représentée par un syndic, que ces modes ont pu être utilisés par les communautés chrétiennes des iième et iiième siècles31.
27Les débats des historiens sont, sur ce point, révélateurs des difficultés rencontrées. Le clivage est, en effet, récurrent. Tantôt, l’on se plait à noter combien les modes d’expression de la volonté des communautés sont directement issus des héritages juifs et curiaux32. C’est à dire que les presbytres, les évêques agissent comme leurs devanciers des sanhédrins de Jérusalem, ou des synagogues, dans l’ordre religieux, ou bien comme les membres des βουλαι, ou des curies, dans le domaine civil. Certains auteurs soulignent que les rites paraissent moins importants que les formes des élections. Ce qui laisse penser que le charisme est loin de constituer (au 1er siècle pourtant), la base unique de l’autorité et que, par conséquent, la représentation s’inscrit dans des mécanismes rationnels de type juridique33. À l’opposé, l’on insiste aussi sur le fait que l’élection, les pouvoirs, les modes de représentation de l’évêque n’ont rien à voir avec quoi que ce soit de connu chez les païens. Autrement dit, l’organisation de la représentation ne serait pas un emprunt pur et simple à un droit romain, privé ou public.
28Il semble tout de même qu’elle ait bénéficié des exemples concrets du temps : c’est-à-dire de toute une pratique ecclésiale qui ne s’inscrit pas nécessairement dans des règles juridiques écrites. Pour les historiens anglo-saxons, le rôle des coutumes séculières est très important. Ces auteurs relèvent aussi combien les chrétiens ont accentué ou au contraire affaibli le sens de certains usages en donnant, par exemple, une signification forte au suffrage (au sens de vote), alors qu’il avait aussi un sens faible : celui simplement d’acclamation et de soutien. L’on peut, par conséquent, considérer qu’il est clair que les chrétiens ont fait des emprunts aux règles utilisées dans les élections et les procédures des choix séculiers, mais en leur donnant un sens théologique particulier. Ainsi, st Cyprien appelle le suffrage la « chose divine », Eusèbe de Césarée un « signe de Dieu ». Toutefois, là encore, ce signe (qualifié pourtant de judicium Dei) ne constitue pas la totalité du jugement divin. Traditionnellement, l’on va en effet relier le jugement de Dieu et l’accord final obtenu. Cette combinaison d’éléments se retrouve dans le mode de désignation des évêques. Le nouvel évêque est finalement ordonné par Dieu, dignifié par la « divina dignatio ». C’est à dire, qu’il est, en dernier lieu, choisi par lui34. De toute manière, pendant la première époque, jusqu’au milieu du iiième siècle, le choix des autorités ne repose pas sur l’idée de constituer un groupe spécial (futur κληρος), selon des conditions spéciales, mais est fait plutôt en étroite correspondance avec la conception communautaire de l’Église, où, comme cela a été souligné, les ministères sont conçus comme des services et des dignités ayant un très fort contenu spirituel.
29Il ne faut pas considérer que cette question soit sans rapport avec la représentation, bien au contraire. Le fait que le suffrage demeure, à nos yeux, imprécis, dans l’histoire des institutions de l’Église, qu’il est même presque informel par nature, ne signifie pourtant pas qu’il n’ait pas une grande force potentielle réelle. D’une part, on ne pourrait pas expliquer tous les problèmes qui perturbent la vie des églises, au cours de ces trois premiers siècles, les corruptions, les détournements d’élection et dont on retrouve encore des échos au ivème siècle. D’autre part, il faut accorder une attention soutenue au mode de suffrage utilisé. L’Église revendique en effet de manière insistante une forme particulière de vote l’approbation unanime, incluse dans les canons ultérieurs, mais dont il convient de reconnaître que l’on ignore souvent à quoi correspond véritablement sa pratique, dans la réalité, et comment elle est obtenue.
30À toutes ces interrogations, il est toutefois possible d’apporter quelques éléments de réponse. Le premier tient à la force du modèle des Actes et ses deux données de base, sur lesquelles tout le monde s’accorde : la représentation doit toujours s’exercer en public, devant l’εκκλησíα, et la juridiction compétente appartient aux seuls évêques et presbytres. D’autres questions provoquent davantage de débats entre les historiens. Tantôt l’on met l’accent sur les influences des nouvelles relations sociales émanant de la société laïque et dont l’Église n’a pas pu faire abstraction (P. Brown) 35 ; tantôt c’est la force du contexte eschatologique qui est considéré comme déterminante. Parce que, en dernier ressort, la représentation se fait, non pas devant un « peuple », quelque soit le sens que l’on donne à ce terme (y compris celui de peuple de Dieu), mais devant Dieu lui-même (Lane-Fox)36.
