Chapitre II. Le rejet du modèle politique anglais
p. 353-407
Texte intégral
1En 1750, les sujets du royaume de France sont largement anglophobes, et le resteront d’ailleurs pendant tout le siècle. Seule une minorité d’esprits éclairés est gagnée par le mirage de l’île philosophique, libre et prospère. L’anglophobie politique n’en est pas moins une réalité multiforme, dont il est difficile de dévider l’écheveau. Une grande diversité de publicistes s’accorde à souligner les limites, voire l’inexistence de la liberté anglaise. Si elle développe un argumentaire commun dans ce qui s’apparente parfois à une entreprise de démystification, l’anglophobie politique est au service d’idéologies contradictoires. Dans son étude, France Acomb proposait de distinguer deux courants, "the conservatives" et "the liberals", ajoutant même qu’il existerait des "Anglophobes of the right and those of the left"1834. À cette typologie plus proche de la réalité politique américaine du xxème siècle que de la France de Louis XV, il sera préféré la distinction, plus simple mais plus proche de la réalité, entre tenants et adversaires de l’absolutisme monarchique. En effet, les penseurs absolutistes de la seconde moitié du XVIIIeme fondent leur rejet du modèle anglais sur la défense d’un ordre politique établi, mais de plus en plus contesté. Dans cette perspective, ce modèle apparaît comme subversif, assimilé à un gouvernement républicain, terreau d’une licence récurrente (I). En assimilant la constitution anglaise à une république, ces auteurs perpétuent en fait un discours prégnant depuis presque deux cents ans sur toute forme de gouvernement (république ou monarchie mixte) qui ne s’apparente pas à la monarchie "simple et pure" de la France exposée par Bodin dans le second Livre de la République1835. Bien différentes seront les motivations des anglophobes opposés à l’ordre monarchique traditionnel. Cette contestation ne les conduit en effet pas à embrasser le modèle insulaire, l’Angleterre apparaissant comme la terre d’élection d’une autre forme, tout aussi pernicieuse, de despotisme (II).
I - LE MODÈLE ANGLAIS : UN MODÈLE RÉPUBLICAIN SUBVERSIF
2La simple consultation de la Correspondance littéraire de Grimm montre combien la guerre de Sept Ans a inspiré poètes, dramaturges et pamphlétaires. Le politique danois, ou l’ambition des Anglois démasquée par leurs pirates, Les Entretiens aux champs Elisées entre Charles Ier, roi d’Angleterre et l’amiral Byng, L’île taciturne et l’île enjouée, ou voyage du génie Alaciel dans ces deux îles, Les sauvages de l’Europe, tels sont quelques uns des titres les plus éclairants de cette production littéraire, souvent de médiocre qualité, rapportée par le philosophe natif de Ratisbonne installé à Paris1836. Les prises de vaisseaux français par la Navy, la conquête de Minorque en 1756, la condamnation à mort de l’amiral Byng au terme d’un procès retentissant en 1758 devant la Court Martial, les violations répétées du droit des gens et plus généralement l’impérialisme maritime et commercial des Anglais sont prétexte à une abondante littérature anglophobe, brillamment analysée dans la récente thèse d’Edmond Dziembowski. Au terme de son étude, l’auteur refuse d’intégrer ce discours anglophobe "dans le domaine de la pure théorie politique"1837. S’il est certain que nombre de ces opuscules se contentent de ressasser des clichés éculés sur l’Angleterre1838, s’il est évident que cette production reste soumise aux aléas de la diplomatie1839, d’autres textes, souvent plus conséquents, développent une argumentation serrée pour critiquer les assises de la constitution anglaise et dans le même temps réaffirmer les caractéristiques de la monarchie française. Même sortis de leur contexte, certains éléments de l’analyse proposée par Jacques Krynen des écrits publiés lors de la guerre de Cent ans et qualifiés de "littérature politique" conservent leur pertinence à l’époque des Lumières : "On ne peut séparer [cette littérature] de cet effort intellectuel intense, continu, pour résister aux forces en tout genre qui ébranlent la cohésion du royaume. Mue, certes, par l’amour du pays, c’est une sagesse rationnelle qu’elle déploie en plaidant avant toute chose la condition de l’unité1840.
3La conjonction de trois éléments explique la virulence des critiques ici portées contre le modèle anglais. Exceptée la brève parenthèse du traité d’Utrecht, l’Angleterre est tout d’abord la puissance ennemie, étrangère à tous les systèmes d’alliances de la France. De même que Guillaume d’Orange était un demi siècle plus tôt une menace pour la France de Louis XIV, Pitt l’est à son tour pour la France de Choiseul. Certains des auteurs les plus ouvertement hostiles au modèle anglais occupent d’ailleurs des fonctions officielles dans l’administration royale. La brillante carrière de l’avocat Jacob-Nicolas Moreau, conseiller à la cour des Aides de Provence, est exemplaire : rattaché dès 1755 au Ministère des Affaires Étrangères, il sera associé à l’éducation des enfants du Dauphin par la composition d’ouvrages sur la justice, pour être élevé au rang d’historiographe du roi en 17741841. De même, l’avocat général au parlement des Dombes, Louis Basset de La Marelle et l’avocat Pierre-Louis Gin furent désignés comme conseillers lors de la réforme Maupeou, le premier à la Grand’Chambre et le second à la Chambre des Enquêtes du Parlement de Paris1842. Les membres de l’école des physiocrates furent toujours très écoutés sous le règne de Louis XV, leur pensée économique devenant, à travers les édits sur le commerce des blés de 1763 et 1766, la doctrine officielle de l’État monarchique. Si les disciples de Quesnay se montrèrent parfois ouverts à certaines des thèses anglaises, leur idéal d’un despotisme légal fondé sur le règne de l’évidence les éloigne du modèle de la "république commerçante" anglaise. Le cas d’Edme-Jacques Genet est plus complexe. Nommé par Choiseul directeur du Bureau des Interprètes rattaché au ministère des Affaires étrangères, il fut l’un des éditeurs du journal des Affaires de l’Angleterre et des États-Unis. Ce journal périodique, encouragé par Vergennes exposa une doctrine politique bien peu conforme à l’orthodoxie monarchique pour soutenir les Insurgents américains1843. Le second élément permettant de donner sens à la violence des attaques contre les institutions d’outre-Manche s’explique par le jeu de symétrie qui se met en place. La noirceur du tableau qui se dégage des écrits de ces publicistes n’est en effet que le reflet inverse, l’exact opposé de celui brossé par les panégyristes de la liberté anglaise. Comme le modèle anglais tend à incarner aux yeux de certains un système alternatif de gouvernement, ces publicistes se doivent, dernière cause, et de pourfendre des esprits gagnés par une anglophilie suspecte et les illusions de la liberté anglaise.
4Fort de la conjonction de ces trois éléments qui sous-tende le discours anglophobe, la constitution anglaise sera présentée comme un gouvernement républicain, négation du principe monarchique (§1), notamment par la séparation des intérêts du roi et de la nation induit par le principe de la représentation (§2), et par l’esprit républicain tout aussi redouté qu’elle engendre dans la nation (§3).
§ 1 - Le spectre du gouvernement républicain
5Montesquieu peut encore une fois servir de point de départ dans l’explication du rejet du modèle anglais. Les premières critiques de L’Esprit des lois seront pour la plupart empreintes de respect, voire de déférence. Progressivement des voix s’élèveront pour critiquer les sympathies républicaines du magistrat bordelais, coupable de susciter auprès de ses contemporains l’adhésion à des principes incompatibles avec l’absolutisme monarchique qu’ils défendent avec vigueur. Si, jusqu’à la fin des années 1750, la critique des institutions anglaises était circonscrite à une réplique des thèses exposées dans L’Esprit des lois, le discours change progressivement pour se mettre au service de la défense de l’ordre établi.
-Les erreurs de Montesquieu
6L’Esprit des lois quintessencié est l’une des premières réfutations sommaires des idées anglaises de Montesquieu. Son auteur, l’abbé de Bonnaire, rejette la théorie de la distribution des pouvoirs qui ne serait qu’un "rébus ingénieux", une "fiction", incompatible avec la réalité de l’exercice d’une autorité exigeant une "puissance unique, pourvu qu’elle ne soit point arbitraire et qu’elle dépende dans son exercice de certaines lois fondamentales"1844. Le constat, à peine esquissé par Bonnaire, de l’impossibilité d’une juste distribution des pouvoirs entre plusieurs organes, sera précisé par Jean-Charles de Lavie, président de la première chambre des enquêtes au Parlement de Bordeaux. Avec un respect non dissimulé pour le génie de Montesquieu, mais aussi pour Sidney, "savant politique et quelquefois philosophe"1845, il se livre à une critique laborieuse et parfois mesquine du chapitre six, se défendant pourtant de vouloir "chicaner sur les mots"1846. De Lavie conteste ainsi que le roi, par la distribution des charges publiques ou son droit de grâce, puisse être réduit à une simple "puissance exécutrice", ou critique l’expression "faculté d’empêcher", lui préférant celle de "droit d’approuver", puisque le roi partage avec les deux chambres la puissance législative1847. Si certains des principes consacrés par la constitution anglaise, comme le consentement à l’impôt prévu par "le statut du tailliagio (sic) non concedendo" d’Edouard Ier, semblent emporter son adhésion, l’histoire lui démontre que leur application ne provoque que conflit et désordre, idée exprimée en des termes directement empruntés à la terminologie mécaniste de L’Esprit des lois :
L’expérience de plus de quatre siècles a fait voir au contraire que la liberté n’est soutenue que par des remèdes violents. Si celui des trois ressorts qui a voulu s’écarter, avait été contraint par la pression des deux autres, aucun des ressorts n’aurait pu sortir de sa place. La machine n’est pas si bien proportionnée qu’on ne l’a prétendu1848.
7Autre juriste gagné par les Lumières1849, Gaspard de Réal ne manifeste pas une hostilité ouverte pour l’Angleterre, dont le peuple serait "le plus sage et le plus singulier de l’univers"1850. S’il rejette certains des excès de Bignon ou de Bossuet, il réfute les thèses de Buchanan, de Locke et surtout de Sidney, qui prétendent faire du roi "un commis du peuple"1851. Affichant ses préférences pour la monarchie absolue sur la monarchie tempérée établie en Angleterre, il fait preuve d’une critique nuancée des chapitres anglais de L’Esprit des lois, constatant que "jamais l’erreur n’emprunta de plus vives lumières, et n’employa tant d’esprit à séduire"1852. Homme curieux de la réalité institutionnelle anglaise, cet érudit s’inscrit dans la tradition aristotélicienne par sa distinction gouvernement régulier –gouvernement irrégulier, qui lui permet de souligner le danger d’un partage de souveraineté. En Angleterre, ce dernier remonte à la Grande Charte, "célèbre écueil de la puissance royale, et source des mouvements populaires qui ont si souvent agité l’Angleterre"1853. Si le juriste provençal propose une description désormais classique des deux chambres du Parlement, et semble quelque peu désemparé pour définir la réalité du pouvoir du monarque anglais1854, la guerre des Deux-Roses, entraînant "plusieurs millions de mort" et le régicide de Charles Ier sont autant de preuves que "cette liberté tant vantée, n’existe que dans la théorie, et est nulle dans la pratique"1855.
8Aussi, quand, dix après la publication de L’Esprit des lois, le financier Claude Dupin souligne le décalage entre l’idéal théorique d’un "mélange de puissances" avancé par Montesquieu, et la réalité de ce partage de souveraineté, qui est la cause d’un "combat perpétuel" entre le roi et le Parlement, il ne fait guère preuve d’originalité1856. De même, constater que le roi, par la liste civile et la distribution des honneurs, achète les voix dans les Communes afin de palier sa qualité de vulgaire "administrateur" à laquelle il se voit réduit par la constitution, n’est guère surprenant. Plus révélatrice est l’opinion, toute en image, sur Montesquieu accusé, bien évidemment à tord, de vouloir introduire le régime britannique dans le royaume de France.
Nous ne ferons point armer nos triennes pour aller recueillir [le] code [des lois anglaises], comme le firent autrefois les Romains pour aller recueillir les institutions de la Grèce1857.
9De façon très progressive s’esquisse la description d’un Montesquieu tout anglais, accusé de vouloir imposer à ses contemporains les institutions d’outre-Manche. La pensée du magistrat bordelais perd alors toute subtilité. Le premier à lancer une telle accusation est l’économiste François Véron de Forbonnais, conseiller au parlement de Metz, qui, dès 1753, l’accuse de mettre "partout le gouvernement républicain au dessus du monarchique"1858, dans sa définition de la vertu républicaine, distincte de l’honneur monarchique, mais surtout par ses éloges de la constitution anglaise. Pour donner corps à son accusation, il caricature le contenu du chapitre six, pour montrer que le roi, en Angleterre, n’est que "le ministre de la nation, un officier de la république". Sans même pouvoir choisir ses ministres, il court en plus le risque d’avoir à répondre de sa conduite, le précédent de Charles Ier étant alors rapporté1859. Au sentiment de paix et de tranquillité du royaume de France, Forbonnais oppose alors la désunion, conséquence de la séparation des pouvoirs exécutif et législatif, en permettant la reconnaissance d’une "liberté portée au fanatisme"1860.
10Au-delà des attaques portées contre L’Esprit des lois, un contre-modèle se dessine, porteur de principes subversifs. Montesquieu apparaît comme le dangereux apologue d’un gouvernement républicain, sa pensée étant diluée au fil d’attaques de plus en plus ouvertes. Il devient la figure emblématique d’une anglophilie accusée de vouloir introduire le gouvernement anglais en France. Le rédacteur du Journal de Trévoux, publication proche des Jésuites, blâme les thèses avancées dans L’Esprit des lois en des termes explicites : "C’est cet ouvrage qui, avec son laconisme plein de hardiesse, et avec ses axiomes dépourvus de preuves, a monté nos imaginations à l’anglicisme"1861. Dans le même sens, Crevrier, un de ces nombreux et médiocres exégètes de L’Esprit des lois, accuse son auteur de vouloir "mortifier les bons Français" par son éloge outré de l’Angleterre1862.
-La constitution anglaise, négation du principe monarchique
11Après avoir été limité à une critique des thèses de Montesquieu, le discours sur l’Angleterre se déplace au cours de la guerre de Sept ans pour se fonder sur la défense de l’ordre établi, quitte parfois à développer une vision tout aussi idyllique sur la situation politique du royaume de France. Une dynamique de la contradiction se met alors en place, conjuguant la critique de la constitution anglaise avec une description des institutions monarchiques le plus souvent conforme à l’orthodoxie absolutiste.
12L’argument du rejet de l’exemple anglais au nom de la défense d’une monarchie de droit divin, incompatible avec l’hypothèse contractuelle, tend à disparaître. Seul Moreau, qui développe un patriarcalisme inspiré de Fénelon et de Filmer, raille Locke, en suggérant au "philosophe anglais" d’aller d’expliquer aux indigènes "le contrat qui a donné aux rois l’autorité sur leurs peuples"1863. L’absence de référence à ces théories dans le tableau institutionnel proposé par Montesquieu, comme sa relégation au second plan dans les débats juridico-politiques de l’Angleterre de George III expliquent son déclin dans l’argumentaire théorique avancé contre le modèle anglais. À l’inverse, le rejet du modèle anglais se fonde sur l’exigence d’une souveraineté indivisible, concentrée entre les mains d’un seul, unique condition d’ordre et de tranquillité. Les lois divines, les lois fondamentales et la conscience d’un Prince éclairé par les conseils bienveillants des plus éclairés de ses sujets, enserrent naturellement l’autorité monarchique sans qu’il soit besoin de recourir à une limitation externe du pouvoir. Toute forme de gouvernement remettant en question le dogme de la concentration du pouvoir suprême sera assimilée à une république, comme l’écrit Guyot écrit dans son Traité des offices : "Sous le nom de royaumes, l’Angleterre et la Pologne sont de véritables républiques, dont les chefs portent une couronne"1864. De même, le chevalier d’Arcq, fils naturel du comte de Toulouse, constate que le monarque anglais ne peut prétendre qu’aux "honneurs de la royauté", puisque la noblesse et le peuple réunis dans le Parlement absorbent son autorité. La qualité même de roi est toujours soumise au bon vouloir de l’assemblée qui peut à tout instant lui être retirée, et le chevalier ne manque pas d’évoquer de bien tristes précédents1865. La summa divisio monarchie-république sert alors de point de départ à la critique du modèle anglais.
13Toutes les prétentions à limiter le pouvoir sont chimériques. Les chapitres anglais de L’Esprit des lois, interprétés d’une façon généralement floue comme un système de "contreforces", de distribution des pouvoirs, d’équilibre entre les pouvoirs ou comme un simple régime mixte, font l’objet d’une critique unanime. Les membres de l’école physiocratique manifestent une véritable hantise d’une distribution des pouvoirs, incompatible avec leur idéal de despotisme légal. Dupont de Nemours rappelle, contre l’exemple de la monarchie anglaise, que "l’autorité souveraine doit être unique et supérieure à tous les individus de la société"1866. Pour Quesnay, le système anglais de "contre-forces" ne produit que "la discorde entre les grands et l’accablement des petits", opinion qui sera invariablement reproduite par le marquis de Mirabeau, Le Trosne, Le Mercier de La Rivière ou l’abbé Baudeau1867. Dans ses Discours politiques, le comte d’Albon, qui prononça l’éloge funèbre de Quesnay en 1775, s’en prend violemment "à ces écrivains qu’une admiration aveugle pour les Anglais a prévenu en faveur de leur gouvernement"1868. Pour d’Albon, le constitution mixte sous la forme du King in Parliament, laisse place dans la réalité à deux puissances antagonistes, qui ne peuvent conduire l’État qu’à l’anarchie : "Un corps à deux têtes ne peut subsister longtemps, il n’aura guère plus de vie qu’un corps acéphale"1869.
14Sans adhérer au despotisme légal des physiocrates, Turgot préfère ressourcer une monarchie laïcisée d’essence paternelle, fondée sur le seul principe de liberté, qui ne le conduit en rien à admirer les Anglais, "ces républicains ambitieux"1870. Ami de Hume, traducteur d’un essai économique de Tucker, admirateur de Child, le ministre réformateur n’a aucune prévention pour la civilisation anglaise. Mais il n’apprécie pas le caractère vénal de cette nation, dont il explique l’apparition en ressourçant la distinction whig-tory. "Cette fameuse division de la nation anglaise, écrit-il, a d’abord été une dispute de religion, puis une querelle politique, pour enfin devenir une discussion d’argent"1871. Aussi peut-il rejeter les éloges de la monarchie anglaise, puisque, en matière constitutionnelle, les "contre-forces sont pires que tout"1872.
15Si Gin reste attaché au principe du droit divin absent de la pensée des physiocrates, il avance des arguments similaires pour réfuter les éloges de Montesquieu. La distribution des pouvoirs ne produit qu’un équilibre instable, impossible à maintenir longtemps dans "une machine aussi compliquée". "Ne voyez-vous pas, ajoute le magistrat, que votre prétendu équilibre gêne perpétuellement le pouvoir par le pouvoir"1873 ? Contre la théorie de la balance des pouvoirs, il avance alors toute une série de preuves pour démontrer la nécessité soit de concentrer le pouvoir entre les mains d’un seul, soit au contraire de séparer totalement les deux organes. Dans cette dernière hypothèse de la séparation, et non de l’équilibre, il cite l’exemple pour le moins original de la distinction entre les puissances temporelle et spirituelle. À l’inverse, le despotisme des empereurs romains, qui fait naître les ambitions "du Sénat et du peuple", les périodes orageuses des minorités royales, et enfin l’exemple d’un Louis XI, monarque absolu dont l’ordonnance de 1467 supprima les "destitutions des officiers", sont autant d’exemples historiques qui démontrent les vertus de la réunion de tous les attributs de la souveraineté dans les mains du roi1874. Gin s’offense également de voir Montesquieu dégrader la puissance royale, en France comme en Angleterre, en la privant de la faculté de juger. Le magistrat ressource ainsi l’un des attributs de l’autorité monarchique héritée de la période médiévale, celui du roi justicier, qui reste, directement ou par l’intermédiaire de ses officiers, "vengeur des crimes faits à la société". Dans cette perspective, s’interroge Gin, Saint Louis rendant la justice sous son chêne serait-il un "despote"1875 ? Le régime mixte ne permet qu’un équilibre précaire, qui devra à terme basculer dans "l’anarchie ou le despotisme", la seule réponse à l’abus de pouvoir étant que "celui qui a la puissance n’ait aucun intérêt d’en abuser". "Les représentations de son conseil" et "son intérêt personnel qui n’est autre que celui de l’État" sont les seuls moyens admis par Gin, pour limiter l’autorité monarchique1876. Cette argumentation se retrouve dans la pensée de Genet, qui réfute l’idée que la "concurrence des trois pouvoirs" puisse être un gage de liberté. À l’inverse du "gouvernement simple" où l’autorité n’est pas partagée, la constitution anglaise ne peut se maintenir puisque chacun "s’est toujours efforcé de s’assurer le droit législatif (…) qui a donné naissance à ces guerres et à ces catastrophes qui composent presque toute l’histoire nationale"1877.
16L’absence d’une autorité unique, seule détentrice de la souveraineté législative, explique l’instabilité chronique des institutions anglaises. L’inconstance des Anglais offre une première explication aux "mouvements tumultueux" qui affectèrent la monarchie, illustrés par l’absence de toute règle dynastique intangible, quand les Français peuvent de targuer de la "permanence de leurs grands principes", la loi salique et les libertés gallicanes1878. Dans un registre similaire, Lefebvre de Beauvray publie en 1770 un Dictionnaire social et patriotique où il loue la France, "monarchie la plus ancienne et la mieux constituée d’Europe", respectant "également les droits de l’homme et ceux du citoyen"1879. Puis il lance un virulent réquisitoire contre l’instable "république" anglaise, qui ne connut que "des révolutions et des catastrophes sanglantes" conséquence directe de ce "prétendu équilibre des pouvoirs". Précarité de la liberté anglaise, telle pourrait être le credo des anglophobes absolutistes, qui retrouvent alors les critiques portées depuis deux siècles au régime mixte, forme de gouvernement naturellement instable, pour les appliquer, comme l’historien Targe, à la monarchie anglaise.
Ou le monarque se rend maître à prix d’argent de la pluralité des voix, et alors la prétendue liberté de la nation n’est qu’une vaine chimère, ou l’opposition prend le dessus sans que le roi ait la force ou l’adresse de la surmonter. Dans ce cas, le gouvernement tombe dans l’anarchie ; mais cet état violent ne pouvant subsister, la nation est bientôt assujettie à un despote, comme l’expérience ne l’a trop fait voir au temps de Cromwell1880.
17François Turpin, alors connu pour ses portraits des grandes figures historiques, offre à ce titre une parfaite application de la théorie de l’anacyclôsis à l’exemple anglais. Dans son ouvrage consacré aux causes de la grandeur et de la décadence des cités de l’Antiquité, il consacre un onzième et dernier chapitre à la "constitution britannique". Après avoir rapporté en des termes polybiens l’équilibre institutionnel, il en montre les limites grâce au référent antique :
Si nous comparons, sans partialité, l’état actuel de l’Angleterre avec celui de Rome et de Carthage sur leur déclin, nous trouverons une ressemblance effrayante avec ces républiques déchues1881.
18La réunion des trois éléments du régime mixte n’engendre qu’une instabilité, puisque fondée sur un impossible équilibre. Dès lors qu’une des parties, et ici, il s’agit de l’élément démocratique, prend l’ascendant, l’équilibre est rompu. La cause de ce dérèglement remonterait à Henri VII. Suivant l’opinion déjà avancée par Harrington et Montesquieu, Turpin voit dans la redistribution des terres encouragée par les statuts du monarque Tudor la cause de l’enrichissement des Communes, qui a conduit au développement d’un "luxe destructeur", mais aussi à l’apparition de revendications politiques qui ont progressivement rongé cet équilibre en soi précaire, et conduit la nation à la décadence1882. Dans ce cycle monarchie -anarchie -despotisme inhérent à l’histoire institutionnelle anglaise, la plupart des publicistes hostiles au modèle anglais préfèrent insister sur le spectre de l’anarchie. Ainsi Gin fustige cet "état d’agitation perpétuelle" par une métaphore chimique originale, puisque assimilé à "la fermentation que produit dans la chimie le combat des alcalis et des acides"1883.
19Dans un cadre conceptuel autonome, fondamentalement original, Simon Linguet, adversaire acharné des philosophes en général et de Montesquieu en particulier, développe une des critiques les plus radicales de la constitution anglaise. Il serait tentant de retourner contre le célèbre avocat l’accusation de "fanatisme anti-oriental"1884 qu’il portait contre le magistrat bordelais, celle de "fanatisme anti-anglais", tant Linguet affiche une aversion viscérale pour l’Albion, et plus particulièrement sa constitution, "le plus absurde, le plus inconstant et le plus orageux de tous les gouvernements"1885. Maniant la plume comme la trique, sur un sujet qu’il a le mérite de parfaitement connaître, grâce à plusieurs séjours outre-Manche1886, il ne cesse de souligner l’illusion et le danger de "l’équilibre des trois pouvoirs" : "Mais qui ne voit que cet état, bien loin d’être celui du calme, n’est autre chose que la proximité éternelle du plus violent orage"1887 ? Comme Gin, il s’insurge du fait que Montesquieu ait privé le monarque de sa prérogative essentielle de rendre la justice, puisque "le destin des couronnes dépend de la précision avec laquelle Thémis dirige sa balance"1888.
20Si la réaffirmation du principe premier de la nécessaire indivisibilité du pouvoir par les auteurs absolutistes orthodoxes comme par les physiocrates et Linguet répond à celui de la séparation, l’assimilation des intérêts du roi à ceux de la nation sera une autre réponse à la distinction de ces mêmes intérêts par le gouvernement représentatif.
