Chapitre III. Montesquieu, ou la Conceptualisation de la liberté politique anglaise
p. 251-291
Texte intégral
1Il est des lectures qui donnent le vertige. Les deux chapitres anglais (XI, 6 et XIX, 27) de L’Esprit des lois en font assurément partie. Bien peu de textes auront suscité autant de controverses, de débats, de polémiques, derrière lesquelles planent les ombres de Carré de Malberg et de Kelsen, de Weber et d’Althusser.
2Figure de la première moitié du xviiième siècle, Montesquieu avait une très fine connaissance, sans doute l’une des plus fines de son époque, de la réalité politique anglaise. Nourri de références livresques, marqué par un séjour londonien de plus de dix-huit mois, il a accumulé un vaste savoir sur les institutions anglaises. Qu’il ait méconnu certains aspects de ce régime politique comme le gouvernement local, qu’il ne se soit pas attardé sur l’émergence du cabinet aux dépends du conseil privé, n’est guère surprenant. Homme de son temps, il ne pouvait ni comprendre une singularité qui échappait à tous ses contemporains, ni anticiper sur un régime parlementaire encore embryonnaire.
3Dans la mesure où L’Esprit des lois intègre les éléments classiques du discours sur la constitution anglaise (consentement à l’impôt, représentation…), cet ouvrage ne devrait donc mériter la sentence apposée sur son frontispice, Prolem sine matre creatam. Montesquieu a toutefois su dépasser le simple propos descriptif pour inscrire ce discours dans une nouvelle économie de la liberté politique. En quelques pages, il appréhende les institutions britanniques, non pas sous la forme d’une histoire qui tend, à l’instar de celle de Rapin-Thoyras, à s’essouffler au fil des volumes, ni par les traits brillants des Lettres philosophiques. Il propose en effet une description inédite de l’organisation des pouvoirs qui confère à ses analyses un visage différent, tourmenté, sujet de nombreuses polémiques, qui tranche avec le visage serein du magistrat bordelais sculpté par Clodion. À partir des fondations déjà posées par ses prédécesseurs, Montesquieu fait de l’Angleterre un parangon de liberté, un laboratoire de physique politique des Lumières. Il dessine alors les traits définitifs de ce modèle politique et institutionnel (I). Il conviendra ensuite de s’interroger sur la place particulière de ce modèle dans l’économie générale de L’Esprit des lois, au regard d’un passé obsédant, qu’il soit germain ou romain, comme d’un présent inquiétant, la France de Louis XV (II).
I - L’APPORT MÉTHODOLOGIQUE ET THÉORIQUE DE MONTESQUIEU
4Il est un Montesquieu historien, un Montesquieu juriste, un Montesquieu moraliste, mais toutes ses activités sont animées par une même ambition démiurgique : mettre à jour les lois qui gouvernent le "monde intelligent"1344. Loin de se cantonner dans les sphères de l’abstraction, qu’elles soient théologiques ou philosophiques, il embrasse les faits, la réalité humaine sous toutes ses manifestations. Sa formation reçue à Juilly, où les Oratoriens n’hésitaient pas à ouvrir l’esprit de leurs jeunes élèves aux sciences exactes, sa passion pour la médecine, ses travaux scientifiques à l’Académie de Bordeaux, sa qualité de membre de la Royal Society de Londres, le prédestinaient à cette entreprise. Il veut faire de la politique non plus un simple "sentiment", mais un "objet de connaissances"1345.
5De cette volonté naît une méthode (§ 1), qui pourra être appliquée à la constitution anglaise pour en faire une arithmétique de la liberté politique (§ 2).
§ 1 - Une révolution dans la méthode
-Montesquieu, Newton de la physique politique
6Comme toutes les manifestations de l’activité humaine, la politique, et sa manifestation juridique et symbolique, le pouvoir, obéissent non à un impératif transcendant ou aux caprices de la fortune, mais à des règles rationnelles, à des rapports qu’il convient de mettre à jour. Négligeant la démarche spéculative ou hypothético-déductive posée par Descartes, Montesquieu recourt à l’observation, à une analyse empirique et déductive de la réalité selon une méthode inspirée des Principia (1687) de Newton et des théories de la connaissance exposées dans L’essai concernant l’entendement humain (1689) de Locke. Être raisonnable, l’homme peut et doit même connaître les règles complexes qui président au monde physique comme au monde humain1346. Dans la mesure où ces deux champs de connaissance obéissent à des règles similaires, ils peuvent être étudiés selon une méthode similaire. Aussi, Montesquieu délaisse-t-il l’appréhension du corps politique par le recours à un schéma organiciste, relégué au rang de simple métaphore littéraire, pour lui préférer celui des sciences physiques1347. La terminologie de la physique mécanique est omniprésente, seule capable de rendre compte de la variété et de la mutabilité du corps politique1348. S’explique ainsi la méfiance suscitée par Montesquieu envers la géométrie qui ne permettrait pas de saisir le mouvement, la variabilité des choses : "Les méthodes des géomètres sont des pièces de chaînes qui les lient et les empêchent de s’écarter"1349. L’harmonie du physicien est préférée à la rigide proportion du géomètre soumis à l’empire des mathématiques, même s’il peut encore définir le gouvernement comme "une somme qui est composée de plusieurs chiffres"1350. À l’instar de ses contemporains, Montesquieu fait preuve de méfiance vis-à-vis de la discipline dominante au siècle précédent, car elle avait le défaut de développer par la méthode déductive des principes a priori, et de conférer au réel une régularité et une fixité qui lui étaient étrangères1351. Seule la méthode physique permettra de saisir non pas des "règles" toujours fixes qui président à l’ordre du monde, mais des "rapports" sans cesse mouvants : "Le monde intellectuel, aussi en mouvement que le monde physique, change comme le monde physique"1352.
