Chapitre II. L’instrumentalisation du modèle anglais dans l’ordre politique
p. 501-555
Texte intégral
1Tout au long du siècle, la référence à l’Angleterre présente une charge subversive. Le simple fait que des écrivains proches de l’entourage royal, comme Moreau et Genet, prennent le soin de livrer une critique radicale des institutions anglaises, démontre l’enjeu idéologique patent de l’attraction exercée par cette nation au cours des règnes de Louis XV et Louis XVI. Dans l’ordre politique, la référence à l’Angleterre s’inscrit dans un mouvement de contestation idéologique des assises de l’ordre monarchique traditionnel. Au-delà des éloges souvent figés dans l’abstraction, les analyses au modèle anglais autorisent un travail de critique qui, sans prôner une véritable imitation institutionnelle, ouvrent la voie à une possible, sinon souhaitable, modification de l’ordre social et politique inspirée de ce même modèle.
2Afin d’étayer cette hypothèse, il convient de suivre les mentions, les “traces” du référent anglais dans les débats politiques de la seconde moitié du xviiième siècle. Sans avoir la “visibilité” des critiques de la justice pénale, elles apparaissent dans deux registres spécifiques de discours, rendant alors possible la compréhension des mécanismes d’instrumentalisation du modèle anglais dans l’ordre politique de l’Ancien Régime. Le premier emprunte la voie la plus détournée possible. Elle consiste en effet pour certains à inscrire le modèle anglais dans le registre du discours utopique (I). Le second chemin permet de suivre le modèle anglais dans le discours contestataire le plus célèbre du xviiième siècle, la rhétorique frondeuse des parlementaires. Au cœur de la crise du greffe et de la couronne qui secoue dramatiquement le royaume, s’immiscent des références de plus en plus explicites à l’Angleterre, dont le système politique semble pourtant à l’opposé de la réalité constitutionnelle de l’État monarchique de la France (II).
I -LE DISCOURS UTOPIQUE : DE L’ANGLETERRE RÉELLE À L’ANGLETERRE RÊVÉE
3Si la présence de l’utopie dans la pensée politique des Lumières n’est plus à démontrer2665, il reste une question plus délicate. Où situer la frontière théorique et géographique entre la réalité et le territoire de l’utopie, entendu comme un “non-lieu” depuis le titre éponyme de l’ouvrage de Sir Thomas More (1478-1535) ? Ce genre littéraire et politique n’est-il pas censé permettre la description d’un ailleurs, sorti tout droit de l’imagination de son auteur ? La réponse est complexe. Sous couvert d’anonymat, le chancelier anglais entendait autant pourfendre l’Angleterre des Tudors que livrer à son lecteur le tableau d’un monde imaginaire où existerait “la meilleure forme de communauté politique”2666.
4La même superposition de discours se retrouve dans les utopies du xviiième siècle. Il en est ainsi lorsque la très réelle Angleterre s’immisce dans le royaume des Féliciens décris par le marquis de Lassay. Dans ce monde imaginaire, le gouvernement est “semblable en beaucoup de choses” à celui de l’Angleterre, à commencer par le contrat unissant le roi à ses sujets. Les représentants de la nation, convoqués tous les six ans, donc moins régulièrement qu’en Angleterre, précise l’auteur, s’assemblent dans un Parlement divisé en une chambre haute composée des “patriarches de la nation” et une chambre basse réunissant les députés des villes et des provinces2667. Détail symptomatique, de Lassay, membre actif du Club de l’Entresol, alors fréquenté par certains exilés jacobites comme Ramsay ou Bolingbroke, précise qu’une même dynastie règne avec bonheur sur la Félicie “depuis près de deux siècles”, quand l’histoire anglaise est elle “remplie de révolutions et d’événements tragiques”2668. La description de la ville de Paris en L’an deux mille quatre cent quarante illustre de la même façon le caractère ténu des frontières entre l’imaginaire et la réalité. Dans ce célèbre roman d’anticipation, Louis-Sébastien Mercier n’a en rien renoncé à son anglophilie pour décrire le Paris du xxvème siècle. Dans ces temps futurs, le peuple anglais est toujours “le premier peuple de l’Europe”, auréolé de la gloire “d’avoir montré à ses voisins le gouvernement qui convenait à des hommes jaloux de leurs droits et de leur bonheur”2669.
5Ces deux récits imaginaires illustrent l’immixtion de la réalité politique anglaise dans le territoire éthéré de l’utopie. Il semble cependant que le phénomène exactement inverse soit plus frappant. Chez les plus exaltés des anglophiles, la représentation de l’Angleterre s’inscrit dans les marges de l’utopie, à la frontière de l’imaginaire. S’explique ainsi l’incroyable idéalisation d’une réalité politique et sociale, en même temps que la puissance critique de la référence anglaise, implicite mais récurrente, au regard de la France des Bourbons. D’une Angleterre rêvée, produit de l’imaginaire (§1), le discours peut alors insensiblement glisser à une Angleterre réelle, devenue référence obligée dans certains des débats idéologiques des Lumières, comme la tolérance ou la noblesse commerçante (§ 2).
§ 1 - L’Angleterre rêvée
6À la suite de sa thèse de l’École des Chartes consacrée aux voyageurs français et anglais de la seconde moitié du xviiième siècle, Michèle Sacquin a publié une remarquable étude sur la représentation utopique de l’Angleterre dans le récit de voyage2670. Ce genre littéraire, dont l’importance a été soulignée par les contemporains eux-mêmes, à commencer par Peuchet dans le discours introductif de la section “police” de l’Encyclopédie méthodique2671, paraît en effet être le support idéal de la dérive utopique présente dans la représentation de la nation anglaise, dont la vision onirique se déploie au service d’une morale politique, plus que d’une véritable idéologie, d’un genre nouveau.
-Londres, une cité utopique
7À la lecture des récits de voyage en Angleterre, la frontière entre la ville réelle et la ville rêvée, entre le récit de fiction et le compte rendu des péripéties de ce qui n’était qu’une simple traversée de la Manche se dissout.
8De par sa topographie, l’Angleterre offre naturellement quelques prises incontestables à cette dérive utopique. Depuis Thomas More, l’île est en effet l’un des cadres conceptuels privilégiés de la structure du discours utopique, présent au xviiième siècle dans les écrits de Swift, de Marivaux ou de Restif de La Bretonne2672. En renforçant l’isolement, la séparation par des flots forcément agités que tout voyageur se doit d’affronter avant de gagner cette terre inconnue, l’insularité confère une autonomie radicale, une extranéité au lieu visité, en le protégeant dans le même temps de toute influence étrangère. À cela s’ajoute la ville, ou plutôt la capitale, la nation anglaise étant le plus souvent appréhendée dans le cadre épuré et abstrait de sa seule expression londonienne. Si le paradigme de l’idylle champêtre et agraire, présent pendant tout le siècle grâce aux multiples rééditions du Télémaque de Fénelon, et repris notamment dans la société de Clarens rapportée dans La nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau, se retrouve dans de nombreuses utopies, l’espace urbain nourrit l’imaginaire de Delamair, dans le Songe et le réveil d’Alexis Delamair, architecte de Paris (1731) ou La Basiliade (1753) de Morelly. Le royaume hanovrien se réduit ainsi à la Cité-État de Londres, “siège de la liberté et de l’encouragement des arts” selon la formule, au demeurant classique, du duc de La Rochefoucauld2673.
9Reste enfin la forme littéraire spécifique communément adoptée pour décrire l’Angleterre, le récit de voyage, dont le succès éditorial ne s’est jamais démenti dans la seconde moitié du xviiième siècle. À l’inverse d’un voyageur anglais rapportant ses impressions quotidiennes selon un déroulement chronologique et publiées sous le titre de Tour, de Travel Diary ou de Travelling Memorandum2674, le Français préfère les présenter sous une forme épistolaire ou à travers des Observations, un Tableau ou même un Voyage philosophique, plus propices à l’abstraction, à la généralisation, tout en perdant une partie de leur fonction strictement descriptive. Le récit de voyage se structure le plus généralement autour de deux formes distinctes. La première emprunte au genre épistolaire, le plus souvent inspiré des Lettres persanes, le voyageur rapportant à un correspondant fictif resté de l’autre côté de la Manche descriptions et impressions de son voyage ordonnées autour de lettres thématiques. La seconde consiste en une accumulation de notices ou de courts chapitres très travaillés sur des thèmes variés, qui, par leur accumulation hétéroclite (législation, théâtre, agriculture, forme de gouvernement), autorisent l’auteur à truffer de digressions personnelles des renseignements le plus souvent empruntés à des ouvrages antérieurs2675. Dans les deux cas, le discours narratif ne s’articule pas selon une stricte forme linéaire, description chronologique des péripéties quotidiennes, mais passe par une reconstruction a posteriori. À partir de notes brutes accumulées lors de son déplacement, l’auteur développe un propos visant à l’édification politique et morale de voyageurs potentiels. “Il m’est venu dans l’esprit que je pourrais leur être utile (…) en leur procurant un guide moral, physique et politique pour y voyager avec fruit”, déclare ainsi Louis Dutens au début de son ouvrage qui, à première vue, devrait s’apparenter à un simple guide de voyage2676.
10À ces éléments objectifs s’ajoute enfin le sens du projet utopique qui permet la projection d’aspirations ouvrant la voie “tantôt à une société tout à fait différente, tantôt à une profonde réforme de celle qui domine, ou à sa transformation révolutionnaire”2677. Au-delà de la reconstruction d’un monde onirique, le contraste, ou la symétrie, suggéré entre l’“ici” de la France, et l’“ailleurs” absolu de l’utopie, mais simplement relatif dans le récit de voyage, confère à cette forme de discours une indéniable puissance critique.
11Il est à présent possible de pénétrer avec quelques uns des voyageurs dans cette Cité-État, où règne un ordre harmonieux. D’une profusion de détails répétés à satiété, se dégage le sentiment d’une ville heureuse et prospère, épargnée par toute forme de cloaques ou de quartiers miséreux. Ce n’est pas tout Londres qui est donnée à contempler, mais un choix sélectif des quartiers les plus récents de la capitale, situés entre la City et Westminster2678. Une frontière invisible semble interdire les voyageurs français de sortir de ces lieux opulents où les rues sont larges et savamment éclairées. La circulation y est fluide, tout en permettant aux piétons de circuler librement grâce à de larges trottoirs2679. Sans avoir la rassurante (ou oppressante) symétrie de Milet rebâtie par Hippodamos ou la circularité, reflet de l’ordre parfait de l’univers, de la Cité du Soleil de Campanella, les rues de Londres seraient, d’après Grosley “larges, alignées et bordées de hautes maisons”2680. Selon Lacoste, ce spectacle d’une ville aérée et salubre “offre à l’étranger tout ce qu’une sage police a pu réunir”2681. La puissance imaginative de l’auteur de la description la plus dithyrambique de la ville de Londres s’explique lorsqu’il rapporte ses “sources d’inspiration”, qui ne sont ni historiques, ni politiques, mais romanesques : “C’est dans Clarisse Harlowe, Don Quichotte et Amadie des Gaules, et non dans Hume, Ferreras ou Daniel que j’étudie les usages, les mœurs et le caractère des Anglais, des Espagnols et des Français”2682. Il est alors compréhensible que l’Angleterre et ses habitants perdent toute réalité pour devenir un sujet de pure fiction. Coyer précise d’ailleurs que ces aménagements urbains sont financés non par des impôts arbitraires, mais grâce à une taxe sur les carrosses votée par le Parlement, qui, ainsi, “s’est imposé lui-même, avec tous les riches, sans toucher le peuple”2683. Ville sans passé, puisque partiellement reconstruite depuis le grand incendie de 16662684, Londres se fige dans une immobilité et une douce prospérité.
12Au fil de cette description stéréotypée, la ville s’ordonne autour de quelques monuments symboles de “l’esprit public” des Anglais, selon une expression alors consacrée. Les lieux de pouvoir, comme les palais de Whitehall ou la Tour élevée sur les bords de la Tamise, et certains édifices cultuels, à commencer par la cathédrale Saint-Paul, sont brièvement évoqués. Mais l’enthousiasme éclate à l’approche des hôpitaux, des prisons et des asiles, édifices publics chargés de valeurs morales et civiques2685. Au Royal Stock Exchange et à la Société Royale déjà vantés au début du siècle par Voltaire s’ajoutent de nouveaux monuments symboles de l’esprit philanthropique et utilitariste de cette fin de siècle. Dans cette île en effet, “l’esprit public se porte, selon Coyer, avec compassion sur la partie souffrante et indigente de l’humanité”2686. Ainsi, les Invalides de Greenwich restent, d’après Madame de Roland, “l’édifice le plus grand et le plus beau de Londres”2687, alors que c’est la prison de Newgate, lieu où “l’humanité se mêle à la justice”, qui est pour l’abbé Coyer “un des plus beaux édifices de Londres”2688. Aussi, Dutens peut-il implorer l’étranger de “visiter les prisons de Londres ; elles prouvent l’humanité des Anglais autant que les hôpitaux. L’infortuné, condamné à l’emprisonnement, n’y souffre que de la perte de sa liberté”2689. Même les fous de Bedlam sont enfermés dans un lieu “qu’ils béniraient s’ils pouvaient réfléchir”2690.
13Le ton peut devenir plus polémique à l’évocation de Westminster, édifice emblématique de la cité londonienne. Certes Lacoste peut se pâmer devant la nation anglaise qui sait élever des “temples à la vertu, des statues à la bienveillance et des monuments à l’amitié” et ainsi honorer ceux de ses membres les plus vertueux. Comme Voltaire quarante ans auparavant, Grosley s’enthousiasme pour “le grand dépôt de monuments érigés à la gloire de la nation”, en précisant que les Anglais honorent “les grands hommes de préférence aux rois”, par un orgueil patriotique qui les rapproche des républiques antiques. “Cette chaleur, écrit-il, qui échauffa Rome et la Grèce, se retrouve en Angleterre, et elle y produit les mêmes effets”2691. Mais Louis-Sébastien Mercier ne s’arrête pas à ce constat d’un culte laïc du citoyen vertueux, par un parallèle riche de sens entre les abbayes de Saint-Denis et de Westminster. Dans la première, c’est la seule “sépulture ordinaire des rois” qui se voit honorée. Et si Turenne y a été admis, d’autres, comme le cardinal d’Amboise, fidèle ministre de Louis XII, ou Sully, grand serviteur de la France d’Henri IV, en ont été injustement écartés. Dans la seconde, se trouvent alignés les tombeaux des figures les plus illustres de la nation anglaise. “L’homme d’État, le guerrier, l’écrivain, le comédien, chacun y est placé avec honneur pour recevoir les témoignages du souvenir et la reconnaissance de la postérité”. Dans ce sanctuaire patriotique, nécropole de personnages symboliques qui préfigure le Panthéon révolutionnaire, l’homme du peuple pleure devant la sépulture de Shakespeare, mais ne prête “aucune attention”, précise Mercier, à celles de ses rois placées dans une salle mitoyenne, obscure et le plus souvent fermée2692 ! Au fil de cette métaphore architecturale transparente, l’auteur cherche à opposer un pays servilement monarchique à une nation républicaine, où le mérite, et non la naissance, fonde l’ordre social. À la célébration de l’ordre et du passé monarchique, les Anglais ont préféré le culte des grands hommes utiles à la nation. Il pousse même la provocation en rapportant, sans s’offusquer le moins du monde, la légende selon laquelle le corps de Cromwell serait en fait toujours enterré à Westminster2693. Il n’est ainsi pas étonnant que le futur Conventionnel se réjouisse qu’en l’an 2440, les Anglais aient abandonné leur procession annuelle à la mémoire de Charles Ier, pour au contraire ériger une statue de Cromwell au milieu des assemblées populaires. Le Protecteur, “héros digne du sceptre qu’il avait fait tomber d’une main perfide et criminelle envers l’État” est en effet dans cette Angleterre cette fois imaginaire “le véritable auteur de l’heureuse et immuable constitution”2694. La frontière entre un récit de voyage, au contenu supposé réaliste, et le discours utopique est assurément ténue.
14Dans cette ville-modèle règne d’ailleurs un ordre social, qui, par les nombreuses références antiques disséminées au fil les descriptions, prend un tour très républicain, la multiplication des termes “patrie” et “citoyen” en témoigne. Par la présence rassurante des watchmen, explique Madame de Roland par une référence pour le moins incongrue à l’austère cité spartiate pour décrire l’Angleterre de George III, “il en est ici comme à Lacédémone, on laisse à la vigilance de chaque particulier le soin d’éviter ces petites pertes journalières”2695. Il devient alors inutile de recourir à une maréchaussée brutale et oppressive. À Londres, Rome des temps modernes selon Lacoste, où la Tamise lui évoque naturellement le Tibre, chaque citoyen, armé d’un simple bâton, veille dès la tombée du jour à la sécurité de tous2696. L’attachement à cette milice urbaine s’explique par le goût de cette nation pour la liberté, les Anglais ayant ainsi refusé, à en croire Coyer, de mettre “dans leur constitution cette forme coactive et dégagée de formes légales que nous appelons police. Ils n’en ont même pas le nom dans leur langue, car le mot anglais policy signifie politique et non police”2697. Quand les watchmen viendraient à être dépassés face à un attroupement dangereux, le simple rappel de la loi par un magistrat, en référence au Riot Act, suffirait à rétablir le calme2698.
15Le peuple, d’habitude si turbulent et frondeur, est gagné en Angleterre par l’amour des lois. La philosophie et l’esprit public pénètrent même dans les tavernes, nouveau lieux de savoir et de sociabilité républicaine. Lacoste rapporte ainsi des conversations roulant noblement sur les affaires du royaume, la guerre d’Amérique ou la Compagnie des Indes, décelant dans les propos tenus par les plus viles parties de la population “sinon l’éloquence parlementaire, du moins la justesse du raisonnement”2699. Plus généralement, le peuple londonien, paré de tous les mérites, ne semble soucieux que du bien commun. Ainsi, d’après Grosley, les Londoniens sont “un peuple bon, un peuple humain, même dans le dernier ordre”2700. Preuve en est la multiplication des souscriptions pour la moindre personne dans le besoin. Grosley, mais aussi Madame Roland ou Coyer, tous prennent soin de rapporter un noble exemple d’assistance désintéressée à une personne démunie par le biais de souscriptions2701.
16Cette accumulation de faits quotidiens, en apparence anodins et futiles, ces descriptions stéréotypées d’une plate banalité conduisent à ce que Bronislaw Baczko appelait dans son étude sur l’utopie “une subordination de la ville à la vision globale de l’ordre social”2702, parfaitement perceptible au travers du tableau londonien laissé par Jacques Cambry. Ce modeste érudit, auteur de quelques écrits historiques et littéraires, ne prétend pas aiguiller un futur voyageur dans les méandres d’une ville qu’il ne peut se targuer de connaître. Dès les premières lignes de son ouvrage, il avoue en effet n’avoir séjourné que trois semaines de l’autre côté de la Manche2703. Au-delà des sempiternels lieux communs sur l’industrieuse cité londonienne et des éloges lancés à ce peuple conjuguant “les finesses et les grâces qu’on accorde aux Français” à ses propres “qualités républicaines”, la description donne à contempler une société-modèle, parfaitement réglée, organisée selon une distribution des rôles digne de la cité platonicienne.
Le peuple anglais ne lit que la Bible et les gazettes. Les membres du Parlement reçoivent une éducation soignée, connaissent leur histoire, leurs lois et les grands poètes. Le savant s’instruit à fond dans la partie qu’il veut connaître, sans prétendre à l’universalité des connaissances que l’homme de lettres en France, a envie d’acquérir et ne fait qu’effleurer. De là, le peuple agit, le grand conduit, le savant éclaire2704.
17Située à la frontière du rêve et de la réalité, l’Angleterre apparaît comme une toile tendue sur laquelle se projettent les aspirations de ces voyageurs-philosophes, par un mélange complexe de concret et d’abstrait, de détails pittoresques et de généralités. Un ordre social et politique à l’épaisseur très républicaine est alors donné à contempler. La cohérence dans l’ordonnancement de cet ordre, la parfaite complémentarité des éléments qui le compose, et les stéréotypes sans cesse avancés, lui confèrent sa force persuasive, voire subversive, mais également en soulignent les limites. Reposant sur une systématisation et une simplification d’une réalité autrement plus complexe, cet ordre peut aisément être renversé. Il suffit en effet de retourner, comme le fait par exemple le littérateur Coste d’Arnobat, chacun des éléments présentés pour que le modèle sous-jacent se transforme en un contre-modèle. Au fil de son voyage (imaginaire ?), ce littérateur inquiet de ”l’anglicisme répandu en France“ livre une longue description de la ville de Londres sale, inquiétante, sans un seul monument capable de rivaliser avec ceux de Paris. Dans le climat de cette ville caractérisée par ”un brouillard épais et fétide“, la populace est ”dans l’ivresse, en criant avec des mouvements convulsifs : Wilkes and Liberty“2705.
18Il n’en reste pas moins que, comme dans le discours utopique, ces descriptions ne s’intègrent pas dans un discours clos, hermétique aux aspirations politiques de l’époque. Les portes de la ville de Londres, au même titre que les songes, possèdent plusieurs clefs ”idéologiques“ plus ou moins élaborées qu’il convient d’analyser.
-Les valeurs fondatrices de cette cité rêvée
19Le regard naïf et émerveillé posé sur le spectacle de la ville de Londres est guidé par un discours politique cohérent. Ces descriptions de l’Angleterre hanovrienne charrient sinon une idéologie, du moins un code moral et politique mêlant un utilitarisme individualiste2706 d’essence libérale et un patriotisme républicain2707.
20Contrairement à l’un des schémas traditionnels de l’utopie, qui propose un ordre anti-individualiste égalitaire par la mise en communauté des biens2708, c’est au contraire sur l’exaltation de la propriété privée qu’insistent les admirateurs de la liberté anglaise, à commencer par Grosley : “Le respect de la propriété est une chose sacrée que les lois ont mise à l’abri de tout attentat, non seulement de la part des ingénieurs, inspecteurs et autres gens de cette espèce, mais de la part du roi lui-même”2709. Seul critère légitime de distinction, la propriété structure un ordre politique et social anglais centré sur l’individu. De là, le culte professé pour le mérite, valeur foncièrement individualiste. Comme l’affirme l’économiste Ange Goudar, qui avance ici un véritable lieu commun des Lumières, “le livre d’or du mérite est ouvert pour tous ceux qui ont assez de mérite pour s’y faire inscrire”2710. Il pousse cependant le propos jusqu’à la caricature en écrivant, dans une référence explicite aux écrits historiques de Voltaire :
Pendant que le siècle de Louis XIV donnait à la France des Racine, des Molière, des Boileau, celui de la Grande-Bretagne faisait naître des Newton, des Locke, des Temple, des Raleigh, qui ont joint à la philosophie une connaissance plus utile à la société, celle de l’enrichir en l’éclairant sur le commerce2711.
21Moteur de l’activité publique en même temps que critère premier de distinction sociale outre-Manche, le mérite se définit, sous la plume des anglophiles, par le critère de l’utilité. Il n’existe ainsi pas selon Ange Goudar de “profession avilissante ; tout art, tout métier qui augmente la richesse publique est glorieux”2712. Tout en étant parfois porteuse d’aspirations égalitaires2713, l’insistance sur cette valeur traduit surtout une hostilité radicale à toute forme de distinction honorifique fondée sur la naissance, ou de privilèges considérés comme indus. L’absence d’immunité et d’exemption fiscale démontre à Coyer que “le clergé, la noblesse, les pairs, tout est citoyen, tout est peuple à cet égard”2714. Cette égalité devant la loi n’est cependant pas incompatible avec la reconnaissance d’une aristocratie, à la seule condition qu’elle soit fondée sur le talent. Citant les exemples de Bolingbroke, Walpole, Carteret ou Pelham, tous élevés à la pairie, il constate ainsi que “le plus haut degré de noblesse est à la portée de quiconque a de grands talents”2715.
22L’idéologie anti-nobiliaire s’épanouit dans l’exaltation de la dilution des hiérarchies sociales dans cette Angleterre “bourgeoise” et vertueuse. Admirablement symbolisé par les tombeaux de l’abbaye de Westminster2716, le mérite, entendu comme la valeur intrinsèque de chaque individu, et non un quelconque statut héréditaire, préside à la hiérarchie sociale. “Il n’y a point ici, écrit Madame de Roland, de noblesse distinguée comme chez nous, par des privilèges qui écrasent le peuple”2717. Toutes les classes sociales, à commencer par les plus élevées, participent au bien commun dans une saine émulation. Comme nombre de ses contemporains, Mercier insiste sur les avantages pour l’Angleterre de ne pas admettre la loi de dérogeance. Quand le fils aîné d’un Lord peut siéger par droit héréditaire dans la chambre haute du Parlement, “les puînés se jettent dans des entreprises de commerce ou de navigation, se rendent utiles par leur goût pour les sciences”2718. Si la noblesse anglaise ne rencontre pas d’obstacle juridique et culturel pour s’adonner à des activités roturières, elle aime également participer à ce qu’Ange Goudar appelle “l’industrie publique”, par la multiplication des souscriptions, des legs ou la fondation de sociétés d’encouragement2719. Ainsi, d’après Grosley, le système de canalisation de Londres aurait été offert par un “simple citoyen”, et c’est un dénommé Diker, qualifié de “pontifex maximus”, qui après avoir fait fortune dans les Amériques, finança la construction d’un pont entre Londres et Oxford, simples exemples dans ce pays abondant en “monuments de magnificence patriotique”2720. Goûtant la référence à l’Antiquité, l’aristocratie anglaise aimait en effet pratiquer ces donations publiques, que certains historiens comparent à l’évergétisme des cités hellénistiques. Comme dans les temps anciens, l’oligarchie urbaine multipliait les libéralités pour financer la construction de bâtiments publics ou participer à l’amélioration de la vie urbaine (canalisations, éclairages, promenades), s’assurant à la fois la reconnaissance des habitants et de possibles réseaux de clientèles, toujours utiles lors des élections parlementaires2721.