§ 2 - Une critique de principe du gouvernement représentatif
-L’impensable séparation des intérêts du roi et de la nation
21À la logique de l’instabilité inhérente à toute tentative de distribution des pouvoir, s’ajoute celle du conflit, caractéristique de la monarchie anglaise. En défendant un ordre politique fondé sur l’union intime des intérêts de la nation et du roi, dont ce dernier est l’incarnation vivante, les publicistes absolutistes rejettent la logique de la désunion sous-tendue dans le modèle anglais. "En Angleterre, l’intérêt du chef y est distinct de celui du sujet. Il a toujours un plan d’attaque d’un côté, de défense de l’autre", peut-on lire dans un écrit anonyme1889. Pour l’abbé Petiot, le bonheur et la liberté ne peuvent exister en Angleterre où l’esprit de désunion fait de ses habitants "des amis de la licence et de la tyrannie", mais seulement sous un gouvernement absolu où "le monarque et les sujets sont accoutumés à s’éclairer mutuellement sur les sources du bien général"1890. Linguet reprend cette exigence d’un ordre nécessaire, transparent dans son apologie des régimes politiques orientaux, pour mieux pourfendre les "agitations convulsives [du peuple anglais,] qui n’annoncent qu’un délire licencieux"1891. Proposant une belle métaphore géographique, il affirme préférer vivre dans les "plaines du gouvernement de l’Asie" que de "trembler toute sa vie à l’embouchure du Vésuve, dans la crainte perpétuelle d’être englouti dans ses abîmes ou consumé par ses flammes"1892.
22Le gouvernement représentatif, manifestation la plus éclatante de la séparation, et donc de l’opposition, des intérêts du roi et de ceux de la nation, emporte une condamnation unanime. Gin trouve dans la reconnaissance d’un "corps représentatif" la cause de tous les maux anglais dont la France est justement épargnée. Outre les désordres suscités par une assemblée tumultueuse, animée par le seul esprit de corps, et les risques de voir les représentants se détourner des véritables intérêts du peuple, c’est le principe même de la représentation qui est rejeté.
Ce corps, essentiellement susceptible d’impulsions, suivra successivement les mouvements que le ministre en faveur lui aura imprimés. (…) Le monarque seul peut arrêter, par la plénitude de sa puissance, ce combat d’intérêts particuliers et les diriger vers le bien public1893.
23Une telle condamnation permet de réfuter ce qui était considéré alors comme l’une des preuves les plus éclatantes de la liberté anglaise, le consentement de la nation à l’impôt. Pour Gin, ce droit appartient au "représentant de la chose publique", qui n’est autre que le roi dans une véritable monarchie1894, opinion qui sera réaffirmée par Linguet refusant le principe du consentement à l’impôt tourné en dérision. En Angleterre, "c’est avec la main du peuple qu’on vide sa bourse"1895. À cette critique, Linguet ajoute celles de l’inquiétante augmentation de la dette publique, la multiplication des impôts indirects et surtout l’avidité des financiers, qui font de cette nation "la tyrannie la plus cruelle et le gouvernement le plus dur"1896. Linguet et les physiocrates partageaient alors une aversion commune pour le système fiscal anglais, mais pour des raisons exactement inverses. Quand les seconds critiquaient la multiplicité des taxes indirectes, injustes puisque non fondées sur la propriété foncière, le premier rejetait la liberté absolue du commerce des grains1897.
24Les physiocrates s’opposent avec la plus grande constance à cette maxime républicaine consacrée en Angleterre, où le roi se voit réduit, d’après Mirabeau, à la fonction de "gagiste de la souveraineté, [de] porte-étendard du ralliement de ces insulaires, [et de] prête-nom des factions qui corrodent ce qu’ils appellent leur constitution"1898. Loin d’être un droit "juridique" ou "légal", lever l’impôt relève d’un "droit de paternité", qui, s’il se voyait contesté, ne produirait que l’anarchie1899. Albon partage cette analyse en refusant tout corps intermédiaire entre le roi et le peuple. Dans une perspective proche de Hobbes, il explique la sortie de l’état de nature par le fait que les hommes étaient "lassés de vivre errants et isolés". Ce passage a entraîné la formation du corps politique, alors assimilé à une famille. C’est pourquoi, pour parvenir au bonheur, les sujets ne doivent en rien participer aux affaires de la nation, chose dont ils sont incapables, mais exiger de leur roi qu’il soit "un bon père"1900. Il souligne également les "vaines déclamations" nées autour de la mise en œuvre de ce principe puisque les députés des Communes, corrompus par l’argent de la cour, n’ont aucun égard pour la nation, "la traitant avec la rigueur d’un maître dur et impitoyable"1901. De même, Le Trosne rappelle l’historique de cette revendication populaire pour démontrer que toute innovation dans l’exercice de cette prérogative n’a conduit qu’au désordre et à l’anarchie. "C’est, affirme l’économiste, la crainte d’être asservi par une contribution arbitraire qui a fondé les républiques et qui fait redouter le gouvernement d’un seul". Cette liberté républicaine s’avère en pratique d’autant plus illusoire, qu’elle n’a pas conduit l’Angleterre à donner "plus de facilité à l’oppression des grands ou du peuple"1902. Constatant que les exemples anglais, américains ou hollandais, comme les doctrines rousseauistes commençaient à gagner les esprits, l’abbé Baudeau fustigera en 1787 avec une rare violence le droit à consentir à l’impôt, doctrine "aussi fausse que pernicieuse", qui, conduit à "usurper l’autorité suprême des monarques"1903. Ce n’est donc qu’une illusion de liberté dont peuvent se vanter les Anglais, qui, dans les faits, sont autrement plus accablés par le poids des contributions, notamment indirectes, que les sujets du royaume de France1904.
25Les projets de réforme d’inspiration physiocratique de l’administration fiscale traduisent ce rejet de l’exemple anglais. Dans De l’administration provinciale, Le Trosne évoque à mots à peine voilés l’opposition "anglaise" des cours souveraines aux six édits de 1776, concernant notamment l’abolition de la corvée et la suppression des corporations, obligeant le roi à tenir un lit de justice. L’économiste, alors conseiller écouté de Turgot, souligne les vertus d’une autorité monarchique souveraine, au regard du spectacle de la vie parlementaire anglaise.
La France a d’autant plus d’avantage qu’elle a toute confiance dans la sagesse et l’économie de son gouvernement. Elle a d’autant plus d’avantage au futur que le roi a toute l’autorité nécessaire pour entreprendre et exécuter une réforme qui changera son État en un instant ; et qu’en Angleterre cette réforme est aujourd’hui empêchée par les divisions intestines, par l’opposition des partis, par l’ignorance du véritable intérêt national1905.
26L’ambitieux et complexe projet de réforme élaboré dans l’entourage de Turgot, alors contrôleur général, et rédigé par Dupont de Nemours, pourrait être envisagé comme une réfutation pratique de l’exemple anglais. Tentative de décentralisation administrative qui ne verra jamais le jour, le Mémoire sur les municipalités suggère l’instauration d’assemblées représentatives, en quatre échelons, aux attributions strictement consultatives qui ne viennent en rien remettre en question la souveraineté royale1906. Seule rupture fondamentale avec la tradition de l’ancienne France, la participation ne s’inscrit plus dans la logique médiévale d’une société d’ordres, que Turgot rejette. Les assemblées municipales n’auraient en effet "aucun des inconvénients [des assemblées d’états], ni la confusion, ni les intrigues, ni l’esprit de corps, ni les animosités et les préjugés d’ordre à ordre"1907. La participation repose sur la seule qualité de propriétaire, les électeurs étant qualifiés dans le Mémoire de "franc tenancier", terme étranger au vocabulaire juridique français.
J’appellerais un citoyen entier, un franc tenancier, un franc citoyen, celui qui posséderait une propriété foncière dont le revenu suffirait à l’entretien d’une famille, car celui-là est ou pourra être chef de famille quand il lui plaira. Il est de droit ce que les Romains nommaient Pater familias1908.
27Droit romain et common law fournissent les critères de définition des droits politiques. Une autorité monarchique, entendue non plus comme un "père protecteur", mais à travers la figure du "père pédagogue"1909, et le statut de propriétaire, cœur de la doctrine physiocratique héritée en partie de Locke1910, auraient participé de ce projet de décentralisation administrative. L’opposition acharnée des Parlements allait en décider autrement, et Turgot, retiré des affaires, pouvait écrire à Louis XVI cette lettre prémonitoire d’un goût macabre : "N’oubliez jamais, Sire, que c’est la faiblesse qui a mis la tête de Charles Ier sur le billot"1911.
28Le ministre réformateur pouvait compter parmi ses admirateurs Prost de Royer, qui partageait les mêmes aspirations de réformes bien éloignées du parlementarisme à l’anglaise dont il proposait une analyse fort bien documentée.
-Une critique originale d’une monarchie pré-parlementaire : l’exemple de Prost de Royer
29À l’instar du ministre déchu, Antoine Prost de Royer, juriste éclairé qui occupa à Lyon les fonctions de Lieutenant général de police1912, préfère "avoir dans son roi un bon père de famille", plutôt qu’un "chef que l’on redoute comme s’il était étranger et que l’on combat sans cesse comme s’il était ennemi"1913. Cette volonté d’union est illustrée par un détour original, la critique du serment d’allegeance en vigueur en Angleterre. De Blackstone, dont il est un lecteur scrupuleux et toujours respectueux, il emprunte la définition du serment, "acte de soumission et d’obéissance au roi", pour aussitôt se lancer dans une vive critique des arguments défendus par le jurisconsulte anglais. Ces serments, aux formules sans cesse modifiées au gré des aléas historiques, ne sont que de "vains simulacres maintenus par l’usage aveugle", qui témoignent de l’impossibilité pour le prince de gagner l’amour naturel et spontané de son peuple1914. Alors que Blackstone entend le serment comme l’expression solennelle d’une "dette contractée par un contrat implicite que le sujet fait au prince, contrat par lequel le prince s’est engagé à protéger son sujet naturel", Prost de Royer le considère comme la preuve irréfutable d’un roi contraint de recourir à d’indignes "précautions politiques", à des "formes légales" pour gagner l’obéissance de ses sujets. Héritage barbare d’un lien féodal, assimilé, comme le faisait Blackstone, à l’hommage-lige du vassal, le serment revient à juridiciser une relation qui devrait être naturelle, puisque d’essence familiale. Il n’est donc plus qu’une "pratique décrépie, qui ne met personne à couvert et qui menace toujours le torrent des passions qui l’entoure"1915.
30L’interprétation du système parlementaire par le juriste lyonnais va dans le même sens, même s’il ne tombe jamais dans une anglophobie systématique1916. Il souligne certains des mérites des institutions anglaises, comme la pratique des adresses présentées au roi1917 mais surtout la procédure législative. "Cette manière mesurée, lente, contentieuse et publique, a, selon le juriste français, de grands avantages inconnus aux pays où tout se traite secrètement, par un seul ministre, quelquefois par un sous-ministre, ou un écrivain obscur, imbécile ou vénal"1918. De même, le vote du "budget", qu’il définit avec beaucoup de justesse comme "le plan de dépenses, de recettes et de ressources pour le service de l’année suivante", suscite sa franche admiration1919. Cette description illustre la diffusion du vocabulaire technique de la procédure parlementaire qui sera consacré en France dans les assemblées révolutionnaires1920. Dès la mort de Louis XIV, un nouveau vocabulaire riche d’avenir commençait à s’imposer, comme le montre ce propos de Saint-Simon : "Le Régent me dit qu’il formerait un comité, car on ne parlait plus qu’à l’anglaise"1921. Ainsi, selon Prost de Royer tout membre du Parlement dispose d’un droit "constitutionnellement reconnu" de présenter une "motion" ou proposition de loi à portée générale distinguée par erreur du bill qui ferait suite à une pétition sur des intérêts particuliers-, sur lequel il est possible d’apporter "un amendement, c’est-à-dire un changement, une restriction, une modification qui ne tiennent quelques fois qu’à un seul mot"1922. Prost de Royer était alors conscient de multiplier les anglicismes, comme le montre l’utilisation systématique de la calligraphie de l’italique, en puisant de nombreuses informations sur l’Angleterre dans le Courrier de l’Europe. Ce périodique alors réputé, était d’ailleurs souvent contraint d’utiliser de nombreux termes anglais, en en proposant une traduction plus ou moins heureuse, pour rendre compte de la vie politique et parlementaire anglaise1923.
31Prost de Royer en arrive cependant à une critique de principe de la constitution anglaise. Le cas célèbre du rejet de l’adresse du général Conway sur la poursuite de la guerre américaine par 194 voix contre 193 en février 1782, démontre que les Communes ne sont pas l’expression de la "volonté générale", puisque "c’est en dernière analyse, une volonté unique, une seule voix qui décide du bonheur ou du malheur de plusieurs millions d’hommes"1924. Au-delà de l’anecdote, il suggère aux Anglais d’emprunter la pratique romaine de l’unanimité lors des délibérations.
Il fallait l’unanimité pour rédiger en décret la délibération du Sénat, decretum. Sans elle, ce n’était qu’une opinion, auctoritas, sujette à être reproduite et délibérée de nouveau ; et pour cela il ne fallait que l’opposition d’un tribun ou d’un seul magistrat1925.
32Plus grave est pour Prost de Royer la possible mise en accusation d’un ministre du roi. Les innovations constitutionnelles introduites par le Settlement de 1689 sont justement soulignées, l’auteur ayant pris soin de reproduire les textes du Bill of Rights et de l’Act of succession de 1701. Par ce dernier, les Communes, craignant l’autoritarisme de Guillaume III, voulaient "resserrer la prérogative, assurer la responsabilité du ministère ainsi que leur inspection sur la puissance exécutrice"1926. Dans la mesure où le roi est "inaccusable", les Anglais ont ainsi prétendu rendre les ministres "responsables des opérations illégales ou funestes de la puissance exécutrice, ce qu’ils appellent responsabilité". Aussi, Prost de Royer peut rapporter le conflit opposant Pitt le Jeune soutenu par George III à la majorité des députés de la chambre basse, qui prétendait au contraire que :
Le roi ne devait appeler dans son conseil privé que des membres qui fussent agréables à lanation, représentée par les Communes ; sans quoi l’administration ne pourrait pas marcher d’accord avec le Parlement et d’une manière étendue1927.
33Dans ce conflit tranché lors des élections générales de 1784, le monarque gagna le soutien de la cité de Londres et des comtés réaffirmant dans leurs pétitions "comme constitutionnel le droit du roi de choisir et de renvoyer à son gré les ministres"1928. Mais l’appréhension d’un parlementarisme en gestation échoue par la permanence de la procédure d’impeachment dans l’analyse de Prost de Royer, qui l’empêche de relever le passage d’une responsabilité pénale à une responsabilité politique des ministres. En effet, ceux-ci étant lié au roi par le serment l’enjoignant, par son article quatre, de "garder le secret du roi", ils doivent refuser de répondre de leurs actes devant la Chambre basse. Rompre ce silence ne peut alors résulter que d’une "accusation en forme"1929. En prétendant "prévenir l’abus sans restreindre le pouvoir du roi", cette procédure risque ainsi de permettre la mise en accusation de ministres par une "opposition parlementaire dont l’établissement, l’office, les agitations, les motions et les efforts éclatants ne tendent qu’à surveiller secrètement et censurer publiquement l’administration"1930.
34Si Prost de Royer n’a pas perçu la relative désuétude de la procédure d’impeachment, il a ainsi fait preuve d’une remarquable acuité dans l’émergence de formes nouvelles de collaboration entre les deux chambres et l’exécutif monarchique. Cependant, son idéal de gouvernement reste une forme régénérée de monarchie paternelle, bien éloignée des institutions anglaises. Il critique celles-ci dans une notice de son Dictionnaire justement consacrée à "l’anarchie", qualifiée en Angleterre de "véritablement constitutionnelle" : "Qu’est-ce en effet, qu’un gouvernement composé de trois pouvoirs, qui s’épient, s’accusent, se croisent et se dégradent sans cesse ?"1931. La nature républicaine des institutions anglaises engendre un esprit public tout aussi républicain contre lequel il convient de se prémunir.
§ 3 - Le spectre de l’esprit républicain
35La lecture républicaine de l’Angleterre, qui se fonde le plus souvent sur le constat d’une certaine distribution des pouvoirs et sur la participation du peuple aux affaires publiques, trouve son prolongement dans la structure de l’ordre social et dans une ébauche de psychologie collective. Ainsi, selon Sénac de Meillan, "la constitution républicaine semble plus propre à satisfaire le besoin moral des distinctions et des émotions. Chacun dans ce gouvernement a le sentiment de ses forces et les moyens de les mettre en valeur s’offrent à la foule. Le ministère, les honneurs de la pairie sont ouverts en Angleterre au jurisconsulte éclairé, à l’avocat distingué par son éloquence"1932. Dès lors, c’est l’esprit républicain vanté par les anglophiles qu’il convient de pourfendre.
-L’anglophilie : une dangereuse maladie
36Dès 1747, Denesle fait état dans les Préjugés du public, titre révélateur, d’une contagion de l’esprit anglais qui semble gagner des écrivains français de plus en plus enclins à revendiquer une certaine liberté d’expression. Le constat est accablant : "Un moyen qui est encore bien couru et presque infaillible pour acquérir à bon marché la réputation de savant, de philosophe, d’homme extraordinaire, c’est d’écrire à l’anglaise"1933. L’auteur, dont les propos laissent transparaître un profond pessimisme teinté de misanthropie, s’offusque de la liberté de ton de plus en plus affichée qui tend à confondre "l’esprit de libertinage et de débauche" avec la "philosophie". Un esprit critique affranchi des limites fixées par la religion, la raison et le bien public, la tentation des hommes de lettres de s’arroger abusivement le titre de "législateurs" et surtout la multiplication des personnes ayant prétention à manier la plume, autant de nouveautés en provenance de l’Angleterre qui viendraient saper les fondations d’un "État qui se maintient depuis douze siècles"1934.
37L’inquiétude lucide de Denesle sur le changement des mentalités est partagée par un nombre croissant de ses contemporains. Contre l’admiration souvent manifestée pour la "prétendue constitution républicaine" des Anglais, l’abbé de Véri livre une analyse clairvoyante du sensible changement de l’état d’esprit au cours du règne de Louis XV :
À peine ose-t-on dire Servir le Roi, on y a substitué le mot Servir l’État. Ce dernier mot aurait été, du temps de Louis XIV un blasphème. Nous avons vu (…) dans les vingt premières années du règne de Louis XV, un reste de cet esprit lorsqu’un ministre se récria contre le mot : Servir la nation1935.
38Les admirateurs de l’Angleterre constituent une menace de plus en plus pressante pour la tranquillité du royaume. Nouveau fléau, l’anglophilie devient la manifestation symptomatique d’une épidémie menaçant l’ordre public, dont Moreau établit un diagnostic froid et accablant :
Une maladie épidémique et contagieuse nous est venue d’Angleterre : on la nomme esprit philosophique. Les symptômes du mal sont un dégoût mortel des vérités connues, et une inquiétude turbulente qui porte à tout innover1936.
39D’Alembert, représentant éminent du parti des philosophes dont il rédigea le manifeste dans le discours préliminaire de l’Encyclopédie, reconnaît d’ailleurs la dette contractée par les hommes de lettres français à l’Angleterre. Selon le secrétaire de l’Académie française, "cette précieuse liberté de penser dont la raison profite, dont quelques gens d’esprit abusent et dont les sots murmurent" n’a pu être conquise que grâce à la consultation des "ouvrages anglais"1937. Dans les heures sombres de la guerre de Sept Ans, cette franche et sincère affirmation d’un membre de la République des lettres gagné par un cosmopolitisme plus littéraire que politique, signifie pour certains un pacte tacite avec l’ennemi héréditaire.
40Dès les premiers mois du conflit, l’auteur d’un opuscule anonyme conjugue deux registres de discours pour railler les anglophiles, d’abord l’ironie, en prétendant que ces derniers considèrent que le peuple anglais "serait fait d’un autre limon que le reste des mortels ; ce sont des demi-Dieux", pour ensuite prendre un ton plus grave, en les soupçonnant de n’aimer "tant les Anglais que parce qu’ils haïssent extrêmement la France"1938. L’anglophilie tend à devenir une attitude indigne, voire incompatible avec la qualité de sujet de Louis XV. Les chefs de file de l’anglophilie, souvent assimilée à une secte ou à une cabale, sont montrés d’un doigt accusateur. Dans l’un de ses pamphlets qui fit alors grand bruit, le Préservatif contre l’anglomanie publié à Minorque -théâtre d’une célèbre victoire navale contre la "Perfide Albion" - Fougeret de Monbrun accable Voltaire, dont le "plus grand miracle est la métamorphose qu’il a faite des Anglais". Peuple jusqu’alors "connu pour le plus orgueilleux, le plus ingrat et le plus féroce qui soit au monde", les Anglais seraient devenus par la magie des Lettres philosophiques "le peuple le plus généreux, le plus magnanime" dans une île désormais considérée comme "le sanctuaire de la raison, la patrie des sages"1939. Ce littérateur, qui brûlait en fait les idoles anglaises qu’il avait un temps adorées dans Le cosmopolite ou le citoyen du monde (1753), fustige avec une rare violence "ces idolâtres aveugles d’un fantôme séducteur", par une réfutation des Lettres d’un François de l’abbé Le Blanc1940. Quelques années plus tard, Lefebvre de Beauvray s’en prend lui aussi à Voltaire, même s’il trouve chez Saint-Évremond et La Fontaine, d’indignes précurseurs1941. À l’entrée "Frondeurs" - terme qui retrouve une actualité significative
41-de son Dictionnaire, il soupçonne les anglomanes d’être moins portés à l’admiration pour les étrangers que de chercher à exprimer "leur haine contre leurs compatriotes"1942. Mais c’est sans doute à Linguet que l’on doit les plus vifs sarcasmes contre ce qu’il appelle "l’anglicisme" :
Voilà l’idole pour laquelle on mendie notre culte et dont on a consigné la liturgie dans une infinité de livres. Voilà la divinité vers laquelle on a tourné nos regards, l’astre bienfaisant auquel tous nos reptiles philosophiques se sont hâtés de rendre hommage1943.
42Jusqu’à la veille de la Révolution, l’accusation se répétera, comme lorsque le marquis de Caraccioli affirme : "C’est l’anglomanie, n’en doutons pas, qui a fait naître parmi nous tant de frondeurs"1944. Mais, au fil des années, les menaces dont sont porteurs les admirateurs de la liberté anglaise prend une signification précisée. En 1778, Robinet constate toujours l’impossibilité d’être à la fois "cosmopolite" et "citoyen", de conjuguer un mépris pour le royaume de France à "une admiration outrée pour sa rivale". Mais il ajoute que le "comble" de l’anglomanie serait de "vouloir transposer sur les bords de la Seine, des lois, une constitution, des mœurs, des usages, qui ne conviennent que dans une île qu’arrose la Tamise"1945. Quand Bourdon, anglophile repenti comme il se présente lui-même, publie en 1789 un petit opuscule intitulé Le patriote ou préservatif contre l’anglomanie, il ne suit en rien les amères récriminations de Monbrun. S’il s’attaque aux "conférences funestes de l’Anglomanie, relativement à la constitution anglaise", c’est pour, au fil de ses pages, marquer son adhésion au modèle américain, empruntant à Stevens et à Condorcet la plupart de ses critiques contre les institutions anglaises1946 !
-L’inertie des représentations : l’Angleterre, terre de licence
43La puissance mobilisatrice d’Albion reste intacte, pouvant toujours susciter autant d’arguments polémiques, de raisonnements manichéens qu’au lendemain de la Révolution de 1688. À l’instar du discours anglophile, l’Angleterre perd de sa consistance pour n’être plus que le support d’un discours, mais aussi le cadre dans lequel se déploie l’affirmation de principes politiques. Deux images de l’Angleterre s’affrontent, entraînant ainsi la dilution de la réalité politique et institutionnelle de cette nation. Les traditionnelles accusations portées contre la nation ennemie perdurent. Elles obéissent à une logique parfaitement établie, dont la répétition n’est que le revers du discours anglophile. Les arguments irriguant le discours anglophobe s’articulent selon une implacable logique : démontrer que cette nation, loin d’être une terre de liberté, n’est que le refuge à la "licence", terme omniprésent repris par Caraccioli1947, Moreau1948, ou le chevalier d’Arcq1949. La licence pourrait être entendue comme l’expression de la liberté sans cadre ni moral, ni politique, engendrant alors l’irrespect pour les valeurs fondatrices de l’ordre social et l’anarchie dans l’ordre politique.
44Ces arguments se déploient au service de la défense de l’ordre établi. Le jeu de miroirs entre la France et l’Angleterre suggéré sur le plan institutionnel se retrouve à l’identique dans la description de l’ordre social. L’opposition entre un gouvernement d’essence républicaine et un gouvernement monarchique fonde alors la représentation antithétique des deux royaumes. L’ordre politique confère à chacune des sociétés une physionomie singulière, parfaitement identifiée et cohérente. La critique du modèle anglais permet ainsi la reconstruction d’un idéal politique qui serait heureusement consacré en France. Elle s’articule autour d’un triptyque permettant de préciser la nature de la licence anglaise : les divisions partisanes, les dissensions religieuses et la presse, autant de symptômes qui témoignent d’un véritable mal anglais dont il convient de se préserver.
45Tous n’invoquent pas ces trois arguments. Selon le juriste de Réal, l’Angleterre a toujours été "le théâtre de l’incertitude, de l’inconstance et des variations" en matière religieuse et politique ; mais il tient des propos admiratifs sur les gazettes qui "instruisent tous les citoyens des droits et des intérêts de la nation"1950. L’opinion ici avancée n’en reste pas moins une exception. Véron de Forbonnais refuse ainsi de ratifier l’optimisme de Réal sur la liberté d’expression anglaise. Par la permanence des partis, des factions et des divisions religieuses, le peuple vit dans un "état d’agitation comme celui d’un malade, auquel une fièvre ardente donne une force étrange, capable de tuer"1951. La critique physiocratique développe des arguments similaires puisqu’elle prône ce que Georges Weulersse appelle "l’indivisibilité théorique de l’intérêt commun"1952. La nation, placée sous l’autorité d’un souverain co-propriétaire, ne peut admettre aucune dissension, comme le montrent les interrogations de Le Trosne sur la liberté anglaise.