7Cette approche "physique" de la chose politique n’est cependant qu’un mode d’explication de la réalité. L’examen est toujours critique, la politique reste un art. S’il permet de mettre à jour des "lois invariables", le pouvoir ne peut se réduire à un système positif de forces et de contre-forces, comme l’avait inauguré Newton dans le champ scientifique. L’ordre politique est rationnel, puisque soumis à des lois. Il ne tire cependant pas sa légitimité de cette seule rationalité, mais de sa soumission à un principe supérieur raisonnable dont Dieu est à la fois le "créateur" et le "conservateur"1353. La justice ne procède pas de la simple légalité, mais d’une tension entre le caractère transcendant, absolu de la loi naturelle et la relativité de la loi positive. Il existe, rappelle Montesquieu dans le Livre I, "des rapports d’équité antérieurs à la loi positive qui les établit"1354. Mais il ne faut pas faire découler de ces lignes un fixisme d’essence conservatrice. Loin d’être la manifestation d’un "pur acte de puissance", l’action du législateur animé par la prudence, devra tenir compte de l’ordre des choses qu’il serait dangereux de bouleverser1355.
Une chose n’est pas juste parce qu’elle est la loi ; mais elle est la loi parce qu’elle est juste1356.
8Montesquieu aime à se parer des attributs du subtil théoricien de la relativité politique, mais peut aussi se muer en implacable théoricien de la liberté politique. Les visées descriptives induites par la méthode empirique s’intègrent dans une perception normative de la liberté. Détournant une formule de Florentinus consignée dans le Digeste, il rappelle que la liberté politique "ne consiste pas à faire ce que l’on veut, [elle] est le droit de faire tout ce que les lois permettent"1357.
9Au terme de son enquête, Montesquieu établit un axiome qui présidera à sa science de la liberté : "pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir"1358. Là réside la clé de la liberté politique. Assimilé à l’onde d’un raz-de-marée, à "une mer qui semble vouloir couvrir toute la terre"1359, le pouvoir semble obéir à une loi de l’accélération des corps, à une logique interne de l’emportement1360. Par cette qualité première, il porte en lui, de façon ontologique, un danger contre lequel il convient de se prémunir. Le droit de remontrances des Parlements comme la faculté d’empêcher reconnue en Angleterre à la chambre haute ou au roi pourront seuls "arrêter", au sens autant mécanique que juridique du terme, l’exercice du pouvoir. En 1734, Montesquieu écrivait :
Les lois de Rome avaient sagement divisé la puissance publique en un grand nombre de magistratures, qui se soutenaient, s’arrêtaient, et se tempéraient l’une l’autre : et, comme elles n’avaient toutes qu’un pouvoir borné, chaque citoyen était bon pour y parvenir1361.
10Quelques années plus tard, il donne à cette analyse des institutions romaines une portée générale dans une formule célèbre. Pour former un gouvernement modéré, "il faut combiner les puissances, les régler, les tempérer, les faire agir ; donner, pour ainsi dire, un lest à l’une, pour la mettre en l’état de résister à une autre"1362. L’axiome consistant à définir la liberté par un mécanisme interne au pouvoir apparaît comme révolutionnaire. Il permet à la fois d’écarter la question de la légitimité de l’autorité et de sortir du cadre contractuel dans lequel étaient souvent enfermés les partisans d’une limitation du pouvoir. Montesquieu n’en sort cependant pas complètement, puisque, lecteur des jusnaturalistes modernes, comme des écrivains anglais, sa réflexion s’intègre dans cette perspective. Si, dans ses Lettres persanes, il avait rejeté avec une acide ironie le débat sur l’origine des sociétés civiles1363, l’idée d’un pacte d’association constitue l’arrière-plan théorique sur lequel se greffe sa réflexion politique. De façon connexe, il ne fait qu’évoquer le passage de "l’indépendance naturelle" à la soumission aux lois politiques et celui de la "communauté naturelle des biens" à la soumission à des lois civiles1364, mais il ne s’attarde guère sur la question de la légitimité du pouvoir. L’évolution de la description des institutions anglaises peut illustrer ce propos. Dans les Lettres persanes, Usbek fait preuve de scepticisme en rapportant non sans malice un discours proche des thèses whigs de la fin du xviième siècle, sur le pouvoir royal naturellement limité par un contrat de gouvernement. "Nous ne pouvons pas, disent [les Anglais] donner à un autre plus de pouvoir que nous n’en avons nous-mêmes". Aussi, quand le roi viole les termes du contrat, il peut être déposé, les sujets retournant alors dans "leur liberté naturelle"1365. Vingt ans plus tard, Montesquieu ne laisse même plus la parole aux Anglais dans L’Esprit des lois. Le référent contractuel est totalement absent du Livre XI. Le principe de la souveraineté populaire ne peut par principe fonder un gouvernement libre car il reviendrait à confondre "le pouvoir du peuple avec la liberté du peuple"1366. Sans pour autant rejeter l’idée d’une réciprocité de droits et de devoirs entre le prince et ses sujets, il écarte l’hypothèse d’une assise contractuelle du pouvoir, d’un rapport juridiquement fondé entre gouvernants et gouvernés, que ce soit dans le cadre du droit historique ou du droit naturel. Il serait aussi vain de rechercher dans les annales de la monarchie les traces d’un "règlement général"1367, que de revendiquer un chimérique droit de résistance à une autorité désignée par voie d’élection1368.
11L’axiome d’une nécessaire auto-limitation du pouvoir permet à Montesquieu de superposer la typologie monarchie -république -despotisme établie dans le Livre II, déjà en elle-même détournée à des fins polémiques1369, et un nouvelle distinction entre le gouvernement modéré et le gouvernement despotique. À l’exception du despotisme, toute forme de gouvernement a une vocation naturelle à garantir la liberté politique qui "concerne les monarchies modérées comme les républiques, et n’est pas plus éloignée du trône que d’un sénat"1370.