23Cet utilitarisme individualiste se manifeste dans la redéfinition des fonctions de l’État. Aucune barrière, aucune réglementation ne doit entraver l’initiative individuelle, credo résumé par Grosley qui affirme qu’en Angleterre “l’autorité publique se contente d’animer et d’encourager [la richesse], elle croirait la détruire, en la gênant, si elle entreprenait de la diriger”2722. Pour illustrer la prohibition de toute forme de monopole et de corporatisme, Coyer avance l’exemple des postes anglaises. Outre-Manche, il n’existe dans ce domaine aucun privilège royal, si bien que “cette liberté établit une concurrence qui tourne à l’avantage du public”2723. Le principe de la fondation apparaît alors pour les hommes des Lumières comme l’illustration parfaite d’une activité conjuguant l’efficacité et l’utilité avec l’initiative individuelle. Célèbre pour ses attaques contre le système corporatif de son temps, Turgot avait d’ailleurs avancé en exemple les îles britanniques dans l’article “fondations” de l’Encyclopédie. À l’instar des pratiques en cours de l’autre côté de la Manche, des “citoyens généreux” doivent pouvoir constituer des associations libres et volontaires et ainsi financer des activités qui “entrent moins dans le système de l’administration générale et [qui] peuvent demander des secours particuliers”. Libéralisme politique, utilité publique et philanthropie sont ainsi heureusement conjugués.
Qu’on ne me dise point que ce sont là des idées chimériques : l’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande sont remplies de pareilles sociétés, et en ressentent les heureux effets. Ce qui a lieu en Angleterre peut avoir lieu en France : et quoique on en dise, les Anglais n’ont pas le droit exclusif d’être citoyens2724.
24L’État se trouve ainsi déchargé d’une partie de ses attributions en les confiant aux plus riches de ses membres. Ces fondations se voient parées de toutes les vertus : utiles à la société par leur contribution à l’émulation collective ou au soulagement des plus indigents, elles sont dans le même temps la preuve éclatante de la générosité et du civisme de leurs donateurs. Mercier explique le succès de ces sociétés par “une espèce d’amour propre et de rivalité qui donne de l’émulation au profit des pauvres malades”2725, et le duc de Croÿ souhaiterait à ce sujet que “ce patriotisme anglais, qui tient des Romains, fût plus en usage en France”2726. À travers cette apologie de l’Angleterre s’épanouissent les aspirations philanthropiques des Lumières. Expression mondaine et sécularisée de la charité chrétienne, la philanthropie garde une très forte connotation anticléricale, quand Brissot précise qu’en Angleterre, ces actes de bienfaisance ne sont pas “inspirés par le christianisme”, et que “l’amour de la patrie produit encore des citoyens-héros”2727.
25La même morale philanthropique aux accents moralisateurs se retrouve à l’évocation de la taxe sur les pauvres (Poor Tax), dont Grosley rapporte les débats au Parlement précédant le vote du statut d’administration générale de 1765. Les Anglais ont ainsi réussi à éviter l’un des fléaux des cités continentales puisque “Londres n’a pas de pauvres, au moyen d’établissements de charité très riches et très nombreux et des sommes immenses que produit la taxe sur les pauvres”2728. En dépit d’une réalité autrement moins idyllique, ce système fiscal permet, selon Mercier, de confier l’administration des secours à chaque communauté d’habitants qui confie à un commissaire (l’overseer of the poors) le pouvoir de lever cette taxe “avec joie” ! “Comme il n’y a ni les embarras des prêtres qui s’en mêlent, ni d’instruction d’aucune religion, le secours est directement administré et enregistré, de même que la recette qui est publiquement connue et dont on rend compte”2729.
26À la frontière du rêve et de la réalité, confinée dans les marges de l’utopie, l’Angleterre apparaît comme le catalyseur des aspirations d’une élite éclairée avide de changements. À la fois support et objet d’un discours, cette insaisissable Angleterre se retrouve à l’identique dans certains des débats idéologiques du second xviiième siècle.
§ 2 - Du rêve à la réalité : l’Angleterre, argument du discours polémique
27Il est possible de suivre la place faite au référent anglais grâce à deux des innombrables polémiques qui agitent les élites éclairées : la querelle de la noblesse commerçante et la question de la tolérance religieuse. Tantôt modèle digne d’inspiration, sinon d’imitation, tantôt repoussoir idéologique, l’image de cette nation se trouble, et se façonne sans grande cohérence au gré des aspirations idéologiques.
-Le référent anglais dans la querelle de la noblesse commerçante
28Désireux de préparer l’opinion publique à une réforme de l’édit de 1701 sur la réglementation du commerce en gros, considéré comme inefficace, le Bureau du commerce sollicite, sans doute par l’entremise de Vincent de Gournay, les services de l’anglophile Gabriel-François Coyer2730. Au début de l’année 1756, est alors imprimé La noblesse commerçante, pamphlet plein de verve et de chaleur, dont le contenu dépasse largement les intentions des commanditaires. Au lieu de plaider la possibilité pour la noblesse de pratiquer le commerce de gros sans être tenue de se faire recevoir dans un corps ou une communauté2731, Coyer déplace les termes du débat par une attaque vigoureuse et sans nuances contre le second ordre accusé d’être en temps de paix “un corps paralytique sans mouvement, sans action [et] sans idée”2732. Ressourçant une vieille tradition d’hostilité envers la noblesse et plus généralement à toute forme de féodalité, entretenue au cours de la première moitié du siècle par d’Argenson, par certains économistes comme Melon et Dutot et par les premiers admirateurs de la liberté anglaise, l’abbé anglomane ose en pleine de guerre de Sept Ans suggérer à ses compatriotes l’imitation de la puissance ennemie. Non sans provocation, il n’hésite en effet pas à écrire :
Tournons la noblesse du côté du commerce et la fécondité prendra la place de la disette. Le commerce étend et perfectionne la culture du terres. Voilà ce que l’Angleterre a prouvé2733.
29L’enjeu le plus important de cette polémique aux facettes multiples porte sur la redéfinition de l’ordre social constitutif de l’État monarchique. En quelques pages, Coyer développe un véritable “modèle positif de société”2734, visant à intégrer, par l’entremise du commerce, les valeurs républicaines d’égalité juridique et de vertu civique dans un cadre monarchique alors débarrassé de sa structure corporatiste et hiérarchisée. En contestant la légitimité historique de la noblesse et ses fonctions traditionnelles, Coyer heurte les tenants de la pensée nobiliaire. Mais sa vibrante apologie du commerce ne peut dans le même temps que susciter la méfiance des membres de l’école physiocratique attachés à l’idée d’un ordre économique reposant sur le primat de l’agriculture. Avancé comme exemple par Coyer, le référent anglais vient en outre brouiller un peu plus encore le contenu de ce débat. En effet, la ligne de démarcation entre partisans et adversaires de la noblesse commerçante ne correspond pas à la distinction entre anglophiles, dont Coyer est l’un des hérauts, et anglophobes.
30Si, depuis déjà plusieurs décennies, les observateurs français avaient rapporté en des termes le plus souvent admiratifs la singularité de la noblesse anglaise, exempte de la loi de la dérogeance, Montesquieu avait mis fermement en garde ses contemporains sur le risque d’introduire cet usage dans la France monarchique, ouvrant la voie au despotisme par la dilution des corps intermédiaires2735. En critiquant l’opinion du magistrat bordelais sur ce point, Coyer prend soin de dissoudre le lien entre la pratique du commerce et la forme du gouvernement. L’essor de la législation commerciale anglaise ne remonte pas à “la Grande charte qui modéra le pouvoir absolu”, mais au xvième siècle, au temps du règne glorieux et autoritaire d’Elisabeth2736.
31Un des sectateurs de Coyer, l’abbé de Pezerols, reprend la même argumentation en expliquant la prospérité anglaise par le fait que “la plus haute noblesse ne craint pas de s’abaisser en commerçant”2737. Rien, exceptés une législation archaïque et d’obscurs préjugés, n’interdit alors à la France de suivre la voie suggérée par l’Angleterre, nation, qui en conjuguant heureusement la puissance militaire et les activités commerciales, multiplie les “exemples de grandeur d’âme”2738. Sans risquer de menacer la sécurité du royaume, la noblesse indigente doit pouvoir s’adonner au commerce, et manifester ainsi son dévouement pour l’autorité monarchique en se rendant utile au bien commun. “Les Anglais aiment l’État, nous aimons notre Roi”, rappelle prudemment de Pezerols, désireux de lever tout soupçon de tentation républicaine2739. Dans cette perspective, il n’est guère étonnant que Dupin, féroce critique de la constitution anglaise2740, puisse pleinement adhérer aux propositions de l’abbé Coyer en renversant l’argumentation de Montesquieu sur l’incompatibilité du commerce avec un gouvernement monarchique. C’est à “la révolution qui a uni la démocratie et l’aristocratie à la monarchie” qu’il faut attribuer l’affaiblissement de l’autorité royale, et non à la cause “impuissante et innocente” de l’esprit du commerce animant la nation anglaise2741.
32Occultée ou minorée chez les partisans du système de la noblesse commerçante, la nature spécifique du gouvernement anglais est au contraire au cœur du front du refus élevé contre les thèses iconoclastes de Coyer. La diversité des publicistes réunis sous cette bannière démontre d’ailleurs combien ses propositions étaient capables d’ébranler les structures traditionnelles de l’État monarchique. Il est ainsi révélateur de voir Philippe de Sainte-Foy, chevalier d’Arcq, fils naturel du comte de Toulouse, et Melchior Grimm, membre influent de la coterie philosophique, avancer des arguments similaires dans leur rejet des propositions “anglaises” de Coyer.
33Deux arguments, l’un topographique, l’autre politique, sont avancés pour démontrer les périls encourus si la France venait à imiter les usages anglais. Par sa situation géographique, l’Angleterre est préservée de toute menace d’invasion. Naturellement protégée par son insularité, elle peut sans risque détourner les plus éminents de ses membres du service militaire pour les laisser s’adonner aux activités commerciales. Cet argument avancé par le chevalier d’Arcq, et largement repris par la suite2742, est cependant occulté par l’insistance mise sur la singularité politique de l’Angleterre. La France monarchique ne saurait s’inspirer d’un modèle républicain par sa constitution et son ordre social, affirmation dont les arguments, pour la plupart empruntés à Montesquieu (l’honneur monarchique, les corps intermédiaires, seul rempart contre le despotisme, le commerce entendu comme “la profession des gens égaux”)2743 seront répétés à satiété. Ainsi, le marquis de Penne préfère se taire pour “écouter ce grand homme [Montesquieu], né pour venger les Français, depuis trop longtemps accusés de n’être que superficiels”, et de citer ensuite un extrait du Livre II de L’Esprit des lois, sur les conséquences de l’abolition des “puissances intermédiaires” en Angleterre2744.
34Dans le gouvernement “si sagement mêlé de monarchie et de république”, le roi d’Angleterre, rappelle le chevalier d’Arcq, ne possède pas le principal attribut du pouvoir souverain, celui de faire des lois, mais seulement le pouvoir de les exécuter2745. En sécrétant un esprit d’égalité, le commerce peut sans danger s’épanouir dans cette monarchie tendant vers la république, la noblesse ne se voyant alors pas reconnaître de fonction spécifique au sein de l’État. À l’inverse, dans le royaume de France, inciter la noblesse au commerce conduirait à “la destruction de la monarchie”2746, par un bouleversement de l’ordre politique fondé sur l’inégalité des conditions et la hiérarchie des ordres. En embrassant cette activité roturière, le second ordre ne serait plus capable d’accomplir sa vocation naturelle, la profession des armes, la seule “qu’il puisse exercer convenablement”2747. Animé par la même crainte des ravages de l’esprit mercantile, Grimm insiste sur l’incompatibilité de principe entre l’honneur et le commerce, incompatibilité que l’Angleterre peut en partie ignorer à cause “de sa position et de sa constitution”2748. De même, de Joncourt, admirateur de l’Angleterre, “un des pays les plus heureux du monde [où] le génie du gouvernement y est sage et doux”, ne partage pas les tentations républicaines de Coyer. Par l’abolition de la loi de la dérogeance, il craint de voir la noblesse de France s’amollir “par les délices du commerce”. Dans une perspective ouvertement aristocratique, il redoute les effets niveleurs du commerce sur l’ordre social, l’inégalité des fortunes ne pouvant seule suffire à “tenir la multitude dans la subordination”2749.
35L’anglophobie ranimée par la guerre de Sept Ans, peut également raviver la chaleur de la polémique, comme sous la plume du marquis des Pennes qui s’offusque de la violation du droit des gens par les vaisseaux anglais2750, mais plus encore sous celle d’Octavie Durey de Meynières qui, sans partager l’idéologie nobiliaire du chevalier d’Arcq, voue une haine féroce à l’Angleterre. Par sa soif de l’or, cette nation décadente serait accablée de tous les maux : multiplication des impôts, vénalité, corruption et esprit de factions. “Voilà pourtant, affirme-t-elle en conclusion de sa violente diatribe, les brillants effets d’un vaste commerce, et le modèle que nous nous proposons à ce qu’il paraît, depuis longtemps”2751. De même, Garnier souhaite voir Le commerce remis à sa place, en brossant un tableau apocalyptique de “l’esprit national anglais” : “La subordination en est-elle mieux gardée dans leur gouvernement ? La canaille n’influe-t-elle en rien sur les affaires publiques ? La licence ne s’y appelle-t-elle point liberté”2752 ?
36Alors que les feux de la polémique s’étaient rapidement éteints sans avoir entraîné de modification substantielle de la législation sur la dérogeance2753, le comte du Buat-Nançay offre une réponse vigoureuse et tardive aux thèses de Coyer dans ses Maximes du gouvernement monarchique. Disciple hétérodoxe de Montesquieu, entiché du mythe germain, du Buat-Nançay se livre à l’une des plus violentes attaques rencontrées dans le cadre de cette étude contre la “détestable” constitution anglaise, “démocratie très turbulente et très vicieuse”2754. Ce déploiement de haine s’explique par l’incompatibilité absolue entre l’idéal aristocratique2755, qui confine à l’esprit de caste, et ce qu’il appelle, selon une terminologie en pleine mutation, le “gouvernement bourgeois” de l’Angleterre. Dans son sens traditionnel, le caractère “bourgeois” du peuple insulaire remonte à l’époque médiévale, au travers de la concession par l’autorité monarchique de chartes urbaines. Depuis Guillaume le Conquérant, les villes ont ainsi été le creuset de l’esprit d’égalité, en permettant une alliance entre “la classe servile” et celle des marchands et des roturiers2756. Dès lors s’est affirmée la “classe des propriétaires belliqueux et des bourgeois aisés”, qui n’a cessé de contester au sein des assemblées de la nation l’autorité naturelle de la noblesse et du clergé2757. À cela s’ajoute le génie belliqueux et insoumis de l’Anglais replacé dans le contexte des guerres médiévales.
En Angleterre, ce fut le baronnage toujours armé, qui fit la fortune des rois, jusqu’à ce qu’affaibli par ses fureurs, il fut écrasé par la classe servile qu’il avait appelée aux armes pour mieux inonder de sang et sa patrie et les marches du trône2758.
37Le terme “bourgeois” prend son acception moderne quand du Buat-Nançay déplore la diffusion de l’esprit commerçant à la suite de l’éradication de la noblesse lors des guerres civiles des xvème et xviième siècles, la mort de Charles Ier étant “la dernière catastrophe de l’ordre militaire en Angleterre”2759. Sans noblesse digne de ce nom, le royaume se voit à présent livré à “l’esprit dominant de la bourgeoisie” qui anime désormais toutes les parties constitutives du gouvernement. Privé de toute autorité légale, le roi en est réduit à être “corrupteur par état”, la loi fondamentale de la constitution d’Angleterre étant “qu’on ne fasse rien dans tout le royaume que pour de l’argent”2760.
38Tout au long de cette querelle de la noblesse commerçante, deux représentations antithétiques de l’Angleterre républicaine s’affrontent. La première avance en exemple l’image d’une nation vertueuse et industrieuse, débarrassée de tout préjugé, quand l’autre rejette le caractère bourgeois et avili par l’argent de ce peuple animé par le seul esprit de commerce. Comme dans le discours utopique, la réalité de la nation anglaise s’efface au profit d’une reconstruction idéologique de l’Angleterre. Cette dernière est ainsi le support d’une réflexion sur les conséquences de l’essor du capitalisme et de l’esprit de commerce qui affecte la civilisation occidentale dans son ensemble. C’est en effet la “doctrine genevoise, britannique et batave” qui est responsable, selon l’abbé Baudeau, physiocrate alors repenti, de sécréter un esprit “républicain”, adjectif-écran qui dissimule en fait une angoisse face à la diffusion de l’esprit de commerce qui, par l’égalité qu’il engendre, tend à “effacer ces distinctions naturelles des états et des conditions”2761.
39Un même manichéisme parcourt les analyses de la liberté religieuse en Angleterre, même si, cette fois, la réalité parvient à prendre tardivement le pas sur la fiction.
-Le référent anglais dans le combat pour la tolérance religieuse
40L’image d’une nation anglaise réconciliée et tolérante définie dans les Lettres philosophiques garde toute sa pertinence pendant la seconde moitié du siècle. Les plus notoires des anglophiles continuent de vanter invariablement les mérites de l’Angleterre qui a su organiser une heureuse coexistence pacifique entre les différentes confessions. Tout en minorant la sévérité des lois anti-catholiques qui “sont à présent comme si elles n’existaient pas”, Coyer s’enflamme à l’évocation de ces religions si différentes vivant en paix “sous le bouclier de la tolérance”2762. Le même ton voltairien se retrouve chez Grosley qui évoque à son tour la Bourse de Londres “trône de la tolérance”2763, où cohabitent harmonieusement les sectes les plus variées. La situation des catholiques l’oblige à nuancer ce propos, en rapportant la haine de ce peuple insulaire pour cette religion. Mais leur situation est loin d’être comparable à celle des protestants de France. Ils peuvent en effet pratiquer librement leur culte dans leurs chapelles particulières ou dans celles dressées dans les ambassades. Quant à leur statut juridique, Grosley n’évoque que l’interdiction d’occuper toute charge publique ou d’entrer au Parlement, le comte de Norfolk, premier pair d’Angleterre par le rang, ne pouvant ainsi siéger à la Chambre des Lords2764. La situation religieuse de cette nation n’en reste pas moins idyllique :
En un mot, la diversité des sectes n’est aujourd’hui à l’Angleterre que ce qu’est à tout État la diversité des familles qui le compose. Leurs vues se croisent, leurs intérêts se contrarient, chacune d’elles ne s’agrandit et ne s’affermit qu’aux dépens des autres ; mais l’amour du bien général qui constitue leur bien-être particulier, la crainte d’un danger commun qui menacerait chaque individu, réunissent leurs intérêts et leurs vues2765.
41Cette représentation de l’Angleterre sera avancée en exemple au fil des opuscules en faveur de la tolérance, comme dans le très corrosif mais très drôle, l’Asiatique tolérant de La Beaumelle2766, mais plus encore dans les textes publiés en faveur de la révision de l’édit de Fontainebleau, notamment sur la question des mariages clandestins. À la suite de la publication en 1755 d’un Mémoire théologique et politique au sujet des mariages clandestins des protestans de France, longtemps attribué à Ripert de Monclar, premier président au Parlement de Provence, mais dont la paternité reviendrait en fait à Baer, aumônier de l’ambassade de Suède2767, s’ouvre une violente polémique sur la reconnaissance du mariage civil des protestants. Dans sa Lettre d’un patriote sur la tolérance civile, Antoine Court, longtemps représentant officieux des intérêts protestants à Versailles, invoque en des termes très voltairiens, l’exemple de la nation anglaise où se côtoient “dans une union et dans une tranquillité parfaite” catholiques, juifs, quakers et anglicans2768. Loin d’être un handicap, le pluralisme religieux s’avère être utile puisque cette nation moins peuplée et moins étendue parvient à rivaliser avec la France. Ainsi, les campagnes anglaises sont “cultivées, les arts sont récompensés, le commerce fleurit et la nation est une des plus puissantes d’Europe”2769. Critiquant au passage la sociologie religieuse fondée sur la théorie des climats de Montesquieu, le pasteur huguenot tente de lever les accusations républicaines portées traditionnellement contre les protestants en insistant sur la nature monarchique de la constitution anglaise, où le roi, s’il voit son autorité limitée par le Parlement, n’en est pas moins le “chef visible” de la nation2770. Autre tenant de la réforme de la législation antihuguenote, le pasteur Frédéric de La Broue dissocie à son tour la question religieuse de la forme de gouvernement en rappelant, à l’exemple de l’Angleterre, que “l’hérésie ne fait rien à l’amour, ni à la haine des rois”2771. Dans ce royaume, comme en Suède ou en Hollande, règnent “la tranquillité et l’union” entre les différentes confessions2772. Contre l’image du protestant rebelle et dangereux, l’insistance est portée sur le loyalisme et la fidélité des protestants à l’ordre établi, qu’il soit monarchiste ou républicain. De plus, l’Angleterre, au même titre que les nations pluriconfessionnelles, sert à démontrer que la prospérité et le bien commun peuvent s’épanouir en dehors d’un consensus religieux2773.
42Bien différente fut l’opinion des tenants de l’édit de Fontainebleau, qui, à la vision idyllique de Court, opposent un tableau exactement antithétique de la situation religieuse d’outre-Manche. À l’Angleterre du temps présent, ils avancent en contre-exemple l’Angleterre du passé. Parfaite illustration de l’inertie des représentations, l’outrance des critiques rappelle par certains aspects les polémiques nées un demi siècle plus tôt autour de l’entreprise de Guillaume d’Orange. Les représentants du clergé catholique attachés au statu quo de 1685 et de 1724 lancent les plus vigoureux anathèmes contre l’Angleterre, terre de “carnage et de sang”, selon l’auteur anonyme de la Dissertation sur la tolérance des protestans. L’histoire n’a-telle pas en effet montré que les hérétiques n’hésitèrent pas à livrer la catholique Marie Stuart à la reine Elisabeth, à faire “périr sur un échafaud Charles Ier, et détrôner Jacques II, fils de ce père infortuné”2774 ? Le plus virulent adversaire de la réforme de l’édit de Fontainebleau, Jean Novi de Coveyrac, répond à Antoine Court par une Apologie de Louis XIV, où il défend avec éclat la révocation de l’édit de Nantes, et de façon encore plus maladroite, le massacre de la Saint-Barthélemy. Retrouvant le ton d’Arnauld et de Quesnel, il s’en prend “aux Anglais dont nos frondeurs préconisent jusqu’aux sottises”2775. Pour le théologien, ces “sottises” anglaises, à savoir la multiplication des églises protestantes, n’ont entraîné que “la tyrannie de Cromwell, l’usurpation du prince d’Orange, plus de soixante princes et princesses de sang proscrits en jour”2776. Toute reconnaissance d’un pluralisme religieux expose l’État aux troubles et à l’instabilité politique et dynastique, comme le montre le destin des Stuarts. Toute remise en question de l’unanimité religieuse ne pourra alors que conduire le royaume de France à la discorde et aux guerres civiles. Comme l’avait déjà énoncé Bossuet au siècle précédent, l’unité est le seul gage de la stabilité. Avec cette fois plus d’acuité, Coveyrac évoque la situation des catholiques anglais en fustigeant le statut de 1700, qu’il appelle le “précis du code guilhaumien”, ce qui lui permet d’affirmer :
Comparez notre intolérance avec la tolérance anglicane, et vous verrez chez laquelle des deux nations l’humanité a le plus conservé ses droits, la discipline ecclésiastique le plus perdu son ressort2777.
43Longtemps minorée ou simplement occultée dans les descriptions de l’Angleterre, la sévérité de la législation contre les catholiques commence à être mieux connue. L’opinion de Voltaire avancée dans son Traité de la tolérance publié en 1763 à la suite de la condamnation de Jean Calas pourra alors paraître surprenante. De moins en moins de réformateurs partagèrent l’avis de celui qui s’était illustré dans son combat contre l’édit de Fontainebleau.
Ne pouvons-nous pas souffrir et contenir les calvinistes à peu près dans les mêmes conditions que les catholiques sont tolérés à Londres ? (…) Toutes [les sectes] sont réprimées par de justes lois qui défendent les assemblées tumultueuses, les injures, les séditions, et qui sont toujours en vigueur par la force coactive2778.
44Sans reprendre les outrances de Coveyrac, le publiciste Émilien Petit s’attache dans sa Dissertation sur la tolérance civile et religieuse en Angleterre et en France à réfuter l’opinion “des partisans de la constitution britannique”, en démontrant que la situation de la minorité religieuse dans les deux royaumes “est à l’avantage de la France”2779. Comme il l’avait déjà fait en matière pénale, il compare terme à terme l’arsenal législatif en vigueur en matière religieuse de part et d’autre de la Manche, en distinguant les dispositions relatives à l’exercice de la religion et celles portant sur la jouissance des droits civils. Si nombre d’entre elles lui semblent ainsi similaires, il met au désavantage de l’Angleterre les restrictions portées à la liberté de domicile et de circulation2780, le principe d’une double imposition de la Land tax et l’obligation de faire enregistrer les titres de propriété d’immeubles à peine de confiscation supportées par les popish recusants2781. Cette présentation de l’arsenal législatif appliqué aux catholiques anglais mérite d’être nuancée. Comme l’a montré l’analyse des enquêtes locales effectuées par les shérifs (papist returns) au cours de l’année 1767, une tolérance de fait s’était instaurée, notamment par la pratique discrète, mais réelle du culte romain, dans l’exercice de certaines professions pourtant interdites et par la multiplication des mariages mixtes2782.
45Le comparatisme de Petit qui frôle parfois le cynisme, ne peut pas en tout cas satisfaire les partisans d’une réforme du statut des protestants regnicoles. Dans la préface de son ouvrage, Petit fait référence à un statut rapporté dans les gazettes qui apporterait une modification à la législation contre les catholiques. En effet, en 1778, le Parlement votait, à l’instigation de Sir George Saville, le Catholic Relief Act2783, qui fit l’admiration de Linguet2784. Renforçant la jurisprudence tolérante du King’s Bench alors dominé par la personnalité de Lord Mansfield2785, ce statut suscita une vague d’opposition sans précédent. Ces mesures de clémence pourtant modestes en faveur des catholiques provoquèrent une violente campagne d’opposition orchestrée par Lord George Gordon. Jouant sur les traditionnels sentiments antipapistes de l’opinion publique anglaise, il réussit à faire inonder le Parlement de pétitions hostiles à toute politique de tolérance, le mouvement gagnant un degré supplémentaire lors des violentes émeutes londoniennes de juin 1780 (Gordon Riots). Ces scènes de pillage et de violence enrayèrent pour plusieurs décennies l’élan réformiste en faveur des catholiques2786.