Est-elle vraiment plus libre qu’une autre ? Oui si la liberté consiste dans le droit de nouer des factions, de déclamer contre l’autorité et contre les ministres, de répandre des libelles, de se livrer aux clameurs et aux émeutes populaires1953.
46Défenseur d’un absolutisme plus traditionnel, Lefebvre de Beauvray propose une parfaite synthèse de l’état de la licence anglaise, conjonction de l’irréligion et de l’insoumission naturelle d’un peuple, ce qui ne peut qu’accentuer la fermentation des esprits :
De là, cette licence effrénée qui règne en Angleterre, soit dans les discours, soit dans les écrits, soit dans les actions. De là, tant de pamphlets contre le gouvernement, tant de comédies contre les bonnes mœurs, tant de brochures outrageantes contre la religion. De là les livres hardis des Toland, des Tindal, des Wolloston. De là l’ouvrage de Collins sur la liberté de pensée, celui d’Algernon Sidney sur la liberté politique1954.
47Derrière ce rejet du modèle anglais se dessine un contre-modèle dans des circonstances particulières que Michel Antoine appelle les "années noires" du règne de Louis XV1955. À la menace extérieure définitivement levée par le Traité de Paris de 1763, s’ajoutent les crises intérieures du royaume : l’attentat de Damiens, les conflits répétés entre le greffe et la couronne, la suppression de la Compagnie de Jésus par l’édit de novembre 1764, le "pacte de la famine". Hantés par ces réalités, les contemporains, dans leur rejet du modèle anglais, projettent leurs aspirations d’une société idéale, pacifiée et harmonieuse. Ce projet suppose de préserver le royaume de l’influence d’un esprit "anglais" par une exhortation implicite à résister à celle-ci. À "l’inquiétude et l’agitation perpétuelle des républiques", de Beauvray préfère ainsi "la sécurité sous la protection d’un monarque", qui par son autorité naturelle sait établir parmi ses sujets "le sens de la modération et de l’unanimité"1956. Dans un opuscule anonyme, l’auteur souligne l’inquiétude et l’inconstance d’un peuple gagné par les divisions entre whigs et tories, papistes et quakers, tandis que "le jeune Français reste toujours catholique, ne connaissant d’autre parti que le service du roi"1957.
48L’avocat Louis Basset de La Marelle reprend cette opposition entre les deux monarchies dans un discours de 1762 lu à l’Académie de Lyon sur La différence du patriotisme national chez les François et chez les Anglois. Afin d’exalter un sentiment patriotique dans un cadre belliciste, il rappelle les épisodes glorieux de l’histoire de France, comme Bouvines ou Jeanne d’Arc. Mais il s’attache surtout à démontrer que "le patriotisme en France a un fondement plus solide, parce qu’il s’y trouve établi sur des principes plus invariables et plus purs"1958. La "pureté de la religion embrassée par Clovis", la loi salique "gravée si profondément dans le cœur des Français", et plus généralement "une sage constitution [qui] tient également éloignée de la honte de l’esclavage et de l’écueil de la liberté" permettent à l’avocat d’assimiler le royaume de France à une "famille nombreuse" réunie autour de l’autorité paternelle du monarque1959. À cette description idéale, il oppose l’Angleterre, qui, depuis la charte de 1215, ne présente dans son passé que "l’avilissement du trône et le mépris de la royauté". Cette histoire troublée, conséquence de la "fureur des partis", des "divisions intestines" et du schisme henricien n’a pu conduire qu’à la "frénésie barbare" de Cromwell, puis à l’entreprise de Guillaume d’Orange "exemple, qui pour être moins cruel, n’en est pas moins scandaleux"1960. Les troubles du Grand siècle, toujours inscrits dans la mémoire collective, servent de repoussoir à la contagion des esprits et aux revendications de réformes de plus en plus radicales qui se multiplient. À la veille de la révolution, la même construction fondée sur l’opposition entre les deux royaumes se retrouvera dans le Coup d’œil sur le gouvernement anglois de l’abbé Dubois de Launay qui cherche à défendre "la douceur de notre gouvernement et son invariable consistance". Alors qu’outre-Manche règne "un esprit d’insubordination et d’indépendance qui affaiblit nécessairement le pouvoir des lois" depuis l’usurpation de l’honnie Grande charte en 1215 et l’affirmation du Parlement, la France est présentée comme la terre d’élection d’un gouvernement harmonieux. Esprit monarchique et esprit national sont intimement liés. "Parmi nous, on ne se défend pas plus d’aimer son gouvernement que d’aimer sa patrie. Le Français a pour son roi comme un respect religieux"1961.
49Moreau dépasse cependant cette représentation binaire qui perd progressivement de sa pertinence face à une nation anglaise au sommet de sa puissance, galvanisée par le ministère de Pitt, qui a su conduire la nation à la victoire. Les écrits de ce serviteur de l’État monarchique, publiés entre 1757 et 1763 permettent de saisir comment s’opère cette tentative de régénération d’un idéal politique au regard de la société anglaise. En reprenant à Montesquieu son analyse du despotisme, synonyme d’apathie du corps politique, Moreau ressource habilement la définition de l’État monarchique, opposée à la "république" anglaise.
Les prétentions réciproques des différents ordres qui composent une nation font honneur au gouvernement monarchique et ne l’altèrent jamais. On n’en voit aucune dans les États despotiques, où l’esclavage avilit l’humanité. Dans les républiques, et même dans celles qui ont un roi, elles forment des factions et des partis. En France, elles sont comme des tourbillons qui, dans le monde physique, se pressent continuellement sans se détruire. Elles entretiennent l’activité et n’anéantissent point l’harmonie. Le Souverain modère et règle leurs mouvements1962.
50Dans le Moniteur françois, publié trois ans plus tard, Moreau abandonne le terme consacré de "sujet", pour lui préférer celui de "citoyen", insufflant à la relation gouvernant-gouvernés une épaisseur patriotique nouvelle. Parfaite illustration des changements affectant le vocabulaire juridico-politique des Lumières, il oppose ainsi les monarchies de France et d’Angleterre en des termes renouvelés :
Le gouvernement anglais a toujours pour lui une multitude de partisans ; le gouvernement français n’a pour lui que des citoyens1963.
51Au lendemain du Traité de Paris, Moreau publie une Lettre sur la paix, qui abandonne cette fois toute prévention contre le peuple anglais. Bien au contraire, il est contraint d’admettre "l’accroissement rapide de la gloire et du pouvoir de la Grande-Bretagne"1964. La représentation traditionnelle d’une île licencieuse et désunie, laisse place à la reconnaissance du patriotisme de ce peuple "qui, avec peu de forces, s’est procuré de grandes ressources ; qui, resserré par la nature, a su s’étendre par son courage", l’auteur établissant un parallèle éclairant entre les deux nations.
L’Angleterre a su développer le germe des vertus qu’elle renfermait dans son sein ; de ce moment elle a paru commander à la fortune. En France, les mœurs publiques ont changé et notre gloire a décliné (…). Quand je la verrai pénétrée du sentiment initial de sa propre force, et persuadée que rien de ce qui est honorable ne lui est impossible, je dirai, cette nation est faite pour commander aux autres1965.
52S’il est possible de voir dans ces lignes de Moreau une tentative de "dégager le patriotisme britannique de tout fondement idéologique"1966, il convient d’ajouter la volonté du publiciste de susciter dans le royaume un patriotisme anglais ressourcé par les exemples des cités antiques sans pour autant porter atteinte à la constitution traditionnelle de la monarchie. La régénération des mœurs ne doit pas se faire au détriment de l’autorité monarchique.
-Londres, nouvelle Rome ou nouvelle Carthage ?
53En juin 1755, l’abordage de deux vaisseaux, Le Lys et L’Alcide, par la marine anglaise marque le début d’une guerre qui ne fut officiellement déclarée qu’en juin de l’année suivante. Alors que la nouvelle arrivait tout juste à Paris, l’agression anglaise fut dénoncée dans une Lettre d’un Français à un Hollandois au sujet des différends survenus entre la France et la Grande-Bretagne. L’auteur commence par un portrait plutôt flatteur de la nation anglaise qui a su "noyer dans le sang le pouvoir despotique" pour établir un gouvernement digne de la Rome antique1967. Dans la suite de l’opuscule, le ton admiratif laisse place à une violente satire de l’impérialisme anglais, similaire à celui des Romains, qui conduit cette nation à prétendre à la monarchie universelle. "L’enthousiasme patriotique", qui s’est substitué à un "enthousiasme pour la religion", anime désormais les prétentions hégémoniques de la nation anglaise. Mais l’auteur a soin de distinguer les motivations des deux peuples :
Les Romains étaient ambitieux par orgueil, les Anglais semblent l’être par avarice. Les premiers voulaient commander, les seconds veulent acquérir. (…) Ce que la gloire produisit autrefois chez les Romains, le commerce le fait aujourd’hui chez les Anglais, c’est-à-dire de grandes choses, des choses illustres, mais souvent injustes1968.
54Poursuivant longuement sa comparaison, il laisse échapper un parallèle qui remportera le plus grand succès dans la seconde moitié du xviiième siècle, en affirmant que "la France va être pour l’Angleterre ce que Rome fut à Carthage"1969. Très rapidement, le référent romain, porteur d’un idéal civique incompatible avec un discours qui se veut critique de l’Angleterre, sera abandonné par tout auteur désireux de pourfendre les illusions de la liberté anglaise. La référence carthaginoise lui sera finalement préférée, ce qui permettait d’anticiper sur le destin qui menacerait l’arrogante Albion. Dans un premier temps, la comparaison reste valable dans un cadre principalement militaire. Séran de La Tour publie en 1756 un Parallèle de la conduite des Carthaginois à l’égard des Romains, avec la conduite de l’Angleterre à l’égard de la France. Le traité d’Aix la Chapelle mettant fin à la guerre de Succession d’Espagne n’est alors que la répétition de celui de Lactatius au terme de la première Guerre punique ; la conquête du Canada rappelle la prise de Sagunte ; un même mobile, la maîtrise du commerce maritime, semble être partagé par les deux peuples1970.
55Le Traité de Paris démentira le scénario de cette guerre punique des Temps modernes. La référence à Carthage garde cependant toujours de sa pertinence lorsqu’elle sert à fustiger une république commerçante aux assises financières et politiques peu stables. Moreau assimile la nation anglaise à "une compagnie de marchands", ayant à sa tête "un directeur auquel elle a confié ses intérêts"1971. Lefebvre de Beauvray dénonce en des termes similaires la précarité de la puissance anglaise, qui, "semblable à celle de Carthage ne porte sur aucun fondement solide. Le commerce en est l’unique base, mais cette base peut s’écrouler en un instant"1972. Le constat d’une nation vénale, corrompue dans ses mœurs conforte les auteurs absolutistes dans leur rejet du modèle anglais. L’État politique de l’Angleterre de Genet abonde en extraits de traduction d’articles du London Evening Post et du London Chronicle, deux journaux alors célèbres pour leur hostilité à la politique de Pitt, soulignant alors l’ampleur de la corruption électorale et ministérielle1973. Linguet n’aura pas de mots assez durs pour dénoncer au fil de ses ouvrages "les colosses d’argent que le despotisme du commerce multiplie à Londres"1974. Gin comme Prost de Royer soulignent aussi la corruption des mœurs publiques, comme les brigues pratiquées lors des élections parlementaires1975. De même, parmi les physiocrates, le comte d’Albon est le seul à souligner que, par les mécanismes de la corruption, le régime mixte anglais ne dissimule en fait qu’une monarchie absolue.
Maître de la chambre des Pairs, maître de la chambre des Communes, maître enfin du peuple, qui est moins libre et plus floué que la plupart des peuples de l’Europe, le roi d’Angleterre ne jouit-il pas d’un pouvoir absolu1976 ?
56L’argument n’intervient cependant qu’au second plan de la critique absolutiste du modèle anglais, pouvant même être totalement absent comme c’est le cas dans le très virulent Coup d’œil sur le gouvernement anglois pourtant publié en 1786 par l’abbé Dubois de Launay. Il ne fait que renforcer une incompatibilité de principe entre la conception traditionnel de l’ordre monarchique et les principes de droit public consacrés outre-Manche. Ainsi, le marquis de Mirabeau affirme à propos de la nation anglaise :
Elle ne sait pas que donner droit de législation à une multitude serait faire tirer ses lois aux dés. (…) Elle ne sait pas que faire élire ses représentants par le peuple, c’est vouloir insinuer partout la corruption et la vénalité républicaine1977.
57Simple conséquence d’un gouvernement républicain intrinsèquement pervers pour les auteurs absolutistes, la corruption est au contraire le cœur de la critique anti-absolutiste du modèle anglais, critique d’ailleurs porteuse d’arguments tout aussi subversifs que ceux des anglophiles les plus enthousiastes.
II - LE MODÈLE ANGLAIS : UN MODÈLE PÉRIMÉ
58Le rejet du modèle anglais par les publicistes anti-absolutistes s’inscrit dans le mouvement de contestation qui traverse l’Angleterre de George III. Après un bref état de grâce, le monarque doit faire face à la montée en puissance d’un mouvement réformateur radical qui vient se greffer sur la crise américaine, larvée depuis le Stamp Act de 1765, puis ouverte à partir du "massacre de Boston" de 1770.
59Autant d’événements qui rencontrent alors en France une importante audience auprès des élites éclairées par la voie de la presse périodique ou par la diffusion d’ouvrages théoriques anglais. Les traductions d’ouvrages des whigs radicaux se multiplient. Aux désormais classiques de Sidney, de Locke et de Gordon s’ajoutent les essais des whigs radicaux anglais (Brown, Price, Paine), mais aussi les écrits en provenance de la jeune, mais si prometteuse, république américaine, dont le plus célèbre fut alors le Common Sense de Thomas Paine, qui rencontrent alors une importante audience dans le royaume de France1978. L’exercice de la traduction devient particulièrement prisé. Brissot propose une version française des Letters on Political Liberty de David Williams puis des Letters d’Olivier Goldsmith. Mirabeau traduit l’History of England aux sympathies républicaines de Madame Macauley1979. Cette littérature anglo-américaine attaque de l’intérieur le mythe de la liberté anglaise, en dénonçant le nouveau despotisme de George III et des "Amis du Roi", les travers de la représentation parlementaire, la corruption qui menace autant une constitution aux assises précaires qu’une nation gangrenée par le commerce et l’argent1980.
60De Diderot à Condorcet, les critiques des publicistes réformateurs contre la constitution anglaise se multiplient. Démontrer la perversion du modèle anglais exige le détour par l’histoire, pour pouvoir ainsi en saisir sa nature première (§ 1). Après avoir été longtemps capable de conjuguer la liberté, le peuple anglais ne présente plus dès lors qu’une illusion de liberté par la corruption de ses mœurs et de sa forme de gouvernement (§ 2).
§ 1 - Une liberté à l’imparfait
-L’histoire anglaise : l’arsenal de la critique anti-absolutiste
61Rapin-Thoyras a triomphé. L’épineuse question de l’origine du Parlement a perdu de son actualité. La pratique constitutionnelle héritée de la Glorieuse révolution interdit désormais de contester la réalité de la monarchie mixte. Si les Communes restent une piste essentielle dans la généalogie de la liberté anglaise, la question de leur apparition ne suscite plus un déploiement d’érudition. Cette dernière méthode cède d’ailleurs la place à une histoire politique et polémique, délestée de toute préoccupation épistémologique, de la liberté des insulaires. À l’exception de David Houard, juriste normand offrant de patientes recherches sur la féodalité anglaise, le temps n’est plus à l’exégèse des antiquitaires du siècle précédent ou des Actes de Rymer.
62En s’attachant à un travail de compilation ou d’interprétation de l’histoire anglaise telle que le proposent Rapin-Thoyras, Voltaire mais surtout Hume dans sa très appréciée History of England publiée à partir de 1754, ces historiens, victimes d’un strabisme politique plus ou moins dissimulé, proposent une réflexion sur le devenir de la liberté du royaume de France à travers le miroir anglais. Dans cette perspective, le passé anglais se réduit à un simple instrument au service de la contestation de l’absolutisme monarchique. Pour être opératoire, la première exigence est de laver le peuple anglais des accusations classiques portées à son encontre, ou plutôt d’en proposer une nouvelle interprétation. Pour l’abbé Millot, historien alors reconnu, membre de l’Académie française, les Anglais, "peuple libre, belliqueux, indomptable, longtemps féroce", ont su "conserver le même caractère dans une longue suite de révolutions sanglantes". Préférant les thèses de Hume à celles de Rapin-Thoyras1981, il ne nie pas les violences, les troubles et les révolutions propres à l’histoire anglaise, mais les présente dans une perspective tout à l’avantage de cette nation. La fresque des annales de ce peuple s’ouvre par un constat des plus flatteurs : "Ailleurs, les princes, les grands occupent le théâtre entier ; ici les hommes, les citoyens jouent un rôle qui intéresse davantage l’humanité"1982. De même, Contant d’Orville, intarissable compilateur des écrits de Voltaire, admire chez les Anglais "cette force et cette considération qui les distinguent des autres nations". De la confrontation répétée entre le pouvoir absolu du prince et les droits du peuple a triomphé une liberté consacrée dans une "monarchie tempérée et limitée par les lois"1983.
63Cet enthousiasme commence à prendre un sens précisé à la lecture de l’Histoire des Deux Indes. Membre depuis 1758 de la Société royale de Londres, Raynal, qui a abandonné ses critiques sur le turbulent peuple anglais exposées dans son Histoire du Parlement, interpelle son lecteur : "Vaut-il mieux qu’un peuple soit éternellement abruti que d’être quelques fois turbulent ?" La réponse est fournie quelques lignes plus loin à travers le portrait de ces insulaires animés par "l’amour de la liberté si naturel à l’homme qui se sent et qui pense" qui permet "d’allumer dans les cœurs généreux la haine d’une autorité sans limites"1984. Mably, qui avait partagé avec Raynal les mêmes tentations absolutistes, a lui aussi perdu toute prévention pour les Anglais, comme peut le montrer son éloge de Rapin-Thoyras. "Il a étudié les Anglais et leur constitution avec beaucoup plus de soin que les autres historiens", même s’il constate avec une certaine lucidité que "sa narration marche avec une lenteur qui fatigue"1985. Derrière un psychologisme sommaire, Mably file la comparaison entre les peuples insulaire et continentaux au sortir de l’époque féodale selon une typologie monarchie-gouvernement libre empruntée à Montesquieu.
Que l’on ne soit donc pas surpris de la forme de gouvernement que l’Angleterre a conservée au milieu des mouvements convulsifs dont elle a été agitée, et qui semblaient asservir ses lois aux caprices de ses passions. (…) Les Français obéissaient sans résistance aux événements, les Anglais résistaient à leur impulsion : de là sur les ruines des fiefs s’élève chez les uns une monarchie, et chez les autres un gouvernement libre1986.
64La thèse germaniste permet de perpétuer l’affirmation de l’îleconservatoire des antiques libertés définie par les historiens du Refuge et surtout Boulainvilliers, puis consacrée par Montesquieu. Le mirage de l’Eden saxon inspiré du De moribus Germanorum de Tacite reste toujours aussi efficace quand Millot affirme que ces peuples ont conservé "cet esprit de liberté qui caractérisait les Germains", rendant impossible tout forme de despotisme, ou lorsque Diderot évoque l’apparition des assemblées grâce à l’intrusion des peuples barbares dans un Empire romain à l’agonie1987. Selon le comte de Lauraguais, le gouvernement anglais serait "le seul qui ressemble aujourd’hui à celui qu’avait l’Europe entière autrefois"1988. Le Répertoire de jurisprudence de Guyot s’approprie également cette idée d’une matrice germanique commune aux monarchies européennes, en des termes directement inspirés de ceux de Rapin-Thoyras.
Toutes ces nations avaient dans l’origine la même constitution, la même forme de gouvernement. (… ) C’était celle des anciens Germains. Les wittena gemot d’Angleterre, les plaids généraux, les assemblées du champ de mai en France et les cortes d’Espagne avaient la même origine1989.
65Cette affirmation est reprise en des termes plus vigoureux par d’Holbach qui avance que ces assemblées ne se sont "affaiblies dans quelques contrées que par l’indolence des peuples et par l’usurpation, la séduction et la trahison des cours"1990. Dans la seconde moitié du siècle, le référent germain sert toujours à légitimer historiquement le principe de la participation de la nation aux affaires de l’État, selon des mécanismes constitutionnels directement empruntés à Montesquieu. Pour le comte de Mirabeau, les assemblées "partageaient avec le roi la puissance législative, pour ne pas dire qu’il n’était que l’exécuteur des délibérations communes, [et] exerçaient une juridiction suprême dans toutes les causes"1991.
66Les réformes administratives et judiciaires d’Alfred le Grand suscitent toujours autant l’admiration. Ceux qui, à l’instar de Condillac, ne partagent pas le goût pour le "mélange de démocratie et d’anarchie" propre au gouvernement des Saxons, reprennent alors à Voltaire la figure du roi réformateur, dont la politique consista à "veiller à la sûreté des peuples, à leur donner des lois, et à faire fleurir le commerce"1992. Le même enthousiasme se retrouve chez un défenseur des libertés germaniques comme Millot, qui voit en lui "le modèle achevé de ce sage dont les philosophes ont tracé à plaisir le caractère"1993. Que ce soit à travers l’action d’un monarque éclairé ou par un monarque à l’autorité limitée, l’époque saxonne permet de découvrir les fondations de la liberté anglaise. Cette période heureuse s’achève brutalement par l’introduction d’une forme honnie de gouvernement, la féodalité, conséquence directe de la conquête normande.
67David Houard1994, le meilleur connaisseur en son temps de la période féodale anglaise, reprend à son compte les traités médiévaux des xiième et xiiième siècles (Glanvill, Fleta, ou Britton) et les idées de Bracton et de Littleton (1422-1481) pour démontrer la conformité des "lois primitives" des royaumes des Francs et des Saxons, par une comparaison des capitulaires mérovingiens avec la législation de l’heptarchie1995. Selon le savant légiste, le ixème siècle marque une rupture. Le règne de Louis le Débonnaire marque l’apparition du "vasselage volontaire et à temps", liens personnels qui deviendront "incommutables" sous Charles le Chauve, alors que l’Angleterre conserve toujours sa législation jusqu’en 10661996. Guillaume le Conquérant bouleverse en effet l’ordre juridique anglais en imposant "le droit féodal tel qu’il était pratiqué en France sous nos rois de la seconde race"1997. Pour parvenir à ses fins, le retors et autoritaire monarque normand parviendra à contourner l’opposition du peuple vaincu par un habile subterfuge, en présentant ses lois comme "le fruit des méditations d’Edouard [le Confesseur], l’origine la plus capable pour le temps où il vivait de leur concilier la vénération du peuple"1998.
68Au terme d’une étude minutieuse des légistes médiévaux, Houard peut conclure que les coutumes anglo-normandes présentent "le véritable esprit de notre droit coutumier"1999. Mais, lecteur de Hume, il ajoute qu’à partir de 1066, la souveraineté législative du monarque ne fut plus contestée sauf au cours du règne du faible Jean sans Terre, soumis à l’emprise de la papauté2000. Cantonnés dans une fonction de conseil, les Parlements ne pouvaient alors que présenter "des observations capables d’éclairer le législateur sur le danger de ses lois"2001. Cette tradition séculaire a été bouleversée quand, sous le règne de Jacques Ier, certains juristes avisèrent à sortir de l’oubli les chartes médiévales pour en proposer une interprétation contestable2002. Dès lors, la prérogative royale commença à être dangereusement discutée, puis réduite à néant à la suite de l’accession de Guillaume d’Orange en 1688, si bien que l’actuelle constitution anglaise est "contraire à celle des premiers rois anglo-normands"2003.
69Ces recherches ont rencontré une audience certaine dans les milieux des juristes réformateurs. Elles offrent en effet un instrument efficace au service de la critique de l’ordonnance criminelle de 16702004, mais elles remettent aussi au goût du jour la thèse de la rupture historique constituée par la Conquête. Par sa victoire à la bataille d’Hastings, Guillaume le Bâtard introduit en Angleterre un système politique et juridique étranger à la tradition anglaise. Ainsi, Mirabeau souligne le décalage entre Harold "prince chéri de la nation, remarquable par ses talents et son activité" et Guillaume le Conquérant, roi violent et sanguinaire, accusé d’introduire la féodalité, "despotisme réparti sur plusieurs têtes"2005. Les assemblées de la nation disparaissent pour laisser place au joug de Guillaume, dont le droit à la couronne ne repose sur aucune légitimité. Millot reprend à son compte les conclusions de Hume sur les conséquences de la Conquête.
Le pouvoir arbitraire que [les seigneurs] exerçaient ne pouvait être contrebalancé, comme le remarque M. Hume, que par le pouvoir arbitraire du monarque, sans quoi l’État retombait nécessairement dans l’anarchie2006.
70Mably partage ces conclusions sur l’état de servitude du peuple anglais à l’époque médiévale, car Guillaume a détruit "le gouvernement le plus libre que puisse avoir les hommes" en introduisant la féodalité2007. Mais il préfère souligner la singularité de la monarchie anglaise, qui, à l’inverse des premiers Capétiens, sut asseoir une autorité incontestée sur ses barons en divisant l’Angleterre en fiefs relevant tous directement de la couronne2008. Son aversion pour ce qu’il qualifie de "monstrueuse anarchie du gouvernement féodal" prend en Angleterre un tour spécifique. Cette nation n’a pas eu la tare originelle de son équivalent en France, celle de diluer l’autorité souveraine au profit d’une aristocratie tyrannique. Comme l’avait déjà affirmé de Lolme, les dynasties anglo-normande et Plantagenêt surent en effet conserver les fonctions régaliennes en matière de justice et d’imposition. Cette différence structurelle entre les féodalités française et anglaise explique l’évolution de chacune des deux monarchies : dans l’une, le despotisme de plusieurs, dans l’autre celui d’un seul. Juguler les lois féodales passait en France par l’affirmation de l’autorité monarchique, alors qu’en Angleterre c’est cette autorité qu’il convenait d’encadrer2009. Mais, emporté par sa volonté de donner sens à la liberté anglaise, il propose une vision caricaturale de la féodalité anglo-normande. Pour démontrer la permanence d’une autorité royale incontestée, dont la légitimité n’est fondée que sur le droit de conquête, il emprunte à Hume l’idée d’une division par Guillaume Ier de l’Angleterre en "sept cents baronnies" toutes de petite taille2010. Jamais cette nation n’aurait connu de grandes principautés, ni de vassaux suffisamment puissants pour pouvoir contester l’autorité royale, Mably oubliant pourtant le cas célèbre, simple exemple, du duché de Lancastre, et plus généralement l’intervention constante des grands vassaux, comme le tout puissant comte de Warwick, surnommé le "faiseur de roi", dans la transmission de la couronne XVème lors des guerres civiles des xivème et siècles2011. Affirmer la renaissance des droits de la nation passait alors par ces simplifications historiques.