-Le dépassement du régime mixte
12Le concept de "constitution" conserve dans L’Esprit des lois sa traditionnelle polysémie. Ses acceptions sont multiples, pouvant désigner un ordre naturel, la bulle Unigenitus, un acte législatif à portée générale, une loi fondamentale, et l’ordre politique d’une nation (la "constitution de l’État")1371. L’exemple de l’Angleterre permet cependant à Montesquieu d’infléchir le sens de ce concept. En apparence, celui-ci ne fait guère preuve d’originalité dans l’une de ses Pensées pour décrire le régime anglais : "Qu’elle est donc la constitution d’Angleterre ? C’est une monarchie mêlée comme Lacédémone (…) fut une aristocratie mêlée"1372. Il n’ignore donc pas le régime mixte. Les leçons du "judicieux Polybe" comme l’appelle Montesquieu1373, ont nourri son histoire des institutions romaines dans les Considérations. Mais il a su dépasser l’héritage polybien, entendu de façon classique chez les publicistes du xviiième comme un système de co-souveraineté assurant la participation de trois organes (le roi et les deux chambres) à l’élaboration de la loi, pour définir les règles propres à la constitution anglaise. L’architecture constitutionnelle de l’Angleterre élaborée par Montesquieu apparaît plus ambitieuse, grâce à l’introduction de la notion de "distribution" non pas du seul pouvoir législatif comme dans le régime mixte, mais des trois pouvoirs. Le sens du mot "constitution" se trouve alors modifié. L’expression même de "régime (ou monarchie) mixte", singulièrement absente des deux chapitres anglais de L’Esprit des lois, perd alors toute utilité.
13Dans le chapitre consacré à la constitution anglaise, Montesquieu propose un "système"1374 à partir d’une double distinction organique et fonctionnelle qui a lui a valu l’honneur de se voir décerner le titre prestigieux de "fondateur du droit public moderne"1375. Ces distinctions, soumises à une terminologie hésitante -il s’agit tantôt de "pouvoir" ou plus souvent de "puissance"- n’ont cependant pas le mérite de la clarté. L’exécutif peut ainsi signifier l’action d’appliquer les dispositions émanant du pouvoir législatif ou l’organe qui se voit attribuer cette fonction. Plus troublante est la typologie présentée au début du chapitre. Montesquieu opère une première distinction entre trois fonctions : la puissance législative, la "puissance exécutrice de l’État" selon le droit des gens et la "puissance de juger" dans l’ordre interne selon le droit civil1376. Cette distinction s’efface par la suite, sans raison apparente, au profit d’une typologie vouée à un large succès entre les trois pouvoirs : "celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques et celui de juger"1377. Elle seule est véritablement opératoire dans le Livre XI. Il convient cependant de ne pas plier la réflexion de Montesquieu à une systématisation excessive dans la mesure où la distribution de ces pouvoirs obéit à des règles différentes selon les régimes. Si cette distribution est des plus complexes dans les régimes antiques à cause de la multiplicité des magistratures, elle n’a que l’apparence de la simplicité en Angleterre. Le pouvoir est réparti entre le roi, la noblesse dans la chambre haute, et le peuple dans la chambre basse. Mais le peuple intervient de deux façons, médiatisé par la Chambre des Communes et directement par le jury. Il n’y a donc pas trois mais quatre organes dans l’exemple anglais.
14Cette démarche n’est pas en soi nouvelle. Elle explique la quête, en réalité délicate, des influences exercées sur Montesquieu. On se plaît à faire remonter la généalogie de sa réflexion constitutionnelle au Stagirite, qui, dans la Politique, distinguait le pouvoir délibératif, l’organisation des magistratures et la justice1378. Plus certaine est l’influence de Grotius et surtout de Pufendorf, deux auteurs que Montesquieu a fréquentés avec assiduité1379. Les auteurs anglais ont également pu nourrir les interrogations sur ses sources d’inspiration. Harrington, Sidney, Toland (1670-1722), et bien d’autres avaient esquissé une typologie des pouvoirs qui a pu nourrir les réflexions du baron de La Brède. Locke aurait également participé de cette influence, mais plusieurs études ont permis sinon d’y apporter un démenti, tout du moins de la ramener au rang de simple hypothèse. La distinction entre les pouvoirs exécutif, législatif et fédératif exposée dans le Second traité n’est pas sans rappeler les premiers alinéas du chapitre six. Mais, dans la mesure où aucun élément scientifique n’a permis d’établir que Montesquieu ait eu entre les mains les écrits politiques de Locke, il est nécessaire de se résigner à une attitude prudente, en refusant de faire du magistrat français un fidèle disciple du révolutionnaire anglais1380. L’hypothèse d’une influence de Bolingbroke a également été avancée. Le célèbre adversaire de Walpole s’inquiétait de la menace que faisait peser la corruption sur l’équilibre constitutionnel du King in Parliament en des termes qui ne sont pas sans annoncer ceux de Montesquieu1381. Les notes de son Spicilège ne contiennent néanmoins aucune référence explicite aux passages du publiciste anglais sur la distribution des pouvoirs1382.
15Si la quête des influences a pu conduire à certains égarements, il est évident que Montesquieu arrive au terme d’un processus séculaire qui plonge ses racines dans les débats sur la prerogative au cours du xviième siècle anglais. Aussi, la séparation des pouvoirs n’est pas ici de l’ordre de la découverte, mais de l’ordre de l’invention. Il n’a pas "découvert" un fait préexistant et jusque là ignoré, mais il a "inventé", au sens de conceptualiser, un principe fondamental de liberté ayant trait à l’organisation de l’État, qu’il a décelé, ou cru déceler, dans la constitution anglaise. Dans cette perspective, le fameux chapitre six occupe une place particulière. Il a été longtemps avancé que l’écriture de L’Esprit des lois avait obéi à un ordre chronologique, les premiers livres ayant été rédigés avant son séjour en Angleterre. Au contact de la monarchie hanovrienne, Montesquieu aurait alors modifié sa conception de la liberté politique pour introduire l’idée de séparation des pouvoirs. L’étude scientifique des manuscrits a permis de rejeter cette hypothèse. Le chapitre sur l’Angleterre faisait partie d’un projet très vite abandonné d’ouvrage sur la liberté politique, rédigé à partir de 1733. Ce n’est que par la suite que, partiellement modifié, il a été repris et intégré dans ce qui deviendra L’Esprit des lois1383. De telles découvertes ont bouleversé la compréhension de l’ouvrage, et surtout la place de l’Angleterre dans la réflexion de Montesquieu.