46Cette violente bouffée de “fanatisme” religieux écornera la représentation voltairienne de l’Angleterre, comme le montre la correspondance de Turgot avec Dupont de Nemours, dans laquelle il s’inquiète de l’aura de Gordon, “apôtre de l’intolérance protestante”, qui lui laisse échapper des propos pessimistes : “Il ne résultera rien de cette émeute ; mais où est encore le genre humain, puisque ce siècle nous fait voir à Londres même un pareil fanatisme”2787 ? Le mouvement réformateur qui, sous l’impulsion déterminante de Malesherbes, conduira à l’édit de tolérance de 1787 abolissant la présomption légale de catholicité par la reconnaissance d’un état civil aux protestants2788, pouvait donc difficilement invoquer l’exemple anglais. Bien au contraire, Condorcet, comme plusieurs de ses contemporains, conteste la réalité de la liberté de la nation anglaise, où “la législation est surchargée de lois d’intolérance”2789. Dans les dernières années de l’Ancien Régime, l’Angleterre se trouve progressivement privée de la qualité de “tolérante” qui lui était accordée, et s’il est un modèle de tolérance, il n’est plus désormais, pour les hommes des Lumières, de l’autre côté de la Manche, mais sur l’autre rive de l’Atlantique, nouveau siège des “principes de tolérance et de liberté” comme l’affirme Raynal2790. C’est ainsi à la lecture des Déclarations des droits des jeunes républiques américaines que Démeunier évalue le degré de liberté de conscience. Dans cette perspective, la Virginie peut se targuer, à l’inverse de la Pennsylvanie, d’avoir établi la liberté de religion d’un manière plus étendue. Selon l’article 18 de sa Déclaration, “la religion et le culte qui est dû au créateur, et la manière de s’en acquitter, doivent être uniquement dirigés par la raison et par la conviction, et jamais par la violence, ni par la force”2791.
47Que ce soit dans l’ordre du rêve ou de la réalité, le référent anglais se plie à une logique du discours. Mais il prend une forme plus subversive lorsqu’il se glisse au cœur des conflits qui opposent de façon continue la monarchie à ses Parlements.
II - LE DISCOURS CONTESTATAIRE : LE MODÈLE ANGLAIS DANS LA QUERELLE DU GREFFE ET DE LA COURONNE
48En dépit d’indéniables singularités constitutionnelles qu’il serait illusoire d’ignorer, la contestation des magistrats des cours souveraines offre à l’historien quelques similitudes structurelles avec les assauts menés un siècle plus tôt par les parlementaires anglais contre la prérogative royale. Le point de départ d’abord : un long règne, élisabéthain ou louis-quatorzien, dont les dernières années devaient ternir un héritage glorieux. Le cadre théorique, ensuite, les querelles religieuses (puritanisme et jansénisme) et l’histoire nationale constituant le creuset dans lequel se déploie la contestation. La méthode enfin, l’érudition alors déployée au service d’arguments recoupant les mêmes invariants : la même manipulation des sources qui conduit à leur dénaturation, certains textes se voyant alors revêtus d’une aura presque magique (la Grande Charte de 1215 ou le capitulaire de Pistes de 864)2792, l’idéalisation d’une figure monarchique ancestrale (Alfred le Grand ou Charlemagne), la quête d’antiques assemblées nationales (le Witena-Gemot ou les plaids mérovingiens) aux attributions controuvées, le même rejet d’une période pourtant essentielle dans la fermentation idéologique de la crise (le Commonwealth ou la Fronde parlementaire). Tous ces arguments, avancés au service d’une même exigence de continuité historique2793, ont conduit, à un siècle d’intervalle, à une mutation concordante de la notion de “constitution”2794. Parenté structurelle troublante d’un point de vue rétrospectif, qui perd de sa pertinence dans l’issue de la crise. En Angleterre, le triomphe du Parlement fut immédiat, consacré en 1689 par le Bill of Rights. En France, la question est plus délicate : si tous les historiens s’accordent à voir dans la contestation parlementaire l’un des points de cristallisation annonçant la Révolution de 1789, l’un des premiers actes de la Constituante fut, par le décret du 3 novembre 1789, la “mise en vacance des parlements pour une durée illimitée”2795.
49Au-delà de ce parallèle, reste à connaître la place du référent anglais dans cette crise constitutionnelle. En 1679, Pierre Picault se gardait de toute allusion directe à ce qui n’était encore que la Perfide Albion dans son Traitté des Parlemens ou États Généraux2796. En quelques décennies, les temps auront bien changé. Dès le début du règne de Louis XV2797, le modèle anglais entre par effraction dans le débat constitutionnel, principalement dans les accusations portées contre des magistrats suspectés d’abuser de l’équivoque du terme “parlement”, accusations qui gagnera en densité tout au long du siècle (§ 1). Si les preuves à charge abondent dans cette tentation anglaise présente dans la rhétorique parlementaire (§ 2), la parole devra en dernier ressort être laissée à la défense. Il s’agira alors de démontrer que, dans la seconde moitié du siècle, les théoriciens de la contestation parlementaire sont passés d’une franche et sincère dénégation de toute volonté d’imitation des institutions anglaises, à des aveux des plus inconséquents, pour enfin, chez les plus radicaux d’entre eux, rejeter le modèle anglais (§ 3).
§ 1 -Les parlementaires sur le banc des accusés : le réquisitoire mouvant de l’“équivoque”
50À chacune des crises qui jalonnent l’histoire des relations troublées entre l’autorité monarchique et les cours souveraines resurgit le spectre de l’Angleterre, la Fronde étant sur ce point le moment fondateur2798. La cause de ce bégaiement de l’histoire peut être résumée dans une expression : “l’équivoque”. Tout au long du siècle, l’amphibologie du terme “parlement” a servi de point de départ à toute réfutation des prétentions parlementaires. Saint-Simon parle de l’équivoque dès 1716, Voltaire donnera ce titre à l’un de ses pamphlets, et Linguet l’utilisera à la veille de la Révolution dans l’une des plus violentes charges portées contre le parti des robins. Pourtant, derrière la similitude de l’argumentation se dissimulent plusieurs discours qui permettent d’éclairer la mutation du modèle anglais du début du règne de Louis XV à la Révolution.
-L’équivoque, argument du discours polémique
51Au lendemain de la mort de Louis XIV éclate ce que Duclos appelle une “guerre de la constitution”2799, mais qui se révèle au vue des crises à venir un simple signe avant-coureur : l’affaire des princes légitimés qui fait suite à l’édit du 28 juillet 1714, déclarant le duc du Maine et le comte de Toulouse habiles à monter sur le trône. Cette crise fut dénouée par l’édit du 6 juillet 1717 confirmé par une déclaration royale de 1723, qui casse le testament du roi défunt. Tout en confirmant la règle de l’indisponibilité de la couronne, l’édit de 1717 marque un tournant dans l’histoire des idées politiques puisqu’il entraîne la reconnaissance soudaine et officielle des “droits de la nation”2800. Dans le même temps, les thèses de Grotius et de Pufendorf se diffusent dans les débats constitutionnels suscités par cette affaire2801.
52Alors que l’encre des conférences diplomatiques mettant fin à la guerre de Succession d’Espagne est à peine sèche, les Anglais restent toujours dans les opuscules publiés à cette occasion les “anciens et irréconciliables ennemis du Royaume”2802. Partisans des ducs et pairs comme des princes légitimés ne semblent en rien prêts à invoquer l’exemple anglais. Seule l’accession au trône d’Angleterre de Guillaume le Conquérant, enfant naturel de Robert le Magnifique, vient nourrir la réflexion sur la théorie statutaire de la couronne2803. L’exemple anglais n’en sert pas moins de repoussoir idéologique dans les deux camps. L’hypothèse d’une cassation du testament par le Parlement de Paris est rejetée, la figure de Cromwell étant opportunément invoquée dans cette interpellation anonyme lancée contre les partisans des princes de sang :
Qui êtes-vous pour donner des leçons aux Rois ? Vous croyez être en Angleterre : votre zèle impétueux juge leur autorité ; bientôt vous voudrez qu’on leur fasse leur procès ; quand vous aurez décidé dans votre Tribunal souverain qu’ils auront blessé les lois fondamentales. Il ne vous manque plus que de faire frapper en votre nom la fameuse médaille de Cromwell : Et non Reges intelligente. En vérité votre discours est séditieux2804.
53Dans un registre moins polémique, un autre mémoire rappelle que le roi de France, à l’inverse de ceux de Pologne ou d’Angleterre, n’a point “signé des Pacta conventa ou une Grande Charte”2805. Dans cette critique de la monarchie contractuelle, l’auteur précise les sens de l’expression “droit de représentation”, signifiant tantôt le droit de parler au nom d’un tiers, tantôt celui présenter à nouveau afin “d’éclairer l’autorité”, distinction qui fonde la différence entre les monarchies française et anglaise. Le Parlement d’Angleterre peut s’opposer à la volonté royale, quand celui de Paris n’a qu’un droit de remontrances qui ne lie point le monarque2806. Défenseur plus ambigu des princes légitimés, le comte de Boulainvilliers rejette, sans doute plus pour des raisons d’opportunité politique que pour des motivations idéologiques, le droit des États généraux de pouvoir casser le testament de Louis XIV.
Jamais le plus zélé parlementaire d’Angleterre, a-t-il conçu un projet plus funeste ? De plus, qui pourrait répondre que les États, assemblés pour une pareil décision, n’entreprissent pas de raisonner à fond sur la succession à la Couronne (…) et sur une infinité d’autres choses toutes contraires à l’autorité du roi, à la gloire et à l’intérêt du Royaume, et au repos public2807 ?
54Embrassant la cause adverse des princes de sang, le duc de Saint-Simon considère le testament de Louis XIV comme nul de jure, par sa violation flagrante de la règle de l’indisponibilité de la couronne2808. Aussi reprend-il au comte normand, mais pour des raisons strictement inverses, l’argument du rejet de voir convoquer pour l’occasion les États généraux, risquant par là d’introduire un dangereux précédent : “Nous ne sommes point en Angleterre et Dieu nous garde (…) votre Altesse Royale de donner occasion aux usages de ce royaume voisin, dont nos rois se sont affranchis depuis bien des siècles”2809.
55La cause est alors entendue. L’exemple anglais, avec le recul peu invoqué dans les opuscules publiés à l’occasion de cette vive controverse, n’entraîne l’adhésion d’aucune des deux parties. Pourtant, la restitution du droit de remontrances au Parlement de Paris par la déclaration royale du 15 septembre 1715, suscite l’inquiétude de Saint-Simon qui, soucieux de défendre “la puissance législative pour les grandes affaires de l’État” des ducs et pairs de France2810, introduit dans le débat le référent anglais sur un mode strictement polémique. Rien, sinon les prétentions politiques du duc, ne permettait alors de soupçonner que les Parlements voulussent abuser d’un droit tout juste recouvré. Désireux de lever “l’équivoque” conséquence d’une “parité de noms”, il publie en 1716 une vigoureuse Réfutation de l’idée de Parlement d’être le premier corps de l’État. Pour le duc attaché à son rang, seuls les États généraux peuvent prétendre être l’équivalent du Parlement d’Angleterre, en concourant avec le roi au pouvoir législatif et au vote de l’impôt2811. Il a soin de relever une différence notoire entre la constitution des deux royaumes. Le Parlement d’Angleterre, plus exactement la Chambre des Lords, est la plus haute juridiction du royaume, ne connaissant aucun supérieur, pas même le roi, quand en France, les arrêts des cours souveraines peuvent être cassés par le roi en son conseil, manifestation de sa justice retenue2812. S’il semble faire ici plus œuvre d’anticipation que de lucidité, le duc de Saint-Simon s’attache plus généralement à opposer la glorieuse monarchie des Bourbons au royaume d’Angleterre, “l’exemple étranger le moins favorable à l’autorité monarchique”2813.
56Jusqu’en 1750, le modèle anglais semble être peu invoqué, n’apparaissant que de façon occasionnelle au cours des crises qui émaillent les premières décennies du règne de Louis XV2814. Toute autre sera la situation à compter du milieu du siècle, quand l’affrontement prendra un tour plus violent.
-La conceptualisation de l’équivoque
57À compter de 1748, L’Esprit des lois commence à circuler parmi les parlementaires, qui y puisent certaines formules comme le “dépôt des lois” ou la théorie des corps intermédiaires, sans pour autant manquer de lire les deux chapitres anglais. Alors que Saint-Simon fustigeait l’Angleterre pour mieux défendre les prérogatives de la pairie, les adversaires des parlementaires vont se réapproprier la cause de “l’équivoque”, mais cette fois pour défendre une monarchie absolue menacée dans ses soubassements idéologiques et institutionnels.
58La publication en 1754 des Observations de l’abbé Capmartin de Chaupy marque un tournant important. Son auteur, jésuite choqué de l’opposition des parlements à l’application de la bulle Unigenitus lors de la crise des sacrements, jette en effet les fondations de l’argumentaire absolutiste qui sera développé jusqu’à la veille de la Révolution. La réfutation du modèle anglais s’organise désormais autour de trois arguments. Tout d’abord, le publiciste s’inscrit dans un registre strictement polémique en accusant les magistrats, victimes “de la contagion apportée de l’Angleterre par nos beaux esprits”, de vouloir la perte de “l’esprit français pour élever sur ces ruines l’empire de l’esprit anglais”2815. Pour donner corps à son affirmation, il n’hésite pas à rappeler l’attitude du Parlement de Paris lors de la signature du traité de Troyes de 14202816, comme à assimiler l’attitude de cette cours lors de la Fronde à celle des députés anglais au temps de Charles Ier2817. Le second argument porte sur les conséquences institutionnelles des prétentions des cours souveraines. Elles tendraient en effet à leur conférer un pouvoir supérieur à celui du Parlement d’Angleterre. D’une part, le monarque anglais dispose d’un droit de dissolution rendant l’assemblée non-permanente, alors que le Parlement de Paris serait lui “continuel”. D’autre part, il participe à la souveraineté par l’exercice d’un droit de veto, alors que le droit de remontrances reviendrait à refuser ce même droit pour le roi de France2818. Dernier temps de son argumentation cette fois moins polémique, Capmartin de Chaupy réaffirme aux magistrats oublieux l’essence absolue et de droit divin de la souveraineté royale consacrée par les “principes de droit public de la France”, bien différents de ceux consacrés en Angleterre2819. Sur l’autre rive de la Manche, la forme monarchique était d’ailleurs similaire jusqu’à ce que la Grande Charte extorquée à Jean sans Terre ne provoque “la plus tragique et la plus effroyable de toutes les révolutions”2820. Aussi, le publiciste porte-t-il une double accusation contre les profanateurs de ces principes de droit public. La première vise les jansénistes richéristes, soupçonnés de défendre, à l’imitation de l’Angleterre, une monarchie contractuelle :
Les Anglais ont été les premiers auteurs de ce principe dans nos siècles. C’est de ce principe qu’ils sont partis pour opérer la révolution qui a dépouillé leurs Rois et changer la nature de leur gouvernement. Richer est le premier Français qui a mis ce principe dans tout son jour2821.
59La seconde accusation vise plus particulièrement Montesquieu, coupable dans “le plus long chapitre de son ouvrage”, consacré à la constitution anglaise, d’avoir éconduit ses contemporains en rapportant la thèse de la matrice germanique des libertés anglaises. Ainsi, Le Paige est accusé d’avoir utilisé dans ses Lettres le même passage de Tacite “pour prouver quelle est la constitution de la France”2822. Dès lors, les preuves sont réunies pour réfuter la prétention des Parlements à représenter la nation, fonction qui en dernier ressort ne pourrait revenir qu’aux États généraux. Comme l’avaient fait les défenseurs des Stuarts un siècle plus tôt, le publiciste rapporte même que les anciennes assemblées d’états n’étaient composées que des deux premiers ordres, le Tiers état, et donc “les gens de lois”, n’y étant appelés qu’à partir du règne de Philippe le Bel2823.
60Au-delà de la solidité de son argumentation, cette réfutation introduit une troublante ambiguïté, déjà présente chez Saint-Simon, dans la critique des revendications des magistrats : l’assimilation constante du Parlement anglais aux États généraux de France pour contester l’absence de toute représentativité d’une cour souveraine. En cela, elle mine l’un des acquis de l’histoire des deux derniers siècles de la monarchie des Bourbons. Comment soutenir que la souveraineté se concentre à la perfection dans la personne royale et dans le même temps admettre l’hypothèse d’assemblées véritablement représentatives de la nation, ce qui viendrait dès lors ébranler le dogme de l’indivisibilité de la souveraineté monarchique ? Emportés par leur volonté d’éteindre les prétentions des robins, certains publicistes ne prennent pas le soin de préciser la nature et la fonction principale de conseil des assemblées d’État. Deux temps de l’histoire de France entrent ainsi en collision, celui des Valois et celui des Bourbons, contribuant de façon paradoxale à entretenir le trouble sur l’essence de la monarchie à laquelle ils sont attachés. Seul Moreau précise dans sa critique des aspirations anglaises des parlementaires, que, selon la tradition de la monarchie capétienne, les assemblées d’État ne présentent que les “vœux des trois ordres” du royaume2824.
61Désormais, l’ombre du palais de Westminster grandit sur celui installé dans l’île de la cité. Nombre de contemporains rapportent l’inquiétante “équivoque” entretenue par des magistrats, “échauffés par le mot de parlement”, à prétendre être “le Sénat britannique”2825. Sous bien des aspects, les critiques portées par Louis XV lors de la séance de la Flagellation de mars 1766 contre les “nouveautés” dont seraient imbus les parlementaires, visent à contrer l’influence du modèle anglais2826. Dans une assez habile Lettre d’un membre de la Chambre des Communes, l’auteur anonyme, déguisé sous les traits d’un député aux Communes, rapporte que la lecture des remontrances l’avait d’abord conduit à croire que le Parlement de Paris était l’équivalent de celui de Londres. Pourtant, une fois qu’il a pris connaissance que ces cours n’étaient “point législat[rices] dans le droit”, qu’elles n’étaient qu’une création de l’autorité monarchique et non les descendantes des assemblées mérovingiennes ou de la cour des pairs, il s’indigne alors de leur résistance illégitime à la volonté royale2827.
-Le paroxysme de la crise Maupeou
62Appelé à la charge de chancelier en septembre 1768, Maupeou s’était vu soumettre par l’un de ses secrétaires, Charles-François Lebrun, qui avait séjourné une année outre-Manche, un projet radical de réforme visant à remplacer les cours souveraines par un projet constitutionnel directement calqué sur le modèle anglais2828. Si le futur défenseur d’une monarchie à l’anglaise à la Constituante, avant de devenir Consul, aux côtés de Napoléon et Cambacérès, fut bien évidemment éconduit, l’épisode démontre combien l’exemple anglais est alors présent dans les esprits, même dans les plus hautes sphères de l’administration royale. C’est une toute autre voie que suivra le Chancelier Maupeou2829.
63Cette ambitieuse réforme troubla les contemporains. La virulence des attaques portées contre le roi et son chancelier démontre en effet l’incertitude dans l’issue de la crise, comme à travers l’analyse lucide et inquiète sur “l’indécision” de la constitution française par Madame d’Epinay :
Il est certain que depuis l’établissement de la monarchie française, cette discussion d’autorité, ou plutôt de pouvoir, existe entre le roi et le parlement. Cette indécision fait même partie de la constitution monarchique ; car si on décide la question en faveur du roi, toutes les conséquences qui en résultent le rendent absolument despote. Si on la décide en faveur du parlement, le roi, à peu de chose près, n’a pas plus d’autorité que le roi d’Angleterre. Ainsi, de manière ou d’autre en décidant la question, on change la constitution de l’État2830.
64Dans les nombreux traités, opuscules et libelles qui fleurissent pour défendre le bien fondé de la réforme du chancelier Maupeou2831, les parlementaires insoumis sont accusés de “transporter au pied du trône toutes les productions du germe anglican”2832, de vouloir “introduire l’anglicisme en France”2833 ou encore “de persuader que Londres est à Paris”2834. L’accusation n’est pas nouvelle, mais, depuis 1750, elle a gagné en densité. Une diatribe lancée par une plume anglaise fictive adressée non plus aux seuls magistrats, mais à la nation dans son ensemble, traduit à la fois l’inquiétude devant la contagion de l’anglophilie, mais aussi une certaine nostalgie pour la France du Grand siècle qui donnait alors le ton dans l’ensemble des cours européennes.
Français, peuple léger et imitateur, autrefois gai, chantant et frivole, serait-il que votre caractère national ne fut plus le même ? (…) Vous avez quitté vos modes dont vous aviez la prééminence partout, pour prendre les nôtres que vous copiez mal. En effet, nous ne trouvons rien de si gauche que vos messieurs qui veulent monter à cheval, s’habiller et se coiffer à l’Anglaise. (…) Mais enfin, vous avez formé depuis un parti d’opposants, à ce que j’entends, comme nous autres en Angleterre. En vérité, c’est pousser bien loin votre légèreté2835.
65Face à l’anglophilie, désormais interprétée comme une menace tangible pour l’ordre monarchique traditionnel, plusieurs formes de réponse, le plus souvent superposées dans un même opuscule, sont avancées. L’“équivoque” reste encore évoquée, comme lorsque le roi en personne apparaît en Songe au jeune Parisien, pour lever cette ambiguïté et rappeler qu’en Angleterre, le Parlement réunit une chambre des pairs et une chambre des députés, quand les parlements de France, malgré leurs efforts “pour s’unir et faire un corps indivisible”, -critique de la théorie des classes-, ne peuvent “couvrir leur insuffisance et leur inertie”2836. L’équivoque ne pourra alors être levée que si les Parlements éclairent leurs prétentions en levant les contradictions inhérentes à leurs revendications. L’auteur des Considérations sur l’édit du mois de décembre de 1770 rappelle ainsi aux magistrats le principe bodinien de l’existence d’une seul autorité souveraine dans l’État, distribuée entre le roi et les deux chambres comme en Angleterre, ou incarnée en France dans la seule personne du roi. Aussi, il ne peut “exister d’autorité qui puisse en empêcher ou retarder l’exécution”2837.
66À ces considérations s’ajoute une critique, aux accents anglophobes, des institutions anglaises par les partisans de la réforme de Maupeou. Les allusions aux convulsions de l’histoire anglaise persistent2838. Mais ces menaces quelques peu éculées et sans doute moins convaincantes en 1770 qu’en 1689, cèdent la place à de nouveaux arguments inspirés des critiques alors communément portées contre les institutions anglaises. Signe des temps, pas une seule référence n’est faite à Cromwell dans le recueil ici consulté2839. L’auteur d’un pamphlet s’attache plutôt à rappeler aux “partisans des gouvernements mixtes” les troubles suscités par l’agitation autour de Wilkes2840, un autre la corruption parlementaire et l’usage, inconnu dans les monarchies, des bills d’atteinder votés dans la “république” anglaise2841, quand un dernier préfère voir la souveraineté législative concentrée entre les mains du monarque “bénéficiant des lumières de quelques citoyens” que de voir “un bill travaillé dans la chaleur des factions”2842. De plus, certains n’hésitent pas à manier la provocation en rappelant aux parlementaires que tout Anglais opposé à la Cour commence par démissionner des emplois qu’il tient du roi, ajoutant non sans malice : “pour vous, vous gardez les vôtres et ses différentes grâces : cela n’est ni honnête, ni reconnaissant”2843. La seconde réponse à la menace anglaise obéit à une autre logique, puisqu’elle démontre l’impossibilité de transposer une forme de gouvernement d’une nation à l’autre. L’auteur de l’Extrait d’une Lettre insiste ainsi sur la singularité de l’Angleterre, peuple insulaire, dont la constitution n’a pas “été imitée ailleurs”. La suite est un bel exemple du recours à la vieille théorie des climats qui donne sa singularité à chaque génie national2844. Une dernière forme d’argumentation vise à enfermer les prétentions des magistrats dans leurs propres contradictions, en invoquant de façon assez subtile l’autorité de leur propre maître à penser, Montesquieu. Dans deux opuscules derrière lesquels pourrait se dissimuler un même auteur, est directement invoquée l’une des principales leçons de la distribution des pouvoirs exposée dans le Livre XI de L’Esprit des lois : un sénat permanent réunissant le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif est un gage de despotisme “car le juge serait législateur”2845. L’auteur insiste sur la différence entre le gouvernement monarchique, où la puissance législative réside dans la personne du monarque, et les gouvernements d’Angleterre, de Suède et de Pologne, qui sont eux de “véritables républiques dont les chefs portent une couronne”2846.
67Reste le cas du plus célèbre des publicistes réunis autour de la cause de Maupeou : Voltaire. Les causes de son soutien sont multiples : une haine inassouvie pour des magistrats coupables d’avoir conduit Calas et le chevalier de La Barre au bourreau, une adhésion sincère à la volonté de réformation de la justice opérée par le chancelier (suppression des épices, rationalisation de la carte judiciaire) et enfin une admiration non feinte pour un roi, qui à l’image de son arrière grand-oncle défunt, sait affirmer une autorité trop longtemps contestée2847. Mais ses contributions n’empruntent jamais la critique que ses alliés de circonstance portaient sur l’Angleterre.
Organes respectables des lois, créés pour les suivre et non pour les faire, écoutez le roi, et daignez aussi écouter les peuples. Si la nation anglaise dispute aujourd’hui ses droits aux États généraux d’Angleterre, permettez-nous de représenter les nôtres à vous tribunaux, nommés Parlements, qui n’êtes point les États2848.
68Son argument de prédilection reste l’équivoque -titre de l’un de ses opuscules -, autour du terme “parlement”. En réponse à leurs prétentions infondées à être “les tuteurs” du roi ou “les représentants de la nation”, les cours souveraines n’ont au contraire pour seul équivalent que la cour du Banc du Roi2849. Chez Voltaire, comme chez certains de ses contemporains, se diffusent des arguments anti-nobliaires, qui tendent même à l’emporter sur le rejet du modèle anglais, notamment dans cette violente, mais lucide, charge contre les magistrats des cours souveraines :
Regretteriez-vous la tyrannie féodale dont nos Rois nous ont affranchie, ou espérez-vous de voir établir dans le royaume un gouvernement parlementaire calqué sur celui de nos voisins ? Vous vous seriez étrangement abusé. Jamais nos magistrats n’ont eu la pensée d’introduire en France le gouvernement d’Angleterre ; lisez bien leurs lettres et leurs remontrances. Le Parlement anglais ne subsiste que pour un temps limité ; le roi le proroge et le dissout à son gré ; il ne juge point les citoyens, et le peuple y est admis par des représentants, qu’il a la liberté de choisir. Le parlement de France voulait être juge et législateur permanent, inamovible ; en paraissant reconnaître la souveraineté entière dans le monarque, il prétendait qu’elle lui était assujettie dans son exercice2850.