-La Grande Charte, "boussole"2012 de la liberté anglaise
71Moment essentiel dans l’historique de la constitution anglaise, le texte de 1215 devient le symbole de la liberté anglaise. Seule la haine du baron d’Holbach pour toute forme de gouvernement féodal explique sa critique, en des termes empruntés aux Lettres philosophiques, de cette charte "obscure et très grossière"2013. L’opinion du comte de Mirabeau est plus sûrement partagée quand il y voit un "monument éternel de l’amour [des Anglais] pour la liberté et un rempart de leurs privilèges"2014.
72Si les reproductions du texte de la Grande Charte se multiplient2015, au détriment d’autres documents essentiels dans l’histoire du droit anglais2016, l’interprétation de sa genèse et de son contenu se voit singulièrement renouvelée. Cette charte est présentée comme un véritable traité de paix entre l’agresseur, Jean sans Terre, et ses vassaux, quand Lacombe décrit les barons révoltés comme une "confédération générale contre le cruel despote"2017. Elle permet à l’abbé Millot d’illustrer l’esprit de la nation anglaise, car les barons surent joindre "l’intérêt du peuple à leurs propres intérêts" et ainsi asseoir le "fondement des libertés anglaises"2018. Tout en reconnaissant le caractère flou de la plupart des clauses d’un texte qui dut faire l’objet de nombreuses confirmations, il admet que la charte, garantissant "la propriété et la liberté" des sujets, "changea peu à peu la face du gouvernement"2019. L’exercice des droits politiques de la nation, jusque là interdit par le système féodal, redevint une réalité, comme le montre le bref de Whigham passé sous Edouard Ier en 1295 : "Il est juste que tous approuvent ce qui regardent l’intérêt de tous". À la lecture de ce qui n’est qu’une variante du principe quod omnes tangit, Millot s’enthousiasme pour cette "maxime qu’on croirait née sous un meilleur siècle"2020.
73Mably suit en tous points les conclusions de l’abbé Millot. Le texte de 1215 est élevé au rang de "loi fondamentale" de la monarchie dont elle "affermit les principes"2021. Il montre la sagesse des Anglais puisque la charte protégerait chacun des ordres de la nation, le clergé, comme les grands et le peuple dont les intérêts particuliers sont heureusement conciliés, grâce à l’établissement de "tribuns destinés à veiller à la conservation de la loi"2022. À cette lecture féodale du texte, il ajoute une conception plus moderne en affirmant qu’il contenait "les droits de la nation"2023. Dans De l’étude de l’histoire, il l’inscrit même dans une perspective contractuelle, puisque cette charte, avec celle sur les Forêts concédée deux années plus tard, contient "les droits du roi et des barons, et les immunités de la nation"2024. À l’inverse des common lawyers du siècle précédent, Mably n’est pas cependant pas un historien de la continuité. En affirmant que cette charte contenait toujours certains règlements "barbares", il l’envisage comme la manifestation d’une liberté en devenir, dans une conception progressiste du temps plus proche de Voltaire que de Boulainvilliers. Une simple comparaison avec les autres nations européennes démontre qu’au xiiième siècle, "les Anglais avaient fait des progrès infiniment plus considérables que les autres peuples dans la connaissance de la société"2025. Il étend alors la comparaison par un parallèle souvent suggéré entre la charte de 1215 et les ordonnances de Jean le Bon, qui lui permet de conclure que les Français et les Anglais "obtinrent, ou plutôt se firent, les mêmes droits et les mêmes prérogatives"2026. La liberté ne procède pas ainsi d’une simple concession royale, mais d’une usurpation légitime par le peuple. La suite en a cependant décidé autrement : le texte anglais est devenu "le principe et la base du gouvernement actuel", quand les ordonnances de Jean le Bon ne sont plus qu’un "vain titre dans nos mains"2027. Mably sait cependant sortir d’une perspective strictement historique pour donner corps à ses revendications. Dans Les droits et les devoirs du citoyen, rédigé en 1758 sous la forme d’un dialogue avec Lord Stanhope, connu pour ses sympathies républicaines, ce dernier lance cette interpellation :
Nous autres Anglais, par exemple, nous n’avons jusqu’à présent des idées trop peu nettes sur la puissance royale ; et sous le nom de prérogative, nous laissons au prince une autorité trop étendue, pour pouvoir en élever une république parfaite sur les ruines de la royauté. Nous ne sommes pas dignes de nous gouverner comme les Romains. Vous autres Français, vous êtes encore beaucoup plus loin que nous de ce terme, et pour cheminer sûrement, vous ne devez d’abord aspirer qu’à cette sorte de liberté dont nous jouissons, c’est-à-dire voir établir l’assemblée de vos anciens états généraux2028.
74La tonalité radicale de ces lignes écrites en 1758 est frappante. Peu de publicistes envisageaient à cette date la convocation des États généraux, ce qui explique sans doute que l’ouvrage n’ait été publié qu’à titre posthume en 1789.
75Le comparatisme renforce ainsi le contenu subversif de la lecture de l’histoire anglaise. Au crépuscule du Moyen Age, l’économie de la constitution du gouvernement était similaire des deux côtés de la Manche. Après avoir rappelé l’œuvre réformatrice d’Edouard Ier, affublé du traditionnel titre de "Justinien anglais", Millot insiste sur la dimension européenne des changements politiques de la fin de cette période.
Les souverains de l’Europe favorisaient cette partie de leurs sujets, la plus nombreuse, la plus utile et la plus soumise (…). Pour ne pas exciter des murmures et des séditions, on demandait le consentement du peuple aux taxes que le besoin public obligeait de leur imposer2029.
76De justes bornes avaient été alors imposées à l’autorité royale. Le peuple s’était vu reconnaître le droit d’envoyer ses représentants siéger aux côtés des grands et du clergé dans les assemblées du royaume. L’économiste Jacques Accarias de Serionne décèle dans ces assemblées d’états de l’Europe médiévale "les premiers fondements d’une forme de gouvernement fixe et de la liberté du peuple"2030. Mais l’évolution fut différente, comme le souligne Condillac. Sur le continent, les monarques gagnèrent le soutien du peuple pour combattre l’opposition des grands vassaux, alors qu’en Angleterre, "c’est tout le contraire, parce que les barons donn[èrent aux Communes] entrée au Parlement afin de trouver en elles un appui contre les rois"2031.
77À partir du xvème siècle, le destin de l’Angleterre se singularise. Mably, par exemple, oppose le triomphe du "joug de la monarchie" en France et les "progrès de la liberté" en Angleterre2032. Cette marche vers la liberté politique s’inscrit dans un ressort dialectique élargi, celui d’une tension permanente entre les aspirations despotiques de l’autorité monarchique et l’attachement viscéral des Anglais à leur liberté.
-Despotisme-Liberté : une histoire sous tension
78Personne ne viendrait minorer les troubles qui agitèrent la nation anglaise sous le règne des Tudor. 1485 ouvre une longue période marquée par les velléités despotiques de la Couronne. Cette chronologie du despotisme prend à travers l’exemple anglais un sens particulier. Elle autorise en effet la défense d’un droit non pas théorique comme chez certains membres de l’École du droit naturel moderne, mais d’un droit historicisé de résistance. Celui-ci n’est pas mis en œuvre brutalement selon l’hypothèse contractuelle, ici sousjacente sans être jamais clairement exposée2033. Au contraire, ce droit anime de façon récurrente les revendications du peuple, ou de ses représentants, dans la défense des droits formellement exposés dans la Grande charte. L’idée de "boussole" chère à Mably prend tout son sens. L’acte violent de résistance ne passe plus par le recours au Ciel, selon la formule de Locke, quand Mably refuse la guerre civile ou la sédition qui reviendrait à "violer une des lois les plus sacrées de la société, armer les citoyens les uns contre les autres"2034. Il s’inscrit de façon continue dans une histoire sous tension permanente entre une nation animée par un juste sentiment de liberté et le gouvernement monarchique. Comme l’écrit Mirabeau, "les Anglais ne doivent leurs lois et leur constitution qu’à l’excès de la tyrannie qu’ils renversèrent parce qu’ils ne pouvaient plus la supporter"2035.
79Sauf en de rares occasions, le peuple anglais ne se voit pas accablé de reproches sur son inconstance ou son agitation permanente. Pour Millot, "c’est par de violentes secousses que les États parviennent à une consistance solide et à une sage législation"2036, analyse qui prend des accents véritablement révolutionnaires chez Raynal quand il décrit "le mouvement des législations qui tendent à la liberté".
C’est une fièvre plus ou moins forte, mais toujours convulsive. Tout annonce la sédition. Tout fait trembler pour une dissolution générale ; et si le peuple n’est pas destiné au dernier malheur, c’est dans le sang que sa félicité renaît2037.
80Derrière cette exaltation d’une énergie qui anime la nation anglaise, s’esquisse une critique plus ou moins implicite de la nation française, et de l’état d’indolence, de léthargie dans lequel elle semblerait alors se complaire.
81Le seuil de la marche vers le despotisme, traditionnellement situé dans la whig history à l’accession de Jacques Ier au trône d’Angleterre en 1603, n’est plus retenu. Dans l’historiographie le plus souvent protestante, la question religieuse rendait délicate les attaques contre la dynastie précédente, qui avait eu le mérite de libérer l’Angleterre de l’emprise de Rome. Mais Millot, Raynal ou Mably, trois abbés fort éloignés de toutes préoccupations religieuses, préfèrent retenir comme date le début du règne d’Henri VII2038. Des Tudors aux Stuarts, une même tension absolutiste, incompatible avec les libertés anglaises, anime l’action de la monarchie. L’empire du roi commence à s’étendre aux dépens des droits de la nation. Nouveauté dans la critique de l’arbitraire royal, les atteintes portées aux libertés individuelles retiennent l’attention, devenant une nouvelle manifestation du despotisme. Outre la législation sur la haute trahison passée sous Henri VIII, Millot invoque les exemples de la Cour martiale, de la Chambre Etoilée comme de la juridiction ecclésiastique de la High Commission "pas moins redoutable ni moins destructrice de la liberté" par l’application de la procédure inquisitoire, "instrument de la tyrannie"2039. De même, Mably affirme que ces trois cours de justice "servaient à donner une forme légale à l’injustice et à la violence"2040. Les critiques contre l’autoritarisme des Tudors viennent même écorner le règne mythique de la Reine Vierge, par la multiplication des pratiques arbitraires dont les exemples ne se trouvent dans "aucun pays plus voisin que la Moscovie"2041. Diderot, revenu de son admiration pour Catherine II, n’écrit-il pas : "Supposez aux Anglais trois Elisabeth de suite, et les Anglais seront les derniers esclaves de la terre"2042 ?
82Les manifestations de l’arbitraire royal se retrouvent dans les atteintes portées à l’équilibre du régime mixte, dont Millot trouve une parfaite définition dans l’Answer to the Nineteen Propositions rédigée par Falkland et prononcée devant les Communes par Charles Ier en juin 16422043. En ignorant "la constitution anglaise fondée sur la grande charte", les membres du Parlement devinrent progressivement "esclaves de la cour". Les arguments avancés sont classiques, comme par exemple la possibilité laissée à Henri VIII de prendre des proclamations, ou les convocations de plus en plus espacées des assemblées de la nation2044. Millot comme Mably soulignent à l’envie que la règle du consentement à l’impôt perdait alors toute réalité par la multiplication des taxes indirectes accordées à vie au roi par le Parlement2045. Cette généalogie du despotisme peut prendre des accents plus radicaux. Dans l’Histoire philosophique et politique, Raynal, animé par des sentiments anti-monarchiques d’une rare violence, condamne Jacques Ier pour avoir goutté "le despotisme de la monarchie absolue" alors répandu sur le continent.
[La monarchie absolue] régnait dans toute l’Europe. Égal des autres souverains, comment le nouveau roi n’aurait-il pas ambitionné le même pouvoir ? Ses prédécesseurs en avaient joui depuis un siècle, en Angleterre même (…). Ce prince défendait l’obéissance passive et considérait que les assemblées nationales ne servaient que d’ornements et non de base à la constitution. Les citoyens réclamaient avec chaleur contre ces principes, toujours faibles dès qu’ils sont discutés, et soutenaient que le peuple faisait l’essence du gouvernement, autant et plus que le monarque. L’un est la matière, l’autre est la forme. Or, la matière peut et doit changer la forme pour sa conservation2046.
83Après cette période de guerres civiles, quel sens donner à la Glorieuse Révolution ? Certes le baron d’Holbach exprime une opinion ici partagée par Condillac, en avançant que Jacques II fut chassé "par sa cruauté et son fanatisme tyrannique"2047. Les dispositions du Bill of Rights suscitent la franche adhésion de Contant d’Orville puisque la nation fut alors soumise au seul règne de la loi en posant des "bornes sûres entre les droits du trône et ses privilèges"2048. Pourtant la révolution de 1688 laisse chez ces auteurs un goût d’inachevé. Dans leur lutte ininterrompue contre les décisions arbitraires, les Anglais auraient finalement échoué à encadrer l’autorité monarchique. Presque un siècle après l’entreprise de Guillaume d’Orange, les dispositions du Settlement laissent paraître leurs limites, comme le remarque l’abbé Millot :
Depuis l’expulsion des Stuarts, la prérogative royale était resserrée dans des limites plus étroites ; les actes d’autorité arbitraire furent moins communs, la liberté civile mieux affermie ; mais le souverain n’en fut guère moins puissant2049.
84Il est d’ailleurs frappant de voir combien l’histoire est lue à travers le prisme de la pratique institutionnelle du temps de George III, comme à l’évocation de l’impeachment de Dandy, favori de Charles II. Le refus des Communes de laisser au roi accorder son pardon et ainsi arrêter la mise en accusation de son ministre est pour l’historien "une prétention jusqu’alors inouïe, mais conforme selon les principes d’Angleterre, au gouvernement d’une monarchie limitée, où les ministres sont supposés être comptables à l’assemblée nationale, des abus qu’ils peuvent commettre, par les ordres mêmes du prince"2050. L’analyse de la Glorieuse révolution par Mably est similaire. Juste après avoir résumé les dispositions du Bill of Rights, "loi fondamentale" de l’Angleterre, il s’attaque à Montesquieu, accusé de vanter abusivement la constitution anglaise, dont "l’ouvrage de la liberté n’est qu’ébauchée"2051. En 1688, l’erreur aurait été de s’en prendre à la personne du roi Jacques II, contraint à l’exil, sans penser à s’attaquer "aux vices de la royauté". La Grande charte si chère à Mably, apparaît désormais périmée pour affermir véritablement une liberté devenue illusoire2052.
§ 2 - Les illusions de la liberté anglaise
85Si l’affaire Wilkes peut, pour l’historien, servir de révélateur du sentiment de défiance de plus en plus partagé pour la réalité de la liberté des insulaires, deux éléments caractérisent la critique des institutions anglaises : la perversion des mécanismes de la représentation nationale et les velléités despotiques de l’autorité royale.
-L’affaire Wilkes, un révélateur des limites de la liberté anglaise
86Les publications de ces publicistes français s’inscrivent dans une période de crise de la représentation parlementaire qui secoua l’Angleterre de George III, dont les troubles nés autour de la personne contestée de John Wilkes (1727-1790)2053 constituèrent le point d’orgue. Par son intensité dramatique, cette crise pourrait ressembler à celle née autour de l’affaire La Chalotais, procureur général au parlement de Bretagne. Dans les faits, la crise de Wilkes fut autrement plus violente que l’affaire du parlement de Bretagne, notamment par les manifestations populaires, entraînant la mort d’un "martyr" de la cause wilkiste, le jeune Allen. Le parallèle ne vaut que comme révélateur d’une situation de crise constitutionnelle, d’une part entre le roi de France et les cours souveraines, d’autre part dans le rapport entre les Communes et le roi. Si la postérité n’a pas ratifié l’affirmation de Contant d’Orville selon laquelle "nos descendants s’entretiendront longtemps du fameux M. Wilkes"2054, il est certain que ce politicien à la personnalité ombrageuse a marqué la plupart des contemporains attentifs -ils étaient nombreux -à la situation politique anglaise. Dans son Journal, l’abbé de Véri s’étonne de voir un peuple s’enthousiasmer pour cet homme politique, "de tous les citoyens, le plus mauvais et de tous les hommes le moins estimable"2055, exprimant ainsi une opinion alors partagée par les détracteurs, dans une perspective absolutiste, de la liberté anglaise2056.
87Député à l’origine proche de Pitt, connu pour ses écrits au vitriol dans le North Briton, Wilkes suscite l’ire ministérielle par un article publié en 1763 dans le n° 45 de ce magazine satirique, qui est devenu, selon le marquis de Chastellux, "le symbole mystérieux à qui tout le monde rend hommage"2057. Dans ce célèbre article, le député s’en prend de façon indécente et outrancière à la famille royale, à la prerogative et à Lord Bute, la nationalité écossaise de ce ministre et confident de George III étant le prétexte à de violents propos xénophobes. Arrêté à la suite d’un general warrant et emprisonné à la Tour de Londres, il fut libéré par un writ d’habeas corpus et acclamé, dans une atmosphère proche de l’émeute, par le peuple londonien criant "Wilkes and Liberty"2058. Les correspondances diplomatiques rapportant cet épisode de la vie parlementaire anglaise décrivent avec effroi une ville de Londres gagnée pendant plusieurs semaines par la terreur exercée par le petit peuple2059.
88C’est au prisme de cet épisode que peut seul se comprendre l’admiration réelle, mais éphémère et opportune, de Rousseau pour l’Angleterre, pays qu’il eut le loisir de connaître lors d’un long séjour de janvier 1766 à mai 1767. Si la correspondance de cette période de sa vie montre qu’une place plus importante était laissée aux conséquences de sa fameuse brouille avec Hume, qu’à des réflexions sur la constitution anglaise2060, il est certain que Rousseau n’a jamais éprouvé la moindre attraction pour cette nation. Bien plus, il a manifesté tout au long de sa vie une réelle aversion pour les insulaires, illustrée par ces aveux limpides laissés dans ses Confessions : "Je n’ai jamais aimé l’Angleterre, ni les Anglais"2061, comme dans l’Emile, où il laisse échapper une éclairante allusion à la "barbarie anglaise"2062.
89Entre le Contrat social publié en 1762 et son projet constitutionnel pour la Pologne rédigé en 1771, deux critiques du modèle anglais, Rousseau a pourtant laissé transparaître des sentiments contraires dans ses Lettres écrites de la Montagne. Ce dernier ouvrage est une réponse polémique à l’arrêt du Petit Conseil de Genève qui avait condamné ses œuvres à être brûlées. S’identifiant à Wilkes, il invoque opportunément, contre l’arbitraire des institutions genevoises la liberté anglaise, qui prend tout son éclat dans la décision du King’s Bench.
Tout Anglais à l’abri des lois peut braver la puissance royale ; le dernier du peuple peut exiger et obtenir la réparation la plus authentique s’il est le moins du monde offensé2063.
90Peu au fait de la procédure anglaise, Rousseau assimile un peu rapidement la décision du King’s Bench avec la procédure genevoise des "représentations" (pétitions) au Conseil général, organe collégial souverain, en affirmant que Wilkes fut libéré en présentant "requête au Parlement comme ayant été jugé contraire aux lois"2064. Il file ensuite la comparaison entre le pouvoir du Conseil souverain défini par un édit de 1738, et celui du monarque anglais, tout au bénéfice de ce dernier. Quand le Conseil est "souverain de son propre chef", la souveraineté est établie en Angleterre "en vertu de la loi et seulement par attribution et députation", l’autorité législative résidant dans le Parlement, qui peut tout, même changer la loi fondamentale, par la réunion de la volonté des trois ordres2065. Le droit de veto comme le droit de convocation et de dissolution sont les deux seules prérogatives royales reconnues par la loi. Reprenant une formule commune chez les admirateurs des institutions anglaises, il constate alors que la loi ne laisse "aucune puissance au roi pour faire le mal, lui en donne une très grande pour faire le bien"2066. Le Parlement, réuni chaque année pour consentir à l’impôt, dispose lui d’une partie du pouvoir législatif, fonction que Rousseau décrit en des termes admiratifs2067. Il participe également au pouvoir exécutif par la procédure d’impeachment, rapportée de façon confuse, s’agissant de "la partie de la puissance exécutive que [les chambres] exercent et conjointement et séparément, tant dans la Chambre des Communes, qui connaît des griefs publics et des atteintes portées aux lois, que dans la Chambre des Pairs, juges suprêmes dans les matières criminelles, et surtout dans celles qui ont rapport aux crimes d’État". Si Rousseau reconnaît que le roi, disposant des emplois et bénéfices, peut corrompre le législateur, il s’empresse d’ajouter que "la corruption est un abus de liberté ; mais elle est une preuve que la liberté existe"2068, propos pour le moins surprenant sous la plume de l’auteur du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes ! L’Angleterre apparaît ainsi dans cet écrit polémique comme la terre d’élection de la liberté par la loi. En référence aux conflits qui opposèrent les Stuarts, notamment Charles Ier et Jacques II, au King’s Bench, celui-là même qui libéra Wilkes, il avance les précédents de l’histoire anglaise "pleine de preuves de la résistance qu’ont faite les officiers royaux à leur princes, quand ils ont voulu transgresser les lois". Cette évocation permet de critiquer l’attitude soumise du Petit Conseil, qui avait condamné ses œuvres. Si la fin première de l’ouvrage est destinée à critiquer les institutions genevoises, il n’empêche que Rousseau propose comme modèle l’exemple anglais : "Voilà, Monsieur, quel est le droit négatif du Roi d’Angleterre. Si vos magistrats n’en réclament qu’un pareil je vous conseille de ne le leur pas contester"2069. Cette admiration sera cependant éphémère, comme le démontre les suites de "l’affaire" Wilkes.
91Contraint à l’exil en France, l’homme politique anglais noue de nombreuses relations avec le parti des philosophes, comme d’Holbach, Diderot ou Suard2070. De retour en Angleterre, il est triomphalement élu député du comté de Middlesex lors des élections générales de 1768. Mais les Communes, sous l’influence de Lord Bute, décident d’invalider l’élection de ce dangereux trublion. Lors de trois élections partielles, les électeurs du Middlesex maintiennent cependant leur choix, le député n’étant admis à siéger aux Communes qu’en 1774. À cette occasion, les institutions anglaises ont montré un autre visage. Alors en Angleterre depuis dix ans, Marat publie les Chains of Slavery, qui ne furent traduites qu’en 1792, où il prend parti pour la cause wilkiste dans son "Adresse aux électeurs de la Grande-Bretagne", suppliant ces derniers d’envoyer au Parlement, "glorieux boulevard de la liberté britannique", des "hommes distingués par leur habilité, leur intégrité et leur civisme"2071. L’enthousiasme passager de Rousseau pour la constitution anglaise s’effrite rapidement quand il affirme dans ses Considérations : "Désormais, on n’admettra plus dans la Chambre des Communes que des sujets qui conviennent à la cour"2072. Dans une lettre publiée par le Courrier du Bas-Rhin, Diderot apporte à son tour son soutien à ce nouveau martyr de l’arbitraire ministériel2073.
92Parfaite démonstration de l’injustice de la procédure électorale, l’affaire Wilkes sert alors de catalyseur à un vaste mouvement réformateur animé par les whigs radicaux2074. Lecteurs insatiables des gazettes et des écrits d’outre-Manche, les observateurs français de la vie politique anglaise se contenteront le plus souvent de reprendre les arguments alors avancés par ces publicistes.
-Une nation contrainte au mutisme politique
93À l’inverse des penseurs absolutistes qui rejetaient le modèle anglais au nom d’une union entre le roi et le corps politique du royaume, mystique pour les uns, patriotique et paternelle pour les autres, le rejet des publicistes ici évoqués obéit à une toute autre logique, à savoir l’incapacité de la nation anglaise à voir ses intérêts représentés à la Chambre des Communes, contrainte dès lors au mutisme politique.
94La cause première de cette incapacité réside dans la corruption électorale. L’argument avancé depuis le début du siècle ne fait que gagner en densité. Il n’est pas un contempteur de la constitution anglaise qui ne fasse référence au détournement de la représentation par les pratiques de brigue, de corruption, de débauches qui s’installent lors de chacune des consultations électorales. Si l’on en croit le baron d’Holbach,
C’est au milieu des rixes, des cabales, des combats sanglants d’une troupe ainsi composée, le plus souvent plongée dans la crapule et l’ivresse, que s’élisent les hommes qui seront chargés de défendre la liberté publique2075.
95Pour Madame du Boccage, vouloir se faire élire exige de "régaler et enivrer dans les cabarets pour obtenir le plus de suffrages"2076. Seule nouveauté, les mécanismes de la corruption deviennent mieux connus, notamment grâce à la lecture des papiers publics et des traductions d’ouvrages anglais. Parmi les innombrables sources à la disposition des contemporains, il est possible de retenir l’Histoire d’Angleterre de Targe. Reprenant les conclusions de l’Écossais Smollet, qui n’a aucune sympathie pour l’Angleterre des Hanovre, l’historien français souligne à l’envie l’influence de la haute et de la petite noblesse dans la désignation des candidats aux Communes, mais aussi des shérifs "qui tiennent leurs places du ministère"2077. Les différents statuts visant à éradiquer les cas de tricheries et de brigues montrent tous leur limite, notamment par la prolifération du "parjure politique" ou par les ventes fictives de terres, "le transport de biens passés avec une contre-lettre" permettant d’acquérir en toute illégalité la qualité d’électeur2078.