31C’est en tenant compte de cette singularité propre aux premières formes de représentation que l’on peut en étudier quelques caractéristiques dans les réunions conciliaires des iième et iiième siècles. L’on s’aperçoit immédiatement que les discussions des assemblées sont centrées sur la résolution de problèmes majeurs : comment concilier la représentation de la communauté avec l’autorité personnelle de l’évêque ? Comment réaliser une véritable représentation universelle et unitaire ? La présence d’un représentant spécifique est-elle indispensable pour que les décisions prises soient applicables à des communautés non représentées ? La collégialité est-elle un mode permettant de lier l’autorité personnelle du représentant ou bien est-elle un moyen d’exprimer véritablement une représentation de toute l’Église ? L’on constate vite, dès la fin du iième siècle, que les premiers conciles réunissent des évêques dans des régions impliquées dans des querelles doctrinales et pastorales décisives (montanistes et pascales) et que c’est dans ces périodes ou dans ces circonstances difficiles que les évêques sont contraints de confronter leurs points de vue et de coordonner leurs décisions. Ils le font, non pas d’abord en fonction de leurs ressorts administratifs et juridictionnels propres, mais pour répondre à des exigences doctrinales et disciplinaires qui touchent à l’intérêt général de l’Église.
32Dans l’examen des éléments concrets de la représentation, il faut distinguer ce qui a trait à la question du but de telle ou telle réunion et ce qui relève de la progressive mise en place de modalités juridiques pratiques. En effet, le premier point touche directement à la place singulière des évêques, mais contient aussi en germe la résolution, difficile, du problème de la participation des presbytres et des fidèles qui sont associés, avec un pouvoir de décision, aux tâches de l’Église. L’on connaît, en particulier, la place occupée par les seniores laïci – seniores ecclesiae, en Afrique. Ils participent fréquemment à l’administration ecclésiastique et sont élus par l’ensemble de la communauté37. De même, dans les églises locales où existent de nombreux ministères, des presbytres sont quelquefois présentés comme les membres d’un conseil représentatif qui assiste l’évêque38. Ils sont alors le sanhédrin et le sénat de l’Église. C’est ce qui figurera dans la Didascalie et la Constitution apostolique39. Le modèle de représentation qu’offre la première réunion des Actes (15-26) montre que la toute première décision de l’Église de la communauté apostolique fut de compléter la direction collégiale initiale (l’Institution des Sept). Ensuite, la résolution du conflit relatif à l’accueil des nouveaux convertis (Concile de Jérusalem de 49), a été prise en tenant compte, non seulement des détenteurs d’un pouvoir fondé sur l’exercice de la charge apostolique, mais en y associant, après de longs débats, les anciens, en accord avec l’Église toute entière (Actes 15, 22). Il est par conséquent possible de constater que les premiers exemples de fonctionnement d’un système représentatif dans la primitive Église ont suivi de près, comme le souligne, à juste titre M. Metzger, en ce qui concerne la direction pastorale des communautés, les vieilles traditions collégiales héritées du judaïsme40. Malgré tout, celles-ci ne peuvent pas opérer pleinement. Car si les conciles sont nés, dès les origines de l’Église, du besoin ressenti par les responsables des communautés de se réunir pour débattre de problèmes qui leur étaient communs, en particulier concernant la foi et la discipline, ils se trouvaient confrontés à un obstacle difficile à surmonter celui de l’autorité personnelle de l’évêque. Les premiers documents qui nous parlent de l’Église universelle (catholique), et de l’évêque, insistent fortement sur le fait que ce dernier est un primus inter pares, que son autorité est pleinement centrée sur sa personne41. Il y a aussi des particularités locales qu’il conviendrait de prendre en compte. Tantôt, le rôle des anciens est très important, alors qu’au contraire, selon le témoignage d’Eusèbe de Césarée, dans la Gaule méridionale de la fin du premier siècle, il ne semble pas y avoir de traces des évêques42.
33C’est avec le milieu du troisième siècle, et en particulier avec les conciles africains, que les réunions d’évêques permettent de faire un examen plus net des principales composantes de la représentation désormais en vigueur. Bien que ce soit plutôt les circonstances, et non pas l’organisation d’une périodicité, qui guident la tenue de ces assemblées, on voit que, à partir de cette date, sous l’impulsion doctrinale de st Cyprien, les évêques d’Afrique entendent s’affirmer comme un corps cohérent. Mais l’unité de cet épiscopat propre à une région, c’est à dire lié à un type de représentation particulier celui d’espaces géographiques plus ou moins étendus, ne doit pas être limitée à sa stricte nature juridique territoriale. Autrement dit, ce qui compte dans l’émergence de cette représentation, ce n’est pas la forme juridique prise par tel concile œcuménique (représentant l’Église universelle), général, plénier, national, provincial. Le but du concile étant l’unité du corpus ecclesiae, le corps épiscopal renvoie à l’unité de la représentation sur le plan doctrinal et institutionnel. Pour st Cyprien, le concile est un instrument d’unification inter-ecclésiale, d’abord à l’échelle de toutes les provinces d’Afrique, puis de toute l’Église43.