69Cette crainte d’une “aristocratie parlementaire” que le publiciste Jacob-Nicolas Moreau évoque aussi dans ses mémoires2851 se fera de plus en plus pressante dans les dernières années de l’Ancien Régime. Depuis Saint-Simon, les accusations avaient été nombreuses, l’argumentation de mieux en mieux fondée. À ces charges, s’ajoute la prise de conscience de “l’anglicisation” du conflit entre le greffe et la couronne, comme lorsqu’un anonyme avance en 1788 : “Comme en Angleterre, nous avons nos Toris et nos Whigs (…). Les Royalistes regardent les Parlementaires comme des têtes exaltées qui voudraient sous le prétexte de rétablir l’ordre, détruire l’autorité royale. Les Parlementaires ne voient dans les autres que des égoïstes qui sacrifient la patrie à leurs intérêts personnels”2852.
§ 2 -Les preuves à charge : les points de rencontre de l’idéologie parlementaire avec l’Angleterre
70Trois témoins à charge peuvent être convoqués pour donner un contenu aux soupçons d’anglophilie pesant sur les parlementaires : deux mémorialistes, Barbier et d’Argenson, et un membre de la Compagnie de Jésus, Lafiteau. Tous partagent une méfiance vis-à-vis des robins, mais apportent un éclairage différent sur la diffusion du modèle anglais dans l’arsenal idéologique des parlementaires. Il apparaît alors que les théoriciens de la cause des cours souveraines partageraient certaines accointances avec l’Angleterre à travers une mémoire commune, une ecclésiologie, par le truchement du jansénisme et une conception whig du gouvernement monarchique.
-Une mémoire commune
71Le premier témoin qu’il est possible d’appeler à la barre est l’avocat parisien Barbier. À la lecture du Judicium Francorum, célèbre pamphlet de la Fronde réédité dans une version différente en 1732 dans les milieux jansénistes, il notait dans son Journal que les assemblées franques, telles qu’elles étaient décrites, devaient avoir “plus d’autorité que le Parlement d’Angleterre”2853. Même s’il n’est fait aucune mention explicite de cette nation dans l’opuscule parlementaire, il est vrai que les similitudes entre la moderne Angleterre et l’antique constitution franque sont frappantes, quand il est rapporté qu’une assemblée de la nation se réunissait tous les ans pour traiter “de toutes les grandes affaires de l’État”2854.
72Dans la version modifiée du Judicium Francorum, le Parlement n’est plus décrit, selon l’idéologie parlementaire du siècle précédent, comme un abrégé des trois ordres de l’État, qui lui permettait d’incarner un contrepoids naturel à l’autorité monarchique. Il devient une autorité concurrente, constitutionnellement autonome puisque lointain descendant des plaids mérovingiens puis carolingiens. Au terme d’une lecture controuvée de l’histoire, son auteur anonyme veut démontrer que les Parlements, dignes héritiers des plaids carolingiens, peuvent légitimement prétendre être aussi anciens que la monarchie2855. L’investissement idéologique de l’histoire des deux premières dynasties conduit les adversaires de plus en plus virulents de l’absolutisme monarchique à emprunter une voie ouverte par certains monarchomaques protestants, précisée par Rapin-Thoyras et Boulainvilliers, puis consacrée dans L’Esprit des lois. L’exaltation d’improbables libertés germaniques amène en effet Le Paige à reprendre le schéma, établi par Rapin-Thoyras, d’une Angleterre entendue comme le conservatoire d’une liberté menacée en France par les aspirations despotiques de l’autorité monarchique. Exceptée la loi salique, qui confère sa singularité au royaume de France, il précise :
Comparez en effet ce que je vous en ait dit, avec ce qui s’observe encore en Allemagne, en Angleterre, en Suède, et si l’on excepte l’admission des filles à la Couronne, vous y retrouverez la plupart de ces lois (…). Les Parlements surtout, dépositaires des lois de l’État, destinés à les perpétuer, et où les grandes affaires doivent se traiter, y ont été conservés scrupuleusement sous le nom de Diètes, d’États ou de Parlements, essentiels à la constitution des monarchies2856.
73Dès leurs publications en 1753, les thèses de Le Paige, qui viendront irriguer les remontrances de plus en plus hardies des cours souveraines2857, sont reprises et amplifiées dans la seconde moitié du siècle, comme lorsque le comte de Lauraguais, anglophile notoire proche des milieux parlementaires, affirme que le gouvernement anglais est “le seul aujourd’hui qui ressemble à celui qu’avait l’Europe entière autrefois”2858. Les analyses de l’avocat Pierre-Jean Grosley sont encore plus révélatrices. Au cours de son séjour outre-Manche, ce dernier, qui entretenait d’étroites relations avec ses confrères jansénistes parisiens2859, eut le loisir d’assister à l’ouverture d’une session du Parlement par le roi, siégeant dans la chambre haute, en présence des princes de sang, du chancelier, des grands juges, des pairs ecclésiastiques placés à droite du trône, des pairs temporels, et des députés des Communes qui eux restaient debout. Cette cérémonie éblouit l’avocat troyen, devenant la manifestation symbolique de “la réunion des trois puissances dans la Chambre des pairs (…), le plus grand spectacle que puisse offrir l’Angleterre aux yeux d’un étranger”. Gagné soudain par une imagination débordante, il compare cette séance à “celles que tenaient nos rois des xivème et xvème siècles”, citant en exemple la condamnation du comte d’Artois par Philippe vi de Valois au cours d’une séance royale tenue au palais du Louvre en avril 13322860. Faisant écho aux prétentions fiscales exprimées dans certaines remontrances parlementaires, il peut en toute tranquillité assimiler la compétence des Communes dans le vote du montant et de l’assiette de l’impôt à “l’enregistrement des déclarations et édits bursaux dans les cours souveraines”2861.
-Jansénisme et anglicanisme
74Dans ses Entretiens d’Anselme et d’Isidore, le père Lafiteau s’inquiète de l’affirmation d’un gallicanisme janséniste de plus en plus radical, qui sape l’équilibre entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel établi par les édits de 1682 et 1685, et difficilement maintenu dans la première moitié du siècle. Alors que les cours souveraines tentaient de contourner l’application de la bulle Unigenitus par la multiplication des appels comme abus, le Jésuite constate :
Remarquez en passant que ce fut par [la] prétention [d’avoir tout pouvoir sur ce que l’Église a d’extérieur, même dans l’administration des sacrements] que les Protestants d’Angleterre achevèrent d’ôter à l’Église toute administration, pour établir la suprématie dans la personne de leur roi. (…) Ils soutinrent que l’extérieur des sacrements faisait partie de la police et du gouvernement politique2862.
75S’il ne peut être ici question d’analyser les convergences eschatologiques, théologiques et ecclésiologiques entre le(s) jansénisme(s) et les Églises issues de la Réforme2863, il est révélateur que l’une des tentatives les mieux connues de réunion des églises gallicane et anglicane ait été le fait d’un disciple hétérodoxe de Jansenius, le père Le Courayer, chanoine de la congrégation de Sainte-Geneviève, qui fit scandale par sa Dissertation sur la validité des Ordres des Anglois publiée en 17252864. Même si le projet se solda par un échec, certains jansénistes, emportés par leur haine de l’ultramontanisme, incarné par la Compagnie de Jésus, posèrent tout au long du siècle des yeux admiratifs sur l’Église d’Angleterre. Ainsi, une Histoire du divorce d’Henri viii, commandée à l’abbé Raynal en 1753, en pleine crise du refus de sacrements opposant le Parlement à l’archevêque de Paris, porte un jugement des plus flatteurs sur la dynastie Tudor. Si Henri vii, le “Salomon de l’Angleterre” a mis un terme aux guerres civiles, Henri viii fait l’objet d’un portrait admiratif pour avoir libéré l’Angleterre du “joug romain” grâce au soutien actif du Parlement2865. La liberté anglaise ne trouve plus sa source dans les invasions germaniques, ou dans la Glorieuse Révolution, mais au cœur du xvième siècle, quand la monarchie a permis “cette heureuse révolution” en brisant les prétentions théocratiques de Grégoire vii2866. Les jansénistes ultra-gallicans s’écartent ainsi des traditionnelles critiques portées par les tenants de la liberté anglaise contre Henri VIII accusé d’avoir rompu l’équilibre du régime mixte par l’acte sur les proclamations, ou d’avoir porté atteinte aux libertés individuelles par l’entremise de la Chambre Etoilée.
76L’avocat Grosley préfère se laisser aller à de surprenantes digressions sur l’histoire religieuse anglaise. Londres sert en effet de prétexte à une violente satire contre l’action de la papauté en Angleterre, comme à une vigoureuse apologie du clergé anglican, qui au cours de son histoire, apporta son soutien à Charles Ier, comme à Guillaume contre Jacques II qui “avait juré la ruine” de l’Église d’Angleterre. Le Parlement, où les pairs ecclésiastiques et laïques promulguent avec le roi “les règlements de discipline et les décisions mêmes sur les dogmes”, ne fait que perpétuer un usage pratiqué par le “clergé gallican” au temps de Charlemagne. Selon lui, “cette forme avait pour base la règle que suivait l’Église primitive : quod omnes tangit”2867. Au lendemain de la constitution civile du clergé, l’avocat Maultrot proposera d’ailleurs une Comparaison de la Réformation de France avec celle d’Angleterre, vibrante apologie de la réforme henricienne qui sert en fait à mieux critiquer celle opérée par la Constituante2868.
77Si Henri VIII fait l’objet d’une réhabilitation par les tenants d’un jansénisme gallican, une autre figure monarchique de l’histoire anglaise retient l’attention, mais pour des raisons exactement inverses : Jean sans Terre. Plus que la violation des libertés anglaises, Le Paige voue aux gémonies le monarque accusé d’avoir livré son royaume à Innocent III, suscitant ainsi la révolte des barons ”par le mépris qu’il avait fait de leurs lois et de leurs libertés“2869. Quelques années plus tard, Maultrot reprend cette accusation en voyant dans la soumission du monarque anglais au Pape un cas légitime de résistance, citant à l’appui de sa démonstration l’historien écossais Thobias Smollett :
Comment pourrait-on blâmer les Anglais pour avoir déposé un prince qui avait ainsi déshonoré une couronne, dont il n’était pas le maître de disposer ? Si Jean avait employé la force, au soutien de son injuste démarche, la nation n’aurait-elle pas pu résister par la même voie2870 ?
-La diffusion du contractualisme whig
78Dans ses Mémoires, à la date du 16 août 1754, le marquis d’Argenson, dernier témoin à charge, attribue au parti janséniste la récente réimpression d’une traduction du Traité sur le gouvernement civil de Locke, notant au passage que ce livre ”doit irriter la royauté, faisant voir combien les têtes s’échauffent“2871. D’Argenson semble ici bien informé puisque trois éditions de ce traité se succèdent entre 1749 et 1755. Elle mérite pourtant d’être précisée, car rien ne prouve que les milieux jansénistes aient eu l’initiative de rééditer cet ouvrage. Si l’attribution des éditions de 1749 et 1754 reste donc sujette à caution, celle de 1755 est elle attribuée avec certitude à Rousset de Missy, huguenot républicain et maçon installé à Amsterdam, qui fait de ce texte un vibrant plaidoyer républicain2872. Aussi le contenu de ces deux traductions est-il diamétralement opposé. Dans la préface de l’édition de 1754, il est affirmé que Locke propose un juste milieu entre ceux qui souhaitent voir le peuple se muer ”entièrement en esclave“ et ceux aspirant à ”déposer les souverains pour des causes assez légères“2873. À l’inverse, Rousset de Missy affirme dans sa préface de 1755, n’avoir ”en vue que ce que [Locke] dit du gouvernement républicain, qui convient le plus aux sociétés qui forment des hommes libres pour mettre à couvert de toutes violences et leurs personnes et leurs propriété“2874.
79Dès 1717, les doctrines de Locke trouvent en la personne de Nicolas Le Gros un premier partisan2875. En pleine crise autour de la bulle Unigenitus, ce théologien rémois publie Du renversement des libertez de l’Église gallicane, violente charge contre les évêques constitutionnaires. À l’inverse de ses coreligionnaires, comme Arnauld et Quesnel qui avaient prouvé un loyalisme sans faille à une autorité monarchique menacée par ”l’usurpateur“ Guillaume d’Orange, Le Gros apporte sa caution au Settlement de 1689 par la transposition dans la sphère temporelle la doctrine conciliariste. Elle est alors admirablement ressourcée par l’exemple anglais de la souveraineté du Roi en son Parlement :
Le pape ne laisse pas d’être supérieur à chacun [des évêques], quoique leur agrément soit nécessaire pour l’exécution de ses décrets, son autorité est souveraine au sens auquel les conciles prennent ce mot, quoiqu’elle doive être tempérée dans l’usage qu’il en est fait. S’ensuit-il en effet que les rois de Pologne ou d’Angleterre soient inférieurs à chacun des membres de la Diète générale ou du Parlement, parce que les lois nouvelles n’ont de vigueur dans un royaume, que quand elles sont approuvées par ces assemblées de la nation2876 ?
80L’ecclésiologie gallicane épouse ainsi parfaitement les contours de la constitution anglaise consacrée par le Bill of Rights. La voie vers une contractualisation des rapports politiques, conséquence de la dissociation opérée entre le roi et la nation dans la doctrine figuriste de Le Gros, mais aussi dans celle de Jérôme Besoigne2877, ne fut pleinement consacrée que par la publication en 1772, par trois doctes jansénistes, des Maximes du droit public, et surtout par la seconde édition augmentée par les soins de l’avocat Maultrot en 17752878.
81Jamais jusqu’à cette date, les arguments de Locke n’avaient été avancés au service d’une assimilation subversive des institutions d’Ancien Régime à un pur ”despotisme“. Ils se voient en outre sans cesse concurrencés par un autre théoricien whig, Algernon Sidney, qui, avec certains jusnaturalistes comme Noodt, Burlamaqui et Vattel, apparaît comme le maître à penser de ces théoriciens de la contestation parlementaire2879. Au prix d’une érudition qui tombe souvent dans l’amphigouri, les avocats parlementaires reprennent aux deux philosophes anglais de la fin du xviième siècle l’idée d’une souveraineté originellement concentrée dans la nation, qui donne corps à leur défense d’une monarchie contractuelle : ”C’est du peuple que [le Prince] a reçu le pouvoir de commander ; et le peuple ne peut être soumis à aucun homme, que par son consentement“2880. Ce contrat est alors assimilé non à une ”vente“, ni à une ”donation“ ou un ”échange“, mais à un ”mandat“2881. Il donne corps à une monarchie élective, puisque la nation -ou le peuple, ces deux notions n’étant jamais différenciées -, conserve le droit imprescriptible et inaliénable de révoquer le roi. La fonction royale se trouve ainsi réduite à celle d’administrateur de l’État, soumis au contrôle permanent de la nation. La cérémonie du sacre est dépouillée de toute transcendance pour ne plus être que la traduction ritualisée de la manifestation du consentement populaire. Héritiers de la vieille théorie scolastique médiévale2882, les avocats jansénistes affirment :
Ainsi, la première solennité du couronnement en Angleterre comme en France, c’est de demander au peuple s’il accepte pour roi celui qui va recevoir la couronne. Les prières annoncent qu’il tient son autorité du chef du peuple, quoiqu’on y dise en même temps qu’il monte sur le trône par succession2883.
82Le roi ayant prononcé lors de son accession au trône ”le serment comme preuve et comme gage de l’exécution du contrat social“, il peut dès lors être logiquement déposé par la nation s’il venait à le violer. Si le régicide de Charles Ier est pudiquement qualifié de ”sanglante exécution“, il n’empêche que les juristes jansénistes légitiment pleinement l’Act for abolishing the Kingship qui instaura en 1649 la République, puisque les représentants du peuple avaient alors ”préféré le bien du peuple, à celui de la famille des Stuarts“2884. L’hypothèse contractuelle qui conduit Maultrot à réfuter l’assimilation de l’autorité monarchique à la puissance paternelle, ”point que Locke a démontré dans son Essai sur le Gouvernement civil“, donne ainsi corps à cette défense d’une monarchie limitée à l’anglaise2885.
83Une lecture similaire du sacre se retrouve chez un autre avocat, Morizot, qui décèle dans cette cérémonie non plus un mariage mystique, comme dans la tradition juridique française, mais une union matrimoniale sécularisée, qui est ”la consécration du mariage politique contracté entre le prince et la nation, pour l’utilité de celle-ci“, prenant même soin de préciser qu’elle n’est que ”la répétition de l’élection déterminée auparavant dans la diète nationale“2886. Alors que les parlementaires venaient d’être rétablis dans leurs charges au début du règne de Louis XVI, l’avocat ne se réfère cependant pas à Locke, mais à l’une des figures éminentes du Refuge, Abbadie, qu’il se contente le plus souvent de paraphraser dans sa distinction entre la monarchie absolue et la monarchie tempérée, ou dans sa définition de la loi fondamentale entendue comme la traduction juridique de la cession révocable de la souveraineté du peuple au roi. Mais quand les auteurs des Maximes analysaient cette cession comme un simple ”mandat“, Morizot préfère retenir la formule du contrat synallagmatique, manifestation d’un double engagement, du peuple, à obéir au roi, et du roi, à protéger et à défendre son peuple2887. Il n’est pas impossible d’affirmer dans cette perspective que Morizot lui-même soit à l’origine de la réédition en 1775 de la Défense de la nation britannique où il est écrit dans la préface :
Je crois qu’on pourrait dire que ceux qui ont écrit depuis, non seulement n’en ont pas dit plus que lui, mais même ne vont pas si loin2888.
84Avant d’envisager les mutations du discours parlementaire, il convient de souligner que le modèle anglais n’a sur ce point constitué qu’un argument périphérique dans l’arsenal idéologique développé tout au long du siècle. Même en admettant que cette rhétorique obéit à un certain nombre de codes, qui interdiraient par exemple d’avancer l’exemple d’une nation contre laquelle la France est le plus souvent en guerre, il n’en reste pas moins que l’Angleterre n’est que rarement invoquée en des termes explicites dans l’abondante production des parlementaires. Simple exemple, les citations de Locke et de Sidney abondent, mais elles sont noyées au milieu d’une érudition étouffante dans les Maximes du droit public. La contestation de l’absolutisme s’inscrit d’abord et avant tout dans deux registres privilégiés : l’histoire religieuse et l’histoire nationale, l’Angleterre servant alors souvent à conforter une hypothèse déjà largement étayée. Plus que d’une imitation de la constitution anglaise, il conviendrait de parler d’une greffe d’arguments ”anglais“ sur un appareil idéologique autonome et cohérent. Il n’empêche que le Parlement de Paris, dans des remontrances de 1776 contre la politique de Turgot, brise un tabou en se référant de façon très opportuniste à l’Angleterre, ”pays que la liberté a choisi pour asile“, non en raison de sa constitution, mais de ses corporations :
S’il fallait ajouter, Sire, à ses réflexions, l’autorité des peuples qui avaient admis ces corporations, votre Parlement vous citerait le peuple le plus sage de l’univers ; les Romains les avaient autorisées parce qu’ils les croyaient nécessaires à la sûreté de la plus grande ville du monde. L’Angleterre, elle même, ce pays que la liberté semble avoir choisi pour asile, l’Angleterre a ses corporations2889.
§ 3 - Parole à la défense : les mutations du discours parlementaire
85En dépit de l’indéniable hétérogénéité de l’idéologie parlementaire, toutes les études s’accordent sur son caractère profondément subversif. Les prétentions à soumettre le roi à la loi, l’affirmation de l’autonomie de la nation, un usage abusif du droit de remontrances et une interprétation extensive des lois fondamentales, autant de thèses étrangères à la tradition monarchique forgée par les légistes depuis le xivème siècle, qui ont contribué à l’effondrement de la monarchie des Bourbons. À la lecture des principaux théoriciens de cette contestation, le modèle anglais n’a été opératoire que pendant une courte période. Jusqu’aux premières heures de la crise Maupeou, il semble que les revendications parlementaires aient été incompatibles avec un gouvernement représentatif à l’anglaise. Avec l’exigence des États généraux, comme le demandera Malesherbes dans les célèbres remontrances de la Cour des Aides2890, non plus selon le schéma médiéval corporatiste des trois ordres, mais comme organe représentatif de la nation souveraine, le modèle anglais pourra alors devenir pertinent2891. Mais, et là réside le paradoxe, les plus radicaux des parlementaires, lecteurs de Rousseau plus que de Montesquieu, en viendront à la veille de la Révolution à se détourner de ce modèle.
-Une incompatibilité de principe ou le rejet du modèle anglais
86Dans sa première lettre sur les fonctions du Parlement, Le Paige dégage deux maximes du droit public héritées des temps mérovingiens. La première privait le prince d’une partie de ses attributions judiciaires, en lui interdisant de prononcer toute peine de sang, compétence alors réservée au Parlement. ”Le monarque, hors de ce tribunal, avait les mains liées quand il s’agissait de faire ce genre de mal à des hommes dont il était le père“, affirme-t-il selon une maxime plus proche du Télémaque de Fénelon que des Lettres philosophiques de Voltaire2892. La seconde pourrait rapprocher l’ancien droit public de celui consacré en Angleterre :
Elle ne permettait pas que le roi fît rien, même dans les moindres affaires, sans le conseil de ces princes, élus par la nation, pour rendre la justice avec lui, et dans les affaires d’une certaine importance, sans le conseil de la nation elle-même2893.
87Pourtant, la suite de la relecture de l’histoire nationale proposée par Le Paige le détourne de l’exemple anglais, puisqu’il vise à légitimer ce que Michel Antoine a qualifié de ”rêve d’un gouvernement des juges“2894. Au terme de ses recherches, Le Paige conclut à une continuité institutionnelle entre les placites mérovingiens, la cour des Pairs réunie autour du roi capétien, rendue sédentaire au xiiième siècle, et les cours souveraines, trois organes qui avaient les mêmes attributions de justice et de conseil2895. À l’idée de continuité s’oppose celle de nouveauté dont sont empreints les États généraux ”qui ont commencé sous Philippe le Bel“2896. L’histoire confère ainsi aux cours souveraines, consubstantielles dès l’origine à la monarchie, une supériorité sur les assemblées d’États. Le Paige reçut d’ailleurs conseil de l’un de ses amis, Révol, d’augmenter ses Lettres d’une troisième partie pour préciser la différence entre les Champs de Mars et les États généraux afin d’ôter tout soupçon que le Parlement ”affecte les mêmes droits que l’anglais“2897. Le projet constitutionnel de Le Paige, étranger à toute perspective contractuelle comme à tout idéal de gouvernement mixte, vise à faire du Parlement un dépôt de la loi entre le roi et la nation. À l’empire du roi, l’avocat substitue l’empire de la loi, dont le magistrat aurait la garde, ce dernier ne pouvant être réalisé que si le roi renonce à l’usage de tout moyen coercitif dans l’exercice de cette mission (lit de justice ou attributions juridictionnelles du conseil du roi)2898. Dans un manuscrit inédit retrouvé par Catherine Maire, Le Paige livre -enfin- la clé de compréhension de son rejet du modèle anglais :
Il y a cette différence immense entre le Parlement d’Angleterre et les Parlements de France que celui-là rejette la loi proposée en disant je ne veux pas et ceux-ci ne le font qu’en disant nous ne le voulons pas. L’un agit d’après son autorité propre ; les autres seulement d’après la justice et la raison, d’après l’intérêt du Prince ou celui des sujets qui ne leur permettent pas de consentir. Il en résulte cette autre différence immense, que le premier n’a pas besoin de justifier son refus et qu’au contraire les seconds n’ayant pour appui que la justice et leur refus, sont obligés de prouver qu’ils ont raison et de le prouver non seulement au souverain pour l’éclairer mais à la nation pour se justifier auprès d’elle (…)2899.
88À ces deux ”différences immenses“, il serait possible d’avancer une troisième ”différence“, à savoir celle existante entre les analyses proposées par Le Paige et la réalité du droit public de la France comme de l’Angleterre. Il n’empêche que, contrairement à ce que pensait par exemple d’Argenson2900 et de nombreux historien à sa suite, le constitutionnalisme parlementaire s’éloigne encore à cette date du modèle anglais, à savoir une monarchie mixte d’essence représentative. Pourtant, le Président Rolland, qui reprend les (re)constructions historiques de Le Paige, illustre par son détournement de la formule du King in Parliament combien le trouble des contemporains autour de ”l’équivoque“ était légitime.
L’autorité législative appartient à la nation en corps, c’est-à-dire, au Roi dans son Parlement. (…) Nous ne reconnaissons en France qu’un seul législateur qui est le roi : mais il ne peut faire une nouvelle loi que suivant les formalités prescrites par les anciennes2901.
89Ce trouble sera dissipé au cours de la crise Maupeou. Le modèle anglais deviendra alors pertinent.
-Le tournant de la crise Maupeou : l’acceptation du modèle anglais
90Il convient de ne pas plier la chronologie à une rigueur excessive. Dans la floraison de pamphlets - anglicisme en passe d’être consacré2902 qui suit le lit de justice du 7 décembre 1770, se côtoient deux types de discours différents, sinon contradictoires, à propos de l’Angleterre2903. Le premier s’inscrit dans la tradition du richérisme figuriste2904 de Le Paige, débouchant sur le rejet d’une monarchie représentative. Dans le programme constitutionnel avancé dans la Requête des États généraux, petit opuscule publié en 1772, Le Paige reste conforme à la tradition monarchique en présentant les assemblées d’états comme des organes de ”conseil purement consultatifs“, tout en rejetant le principe traditionnel des trois ordres, puisqu’ils seraient composés de personnes réunissant ”unanimement les suffrages et les respects de leurs concitoyens“2905. Dans Le Parlement justifié par l’Impératrice, reine de Hongrie, l’avocat janséniste André Blonde rejette ostensiblement l’accusation portée à l’encontre des parlementaires de ”vouloir introduire en France le gouvernement d’Angleterre“2906. S’il se prétend ”anglais“ pour réclamer la liberté de suffrage des magistrats, il s’inscrit dans une continuité de pensée avec Le Paige pour affirmer la nécessaire collaboration des cours souveraines à l’élaboration de la loi, sans pour autant admettre le principe d’une monarchie à l’anglaise ”où la multitude gouverne“2907. Une conception tout aussi subtile des attributions des cours souveraines, cette fois en matière fiscale, inspire l’auteur de la Lettre sur l’état actuel du crédit du gouvernement. Après avoir vanté les mérites du crédit public anglais assuré par ”le sceau auguste et inviolable d’un corps national“, il prend soin de marquer sa préférence pour la constitution de la France avant la mise en œuvre de la réforme de Maupeou. En France, le roi n’a en effet pas à user d’une ”corruption sourde et dispendieuse“ ou à subir les ”déclamations violentes contre le ministère“ qui viennent avilir son autorité. Par les seules remontrances des cours souveraines, il pouvait conjuguer heureusement ”le crédit d’une puissance limitée et le pouvoir d’une puissance absolue“, avant que le ”tyran“ Maupeou en décide autrement2908.