16Le magistrat bordelais ne prétend pas décrire la réalité institutionnelle anglaise. Son ambition est ailleurs, établir les mécanismes qui fondent la liberté politique. "Il y a aussi une nation dans le monde qui a pour objet direct de sa constitution la liberté politique. Nous allons examiné les principes sur lesquels elle la fonde", écrit-il juste avant d’aborder l’étude des institutions anglaises1384. Ces dernières sont d’ailleurs décrites selon un registre linguistique spécifique. Le recours au conditionnel l’inscrit dans un cadre a-temporel, un éternel du présent. Dans le livre XI, l’Angleterre apparaît comme une figure abstraite, "déréalisée", impression renforcée par l’absence de toute référence spécifique à l’histoire ou aux institutions de cette nation. Par ce procédé abstrait de systématisation, la constitution se voit totalement délestée du poids de son histoire tourmentée. Si l’on excepte le titre, l’Angleterre n’est mentionnée qu’une seule fois dans le corps du chapitre. Seul l’emploi de quelques termes ("récuser", "bourgs", "prorogation", "prérogative") l’ancre dans la réalité insulaire. Mais il ne s’agit pas pour autant d’une utopie, d’un non-lieu, comme l’illustre sa critique de l’Océana de James Harrington. Ce n’est pas la prudence ou la dissimulation qui l’animent, ni plus encore une inavouable ignorance, mais la volonté de mettre à jour les lois physiques de la liberté anglaise. C’est la logique du scientifique autant que le propos du moraliste qui expliquent l’usage répété de formules injonctives ("il faut", "il n’est pas nécessaire", "devoir être"), qui font d’un simple constat, une nécessité objective. On a souvent insisté sur le caractère prescriptif du chapitre six, mais il en est de l’Angleterre comme du reste de L’Esprit des lois. Il s’agit d’établir des règles, des principes, ce qui, dans la forme, exige l’emploi de formules impératives exprimant une nécessité d’ordre logique.
Ce n’est point à moi à examiner si les Anglais jouissent actuellement de cette liberté, ou non. Il me suffit de dire qu’elle est établie par leurs lois, et je n’en cherche pas davantage1385.
17Accuser Montesquieu de ne pas avoir saisi la réalité des institutions anglaises ou, au contraire, louer son esprit visionnaire, serait méconnaître le dessein proposé : offrir une systématisation de la constitution anglaise1386. L’apparente idéalisation des institutions anglaises, traditionnellement illustrée par l’absence de référence à la corruption du régime de Walpole, s’explique par la volonté de faire des institutions anglaises, non pas une figure universelle de la liberté politique, mais son archétype1387. Le titre initial retenu par Montesquieu pour le chapitre six dans sa forme manuscrite renforce cette hypothèse : "Des principes de la liberté politique, et comment on les trouve dans la constitution d’Angleterre". Cette formulation fut abandonnée aux dépens d’un autre plus neutre et finalement plus obscur, "De la constitution d’Angleterre"1388. Cette nation qui "a pour objet direct de sa constitution la liberté politique"1389 offre ainsi un exemple de juste distribution des pouvoirs dans le gouvernement d’un seul.
§2 - La constitution anglaise, une arithmétique de la liberté politique
-Quelle liberté politique ?
18Selon Montesquieu, la condition première de la liberté politique est la non-confusion des pouvoirs. Pour ne pas sombrer dans le despotisme d’un seul (la Turquie ou les proconsuls, "bachas de la république" administrant les provinces de l’Empire), ou de plusieurs (la république de Venise et la Rome des decemvirs), il est nécessaire que les trois pouvoirs soient distribués entre plusieurs organes1390. La non-confusion ne veut cependant pas dire la stricte séparation des pouvoirs. Dans une série d’articles qui ont fait date, Charles Eisenmann, par un retour salutaire au texte de L’Esprit des lois, a mis à mal l’interprétation abusive qui faisait de Montesquieu le père d’une stricte indépendance des pouvoirs et d’une spécialisation des organes1391. Mais, à la quasi-unanimité, forcément suspecte, qui entoure désormais cette affirmation succèdent immédiatement le flou et les déchirements sur la question de la distribution des pouvoirs.
19La théorie constitutionnelle de Montesquieu ne s’est pas construite à partir d’une réflexion sur la souveraineté, d’une hiérarchie des fonctions de l’État posée comme a priori, avec, au sommet la fonction législative, puis son corollaire, l’exécution de la loi au sens large (fonction exécutrice) et au cas particulier (fonction judiciaire). La séparation des pouvoirs est née d’une démarche empirique, d’un constat posé comme une évidence, qui fait de Montesquieu l’un des fondateurs du libéralisme moderne : "C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser"1392. Le prince étant porté à abuser du pouvoir, il convient d’en limiter l’exercice, de l’arrêter, au sens mécanique du terme, par des règles juridiques (la loi), ou par la seule religion, comme dans les royaumes de la péninsule ibérique1393. Cette réponse à la "dangerosité" du pouvoir se fait sur deux plans connexes, mais distincts, l’un dans son rapport avec la constitution, l’autre avec le citoyen. Le premier chapitre du Livre XI, intitulé "idée générale", précise cette distinction :
Je distingue les lois qui forment la liberté politique dans son rapport avec la constitution, d’avec celles qui la forment dans son rapport avec le citoyen. Les premières seront le sujet de ce livre-ci ; je traiterai des secondes dans le livre suivant1394.
20La clarté de cette annonce de plan en deux parties, toute empreinte de rigueur juridique, ne doit pas faire illusion. Montesquieu s’en détourne car les deux questions sont en fait abordées dès la première partie. La seconde partie, sensée être développée dans le Livre XII, se réduit en fait à une énumération désordonnée de "lois particulières, qui dans chaque constitution, peuvent aider ou choquer le principe de la liberté dont chacun peut être susceptible"1395. C’est donc essentiellement dans le Livre XI que sont traitées ces deux questions, comme lorsqu’il décrit la constitution romaine à la fin de la période républicaine :
Il faut remarquer que les trois pouvoirs peuvent être bien distribués par rapport à la liberté de la constitution, quoiqu’ils ne soient pas si bien dans le rapport avec la liberté du citoyen1396.