96Ces pratiques électorales et parlementaires contribuent à la dilution du lien entre le député et ses commettants. Mais quand les réformateurs anglais souhaitent pallier cet inconvénient par le recours aux instructions faites aux députés en cours de mandat2079, les publicistes français, à l’exception notoire de Jean-Jacques Rousseau, préfèrent la vieille pratique du mandat impératif utilisée jusqu’aux États généraux de 1614. Le citoyen de Genève établit l’un des principes essentiels du "droit politique", l’inaliénabilité de la souveraineté appartenant en totalité au corps du peuple, au regard de la pratique constitutionnelle anglaise. Il convient certes de nuancer la méfiance de Rousseau pour la liberté anglaise traditionnellement mise en avant par les commentateurs. La nature mixte du gouvernement de cette nation, où "les parties constitutives sont dans une dépendance mutuelle", va à l’encontre de sa préférence pour le "gouvernement simple", le "meilleur de soi"2080. Mais n’écrit-il pas dans le Contrat social, que les Anglais sont "plus près de la liberté que tous les autres2081, opinion qui se retrouve dans La nouvelle Héloïse, où le personnage de Milord Edouard incarne la noblesse anglaise, "noblesse la plus éclairée, la mieux instruite, la plus sage, et la plus brave de l’Europe"2082 ? Il n’empêche que dans l’un des plus célèbres passages du Contrat social, il affirme :
Toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi. Le peuple anglais pense être libre ; il se trompe fort, il ne l’est que durant l’élection des membres du Parlement ; sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien2083.
97Souvent repris par les adversaires du modèle anglais2084, ce propos scandalisa Voltaire, qui ironisa sur l’absurdité d’une telle proposition : "Voudrait-il que trois millions de citoyens vissent donner leur voix à Westminster2085" ? En théorie, Rousseau postule l’impossibilité et l’inanité de la représentation du peuple, principe qui historiquement ne serait pas né, comme l’avait affirmé Montesquieu, de l’impossibilité pour les Germains sédentarisés de participer physiquement aux assemblées dans un grand pays. La généalogie de cette forme de gouvernement est autrement plus récente, puisqu’elle apparaît avec l’"inique et absurde" gouvernement féodal. La représentation est incompatible avec sa conception révolutionnaire de la volonté générale. La liberté politique repose sur un impératif de participation du peuple à la vie de la cité qui ne peut s’épanouir dans le cadre sylvesque propre à la civilisation des Germains, mais dans le marbre austère et républicain sur lequel étaient assis les citoyens de l’Urbs. Rousseau concède néanmoins la possibilité d’un recours au mandat impératif dans ses Considérations sur le gouvernement de Pologne. Dans le chapitre sept de ce projet constitutionnel, qui s’apparente par bien des aspects à un renversement des thèses exposées dans le Livre XI de L’Esprit des lois, il dénonce "la négligence", "l’incurie" et la "stupidité" de la nation anglaise qui n’a pas su établir des moyens de contrôle de l’action de ses députés2086. Aussi, le mandat n’est ici qu’une concession, empreinte de pessimisme, à la possibilité d’une réelle liberté politique dans un grande nation. Afin de se prémunir des risques de corruption dont l’Angleterre offre un triste exemple2087, Rousseau suggère une procédure particulièrement lourde, qui seule permettra le respect de la volonté politique des commettants2088.
98Diderot comme d’Holbach reprendront le même argument critique, mais au service de principes constitutionnels différents. La représentation s’intègre dans un idéal de monarchie tempérée, tandis que chez Rousseau, elle est niée d’un point de vue théorique, devenant simplement admissible à l’épreuve des faits, comme en Pologne. D’ailleurs, quand Catherine II s’interroge sur la nécessité d’avoir "un parlement à l’anglaise", Diderot lui répond : "Si Votre Majesté Impériale pouvait le créer d’un coup de balai, je crois qu’il existerait demain"2089. Mais la pratique constitutionnelle lui démontre les limites de la liberté anglaise. Au début de l’article "représentants" de l’Encyclopédie, Diderot rappelle que dans les monarchies tempérées, le monarque n’est le dépositaire que du seul pouvoir exécutif, le pouvoir législatif étant partagé entre le roi et "l’assemblée générale des trois ordres de la nation britannique, composée du clergé, de la noblesse et des Communes"2090. Dans ce schéma, qui méconnaît le bicaméralisme anglais, par ignorance ou par volonté polémique, au profit du système traditionnel des États généraux, les représentants "sont subordonnés et ne sont que les organes" de leurs constituants, simples mandataires des droits de la nation considérés comme "imprescriptibles et inaliénables". Dans une allusion transparente aux "pays qui se flattent de jouir de la plus grande liberté", la réalité anglaise montre que les députés, en s’écartant de ce principe, "ne trahissent que trop souvent leurs intérêts et livrent leurs constituants à l’avidité de ceux qui veulent les dépouiller"2091. Le baron d’Holbach, qui partage avec Diderot une admiration pour Locke et Sidney, critique en des termes similaires les Communes, "assemblée tumultueuse et discordante de représentants, qui, une fois élus, ne prétendent plus être comptables à leurs représentants"2092. Afin d’astreindre les députés à leur fonction première de mandataires de volontés individuelles, il souhaite les voir rendre compte aux électeurs de "l’emploi des fonds destinés au maintien de la chose publique", ces derniers disposant même d’un "pouvoir de punir des représentants prévaricateurs"2093.
99Mably est tout aussi attaché au principe du gouvernement représentatif, les exemples anglais et suédois étant même défendus avec vigueur contre les critiques des physiocrates2094. Pour lui, les députés doivent "rendre compte de leur conduite, qu’on examine avec attention et sans haine"2095. L’exemple de Mably, comme ceux de Diderot ou d’Holbach, illustrent cependant l’évolution de la notion de mandat impératif, qui perd ici de sa rigueur et de ses exigences pratiques. Aucun de ces trois auteurs ne propose en effet, à l’inverse de Rousseau, une procédure formelle de mise par écrit d’instructions liant les députés à leurs commettants, empêchant ces derniers de prendre toute disposition non prévue par les termes du mandat. Le lien de droit privé -illustré par la procuration passée devant notaire caractéristique de la pratique des anciennes assemblées d’États-, laisse la place à une simple relation de droit public entre un corps politique et ses représentants. L’hypothèse d’un député obligé de retourner dans son bailliage pour connaître l’opinion de ses commettants sur une situation non prévue par la procuration n’est jamais évoquée. Ces auteurs préfèrent insister sur la relation de confiance entre gouvernants et gouvernés, les premiers devant répondre de leurs actes et être confirmés dans leurs fonctions lors des élections, ceci afin d’éviter toutes les entreprises de séduction par l’exécutif monarchique.
100Un autre mécanisme qui permettrait de rendre effective la participation de la nation aux affaires de l’État serait la révocation du Septennial Act de 1716. Millot souhaite ainsi le rétablissement du Triennal Act de 1694, "rempart de la liberté nationale"2096. Mably lui ne se réfère pas au texte passé sous Guillaume d’Orange, mais, illustration du caractère révolutionnaire de la revendication, à celui de 1641, autorisant les pairs, et même les shérifs, à se substituer à la volonté monarchique défaillante pour convoquer un nouveau Parlement tous les trois ans, et privant le roi de son droit de dissoudre le Parlement sans son consentement2097. Comme d’Holbach, Rousseau considère le statut de 1716 comme "une faute dont les Anglais n’ont pas à se repentir"2098. Aussi conseille-t-il aux Polonais d’assurer l’élection annuelle des membres de la Diète, au risque sinon de perdre, à l’exemple de l’Angleterre, toute liberté. "Le même Parlement, note Rousseau, dure si longtemps, que la cour, qui s’épuiserait à l’acheter tous les ans, trouve son compte à l’acheter pour sept, et n’y manque pas"2099.
101Un dernier argument viendra conforter les publicistes français sur le caractère périmé d’une liberté anglaise fondée sur un système représentatif défectueux : l’inégale répartition des sièges de députés. Encore une fois, l’influence des débats politiques anglais est déterminante, puisque cette question deviendra un sujet de débat public en Angleterre à partir de la publication des Political Disquisitions de James Burgh en 1771, pour devenir un véritable objet discussion dans le Parlement réuni après les élections générales de 17802100. Il n’est alors guère surprenant que ces critiques ne se retrouvent que dans la décennie précédant la Révolution. Dans son Dictionnaire, Prost de Royer rapporte l’incohérence de la carte électorale en évoquant le cas fameux du bourg dépeuplé d’Oldsarum envoyant deux députés, quand Londres n’en a que quatre et les villes du Nord de l’île comme Leeds, Manchester et Suffield, tout simplement aucun. Et le juriste de citer une petition présentée aux Communes prouvant que "cinquante six représentants sont nommés par trois cent soixante quatre électeurs, et qu’il s’en trouve au moins le double dont le choix dépend d’une vingtaine de particuliers propriétaires des bourgs"2101. Plus éclairant est l’exemple du jeune Brissot traversant la Manche en 1782, persuadé de trouver en Angleterre la terre d’élection de la liberté politique. Au cours des premiers jours de son séjour, il ne peut que s’enthousiasmer pour "l’excellence de la constitution britannique"2102. Mais la vie parlementaire anglaise lui démontre très vite les limites de cette liberté. Dénonçant l’opinion de Montesquieu, de Blackstone et de Lolme, Brissot préfère marcher sur les pas de Priesley et de Williams dans sa critique de la représentation parlementaire. Dans ce système qui "renferme une foule d’abus", il retient le caractère trop restreint du droit de suffrage, l’inégalité dans la distribution des sièges de députés, la corruption et de façon plus originale, le droit d’élire un candidat ne résidant pas dans la circonscription : "Étranger, comment connaît-on ses talents ? Étranger, comment connaîtra-t-il les intérêts de ses constituants"2103 ? Le rejet des projets de réformes présentés par Sawbridge et Pitt est ainsi la confirmation du "peu d’influence du peuple dans la balance politique du Parlement". Pour Brissot, qui se réfère à "l’esclavage" du peuple anglais déjà dénoncé par Rousseau, l’exemple anglais constitue une violation explicite du principe premier de la liberté politique.
Il convient que les droits de la nation ne soient jamais confiés à des représentants incontrôlables ; qu’elle conserve le droit et la force d’appliquer le remède au mal politique, la censure à la faute politique2104.
102Dans une note ajoutée à la traduction des Lettres sur la liberté politique, il peut alors fustiger "l’extravagante idée de la représentation virtuelle", qui permettrait aux députés de représenter, en dépit de la réalité, le peuple anglais dans son entier, même les colonies, et de délibérer indépendamment de sa volonté. À cette conception, il oppose la notion de "représentation personnelle", qui fait du député un porte-parole des intérêts de ses électeurs2105.
103À la veille de la Révolution, Condorcet est sans doute l’un des publicistes les plus critiques du système représentatif anglais, et plus généralement de l’ensemble des institutions de cette nation. Le tenant d’une conception de l’ordre social fondé sur le seul critère rationnel de la propriété, le théoricien de la science mathématique appliquée à la décision politique ou juridique2106 ne peut reconnaître la moindre qualité à une institution "gothique", simple produit de l’histoire et incapable de se réformer. Par son système représentatif, l’Angleterre se voit soumise à un "despotisme indirect". La chambre des Communes, sensée selon la constitution représenter la nation, n’est dans les faits qu’un "corps aristocratique dont quarante ou cinquante personnes, soit ministres, soit pairs, soit membres des Communes, dictent les résolutions"2107. Rien n’échappe à la critique du philosophe-mathématicien : la distinction entre les députés des bourgs et ceux des comtés, qui provoque une sous-représentation des habitants des campagnes2108, les élections dominées par l’esprit de parti2109, les pratiques de corruption, qui par la distribution d’argent, empêchent la prise d’une décision rationnelle par les citoyens2110, la possibilité laissée aux fils puînés des pairs d’accéder à la chambre basse2111, et enfin, argument le plus original pour son temps, l’absence de droits politiques pour les femmes. Ainsi, "toute femme est en droit de refuser de payer les taxes parlementaires"2112 ! Si, dans les faits, la représentation conduit à la formation de "familles patriciennes", c’est plus généralement le système même de la représentation en Angleterre qui emporte la condamnation de Condorcet.
Le vice des élections anglaises est dans leur forme même, et non dans l’égalité légale établie entre tous les citoyens qui ne sont pas élevés à la pairie2113.
104Les arguments avancés dans ce vaste courant critique du système représentatif se trouvent réunis dans l’Examen du gouvernement d’Angleterre de l’américain John Stevens, où de substantielles notes furent ajoutées, notamment par Dupont de Nemours et Condorcet2114. Les auteurs soulignent les erreurs du modèle anglais qui n’a su établir une véritable représentation nationale. Exceptés les seize pairs écossais, la chambre haute ne peut prétendre à une quelconque représentativité puisqu’elle "tient une partie de la souveraineté en bail à vie héréditaire"2115. Le rejet de principe du bicaméralisme, qui suppose une distinction de nature aristocratique, se trouve conforté par la représentation injuste de la nation dans les Communes. L’inégalité dans la répartition des sièges électoraux est illustrée par le fait que les deux universités d’Oxford et de Cambridge envoient chacune deux députés quand les villes de Birmingham et de Manchester ne sont pas représentées. D’une part, la moitié des députés ne sont désignés que par six mille électeurs des rotten boroughs, quand l’autre moitié ne réunit elle que des "délégués infidèles aux ordres et à la solde du citoyen éminent, du co-souverain britannique qu’on appelle Roi, et de ses ministres"2116. Face à la généralisation de la corruption et de la brigue, les commentateurs de l’Examen du gouvernement d’Angleterre reprennent alors à James Burgh sa définition de la constitution anglaise : une "juntocratie, c’est-à-dire un gouvernement de ministres et de leurs cabales"2117.
105En effet, au-delà de la perversion de la représentation, un nouveau fléau menace l’Angleterre, le despotisme, incarné par George III.
-George III, le nouveau visage du despotisme
106La corruption perturbe l’équilibre de la constitution en soumettant l’une des parties à l’emprise de l’autre. En effet, cette perversion tourne au profit de la Couronne qui peut, face à une nation muette, étendre son influence sur les membres du Parlement, comme le souligne clairement d’Holbach :
Les prérogatives immenses accordées à un Roi que [la nation] fait l’exécuteur des lois auquel seul il donne leur sanction, qu’elle rend dépositaire du trésor public, qu’elle laisse maître absolu des armes, ces prérogatives, dis-je, suffisent pour le mettre à porter de subjuguer, quand il sera entreprenant, tous ceux qu’il ne pourra gagner par ses largesses, ses titres et ses places2118.
107À peine entré à Westminster, le député perd tout esprit d’indépendance, immédiatement soumis à l’emprise de l’exécutif monarchique. Au xviiième siècle, l’influence royale s’exerçait soit par la distribution d’offices et de sinécures, positions le plus souvent honorifiques mais source de revenus considérables, soit par la passation de contrats publics2119. Sans que ces points ne soient précisés, un noir tableau de la fonction de député est invariablement rapporté dans les écrits de Millot ou du baron d’Holbach2120. Toutes les tentatives de réformes, comme le Peerage bill qui aurait été "tout à l’avantage de la liberté publique" en supprimant le droit reconnu au roi d’élever un fidèle sujet à la pairie, se heurtent selon Diderot à l’opposition de députés égoïstes, soucieux de leurs seuls intérêts2121.
108L’abbé de Mably offre sans aucun doute la réponse la plus aboutie à ce despotisme de George III, par une théorie originale de la séparation des pouvoirs, qui s’épanouit en réaction à la pratique anglaise. À la suite de Rousseau2122, Mably en vient à contester dans certains de ses écrits, le principe même de l’hérédité monarchique consacré en Angleterre2123. Sans aller jusqu’à récuser l’idée de séparation des pouvoirs au nom de la souveraineté populaire défendue par le Genevois2124, sa hantise du despotisme le conduit à une critique radicale de la prerogative royale. Sauf dans l’Ordre naturel et essentiel des sociétés politiques, où il défend le régime mixte à l’anglaise par le mécanisme des "contre-forces" en réponse à l’apologie du despotisme légal exposée par Mercier de La Rivière2125, Mably propose un schéma constitutionnel plus original qui part de ce constat :
Le roi peut beaucoup de choses sans le Parlement ; mais au contraire le Parlement ne peut rien sans le roi : où est donc cette balance à laquelle on attribue des effets si salutaires2126 ?
109Mably peut alors rapporter les compétences excessives de l’exécutif monarchique : monopole dans la distribution des charges et des dignités, attribution d’une Liste civile qui permet l’achat des députés2127, désignation de ministres révocables ad nutum, par le seul caprice du souverain2128, droit de conférer le titre de pairs, qui "permet de se faire des partisans en flattant l’ambition des citoyens"2129, et donc de législateur. L’attribution d’un droit de veto conduit à soumettre la puissance législative, "âme de la constitution", à la puissance exécutive. Contre le principe de l’équilibre entre le roi et Parlement, Mably suggère ainsi l’idée d’un exécutif monarchique strictement entendu, soumis au Parlement qui se voit reconnaître la totalité du pouvoir législatif. En vertu de ce principe de la souveraineté nationale, les Anglais pourront alors réformer leurs institutions. L’argument de la prescription n’est en l’espèce guère recevable pour s’opposer à ces réformes. Pertinent quand il a trait aux "droits des citoyens", cet argument ne l’est plus pour "les principes de gouvernement". La nation souveraine peut retirer tous les droits qu’elle a délégués2130. Simple ministre de la loi, le roi n’aurait plus ni le droit de déclarer la guerre, ni d’administrer les finances confiées à des "commissaires du Parlement", en référence au Subsidy Act de 1624 voté la dernière année du règne de Jacques Ier et jamais appliqué2131, ni même celui de convoquer et de dissoudre le Parlement. Alors que Montesquieu laissait au roi les moyens de se prémunir des empiétements du pouvoir législatif, Mably préfère un roi "homme privé", "ministre de la loi" qui partage avec l’assemblée le seul pouvoir exécutif2132. Mably défend ainsi le principe de la stricte séparation et de la spécialisation des autorités de l’État, par une définition du "gouvernement mixte" qui n’a plus grand chose à voir avec l’idéal constitutionnel de Rapin-Thoyras ou de Voltaire.
Ceux qui en ont retiré le plus grand avantage, ce sont ceux qui ont abandonné la puissance législative au corps entier de la nation, et confié la puissance exécutrice à un plus grand nombre de magistrats2133.
110À travers ce programme constitutionnel, Mably, emporté par son angoisse du pouvoir monarchique intrinsèquement despotique, en vient ainsi à retrouver non pas les thèses de Locke ou Sidney, mais celles des puritains du xviième siècle, pour lesquelles il avait d’ailleurs une sympathie non dissimulée. Contrairement à la plupart de ses contemporains, il refuse de les accabler, préférant souligner "le fanatisme et l’amour de la liberté", qui animaient leur action2134.
111À la veille de la Révolution se développe un courant doctrinal hérité de Rousseau et Mably qui exalte la souveraineté nationale aux dépens de l’exécutif monarchique. La même hantise des tentations despotiques du monarque se retrouve ainsi chez Brissot, qui redoute que "la responsabilité ministérielle ne soit qu’un vain mot avec lequel on berce de grands enfants"2135. Les importantes réformes du court ministère Rockingham de 1782, visant à briser les armes de l’influence royale (suppression des offices de sinécure, inéligibilité des officiers de l’administration financière ou des bénéficiaires de contrats publics)2136 n’eurent selon Brissot aucune aux efficacité. Alors que le ministère du Pitt le Jeune, en dépit du soutien des Lords et du roi, rencontre un opposition grandissante d’une majorité de députés des Communes réunis autour de Charles Fox et de Lord North, George III décide en mars 1784 la dissolution du Parlement. Au vue de la victoire triomphale de Pitt, Brissot considère que "les rois peuvent conserver leurs ministres malgré la désapprobation du Parlement, malgré la majorité de la Chambre des Communes"2137. Condorcet considère dans le même sens que le droit de dissolution est "un acte de despotisme" et refuse au roi la prérogative de "changer les ministres d’État, toutes les fois et de la manière qu’il lui plaît, sans que le peuple et le Parlement aient le droit de s’en mêler"2138.
112Si, dans la seconde partie du siècle, le modèle anglais devient une référence incontournable, présent dans tous les champs de la réflexion politique, il apparaît de façon éclatée. Il est difficile de croire qu’il ait pu exister des opinions aussi contradictoires sur une même réalité. C’est peut-être dans le Discours sur l’universalité de la langue française de Rivarol que figure le plus clairement l’ambiguïté de cette attraction-répulsion qui caractérise alors l’attitude des élites françaises vis-à-vis de l’Angleterre :
Comme elle doit toute sa splendeur à l’Océan qui l’environne, il faut qu’elle l’habite, qu’elle le cultive, qu’elle se l’approprie. Il faut que cet esprit d’inquiétude et d’impatience auquel elle doit sa liberté se consume au dedans s’il n’éclate au dehors (…). De sorte qu’à toute l’estime qu’on ne peut refuser à une nation puissante et éclairée, les autres peuples joignent toujours un peu de haine, mêlée de crainte et d’envie2139.
113Cette nation accapare deux courants de critiques qui font éclater le schéma souvent avancé anglophilie-anti-absolutisme et anglophobie-absolutisme. Le rejet des institutions anglaises se fait au nom d’idéologies plurielles, voire antagonistes, et avec des arguments différents. La première pourfend l’Angleterre pour mieux souligner les mérites des institutions françaises, quand la seconde dénonce les illusions de la liberté anglaise, dénonciation qui, en creux, est également valable pour la réalité de la liberté française.
114Cette dernière critique très radicale, porteuse de principes révolutionnaires, de la constitution anglaise, se conjugue avec une attirance de plus en plus manifeste pour une autre nation, cette fois réellement libre. La liberté, qui a perdu toute effectivité dans l’Angleterre monarchique, a dû trouver refuge ailleurs. Dans les quinze dernières années qui précèdent la convocation des États généraux, émerge un nouveau modèle américain qui viendra concurrencer le modèle anglais.
Notes de bas de page
1834 F. Acomb, Anglophobia…, op. cit., p. IX, et les chapitres 2 ("The Conservatives") et 3 ("The Liberals"). Au-delà de l’anachronisme de la typologie, les physiocrates, qui sont assurément des "liberals" en matière économique, s’inscrivent dans la tradition absolutiste pour critiquer la constitution anglaise.
1835 Bodin, Les six livre de la République, op. cit., Liv. II, 1, p. 21.
1836 F. M. Grimm, Correspondance littéraire, M. Tourneux (éd.), Paris, respectivement mai 1756, t. III, p. 280 ; janvier 1759, t. IV, p. 66 ; mars 1759, t. IV, p. 92 ; avril 1760, t. IV, p. 231.
1837 E. Dziembowski, Vers un nouveau patriotisme, op. cit., p. 249.
1838 Par exemple, ces vers de Lefebvre de Beauvray : "O, Byng, infortuné, ton ingrate Patrie / T’arrache en même temps l’honneur et la vie ; / Tel est l’indigne prix de tes soins glorieux. / Gouvernement bizarre ! O peuple impérieux…" (Adresse à la nation angloise, poème patriotique fait par un citoyen sur la guerre présente, Amsterdam, 1757, p. 6). Dans la même veine, L’alcibionide, ou l’Anglois démasqué (Aix, J. William) de Chevrier a pour épître dédicatoire "Aux mannes d’Olivier Cromwell, assassin de son roi, persécuteur du Parlement d’Angleterre sous le titre de protecteur de la nation".
1839 Choiseul commande à Favart une pièce pour célébrer le traité de Paris. Montée à la Comédie Française en mars 1763, L’Anglais à Bordeaux célèbre l’alliance entre des nations en se limitant à quelques piques contre l’Albion (E. Dziembowski, op. cit., p. 184-191).
1840 J. Krynen, L’empire du roi, op. cit., p. 338.
1841 Sur le rôle de Moreau auprès dans l’administration de Choiseul, voir E. Dziembowski, "Les débuts d’un publiciste au service de la monarchie : l’activité littéraire de Jacob-Nicolas Moreau pendant la Guerre de Sept Ans" Revue d’histoire diplomatique, 4, 1995, p. 306-33 ; sur sa fonction de précepteur -"officieux" car simple roturier- des enfants de Louis XV, voir J.-M. Carbasse, "Loi et justice chez Jacob-Nicolas Moreau : les leçons du Discours sur la justice à l’usage du Dauphin (1767)", Actes du XIVème colloque de l’AFHIP, Aix-en-Provence, PUAM, .
1842 R. Villers, L’organisation du Parlement de Paris et des Conseils supérieurs d’après la réforme Maupeou, thèse droit, Paris, 1937, p. 271-272.
1843 Voir infra, chapitre 3.
1844 [Bonnaire], L’Esprit des lois quintessencié, s.l., 1751, t. I, p. 327, donnant pour exemple le fait que la justice ne peut être séparée de la puissance exécutive (p. 331). À propos du Livre XIX, il accuse Montesquieu d’avoir fait du peuple anglais "un produit de son imagination" dont il a "tiré son horoscope" (t. II, p. 64) !
1845 [De Lavie], Des corps politiques et de leurs gouvernements, 4ème éd., Lyon, 1767, t. III, p. 239, ce qui lui permet d’affirmer : "Ce que l’Angleterre a de plus grand, n’est pas sa constitution, (…), c’est le sentiment de liberté gravé dans les cœurs ; c’est la constitution de l’esprit plutôt que celle de l’État" (p. 348). La première édition fut publiée en 1755 sous le titre Abrégé de la république de Bodin, qui suggère, en digne héritier du juriste angevin, une critique du régime mixte, mais qui souhaite voir reconnaître des attributions fiscales à des assemblées composées de représentants de la noblesse et du peuple. Voir J.-P. Duprat, "Le président Jean-Charles de Lavie critique de L’Esprit des lois", Études offertes à Pierre Jaubert, Bordeaux, P.U.B., 1992, p. 189-202 (p. 191-193).