91La diffusion des théories contractuelles donne cependant un tour beaucoup plus polémique à certains des revendications. L’aporie des prétentions des magistrats, simples officiers de judicature, à ”représenter“ la nation, devient de plus en plus patente. Dans des remontrances du Parlement de Paris d’avril 1720, les magistrats évoquaient déjà les reproches faits par leurs ”concitoyens“ ”d’être insensibles à des malheurs que nous partagions avec eux, et quoique notre devoir nous engage à vous représenter l’état de votre peuple“2909. Ce qui était ”votre peuple“ au début du règne de Louis XV deviendra au terme d’une mutation sémantique de plusieurs décennies ”le peuple“ ou ”la nation“, entité autonome, séparée de la personne du roi, dont les intérêts doivent être cette fois représentés.
92En 1775, Maultrot opère une synthèse des conséquences de cette mutation par un appel ouvert aux États généraux selon le modèle anglais. En dépit de son titre, les Maximes du droit public français, l’avocat janséniste s’inspire largement des institutions britanniques pour définir la constitution française. Au brocard ”si veut le Roi, si veut la Loi“, il préfère la formule tirée du De Legibus de Bracton, assise de l’histoire de la monarchie anglaise, selon laquelle ”Le roi a pour supérieur Dieu et la Loi“2910. Dans le même sens, le texte de la Pétition de droits présenté par Parlement d’Écosse ”qui accompagne l’offre de la couronne“ à Guillaume III, déjà roi d’Angleterre, contiendrait ”des choses remarquables“. Après avoir reproduit dans son intégralité ce texte qui résume les accusations portées contre Jacques II, il ajoute : ”N’y aurait-il qu’en Écosse que tout cela serait contraire aux lois2911 ?“
93Ce n’est cependant pas de la réalité constitutionnelle anglaise que les avocats gallicans semblent s’inspirer, mais des traités de Locke et Sidney, pour fonder leurs prétentions à une convocation des États. Cette connaissance strictement livresque des institutions d’outre-Manche les conduit à refuser au roi de France un droit pourtant imparti au monarque hanovrien. Allant ainsi plus loin que le droit constitutionnel positif anglais, ils refusent que le roi puisse disposer seul du droit de convocation des États. Celui-ci appartient à la nation, et l’assemblée une fois réunie, le roi ne peut intervenir dans ses débats2912. Ils affirment ainsi :
Que le peuple s’assemble, qu’il examine la conduite du Prince, qu’il l’oblige à se conformer aux lois fondamentales ; il n’y aura pas pour cela deux chefs. Il y en aura un, astreint à remplir le devoir de sa qualité, à subordonner son pouvoir au bien public2913.
94Par l’intermédiaire de ses assemblée, la nation pourra, comme en Angleterre, exercer son droit imprescriptible de consentir à l’impôt, principe relevant des “lois fondamentales du royaume” et qui est étayé par deux longues citations, l’une de Locke, l’autre de Sidney2914. À l’instar de l’Angleterre, le monarque se verrait privé du pouvoir discrétionnaire de lever l’impôt, mais également d’administrer librement le Trésor, puisqu’il devra rendre compte de son usage aux représentants de la nation2915.
95Les auteurs des Maximes n’étaient pas les seuls à afficher leur adhésion au modèle anglais. Parmi le flot de pamphlétaires qui viennent soutenir la fronde des cours souveraines, certains publicistes participent de cette adhésion. Les doctrines contractuelles peuvent même être invoquées au service des particularités provinciales, comme dans le Manifeste aux Normands, où l’auteur rappelle que “nous étions anglais avant d’être sujets de France et maintenant nous sommes normands”2916. Le traité qui rattacha la Normandie au royaume de Philippe le Bel, devient alors un contrat synallagmatique, “un traité mutuel”, ce qui autorise le rédacteur de cet opuscule à réclamer la restauration d’un “tribunal ou Échiquier souverain” en matière judiciaire, et la réunion des “trois états assemblés” pour manifester le consentement à l’impôt2917.
96Les théoriciens de la cause parlementaire n’utilisent pas seulement les traductions des ouvrages anglais pour étayer leur argumentation. Ils savent également invoqués certains écrits francophones, comme ceux de Jean-Louis de Lolme. Quand Pidansat de Mairobert n’avance pas dans son Journal historique les propos les plus calomnieux sur la cour, et notamment sur la comtesse du Barry2918, il propose en effet un compte rendu dithyrambique de la Constitution de l’Angleterre, “un des meilleurs ouvrages en politique qui aient paru depuis longtemps”. De ce “traité court, précis, rapide” (sic), il retient surtout l’épisode de la Glorieuse Révolution qui lui montre les vertus d’une monarchie contractuelle2919. Aussi Mairobert s’extasie face au “bonheur dont jouit l’Anglais, par l’heureuse constitution de son gouvernement”. Lui qui occupera la fonction de censeur royal grâce à ses amitiés avec Malesherbes et Lenoir, invoque la liberté de la presse, qui permet la pénétration des ouvrages et papiers publics anglais, “malgré l’inquisition établie contre les ouvrages qui pourraient paraître en faveur du parti des Parlements, appelé aujourd’hui en France le parti de l’opposition et les persécutions exercées contre leurs auteurs”2920. Dans un autre pamphlet, le simple éloge des institutions anglaises n’est plus envisagé par le recours au mythe des libertés germaniques, mais par une assimilation pure et simple entre les constitutions de France et d’Angleterre, grâce à la caution opportune de Michel de l’Hospital :
Celui donc qui crie contre l’Anglicisme, crie évidemment contre la monarchie proprement dite ; et il ne déguise son langage que pour tromper le peuple français par sa haine ordinaire contre les Anglais. Mais parce que les Anglais sont hommes, voudrions-nous cesser de l’être ? Le Chancelier de l’Hospital, dans le discours qu’il fit à l’ouverture des États généraux en l’an 1561, disait : qu’en France tenir les états était anciennement tenir le Parlement, dont a été retenu le nom en Angleterre et en Écosse2921.
97Ce genre de propos, unique parmi les opuscules consultés, arrive au terme d’une fermentation idéologique amorcée depuis plusieurs décennies. Il démontre combien le travail sur l’histoire comme l’influence des théories contractuelles ont pu miner certains esprits pour les porter à assimiler les formes de gouvernement consacrées en France et en Angleterre.
98Ainsi, la réception du modèle anglais s’est faite de façon détournée, comme peut l’illustrer l’appel aux États généraux lancé par Pierre-Jean Agier dans Le jurisconsulte national. Citant abondamment Locke, Sidney et Gordon, ce juriste figuriste reprend à l’historien Roberston et à Montesquieu le modèle du gouvernement gothique originaire commun à toutes les nations européennes. Charles VII, le premier, aurait porté atteinte à “la loi fondamentale” du consentement de la nation à l’impôt, alors que, dans le même temps, l’Angleterre maintenait, notamment grâce à la Grande Charte, “cette loi des Empires”2922. S’il se laisse aller à un curieux parallèle entre la réunion des Parlements d’Angleterre et d’Écosse en 1707, auquel devrait s’adjoindre celui d’Irlande, et le “nécessaire concours unanime des treize parlements pour faire une loi”2923, il reprend à son compte la thèse de la représentativité des cours souveraines en l’absence d’assemblées d’État, récemment exposée par l’abbé de Velly dans sa monumentale Histoire de France (1755)2924. Le Parlement remplit en effet la fonction de “corps supplétif”2925 des États généraux, qui doivent donc être réunis par le roi. La procédure y serait alors la même qu’en Angleterre, où -Agier cite ici Blackstone- le bill reçoit le consentement des deux Chambres avant la sanction royale qui le rend applicable dans tout le royaume. Il ajoute même : “Les lois supposent que chaque Anglais participe à la formation d’un acte parlementaire, dès lors qu’il y assiste par ses représentants”2926. Le modèle anglais a ainsi servi de catalyseur aux aspirations révolutionnaires de certains parlementaires.
-Vers un modèle périmé ?
99Dans les multiples projets de réformes, l’influence du modèle anglais est de plus en plus perceptible. Plus nuancé que le comte du Buat-Nançay2927, Prost de Royer constate que les expériences d’assemblées provinciales initiées par Necker se rapprochent de la pratique anglaise, puisque le Tiers État dispose d’autant de représentants que le clergé et la noblesse réunis. Dans ces assemblées, où est exigé le “titre de propriétaire, synonyme de franc-tenancier”, le juriste lyonnais s’inquiète que le vote ne se fasse pas par ordre, mais par tête2928.
100D’autres projets, qui ne virent pas le jour, démontrent également la prégnance du modèle anglais. Depuis son exil de Chanteloup, le duc de Choiseul esquisse une ambitieuse réforme des institutions, très vaguement inspirée de l’exemple de la nation anglaise, où “les lois et non l’arbitraire sont le principe immuable et la force du gouvernement”2929. Son plan prévoit la division du royaume en dix-huit provinces où seraient réunies des assemblées d’États aux attributions exclusivement fiscales. Au niveau national serait convoqué un parlement divisé en deux chambres : une ”assemblée générale“, composée selon le système traditionnel des États généraux et destinée à ”former le vœu de la nation“, et ”une Chambre des Pairs, seul juge de tout ce qui regarde la loi du Royaume, la justice, la police et la religion“. Ainsi, les lois seraient votées par la première assemblée, puis examinées par la Chambre des Pairs, avant d’être soumises au roi qui y donne ou non sa sanction, selon le mécanisme anglais du veto royal2930.
101Alors que la violente guerre de libelles se terminait par le rappel des Parlements au début du règne de Louis XVI, l’avocat bordelais Guillaume-Joseph Saige publie en 1775 le Catéchisme du citoyen, pamphlet ”le plus radical de la littérature anti-Maupeou“, notamment par sa réappropriation des principes rousseauistes sur l’origine des sociétés politiques, la définition d’une souveraineté résidant de façon essentielle et inaliénable dans le corps des citoyens réunis par un contrat social2931. Dans une édition augmentée de cet opuscule de 1788, Saige introduit dans son exposé révolutionnaire qui annonce en des termes remarquables les thèses de Sieyès2932, une violente critique de la constitution anglaise. Reprenant les conclusions historiques de Mably et de Raynal, il considère cette dernière comme :
un composé des débris de l’ancienne législation saxonne, des restes de la féodalité et du despotisme des Tudors, et des principes de liberté éclos dans le seizième et dix-septième siècles. Quelles idées barbares et absurdes a-t-on eu sur la prérogative royale, jusqu’à l’expulsion de Jacques II ? Et le fameux bill des droits, qu’est-il qu’autre chose, qu’une espèce de concordat entre le despotisme et la liberté ?2933.
102Saige rejette l’idée d’une souveraineté parlementaire consacrée dans la rencontre de volonté du roi, des Lords et des Communes, en regrettant que les whigs n’aient jamais pu faire consacrer, notamment en 1688, que ”le pouvoir souverain résidait uniquement et essentiellement dans la nation“2934. Cette affirmation de la souveraineté nationale permet au parlementaire bordelais d’anticiper sur l’un des débats fondateurs de la Constituante. En effet, contre le despotisme de George III, qui, par son veto, “fait qu’une volonté individuelle contrebalance ridiculement la volonté générale”, il affirme que le monarque doit être cantonné à la seule fonction exécutrice. De même, la disparition du mandat impératif ne peut laisser d’autres ressources “contre la trahison de ses représentants” que le recours à la “force physique”. Autant de principes funestes contre lesquels s’emporte Saige, qui reprend ici la plupart des critiques déjà avancées par Mably ou Rousseau2935, mais aussi, ironie de l’histoire, par certains écrits anonymes anti-parlementaires, comme Le despotisme des parlements. Son auteur s’en prend violemment à la “tyrannie” des cours souveraines accusées de n’avoir “agi que pour [elles-] mêmes et la défense de leurs privilèges” en violant, par les arrêts de règlement, la règle de la non-confusion des pouvoirs posée par Montesquieu2936. Rejetant l’hypothèse d’une transposition des institutions anglaises, qui ne sont valables que pour les Anglais, il souhaite voir l’abolition de tous les corps intermédiaires entre le Prince et la nation, le premier ayant toute la puissance exécutrice, quand la seconde exercerait la puissance législative par l’intermédiaire de ses représentants2937.
103Cette même opposition des Parlements pourrait également expliquer le ralliement de Linguet, à l’anglophobie longtemps virulente, au modèle insulaire. Celui qui fut l’avocat du duc d’Aiguillon dans l’affaire de Bretagne avait nourri une haine tenace contre l’aristocratie en général, surtout contre les vulgaires magistrats, pâles imitateurs des députés anglais2938. Après son emprisonnement à la Bastille de 1780 à 1782, il avait trouvé refuge à Londres. Au bord de la Tamise, il se montra de plus en plus enclin à vanter le mérite des institutions anglaises2939. En 1788, il en viendra dans son plus brillant pamphlet à préférer, non sans atermoiements, le modèle anglais qui permettrait “une régénération de la monarchie”, plutôt qu’à devoir subir “le délire de la robinocratie”2940. Dans cet opuscule qui suggère un habile parallèle entre l’impeachment voté par le Parlement anglais en 1640 contre Strafford, et les griefs portés contre Lamoignon, garde des Sceaux, et Loménie de Brienne, principal ministre de Louis XVI dans les remontrances du 25 septembre 17882941, le célèbre polémiste vante plusieurs éléments de la liberté anglaise : la liberté de la presse, la reconnaissance du seul mérite individuel et surtout l’absence de corps intermédiaires (les juridictions féodales, les assemblées du clergé ou la vénalité des offices). Celles-ci l’incitent à passer outre les vices passagers de la représentation parlementaire. Il met cependant en exergue, avec un sens heureux de la métaphore, un “obstacle à la physionomie anglicane” du royaume de France, l’existence de trois ordres constitués et du monarque, ce qu’il appelle la “quadrature”, incompatible avec le modèle anglais ternaire du Roi en son Parlement. Avec une remarquable lucidité sur la contribution des parlementaires jansénistes à la maturation du principe de la souveraineté nationale, il écrit :
En Angleterre, les deux voix de la noblesse, de la nation elle-même ne sont rien sans celle du roi. En France, où la théorie de la volonté générale a été subitement, et bien mieux approfondie, en France où la doctrine du consentement de tous à été si bien développée par les aristocrates, qui par là n’entendent, à la Janséniste, que celui de plusieurs, verrait-on paisiblement dans la quadrature dont il s’agit, un seul l’emporter contre tous2942 ?
104Cette “quadrature” ne pourra être résolue que par la réunion des représentants de la noblesse et du clergé en une seule chambre, si bien que “la Mître et l’Épée n’auront plus qu’une seule et commune influence”2943.
105Au cours des années 1787-1788, le modèle anglais accapare les esprits, selon une dialectique rejet-source d’inspiration désormais explique, mais qui peut dans le même temps s’avérer être contradictoire, comme le montre la confrontation des opinions de Saige, avec celles de Linguet. Le premier, pourtant conseiller au Parlement de Bordeaux, rejette le modèle anglais, alors que le second, pourfendeur notoire des robins, semble en dernier ressort adhérer à ce modèle institutionnel.
106Depuis plusieurs décennies, la contestation parlementaire a ouvert la voie à une possible transformation des institutions du royaume des Bourbons. Ainsi, Madame de Lescure rapporte la tenue de réunions régulières autour du Prince d’Orléans et de certains parlementaires parisiens, au cours desquelles “on se prononçait sur les intérêts de la nation, on examinait la constitution anglaise, on y cherchait ce qui pouvait être applicable à la constitution française et aux circonstances présentes”2944. Mais cette opinion était contestée dans un opuscule ministériel, qui, pour contrer les prétentions parlementaires, se donnait la peine de rappeler selon la vieille théorie des climats, l’impossibilité de toute imitation institutionnelle :
On cite éternellement les Bretons dont le Parlement veille sur les droits de la Nation ; mais ce sont des Anglais et nous sommes des Français ; leur constitution est différente de la notre. C’est comme si nous nous plaignions de notre existence, ou d’être nés ce que nous sommes. Chaque continent a ses plantes particulières qui tiennent à son climat. Vouloir que toutes les sociétés soient administrées sur le même plan est un projet aussi vain qu’impraticable2945.
107Quand le modèle anglais apparaît comme une forme légitime de gouvernement pour la France, il ne fait pas l’objet d’une analyse en profondeur. Simple slogan frondeur lancé à la barbe des autorités, il exprime un idéal aux contours mal définis. Aucun de ces opuscules ne prétend vouloir transposer la constitution anglaise dans le royaume de France. Ici réside l’ambiguïté fondamentale du discours parlementaire.
108Le modèle anglais est le plus souvent instrumentalisé au service d’une relecture révolutionnaire d’institutions françaises tombées en relative désuétude. Il en est ainsi des États généraux comme du jury criminel. Ces auteurs ne prétendent pas vouloir reproduire à l’identique le Parlement siégeant à Westminster, mais restaurer d’antiques libertés à l’image de celles consacrées sur l’autre rive de la Manche. Comme dans le discours utopique, où l’Angleterre sert de révélateur à l’inconscient collectif des Lumières, le passé national est relu à travers le prisme de l’Angleterre contemporaine.
Notes de bas de page
2665 Parmi une abondante littérature, voir L. Bescond, “Lectures de l’utopie comme modèle et moyen de la réflexion politique”, Modèles et moyens de la réflexion politique, op. cit., t. II, p. 245-268 ; J. Servier, Histoire de l’utopie (1967), Paris, 1991 et surtout B. Baczko, Lumières de l’utopie, Paris, 1978, qui précise que le discours utopique demeure “un discours de la culture savante, de la culture des élites” (p. 62).
2666 Utopia traduit en 1516 sous le titre La meilleur forme de communauté politique et la nouvelle île d’Utopie.
2667 De Lassay, Relation du Royaume des Féliciens, dans Recueil de différentes choses (1727), Lausanne, 1756, t. IV, p. 403. Ce royaume, qui a adopté le jugement par jurés en matière criminelle et la “loi parfaitement bonne” de l’Habeas corpus (p. 457), maintient une noblesse héréditaire comprenant des dignités “si semblables à celle d’Angleterre qu’on pourrait croire que ces deux nations ont eu quelques communications” (p. 436).
2668 Ibid., p. 396-397. Autre différence énoncée par de Lassay, la Félicie a réussi, par une législation d’une extrême sévérité, à éradiquer la brigue électorale si courante en Angleterre (ibid., p. 403).
2669 [Mercier], L’An deux mille quatre cent quarante, rêve s’il en fut jamais, Londres, 1771, p. 405. Ainsi, le principe anglais énoncé par Voltaire selon lequel “le prince, tout puissant pour faire le bien, a les mains liées pour faire le mal”, est désormais consacré en France (p. 120). Plus anecdotique, mais tout aussi révélateur, les écrivains de “cette île guerrière, commerçante et politique”, comme Milton, Pope, Young ou Richardson, sont les plus nombreux dans la bibliothèque du roi réduite à la portion congrue après que les Parisiens eurent décidé d’en brûler le plus grand nombre, jugés mauvais ou inutiles (ibid., p. 202).
2670 M. Sacquin, “La vision utopique de l’Angleterre dans les récits de voyage français entre 1750 et 1789”, Komparatische Hefte, 3, 1981, p. 52-63, qui fait suite à l’étude précitée sur Les voyageurs français en Angleterre et les voyageurs anglais en France de 1750 à 1789. J. Grieder a également consacré un beau chapitre aux récits de voyage de cette période (Anglomania, op. cit., p. 33-63).
2671 Peuchet précise que “les relations bien faites de quelques voyageurs ont encore donné de la popularité” aux idées de Montesquieu et de Lolme (Encyclopédie méthodique, op. cit., t. IX, p. lxxxix).
2672 Sur la fonction symbolique et psychanalytique de l’insularité dans le discours utopique, voir J.-M. Goulemot, Le règne de l’histoire, op. cit., p. 269-270.
2673 La Rochefoucauld, Voyage en Angleterre, op. cit., p. 38.
2674 Voir sur ce point M. Sacquin, Les voyageurs français, op. cit., p. 250 sq.
2675 Il est frappant que les récits de voyage retrouvés à l’état manuscrit et publiés depuis, comme ceux déjà rencontrés d’Élie de Beaumont ou du duc de Croÿ, aient eux conservé leur forme originelle, une description journalière, le plus souvent limitée à des propos anecdotiques et mondains. Bon exemple également dans le récit du célèbre scientifique Jérôme Lalande (Journal d’un voyage en Angleterre, 1763, publié par H. Monod-Cassidy, Oxford, The Voltaire Foundation, 1980) ou dans celui de François de Paul Lapatie, secrétaire du fils de Montesquieu (“Journal de mon voyage en Angleterre, présenté par Pierre Bécamp”, Archives de lettres modernes. Études sur Montesquieu, 1970, p. 16-32).
2676 Dutens, L’ami des étrangers qui voyagent à Londres, op. cit., p. 1.
2677 A. Tenenti, v° “Utopie”, Dictionnaire de philosophie politique, op. cit., p. 716.
2678 Pour une description de la capitale anglaise, J.-P. Poussou, “Les villes anglaises, du milieu du xviième siècle à la fin du xviiième siècle”, Études sur les villes en Europe occidentale, Paris, SEDES, 1983, p. 1-212, et dans une perspective comparative, G. Rudé, “Paris et Londres au xviiième siècle : société et conflits de classes”, Annales historiques de la révolution française, 214, 1973, p. 481-502.
2679 Description classique de La Rochefoucauld : “Toutes les rues sont d’une largeur immense et tirées au cordeau, toutes ont, des deux côtés, des trottoirs pour la commodité des gens de pied. Ordinairement, les rues sont très propres, parce que la pente des eaux y est très bien ménagée. Les places, qui sont en grand nombre, sont d’une grandeur immense” (Voyage en Angleterre, op. cit., p. 39).
2680 Grosley, Londres, op. cit., t. I, p. 39. L’auteur insiste ainsi sur la qualité de l’éclairage (p. 70-71) ou sur le fait que “tout est à l’avantage du piéton, c’est-à-dire que les trottoirs gagnent toujours quelque chose en largeur aux dépens du milieu de la rue” (p. 63).
2681 Lacoste, Voyage philosophique, op. cit., t. I, p. 23.
2682 Ibid., t. I, p. 94.
2683 Coyer, Nouvelles observations sur Londres, op. cit., p. 24.
2684 À ce propos, La Rochefoucauld écrit : “Auparavant, les rues étaient étroites, mal bâties ; les bâtiments, par leur étrange arrangement, conservaient un air putride (…). On a bâti dans ce temps une ville entièrement neuve, où l’on évite tous les inconvénients de la vieille” (La vie en Angleterre, op. cit., p. 37). Dans Le monde en flammes, utopie publiée en 1668, Margaret Cavendish décrivait une cité paradisiaque, située sur une île d’accès difficile défendue par un labyrinthe de rochers (J. Servier, Histoire de l’utopie, op. cit., p. 331).
2685 Comment ne pas sourire quand Grosley écrit très sérieusement : “Par une suite de l’attention pour le peuple, tous les édifices publics, sacrés ou profanes (…) ont des horloges avec de grands cadrans qui indiquent l’heure aux piétons, leur évitant la dépense ou l’embarras d’une montre” (Londres, op. cit., t. I, p. 71).
2686 Coyer, Nouvelles observations, op. cit., p. 33. Sur la place de l’édifice comme support d’un discours moral dans la cité utopique, voir B. Baczko, Lumières de l’utopie, op. cit., p. 287 sq.
2687 Madame Roland, Voyage en Angleterre, op. cit., p. 154.
2688 Coyer, Nouvelle observations sur l’Angleterre, op. cit., p. 55.
2689 Dutens, L’ami des étrangers qui voyagent à Londres, op. cit., p. 139.
2690 Coyer, Nouvelles observations sur Londres, op. cit., p. 41. La visite de Bedlam, contraction de St Mary of Bethlehem, était alors un des moments-phares de tout séjour londonien, même si ce spectacle de la folie proposé dans ce Charenton anglais était loin d’être aussi idyllique.
2691 Grosley, Londres, op. cit., t. I, p. 356.
2692 Mercier, Parallèle de Paris et de Londres, op. cit., p. 180.
2693 La suite est encore plus piquante, quand Mercier écrit que le précautionneux Cromwell “avait fait porter le corps de Charles Ier de Windsor à l’endroit où il devait être enterré lui-même, afin qu’après sa mort, si on voudrait outrager sa cendre, on outrageât celle du roi ; et par conséquent avait ordonné confidement [sic] qu’on l’enterra secrètement : ce qui fut exécuté. Et lorsqu’on voulu exhumer le corps de Cromwell, et le pendre au gibet, on ne trouva que celui de Charles, qui fut pendu à sa place, ayant eu, dit-on, la tête recousue au col pour tromper” (ibid., p. 181). Preuve de ce républicanisme diffus qui tend à se généraliser, Mercier écrit : “Cet esprit républicain, en effet, semble prendre en France et s’affaiblir un peu en Angleterre. Pourquoi ? C’est qu’en France le pouvoir est peut-être à son comble ; en Angleterre, la conduite de plusieurs rois leur a acquis beaucoup de cœur, et avec d’autant plus de force qu’ils ont eu de peine à les gagner et de besoin à les acquérir” (p. 61).