21La constitution anglaise apparaît ainsi comme le "miroir"1397 de cette double exigence : la limitation du pouvoir dans son rapport avec le citoyen ("le sentiment de sûreté") et l’auto-limitation de l’autorité souveraine, du pouvoir en soi ("le pouvoir arrête le pouvoir"). La première exigence est d’assurer la sécurité du citoyen : "tout homme est libre qui a un juste sujet de croire que la fureur d’un seul ou de plusieurs ne lui ôtera pas la vie ou la propriété de ses biens"1398. Dans son rapport avec le citoyen, la liberté politique sera donc "cette tranquillité d’esprit qui provient de l’opinion que chacun a de sa sûreté". Pour cela, il faut que "le gouvernement soit tel, qu’un citoyen ne puisse craindre un autre citoyen"1399. La seconde exigence est la modération du pouvoir par sa distribution entre plusieurs organes. À la concentration des attributs de la souveraineté entre les mains du "despote" résidant à Ispahan, Montesquieu oppose non la séparation, mais la "distribution", terme omniprésent dans le Livre XI, des pouvoirs. Comme l’a noté Stéphane Rials, la constitution anglaise offre ainsi un exemple idéal de "distribution des fonctions (ou pouvoirs) avec suffisante indépendance originaire des organes"1400. Ses deux démarches ne sont pas autonomes, mais intimement liées. L’empire du magistrat, par le procès et l’empire du législateur, par la loi, concourent à des degrés divers à l’établissement de la liberté. La complexité du dispositif constitutionnel élaborée par Montesquieu réside dans cette distinction.
-La liberté politique dans son rapport avec le citoyen : une séparation de principe de la fonction de juger
22Rendre la justice est la fonction la plus susceptible de porter atteinte à la sûreté du citoyen. Comme le rappelle Montesquieu, "le chef d’œuvre de la législation est de savoir bien placer la fonction de juger"1401. Il ne s’agit pas simplement de la justice pénale, il est vrai essentielle, mais également de la justice civile, puisque Montesquieu précise qu’il entend le magistrat comme celui qui "punit les crimes ou juge les différends des particuliers"1402. L’attribution de cette fonction est alors le critère premier de la distinction entre un gouvernement modéré, où le prince n’a que les pouvoirs législatif et exécutif, et un gouvernement despotique, où il réunit les trois pouvoirs. La séparation organique et fonctionnelle du pouvoir de juger, qui ouvre les développements sur la constitution anglaise, est la condition première de la liberté politique. C’est d’ailleurs à propos de cette seule fonction de juger qu’est utilisé l’adjectif "séparé"1403. Le principe du juge-législateur serait synonyme d’arbitraire, celui du roi-juge synonyme d’oppression1404. La lecture proposée des institutions de l’époque franque confirme cette hypothèse. La justice était alors un "droit inhérent au fief même" qui dérive non d’une usurpation ou d’une corruption, mais du "premier établissement" de la monarchie1405. "C’était un principe fondamental, affirme Montesquieu, que ceux qui étaient sous la puissance militaire de quelqu’un étaient sous sa juridiction civile"1406. Dans le gouvernement monarchique, où, dès l’époque mérovingienne, s’établit le caractère patrimonial de la justice, le prince ne participe que d’une façon au droit de juger, par "le plus bel attribut de sa souveraineté", le droit de grâce1407. La distinction traditionnelle dans le droit public d’Ancien régime, entre la justice retenue et la justice déléguée se voit ainsi niée puisque Montesquieu considère comme absurde que le prince "fît et défît ses jugements ; il ne voudrait pas être en contradiction avec lui-même"1408. La lointaine figure médiévale du roi justicier qui perdurait dans la France des Bourbons perd toute réalité dans L’Esprit des lois.
23La séparation de la fonction de juger est donc un absolu et tous les moyens qui permettront d’assurer son indépendance sont autant de garanties de la liberté individuelle. À Rome, par les quaestiones, comme en Angleterre, sous la forme du jury, la participation du peuple est la réponse républicaine à cette exigence1409. Dans la France monarchique, cette règle est assurée par les Parlements et l’ensemble des juridictions inférieures, seigneuriales et ecclésiastiques. D’ailleurs, le royaume capétien ne commença à connaître la menace du despotisme que lorsque les "sages" légistes du Conseil de Louis XI commencèrent à porter atteinte aux compétences des juridictions inférieures1410. La défense de la vénalité des offices de judicature s’intègre dans cette nécessaire indépendance de la justice. En attaquant, par la suppression de la vénalité, les corps intermédiaires, John Law est accusé d’avoir voulu "racheter la constitution". Le financier écossais introduisait alors le "despotisme" par une méconnaissance de "la constitution républicaine et de la monarchique", qui, toutes deux, exigent l’indépendance du pouvoir de juger1411. Dès lors que le pouvoir exécutif s’arroge la faculté de juger, par la Chambre Étoilée en Angleterre sous Henri VIII, ou par la pratique du jugement par commissaires dans la France de Louis XIII, la liberté se trouve directement menacée.
Aussi les princes qui ont voulu se rendre despotiques ont-ils toujours commencé par réunir en leur personne toutes les magistratures ; et plusieurs rois d’Europe, toutes les charges de leur État1412.
24Si, par principe, la fonction de juger doit être séparée, sa mise en œuvre comme le statut du juge, varient selon les formes de gouvernement. Il semble même que la place du magistrat soit l’un des critères essentiels dans l’articulation de la typologie monarchie - république. Dans les monarchies, la noble fonction de veiller à la protection "de la propriété et de la vie du citoyen" est confiée au magistrat qui devra par sa connaissance des lois et de la jurisprudence remplir cette fonction1413. Le Discours de rentrée du Parlement de Bordeaux prononcé par Montesquieu alors âgé de trente-quatre ans permet d’éclairer la très haute idée qu’il se faisait de la mission impartie au magistrat dans un gouvernement monarchique. Il doit rendre une justice "éclairée", "prompte", et "universelle". Ce qui frappe alors est l’assimilation de l’autorité du juge à l’autorité paternelle, "la première de toutes les magistratures", Montesquieu concluant son discours par cette supplique adressée aux procureurs : "Nous ne vous parlons point en juges ; nous oublions que nous sommes magistrats ; nous vous prions de nous laisser notre probité, et de ne point nous ôter le respect des peuples, et de ne point nous empêcher d’en être les pères"1414. La traditionnelle métaphore paternelle permettant de décrire, surtout depuis Louis XII, l’autorité monarchique est désormais le privilège des parlementaires.