34Les données concernant ces réunions permettent de vérifier que l’on est en présence d’une institution stable, au plan régional et que les matières abordées sont de plus en plus nombreuses : dogmatique, canonique (réglementation de la discipline, justice). Mais il reste toujours beaucoup d’inconnus en ce qui concerne les éléments internes de fonctionnement. L’on connaît toutefois le nombre des participants (évêques), surtout pour les sept conciles de Carthage de 251-256, relatif aux lapsi44. Certains mêmes laissent entrevoir la présence, non pas d’évêques, mais de presbytres et de docteurs, convoqués par l’évêque Denys d’Alexandrie45. Ce dernier illustre bien la volonté de développer le processus d’universalisation et d’unification de l’Église, en dépassant les frontières de la seule église locale et en établissant des liens avec Rome et toute la Méditerranée46. Mais il est clair aussi que de nombreuses questions ne peuvent trouver de réponse, même dans ces assemblées qui ont laissé des traces plus précises. Ainsi l’on ignore les modalités par lesquelles on arrivait à la décision. S’agissait-il de vote individuel public, par acclamation ? Faisait-on un décompte des voix, et par quel procédé ? Se posait-on la question d’un quorum ? Sans omettre, a priori, l’hypothèse d’une majorité simple ou renforcée. Dans le monde latin, si l’on en croit les actes du concile de 256, celui-ci avait rassemblé « la plupart des évêques des provinces d’Afrique, de Numidie et de Mauritanie, avec des prêtres et des diacres, en présence d’un très grand nombre de fidèles ». Le texte de st Cyprien qui sert de référence ajoute que ceux qui n’avaient pu être présents étaient représentés47. Ce qui complique encore les choses et ajoute à toutes ces interrogations, c’est qu’aux dires de Cyprien, lui-même n’a pas d’autorité particulière, sauf de fait. Aucune disposition ne lui donne une légitimité spéciale et lors de cette réunion, les évêques interviennent apparemment par ordre d’ancienneté48.
35En dépit de ces réserves, on voit s’esquisser les éléments d’une représentation originale des évêques. Ceux-ci sont très attachés à ces assemblées. Ils acceptent d’être représentés, en cas d’absence, par des prêtres ou des diacres de leur église locale et en qui ils ont pleine confiance49. La place et le rôle des laïcs sont très mal connus. On peut supposer que leur fonction est, sans doute, de permettre au pouvoir séculier d’être présent à ces réunions. Mais plus encore que pour les prêtres, on ignore si cette présence pouvait prendre la forme d’une participation aux décisions (consultative ou IVème délibérative)50. Le pape n’aura pas de représentant avant le siècle (concile d’Arles de 314, d’Éphèse de 449). La collégialité reste, en toute hypothèse, un signe particulièrement fort de l’unité, comme nous l’avons constaté. Elle figure à plusieurs reprises dans les sources de ces conciles africains. Elle prend même la forme d’une expression qui laisse transparaître l’unanimité « Convenientes in unum…statuerint », « …episcopis in unum convenire indulgentia divina permittere »51.
36Reste la question de l’autorité des décisions prises à l’égard de ceux qui n’ont pas participé personnellement, ou bien qui n’ont pas été représentés. Les assemblées réunies pendant les trois premiers siècles permettent de poser deux règles qui semblent avoir été chronologiquement respectées. D’abord, la décision n’engage que ceux qui l’ont prise (étant entendu que l’unité de la foi et du corpus unum impose sa loi à tous les présents). Mais des réserves existent malgré tout, puisque l’on sait que à la fin de certaines assemblées, les évêques s’engagent, par serment, à observer ce qu’ils viennent de décider52. Ce qui signifie que les absents, les non représentés ne sont aucunement tenus d’obéir. Le deuxième point est donc décisif. C’est celui où la représentation devient peu à peu le véritable constituant de l’autorité des actes de l’assemblée. En l’absence d’une théorie ferme de la représentation juridique, c’est la pratique qui en a été la source progressive. Bien qu’il ne soit pas possible de vérifier les étapes qui conduisent à la situation dont hérite le concile d’Arles de 314 (les décisions engagent la totalité ou du moins une grande partie de l’Église), il n’est pas excessif de penser que la présence de quelques évêques d’une province ecclésiastique, ou même la représentation de quelques uns d’entre eux, aura suffit à imposer, à tous ceux qui vivent sous cette administration, les décisions prises. Dans ce dernier cas, l’on ne suit pas la lecture de Hinschius, selon qui les décisions des assemblées s’imposent aux évêques non présents, mais obligatoirement représentés53. Pourtant, non seulement les conciles africains, sous la forte autorité de Cyprien, corroborent cette théorie, mais plus on s’achemine vers la fin du iiième et le début du ivème siècle et plus les conditions ecclésiales et doctrinales exigent une maîtrise unitaire du gouvernement de l’Église54. Celle-ci prendra aussi la forme d’assemblées hiérarchisées (conciles généraux, synodes locaux). Elle ne pourra qu’être influencée par les changements de l’environnement politique et la prédominance des régimes de type monarchique qui modèlent les formes de cette figure de gouvernement collégial propre à l’Église qui a emprunté aussi, on le sait, à la démocratie aristotélicienne et stoïcienne cicéronienne55.