2694 Mercier, L’An deux mille quatre cent quarante, op. cit., p. 405 et 173. Cette apologie du Protecteur illustre l’absence de tout attachement de Mercier au principe monarchique. L’unique reproche qu’il fit aux constitutions américaines était l’absence de roi, “qu’on l’appelle Conservateur, Gouverneur, Protecteur” (Notions claires, op. cit., t. I, p. 294). Il n’empêche qu’il refusera de voter la mort de Louis XVI, son opposition à la Montagne le conduisant en prison jusqu’à la chute de Robespierre.
2695 Madame Roland, Voyage en Angleterre, op. cit., p. 232.
2696 Lacoste, Voyage philosophique d’Angleterre, op. cit., t. I, 17.
2697 Coyer, Nouvelles observations sur l’Angleterre, op. cit., p. 138.
2698 Ibid.
2699 Lacoste, Voyage philosophique d’Angleterre, op. cit., t. I, p. 177.
2700 Grosley, Londres, op. cit., t. I, p. 108, même s’il considère le petit peuple londonien comme “la plus insolente canaille que l’on pût rencontrer” (p. 148).
2701 D’après Grosley, “une foule de souscriptions s’ouvrent et se remplissent chaque jour dans toute l’Angleterre pour secourir l’indigence, pour réparer les malheurs imprévus, pour aider au développement d’idées et de vues qui offrent quelque utilité” (Londres, op. cit., t. I, p. 390). Voir également Madame de Roland, Voyage en Angleterre, op. cit., p. 238-239 ; Coyer, Nouvelles observations sur l’Angleterre, op. cit., p. 40.
2702 B. Baczko, Lumières de l’utopie, op. cit., p. 300.
2703 Cambry, De Londres et de ses environs, op. cit., p. 1.
2704 Ibid., p. 97. Ce propos n’est pas unique en son genre. Il se retrouve sous la plume d’Ange Goudar qui a écrit tout et son contraire sur l’Angleterre, mais qui cette fois affirme : “Dans un gouvernement où tous les membres tiennent à la République générale, le corps politique a en lui la source de toute industrie. C’est dans les actes du Parlement qu’est, en Angleterre, la science de chaque art ; c’est dans ce maître que chacun trouve le principe de sa profession. Il faut que chaque citoyen soit occupé, et qu’il le soit relativement au bien public. Chacun participant à la République, elle devient l’ouvrage de tout le monde” (L’espion françois à Londres, op. cit., t. I, p. 69-70).
2705 [Coste d’Arnobat], Voyage au pays de Bambouc, suivi d’observations intéressantes sur les castes indiennes, sur la Hollande et sur l’Angleterre, Bruxelles, 1789, p. 320 et 316.
2706 L’expression “utilitarisme” n’est pas ici entendue comme le système philosophique exposé par Bentham ou John Stuart Mill, mais de façon plus galvaudée comme l’exaltation de “l’utile”, qui suppose une nouvelle hiérarchie des savoirs et des activités pour parvenir à un bonheur individuel et collectif sécularisé. Sur ces deux notions, voir les deux synthèses accompagnées d’une importante bibliographie de F. Markovits, v° “Utile”, Dictionnaire européen des Lumières, op. cit., p. 1073-1078 et de R. Sève, “Utilitarisme”, Dictionnaire de philosophie politique, op. cit., p. 711-716.
2707 L’idée de patrie connaît au xviiième siècle une importante évolution conceptuelle, notamment par les réflexions de d’Aguesseau dans une célèbre Mercuriale, qui considère que l’amour de la patrie ne peut s’épanouir dans une monarchie, mais seulement dans un gouvernement républicain (J. Godechot, "Nation, patrie, nationalisme et patriotisme au xviiième siècle", AHRF, 43, 1971, p. 481-501). Dans un opuscule remarqué publié en 1755, Coyer, très influencé par Bolingbroke, fait de l’Angleterre le point de référence de cet idéal patriotique moderne, qui, en France, a été étouffé par l’absolutisme monarchique. Alors qu’il trouve encore ce mot de patrie "sous Louis XIII dans les cahiers des dernier États généraux", ce n’est qu’en Angleterre qu’il "est en si grand honneur" (Dissertation sur le vieux mot de patrie, La Rochelle, Rumeur des Ages, 1997, p. 42 et 46). Dans la notice ”patrie“ (Encyclopédie, op. cit., t. XXIV, p. 1002-1003), de Jaucourt s’inspire largement de l’essai de Coyer, mais c’est au Montesquieu admirateur de l’Angleterre qu’il rend hommage dans celle consacrée au ”patriotisme“ : ”L’auteur de L’Esprit des lois était pénétré des sentiments de ce patriotisme universel. Il avait puisé ces sentiments dans son cœur et les avait trouvés établis dans l’île voisine“ (p. 1006).
2708 A. Tenenti, v° ”utopie“, op. cit., p. 718.
2709 Grosley, Londres, op. cit., t. I, p. 29.
2710 Goudar, L’espion françois à Londres, op. cit., t. I, p. 68. Dans un autre ouvrage, il écrit qu’en Angleterre, ”toutes les charges de la République sont partagées : aucun particulier n’a le droit de porter le nom de citoyen sans remplir les obligations qui lui font mériter de l’être“ (L’espion chinois, Cologne, 1774, t. IV, p. 10). Cette idée d’une hiérarchie sociale fondée sur la substitution du mérite à la noblesse héréditaire est un argument classique du discours utopique, comme dans L’idée d’un règne doux et heureux, ou relation du voyage du prince de Monteberaud dans l’île de Naudély (1703) de Lesconvel ou l’Histoire des Sévarambes de Denis Veiras (J.-M. Goulemot, Le règne de l’histoire, op. cit., p. 267).
2711 Goudar, L’espion français à Londres, op. cit., t. I, p. 75.
2712 Ibid., p. 69.
2713 Notamment par le biais de l’éducation qui se trouve rapporté par Lacoste : ”En Angleterre, le fils d’un artisan entre dans une école publique, où, sous les couleurs de l’égalité, il reçoit non seulement une idée vraie des devoirs sociaux, mais aussi la faculté d’entretenir, par la lecture, le sentiment de ces vérités“ (Voyage philosophique, op. cit., t. I, p. 186) ou Grosley : ”En réunissant tous les états, les pensions et les universités les rapprochent. Il y règne une émulation qu’exclut l’éducation domestique. (…) Telle était, disent les Anglais, l’éducation de Sparte“ (Londres, op. cit., t. I, p. 293).
2714 Coyer, Nouvelles observations sur l’Angleterre, op. cit., p. 223.
2715 Ibid., p. 224.
2716 ”L’espoir d’un tombeau à Westminster, excite vivement à se distinguer de son vivant“ (Madame du Boccage, Lettres sur l’Angleterre, op. cit., p. 33.
2717 Madame de Roland, Voyage en Angleterre, op. cit., p. 238.
2718 Mercier, Parallèle de Paris et de Londres, op. cit., p. 168.
2719 Goudar, L’espion anglois, op. cit., t. I, p. 96.
2720 Grosley, Londres, op. cit., t. I, p. 383 et 384.
2721 Voir ainsi les exemples d’évergètes rapportés pour les villes de Chester et Cantorbéry par F. J. Ruggiu, Les élites …, op. cit., p. 242-244 et J.-P. Poussou, ”Les villes anglaises…“, op. cit., p. 160-162.
2722 Grosley, Londres, op. cit., t. I, p. 30. Il écrit plus loin : ”Tout ce qui n’attente directement ni à la paix publique, ni à la liberté ou à la vie du citoyen, est étranger à la police“ (ibid., p. 100).
2723 Coyer, Nouvelles observations sur l’Angleterre, op. cit., p. 30.
2724 Turgot, Encyclopédie, v° ”Fondations“, t. XIV, p. 892.
2725 Mercier, Parallèle de Paris et de Londres, op. cit., p. 128.
2726 Duc de Croÿ, Journal d’un voyage en Angleterre, op. cit., p. 43.
2727 Brissot, Théorie des lois criminelles, op. cit., t. I, p. 94, qui avance comme exemple les maisons publiques d’accouchement ou les institutions d’éducation pour enfants abandonnés.
2728 Grosley, Londres, op. cit., t. I, p. 111. À l’inverse, Lacombe souligne, à juste titre, l’inefficacité de cet impôt qui n’empêche pas de voir la misère se développer dans les grandes villes (Observations sur Londres, op. cit., p. 41).
2729 Mercier, Parallèle, op. cit., p. 83. Depuis l’époque Tudor, l’État monarchique a développé une importante législation pour éradiquer la pauvreté fondée sur l’opposition entre le vice et la misère. Le premier est très sévèrement réprimé, notamment par les statuts de 1547, qui prévoit l’esclavage pour les “vagabonds endurcis” (sturdy beggars), de 1572 qui établit des châtiments allant du fouet à la peine capitale, cette dernière peine étant abandonnée dans celui de 1597, en lui substituant la détention dans une maison de correction, voire le bannissement ou les galères pour les récidivistes. Un statut de 1601 augure d’une nouvelle conception de la lutte contre la misère, fondée sur l’assistance, qui resta valable jusqu’au milieu du xixème siècle. Dans l’Angleterre des Temps Modernes, l’assistance est, selon la formule de B. Cottret, “autant un instrument de contrôle social de la misère qu’une institution charitable”. Depuis 1572, elle est alors financée par la Poor Tax, prélevée dans chaque paroisse civile par un notable, l’overseer of the poors, désigné par le juge de paix et chargé de gérer et d’organiser l’assistance des indigents. À compter de 1662, la paroisse ne devenait responsable que des pauvres nés dans la paroisse, ce qui entraîna de nombreux abus (Histoire d’Angleterre, op. cit., p. 209).
2730 C. Cheminade, “Libéralisme, corporatisme et dérogeance : à propos des édits sur le commerce de 1701 et 1765”, Dix-huitième siècle, 26, 1994, p. 276 et note 12.
2731 Le principe de la liberté de commerce en gros pour la noblesse est affirmé à l’article 2 du projet de déclaration du 15 décembre 1757 élaboré par le Bureau du commerce (ibid., p. 275).
2732 Coyer, La noblesse commençante, à Londres et se trouve à Paris, 1756, p. 48. Les termes de cette polémique ont été rapportés par E. Depitre, “Le système et la querelle de La noblesse commerçante (1756-1759)”, Revue d’histoire économique et sociale, 1913, p. 137176, qui recense la vingtaine d’opuscules et de traités publiés à cette occasion.
2733 Coyer, La noblesse commençante, op. cit., p. 60.
2734 Cette expression empruntée à C. Larrère (L’invention…, op. cit., p. 161) permet seule d’expliquer l’ampleur de la polémique suscitée par la publication de ce petit in-octavo de cent cinquante pages.
2735 Voir supra 1ère partie, Titre I, chapitre 1, section 2, §2.
2736 Coyer, Développement et défense de la noblesse commerçante, Amsterdam, et se trouve à Paris, 1757, p. 67-68. A l’appui de son argumentation, Coyer préfère assez finement insister sur la situation économique florissante de l’Angleterre, en dissimulant son admiration pour la constitution anglaise. Dans les deux opuscules rédigés au cours de cette querelle, il ne se laisse aller à aucune digression sur la liberté politique consacrée outre-Manche, mais accumule les chiffres et les comparaisons sur le pourcentage de la population participant au commerce ou sur les revenus des deux nations, afin de démontrer les raisons de sa prospérité (p. 30-31). Il en est de même dans la multiplication des citations des auteurs anglais, que ce soit Bolingbroke (p. 33) et plus encore Hume (p. 29-30, 35 et 49).
2737 [De Pezerols], Le conciliateur ou la noblesse militaire et commerçante, Amsterdam, 1756, p. 41.
2738 Ibid., p. 51.
2739 Ibid., p. 52, ajoutant : “Voilà, selon moi, la plus grande différence qui vienne de la forme de gouvernement. Ici, nous obéissons au Roi ; en Angleterre il est obligé de se conformer au vœu de la nation, et je sais mettre une différence entre un État où les particuliers se privent du superflu seulement pour l’intérêt de l’État dont ils font partie, et un autre où les particuliers offrent leur fortune entière à leur Roi. Quel éloge pour le monarque, il serait moins glorieux pour lui de les avoir comblés de richesses”.
2740 Voir supra, titre I, chap. 2, section 1, §1.
2741 Dupin, Observations sur un livre intitulé De L’Esprit des lois, op. cit., t. II, p. 126. Il peut écrire, en référence à la formule heureuse du chapitre 5 du Livre XI de L’Esprit des lois (“la liberté y paraîtra comme dans un miroir”) : “Mais non, le miroir politique-économique se trompe encore ici. Les Anglais ne se repaissent point de sentiments bons et méprisables : livrés aux soins d’un commerce vaste et légitime, ils le font avec honneur” (t. III, p. 8).
2742 [Chevalier d’Arcq], La noblesse militaire opposée à la noblesse commerçante, Amsterdam, 1756, p. 6 et 28 ; [Lacombe de Prezel], Dictionnaire du citoyen, Paris, 1759, v° ”noblesse“, t. II, p. 134 ; [de La Hausse], La noblesse telle qu’elle doit être, ou moyen de l’employer utilement pour elle-même et pour la patrie, Amsterdam et se trouve à Paris, 1758, p. 21, qui écrit : ”Si une simple langue de terre unissait son pays au continent, croyez qu’elle ne serait pas si commerçante, et qu’elle ne ferrait pas flotter toutes ses forces“. Le marquis des Pennes développe longuement cet argument (La noblesse ramenée à ses vrais principes, Amsterdam, 1759, p. 150, 172-173).
2743 Voir sur ce point E. Carcassonne, qui démontre parfaitement la vitalité de l’idéologie nobiliaire dans le second xviiième siècle (Montesquieu …, op. cit., p. 221-260).
2744 Marquis des Pennes, La noblesse…, op. cit., p. 12.
2745 D’Arcq, La noblesse militaire, op. cit., p. 32. Le contradicteur de Coyer résume fidèlement l’opinion de Montesquieu, en empruntant le même vocabulaire inspiré de la physique : ”En Angleterre, les inconvénients de la république sont heureusement tempérés par les inconvénients de la monarchie. Comme on voit deux forces égales mises en opposition, en résulter une troisième capable de soutenir les charges les plus pesantes, et de résister aux efforts les plus violents, de même en Angleterre on voit résulter des opinions qui tendent sans cesse à détruire le pouvoir souverain, et du pouvoir souverain qui tend sans cesse à ramener les diverses opinions à lui seul, on en voit, dis-je, résulter une solidité suffisante pour la conservation de l’État“ (p. 30). Comme il a été démontré, il abandonna par la suite son admiration pour l’Angleterre (supra, 2ème partie, titre I, chapitre 2).
2746 D’Arcq, La noblesse militaire, op. cit., p. 27. Sur les liens entre l’esprit de commerce et la république, voir E. Gojosso, Le concept de république, op. cit., p. 309-315.
2747 D’Arcq, La noblesse militaire, op. cit., p. 6-7. Voir J.-P. Brancourt, ”Un théoricien de la société au xviiième siècle …“, op. cit., p. 337-362.
2748 Grimm, Correspondance littéraire, op. cit., t. III, février 1756, p. 176, avançant cette sévère mise en garde : “Malheur à la France si jamais la noblesse devient philosophe et commerçante, et si l’on peut, sans se déshonorer, ne pas servir le roi”.
2749 De Joncourt, Nouvelle bibliothèque angloise, La Haye, 1756, t. I, p. 127, 142 et 134. De même, il n’est alors guère surprenant qu’une des différences entre la Félicie et l’Angleterre dans l’ouvrage de Lassay, brillant militaire, soit que le titre de pair et de seigneur est “attaché à la terre de leur nom”, qui confère une épaisseur féodale et aristocratique à ce royaume imaginaire (Relation, op. cit., p. 436).
2750 Marquis des Pennes, La noblesse…, op. cit., p. 142, ce dernier ajoutant : “Ne cherchons point à imiter des voisins dont les constitutions diffèrent trop des nôtres : laissons les nobles de Londres commercer, flatter le peuple, s’enivrer, se battre à coup de poings avec les crocheteurs ; ce n’est point là notre noblesse” (p. 13).
2751 [Octavie Durey de Meynières], Observations sur la noblesse et le Tiers état, Amsterdam, 1758, p. 87.
2752 [J.-J. Garnier], Le commerce remis à sa place, s.l., 1756, p. 67, l’amour de l’argent devant selon lui entraîner l’Angleterre vers une banqueroute certaine (p. 69).
2753 Voir C. Cheminade, op. cit., p. 283-284.
2754 Du Buat-Nançay, Les maximes du gouvernement monarchique, Londres, 1778, t. III, p. 29 et 405, où il ajoute que cette constitution “est aussi vicieuse que le despotisme le plus avilissant dont elle a les effets et dont elle n’a pas les avantages”. E. Carcassonne considère ainsi que les thèses historiques de ce personnage étrange, qui fut ambassadeur, “se prolongent en conclusions politiques fort bizarres” (Montesquieu …, op. cit., p. 199 note 1, et plus généralement p. 244-260).
2755 Il incarne ainsi à merveille l’école du droit historique en affirmant que “le droit de la nature n’est qu’un mot ou une chimère dangereuse” (Du Buat-Nançay, Les maximes, op. cit., t. I, p. 151).
2756 Ibid., t. III, p. 30-31.
2757 Ibid., t. III, p. 401. L’auteur va très loin dans cette exigence de hiérarchie sociale, comme le montre son explication de l’affirmation de l’autorité des “ambitieux citadins” : “Les conséquences de l’affranchissement furent poussées jusqu’à l’égalité des droits politiques entre les citoyens et la classe servile”.
2758 Ibid., t. III, p. 14.
2759 Ibid., t. III, p. 403.
2760 Ibid., t. III, p. 404.
2761 Baudeau, Idée d’un citoyen presque sexagénaire, op. cit., 29.
2762 Coyer, Nouvelles observations, op. cit., p. 143 et 145.
2763 Grosley, Londres, op. cit., t. II, p. 44.
2764 Ibid., p. 45.
2765 Ibid., p. 137. Cette métaphore est la transcription dans le domaine des relations confessionnelles d’une idée déjà avancée par Montesquieu à propos des divisions entre whigs et tories.
2766 La Beaumelle, L’asiatique tolérant. Traité à l’usage de Zeokinizul [Louis XIV], roi des Kofirans [Français], ouvrage traduit de l’arabe, Paris, l’an xxiv du traducteur [1748], p. 60. L’humour est la conséquence d’un jeu très subtil d’anagrammes.
2767 [Baer], Mémoire théologique et politique au sujet des mariages clandestins des Protestans de France, s.l., 1755. Sur cette question des mariages clandestins, qui en fait couvre un conflit entre l’État monarchique, favorable à une certaine mansuétude sur ce point pour préférer lutter contre l’exercice du culte réformé dans les assemblées “illicites” du désert, et l’épiscopat désireux d’une application rigoureuse de la déclaration de 1724, voir J.-L. Harouel, “L’édit de tolérance (1787)”, dans Actes du colloque Malesherbes, op. cit., p. 113-117.
2768 [Court], Lettre d’un patriote sur la tolérance civile des protestans de France, s.l., 1756, p. 39.
2769 Ibid., p. 39-40.
2770 Ibid., p. 70. Avec beaucoup d’habilité, il rejette en effet l’équation Europe du nord / protestantisme / liberté, opposée à Europe du sud /catholicisme /despotisme.
2771 [De La Broue], L’esprit de Jésus Christ sur la tolérance, s.l., 1760, p. 171.
2772 Ibid., p. 78.
2773 E. Labrousse, “Note à propos de la tolérance au xviiième siècle”, Stud. on Voltaire, LVI, 1967, p. 804-805.
2774 Dissertation sur la tolérance des protestans ; ou réponse à deux ouvrages ; dont l’un est intitulé L’accord parfait ; et l’autre Mémoire au sujet des mariages clandestins des protestans de France, en France, s.d., p. 48. Dans La vérité vengée (s.l., 1756), Élie de Beaumont répondra à ces accusations en rappelant les “crimes si noirs” de Marie Stuart en Ecosse (p. 61), la conspiration des Poudres de 1605 fomentée par le catholique Guillaume Fawkes, tentative avortée de faire mourir le roi et les représentants du royaume grâce à des barils de poudre placés sous le palais de Westminster (p. 58). Il rejette en outre l’accusation de parricide sur les seuls presbytériens en invoquant Bayle et Burnet (p. 59), et explique la déposition de Jacques II par “des raisons politiques, que personne ne peut ignorer et qui font partie de la constitution de ce royaume” (p. 61).
2775 [Novi de Coveyrac], Apologie de Louis XIV et de son conseil sur la révocation de l’édit de Nantes, s.l., 1758, p. 387.
2776 Ibid., p. 418 et 421. Dans un autre écrit, Coveyrac qualifie les protestants de “peuplade d’esprits républicains qui se glorifient de leur esprit d’indépendance”, ajoutant que leur doctrine entraîna “une souveraineté changée en République, un gouvernement monarchique renversé, un roi décapité, un vil particulier élevé à la dictature suprême” (Mémoire politico-critique, s.l., 1756, p. 183 et 189).
2777 Ibid., p. 452. Sur le statut de 1700, voir supra, 1ère partie, tit. 1, chap 2, section 1.
2778 Traité sur la tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas, 1763, in Mélanges, op. cit., p. 581.
2779 [E. Petit], Dissertation sur la tolérance civile et religieuse en Angleterre et en France, Genève et Paris, 1778, p. 1-2.
2780 À l’inverse de l’édit d’octobre 1685 qui ne prévoit aucune limitation sur ce point, un catholique anglais ne pouvait séjourner à la cour, ni dans aucun lieu habité par le roi sous peine d’une amende de 100 £, sauf par ordre royal ou autorisation de six membres du Conseil privé, ni résider à Londres ou dans les dix milles environnants. S’ajoute également l’interdiction de s’éloigner de cinq milles de son domicile, sous peine de se présenter devant un magistrat pour prêter le serment de suprématie ou de s’engager à quitter le royaume dans les cinq jours, le refus de se soumettre à cette obligation étant passible de felony (Petit, Dissertation sur la tolérance, op. cit., p. 184-185)
2781 Ibid., p. 187 et 189. Le terme recusant désignait tous ceux qui refusaient d’assister aux offices de l’Église anglicane, l’Acte d’Uniformité de 1559 ayant rendu cette participation obligatoire et sa contravention passible d’amende. Bien qu’elle soit très théorique, Petit invoque cette obligation, ainsi que la possibilité laissée à tout magistrat de faire prêter le serment de suprématie à toute personne suspecte, pour illustrer la plus grande rigueur des lois anglaises (p. 166-167).
2782 J. A. Lesourd, Les catholiques …, op. cit., t. I, p. 311 -317.
2783 Ce statut de 1778 (18 Geo. II, c. 60), supprimant les récompenses pour les dénonciations de prêtres, les peines d’emprisonnement à vie contre tout ecclésiastique suspecté d’avoir célébré un office et l’incapacité à hériter et à posséder des terres, est reproduit par E. N. Williams, The Eighteenth Century Constitution, op. cit., p. 343-345.
2784 Linguet, Annales politique, t. IV, 1779, p. 175.
2785 Selon Condorcet, l’action de Lord Mansfield démontre que certains juges pleins de “lumières et d’humanité” préfèrent “échapper à la loi par des subtilités, que d’égorger par elles leurs semblables”, (Examen du gouvernement d’Angleterre, op. cit., p. 145-146).
2786 Sur ce point, voir J. A. Lesourd, Les catholiques …, op. cit., p. 321-326 et G. Holmes et D. Szechi, The Age of Oligarchy, op. cit., p. 177-179, qui précisent que la haine contre les catholiques s’intégrait dans un discours plus général d’hostilité contre les élites parlementaires.
2787 Turgot, Lettre à Dupont de Nemours, 1780, Œuvres, t. V, p. 624.
2788 J.-L. Harouel, “L’édit de tolérance (1787)”, op. cit., p. 113-117.
2789 Condorcet, Lettre de M***, avocat au Parlement de Pau [sic], à M.***, Professeur en droit canon, Œuvres, t. V, p. 538. De même, pour Brissot, la situation des catholiques irlandais est une preuve “du peu d’humanité et d’entendement du gouvernement” (Lettres sur la liberté politique, op. cit., p. 56).
2790 Raynal, Histoire des deux Indes, op. cit., t. V, p. 389.
2791 Démeunier, Ency. méth., v° “Virginie”, t. IV, p. 632. À l’inverse, l’État de Pennsylvanie, par l’article 2 de sa Déclaration des droit et l’article 10 de sa constitution est trop sévère, car il oblige les représentants élus à la chambre des représentants de prêter un serment garantissant, selon les termes du texte, la croyance en “un seul Dieu, créateur et gouverneur de cet univers” (v° “Pennsylvanie”, t. IV, p. 569 et 577). Et il peut alors rejeter les craintes de Mably sur l’abus de tolérance qui pourrait naître de la multiplication des religions. “Nous ne craindrons pas de le prédire : on s’apercevra dans cinquante ans que les citoyens d’Amérique n’ont pas abusé de cette loi” (v° “États-Unis”, t. II, p. 363).
2792 À propos des remontrances du Parlement de Paris de décembre 1754, d’Argenson écrit à son frère : “Les modifications du Parlement font partie de la législation (…). M. le chancelier aurait dû relever la fausseté de cette maxime à l’instant où elle fut avancée. La laissera-t-on passer, en joignant l’application au faux principe ? Cela est de conséquence. Si j’ose y joindre des exemples sinistres, c’est ainsi que les Communes en Angleterre ont avancé leur usurpation sur la royauté par des titres, des chartes, des usages. Originairement la royauté était en Angleterre égale à celle de France” (Mémoires, (E. J. B. Rathéry), t. V, p. 59). Quelques années plus tard, l’auteur d’un traité réfutant les prétentions des magistrats, peut-être J.-N. Moreau, avance parmi les pièces justificatives trois documents extraits des Actes publics de Rymer visant à prouver “que le mot Parlement dans son origine, n’était point appellatif à l’égard de la cour du roi [Edouard Ier], et qu’il n’avait de relation qu’à ses assises et séances” (Questions de droit public, Amsterdam, 1770).
2793 L’insistance sur le thème de l’imemoriality par les juristes de common law (G. Burgess, op. cit., p. 19-58) peut en effet se retrouver dans l’idée janséniste de la perpétuité (C. Maire, De la cause de Dieu à la cause de la nation, Paris, Gallimard, 1998, p. 429). Pour une mise en perspective de cette comparaison entre les crises constitutionnelles anglaise et française, voir la très fine analyse de R. Chartier, Les origines culturelles de la Révolution française, Paris, Seuil, 1990, p. 205 sq.