25Dans les républiques, la fonction du juge est à l’inverse minorée, puisque, partagée par tout le corps du peuple, elle n’est le privilège d’un corps politique distinct. Aussi, le juge devra-t-il se soumettre à la loi. À Rome comme en Angleterre, le peuple ne doit être que la "bouche qui prononce les paroles de la loi ; des êtres inanimés", Montesquieu commettant ici un contresens, conséquence directe de sa conception de la sûreté, sur la place du juge dans le système de common law1415. Par deux fois il affirme que, outre-Manche, la fonction de juger est "nulle". Cette affirmation doit être prise non dans son sens littéral, mais imagé, signifiant dans sa première utilisation qu’elle est invisible et temporaire, dissoute dans le corps du peuple1416. Sa seconde utilisation renforce l’hypothèse d’une stricte indépendance de la justice : la puissance étant séparée, elle ne peut servir de frein et de contrepoids entre les fonctions législative et exécutive1417.
26En Angleterre, le principe de la stricte spécialisation des organes dans la fonction de juger connaît cependant des exceptions "fondées sur l’intérêt particulier de celui qui doit être jugé"1418. Ainsi, ce n’est pas pour assurer une nécessaire collaboration entre les organes que le principe est ici écorné, mais afin d’assurer la sûreté du citoyen face au pouvoir de juger "si terrible parmi les hommes"1419. Ce n’est d’ailleurs pas le monarque, mais le seul Parlement qui se voit dans quatre hypothèses reconnaître cette fonction. Tout d’abord, les pairs du royaume, qui participent à la fonction législative, sont leurs propres juges. Il ne s’agit là que de l’application du privilège reconnu au "moindre citoyen dans un État libre" du jugement par les pairs, privilège d’autant plus nécessaire que les grands sont toujours exposés à l’envie du peuple1420. Ensuite, la chambre haute peut, selon une interprétation erronée des institutions anglaises, par voie de cassation, réformer les décisions des juridictions inférieures. Il s’agit toujours d’assurer la protection du justiciable, puisque le jugement ne pourra être rendu que dans le sens d’une plus grande modération de la loi strictement appliquée par le juge1421. Enfin, la procédure de l’impeachment constitue une autre exception à ce principe de l’indépendance de la justice. Mais là encore, Montesquieu fait preuve de subtilité, puisqu’elle est envisagée non pas seulement contre les ministres du roi, mais dans l’hypothèse plus large, cette fois tout à fait fondée au regard de la réalité institutionnelle, où "quelque citoyen, dans les affaires publiques, violerait les droits du peuple et ferait des crimes que les magistrats établis ne sauraient ou ne voudraient punir"1422. Dans la mesure où il réaffirme que la puissance législative "ne peut pas juger" et qu’elle ne peut dans le même temps confier ce droit à des tribunaux "qui lui sont inférieurs", un tel crime resterait impuni. La contradiction ne peut dès lors être levée qu’en laissant aux Communes l’accusation, pour confier le jugement définitif aux Lords. L’impeachment permet ainsi de concilier "la dignité du peuple et la sûreté du particulier"1423.
27L’autonomie du pouvoir de juger connaît une dernière exception, la procédure de l’atteinder, dans l’hypothèse où les preuves seraient insuffisantes pour condamner une personne soupçonnée de crime de haute trahison. Le pouvoir judiciaire se confond avec le pouvoir législatif, entendu comme le King in Parliament, lors du vote d’une loi particulière immédiatement appliquée. Mais là où Montesquieu voit un moyen de contourner l’absence de preuves "légales et formelles"1424, expression peu surprenante chez un magistrat d’Ancien Régime, mais guère pertinente à propos de l’Angleterre, cette procédure permettait en fait de condamner par voie légale un simple suspect devenu indésirable au yeux du pouvoir. En considérant qu’il y a des lois qui violent la liberté "contre un seul, pour la garder à tous", qu’il faut mettre "pour un moment, un voile sur la liberté, comme l’on cache les statues des dieux", Montesquieu, conscient de la violation du principe de légalité, offre alors une interprétation particulièrement libérale de cette procédure. Cette présentation est en effet bien éloignée du caractère arbitraire de cette justice politique largement employée sous la dynastie des Tudor1425.
28La fonction de juger occupe ainsi une place singulière dans l’économie de la constitution anglaise, comme plus largement dans tout gouvernement synonyme de liberté. Sur ce point, Montesquieu apparaît alors comme le maître à penser des révolutionnaires qui reprendront l’exigence d’une stricte séparation de la fonction de juger dans la Constitution de 1791 en établissant que "le pouvoir de juger ne peut, en aucun cas, être exercé par le Corps législatif, ni par le roi"1426. Bien différent sera dans L’Esprit des lois, le statut des fonctions législative et exécutive qui pourront, elles, être confiées à "des magistrats ou à des corps permanents parce qu’ils ne s’exercent sur aucun particulier"1427.
-La liberté politique dans son rapport avec la constitution : une parfaite mécanique d’auto-limitation du pouvoir
29Il a été démontré qu’il existe entre le pouvoir judiciaire et les pouvoirs législatif et exécutif, une différence de nature, car la fonction de juger contribue à la liberté politique du citoyen. Toute autre sera la logique de la description des pouvoirs législatif et exécutif, qui ont trait à la liberté politique de la constitution. Le premier est souverain et illimité puisqu’il est "la volonté générale de l’État", alors que le second est limité en soi, ne consistant que dans "l’exécution de cette volonté générale"1428. Cette différence présidera à leur distribution entre les organes.
30Selon une tradition initiée par Bodin, le pouvoir législatif est le pouvoir absolu et suprême1429. Pour le limiter non dans son principe, ce qui serait absurde, mais dans sa mise en œuvre, il convient de le confier à plusieurs organes. Ainsi, la république romaine avait deux "institutions admirables (…) par l’une la puissance législative du peuple était réglée ; par l’autre elle était bornée"1430. En France, le prince concentre entre ses mains "la puissance exécutrice et législative, ou du moins une partie de la législative"1431. La souveraineté royale est ainsi niée, les cours souveraines, "canaux moyens par où coulent la puissance"1432, participent comme organes de modération à l’exercice de la puissance législative par leur droit de remontrances1433. En effet, le pouvoir législatif ne se réduit pas chez Montesquieu à la seule édiction d’une norme à portée générale, mais à l’ensemble de la procédure au terme de laquelle une décision prend valeur juridique obligatoire.