1846 De Lavie, op. cit., t. III, p. 322.
1847 Ibid., p. 315 et 319.
1848 Ibid., p. 323.
1849 Voir l’étude de J.-L. Mestre, "“La science du gouvernement” de Gaspard de Réal", Annales de l’Université des sciences sociales de Toulouse, 31, 1983, p. 101-114.
1850 G. de Réal, La science du gouvernement, op. cit., t. II, p. 333.
1851 Ibid., t. IV, p. 305. Au terme d’une longue réfutation des thèses de Sidney sur le droit de résistance, il marque son adhésion pour une délégation originaire de la souveraineté du peuple au roi, qui depuis ne doit rendre de compte qu’à Dieu : "L’autorité de faire des lois cesse de résider dans le peuple qui s’en est dépouillée ; elle réside dans le roi à qui Dieu communique sa puissance pour le régir" (p. 337).
1852 Ibid., t. I, p. 369 et 370.
1853 Ibid., t. II, p. 358. Contre l’opinion de Sidney, il rappelle que cette charte, loin d’être une déclaration des libertés de la nation, fut une simple concession royale de privilèges (ibid., p. 359-360). Sur les institutions anglaises, il fait le plus souvent œuvre de compilateur, s’inspirant ainsi de l’Histoire du parlement d’Angleterre de Raynal dans son bref historique des assemblées représentatives, à l’origine simples "conventicules séditieux" (t. II, p. 361-363). Il souligne le bouleversement des règles dynastiques opéré en 1689, et qui "depuis 61 ans", divise les Anglais entre les jacobites, partisans d’un roi de jure, de droit divin par succession héréditaire, et les partisans d’un roi de facto ralliés à la dynastie des Hanovre, thèse qui remonte à Henri VII, proclamant que "la Couronne, dès qu’on la porte, purge les titres de tout défaut" (p. 371-374, cit., p. 373), allusion au De facto Act de 1495. Sur cette distinction entre le monarque de jure et le monarque de facto, qui irradie les crises dynastiques anglaises depuis 1495, voir H. Nenner, The Right to be King, op. cit., p. 210-214 et 237-238.
1854 Le trouble de Réal sur la réalité de la puissance monarchique anglaise est patent. A l’appui de la sentence de Bracton, il constate d’abord le principe de soumission du roi à la loi divine et à la loi humaine (La science du gouvernement, op. cit., t. II, p. 367), mais les faits démontrent que le roi a, en vertu de sa prerogative, "beaucoup plus d’autorité" (p. 370).
1855 Ibid., t. I, p 371 et note a. Après avoir rapproché l’Angleterre de la république romaine et de Carthage, il conclut : "En un mot, le partage de souveraineté est un principe nécessaire d’altération et de maladie" (p. 333).
1856 [Dupin], Observations sur un livre intitulé De l’esprit des lois, Paris, 1757, t. II, p. 29.
1857 Ibid., p. 30.
1858 [F. Véron de Forbonnais], Extrait chapitre par chapitre de L’Esprit des lois, accompagné d’une idée générale et de remarques sur quelques endroits de ce livre, dans Opuscules de M. F*** [Fréron], Amsterdam, 1753, t. III, p. 173.
1859 Ibid., p. 178-179. L’hostilité au modèle politique anglais peut se conjuguer avec une admiration pour certaines des pratiques commerciales de l’île. Ainsi, l’école des économistes néo-mercantiles vantaient la police des grains qualifiée par Forbonnais, l’un des chefs de file de cette école, "d’irréprochable" (Elemens du commerce, Leyde, 1754, t. I, p. 115). Il en était de même pour les compagnies de commerce ou l’Acte de Navigation passé sous Cromwell. Le statut de 1651 connut même une traduction, où il est avancé dans la Préface : "Il n’y a peut-être pas de pays où les pratiques que l’on fait, et les règlements que l’on a faits [sur le commerce et l’administration intérieure], quoiqu’ils ne soient pas exempts de défauts, aient cependant un caractère d’habilité plus marqué" (Acte du Parlement d’Angleterre connu sous le nom d’Acte de la navigation, passé en 1660, traduit de l’Anglois avec des notes, Paris, 1760, p. i). À la même époque est publié un État abrégé des lois, revenus, usages et productions de la Grande-Bretagne (Londres et Paris, 1757), dans lequel, après une plate description des institutions directement inspirée de l’une des éditions du Chamberlayne, il est fait l’éloge de la politique commerciale anglaise : "Il y a peu de pays au monde où il y ait un si grand nombre de bons règlements et tant d’encouragement de la part du gouvernement" (p. 50).
1860 Véron de Forbonnais, Extrait…, op. cit., p. 211 et 212.
1861 Journal de Trévoux, juillet 1761, p. 1612, cité par G. Bonno, La constitution britannique, op. cit., p. 142.
1862 Crevrier, Observations sur le livre De L’Esprit des lois, Paris, 1764, p. 9.
1863 [Moreau], Le moniteur françois, Avignon, 1760, t. I, p. 126. Voir également Nouveau mémoire pour servir à l’histoire des Cacouacs, Amsterdam, 1757, p. 15-16 et 65-66. Sur la place du modèle paternel dans la pensée de Moreau, voir la thèse en préparation à la faculté de droit d’Aix-en-Provence d’Aurélie du Crest.
1864 Guyot, Traité des offices, Paris, 1786, t. I, p. 11.
1865 Le Parlement "tient le sceptre, le souverain remplit le trône et frémit, risquant d’autant plus d’en tomber que cette chute n’est pas sans exemple" ([Chevalier d’Arcq], Lettres d’Osman, Constantinople [sic], t. I, p. 112). La nature de l’autorité royale lui permet même de refuser d’assimiler la constitution anglaise au "gouvernement monarchique" (Essais sur l’administration, s.l., 1786, t. I, p. XXVI). Sur sa conception de la monarchie absolue, voir J.-P. Brancourt, "Un théoricien de la société au xviiième siècle : le chevalier d’Arcq", RH, CCL, 1973, p. 346 sq.
1866 Dupont de Nemours, Physiocratie, Leyde et Paris, 1768, t. I, p. 105.
1867 Quesnay, Analyse du tableau économique, E. Daire (éd.), Physiocrates, Paris, 1846, t. I, 81 ; Mirabeau, L’ami des hommes ou traité de la population, 4ème éd., Hambourg, 1758, t. I, p. 248 ; Le Mercier de La Rivière, L’ordre naturel et essentiel des sociétés politiques, Londres et Paris, 1758, t. I, p. 108, 267-271 ; Le Trosne, De l’ordre social, Paris, 1777, p. 256-257. Parmi les nombreuses études consacrées à l’hostilité des physiocrates à la constitution anglaise, voir G. Bonno, La constitution britannique, op. cit., p. 94-97 ; R. M. Leighton, The Tradition of the English Constitution, op. cit., p. 399-404 ; F. Acomb, Anglophobia in France, op. cit., p. 43-50.
1868 Albon, Discours politiques, historiques et critiques sur quelques gouvernements de l’Europe, Neuchâtel, 1779, t. I, p. 3. Les arguments ici avancés se retrouvent à l’identique dans ses Discours sur l’histoire, le gouvernement, les usages, la littérature et les arts de plusieurs nations de l’Europe (Genève, 1782). Une version manuscrite parcellaire de cet ouvrage est conservée aux archives du Ministère des Affaires étrangères sous le titre : "Discours politiques sur l’état actuel de la Grande-Bretagne présenté à M. le comte de Vergennes par le comte d’Albon (1781)", Mémoire et documents, Angleterre 1 B, Pièce 4, f° 35-54.
1869 Albon, Discours politiques, op. cit., t. I, p. 10.
1870 Turgot, Lettre à Du Pont de Nemours, 1753-1754, Œuvres de Turgot, édité par G. Schelle, Paris, 1913, 1923, t. I, 1913, p. 440. La description de l’idéal monarchique de Turgot est empruntée à J.-L. Harouel ("Turgot et la monarchie française", Anthropologie juridique. Mélanges Pierre Braun, Limoges, P.U.L.M., 1998, p. 373-383).
1871 Note de Turgot à la traduction des Questions importantes sur le commerce de Josuas Tucker, 1755, Œuvres, op. cit., t. I, p. 443.
1872 Turgot, Œuvres, t. I, 601-602.
1873 Gin, Les vrais principes du gouvernement monarchique (1777), Genève, 1780, p. 158. La seconde partie de l’ouvrage démontre que "le gouvernement français présente le modèle de la monarchie parfaite".
1874 Ibid., p. 180-183.
1875 Ibid., p. 169-170.
1876 Ibid., p. 132.
1877 [J.-E. Genet], État politique actuel de l’Angleterre, Paris, 1757-1759, t. V, (1758), p. 256.
1878 Lettre d’un jeune homme à son ami sur les François et les Anglois, relativement à la frivolité reprochée aux uns, et la philosophie attribuée aux autres, ou Essai d’un parallèle à faire entre les deux nations, Amsterdam et Paris, 1779, p. 32.
1879 Lefebvre de Beauvray, Dictionnaire social et patriotique, Amsterdam, 1770, v° "Mixte (gouvernement)", p. 351. Il cite abondamment les Lettres d’un Persan en Angleterre, à son ami à Hispahan, ou nouvelles lettres persanes de Littleton (1707-1773), qui furent alors l’un des écrits les plus violents contre l’Angleterre de George II.
1880 Targe, Histoire d’Angleterre depuis le Traité d’Aix la Chapelle en 1748 jusqu’au Traité de Paris en 1763, pour servir de continuation aux histoires de MM. Smollet et Hume, Londres, 1768, t. IV, p. 134-135.
1881 Turpin, Histoire du gouvernement des anciennes républiques, op. cit., p. 456.
1882 Ibid., p. 458. Dans l’impossible coexistence entre le roi, les Lords et les Communes, "la ruine de l’un entraîne la ruine des deux autres" (ibid., p. 441).
1883 Gin, Les vrais principes, op. cit., p. 180.
1884 Linguet, Lettres sur la théorie des lois civiles, Amsterdam, 1770, p. 94.
1885 Ibid., p. 12.
1886 Linguet prend en effet un plaisir certain à détruire les mythes de la liberté anglaise grâce à sa très fine connaissance de cette nation. Ainsi, contre l’assertion traditionnelle que le roi ne peut mal faire, faussement interprétée comme l’incapacité de faire du tord à ses sujets, il rappelle la qualification de crime de felonie, qui permettrait de punir davantage les offenses à la personne du souverain que les troubles à l’ordre public. Ainsi la seule violation des chasses royales entraîne une injuste peine corporelle (Annales politiques, civiles et littéraires du dix-huitième siècle, 1777, t. I, 1, p. 296). De même, il est le seul à évoquer la "formule absurde" du titre de roi d’Angleterre portée depuis Henri V : "par la grâce de Dieu, roi d’Angleterre, de France, d’Écosse et d’Irlande" (1779, t. V, p. 180).
1887 Linguet, Du plus heureux gouvernement, ou parallèle des constitutions de l’Asie avec celles de l’Europe, Londres, 1774, Œuvres, s.l.n.d., t. I, p. 125.
1888 Linguet, Théorie des lois civiles (1770), nouvelle éd., Londres, 1774, p. 120.
1889 Lettre d’un jeune homme à son ami, op. cit., p. 34.
1890 [Petiot], De l’opinion et des mœurs ou de l’influence des Lettres sur les mœurs, Londres, 1777, p. 107.
1891 Linguet, Lettres sur la théorie des lois civiles, op. cit., p. 111.
1892 Ibid., op. cit., p. 99, où Linguet ajoute "l’Angleterre est un volcan : les plaines sont le gouvernement de l’Asie". Comme l’a noté F. Burdeau, il exprime à travers son panégyrique de la civilisation asiatique l’assimilation entre "harmonie sociale et immobilité" ("Droit et société chez Linguet", Hommages à Gérard Boulvert, Nice, 1987, p. 150), dont l’Angleterre apparaît ici comme l’exact contraire.
1893 Gin, Les vrais principes du gouvernement françois, op. cit., p. 135.
1894 Ibid., p. 75.
1895 Linguet, Annales politique, 1777, 1, p. 374. De façon originale, il défend le peuple anglais contre les critiques que lui portent ceux qu’il appelle "notre philosophaille". Cette dernière vante la constitution anglaise pour mieux s’insurger de "l’indocilité et [de] la licence" du peuple anglais, qui s’explique en fait par les institutions elles-mêmes : "C’est en calomniant les classes inférieures de la nation que nos panégyriques tant multipliés de faveur de l’anarchie qu’ils prêchent ; anarchie dont les vertus de ceux qu’elle écrase en Angleterre, composent et tempèrent un peu les désordres" (ibid., t. V, 1779, p. 277).
1896 Linguet, Du plus heureux des gouvernement, op. cit., t. I, p. 147.
1897 Linguet, Lettre à M. Dupont, s.l.n.d., p. 178-179, qui fut un des adversaires les plus acharnés de la secte physiocrate, la soupçonnant d’être "anglomane", véritable insulte sous sa plume !
1898 [Mirabeau], Les devoirs, Milan, 1780, p. 150.
1899 Mirabeau, Théorie de l’impôt, s.l., 1760, p. 287. Dans Les devoirs (op. cit., p. 151), il note : "Le principal vice de la de la constitution [anglaise], c’est la constitution elle-même ou cette modification gothique qui porte sur l’opinion la plus antisociale de toutes, à savoir que l’impôt est une charge ; d’où suit qu’il est de l’essence de la liberté humaine que chaque contribuable ait consenti à la payer".
1900 Albon, Discours politiques, op. cit., t. I, p. 9. À propos du peuple, il écrit : "L’art de faire des lois, la science de connaître et de conduire les hommes, la pénible tâche de s’occuper de leur bonheur, le talent de la remplir, ne sont pas de sa sphère" (ibid., t. I, p. 14).
1901 Ibid., t. I, p. 41.
1902 Le Trosne, De l’ordre social, op. cit., p. 126.
1903 [Baudeau], Idée d’un citoyen presque sexagénaire sur l’état actuel du royaume de France, Paris, 1787, p. 29.
1904 Gin, Les vrais principes, op. cit., p. 164. Comme Lefebvre de Beauvray qui rapporte les impôts sur les fenêtres (Window tax établie en 1696), et le paiement d’un "droit de barrière" (Dictionnaire social et patriotique, op. cit., p. 16), le marquis de Mirabeau souligne l’incompatibilité entre un impôt foncier et l’excise qui n’est qu’une "rapine" (Les devoirs, op. cit., p. 217). Le comte d’Albon évoque lui l’augmentation prodigieuse de la taxe sur les pauvres, "une des plus lourdes charges" qui de 100 £ en 1769 serait de 300 £ par paroisse en 1779 (Discours politiques, op. cit., t. I, p. 32). Pour une étude comparée des taux d’imposition en France et en Angleterre, voir P. Mathias et P. O’Brien, "Taxation in Britain and in France, 1715-1810. A Comparison of the Social and Economic Incidence of Taxes Collected for the Central Governments", The Journal of European Economic History, 5, 1976, p. 601-650 et F. Crouzet, "Critiques et autocritique d’une comparaison", De la supériorité de l’Angleterre sur la France, op. cit., p. 50-89.
1905 [Le Trosne], De l’administration provinciale, Basle, 1779, p. 287. La même idée était avancée par Turgot dans une lettre de 1759 à Dupont de Nemours (Œuvres, t. I, p. 601-602).
1906 Ces assemblées ne visent qu’à "éclairer et, par leur constitution même, elles éclaireraient sur les répartitions d’impôts et sur les besoins de chaque lieu" (Turgot, Mémoire sur les municipalités, in Œuvres, op. cit., t. V, p. 572-628, cit. p. 619).
1907 Ibid., p. 619
1908 Ibid., p. 586, en italique dans le texte. Simple coïncidence, la participation exige pour être "citoyen entier", "600 livres de revenu net en terres", équivalent au critère d’éligibilité dans les comtés d’Angleterre.
1909 J.-L. Harouel, "Turgot et la monarchie française", op. cit., p. 377.
1910 Sur cette question, C. Larrère, L’invention de l’économie politique, op. cit., p. 199-200.
1911 Turgot, Œuvres, t. V, p. 454.
1912 Il est l’auteur d’un Dictionnaire de jurisprudence et des arrêts, ou nouvelle édition du dictionnaire de Brillon [désormais Dictionnaire], Lyon, 1781-1788. Ce dictionnaire en huit volumes, qui s’interrompt à l’entrée "Assignation", est le fruit d’un travail collectif qui a réuni notamment Portalis pour le droit maritime, Mollé, avocat parisien, pour le droit féodal et le droit fiscal et François Arnaud Riolz, autre juriste lyonnais qui continua l’entreprise après la mort de Prost de Royer en 1784 ("Observations préliminaires", t. V, 1786, p. 6). Sur ce juriste qui, outre son Dictionnaire, fut l’auteur remarqué d’une Lettre sur le prêt à intérêt (Avignon, 1763), et de Lettres sur l’administration municipale (1765), voir M. Boulet-Sautel, "Un traité de science administrative à la fin de l’Ancien Régime", Hommages à Robert Besnier, S. H. D., 1980, p. 57-66.
1913 Prost de Royer, Dictionnaire, v° "Administration", t. II, p. 807. Son idéal politique est ainsi "un empire gouverné comme une famille, dont le monarque est le père" (Préface, t. I, p. LXXXIV).
1914 Prost de Royer, Dictionnaire, v° "Allégeance", t. IV, p. 221.
1915 Ibid., p. 222-223, dont la critique déforme quelque peu la pensée de Blackstone sur ce point. En effet, le jurisconsulte anglais considère le serment d’allégeance comme un lien personnel, qui se rapproche par "analogie" du lien féodal, entre le roi et ses sujets. Si le serment est nécessaire pour occuper tous les offices publics et s’il peut être exiger de toute personne suspecte par deux juges de paix, celui-ci ne vient que renforcer un lien légal et implicite préexistant à ce lien positif. "Outre ses engagements formels, la loi suppose qu’il existe une allégeance implicite, primordiale et virtuelle, due par chaque sujet à son souverain, antécédemment à toute promesse positive, et quoique que le sujet n’ait fait en aucun temps le serment formel de fidélité ou d’allégeance" (Commentaires, op. cit., t. II, p. 57-61, cit. p. 61)
1916 Son analyse du régicide de Charles Ier illustre sa critique raisonnée des institutions anglaises. La condamnation à mort de Charles Ier, dont il a lu avec frémissement l’acte d’accusation dans les histoires de Rapin-Thoyras et de Hume, n’emporte pas la condamnation de la nation toute entière qui "a consacré à jamais son esprit, ses lois et ce grand événement par un jour expiatoire, appelé martyre de Charles". Il rapporte ainsi l’interdiction de prononcer le nom du roi lors des débats au Parlement, qui n’est cité que par une "tournure légale", ce qui permet d’éviter toute idée d’accusation (v° "accusation, t. II, p. 384).
1917 Ibid., v° "Adresse", t. III, p. 130, où il assimile de façon rapide les "requêtes et demandes" présentées aux deux chambres avec les "écrits et placets" que les provinces, les villes ou les corps envoient au roi de France. L’emploi du terme "placet" est cependant intéressant puisqu’en France, son usage, qui permettait au roi d’exercer sa justice personnelle ou de répondre à une requête individuelle, directement ou par l’intermédiaire de son Conseil, est l’une des origines du droit de pétition (F. Olivier-Martin, Histoire du droit français, op. cit., p. 519-520). Pour la période suivante, voir J.-J. Clère, "Le droit de pétition aux Chambres de 1789 à nos jours", 1791. La première constitution française, Paris, Economica, 1993, p. 299-319.
1918 Prost de Royer, Dictionnaire, v° "Angleterre", t. V, p. 29. Parmi les avantages, il relève "l’exactitude" et "la clarté" dans la rédaction des bills et des motions lors "des conférences [committees] avec les membres les plus éclairés". L’ordre et la sérénité des débats placés sous le contrôle de "l’Orateur", lui évoque "les délibérations du Sénat romain" (v° "Administration", t. II, p. 825-826). À propos de Chatam, Richmond, Burke et Fox, il écrit : "Il y a de grands acteurs dans le parlement britannique ; à l’art de penser et d’exprimer fortement, ils joignent l’élocution et l’action" (v° "Acteurs", t. II, p. 674).
1919 Prost de Royer, Dictionnaire, v° "Administration", t. II, p. 836.
1920 A. Castaldo a montré l’influence déterminante du règlement des Communes lors de l’élaboration de celui de la Constituante (Les méthodes de travail de la Constituante, Paris, PUF, 1989).
1921 Saint-Simon, cité par G. Ascoli, op. cit., t. II, p. 15.
1922 Prost de Royer, Dictionnaire, v° "Angleterre", t. V, p. 29 et 23.
1923 Au terme d’un dépouillement systématique de nombreuses sources, notamment le Courrier de l’Europe, G. von Proschwitch a signalé l’apparition de quelques termes, provenant parfois du vieux français, intéressants pour l’histoire du droit constitutionnel : "amendment" (février 1778) puis "amendement" (mai 1778) ; "amendé" (août 1784), "coalition" (mars 1776, dans un mémoire de Vergennes) ; "congrès" (1774, Journal de Bruxelles), "discretionnel" (mars 1780), "legislature" (décembre 1776) ; "motion" (décembre 1775, Journal de Bruxelles), et "politicien" (1779) ! (Introduction à l’étude du vocabulaire de Beaumarchais, Almquist et Wikell, Stockholm, 1956, passim). Il convient de donner à ces occurrences un caractère simplement indicatif, seule une étude exhaustive des périodiques et des traductions de l’époque permettrait de parvenir à des conclusions définitives.
1924 Prost de Royer, Dictionnaire, v° "Administration", t. II, p. 828. Si l’exemple ici rapporté est éclairant, il n’en a pas moins une entorse à la coutume parlementaire. Cette dernière voulait en effet qu’un M. P. ne puisse proposer de changer ou de révoquer un statut passé au cours d’une même session, puisqu’une fiction établissait que la session durait un jour. Selon le Speaker Cornwall, "the whole session is, in the eyes of law, as one day". Après le rejet de sa motion, Conway en proposa cinq jours après une nouvelle en des termes presque identiques sans rencontrer d’opposition, tant le sujet était important (P. G. D. Thomas, The House of Commons, op. cit., p. 172).
1925 Prost de Royer, Dictionnaire, v° "Administration", t. II, p. 829, qui invoque sur ce point la 86ème lettre persane de Montesquieu (OC, t. I, p. 261).
1926 Prost de Royer, Dictionnaire, v° "Angleterre", t. V, p. 12 (en italique dans le texte). L’alinéa 5 de l’Act of Settlement de 1701 voté à l’unanimité obligeait les membres du Conseil privé à mettre par écrit et à signer ("be transacted" et "be signed" selon le texte) les propositions faites au roi, rendant ainsi effective leur responsabilité. Il fut cependant abrogé en 1706. Voir Cl. Roberts, "Privy Council Schemes and Ministerial Responsability in Later Stuart England", AHR, LXIV, 1959, p. 572 sq.
1927 Prost de Royer, Dictionnaire, v° "Angleterre", t. V, p. 18.
1928 Ibid.
1929 Ibid. Voir également p. 28. Sur le statut spécifique du ministre dans la constitution anglaise, voir D. Baranger, Parlementarisme des origines, op. cit., p. 67-70.
1930 Prost de Royer, Dictionnaire, v° "Affaires étrangères", t. III, p. 256.
1931 Ibid., t. IV, v° "Anarchie", p. 763.
1932 Sénac de Meilhan, Considérations sur l’esprit et les mœurs, Londres, 1787, p. 159.
1933 Denesle, Les préjugés du public, Paris, 1747, t. II, p. 47.
1934 Ibid., t. II, p. 17.
1935 Abbé de Véri, Journal, publié par le baron Jehan de Witte, Paris, 1928, t. II, p. 194.
1936 Moreau, Le moniteur françois, op. cit., p. 19.
1937 D’Alembert, Essai sur la société des gens de lettres, dans Mélanges de littérature, op. cit., t. I, p. 360.
1938 Lettres d’un François à un Hollandois au sujet des différens survenus entre la France et la Grande-Bretagne, s.l., 1755, p. 16.
1939 [Fougeret de Mombrun], Préservatif contre l’anglomanie, Minorque, 1757, p. 6.
1940 Ibid., p. 42. Quelques années plutôt, il avait brossé un toute autre tableau de l’île qu’il avait visitée en 1748, où les habitants ressemblent fort à ceux que Voltaire avait décrit dans ses Lettres philosophiques : "Les Anglais conservent entre eux une sorte d’égalité qui contribue au bien général (…). Ils vivent tous, sans distinction de rang et de naissance sous la protection des lois. Que dirais-je enfin de plus ? Les Anglais sont libres. Le souverain ne saurait enlever aucun sujet à la patrie sans son bon plaisir. Grâce à la sagesse des constitutions du pays, son pouvoir n’est sans limites que pour faire le bien" (Le cosmopolite, ou le citoyen du monde (1753), Londres, 1761, p. 155-156). Sur la biographie de ce personnage révolté, misanthrope, dont le moralisme se conjugue à un anticléricalisme virulent, voir F. Venturi, "Fougeret de Monbrun", Europe des Lumières. Recherches sur le xviiième siècle, Paris et La Haye, Mouton, 1971, p. 91-114.
1941 Lefebvre de Beauvray, Dictionnaire, op. cit., v° "Anglomanie", p. 27.
1942 Ibid., v° "Frondeurs", p. 176.
1943 Linguet, Du plus heureux gouvernement, op. cit., t. p. 118.
1944 [Caraccioli], Les Entretiens du palais royal, Utrecht, 1786-1788, t. IV, p. 63-64.
1945 Robinet, Dictionnaire universel des sciences morales, économiques politique et diplomatique ou Bibliothèque de l’homme d’État et du citoyen, Londres, 1778, t. V, v° "Anglomanie", p. 252.
1946 [Bourdon], Le patriote ou préservatif contre l’anglomanie, dialogue en vers, suivi de quelques notes, sur les brochures qui ont été publiées au sujets des états généraux, Londres et Paris, 1789, p. VI.