2794 Sur la diffusion du vocable “constitution”, employé pour la première fois dans des remontrances en 1721, voir W. Schmale, “Les Parlements et le terme de constitution au xviiième siècle en France : une introduction”, Il Pensiero politico, 3, 1987, p. 415-424.
2795 Voir J.-P. Royer, Histoire de la justice, op. cit., p. 250-252.
2796 Picault, Traité des Parlements ou États généraux, Cologne, 1679, sauf la mention anodine d’un statut voté par le Parlement anglais (p. 58).
2797 Malgré le plan retenu, un retour à 1715 a semblé à la fois logique et nécessaire pour pouvoir envisager de façon continue la place du référent anglais dans la contestation des parlementaires.
2798 Voir Introduction.
2799 Duclos, Mémoires, cité par S. Saguez-Lovisi, op. cit., p. 47.
2800 Voir H. Morel, “Les “droits de la nation” sous la Régence”, Mélanges Henri Morel, op. cit., p. 443.
2801 Les références à ces deux publicistes abondent en effet dans le Recueil général des pièces concernant l’affaire des Princes légitimes et légitimés (Rotterdam, 1717, 2 vol. , 8° [désormais Recueil général]).
2802 Réponse à la Lettre d’un Espagnol à un François, au sujet de la contestation qui est entre les Princes de sang et les légitimez, Recueil général, t. I, p. 167.
2803 Pour les partisans des princes de sang, Guillaume ne devait son trône qu’au droit de conquête (Nouvelle réfutation de la Lettre d’un Espagnol à un François, s.l.n.d., Recueil général, t. I, p. 200). À l’inverse, pour les partisans des princes légitimés, qui contestaient l’existence d’une loi fondamentale d’indisponibilité, le duc de Normandie ne devait la couronne qu’à la volonté d’Edouard Ier qui le lava de sa condition de bâtard en l’instituant comme héritier par voie testamentaire. Voir l’Apologie de l’édit d’août (sic) 1714 et de la déclaration du 23 mai 1715, qui donnent aux Princes légitimez et à leurs enfans et descendans mâles (…), le titre, les honneurs et le rang de Prince de sang (s.l.n.d.), Recueil général, t. II, p. 40. Un autre partisan des légitimés, peu au fait des aléas dynastiques de l’Angleterre, reprend l’exemple du Conquérant dans un sens différent, pour prouver que la qualité de bâtard n’oblitère pas celle de roi : “Ce n’est point la légitimité des Rois, mais leurs vertus, leurs grands talents et leurs héroïques actions qui rendent leur Maison auguste. La maison d’Angleterre n’est pas moins illustre pour ne descendre que d’un bâtard, et d’un bâtard du duc de Normandie” (Troisième Lettre de M. *** à un homme de qualité (s.l.n.d.), Recueil, t. III, p. 218-219). De façon plus trouble, Boulainvilliers, partisan hétérodoxe des légitimés, considère qu’il y a “trop de disparités dans de pareils exemples, pour pouvoir en rien conclure d’essentiel au sujet de la question présente”. Mais il ajoute que l’histoire tend à démontrer qu’“en général”, “les bâtardises n’étaient point censées porter exclusion d’aucuns droits successifs”, celle de Guillaume de Normandie “lui fut souvent reprochée, dans un temps postérieur, sans qu’elle ait eu néanmoins le pouvoir de lui faire perdre la succession paternelle, où ses oncles légitimes avaient pourtant un droit qui serait aujourd’hui incontestable” (Mémoires touchant l’affaire de Mrs les Princes du Sang, État de la France contenant quatorze lettres sur les anciens Parlements de France, Londres, 1728, t. III, p. 527-538, cit. p. 530-531). Pour le comte normand, l’édit de Marly de 1714 était pleinement valide, assimilé à une simple lettre de légitimation du prince, thèse qui, en conférant un caractère patrimonial à la succession, visait à contester l’effort doctrinal des juristes depuis le xivème siècle pour définir la dévolution de la couronne selon des règles spécifiques de droit public (O. Tholozan, op. cit., p. 139-140). Ce débat sur l’accession de Guillaume de Normandie au trône avait déjà eu lieu en des termes similaires sous les Tudor (H. Nenner, The Right to be King, op. cit., p. 38 et 48-49).
2804 Suite de la justification de M. le Président de ***, Recueil général, t. II, p. 152.
2805 Ibid., p. 255.
2806 “Un corps qui aurait le droit de s’opposer aux volontés du monarque ne perdrait pas son temps à lui faire des représentations. On ne se consume point en vaines prières, pour écarter la violence quand on a le droit de la réprimer. Lorsqu’à Londres, la Chambres des Communes ne veut pas passer un bill, elle ne fait point de très respectueuses et très humbles remontrances, elle le rejette” (Examen analytique et raisonné d’un écrit qui a pour titre : Protestation des Princes de sang, s.l.n.d., p. 12).
2807 Boulainvilliers, Mémoire, op. cit., p. 537. Il convient de ne pas tirer de ces lignes des conclusions trop hâtives. Sur la doctrine constitutionnelle de Boulainvilliers, partisan d’une “monarchie pré-parlementaire”, voir O. Tholozan, op. cit., p. 307-314.
2808 Voir J.-P. Brancourt, Le duc de Saint-Simon et la monarchie, Paris, Cujas, 1971, p. 59–62.
2809 Saint-Simon, cité par H. Morel, “Les “droits de la nation”…”, op. cit., p. 433.
2810 Saint-Simon, Mémoires succincts sur les formalités (1712), Traités politiques, op. cit., p. 152.
2811 Saint-Simon, Réfutation de l’idée de Parlement d’estre le premier corps de l’État (1716), Traités politiques, op. cit., p. 556. De façon bien imprudente, il affirme que le Parlement d’Angleterre détient cette compétence “de tous temps et presque sans aucun changement” (Mémoires, op. cit., t. II, p. 923-924). Soucieux de marquer la différence de rang entre un pair de France et un magistrat de cour souveraine, le duc insiste sur la composition aristocratique de la Chambre des Communes, où siègent “plus de gentilshommes et de cadets de noblesse que de députés”, si bien que la noblesse de robe n’aurait pour équivalent que les shérifs et les jurés anglais (ibid., t. V, p. 88-89).
2812 Saint-Simon, Réfutation …, op. cit., p. 557.
2813 Saint-Simon, Mémoires sur l’intérest des princes de sang (1720), Traités politiques, op. cit., p. 670.
2814 À chaque période de crise ouverte, l’exemple anglais resurgit. À la suite de l’intervention du Parlement de Bretagne pour soutenir en 1717 les magistrats parisiens “victimes” d’une ordonnance de discipline, un opuscule ministériel accusa les magistrats bretons de prétendre embrasser la qualité de “tuteurs des rois ou de père du peuple” et de vouloir imiter le gouvernement anglais, “le plus défectueux qui soit au monde” par “les guerres intestines qui la déchirent, les factions continuelles qui y règnent, l’exemple d’un Cromwell” (Entretien d’un parisien et d’un Breton, s.l.n.d., p. 11 et 12).
2815 [Bertrand Capmartin de Chaupy], Observations sur le refus qu’à fait le Châtelet de reconnaître la Chambre royale, en France, 1754, p. 81. L’accusation de vouloir “faire de la France une seconde Angleterre” est répétée dans ses Réflexions d’un avocat (Londres, 1756, t. I, p. 142). “L’esprit anglais” se retrouve dans cette “si licencieuse liberté de conscience (…) à la manière de l’Angleterre qui consiste dans la liberté de choisir la croyance qu’on veut” (Observations, op. cit., p. 183-184), la preuve étant un extrait de la Gazette de Londres du 13 septembre 1753 : “La résistance glorieuse faite par le Parlement de Paris, pour obtenir et assurer une liberté de conscience, ne peut manquer d’être applaudie par tout bon membre du parlement de la Grande-Bretagne” (cité p. 82).
2816 Il insiste longuement sur l’engagement du parlement de Paris aux côtés des Anglais et des Bourguignons, qui conduira, par le traité de Troyes, à faire d’Henri V le successeur de Charles VI au trône de France (Observations, op. cit., p. 88-92). Le même argument se retrouve dans un autre écrit anonyme (Lettres sur l’autorité du Roi, s.l., 1754, p. 38 sq).
2817 A trois reprises est rapporté le parallèle entre la Fronde parlementaire et l’opposition des Anglais qui conduira au Commonwealth (Observations, op. cit., p. 140-141, 204 et 207).
2818 Capmartin de Chaupy, Réflexions d’un avocat, op. cit., t. I, p. 142-143.
2819 Tout en invoquant sur ce point Cardin Le Bret, Bossuet, Pasquier et Loyseau (Observations, op. cit., p. 5) comme la novelle 105 (p. 210), il définit la Couronne comme un “ouvrage parfait de la Divinité”.
2820 Ibid., p. 6.
2821 Ibid., p. 196.
2822 ibid., p. 198.
2823 Ibid., p. 73.
2824 [J.-N. Moreau], Seconde lettre d’un publiciste allemand à un jurisconsulte françois, Amsterdam, 1770, p. 33. Plus précis, un autre écrit anonyme ajoute qu’en France, le Parlement, simple “cour de Justice” composée “d’officiers de justice” ne peut être l’équivalent du “Parlement d’Angleterre, qui est véritablement un Parlement national” (Mémoire sur le droit des Pairs de France d’être jugés par les pairs, s.l., 1771, p. 62). La procédure d’enregistrement ne confère pas la qualité de “législateur”, sinon ils seraient “dans l’État au dessus du roi”. La procédure législative anglaise se distingue et de l’enregistrement et de la procédure adoptée lors des délibérations dans les assemblées d’États. “En Angleterre, les chambres du Parlement ballottent un bill. Ils [sic] se présentent ensuite au roi qui peut le rejeter, mais du moment que le roi l’a signé, la loi est faite”, alors qu’en France, les États présentaient au roi les cahiers de doléances “qui renfermaient les vœux de la nation ; le roi mettait à côté de chaque article, accordé ou refusé ; et de ceux qui étaient accordés, il en faisait une ordonnance qui portait le nom du lieu où les États étaient assemblés” (p. 69). Voir également le contenu d’un manuscrit de Moreau conservé à la Bibliothèque du Sénat, connu sous le titre Principes de conduite avec les parlemens rédigé en août 1760 longuement cité par K. M. Baker (“Maîtriser l’histoire de France”, op. cit., p. 88-89).
2825 Lettre de Horace Walpole à James Crawford, 6 mars 1766 (Lettres de Horace Walpole, Paris, 1872, p. 185). À ce témoignage, il est convient d’ajouter ceux rapportés par M. Wagner, “Parlements”, Handbuch politisch-sozialer Grundbegriffe in Frankreich, 1680-1820, Heft 10, München, 1988, p. 75-80.
2826 M.-B. Bruguière, “Anglomanie et mythes politiques…”, op. cit., p. 475.
2827 Lettre d’un membre de la Chambre des Communes à un conseiller du Parlement de Paris, Londres, 1760, p. 5 et 7.
2828 Il n’a pas été possible de retrouver le manuscrit de ce mémoire présenté en 1769 à Maupeou. Lebrun explique a posteriori ses intentions de supprimer les cours souveraines pour les remplacer par les États généraux : “Nous [le chancelier et son secrétaire] nous entretenions souvent. Je lui parlais de l’Angleterre. Je lui disais combien les ressorts de ce gouvernement étaient faciles à mouvoir, combien de sécurité pour le trône, avec quelle facilité s’exécutaient les grandes entreprises, comme la nation toute entière se remuait ainsi qu’un seul homme ; point de résistances partielles, point de corps qui troublassent l’ensemble du système général ; combien la France serait heureuse d’une pareille constitution ; que ne devrait-on pas attendre de l’esprit qui semblait s’emparer de la société. Il n’y avait plus de ses grands vassaux qui opposaient leurs forces aux forces de la monarchie, plus de ces puissances secondaires avec lesquelles il fallait négocier sous Henri VI et sous Louis XIII. Les principes d’administration secondaient l’autorité contre les vues et les mouvements de la noblesse, du clergé et des parlements (…). Il n’y avait plus en France de gouvernement possible, plus de vrai système de finances à établir, plus de législation générale à former, si l’on s’obstinait à marcher dans l’ornière du passé, qu’avec tous ces parlements divisés dans leurs vues, réunis dans leur résistance, l’autorité ne pouvait plus s’exercer ; qu’il fallait appeler la nation, sans attendre qu’elle vînt de sa propre volonté ; que l’opinion marchait là ; qu’on y viendrait tôt ou tard et dans les circonstances plus fâcheuses” (Opinions, rapports et choix d’écrits politiques, Paris, 1829, p. 19-20). La nature de cette source exige cependant la plus grande prudence, puisque ce n’est pas Lebrun lui-même, mais son fils aîné qui rapporte des propos tenus par son père. De plus, ce passage, comme l’ensemble des écrits de Lebrun, a été rédigé plusieurs années après la Révolution. Sans grande difficulté, Lebrun peut alors se targuer d’avoir anticipé dès 1769 les événements à venir. Il est en tout cas indéniable qu’il était fasciné par Montesquieu, dont la lecture lui donna “le désir de connaître cette Angleterre, le berceau et alors le modèle des gouvernements représentatifs” (p. 6), cette dernière expression s’apparentant plus au vocabulaire constitutionnel du xixème que du xviiième siècle. À la Constituante, il fut l’un des partisans d’une monarchie à l’anglaise (E. H. Lemay, Dictionnaire des constituants, op. cit., t. II, p. 559-560).
2829 R. Villers, L’organisation du Parlement de Paris, op. cit., passim.
2830 Lettre à l’abbé Galiani, 11 avril 1772, citée par M. Wagner, “Parlements”, op. cit., p. 77.
2831 Une partie de ces opuscules ont été réunis sous le titre Le code des François ou recueil de toutes pièces intéressantes publiées en France, relativement aux troubles des Parlements, Bruxelles, 1771, 2 vol. in 8°. (désormais Le code des François). Certains des textes officiels pris au cours de cette réforme sont réunis dans le Code des Parlements, ou collections d’édits, déclarations, lettres patentes et arrêts donnés sur la réformation de la justice, depuis décembre 1770, Paris, 1772, 1 vol. in 8°.
2832 Remontrances d’un citoyen aux Parlements de France, s.l.n.d., Le Code des François, t. I, p. 391.
2833 La folie de bien des gens dans les affaires du tems, s.l.n.d., Le Code des François, t. II, p. 31.
2834 Lettres américaines sur les Parlements, s.l.n.d. [janvier 1771], p. 13.
2835 Extrait d’une Lettre, en date de Londres, 3 mai 1771, Le code des François, t. II, p. 47 et 51.
2836 Le songe d’un jeune Parisien, s.l.n.d., Le code des François, t. II, p. 351. Cet opuscule connut une seconde édition augmentée sous le titre Le songe d’un bon citoyen françois, Londres, 1788, dans lequel l’auteur s’en prend plus violemment encore aux parlementaires qui ne cessent de parler “de la nation, de l’independance et de la sainteté des lois constitutives de la monarchie : il faut de grands mots, c’est ainsi qu’on se fait une réputation” (p. 10). Suit alors un parallèle entre les protestations de fidélité des magistrats et les phrases respectueuses employées dans les remontrances avec celles employées lors de l’arrestation de Charles Ier à Gloucester, l’auteur concluant : “C’est ainsi que dans des circonstances difficiles, on abuse des expressions même du respect et de la soumission, pour annoncer la révolte et ce jeu criminel des droits les plus sacrés est devenu la source de l’attentat le plus exécrable qui pût souiller la mémoire des hommes. Un Roi paraissait sur l’échafaud, condamné juridiquement par ses propres sujets” (p. 30, la dernière phrase étant empruntée à Voltaire).
2837 Considérations sur l’édit du mois de décembre 1770, s.l.n.d., p. 81-82. Turgot développa les mêmes considérations dans son Plan d’un ouvrage contre le Parlement (Œuvres, op. cit., t. I, p. 435-436), même s’il qualifiait la réforme de Maupeou de “despotisme légal” (Lettre à du Pont de Nemours, 8 février 1871, ibid., t. III, p. 475).
2838 Réflexions d’un citoyen, in Le code des François, t. II, 294 ; Le fin mot de l’affaire (s.l.n.d.) in Le code des François, t. II, p. 397 ; Extrait d’une lettre, op. cit., p. 52 et 53.
2839 Seule allusion, l’assimilation des magistrats aux “puritains d’Angleterre”, qui au lieu de discuter “des droits respectifs des souverains et des sujets” feraient mieux “de juger du champ et de la vigne” (Lettres américaines, op. cit., p. 23). Au cours de la crise Maupeou, Jean-Baptiste Mailly publie une opportune histoire de la Fronde qui s’attarde à l’inverse longuement sur l’épisode républicain anglais, rappelant que Cromwell était alors “attaché à recueillir les fruits de son crime, et à établir la tyrannie sur les débris de la royauté” (L’esprit de la Fronde, La Haye, 1773, t. V, p. 757-768, cit. p. 759).
2840 La tête leur tourne, s.l.n.d., p. 17.
2841 Réflexions d’un citoyen sur l’édit de décembre 1770, s.l.n.d., Le code des François, t. II, p. 295 et 261, l’auteur citant Montesquieu.
2842 Réflexions nationales, Le code des François, t. II, p. 110
2843 Extrait d’une Lettre, op. cit., p. 52.
2844 “Souvenons-nous que nous sommes tous enfants d’un même Père, divisés en plusieurs familles par la suite des temps ; que nous ne serons jamais rien que d’imparfait, et qu’ainsi il faut conserver chacun son sol, ses modes, son gouvernement, et vivre avec ses défauts en maintenant de notre mieux l’équilibre ou le Ne quid nimis, qui est le grand art en Politique, comme en physique et en morale” (Extrait d’une lettre, op. cit., p. 55). Le songe d’un citoyen (op. cit., p. 36-37) développe une analyse similaire.
2845 Raisons pour désirer une réforme dans l’administration de la justice, Le code des François, t. II, p. 15.
2846 Réflexions d’un citoyen sur l’édit de décembre 1770 (s.l.n.d.), ibid., t. II, p. 255.
2847 R. Pomeau, Voltaire, op. cit., t. II, p. 369-372. Plus généralement sur le rôle de Voltaire au cours de cette crise, voir D. Echeverria, The Maupeou Revolution, Baton Rouge and London, Louisiana State U.P., p. 146-168.
2848 [Voltaire], Les peuples aux Parlements, s.l.n.d., Le code des François, t. II, p. 1. Voir aussi son historique très orthodoxe des cours souveraines (Dictionnaire philosophique, v° “Parlement de France”, op. cit., p. 469-478).
2849 Voltaire, L’équivoque, M. t. xxviii, p. 421. Dans l’Essai sur les moeurs (op. cit., t. I, p. 784), il développe largement ce parallèle entre les deux nations au xvème siècle : "Ce tribunal était, comme vous le savez, ce qu’est en Angleterre, la cour du banc du roi. Les rois anglais, vassaux de ceux de France, imitèrent en tout les usages de leurs suzerains. Il y avait un procureur du roi au Parlement de Paris ; il y en a un au banc du roi d’Angleterre ; le chancelier de France peut présider aux Parlements français, le chancelier d’Angleterre au banc de Londres. Le roi et les pairs anglais peuvent casser les jugements du banc, comme le roi de France casse les arrêts du parlement en son conseil d’État, et comme il les casserait avec les pairs, les hauts barons et la noblesse, dans les États généraux, qui sont le parlement de la nation. La cour du banc ne peut faire de lois, de même que le Parlement de Paris n’en peut faire. Ce même mot de banc prouve la ressemblance parfaite ; le banc des présidents a retenu son nom chez nous, et nous encore l’appelons aujourd’hui le grand banc". Ce parallèle se trompe sur la possibilité laissée au chancelier anglais de présider le King’s Bench, puisque le chancelier avait sa propre juridiction, l’Equity. Mais il ne devait pas plaire aux parlementaires car la Court of King’s Bench, démembrement de la curia regis installé à Westminster, n’avait aucune compétence extra-juridictionnelle, Voltaire critiquant ouvertement les arrêts de règlement en rappelant que le Parlement de Paris ne peut faire de lois. Après les conflits de compétence avec la cour de Commons Pleas à l’époque Tudor, cette cour suprême de common law connaissait des litiges en matière civile et pénale (actions pour trepass), en première instance et par voie d’appel. Elle succéda notamment à la Star Chamber au xviième siècle (T. F. Plucknett, A Concise History of the Common Law, op. cit., p. 164-165 et 412).
2850 Observations avec les réponses, sur l’écrit qui a pour titre : Réponse au citoyen qui a publié ses réflexions (s.l.n.d.), Le Code des François, t. II, p. 419. Un autre texte fustige la vénalité, qui permet l’établissement d’une “espèce irrégulière d’aristocratie” (Lettres américaines, op. cit., p. 23).
2851 J.-N. Moreau, Mes souvenirs, Paris, 1898, t. I, p. 109. Sur le sentiment alors partagé de voir l’opposition parlementaire déboucher sur une aristocratie, voir M. Wagner, op. cit., p. 35 sq.
2852 Lettres de M. le marquis de *** à un Français resté à Londres, Amsterdam, 1788, p. 6.
2853 J.-F. Barbier, Chroniques, op. cit., t. II, 320.
2854 Mémoire touchant l’origine et l’autorité du Parlement de France, appelé Judicium Francorum, édité à la suite de ses Mémoires historiques sur divers points de l’histoire de France de Mézeray, Amsterdam, 1732, t. II, p. 114. En 1617, La Roche-Flavin avançait déjà l’idée d’un Parlement consubstantiel à la monarchie, puisque assimilé au conventus ou placita franc appelé à délibérer sur les “affaires de l’État” (J. Krynen, “À propos des Treze Livres des Parlements de France”, op. cit., p. 697).
2855 C. Maire De la cause de Dieu à la cause de la nation, op. cit., p. 394.
2856 [Le Paige], Lettres historiques sur les fonction essentielles du Parlement, Amsterdam, 1753, t. I, p. 34. À l’appui de la thèse de l’Angleterre conservatoire de la liberté, il avance deux exemples. Le premier rapporte une anecdote lourde de signification. Au cours du banquet qui suit la cérémonie du sacre en Angleterre, un héraut lance un gant que toute personne voulant contester la légitimité du roi se doit de ramasser, pratique abandonnée en France (t. I, p. 129). Le second porte sur la procédure criminelle du jugement par les pairs, conservée en Angleterre, à l’inverse de la France (t. I, p. 117-118 et t. II, p. 155), idée alors largement partagée (voir supra, 2ème partie, titre II, chapitre 1, section II, § 1).
2857 Selon C. Maire (op. cit., p. 404), Le Paige a été “l’âme et le scribe” de la cause parlementaire.
2858 De Lauraguais, Extrait du droit public de la France, op. cit., p. 51.
2859 Voir D. van Kley, “The Jansenist Constitutional Legacy in the French Revolution”, K. M. Baker (ed.), The French Revolution …, op. cit., t. I, p. 194, et C. Maire (op. cit., p. 500) qui insiste sur sa contribution à la littérature pamphlétaire contre les Jésuites.
2860 Grosley, Londres, op. cit., t. III, p. 244. Au-delà de la fantaisie du parallèle, il cite en référence une miniature reproduite dans un mémoire présenté par Lancelot à l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres (t. X, 1736), peinture du procès de Robert III d’Artois qui fait encore aujourd’hui référence. Elle est analysée par P. Despartes (“Les Pairs de France et la couronne”, RH, 1989, p. 331-333).
2861 Grosley, Londres, op. cit., t. III, p. 345. Il reprend d’ailleurs un Commentaire des opuscules de Loysel de Claude Joly pour démontrer que le royaume de France avait connu lui aussi non seulement le même système judiciaire, mais aussi la règle du consentement de la nation à l’impôt : “Ces deux royaumes se gouvernaient alors quant aux finances et à l’ordre judiciaire sur les mêmes principes. Joly (…) rapporte une remontrance faite en plein Conseil à Charles VII par Jean Juvénal, archevêque de Reims. Cette remontrance, conservée à la bibliothèque du Roi, prouve la nécessité du consentement de la nation à l’établissement des impôts alors connus sous le nom d’octrois” (p. 371). Sur les prétentions des cours souveraines à consentir à l’impôt, voir F. Olivier-Martin, Les Parlements …, op. cit., p. 53-63.
2862 [P. F. Lafiteau], Entretiens d’Anselme et d’Isidore sur les affaires du temps, s.l.n.d. [1756], p. 96. Le père Jésuite Capmartin de Chaupi voyait dans l’arrêt du 18 avril 1752 du Parlement de Paris sur le refus des sacrements, une tentative visant à “renouveler en France les événements de l’Angleterre sous les règnes d’Henri VIII et Edouard VI” (Observations, op. cit., p. 186). En 1770, un historique de circonstance sur les crises du règne d’Henri III porte les mêmes attaques contre les monarques Tudor (Anquetil, L’esprit de la Ligue, ou histoire politique des troubles de France pendant les xvième et xviième siècle (1770), 2ème éd., Paris, 1771, t. I, p. 6).
2863 Sur ce point, voir notamment J.-L. Thireau, “Les idées politiques des Jansénistes”, op. cit., p. 50-51 ; Y. Fauchois, “Jansénisme et politique au xviiième siècle : légitimation de l’État et délégitimation de la monarchie chez J.-N. Maultrot”, RHMC, XXXV, 1988, p. 473-491.
2864 Grâce à l’appui de Guillaume Wake, le père Le Courayer fut reçu docteur en théologie à l’Univesité d’Oxford, connue pour son hostilité aux Hanovriens et pour ses sympathies tories proches des jacobites, après la publication de sa thèse sur la validité des ordinations de l’Église anglicane, se fondant sur le caractère épiscopal de Barlow, premier prélat consécrateur en 1551. Sur ce point, voir J. de Viguerie, Histoire…, op. cit., v° “Le Courayer”, p. 1105.
2865 [Raynal], Histoire du divorce d’Henri VIII, Amsterdam, 1753, p. 153 et 211.