31En Angleterre, l’autorité souveraine n’est effective que par la réunion de la volonté de trois organes : le Roi, et les Lords et les Communes, Montesquieu ayant soin de préciser qu’un gouvernement d’assemblée, où l’exécutif serait l’émanation du corps législatif, signifierait la négation de la liberté1434. Les trois organes sont donc séparés. Il ne s’agit cependant pas d’une simple réappropriation de l’idée d’une souveraineté partagée selon le schéma du régime mixte, à travers la formule du King in Parliament, que Montesquieu avait mentionnée lors de son séjour en l’Angleterre1435. La participation des trois organes à la législation obéit à des degrés différents, selon qu’ils se voient attribuer "la faculté de statuer" ou la "la faculté d’empêcher". Dans l’ordre social "républicain"1436 de l’Angleterre, la chambre haute ne puise sa légitimité que dans une perspective strictement institutionnelle, comme "puissance réglante" entre le roi et le peuple, selon un principe déjà affirmé dans les Lettres persanes1437. Soutien naturel de l’autorité royale, la noblesse peut seule prévenir les débordements du peuple comme l’illustre l’épisode douloureux de l’abolition de la chambre haute six jours après la condamnation à mort du roi : "La noblesse anglaise s’ensevelit, avec Charles Ier, sous les débris du trône"1438. Contrairement à une opinion répandue, la noblesse réunie dans la Chambre des Pairs ne permet pas la participation d’un ordre, comme les États généraux en France. L’une des caractéristiques de l’Angleterre est en effet la disparition des corps intermédiaires. Montesquieu ne voit pas dans le régime mixte le moyen de parvenir à une juste régulation du corps social, la loi se trouvant finalement réduite à un compromis entre des puissances sociales antagonistes1439. Il se rapproche au contraire de la doctrine anglaise de l’equipoise, terme difficile à traduire, qui, dans une conception mécanique de la constitution, confère à la chambre haute la fonction première de pivot, assurant un contrepoids entre le roi et les Communes1440.
32Le bicaméralisme, qui permet au "corps des nobles" et aux représentants du peuple de tenir des délibérations séparées, n’entraîne cependant pas une stricte égalité entre les Communes et les Lords. Pour les lois de finances, "point le plus important de la législation", la première aurait la faculté de statuer, quand l’autre n’aurait que la faculté d’empêcher. La chambre haute pouvant être soumise à l’influence pernicieuse du roi, qui dans ses matières, "a un souverain intérêt à la corrompre", ou être portée à "oublier" les intérêts du peuple, elle ne se voit reconnaître qu’un droit de veto1441. Selon le principe de la non-spécialisation des organes de l’État, les deux chambres du Parlement n’ont pas le monopole du pouvoir législatif, qui, pour être effectif, doit obtenir le consentement du roi. Montesquieu rapporte la procédure législative en évoquant le vote d’un "bill d’attendre" : "On y procède comme pour les autres bills : il faut que qu’il passe dans les deux chambres, et que le roi y donne son consentement, sans quoi il n’y a point de bill"1442. La participation du roi à la fonction législative obéit à une logique spécifique, puisqu’il ne dispose que de la "faculté d’empêcher" la volonté du corps législatif, selon une distinction dont le succès dans la doctrine constitutionnelle doit sans doute autant au flou qu’à la subtilité de la définition1443. En assimilant la faculté d’empêcher à la prohibitio du tribun de la plèbe, Montesquieu souligne la possibilité offerte au roi "d’arrêter les entreprises" du Parlement, sans pour autant avoir un droit d’initiative législative, ni de prendre part à la délibération. Si le monarque se voit reconnaître un droit de veto, il ne saurait, à l’inverse des républiques anciennes, "entrer dans le débat des affaires"1444.
33À ce mécanisme interne de limitation du pouvoir souverain par une participation spécifique de chacun des trois organes au processus législatif, s’ajoutent deux mécanismes externes : d’une part le caractère non-permanent des assemblées, d’autre part le droit reconnu au roi seul de convoquer et de proroger le Parlement, Montesquieu ne faisant pas allusion au droit de dissolution1445. Ces règles ont toutes deux pour finalité de permettre au roi de se protéger des empiétements du corps législatif. Le prince dispose ainsi d’une fraction de la puissance législative, des moyens de se prémunir contre les atteintes du Parlement, mais conserve également l’intégralité de la fonction exécutive.
34L’exercice de la fonction exécutive, "ayant ses limites par sa nature", puisqu’elle s’exerce sur "des choses momentanées", ne constitue pas naturellement un pouvoir dangereux. Il peut donc être confié à une seule personne, à condition qu’elle ne soit pas issue du corps législatif, car il y aurait alors confusion des pouvoirs. Montesquieu voit là une nécessité puisque "cette partie du gouvernement, qui a presque toujours besoin d’une action momentanée, est mieux administrée par un que par plusieurs"1446. C’est en effet "l’action", plus que la "délibération" qui caractérise l’exercice du pouvoir exécutif1447. Alors qu’il cherche à multiplier les mécanismes permettant de ralentir la mise en œuvre de la fonction législative, toute autre est la logique qui préside à la définition de la fonction exécutive. Personne ne doit avoir en effet la possibilité de l’arrêter : "La puissance des tribuns de Rome était vicieuse, en ce qu’elle arrêtait non seulement la législation, mais même l’exécution". Il ne s’agit donc plus d’en limiter son exercice, mais de la protéger contre les empiétements du Parlement. Aussi la principale manifestation de cette protection sera l’invocation du caractère "sacré" de l’autorité monarchique qui rend son détenteur inviolable. L’opportunisme de cette invocation est ici frappante, car le pouvoir n’est plus pensé dans L’Esprit des lois dans un cadre transcendant1448. Si le Parlement ne peut pas intervenir dans l’exécution de la loi, il n’en dispose pas moins de "la faculté d’examiner de quelle manière les lois qu’elle a faites ont été exécutées", par un contrôle a posteriori. Sans porter atteinte à l’inviolabilité du monarque consacrée par l’adage the King can do no wrong auquel Montesquieu fait allusion, la chambre basse peut, par la procédure d’impeachment, engager la responsabilité pénale des conseillers qui viendraient à violer "les droits du peuple"1449. Le pas vers une responsabilité politique des ministres est d’ailleurs presque franchi par Montesquieu lorsque ce dernier précise que le corps des représentants est choisi autant pour faire les lois que pour "voir si l’on a bien exécuté celles qu’il a faites"1450.