37Cela dit, il ne faut pas se hâter de mettre sur le même plan les formes de la démocratie représentative qui s’affirmeront au xivème siècle56 et cette représentation de l’unitas ecclesiae, unitas fidelium (unité de foi et de vérité, comme le déclare st Cyprien et d’une manière générale les Pères apologistes, puis les écrivains chrétiens du ivème siècle), ainsi que les manières d’y parvenir. Dans ce long cheminement de l’idée et de la pratique de la représentation, le principe de l’unanimité exprime longtemps et le mieux, cette unité du corps de l’Église, jusqu’à ce qu’il laisse place au principe de majorité- traduit à la fois dans la maior pars et la sanior pars qui en est le correctif qualitatif et le célèbre adage « quod omnes tangit ab omnibus tractari et approbari debet »57. Le succès de cette formule sera très grand, dans le domaine politique séculier et chez les théoriciens des doctrines conciliaristes, surtout dans les débats qui naissent autour du Grand Schisme58. Mais ces derniers enferment les rapports de l’Église et de la démocratie dans des formulations simplistes qui l’identifient tantôt à une institution purement hiérarchique, tantôt purement démocratique, alors que sa nature propre et le très long legs historique dont elle est l’héritière s’y opposent59. D’autant que si l’Église a été influencée par les données politiques et institutionnelles de son temps, elle a cependant élaboré, dans les premiers siècles, à son usage propre et selon sa finalité particulière, des modes de représentation collégiaux originaux et une consécration de l’autorité, par le moyen d’une fusion entre l’Ecclesia electorum et l’Ecclesia sanctorum60. C’est cette nature et cette histoire particulière qu’il faut garder en mémoire, même si, aujourd’hui, la question de la représentation est devenue différente, par exemple avec la création d’un type nouveau, sans précédent historique : le synode des évêques ou les conférences épiscopales.
Notes de bas de page
1 Taylor, « The ‘plêthos’of Jesus’disciples », Le judaïsme dans tous ses états, (actes du colloque de Jérusalem, 6-10 juillet, 1998, éd. Du Cerf, 2001, p. 66-74 « Plêthos designating the body of those who had become believers in Jesus. This body is seen to act in ways that befit a constituted corporation, and no simply a vague « multitude ». Un certain nombre de textes postérieurs reprendront ce sens. Par exemple les écrits de Clément de Rome, Épitre au Corinthiens, 54 ; Ignace d’Antioche, Épitre aux Magnésiens, 6,1. Pour celui-ci, il y a même une différence entre πληθος et εκκλησíα. Cette dernière est constituée en présence du Christ, alors que dans les écrits juridiques des iiième et ivème siècles, le πληθος est constitué en présence de l’évêque, Constitution ecclésiastique des Apôtres, n° 16.
2 G.D.Guyon, « Aux origines d’un droit sans frontière L’université et l’unité dans la conscience chrétienne des premiers siècles (i-iiième siècles) », Le droit par dessus les frontières, Journées internationales d’histoire du droit, Turin, mai / juin 2001, (à paraître). La lectio magistralis du Cardinal G. Battista Re devant la Faculté de droit de l’Université de Milan, le 4 mars 2002, reprend ce thème du gouvernement universel et de la nature de la structure constitutionnelle de l’Église. Cf. l’article de A. Manzoni dans L’Osservatore romano, n. 16 (16 avril 2002), édition hebdomadaire en langue française, p. 9.
3 A.v. Harnack, Histoire des dogmes, Paris, 1993, p. 154. Il est très difficile de trouver une bibliographie sur la question de la représentation dans l’Église ancienne. On peut seulement s’appuyer sur des travaux généraux relatifs à la mise en place et au fonctionnement de l’autorité pendant les premiers siècles, et dans le seul domaine des pouvoirs des évêques. Il est d’ailleurs remarquable qu’il n’existe pas de terme « représentation » dans l’index du livre de J. Gaudemet, Église et Cité. Histoire du droit canonique, Paris, 1996. Il est possible de relever quelques rares mentions, mais, de toute façon, la question de la représentation n’est pas traité comme telle, par exemple dans P. C. Bori, « L’unité de l’Église durant les trois premiers siècles », Revue d’histoire ecclésiastique, LXV (1970), p. 65-68. H. Chadwick, The Early Church, Oxford, 1967, (p. 49 s.). A. Demoustier, « Épiscopat et union à Rome selon Cyprien », Recherches de sciences religieuses, tome 52, 1964, p. 3337-369. A. Faivre, Naissance d’une hiérarchie, Paris, 1977 ; Ordonner la fraternité. Pouvoir d’innover et retour à l’ordre dans l’Église ancienne, Paris, 1992 ; Les premiers laïcs. Lorsque l’Église naissait au monde, Strasbourg, 1999. J. Gaudemet et alii, Les élections dans l’Église latine, des origines au xvième siècle, Paris, 1979. R. Gryson, « Les élections ecclésiastiques au siècle », Revue iiième d’histoire ecclésiastique, 68, 1973, p. 353-404. A. Jakab, Ecclesia alexandrina. Evolution sociale et institutionnelle du chrisrianisme alexandrin (iième-iiième siècle), (Christianisme ancien 1), éd. P. Lang, Bern, 2001. J. Lecuyer, « Le problème des consécrations épiscopales dans l’Église d’Alexandrie », Bulletin de Littérature Ecclésiastique, 65 (1964), p. 241-257 ; « La succession des évêques d’Alexandrie aux premiers siècles », Ibidem, 70 (1969), p. 81-99. Ch. Munier, Autorité épiscopale et sollicitude pastorale iième-vième siècle, Collected Studies Series 341, Aldershot, 1991. Ch. Pietri, « Des Ministères pour le nouveau peuple de Dieu ? (ier-iième siècle) », dans Charles Pietri historien et chrétien, Paris, 1992, p. 19-33. J.-A. Sabw Kanyang, Episcopus et plebs. L’évêque et la communauté ecclésiale dans les conciles africains, 345-525.