1947 Le propos de Caraccioli traduit un sentiment alors communément partagé : "La liberté, qui en Angleterre, dégénère dans une licence effrénée, doit convaincre le voyageur qu’on n’est pas heureux parce qu’on est libre" (Le véritable mentor, Francfort, 1765, p. 101).
1948 Moreau évoque ainsi ce peuple où "la liberté est trop près de la licence" (L’Observateur hollandois, op. cit., t. II, p. 23). De même, Decremps avance que la "constitution anglaise tend à rendre la police faible et le peuple insolent ; elle favorise la liberté qui peut à chaque instant dégénérer en licence et produire l’insubordination" (Le parisien à Londres, Amsterdam, 1789, t. I, p. 209).
1949 "Est-ce un bien, est-ce un mal pour l’Angleterre, que cette prétendue liberté qui n’est peut-être essentiellement que la licence ?" (Essais sur l’administration, op. cit., t. I, p. XXVV). Dans ses Lettres d’Osman (op. cit., t. II, p. 60) rédigées trente ans auparavant, il avouait cependant : "J’admirais cette nation, sans pouvoir me résoudre à l’aimer".
1950 De Réal, La science du gouvernement, op. cit., t. II, p. 336 et t. I, p. IX.
1951 Forbonnais, Extrait…, op. cit., t. III, p. 180.
1952 G. Weulersse, Le mouvement physiocratique en France, Paris, Alcan, 1910, t. II, p. 51.
1953 Le Trosne, De l’ordre social, op. cit., p. 248-249. Fougeret de Monbrun avait fustigé la licence anglaise en des termes similaires : "Quelle est cette liberté qui les rend si fiers ? Est-ce le droit féroce de pouvoir insulter impunément la majesté royale ?" (Préservatif contre l’anglomanie, op. cit., p. 15).
1954 Lefebvre de Beauvray, Dictionnaire, op. cit., v° "Liberté", p. 278, l’auteur politique emblématique cité n’étant encore une fois pas Locke, mais Sidney.
1955 M. Antoine, Louis XV, op. cit., p. 743 sq.
1956 Lefebvre de Beauvray, op. cit., p. 468-469.
1957 Lettres d’un jeune homme, op. cit., p. 38-39.
1958 Basset de La Marelle, La différence du patriotisme national chez les François et chez les Anglois, Lyon, 1762, p. 6.
1959 Ibid., p. 17.
1960 Ibid., p. 52 et 58.
1961 Dubois de Launay, Coup d’œil sur le gouvernement anglois, s.l., 1786, p. 165 et 195.
1962 Moreau, L’observateur hollandois, op. cit., lettre 19, 1757, p. 51-52.
1963 Moreau, Le moniteur françois, op. cit., p. 16. La distinction entre "sujet" et "citoyen n’était évidemment pas nouvelle puisque Bodin consacrait déjà un chapitre sur "Du citoyen, et la différence d’entre le sujet, le citoyen, l’étranger, la ville, cité et république" "(Les six livres de la République, op. cit., I, 6), mais elle s’inscrit dans un nouveau contexte idéologique qui lui donne une autre portée.
1964 [Moreau], Lettre sur la paix, à M. le Comte de***, Lyon, 1763, p. 7.
1965 Ibid., p. 13.
1966 E. Dziembowski, Vers un nouveau patriotisme français, op. cit., p. 306.
1967 "Si l’on excepte peut-être les Romains, je ne crois pas qu’il y ait eu dans tout l’univers aucune nation où l’émulation et l’amour de la patrie aient fait pour elle de si grandes choses. Tous les ressorts de son gouvernement y sont sans cesse tendus. (…) Tous les citoyens semblent occuper à la chose publique" (Lettres d’un François, op. cit., p. 26).
1968 Ibid., p. 45.
1969 ibid., p. 57.
1970 [Séran de La Tour], Parallèle de la conduite des Carthaginois à l’égard des Romains avec la conduite de l’Angleterre à l’égard de la France, 1757, titre des trois chapitres de l’ouvrage.
1971 Moreau, L’observateur hollandois, op. cit., t. IV, p. 35.
1972 Lefebvre de Beauvray, Dictionnaire, op, cit., p. 421.
1973 Genet, État politique de l’Angleterre, op. cit., t. I, lettre III, p. 54-62, lettre IV, p. 72-80 ; t. II, lettre XIV, p. 145-156 ; t. V, lettre XXX, p. 2-16 ; lettre XXXI, 39 ; t. VII, lettre XLV, p. 153-156.
1974 Linguet, Lettres sur la théorie des lois civiles, op. cit., p. 112. Voir son tableau particulièrement éclairant des pratiques de corruption qui conduisent l’Angleterre au despotisme, puisque le roi "a tous les moyens de corrompre et de subjuguer" (Annales politiques, op. cit., 1777, t. I, p. 299). Ainsi, "le Parlement est une assemblée composée de trois parties, du roi et des deux chambres ; mais au moment où la tête a subjugué ces deux associés, le peuple n’a, il ne peut plus avoir, ni défenseurs, ni asile" (p. 307).
1975 Gin, Les vrais principes, op. cit., p. 161-163. Selon Prost de Royer, "la corruption investit et presse l’administration, quand l’esprit national étant tourné à l’égoïsme et à l’amour de l’or, on voit, non son intérêt dans l’intérêt public, mais l’intérêt public dans son intérêt personnel" (Dictionnaire, op. cit., v° "Administration", t. II, p. 866).
1976 Albon, Discours politiques, op. cit., t. I, p. 27.
1977 Mirabeau, Les devoirs, op. cit., p. 214.
1978 Ch. A. Rochedieu, Bibliography of French Translation, op. cit. passim, et pour la diffusion des écrits américains à partir de 1775, voir B. Faÿ, Bibliographie critique des ouvrages français relatifs aux États-Unis (1770-1800), thèse complémentaire lettres, Paris, Champion, 1936. La diffusion des traduction des écrits anglais peut se faire sous une forme plus détournée comme lorsque Robinet propose de simples extraits de ces traductions, notamment du Traité du pouvoir des rois de la Grande-Bretagne, des Notions précises de la constitution politique de la Grande-Bretagne de Gordon, de La liberté civile des Anglois de Price, ou des Discours politiques de Hume (Dictionnaire universel, Londres, 1778, t. IV, v° "Angleterre", p. 354-602).
1979 L’exercice de la traduction permet de distiller notes et observations qui radicalisent encore plus un discours en l’inscrivant dans le contexte français. Brissot regrette que les États généraux ne soient devenus en France qu’une "ombre d’assemblée dont les rois se sont débarrassés", mais conteste aux parlements leurs prétentions à s’ériger en représentants de la nation (D. Williams, Lettres sur la liberté politique adressées à un Membre de la Chambre des Communes d’Angleterre (1782), traduites de l’Anglois par le R.P. Rose-Croix, s.l., 1783, p. 27 note d).
1980 Voir H.T. Dickinson, Liberty and Property, op. cit., p. 195-231; J. Brewer, "English Radicalism at the Age of George III", J. G. A. Pocock (ed.), Three British Revolution: 1641, 1688, 1776, Princeton U.P., 1980, p. 265-367.
1981 Dans son ouvrage réédité en 1773, 1776 et 1778, il fait deux critiques à Rapin-Thoyras, historien pourtant "judicieux, exact, méthodique" : s’être trop appesanti sur certains détails et surtout s’être montré "trop prévenu contre sa patrie". A l’inverse, Hume, qui sut fustiger "les délires de sa propre secte", a habilement réuni "la précision et la clarté, la profondeur et l’élégance" (Éléments de l’histoire d’Angleterre, Paris, 1759, t. I, p. XII).
1982 Ibid., t. I, "Discours préliminaire", p. v et xii.
1983 Contant d’Orville, Les fastes de la Grande-Bretagne, Paris, 1769, t. I, p. 55.
1984 Raynal, Histoire politique et philosophique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes [1770], Genève, 1780, t. III, p. 60 et 514. Sur cet ouvrage à l’utilisation complexe, notamment à cause de sa "polyphonie", conséquence du grand nombre de collaborateurs réunis autour de Raynal et des importants ajouts à l’édition de 1780, voir M. Duchet, "L’Histoire des Deux Indes : source et structure d’un texte polyphonique", Lectures de Raynal, Stud. on Voltaire, 286, 1995, p. 9-15. De la polyphonie à la contradiction, il n’y a qu’un pas que l’on retrouve entre Raynal et son plus célèbre collaborateur, Diderot, sur la politique coloniale anglaise (A. Strunell, "Dialogue et désaccord idéologiques entre Raynal et Diderot : le cas des Anglais en Indes", L’Histoire des Deux Indes : réécriture et polygraphie, Stud. on Voltaire, 333, 1995, p. 409-422).
1985 Mably, De la Manière d’écrire l’histoire, dans Œuvres complètes de l’Abbé de Mably [Désormais OC], Lyon, 1796, t. XII, p. 377 et 378.
1986 Mably, Observations sur l’histoire de France (1765), OC, t. II, p. 254.
1987 Diderot, Encyclopédie, v° "Représentans", t. XXVIII, p. 858.
1988 Louis de Brancas, comte de Lauraguais, Extrait du droit public de la France, Londres, 1771, p. 52.
1989 Guyot, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, Paris, 1785, v° "Parlement", t. XVI, p. 14. A l’entrée "Assemblée" (t. I, p. 666), le propos est plus modéré : "L’usage d’assembler les états ou les différents ordres a néanmoins subsisté dans plusieurs pays, et ces assemblées y reçoivent différents noms. En Pologne, on les appelle Diètes ; en Angleterre, Parlement, et en d’autres pays, États".
1990 Holbach, La politique naturelle, Londres, 1773, t. I, p. 134.
1991 Comte de Mirabeau, Des lettres de cachet et des prisons d’État, Hambourg, 1782, t. II, p. 159. Ces assemblées nationales s’entendent comme "le commune consilium des Germain, le witena gemot des Saxons, car, chez toutes les nations sorties de la Germanie, on trouva cette institution" (ibid.).
1992 Condillac, Histoire moderne, in Œuvres complètes, Paris, 1822, t. XI, p. 204-205.
1993 Millot, Elemens, op. cit., t. I, p. 57.
1994 Avocat natif de Dieppe, membre associé de l’Académie des inscriptions, Houard est l’auteur d’une édition commentée des recherches de Littleton publiées sous le titre explicite d’Anciennes lois des François, conservées dans les coutumes angloises, recueillies par S. Th. Littleton, avec des observations historiques et critiques, où l’on fait voir que les coutumes et usages suivis anciennement en Normandie, sont les mêmes que ceux qui étoient suivis dans la France sous les deux premières races de nos rois ([1766], Rouen, Le Boucher-Durand, 1779). Littleton, juge à la court of Commons Pleas ( ?-1481), est auteur d’un célèbre traité Of Tenures, premier livre de droit anglais imprimé (J. H. Baker, An Introduction to English Legal History, op. cit., p. 207). Houard a également fait paraître un Traité sur les coutumes Anglo-normandes qui ont été publiées en Angleterre depuis le xième jusqu’au xivème siècle, avec des remarques sur les principaux points de l’histoire et de la jurisprudence françaises, antérieures aux Établissements de Saint-Louis (Paris, 1776), qui comprend des extraits des principales sommes juridiques de l’époque médiévale : Glanvill, Fleta (réédité par le whig Selden en 1685), Britton et Bracton, auxquels il a joint d’importantes notes qui seront ici citées. Le traité anonyme connu sous le titre de Glanvill (1187 ?), du nom de Hubert de Glanvill ( ?-1190) alors chancelier à l’époque de sa rédaction, mais qui fut sans doute inspiré par Ranulph Walter, est le premier commentaire des writs reçus devant le King’s Court. Le De legibus et consuetudinibus Angliae (1220 ou 1230 ?, imprimé en 1569) connu sous le nom de Bracton, de William Bracton est l’ouvrage fondateur dans l’histoire du common law, en donnant sa conception moderne au case law. Le Bracton sera adapté à la législation d’Édouard Ier dans la Fleta, ouvrage sans grand succès rédigé en latin, et surtout dans le Britton, traité anonyme en law french proposant une forme de codification des règles de droit du début du xiiième siècle (F. T. Plucknett, A Concise History of Common Law, op. cit., p. 242-251 ; J. H. Baker, An Introduction to English Legal History, op. cit., p. 199-202).
1995 Houard, "Dissertation préliminaire sur les variations de la législation françoise et angloise, depuis l’entrée des Saxons dans les Gaules jusqu’au xième siècle", Traité sur les coutumes, op. cit., t. I, p. 1-192, cit., p. 3.
1996 Houard, Traité sur les coutumes, op. cit., t. I, p. XX.
1997 Ibid., p. 5. Plus généralement, sur l’interprétation de la féodalité par ce juriste absolutiste, voir E. Carcassonne, Montesquieu…, op. cit., p. 195-196.
1998 Houard, "Dissertation préliminaire", op. cit., p. 160-161.
1999 Houard, Anciennes lois des François, op. cit., Préface, p. VI.
2000 "La déférence excessive de ce prince pour la cour de Rome, et la connivence de Langton, archevêque de Cantorbéry, avec cette Cour, fit naître aux barons l’idée de mettre des bornes à la puissance souveraine, dont il paraissait que le faible monarque abusait ; la confirmation de la Grande Charte que les prédécesseurs de Jean avaient toujours interprétée de manière à n’altérer en rien le pouvoir absolu et indépendant que la Conquête leur avait transmis, leur parut un moyen infaillible pour parvenir à leur but" (Houard, Traité sur les coutumes, op. cit., t. III, p. 38). Pour démontrer la progressive usurpation de l’autorité royale par le Parlement, Houard se livre à une analyse méticuleuse des chartes d’Henri Ier, de Jean sans Terre et d’Henri III (ibid., t. I, p. 208 sq).
2001 Ibid., t. IV, p. 2.
2002 Ibid., t. IV, p. 683. Il cite cet extrait de l’Histoire de la Maison des Tudor de Hume : "La barbarie des expressions employées dans les ouvrages qui avaient paru sur la jurisprudence anglo-normande a procuré de grandes facultés aux divers partis qui ont depuis tenté la réforme du gouvernement anglais" (Anciennes lois des François, op. cit., p. v). Mably était loin de partager les sentiments du juriste normand. Au temps de Charles Ier, "en s’éclairant sur le passé, on devint plus soupçonneux, plus précautionné et plus circonspect sur l’avenir" (De l’étude de l’histoire [1767, et publié en 1778], OC, t. XII, p. 191).
2003 Houard, Traité sur les coutumes, op. cit., t. III, p. 207 et 208.
2004 Voir infra, Titre II, chapitre 1, section 2.
2005 Comte de Mirabeau, Essai sur le despotisme (1772), réimpression de l’édition de 1821, Caen, p. 104. Guillaume se voit tout simplement qualifié "d’un des plus habiles et des plus farouches despotes dont l’histoire moderne fasse mention" (Des lettres de cachet, op. cit., t. II, p. 169). A la même époque en Angleterre, la thèse du joug normand connaît alors un regain de popularité parmi les whigs radicaux (Ch. Hill, "The Norman Yoke", op. cit., p. 94-100).
2006 Millot, Elémens, op. cit., t. I, p. 273, qui propose d’ailleurs une synthèse sur le gouvernement féodal directement inspiré de l’historien écossais (p. 233-245).
2007 Mably, Des droits et des devoirs du citoyen [1758], OC, t. XI, p. 367.
2008 Mably, Observations sur l’histoire de France, op. cit., p. 483, où il rejette l’opinion défendue par Rapin-Thoyras dans sa "Dissertation sur le gouvernement des Anglo-saxons", en refusant la qualification juridique de fief aux terres distribuées par les rois saxons, terres qui n’avaient pour équivalent que les bénéfices mérovingiens (p. 431-432). A l’inverse, il suit les conclusions de l’historien huguenot sur l’apparition des Communes (p. 498-502).
2009 Mably, Observations sur l’histoire de France, op. cit., p. 222.
2010 Ibid., p. 221 et 483. En fait, Guillaume avait remis à une dizaine de membres de son entourage plus du quart des terres confisquées. Son contrôle, plus relatif que ne l’affirme Mably, reposait sur un système d’éparpillement et d’enchevêtrement des terres et une intervention accrue dans le jeu des sous-inféodations (E. Bournazel et J.-P. Poly (dir.), Les féodalités, op. cit., p. 424). L’enquête fiscale menée à la fin du règne de Guillaume le Conquérant, dont les conclusions furent réunies dans le Domesday Book a également permis de renforcer le contrôle de la royauté sur la structure féodale. Voir T. H. Plucknett, A Concise History of the Common Law, op. cit., p. 10-13.
2011 En montant sur le trône, Henri IV refusa de confondre le duché de Lancastre avec le domaine de la Couronne, ce qui ne manqua pas de poser des difficultés sur la règle de l’inaliénabilité du domaine (H. Kantorowizc, Les deux corps du roi, op. cit., p. 267).
2012 "La Grande charte, si je puis parler ainsi, fut une boussole qui servit à diriger le corps entier de la nation" (Mably, Observations sur l’histoire de France, op. cit., p. 231).
2013 [Baron d’Holbach], Système social, Londres, 1773, t. III, p. 25, n. 8.
2014 Mirabeau, Essai sur le despotisme, op. cit., p. 201.
2015 Prost de Royer cite quelques uns des articles de la charte reproduite par Rapin-Thoyras (Dictionnaire, op. cit., v° "Angleterre", p. 3). Dans la partie "Jurisprudence" de l’Encyclopédie méthodique, l’auteur de la notice "Charte anglaise ou grande charte" (t. III, p. 541) reprend celle rédigée quelques années auparavant par l’abbé Mallet pour l’Encyclopédie, en y ajoutant une analyse succincte dans laquelle il est affirmé que les Communes partageaient avec les seigneurs laïcs et ecclésiastiques le droit de consentir à l’impôt dans "l’assemblée générale". Mably reproduit la plupart des articles en latin et en français, de la charte, tirée de Matthieu Paris et de Blackstone (Observations sur l’histoire de France, op. cit., p. 231, p. 484-489). La version du texte proposée par Millot illustre les ambiguïtés de la traduction. Par exemple, "Magnum consilium" devient "assemblée générale", même si l’auteur précise plus loin que les députés du peuple ne participaient pas encore à ces assemblées (Elémens, op. cit., p. 227-228).
2016 L’importance accordée à la Grande Charte se fait au détriment d’un texte plus important pour l’évolution du droit anglais, le Statute of Westminster II (1285), essentiel dans l’histoire du Common law puisqu’il établit un statut quo entre le pouvoir royal et les barons, en interdisant au chancelier de créer de nouveaux writs, qui pourraient étendre les compétences des cours royales. A la fin du xiiième siècle, le common law se fige, la chancellerie ne pouvant désormais délivrer de nouveaux writs que dans des cas similaires (in consimili casu). Voir J. Gilissen, Introduction historique, op. cit., p. 186-187.
2017 Lacombe, Observations sur Londre[s] et ses environs, avec un précis de la Constitution de l’Angleterre et de sa décadence, Paris, 1777, p. 190. Ce texte fut réédité sous le titre de Tableau de Londre[s] et de ses environs, avec un précis de la Constitution d’Angleterre et de sa décadence (Londres, 1784), sans changement dans le contenu. Cet ouvrage mélangeant des considérations historiques et politiques à des observations plus générales sur l’Angleterre de George III conseille à son lecteur de se rendre au British Museum pour voir la Grande Charte "qui est regardée avec raison comme le palladium de la liberté. Ce dépôt sacré est digne de la vénération la plus grande de tout homme qui aime ses semblables" (ibid., p. 119-120).
2018 Millot, Elémens, op., cit., t. I, p. 228.
2019 Ibid., t. I, p. 244.
2020 Ibid., t. I, p. 291. Par ce texte, cité sous une forme différente par Diderot (Encyclopédie, v° "Représentans", t. XXVIII, p. 862), Édouard Ier convoqua les grands ecclésiastiques du royaume à Westminster le 30 septembre 1295.
2021 Mably, Observations sur l’histoire de France, op. cit., p. 231.
2022 Ibid. En cas de violation du texte par le roi, le conseil de barons pouvait le contraindre "par le pillage ou la saisie de ses domaines à réparer les tords qu’il avait faits" (De la législation, op. cit., p. 214).
2023 Mably, Observations sur l’histoire de France, op. cit., p. 230.
2024 Mably, De l’étude de l’histoire, op. cit., p. 190. Le terme générique de "Forêt", signifiait depuis l’époque anglo-normande, l’ensemble des terres domaniales qui assuraient à la couronne une source importante de revenus sur des terres éparpillées dans tout le royaume et soumises à des règles dérogatoires de droit commun, notamment par l’Assise de la Forêt de 1184 (Ch. Petit-Dutaillis, La monarchie féodale, op. cit., p. 140-142).
2025 Mably, Observations sur l’histoire de France, op. cit., p. 229.
2026 Ibid., p. 218.
2027 Ibid., p. 219.
2028 Mably, Des droits et des devoirs du citoyen, op. cit., p. 286-287. K. M Baker a souligné l’intérêt de cet ouvrage ("Scénario pour une révolution française : la conscience politique de l’abbé de Mably", Au tribunal de l’opinion, op. cit., p. 123-153).
2029 Millot, Elémens, op. cit., p. 305. Le règne d’Édouard Ier vit la réforme des institutions judiciaires, l’établissement des juges de paix et enfin "la soumission des barons à la loi" (ibid., p. 303).
2030 Accarias de Serionne, La richesse de l’Angleterre, Vienne, 1771, p. 12.
2031 Condillac, Histoire moderne, op. cit. t. XII, p. 526.
2032 Mably, Observations sur l’histoire de France, op. cit., p. 225. "Nous autres Français, nous avons été libres comme vous l’êtes, nous avions des états (…) ; nos pères ont vendu et laissé détruire leur liberté" (Des droits et des devoirs du citoyen, op. cit., p. 251)
2033 Peut-être faut-il y voir une influence de la pensée de Hume, qui, sans se départir de l’hypothèse du contrat, livre une critique du contractualisme traditionnel, pour préférer une réflexion fondée, selon B. Binoche, sur trois éléments : "l’histoire contre la genèse", "la gradualisation de la genèse" et "le fondement contre l’origine" (Les trois sources des philosophies de l’histoire, op. cit., p. 88-95).
2034 Mably, De l’étude de l’histoire, op. cit., p. 204.
2035 Mirabeau, Essai sur le despotisme, op. cit., p. 201.
2036 Millot, Elémens de l’histoire d’Angleterre, op. cit., t. II, p. 25.
2037 Raynal, Histoire philosophique et politique, op. cit., t. III, p. 516. Il admire ainsi la résistance du peuple, notamment celui des grandes villes "à qui le gouvernement municipal donne un esprit républicain", contre la politique de Charles Ier allié avec la noblesse (p. 517).
2038 Mably, Observations sur l’histoire de France, op. cit., p. 240 ; Des droits et des devoirs, op. cit., p. 301. Raynal place sous ce règne l’extension de la prérogative royale "dont l’anarchie féodale n’avait jamais pu fixer les limites" (Histoire philosophique et politique, op. cit., t. III, p. 512). Selon Millot, "Nul roi depuis la grande Charte, n’avait régné avec tant d’empire que Henri VII" (Elémens, op. cit., t. II, p. 22). Mirabeau reste lui sous l’influence de Montesquieu en insistant sur les conséquences du déclin de la féodalité grâce à l’action de la monarchie. Dans la France de Louis XI, la décadence des grands seigneurs ne permit par la reconnaissance des droits du peuple : "Quoique moins esclave en apparence, [le peuple] le fut toujours en effet". A l’inverse, la dynastie Tudor permit aux Communes d’asseoir leur influence aux dépens des pairs dans le Parlement, notamment par la redistribution des terres confisquées aux monastères (Des lettres de cachets, op. cit., t. II, p. 171). Il conserve d’ailleurs une admiration intacte pour Élisabeth Ière, citant notamment Selden, célèbre hagiographe de la Reine Vierge (Essai sur le despotisme, op. cit., p. 202-204).
2039 Millot, Elémens, op. cit., t. II, p. 104.
2040 Mably, Observations sur l’histoire de France, op. cit., p. 248.
2041 Millot, Elémens, op. cit., t. II, p. 330.
2042 Diderot, Réfutation de l’ouvrage d’Helvétius intitulé L’homme (1773-1774), Œuvres complètes de Diderot, Paris, Garnier, 1877, t. II, p. 382.
2043 Millot, Elémens, op. cit., t. II, p. 431.
2044 Ibid., t. II, p. 103 et 131. De même, un des discours prononcés au Parlement par le Lord Chancelier Francis Bacon, célèbre adversaire de Coke sous Jacques Ier, était alors "plus digne du divan turc que des Communes d’Angleterre" (p. 323).
2045 Millot, Elémens, op. cit., t. II, p. 296 et 350 ; Mably, Observations sur l’histoire de France, op. cit., p. 240.
2046 Raynal, Histoire philosophique et politique, op. cit., t. III, p. 513. Il s’en prend ainsi aux "faux principes, qui feraient du gouvernement un mystère de la religion" (ibid.).
2047 Holbach, Système social, op. cit., t. II, p. 33. Voir le compte rendu du règne de Jacques II par Condillac dans son Histoire moderne (Œuvres, op. cit., t. XIV, p. 161-169) ou sa narration du procès du pasteur jacobite Henry Sacheverell, à la suite d’une homélie hostile au Settlement de 1688, prononcée à Londres en 1709 (ibid., p. 333-335).
2048 Contant d’Orville, Les fastes de la Grande-Bretagne, op. cit., t. I, p. 175.
2049 Millot, Elémens, op. cit., t. III, 340. Depuis l’accession des Hanovre, la constitution paraît se corrompre "en attendant quelque autre conjoncture qui la remette en vigueur" (t. I, p. xi).
2050 Ibid., t. III, p. 106.
2051 Mably, De l’étude de l’histoire, op. cit., p. 201. Pour une défense de la Glorieuse Révolution, voir De la législation ou principe des lois, 1776, OC, t. IX, p. 196 et 209.
2052 Mably, Des droits et des devoirs, op. cit., p. 288-289, où il qualifie 1688 de "révolution infructueuse".
2053 Sur Wilkes, personnage populiste et xénophobe, notamment par ses sentiments antiécossais, qui fut le support des aspirations démocratiques de son temps, voir D. L. Keir, Constitutional History, op. cit., p. 341-343 et G. Holmes, The Age of Oligarchy, op. cit., p. 319 sq.
