La diffusion du modèle politique et institutionnel anglais (1748-1789)
p. 295-296
Texte intégral
1Comme le note Michel Antoine, jamais une année au chiffre symbolique n'aura marqué une rupture aussi flagrante dans le long xviiième siècle. Les Lumières entrent alors dans l'âge de la maturité, dont l'aventure de l'Encyclopédie, commencée en 1751, sera le témoignage le plus éclatant. Cette sensible accélération à partir du milieu du siècle dans le domaine des idées se trouve confirmée par la diffusion du modèle anglais. Les conclusions du biographe de Louis XV sont en effet corroborées par les témoignages des contemporains. En 1751, d'Argenson s'inquiétait dans son Journal des changements dans l'air du temps.
Il nous souffle d'Angleterre un vent philosophique de gouvernement libre et anti-monarchique. (...) Ce vent d'anti-monarchisme et d'anti-révélation nous a soufflé d'Angleterre, et, comme le Français enchérit toujours sur les étrangers, il va plus loin et plus effrontément dans ses carrières d'effronterie1575.
2Au midi du siècle, les ouvrages anglais envahissent la plupart des champs de la civilisation des Lumières françaises. L'économie politique, par les traductions d'ouvrages autour de l'École de Vincent de Gournay, l'agronomie, l'architecture avec François Bélanger qui introduit le néopalladianisme et les jardins à l'anglaise, la littérature et surtout le théâtre, la shakespea-romanie gagnant la plupart des esprits éclairés, sont quelques-uns des domaines touchés par ce vaste mouvement de pénétration des idées anglaises. Après la publication de L'Esprit des lois, la pensée politique et institutionnelle ne pouvait être épargnée par cette contagion, comme le note toujours d'Argenson en juin 1754. Sur un ton moins pessimiste, il relève l'influence, jusque là considérée comme néfaste, de la nation anglaise, sur certains des concepts politiques essentiels :
Les opinions prévalent et peuvent mener loin. L'on observe que jamais l'on n'avait répété les noms de nation et d'État comme aujourd'hui. Ces deux noms ne se prononçaient jamais sous Louis XIV, et l'on en avait pas seulement l'idée. L'on a jamais été si instruit de la liberté. Moi-même, qui ai toujours médité et puisé des matériaux dans l'étude sur ces matières, j'avais ma conscience tout autrement tournée qu'aujourd'hui : cela nous vient du parlement et des Anglais1576.
3À partir de 1748, la constitution anglaise est désormais une référence incontournable pour les publicistes, l'anglicisme "constitutionnel" étant même devenu, selon Féraud, "un mot à la mode, depuis qu'on parle tant des affaires d'Angleterre" 1577.
4Au cours de cette période caractérisée par une précision dans la compréhension des mécanismes institutionnels en vigueur de l'autre côté de la Manche, le modèle anglais suscite à la fois l'adhésion et le rejet, la fascination et la désapprobation, apparaissant ainsi comme un modèle politique sous tension (Titre I). Au-delà de cette réflexion sur la liberté anglaise, qu'elle soit enviée, contestée ou décriée, il semble que les références à cette nation aient été un instrument efficace au service de la contestation des assises de la monarchie d'Ancien Régime. Entre la spéculation et la réformation, la frontière est ténue, mais il apparaît que les références à l'Angleterre ont nourri une volonté de réformes des institutions françaises. Il conviendra de s'interroger sur les voies empruntées par le modèle anglais dans ce formidable déploiement de critiques qui caractérise cette seconde moitié du xviiième siècle (Titre II).
Notes de bas de page
1575 D'Argenson, Journal (E. J. B. Rathéry), op. cit., t. VI, p. 464.
1576 Ibid., t. VIII, p. 315.
1577 Cité par J. Humbley, "Les anglicismes dans le Dictionnaire critique et dans le Supplément", Autour de Féraud. La lexicographie en France de 1762 à 1835, Paris, École Normale Supérieure de Jeunes Filles, 1986, p. 147-155.
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