Publication Universitaire européenne, série XXIII, théologie, Berne, P. Lang, 2000. J. S. Fernandez Sangrador, Los origenes de la comunidad cristiana de Alejandria, Facultad de teologia, Universidad Pontificia de Salamanca, 1994. Norman Tanner, Conciles et synodes (Coll. Histoire du christianisme), Paris, éd. Du Cerf, 2000. W. Teffer, The Office of Bischop, Londres, 1951, (p. 64-88). A. Villela, La condition collegiale des prêtres au iiie siècle (Théologie historique, 14), Beauchesne, Paris, 1971. D. Zizioulas, L’unité de l’Église dans la divine eucharistie et l’évêque au cours des 3 premiers siècles, Athènes, 1965.
4 G.D.Guyon « Messianisme et eschatologie dans la conscience politique des premiers chrétiens (i-iiièmes siècles », Colloque Messianismes, millénarismes, Fondation Singer-Polignac, 1998, Revue française d’histoire des idées politiques, 10, 1999, p. 229-246. Du même, « Eschatologie et politique (i-iiième siècles) », Cuadernos de historia del derecho, n° 8, Madrid, 2001, p. 11-43.
5 G.D.Guyon, « La politeia dans la conscience politique des premiers chrétiens (I-IIIème siècles) », Actes du colloque de Bastia, septembre 2001, La Constitution, Association française des historiens des idées politiques, XIV, 2001, p. 14-41.
6 15,28 (Εδοξεν γαρ τω πνευµατι τω αγιω χαι ηµιν µηδ ιν πλεον επιτιθεσθαι υµιν βαρος πλην τουτων των επαναγχες). Ce que la Vulgate traduit « Visum est enim Spiritui Sancto et nobis nihil ultra imponere vobis oneris quam haec necesseria ».
7 D’autres versets des Actes 15, 7-8,12, réaffirment cette conviction. Πολλης δε τυζητητεως γενοµενης…/ς Εσιγησεν δε παν το πληθος.
8 Cf. A. Carboni, « Vox populi, vox Dei », Jus, ns. XI (1960), qui souligne la force particulièrement grande des signes prophétiques, miraculeux qui coexistent avec la manifestation de la volonté divine. D’où il ressort que malgré la mise en place progressive de procédures, la volonté humaine reste longtemps subordonnée à l’expression des signes divins. C’est ce qui empêche que soient utilisés sans réserve le vocabulaire et les méthodes de la science politique, selon Grossi, « Unanimitas », Annale di storia del diritto II (1958).
9 Les chrétiens, dans l’élaboration de leur réflexion constitutionnelle, montrent qu’ils voient toujours le pouvoir romain à travers une « grille personnelle » et non comme un État. Cela ne doit pas étonner, en dépit des efforts des juristes et historiens modernes pour voir dans le « système politique romain » une construction abstraite par le moyen de laquelle s’exprimerait et s’identifierait la communauté politique. C’est un mode de pensée trop éloigné de ce que l’Antiquité romaine conçoit comme représentation de l’autorité. Cf. G.D.Guyon, « la politeia dans la conscience politique des premiers chrétiens (ier-iiième siècles) », art. cit. p. 34.
10 M. Metzger, « Les leçons de la tradition. L’Église et la démocratie », Revue de droit canonique, 49/1, 1999, p. 9-37.
11 Polycarpe 1,1.
12 Cette relation entre autorité, union et universalité constitue, à partir de la deuxième moitié de iième siècle, l’argument le plus fort et le plus explicite de l’autorité et de l’obéissance dans la représentation. Ainsi dans Irénée, Adversus haereses 3,2,2. Pour Tertullien, De jejunio 13, 6 ; De Praescriptione haereticorum, 26,7-8 « toute chose doit nécessairement être définie en remontant à son origine. C’est pourquoi toutes ces églises si nombreuses et si grandes ne sont qu’une seule Église, l’Église primitive des Apôtres, d’où elles procèdent toutes » (« omne genus ab originem suam conseatur necesse est. Itaque tot ac tantae ecclesiae una est illa ab apostolis prima ex qua omnes. Sic omnes primae et omnes apostolicae, dum una omnes »). On peut ajouter « Quaremus ergo et a nostris et de nostro idque dumtaxat quod salva regula fidei potest in quaetionem devenire…Ac per hoc et ipsae apostolicae deputabuntur ut suboles apostolicarum ecclesiarum », (à partir de l’édition procurée par F. Refoulé, C.C.L.,I, Turnhout, 1954, p. 197,125,206 ; ou encore Sources Chrétiennes 46, 1957, p. 7-8.Cette tradition de la succession apostolique se renforce avec Hippolyte, au siècle, qui insiste sur la IIIème transmission de l’Esprit des Apôtres aux évêques.
13 Smyrne 8,2, Sources chrétiennes 10, 163. V. Saxer, Histoire du christianisme, Le nouveau peuple (des origines à 250), direction J.-M. Mayeur, CH. et L. Pietri, A. Vauchez, M. Vénard, tome 1, 2000, p. 425.