2054 Contant d’Orville, Les nuits anglaises, op. cit., t. II, p. 139. A partir d’une étude de la correspondance de nombreux contemporains, G. Goggi a montré la place importance de cette affaire dans la genèse du célèbre Dialogue sur le commerce des blés de l’abbé Galiani, dont la publication en 1770 contribua au discrédit de la politique des physiocrates. L’Angleterre de Wilkes démontre à l’abbé napolitain qu’une politique libérale sur le commerce des grains bouleverse la balance de la propriété en faveur des freeholders et engendre ainsi des revendications politiques de nature démocratique. Galiani fait ainsi de l’Angleterre le "modèle négatif d’une évolution politique et sociale qu’il faut contrôler et même entraver" ("Galiani et l’Angleterre, sur la genèse des Dialogues sur les blés", Dix-huitième siècle, 26, 1994, p. 295316, cit. p. 297).
2055 Abbé de Véri, Journal, op. cit., t. I, p. 203.
2056 Le comte d’Albon trouve dans cet épisode une parfaite illustration de l’inanité de la liberté anglaise : "Le peuple se lasse d’adorer une idole impuissante, il l’abandonne, il la laisse tomber. La divinité se prosterne à son tour aux pieds de ces anciens adorateurs, elle prie, elle demande des grâces et ne reçoit que des refus. La cour avait puni l’homme ambitieux, le peuple délaisse l’homme inutile" (Discours politique, op. cit., p. 53).
2057 Lettre de Chastellux à Wilkes, 9 avril 1768, "Lettres inédites de Chastellux à Wilkes", RLC, 1930, p. 620.
2058 Wilkes obtint également du King’s Bench 4.000 £ d’indemnités, ce qui fait dire à Linguet qu’un ministre prévaricateur "qui aura cent mille guinées à dépenser par an, peut donc y commettre, sans inquiétude, au moins vingt-cinq injustices" (Du plus heureux gouvernement, op. cit., p. 135). N’en déplaise à Linguet, l’affaire Wilkes fut l’occasion d’importantes modifications jurisprudentielles, qui démontreront à Grosley, qui les rapporte, "combien la prérogative de la nation a gagné de terrain depuis le règne de Charles II" (Londres, op. cit., t. III, p. 187). Dans l’affaire Lean v. Money (1763), Lord Mansfield refusa la légalité des general warrants permettant de lancer un avis de recherche général qui entraînait l’emprisonnement d’individus sur de simples soupçons. Dans l’affaire Entick v. Carrington (1765), Lord Chief Justice Camden refusa au secrétaire d’État le droit de faire emprisonner un individu, sauf pour les cas de treason (E. N. Williams, The Eighteenth Century Constitution, op. cit., p. 390-391). Le Ministère soucieux de rétablir la pratique des general warrants, qualifiés par Lord Camden, d’"illégal and subversive of the liberties of the subjects”, rencontra l’opposition étonnante de députés inquiets de voir porter atteinte à la décision d’une cour qui statuait selon le common law, "sacred institution" pour la plupart de ces députés. Si le ministère obtint gain de cause à 14 voix près, la pratique des general warrants tomba dans les faits en désuétude.
2059 Dans l’une des dépêches, on peut lire : "Le commencement des troubles et de la guerre civile sous Charles Ier avait des fondements moins considérables que ceux d’aujourd’hui et nous voyons par l’histoire sanglante de ce pays que jamais le Roi d’Angleterre n’a rien gagné en disputant avec son peuple, et qu’au contraire, il en a été à la fin la victime" (Correspondance diplomatique, Angleterre, Supplément (1768-1770), série 484, f° 198 v). Cette série réunit de nombreuses lettres, traductions d’opuscules et analyses sur les élections parlementaires dans le Middlesex et le procès de Wilkes devant le King’s Bench.
2060 Cette affirmation repose sur la consultation des volumes de la Correspondance générale de Jean-Jacques Rousseau (Paris, 1930-1932, vol. 14 à 17) lors de la période où il était en Angleterre.
2061 Rousseau, Les confessions, Paris, Gallimard, "La Pléiade", 1959, p. 582.
2062 Il convient de citer la phrase dans son entier, extraite d’un passage sur les effets de l’alimentation sur la personnalité, qui doit sans doute beaucoup aux conclusions d’Arbutnoth, et notamment de son John Bull, apologie de l’Anglais sanguin et emporté. "Il est certain que les grands mangeurs de viandes sont en général cruels et féroces plus que les autres hommes ; cette observation est de tous les lieux et de tous les temps : la barbarie anglaise est connue". A ce constat, Rousseau ajoute dans une note de bas de page, "Je sais que les Anglais vantent beaucoup leur humanité et le bon naturel de leur nation, qu’ils appellent good natured people ; mais ils ont beau crier cela tant qu’ils peuvent, personne ne le répète après eux" (L’Emile, O.C., Paris, Gallimard, "La Pléaide", 1969, Liv. II, p. 411).
2063 Rousseau, Lettres écrites de la Montagne [1764], O.C., p. 875. Sur le contexte de publication de ces Lettres, voir l’introduction de J.-D. Candaux à l’édition citée (p. CLIXCXCVIII), où il est précisé que les informations de Rousseau sur l’Angleterre lui furent fournies par T.-P. Lenieps, Genevois exilé à Paris. Mais l’importance de l’affaire Wilkes semble être sous-estimée par J.-D. Candaux, car Rousseau vante la liberté d’expression anglaise au regard de la situation genevoise. Si à Londres, Wilkes s’était vu reconnaître en dernier instance la liberté d’écrire, à Genève, il aurait été pour des propos moins graves "très grièvement puni", et même condamné à mort (p. 876).
2064 Ibid
2065 Ibid., p. 824.
2066 Ibid., p. 879. Voir supra, Ière partie, titre II, Chapitre 2, section 1.
2067 Avec une pointe d’ironie, il oppose les délibérations du Parlement anglais avec celles du Conseil général de Genève : "On se plaint ainsi de l’impolice qui règne dans le Parlement d’Angleterre ; et toutefois dans ce corps composé de plus de sept cents membres, où se traitent de si grandes affaires, où tant d’intérêts se croisent, où tant de cabales se forment, où tant de têtes s’échauffent, où chaque membre a le droit de parler, tout se fait, tout s’expédie, cette grand monarchie va son train ; et chez vous où les intérêts sont si simples, si peu compliqués, où l’on n’a, pour ainsi dire, à régler que les affaires d’une famille, on vous fait peur des orages comme si tout allait renverser" (ibid., p. 831-832).
2068 Ibid., p. 878.
2069 Ibid., p. 879 et 878. Sans prétendre remettre en question la cohérence interne de l’œuvre de Rousseau par l’utilisation d’un seul de ses écrits, d’ailleurs rédigé à de strictes fins polémiques, il semble que l’adhésion temporaire de Rousseau au modèle anglais de monarchie limitée, n’a pas été suffisamment soulignée.
2070 La très instructive correspondance du journaliste Suard avec le député anglais a d’ailleurs été publiée par G. Bonno (lettres inédites de Suard à Wilkes, Univ. of California Press, 1932).
2071 (2071) Marat, Les chaînes de l’esclavage, 1774, éd. de 1792, Paris, Flammarion, 1993, p. 10 et 12.
2072 Rousseau, Considérations sur le gouvernement de Pologne (1771, publié en 1782), O.C., op. cit., t. III, p. 982.
2073 "Le suffrage presque unanime des électeurs en votre faveur est la preuve la plus incontestable de leur impartialité. La corruption et les manèges clandestins, qui sont si fréquents dans toutes les élections, n’ont pas eu lieu dans la vôtre ; l’amour de la liberté a enflammé tous les cœurs et vous a procuré leurs voix" (Diderot cité par F. Moureau, "Sur une lettre de Diderot à John Wilkes publiée dans le Courrier du Bas-Rhin", Dix-huitième siècle, 6, 1974, p. 283).
2074 Sur ce mouvement qui anima l’Angleterre de 1760 à 1785, date du nouveau ministère du Jeune Pitt, voir G. Holmes et D. Szechi, qui en soulignent le caractère hétéroclite et déstructuré (The Age of Oligarchy, op. cit., p. 317 sq) et J. Cannon, Parliamentary Reform, op. cit., passim.
2075 Holbach, Système social, op. cit., t. II, p. 90.
2076 Madame Du Boccage, Lettres sur l’Angleterre, dans Recueil des œuvres, Lyon, 17621764, t. III, p. 52, qui ajoute la pratique pour les Pairs de chercher à placer leurs parents dans les Communes afin de maintenir leur crédit (ibid.). Les exemples pourraient être multipliés, voir notamment Contant d’Orville, Les nuits anglaises, Paris, 1770, t. I, p. 146-147, 168.
2077 Targe, Histoire d’Angleterre, Londres et Paris, 1768, t. II, p. 256-257. L’Histoire d’Angleterre de Hume a rencontré un succès prodigieux, preuve en est le nombre de citations et emprunts au philosophe écossais dans les ouvrages français du second xviiième siècle. Ce dernier développe, selon une expression de J. G. A. Pocock un "whiggisme sceptique", consistant dans le rejet de la doctrine de l’ancienne constitution, et préférant insister sur la révolution née autour du xvième siècle avec l’essor des échanges commerciaux et intellectuels.
L’une des particularités de ses thèses est la relative réhabilitation de l’action de Charles Ier ("Les variétés du whiggisme, de l’Exclusion à la Réforme", op. cit., p. 313). Imprégné lui d’idées torys et radicales, Smollett, continuateur de l’œuvre arrêtée en 1688, fustige, contre l’opinion de Hume lui-même, la corruption et les intérêts d’argent accablant l’Angleterre hanovrienne.
2078 Targe, Histoire d’Angleterre, op. cit., t. IV, p. 133.
2079 Sur cette nouvelle pratique qui permettait la manifestation d’aspirations à des réformes institutionnelles, mais aussi économiques ou fiscales, voir P. Kelly, "Constituent’s Instructions to Member’s of Parliament", op. cit., p. 178-186.
2080 Rousseau, Du contrat social, III, 7, O.C., t. III, p. 413.
2081 Ibid, I, 4, p. 361, dans un passage portant sur la définition de la notion cité, par une opposition entre les cités antiques et les nations modernes. D’ailleurs, un même parallèle entre les Anciens et les Modernes à la faveur de l’Angleterre se retrouve dans la comparaison entre les "orateurs" à Rome et en Angleterre (ibid., III, 14, p. 428)
2082 Rousseau, Julie, ou la nouvelle Héloïse, Paris, GF Flammarion, 1967, p. 115, où il ajoute dans la bouche de Milord Edouard : "Nous ne sommes point, il est vrai, les esclaves du prince, mais ses amis, ni les tyrans du peuple, mais ses chefs. Garants de la liberté, soutiens de la patrie, et appuis du trône, nous formons un invincible équilibre entre le peuple et le roi.
2083 Rousseau, Contrat social, op. cit., p. 430.
2084 La citation se retrouve ainsi dans le Discours politique du comte d’Albon, qui renchérit en voyant dans le principe même de l’élection "une vaine formalité". Discours politiques, op. cit., p. 45.
2085 Voltaire, Idées républicaines, Mélanges, op. cit., p. 510.
2086 Rousseau, Considérations, op. cit., p. 979. R. Derathé a souligné la conjonction de deux éléments dans l’élaboration de la théorie de la représentation de Rousseau : d’une part, le refus d’assimiler la liberté à la propriété, la première étant inaliénable, d’autre part, le rejet des exemples contemporains de gouvernement représentatif, à commencer par l’Angleterre (Jean-Jacques Rousseau, op. cit., p. 260-271).
2087 "Un des plus grands inconvénients des grands États, celui de tous qui y rend la liberté le plus difficile à conserver, est que la puissance législative ne peut s’y montrer elle-même, et ne peut agir que par députation. Cela a son mal et son bien ; mais le mal l’emporte. Le Législateur en corps est impossible à corrompre, mais facile à tromper. Ses représentants sont difficilement trompés, mais aisément corrompus ; et il arrive rarement qu’ils ne le soient pas. Vous avez sous les yeux l’exemple du Parlement d’Angleterre et par le liberum veto, celui de votre propre nation" (Considérations, op. cit., p. 978-979).
2088 Voir J. Roels, "J.-J. Rousseau et les institutions représentatives dans les Considérations sur le gouvernement de Pologne", Parliaments, Estates and Representation, 5, 1985, p. 13-23.
2089 Diderot, Observations sur l’instruction de l’Impératrice de Russie, Œuvres, op. cit., p. 356.
2090 Diderot, Encyclopédie, v° "Représentans", t. XXVIII, p. 858.
2091 Ibid., p. 863. Dans une lettre à Sophie Volland (12 novembre 1765, Lettres, op. cit., t. II, p. 85), il attribue ces propos à un député recevant ses commettants hostiles au bill de l’excise : "Je vous ai achetés bien cher et mon dessein est de vous vendre le plus chèrement que je pourrai", le philosophe concluant, "et voilà cet admirable gouvernement anglais dont Montesquieu a tant dit de bien sans le connaître" (ibid.). Au fil de ses écrits, Diderot ne cesse de dénoncer les pratiques de corruption, comme dans sa Réfutation de l’ouvrage d’Helvétius (op. cit., p. 417).
2092 D’Holbach, Système social, op. cit., t. II, p. 69 et 70, idée reprise dans l’Ethocratie (Amsterdam, 1776, p. 18). Se référant à Locke et à Sidney (Système social, p. 12 et 29), il affirme ainsi que "gouverner, c’est obliger les membres d’une société à remplir fidèlement les conditions du pacte social" (La politique naturelle, op. cit., t. I, p. 51).
2093 D’Holbach, Système social, op. cit., t. II, p. 50 et 69.
2094 Mably, Doutes proposés aux philosophes économistes sur l’ordre naturel et essentiel des sociétés politiques, 1768, OC, t. XI, p. 181.
2095 Mably, De la législation, op. cit., p. 254.
2096 Millot, Elémens, op. cit., t. III, p. 256.
2097 Mably, De l’étude de l’histoire, op. cit., p. 205, qui ne distingue pas le Triennal Act du 15 février 1641, de celui du 10 mai 1641, interdisant la dissolution ou l’ajournement du Parlement sans son consentement. Sur l’action du Short Parliament, qui en quelques semaines conduira à la destruction de la pratique constitutionnelle en cours depuis Élisabeth, voir J.-P. Kenyon, The Stuart Constitution, op. cit., p. 191 et 219-225.
2098 Rousseau, Lettres écrites de la montagne, op. cit., p. 877. Selon d’Holbach, le statut de 1717 serait "un grand coup porté à la liberté nationale" (Système social, op. cit., t. II, p. 73).
2099 Rousseau, Considérations, op. cit., p. 975.
2100 Si, dès mars 1775, un discours de Wilkes au Communes critiquait l’absence de toute réforme de la représentation depuis Charles II, les débats ne prendront de l’ampleur qu’à partir de 1780, pour être enterrés quelques années après, jusqu’au Great Reform Bill de 1832. Sur ce point, voir J. Cannon, Parliamentary Reform, op. cit., p. 82-97.
2101 Prost de Royer, Dictionnaire, op. cit., v° "Angleterre", t. V, p. 27.
2102 Brissot, Journal du Licée de Londres, op. cit., t. I, p. 10. Il souhaite cependant que "l’étude de la constitution anglaise serve à corriger les autres constitutions" (t. II, p. 4).
2103 Ibid., t. I, p. 326-327.
2104 Ibid., t. I, p. 320. Pour la référence à Rousseau, voir t. I, p. 325. En fait, le bref cabinet Rockingham (mars à juillet 1782), qui comptait trois ministres réformateurs, Shelburne, Fox et Richmond, ne put jamais gagner l’approbation des Communes pour augmenter le nombre des représentants dans certains comtés (J. Cannon, Parliamentary Reform, op. cit., p. 86-89).
2105 Note de Brissot à la traduction des Lettres sur la liberté politique, op. cit., note c, p. 89-90.
2106 Voir K. M. Baker, Condorcet. Raison et politique, Paris, Hermann, 1988, p. 257 sq. La fiscalité symbolise le caractère irrationnel, gothique et emprunt de "préjugés" du système politique anglais. Voir par exemple Vie de M. Turgot, 1774, Œuvres complètes, éditées par F. Arago et A. O’Connor, Paris, 1847-1849 [désormais OC], t. V, 220 ; Lettre d’un bourgeois de New-Haven, 1788, OC, t. IX, p. 68, 69, 90. Mais il reste admiratif devant la civilisation anglaise, dont la découverte par les Français remonterait aux Lettres philosophiques, démontrant "l’influence qu’un esprit général de liberté peut exercer sur la littérature, sur la philosophie, sur les opinions, sur les mœurs" (Vie de Voltaire, OC, t. IV, p. 30).
2107 Condorcet, Idées sur le despotisme, 1789, OC, t. IX, p. 149.
2108 Condorcet, Sur la formation des communautés, OC, t. IX, p. 435, p. 436-437. Emporté par sa doctrine physiocrate, il accuse, à tord, le système anglais de surprésenter les villes aux dépens des campagnes.
2109 Condorcet, Lettres d’un bourgeois de New-Haven, op. cit., p. 24. "L’esprit de parti conduit à l’esprit de sophisme, et celui de sophisme, à des préjugés qui peuvent être dangereux" (p. 88).
2110 Condorcet, Sur la forme des élections, 1789, OC, t. IX, p. 329 ; Lettres d’un bourgeois de New-Haven, op. cit., p. 90.
2111 Condorcet, Essai sur la constitution et les fonctions des assemblées provinciales, 1788, OC, t. VIII, p. 155.
2112 Condorcet, Lettres d’un bourgeois, op. cit., p. 15.
2113 Ibid., p. 82 et 157.
2114 [Stevens], Examen du gouvernement d’Angleterre comparé aux constitutions des États-Unis où l’on réfute quelques assertions contenus dans l’ouvrage de M. Adams, intitulé Apologie des constitutions des États-Unis d’Amérique, et dans celui de M. Delolme intitulé : De la constitution d’Angleterre [1787], traduit de l’anglois, Londres, 1789. Les notes, qui triplent la longueur de l’ouvrage, sont attribuées à Condorcet, Dupont de Nemours, Filippo Mazzei et avec moins de certitude à Jean-Antoine Gauvain, dit Gallois. De cet ouvrage ne seront citées que les notes, parfaitement démarquées dans la publication, sous la forme : Condorcet et alii, Examen du gouvernement d’Angleterre. J. Appleby a parfaitement souligné l’importance de cet ouvrage dans l’élaboration du modèle américain ("America as a Model for the Radical French Reformers of 1789", William and Mary Quaterly, 28, 1971, p. 267-286).
2115 Condorcet et alii, Examen du gouvernement d’Angleterre, op. cit., p. 95. L’exception écossaise n’est même pas recevable, puisque, de 1710 à 1832, le choix des pairs était fait à partir d’une liste de candidats proposés par la Couronne. Voir Cl. Jones, A Pillar of the Constitution: The House of Lords in British Politics, 1640-1784, op. cit., p. 236.
2116 Condorcet et alii, Examen du gouvernement d’Angleterre, op. cit., p. 94.
2117 Ibid., p. 93.
2118 Holbach, Système social, op. cit., t. II, p. 70.
2119 E. N. Williams, The Eighteenth Century Constitution, op. cit., p. 139-143.
2120 Holbach, Système social, op. cit., t. II, p. 47 ; Millot, Elémens, op. cit., t. III, p. 219, 340, 344 ; Id., Coup d’œil sur la Grande-Bretagne, Londres, 1776, p. 12-13.
2121 Diderot, Lettre à Sophie Volland, 12 novembre 1785, Lettres, op. cit., t. II, p. 83, qui place le rejet de ce texte sous Guillaume III !
2122 Une monarchie héréditaire, même soumise aux pacta coventa, ne permet "qu’une ombre de liberté sans effet, qu’anéantira bientôt la simagrée du serment fait par tous les rois à leur sacre, et par tous oublié pour jamais l’instant d’après (…). Vous voyez l’Angleterre et vous allez voir la Suède. Profitez de ces exemples pour apprendre une fois pour toutes que, quelques précautions qu’on puisse entasser, hérédité dans le trône et liberté dans la nation seront à jamais des choses incompatibles" (Considérations sur le gouvernement de Pologne, op. cit., p. 992).
2123 L’hostilité de Mably à la règle de l’hérédité dans les magistratures le conduit, dans son ouvrage le plus radical, à avancer que la "cause primitive" de la trop grande influence du monarque est l’hérédité (Des droits et des devoirs, op. cit., p. 274). Dans cette perspective, il est logique d’avancer que Cromwell est "un tyran qui a puni un tyran" (p. 287). Dans Du gouvernement et des lois de Pologne (1772, Œuvres, t. VIII, p. 63), il reviendra sur cette opinion en reconnaissant cette fois les avantages de la loi salique. Sur ce point, voir S. Saguez-Lovisi, Les lois fondamentales au xviiième siècle, op. cit., p. 131-136.
2124 Au nom d’une souveraineté d’essence démocratique, Rousseau critique les deux théoriciens du droit naturel qui distinguent "les droits respectifs des rois et des peuples", Grotius favorable aux premiers à travers la personne de Louis XIII, et Barbeyrac qui cherche à établir un équilibre entre les deux parties dans sa défense de Guillaume d’Orange. "Toutes les fois qu’on croit voir la souveraineté partagée, on se trompe", affirme Rousseau contre les tenants de la balance des pouvoirs (Contrat social, op. cit., p. 370).
2125 "Les contre-forces en politique sont établies, non pas pour priver la puissance législative et la puissance exécutrice de l’action qui leur est propre et nécessaire, mais afin que les mouvements ne soient ni convulsifs, ni peu médités, ni trop rapides, ni trop prompts. En Angleterre, par exemple, le roi ne peut faire aucune loi sans le Parlement et le Parlement ne peut faire aucune loi sans le roi" (Doutes, op. cit., p. 203-231). Seul le caractère circonstancié de cet ouvrage explique la contradiction avancée par P. de Mellis entre la défense de la balance des pouvoirs et celle la souveraineté législative d’une assemblée (Le principe de la séparation des pouvoirs chez Mably, thèse droit, Toulouse, 1907, p. 230), Mably se ralliant en définitive à cette seconde hypothèse.
2126 De l’étude de l’histoire, op. cit., p. 203.
2127 De la législation, op. cit., p. 27 et p. 149.
2128 Ibid., p. 197 et 265.
2129 De l’étude de l’histoire, op. cit., p. 206. La même idée est évoquée quand Mably rapporte la consultation de jurisconsultes au début du règne de George III, sur la question de savoir si le droit d’élever un sujet à la pairie relevait de la prerogative. Devant la réponse affirmative, il conclut : "On a découvert un vice et parce qu’il tient à la constitution de l’État, on l’a respecté" (p. 253).
2130 Des droits et des devoirs du citoyen, op. cit., 330.
2131 De l’étude de l’histoire, op. cit., p. 247. Le Subsidy Act (21 Jac. I, c. 33) de 1624 privait le monarque de la gestion des revenus de l’impôt au profit du Parlement.
2132 Ibid., p. 249. Dans Du gouvernement et des lois de Pologne, Mably suggère aux Anglais de priver leur roi de ses possessions étrangères (p. 59), de la maîtrise des finances publiques (p. 62), du choix des ministres (p. 98), et de rendre enfin incompatible la qualité de député et de ministre (p. 111). Les mêmes exigences constitutionnelles étaient déjà avancées dans Des droits et des devoirs du citoyen (op. cit., p. 437, 446, 498). J.-J. Chevallier a raison de parler d’un idéal de "monarchie républicaine" (Histoire de la pensée politique, op. cit., t. II, p. 179).
2133 De l’étude de l’histoire, op. cit., p. 98-99.
2134 Ibid., p. 197, analyse qui se retrouve à l’identique dans Le droit public de l’Europe, op. cit., p. 166. Il est sans doute l’un des premiers auteurs à envisager sous un angle positif l’essor d’un puritanisme porteur d’un radicalisme à la fois religieux et politique au tournant des xvième et xviième. Les Stuarts "auraient profité sans peine et sans beaucoup d’art, de cette disposition pour établir un vrai despotisme, si le zèle de la religion ne fut venu au secours de l’État" (De l’étude de l’histoire, op. cit., p. 96). Ainsi, il critique la présentation trop favorable du règne des Stuarts par Hume (De la manière d’écrire l’histoire, t. XII, p. 377). À propos du retour de Charles II en 1660, il écrit : "Quoique la nation n’osât avouer ni désavouer ses représentants, les républicains forcés de se taire, mais qui ne pouvaient plus souffrir que des lois conformes à la Grande Charte, frémissaient de colère en secret, et attendaient le moment d’oser se montrer" (De l’étude de l’histoire, op. cit., p. 198-199).
2135 Brissot, Journal du Licée de Londres, op. cit., t. II, p. 324.
2136 En moins de trois mois, trois textes furent votés sur ce point : le Civil List Act proposé par Burke portant suppression de 134 offices de sinécure et limitant les moyens financiers de la Couronne dans le patronage, le Crewe’s Act entraînant l’inéligibilité (disfranchisement) des officiers de l’administration financière (revenue officers) et le Place Act interdisant l’accès Communes des titulaires de contrats publics (government contractors) (E. N. Williams, The Eighteenth-Century Constitution, op. cit., p. 198-206).
2137 Brissot, Journal du Licée de Londres, op. cit., t. II, p. 375. D. Baranger a montré que la dissolution du Parlement, tout en étant la conséquence d’une crise ouverte entre l’exécutif monarchique et les Communes, ne doit pas être interprétée comme un cas d’ultime recours au peuple, mais s’intègre dans la transformation du statut du peuple dans la structure du régime mixte (Parlementarisme des origines, op. cit., p. 375 sq).
2138 Condorcet et alii, Examen du gouvernement d’Angleterre, op. cit., p. 101-102.
2139 Rivarol, De l’universalité de la langue française (1784), Paris, 1930, p. 207-208.
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