2866 ”L’Angleterre, la seule puissance de l’Europe qui soit libre, a eu longtemps comme les autres un gouvernement injuste, vicieux et barbare. Ce n’est qu’après avoir été la victime de l’ignorance, de l’orgueil ou de la tyrannie des Bretons, des Romains, des Saxons, des Danois et des Normands qu’elle est parvenue à avoir des lois qui font sa sûreté, sa grandeur et son opulence. D’heureux hasards, une situations avantageuse, surtout le génie ferme et hardi de ses habitants ont amené par degrés cette heureuse révolution“ (ibid., p. 5-6). Sur la ”légende noire“ développée contre Grégoire VII dans les milieux jansénistes, voir Ph. Sueur, ”Contribution…“, op. cit., p. 42.
2867 Grosley, Londres, op. cit., t. III, p. 284 et note (a). Il n’hésite pas à affirmer ainsi qu’il existe ”une différence à peine sensible“ entre le contenu du serment de suprématie d’Angleterre et les quatre articles de la déclaration du clergé de France de 1682 (t. II, p. 48).
2868 Dans cet écrit, Maultrot propose un parallèle en six points de la réforme d’Henri VIII avec celle de la Constituante, uniquement pour démontrer les excès de cette dernière, comme lorsqu’il note à propos du serment : “l’Assemblée se place à la tête de l’ordre hiérarchique. (…) Jamais le pape, chef visible de l’Église, jamais aucun Concile n’ont porté l’autorité jusque-là. Le Roi d’Angleterre, prétendu chef suprême de son Église, n’en a jamais fait autant.” (Comparaison de la réformation de France avec celle d’Angleterre sous Henri VIII, s.l.n.d., p. 29-30). La conclusion est encore plus révélatrice : “Puissent des larmes de repentir couler des yeux de tous ceux qui ont fait le serment civique” (p. 73).
2869 Le Paige, Lettres historiques, op. cit., t. II, p. 87.
2870 [Maultrot], Origine et étendue de la puissance royale, Paris, 1789-1790, t. II (1790), p. 156.
2871 D’Argenson, Mémoires (E. J. B. Rathéry), op. cit., t. VIII, p. 334.
2872 Sur les circonstances de ces publication, voir M. C. Jacob, “In the Aftermath of Revolution: Rousset de Missy, Freemasonry, and Locke’s Two Treatises of Government”, L’età dei lumi. Studi storici sul settecento europeo in onore di Franco Venturi, Jovene Editore, 1985, t. I, p. 487-520. Ainsi, il conviendrait d’envisager l’hypothèse de l’existence de ce qui pourrait s’apparenter à une “Internationale révolutionnaire” au sein de la République des lettres, par le truchement de journalistes, de philosophes, de francs-maçons, le plus souvent installés en Hollande.
2873 Locke, Du gouvernement civil, où l’on traite de l’origine, des fondemens, de la nature, du pouvoir et des fins des sociétés politiques, traduit de l’anglois, Bruxelles, 1754, Préface, p. vii. M. C. Jacob considère ainsi qu’il n’y aucune preuve solide permettant d’attribuer cette traduction aux jansénistes (op. cit., p. 510-513).
2874 Locke, Du gouvernement civil, par M. Locke. Traduit de l’anglois. Sixième édition. Exactement revue et corrigée sur la dernière édition de Londres et augmentée de quelques notes. Par L.C.R.D.M.A.D.P., J. Schreuder and P. Mortier, 1755, p. xv-xvi.
2875 R. Tavenaux, Jansénisme …, op. cit., p. 42-43 et 208-209.
2876 [Le Gros], Du renversement des libertez de l’Église gallicane, s.l., 1716, t. I, p. 191192. L’articulation des doctrines conciliaristes, héritées de Jean de Paris, Gerson et Almain, avec les thèses de l’École du droit naturel et celles des penseurs whigs dans l’appareil idéologique des parlementaires, a été parfaitement démontrée par D. Van Kley, ”The Estate General as Ecumenical Counsil : The Constitutionalism of Corporate Consensus and the Parlement’s Rulling of September 25, 1788“, Journal of Modern History, 61, 1989, p. 1-52.
2877 Sur le figurisme, qui est à la fois une eschatologie, une théologie de l’histoire et une ecclésiologie, qui s’épanouit parmi les théologiens jansénistes à partir de la Régence, voir C. Maire (De la cause de Dieu à la cause de nation, op. cit., p. 87-89, 163 sq), qui écrit : ”Les figuristes n’ont pas seulement mis sur pied la résistance à l’intérieur de l’Église, ils ont également tendu l’écran imaginaire sur lequel la politique des parlements va se projeter pendant trois quarts de siècle“ (p. 182).
2878 [Cl. Mey, A. Blonde, J.-B. Aubry, G.-N. Maultrot], Maximes du droit public françois, 2ème éd., Amsterdam, 1775 [désormais Maximes].
2879 J.-P. Brancourt a également souligné la place de Locke dans les Maximes (“Une œuvre de subversion au xviiième siècle”, Actes Auguste Cochin, t. I, 1975, p. 44-46). Les avocats ne font que reprendre des éloges que Vattel avaient rendus aux cours souveraines : “Quels maux n’a pas enfanté l’indépendance, où le sacerdoce a voulu se mettre à l’égard de la Couronne ? Les Parlements de France défendent avec une fidèle constance les maximes que j’établis” (Questions de droit naturel, op. cit., p. 318-319).
2880 Maximes, op. cit., t. I, p. 232. Afin de démontrer que “le droit de la nation de changer de forme de gouvernement, lorsqu’il devient nuisible, dérive nécessairement de ce que c’est elle qui l’a établie, sans consulter à cet égard d’autres règles que son intérêt”, sont avancés des extraits des écrits de Sidney et Locke, mais aussi de Montesquieu et Vattel.
2881 Ibid., t. I, p. 238. Faut-il y voir une réminiscence du trust lockien ?
2882 Les parlementaires retrouvent certaines thèses médiévales développées avant la consécration du principe de l’instantanéité de la succession, en affirmant que “les rois d’Angleterre ne se regardent comme roi qu’après le sacre” (ibid., p. 343). Dans l’Origine et étendue de la puissance royale (op. cit., t. II, p. 369), Maultrot affirmera cette fois que le serment conservé dans le testament du roi Alfred est identique “à celui que font nos rois”.
2883 Maximes, op. cit., t. I, p. 321. En référence sont cités les serments du sacre d’Edouard II en 1308 et de son fils, Edouard III en 1327 tirés des Actes de Rymer.
2884 Ibid., t. I, p. 339 et 342. Àpropos de cet épisode du Commonwealth, ils reprennent l’argument selon lequel les monarchies continentales n’auraient pas dû entretenir des relations diplomatiques et commerciales avec un gouvernement sensé être illégitime : ”Il parait difficile de concilier ce procédé avec l’indépendance absolue des Souverains, avec l’obligation stricte dans laquelle sont les peuples de souffrir toute sorte d’excès de leur part sans pouvoir opposer autre chose que les remontrances les plus humbles“ (t. II, p. 267).
2885 Maultrot, Origine et étendue de la puissance royale, op. cit., t. II, p. 172, où il prend par ailleurs la défense de Jurieu contre les attaques de Bossuet (t. II, p. 166 sq). Mais tous les partisans de la cause parlementaire ne rejettent pas le modèle patriarcal, comme chez Jean de Dieu Olivier. Il précise d’abord, citant Fénelon, que ”l’autorité paternelle est le premier modèle des gouvernements. Tout bon père doit agir de concert avec ses enfants les plus sages et les plus expérimentés“, pour cependant réduire le monarque à la fonction d’”exécuteur des lois“, dont il propose l’historique : ”Le gouvernement des familles était celui des anciennes nations septentrionales. Leurs assemblées, sous l’autorité du Chef suprême, n’étaient proprement que des consultations domestiques. (…) Nous reconnaissons les traces de cette administration domestique dans les Diètes d’Allemagne et de Pologne, dans les États de Suède, dans le Parlement d’Angleterre, dans les États généraux et provinciaux du royaume de France“ (Essai sur la dernière révolution, op. cit., p. 219-220).
2886 [Morizot], le sacre royal, ou les droits de la nation françoise, Amsterdam, 1776, t. III, p. 3 et 24. L’auteur démontre en outre que le sacre est une institution originellement française, remontant à Clovis (sic), dont l’Angleterre ne suivra l’exemple qu’à partir de 847 (p. 41).
2887 Ibid., t. II, p. 18, les références à Abbadie étant multiples (notamment, t. I, p. 56, 69 et t. II, p. 16, 18). Sur la pensée d’Abbadie, voir supra, titre préliminaire, section 2.
2888 Les droits de Dieu, de la nature et des gens tirés d’un livre de M. Abbadie intitulé ”Défense de la nation britannique“, 1775, cité par R. Whelam, ”Between Two Worlds : (…) II“, op. cit., p. 154.
2889 Remontrances sur l’édit supprimant les jurandes et les communautés d’arts et de métiers, 2 et 4 mars 1776, J. Flammermont (éd.), Les remontrances du Parlement de Paris au xviiième siècle, Paris, 1888-1898, t. III, p. 319. L’hostilité déjà évoquée des physiocrates, et principalement de Turgot, à la constitution anglaise prend alors encore plus de sens. Il convient par ailleurs de noter que la référence à l’Angleterre, favorable en matière économique, peut devenir défavorable quant à la liberté de la presse. Il est assurément certain que les magistrats parisiens font allusion à l’Angleterre dans leur condamnation du célèbre pamphlet de Boncerf sur Les inconvéniens des droits féodaux : ”Dans les pays où le citoyen a le plus part au pouvoir législatif, la liberté de la presse a ses limites et y produit des désordres quand elle a excédé les bornes où elle doit se tenir. Elle tient cependant à leur constitution. Dans les monarchies, au contraire, où le pouvoir est le plus concentré et où les ressorts du gouvernement sont plus secrets, les permissions d’imprimer, trop légèrement accordées, sont sujettes à de grands inconvénients“ (Remontrances sur l’interdiction des poursuites contre l’auteur de la brochure sur les Inconvénients des droits féodaux, 30 mars et 18 avril 1776, Flammermont, op. cit., t. III, p. 356-362, cit. p. 368).
2890 Il apparaît légitime de se demander si Malesherbes ne pense pas à l’Angleterre quand il écrit : ”La France, ainsi que le reste de l’Europe occidentale, était régie par le droit féodal ; mais chaque royaume a éprouvé différentes révolutions depuis que ce gouvernement est détruit. Il est des nations qui ont été admises à discuter leurs droits avec le Souverain, et les prérogatives y ont été fixées“ (Remontrances, 6 mai 1775, E. Badinter (éd.), Les ”remontrances“ de Malesherbes, Paris, Flammarion, 1985, p. 205).
2891 Dans son étude de référence sur la crise des années 1770-1774, D. Echeverria (op. cit., p. 63) affirme: ”There is no evidence, it is true, in support of the royalists’ charges that the Patriotes were trying to introduce the British constitution into France and that they were willfully confusing the French parlements with the British Parliament, yet they did indeed study the Revolution of 1688 and the British constitution, which seemed to achieve limitations on royal power that correspond generally with Patriote objectives“.
2892 Voir sur ce point supra 1ère partie, Titre II, chapitre 2, section I, § 3.
2893 Le Paige, Lettres historiques, op. cit., t. I, p. 11, qui paraphrase la lecture de Tacite par Montesquieu : ”De minoribus rebus principes consultante, de majoribus omnes…“.
2894 M. Antoine, Louis XV, op. cit., p. 568. Dans le même sens, F. di Donato parle de ”gouvernement politique du jurisconsulte“ et de ”République des robins“ (”Constitutionnalisme et idéologie de robe. L’évolution de la théorie juridico-politique de Murard et Le Paige à Chanlaire et Mably“, Annales HSS, 4, 1997, p. 833).
2895 ”Les assemblées générales se sont réduites, depuis la police féodale, aux seuls barons du royaume. Or, le Parlement est encore aujourd’hui cette même Cour des princes, des barons ou des pairs. Il est donc non seulement le représentant, mais la continuation de ces Champs de Mars ou assemblées de la nation. Il est seulement réduit à un nombre de membres beaucoup moins grand“ (Le Paige, Lettre dans laquelle on examine s’il est vrai que la doctrine de l’État (…) porte aucune atteinte à l’autorité souveraine du roi, s.l.n.d., p. 43).
2896 Le Paige, op. cit., t. I, p. 142.
2897 Lettre manuscrite de Revol à Le Paige, citée par C. Maire, De la cause de Dieu …, op. cit., p. 417.
2898 Ce qui conduit Le Paige à conjuguer ”la “forme” de gouvernement absolutiste“ avec un constitutionnalisme parlementaire (F. di Donato, op. cit., p. 835).
2899 Ce texte éclairant tiré des archives de Port-Royal (collection Le Paige. 574, f° 13 et 14), est reproduit par C. Maire, De la cause de Dieu à la cause de la nation, op. cit., p. 547.
2900 Après lecture des Lettres historiques, il considère que Louis XV, s’il ne fait preuve de fermeté, risque de se voir imposer ”une Assemblée nationale Universelle, bien autrement dangereuse à l’autorité royale. On la rendrait nécessaire et toujours subsistante ; on la composerait de grands seigneurs, de députés de chaque province et des villes. On imiterait en toute chose le Parlement d’Angleterre. La nation se réserverait la législation, et ne donnerait au roi qu’une exécution provisoire“ (Mémoires (P. Janet), op. cit., t. V, p. 129).
2901 [Rolland], Lettres à M. l’abbé Velly, s.l., 1756, p. 17.
2902 ”Mot anglais, qui signifie une feuille, une brochure futile, méprisable. Ce terme est expressif, il mérite d’être consacré“, constate Jean de Dieu Olivier (Essai sur la dernière révolution dans l’ordre civil en France, Londres, 1782, t. II, p. 44).
2903 Ont été surtout utilisés deux recueils : Les efforts de la liberté et du patriotisme contre le despotisme du sir de Maupeou, Chancelier de France, ou recueil des écrits patriotiques publiés pour maintenir l’ancien gouvernement françois (Londres, 1772, désormais Les efforts de la liberté) et le Journal historique de la révolution opérée dans la constitution de la monarchie françoise, par M. de Maupeou, chancelier de France (Londres, 1775, désormais le Journal historique), édité par Pidansat de Mairobert.
2904 Sur cette notion, voir C. Maire, op. cit., p. 369 sq.
2905 [L.-A. Le Paige], Requête des États Généraux, s.l.n.d., p. 81.
2906 [Blonde], Le Parlement justifié par l’Impératrice, reine de Hongrie, s.l.n.d., p. 20.
2907 Blonde rappelle en effet ”les calamités du gouvernement de Pologne, le danger du gouvernement anglais ; les inconvénients de celui où la multitude décide (…). Qui a jamais prétendu diviser la souveraineté ? Est-ce la même chose de consentir à une loi ou de la faire ? Le consentement est nécessaire comme un préalable à la loi ; mais elle ne fait pas la loi, et jamais elle n’existera si le Prince, après le consentement, ne lui donne sa sanction“ (ibid., p. 32).
2908 Lettres sur l’état actuel du crédit du gouvernement en France, s.l.n.d. [20 juin 1771], Les efforts de la liberté, op. cit., t. II, p. 11 et 13.
2909 Remontrances du 17 avril 1718, J. Flammermont (éd.), op. cit., t. I, p. 127.
2910 Maximes, op. cit., t. II, p. 113 et 118. Sans faire allusion à ce passage, F. Olivier-Martin avait déjà souligné la volonté des magistrats de soumettre le roi à la maxime du juriste anglais ”selon laquelle le roi est sous l’autorité de la loi“, ajoutant que les cours vont s’appliquer à ”proclamer la souveraineté de la loi et à se rapprocher ainsi du système anglais, qu’elles connaissent parfaitement“ (Les parlements…, op. cit., p. 29). Cette exaltation de la loi dont les magistrats auraient le dépôt conduit ces auteurs à envisager un droit de contrôle de constitutionnalité sur les actes émanant de l’autorité monarchique. Voir J.-L. Mestre, ”L’évocation d’un contrôle de constitutionnalité dans les “Maximes du droit public français”“ (1775)”, Actes du VIIIème Colloque de l’AFHIP, PUAM, 1992, p. 21-36.
2911 Maximes du droit public françois, op. cit., t. II, p. 221. Dans l’Origine et l’étendue de la puissance (op. cit., p. 371-372), Maultrot reproduit cette fois le texte du Bill of Rights, tiré de l’Histoire d’Angleterre de Rapin-Thoyras, présenté par la Parlement réuni en Convention en 1689.
2912 Maximes, op. cit., t. I, p. 309. Maultrot précisa que le droit de convoquer les États généraux, refusé au roi, appartient à la nation, ou plus exactement à ceux qu’il appelle “les Grands du royaume, les princes et les pairs” (Dissertation sur le droit de convoquer les États, publiée à la suite des Maximes du droit public, t. II, p. 3).
2913 Maximes, op. cit., t. I, p. 318.
2914 Ibid., t. I, p. 53. C’est l’argument lockien d’un droit naturel fondé sur la propriété qui fonde ces prétentions : “Dans tout royaume policé, les impôts ne doivent être établis, même dans les cas de nécessité publique, que du consentement de la nation. C’est une suite nécessaire de la propriété des biens en la personne des sujets. Ce serait une propriété bien imparfaite que celle qui pourrait être entamée malgré le propriétaire. Locke a parlé sur ce point d’une manière fort sensée” (p. 133). Est ensuite reproduit en note un long passage du Traité sur le gouvernement civil (op. cit., chap. XI, § 138). Ce n’est qu’en 1787 que le Parlement de Paris éteindra une partie du foyer qu’il avait pourtant longtemps entretenu, en reconnaissant l’incompétence fiscale des cours souveraines (Remontrances du 26 juillet 1787, J. Flammermont (éd.), op. cit., t. III, p. 667-675).
2915 Maximes, op. cit., t. I, p. 52.
2916 Manifeste aux Normands, Les efforts de la liberté, op. cit., t. V, p. 189. Un autre pamphlet ne partage pas le même point de vue en affirmant : “Nous ne sommes devenus ni anglais, ni siciliens” (Essai historique sur les droits de la province de Normandie, ibid., p. 211276, cit. p. 213).
2917 Manifeste aux Normands, op. cit., 190-191.
2918 Le goût de l’anecdote calomnieuse se retrouve même à propos de l’Angleterre, quand est rapporté le fait que Madame du Barry aurait acheté le célèbre portait de Charles Ier par van Dyck, que Louis XV pouvait contempler lors de ses visites. ”Toutes les fois, ajoute l’auteur, que le roi inclinerait vers la clémence, celle-ci lui présente l’exemple de l’infortuné monarque, que les parlements seraient portés à imiter“ (Journal historique, op. cit., t. II, p. 174).
2919 Ibid., t. II, p. 231-232, où de Lolme est élevé au rang de ”défenseur des droits de l’humanité“. Pourtant, le Genevois (op. cit., t. I, p. 63-64, n. 2) avait consacré une note entière pour expliciter la différence entre le parlement d’Angleterre et ceux de France.
2920 Mairobert, Journal historique, op. cit., t. IV, p. 364, en italique dans le texte. Voir également t. IV, p. 142 et t. VI, p. 196.
2921 L’accomplissement des prophéties pour servir de suite à l’ouvrage intitulé le point de vue, Les efforts de la liberté, op. cit., t. IV, p. 250. L’auteur abuse de la pensée de L’Hospital en détournant une phrase qu’il a effectivement prononcée (supra Première Partie, Tit. II, chap. 1, section II).
2922 [Agier], Le jurisconsulte national, ou principes sur la nécessité du consentement de la nation pour établir et proroger l’impôt, s.l., 1787, t. I, p. 72. La formule de “loi des empires” est empruntée à Bossuet, dont la définition, “une loi contre laquelle tout ce qui se fait est nul de droit”, est également reprise (ibid.). Sur la Grande Charte, voir notamment t. III, p. 110 sq, où il reprend le parallèle déjà proposé par Boulainvilliers et Voltaire entre le texte de 1215 et l’ordonnance de 1355.
2923 Agier, op. cit., t. III, p. 106, conséquence ultime de la théorie des classes.
2924 Cette prétention des cours souveraines à remplacer les États “dans leurs interstices” avait déjà été déjà défendue par le Parlement de Rouen et se retrouve dans les Maximes (F. Olivier-Martin, Les parlements, op. cit., p. 99-100).
2925 Agier, op. cit., t. III, p. 121.
2926 Ibid., t. III, p. 160.
2927 Pourfendeur notoire de Necker, du Buat-Nançay analyse en des termes indignés la politique décentralisatrice : “C’est un trait de cette égalité républicaine, qui était à la mode en France, comme dans les républiques américaines, que la proposition d’une redistribution égale pour tous les députés, sans distinction d’ordre, pour le duc, le marquis, le comte, l’archevêque, comme pour le propriétaire d’une chènevière” (Remarques, op. cit., p. 129).
2928 Prost de Royer, Dictionnaire, op. cit., v° “Administration”, t. II, p. 880. Sur ces expériences d’assemblées de Berry et de Haute-Guyenne, voir Ph. Sueur, Histoire du droit public, op. cit., t. I, p. 387.
2929 Choiseul, Plan d’États provinciaux, reproduit dans les Mémoires du duc de Choiseul (1719-1785), Paris, Plon, 1904, p. 436-444, cit. p. 436. De la constitution anglaise, il admire “la cohésion” établie entre le roi et le Parlement, qui permet un juste gouvernement fondé sur les lois : “Ces deux pouvoirs l’un sans l’autre ne pouvant rien, unis, ils sont loi, et la loi régit toutes les parties du gouvernement d’Angleterre” (p. 437). Même les pratiques de corruption ne semblent pas véritablement menacer la liberté des Anglais, car le roi ne pourrait acheter la voix d’un seul député “s’il osait violer la loi de la propriété des biens ou celle de la liberté et de la sûreté des sujets. De sorte que chaque membre peut bien être corrompu par le roi pour vendre le bien général de l’État, mais ne l’est pas pour le bien-être d’aucun particulier de l’État, et ne peut pas l’être sur la violation des lois” (ibid.).
2930 Ibid., p. 440-442.
2931 K. M. Baker, “Un “républicain classique” à Bordeaux : Guillaume-Joseph Saige”, Au tribunal de l’opinion, op. cit., p. 183-218 (cit. p. 203), qui n’utilise que l’édition de 1775. Il n’a été possible de consulter l’édition princeps de cet ouvrage, dont K. M. Baker souligne la rareté (p. 298, note 47). La Bibliothèque Nationale possède quatre exemplaires microfilmés de l’édition de 1788, l’un de 126 pages que nous croyons être une reproduction de celle de 1775 (Lb 39 6664-C), où il n’est fait aucune référence à l’Angleterre, et trois autres éditions augmentées de longueur variable (Lb 39 6664, 220 p. ; Lb 39 6664-A, 203 p. et Lb 39 6664-B, 140 p.). L’édition la plus longue a servi de référence : Catéchisme du citoyen, ou élémens du droit public françois, par demandes et réponses ; suivis de Fragmens politiques du même auteur, en France, 1788.
2932 “Le Tiers État se trouvant composé de la plus grande partie des membres de la société, forme à proprement parler la société elle-même” (Le catéchisme du citoyen, op. cit., p. 74).
2933 Ibid., p. 120.
2934 Ibid., p. 121, qui retrouve ici des arguments similaires à ceux avancés par Mably dans Des droits et des devoirs du citoyen, qui venaient d’être publiés. L’auteur des Réflexions impartiales sur la grande question qui partage les esprits, rédigé à la fin de l’année 1788, emprunte comme Saige à l’idéologie whig radicale, notamment Sidney et Gordon, mais pour arriver à des conclusions exactement inverses. Le maintien des trois ordres séparés dans les assemblées de la nation serait en France l’unique moyen d’empêcher l’influence ministérielle qui nuit tant à la constitution anglaise (D. van Kley, “The Estates general”, op. cit., p. 39-40).
2935 Saige, op. cit., p. 122-123. Voir supra, 2ème partie, Titre I, chapitre 2, section 2.
2936 Le despotisme des Parlements, ou lettre d’un Anglois à un François, Londres, 1788, p. 15.
2937 Ibid., p. 27-28.
2938 Voir notamment Linguet, Annales politiques, op. cit., 1778, t. II, p. 27, t. III, p. 113 et 265-266 ; 1788, t. XIV, p. 172, t. XV, p. 149-161 ; Du plus heureux gouvernement, op. cit., p. 57. La contribution de Linguet à la cause “Maupeou” a été étudiée par D. Echeverria (op. cit., p. 169-177).
2939 Voir G. Bonno, La constitution britannique, op. cit., p. 177-178.
2940 Linguet, La France plus qu’angloise ou comparaison entre la procédure entamée à Paris le 25 septembre 1788 contre les ministres du Roi de France et le Procès intenté à Londres en 1640 au comte de Strafford, principal ministre de Charles Ier, Roi d’Angleterre, avec des réflexions sur le danger imminent dont les entreprises de la Robe menacent la nation et les Particuliers, Londres, 1789, p. 53 et 85. Souvent ne sont citées que les premières lignes de ce pamphlet très critique contre l’anglophilie de son temps (p. 28). Pourtant, quelques pages plus loin, il note : “J’ai été, je l’avoue, un des plus déterminés censeurs de la constitution d’Angleterre : elle me répugnait malgré moi” (p. 111), pouvant dès lors affirmer : “En comparant in globo comme on dit vulgairement l’anglicisme et le gallicisme, je crois le premier politiquement préférable” (p. 114). On ne peut manquer de souligner le paradoxe quand Moreau rapporte dans ses Souvenirs (op. cit., t. II, p. 416) que Duval d’Esprémesnil, conseiller au Parlement de Paris qui contribua à la rédaction de la Déclaration des lois fondamentales du royaume du 3 mai 1788, considérait la constitution anglaise comme “la seule constitution raisonnable”.
2941 Linguet, La France plus qu’angloise, op. cit., p. 63-71.
2942 Ibid., p. 123-124. Voir plus généralement R. Bickart, Les Parlements et la notion de souveraineté nationale au xviiième siècle, thèse droit, Paris, Alcan, 1932.
2943 Linguet, La France plus qu’angloise, op. cit., p. 124.
2944 Correspondance secrète inédite sur Louis XVI, Marie-Antoinette, Paris, 1866, t. II, p. 206-207.
2945 L’autorité des rois de France est indépendante de tout corps politique, Amsterdam, 1788, p. 68.
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