14 Chez Clément d’Alexandrie, à la fin du iième siècle, (Stromates VI, 106-107 ; VII, 41,3 (Sources chrétiennes 446, P. Descourtieux, Paris, 1999) le terme « πρεσβυτερος της εκκλησιας » n’a pas vraiment un sens hiérarchique. Ce qui compte le plus, c’est la vie juste, le chemin de la perfection suivi par celui qui n’a que cette sorte de préséance sur les autres (προτο καθεδρια). U. Neymer, « Presbyteroi bei Clemens von Alexandrien », Studia Patristica XXXI, Leuven, 1997, p. 493 s. Cf. l’exposé de K.L.Noethlich, « Kirche, Recht und Geselschaft in der Jahrhundermite », dans Fondation Hardt, L’Église et l’Empire au ive siècle, tome XXXIV, Genève, 1989, p. 254 « Der Bischof verstand sich als « vicarius Christi » auf Erden. Dies garantierte des unmittelbaren Bezug jeder Einzelgemeinde zu Gott. Sie bildete einen in sich geschlossenen Kosmos, der sich selbst genügte ».
15 Épître aux Corinthiens 42,1-5 ; 44,1-4 « Ceux donc qui ont été établis par eux ou plus tard par d’autres hommes estimés, avec l’assentiment de la communauté » (44,3).
16 G.D.Guyon, « La politeia dans la conscience politique des premiers chrétiens (ier-iiième siècles) », La Constitution, art. cit., p. 38.
17 Comme le souligne avec insistance Tertullien, Ad Nationes I, 20 s.
18 Adversus haereses 3,2,2 ; 4,26,3 « C’est pourquoi il convient d’obéir aux presbytres qui sont dans l’Église, (c’est nous qui soulignons) à ceux qui détiennent la succession des Apôtres », (édition L Doutreleau, Sources Chrétiennes, 100, 1965, p. 718).
19 Au yeux de l’évêque de Carthage, l’unité de l’Église locale est la condition de l’union de l’Église et de son universalité. De baptismo contra Donatista, édition Petschnig, (C.S.E.L. 51,1908, p. 186 « eius universitas ipse non fuit, sed eius universitate permanensit » (V, 17,23). R. Lane Fox, Païens et chrétiens. La religion et la vie religieuse dans l’empire romain de la mort de Commode au Concile de Nicée, Presses universitaire du Mirail, Toulouse, 1997, p. 517, en fait une donnée décisive dans la formation de la pensée « constitutionnelle des premières communautés chrétiennes.
20 Cf. Hermas, Visions 3, (17) ; 7,10. Sur les rivalités bien connues à Carthage, st Cyprien, Lettres 23 ; 31,3.
21 Église et Cité. Histoire du droit canonique, Paris, 199, p. 116.
22 Plusieurs mentions dans les Lettres 55,24 ; 66,1-5 et dans le traité De catholicae ecclesiae unitate ( C.E.S.L. 3,2 ).
23 La référence à cette totalité constitue même un leitmotiv à propos de l’élection de l’évêque, Lettres, 67,5 « Dans presque toutes les provinces, la totalité du clergé et des laïcs approuvaient en assemblée l’élection de l’évêque ». Au iième siècle, Origène établit un rapport entre l’Ekklêsia chrétienne d’Athênes, Corinthe, Alexandrie et l’Ekklêsia politique. « Les communautés chrétiennes installées dans les ville de l’Empire sont des assemblées de Dieu, comparées, mais aussi opposées aux assemblées politiques des citoyens citadins » A. Jakab, Ecclesia alexandriana, P. Lang, Berne, 2001, P. 191.
24 Cette notion de peuple universel traduite déjà dans la Lettre à Diognète, est, un temps, indépendante d’une éthique politique universelle de l’assemblée, comme le souligne Tatien dans son Discours aux Grecs « Λογος πρóς Ελληνας », 28, A. Puech, Recherches sur le Discours aux Grecs de Tatien, suivies d’une traduction française du Discours avec notes, Paris, 1903. On peut aussi se référer à l’édition anglaise, plus récente, de M. Whittaker, Tatien, Oratio ad Graecos and fragments, Oxford, 1982. Mais il faut tout de même faire coïncider cette conception communautaire de l’Église « rassemblement des élus comme un corps dont le Christ est la tête », « association secrète et mystérieuse » (Contre Celse VIII, 17) et la nécessaire organisation des communautés. Dans la première moitié du iiième siècle, le développement des églises locales, les exigences de fonctions stables, hiérarchisées, l’émergence de l’institution ecclésiale obligent à résoudre les problèmes de représentation de ces périodes de transition. L’influence des formes vétéro-testamentaires de type fonctionnel sera aussi décisive.
25 Les chrétiens et le monde (ier-iie siècles), Gabalda, 1972. Du même auteur, Politique chrétienne et chrétien en politique », dans Christianisme et identité nationale, Paris, 1974. 19.
26 R. Lane Fox, Païens et chrétiens, op. cit., p. 333 s.
27 Il existe de longues parénèses sur cette question de l’ordre et de l’unité du Cosmos chrétiens et de la place centrale, dans ses institutions mêmes, des ces « confins territoriaux », par exemple dans la première Lettre de Clément de Rome, Sources Chrétiennes, 244,1990, p. 65-121.
28 On pourra se reporter utilement, sur cette question, aux ouvrages de Fr. Ruzé, Délibération et pouvoir dans la cité grecque de Nestor à Socrate, Paris, 1997 et E. Brisson, J.-P. Brisson, J.-P. Vernant, Démocratie, citoyenneté et héritage gréco-romain, Paris, 2000.
