Conclusion de la première partie
p. 293
Texte intégral
1À l'entrée "Anglais" de la "table analytique et alphabétique des matières" de L'Esprit des lois établie par Montesquieu et son fils, il est écrit : "C'est le gouvernement le plus libre qui ait jamais existé sur la terre : leur gouvernement doit servir de modèle aux peuples qui veulent être libres"1572.
2Les publications des premières décennies du règne de Louis XV permettent à l'Angleterre d'être élevée au rang de modèle politique et institutionnel. Après avoir été confinées dans les écrits polémiques du Refuge, puis lentement découvertes au cours des années 1715-1748, les institutions et la réalité sociale anglaises deviennent, grâce à la publication de L'Esprit des lois, un digne sujet d'étude. L'Angleterre n'est donc plus une simple référence semée au gré d'une érudition vagabonde, comme au temps de Bodin ou de Loyseau. À la fois sujet d'observation et projection d'un idéal, elle fait désormais l'objet d'une analyse de plus en plus systématique. Considérée comme une monarchie de nature républicaine, l'Angleterre s'ordonne autour de principes en tous points différents de la monarchie des Bourbons. Cette nation, traversée par des tensions politiques et religieuses, semble consacrer une forme originale de liberté : une liberté civile établie par une justice pénale éclairée qui garantit la sûreté individuelle, et une liberté politique née de la forme de sa constitution.
3Les Français n'avaient certes pas besoin de l'Angleterre pour s'interroger sur la question du consentement à l'impôt ou de l'existence d'une assemblée représentative de la nation. Le référent romain et les libertés franques avaient depuis longtemps nourri le discours contestataire. Le temps a cependant neutralisé l'exemple romain. Quant au référent franc, il entretient une relation ambiguë, presque incestueuse, avec le modèle anglais. En effet, les leçons du premier (monarchie tempérée par une assemblée, consentement à l'impôt…) sont le plus souvent confirmées par l'exemple du second. Plus proche dans l'espace et dans le temps, la nation anglaise, libre, philosophe et prospère, qui impressionne par sa modernité, est désormais, dans un contexte de crise idéologique, le modèle politique de référence.
4Au temps de l'élaboration succédera celui de la diffusion. Jamais Calais et Douvres n'auront semblé aussi proches, même si, comme le rappelait Montesquieu :
Les lois doivent être tellement propres au peuple pour lequel elles sont faites, que c'est un très grand hasard si celles d'une nation peuvent convenir à une autre1573.
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