29 R. Lane –Fox, Païens et chrétiens, op. cit., p. 530, insiste sur la force de ces pratiques traditionnelles auxquelles, d’ailleurs, le christianisme ne mettra pas fin sans de difficiles combats. Il suffit de se reporter aux travaux de P. Chuvin, Chronique des derniers païens, Paris, 1991.
30 L’organisation de l’Église au iiième siècle. Histoire du christianisme, 2, ibidem, passim. Certains auteurs n’hésitent pas à voir, dans les premières règles, une mise en forme professionnelle du pouvoir clérical et même un début d’organisation administrative où la représentation n’est, bien sûr, pas absente. G. Schöllgen, Die Anfänge der Professionalisierung des Klerus und das kirchliche Amt in der syrischen Didaskalie, 1998 (Jahrbuch für Antike und Christentum, Ergänzungsband 26).
31 Ainsi, les romains sont-ils très attachés à la contractualisation et pendant longtemps la représentation est une caution. Les cas de représentation dans le procès sont rares (mineurs, malades…). Avec la période classique, on assiste à l’apparition de procuratores qui viennent soutenir les prétentions de leur maître et au siècle, le procès civil n’est tenu qu’en IIIème présence d’un représentant qui disparaît au profit de celui pour il intervient au procès.
32 Il reste, en outre, de nombreuses questions non résolues quand à l’existence plus précoce d’assemblées (conciles) en Orient, en Asie Mineure, plutôt qu’en Occident. Est-ce en raison de problèmes doctrinaux plus aigus ? D’une plus grande force de l’organisation romaine et des règles juridiques ? Sur ces points les ouvrages de J. Gaudemet, La formation du droit séculier et du droit de l’Église au ive et ve siècles, Paris, 1958 et de Ch. Munier, L’Église dans l’empire romain (iie – iiie siècles), Paris, 1975, n’apportent pas de réponse.
33 V. Saxer, Histoire du christianisme, 1, L’organisation des Églises héritées des apôtres (70180), op. cit., p. 432. Voir aussi, sur la question plus générale de la formation du droit et des institutions de l’Église, C. Fantappiè, Introduzione storica al diritto canonico, Il Mulino, Bologna, 1999, p. 25-30 « Chiesa nascente e diritto ».
34 Lettres, 43,1 ; 44,3 ; 61,3 ; 63,1. Il y a ainsi une combinaison de trois éléments totalement indissociables imposition charismatique émanant des évêques, témoignage du clergé, suffrage du peuple. Sur cette question qui touche à la manière dont la représentation trouve son ultime fondement, R. Gryson, art. cit., Revue d’Histoire Ecclésiastique, 1973, p. 384.
35 Genèse de l’Antiquité tardive, 1983, p. 58-59.
36 Païens et chrétiens, op. cit. p. 523. On peut ajouter le livre de Y. Duval, Chrétiens d’Afrique à l’aube de la paix Constantinienne. Les premiers échos de la Grande Persécution (Collection des Études Augustiniennes, série Antiquité 164), Paris, 2000. Il rapporte les épisodes historiques et juridiques des procès institués contre l’évêque Silvanus, dans le cadre, décisif pour l’Église, de la crise donatiste. Il met à jour, en particulier, l’emploi des mots populus et cives utilisés à propos de l’élection de l’évêque, p. 115-131 et s’appuyant sur le compte rendu (protocole) de la réunion tenue à Cirta (vers 303), pendant la tolérance de fait qui s’instaure, en Afrique, avant l’arrivée de Maxence, il montre le rôle d’une dizaine d’évêques numides.
37 Pour W. Frend, « Lay officials in the African Church who had judicial and administrative functions”, Martyrdom and Persecution in the Early Church, Oxford, 1965, p. 374, il y a, très tôt, des traces de groupes d’hommes influents, de cadres, liés à la direction de l’Église. Ces seniores sont une institution officieuse, pas toujours convoquée, embryonnaire, et que ne reconnaissent pas toujours les autorités politiques. P. Caron, « Les seniores laïcs de l’Église africaine », R.I.D.A., 1951, p. 7-22, montre que des laïcs peuvent être élus par la communauté pour être des auxiliaires de l’évêque dans l’administration du patrimoine ecclésiastique. Ils peuvent aussi constituer un conseil de sages, d’anciens, à la fois héritiers des fonctions administratives des assemblées primitives des fidèles devenues nombreuses à partir de la deuxième moitié du iiième siècle et dans une certaine symétrie avec le Sénat municipal. Au ivème siècle, ces élus occupent une place importante et interviennent fréquemment, comme caution, dans les procès qui intéressent l’Église.
38 A. Villela, La condition collégiale des prêtres au iiie siècle, Paris, 1071, p. 206.
39 Didascalie, 9 ; Constitution, II, 28,4.
40 M. Metzger, « Les leçons de la tradition », art. cit., p. 19.
41 C’est en particulier la conception d’Ignace d’Antioche, Smyrne 8, 2 (Sources chrétiennes, 10, p. 162). En 250, st. Cyprien considérait que les Apôtres eux-mêmes avaient été évêques, Lettres 33,1.
42 Histoire ecclésiastique V, 23, (Sources chrétiennes 41, p. 66 s.).
43 Lettres 48, 3.
44 Sententiae episcoporum, C.E.S.L.,III, 435-461. Il s’agit des avis émis par les 87 évêques présents concernant la question du baptême des hérétiques. Les autres conciles de Carthage regroupent 70 participants, sous Agrippinus, en 220 (Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastique I, 1912, p. 1039-1043 ; 90 à Carthage en 236-250 ; 70 évêques de la péninsule, à Rome en 251, cf. V. Saxer, Vie liturgique et quotidienne à Carthage vers le milieu du IIIe siècle. Le témoignage de st Cyprien et de ses contemporains d’Afrique (Studi di antichità cristiana, XXIX), Cité du Vatican, 1984.
45 Eusèbe, Hist. eccl. VII, 27-30 (Sources Chrétiennes 41, p. 219 s.).
46 L’Église composite du milieu du iiième siècle regroupe de plus en plus d’honestiores et les responsables, les représentants doivent appartenir à cette classe pour pouvoir être acceptés, ainsi que leur autorité de représentant. Cf. P. Maraval, Les persécutions des chrétiens durant les premiers siècles du christianisme, Desclée, Paris, 1992. C’est ce qui ressort des décisions collégiales prises par les grandes assemblées d’évêques rapportées par Eusèbe de Césarée, à propos de l’Église d’Alexandrie. Histoire ecclésiastique, VII,5,5. Ajouter A. Jakab, Ecclesia alexandrina, op. cit. p. 239.
47 Sententiae episcoporum, op. cit. III, 435 ; Lettres 48, 3.
48 Histoire du christianisme, op. cit., p. 67.
49 St Cyprien, Lettres 71,1,1 « Quid nuper in concilio plurim coepiscopi cum presbyteris qui aederant censuerimus ».
50 W. H. C. Frend, “The seniores laici”, The Origins of the Church in North Africa, Journal of Theological Studies, NS, XII, 2, 1961, p. 280-294. Ajouter, Luce et Charles Piétri, « Peuple chrétien ou plebs le rôle des laïcs dans les élections ecclésiastiques en Occident », Institutions, société et vie politique dans l’Empire romain au ive S. après J.C. (Table ronde Chastagnol), 1992, p. 373-395.
51 St Cyprien, Lettres 71, 4 ; 73, 3,1 ; 4,3.
52 J. Gaudemet, Église et Cité, op. cit. p. 45.
53 Das Kirchenrecht III, p. 670.
54 Cette unité est ainsi visible, de plus en plus nettement, dans les dénominations servant à désigner les lieux d’assemblée. S’y exprime cependant une confusion volontaire entre « lieux de prière et lieux de réunion » (locus ubi orationes celebrare consueti fuerant – domus in qua christiani conveniebant ». les travaux de G. Bartelink « Maison de prière comme dénomination de l’Église en tant qu’édifice, en particulier chez Eusèbe de Césarée », Revue des Études Grecques 84, 1971, p. 101-118 et de Chr. Morhmann, « Les dénominations de l’église en tant qu’édifice grec et latin au cours des premiers siècles chrétiens », Revue des Sciences Religieuses, 1952, p. 155-174, enseigne pourtant qu’il faut se méfier des « hapax ».
55 R. Minnerath, « La démocratie dans la vision de l’Église catholique », L’Église et la démocratie, Revue de droit canonique, art. cit., p. 39, fait ici, fort heureusement, contrepoint à ceux qui, dans leur vision politique de la démocratie dans l’Église, veulent « ne pas exclure les chrétiens dans gestion des institutions de l’Église », selon l’expression de M. Metzger, ibidem.
56 Sur ce vaste champ expérimental ecclésiologique, voir J. Krynen, « La représentation politique de l’ancienne France », Droits, Revue française de théorie juridique, n° 6, 1987, p. 32.
57 G. Guyon, « L’apport historique du droit canonique au droit électoral », L’Église et la démocratie, Actes du XVe colloque national de la conférence des juristes catholiques de France, Paris, Téqui, 1998, p. 153-186.
58 P. Ourliac, « Science politique et droit canonique au xvème siècle », Études d’histoire du droit médiéval I, Paris, 1970, p. 545 s.
59 On se reportera pour plus de détail à l’ouvrage de B. Tierney, Religion et droit dans le développement de la pensée constitutionnelle, Paris, 1993.
60 Cf. E. Lamirande, L’Église céleste selon saint Augustin, (collection des Études Augustiniennes, série Antiquité 18), Paris, 1963. La question de la représentation et de son articulation avec les concepts de communio, au plan de l’Église particulière et de l’Église universelle, a été étudiée avec un soin tout à fait particulier (dans ses rapports théologique, historique, canonique) par E. Corecco, Canon Law and communio. Writings on the Constitutional Law of the Church, Libreria Editrice Vaticana, Città del vaticano, 1999. Par exemple “The Bishop, Head of the Local Church and Discipline, p. 54-69; Church Parliament or Service (Christian Representation), p. 103-112; Ontology of Synodality, p. 341-367.
Notes de fin
1 Eugenio Corecco, “Church Parliament or Service”, (Theology Digest 22 (1974), p. 136-142), Canon Law and Communio. Writings on the Constitutional Law of the Church, Libreria Editrice Vaticana, Città del Vaticano, 1999, p. 111.
Auteur
Professeur à l’Université Montesquieu Bordeaux IV
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