35Par cette description des fonctions exécutive et législative exercées au sein du Parlement, la constitution anglaise offre l’exemple d’une subtile mécanique, finement huilée, jamais figée, qui permet d’obtenir "l’enchaînement du dispositif, et non l’englobement hiérarchique du corps social"1451. Avec un heureux sens de la formule, Montesquieu résume les rapports établis entre le roi et les deux chambres :
Voici donc la constitution fondamentale du gouvernement dont nous parlons. Le corps législatif y étant composé de deux parties, l’une enchaînera l’autre par sa faculté mutuelle d’empêcher. Toutes les deux seront liées par la puissance exécutrice, qui le sera elle-même par la législative.
Ces trois puissances devraient former un repos ou une inaction. Mais, comme par le mouvement nécessaire des choses, elles seront contraintes d’aller, elles seront forcées d’aller de concert1452.
36À travers cette approche "mécanique" de l’ordre politique, le Roi, les Lords et les Communes se trouvent enchaînés, obligés d’agir de concert, analyse qui garde de sa pertinence pour le royaume de France. Le même idéal d’un enchaînement mécanique des institutions se retrouve en effet à propos des cours souveraines qui "arrêtent (…) cette machine, et cependant, il est nécessaire qu’elle aille"1453.
37En Angleterre, le principe de l’annualité du budget illustre ce mécanisme de contrôle réciproque, même si Montesquieu attribue, à tort, au roi en la matière le seul droit de manifester son consentement1454. L’organisation du pouvoir militaire, souvent absente des premiers témoignages sur la constitution anglaise, conforte cette nécessaire collaboration entre les organes. Enjeu politique récurrent depuis le milieu du xviième siècle, partiellement tranchée par le Bill of Rights, la question de l’armée permanente restait, dans l’Angleterre de Walpole, l’un des principaux points de friction entre le Parlement et l’exécutif royal1455, dont Montesquieu avait eu connaissance en assistant à un débat à Westminster sur cette question lors de son séjour à Londres1456. L’armée est placée sous l’autorité du pouvoir exécutif, mais la nation contrôle les effectifs par un vote annuel du Parlement et par la possibilité qui lui est reconnue de les renvoyer "sitôt qu’elle le désire"1457.
38Quand le despotisme s’apparente à un corps inerte en physique, sans ressort, ni tension, où la crainte, par sa vertu annihilante, ne peut animer le corps politique, la constitution anglaise offre un contraste car "tous les ressorts du gouvernement"1458 sont tendus. À cet "affreux despotisme", jugement à la fois esthétique, politique et moral, Montesquieu oppose la constitution anglaise comme l’exemple d’une juste "harmonie"1459, d’essence plus musicale ou mécanique que strictement juridique, par un mécanisme complexe de collaboration des organes. Elle permet de maintenir un juste équilibre entre les deux maux clairement désignés dans le chapitre six : l’anarchie et le despotisme.
39Par son analyse des institutions anglaises, Montesquieu a précisé les conditions de la liberté politique dans son double rapport avec le citoyen et avec la constitution.
II - LA PLACE DU MODÈLE ANGLAIS DANS L’ESPRIT DES LOIS
J’ai d’abord examiné les hommes et j’ai vu les cas particuliers s’y plier comme d’eux-mêmes, les histoires de toutes les nations n’en être que les suites, et chaque loi particulière liée à une autre loi, ou dépendre d’une autre plus générale. (…) Je n’écris pas pour censurer ce qui est établi dans quelque pays que ce soit. Chaque nation trouvera ici les raisons de ses maximes1460.
40Le relativisme de Montesquieu procède d’une approche empiriste et sécularisée de la réalité politique. Chaque gouvernement doit être conforme non à un dessein de la Providence, mais à l’inclinaison naturelle d’un peuple, au produit d’une histoire particulière. Cette volonté de donner un sens à la diversité ne débouche pas sur la quête de moyens pour réformer chaque situation particulière. Bien au contraire, Montesquieu, qui n’a rien d’un réformateur inconséquent, exhorte à ne changer la loi "que d’une main tremblante"1461. La possibilité de transposer une loi d’un peuple à l’autre est ainsi totalement étrangère à sa démarche. L’un des enseignements essentiels de L’Esprit des lois est au contraire la nécessaire humilité du législateur. Par certains aspects, l’ouvrage semble destiné à l’usage du Prince, non plus dans la tradition des miroirs centrés sur les vertus nécessaires pour bien gouverner, mais dans le but d’exalter la nécessaire prudence du législateur qui doit "suivre l’esprit de la nation"1462.
41Si la démarche comparative permet d’expliquer une pluralité de situations, elle n’en pas moins souvent porteuse de jugements de valeur. Montesquieu sait adopter la pose du subtil observateur de la réalité politique, comme celle plus partiale du théoricien de la liberté politique. Conscient de cette double démarche, il est possible de rechercher la place de l’Angleterre dans la réflexion de Montesquieu. En dépit de certaines similitudes, il est affirmé à six reprises dans les deux chapitres anglais la supériorité de la constitution anglaise sur les régimes de l’Antiquité, alors que l’inverse ne se rencontre jamais (§ 1). Reste ensuite la question épineuse de la place de l’Angleterre au regard des monarchies continentales, et principalement de la France. En se réfugiant derrière l’ambitieux mais opportun dessein consistant à "faire penser" plutôt qu’à "faire lire"1463, Montesquieu ne se hasarde guère à des comparaisons, sans doute risquées au regard de la censure, entre les deux nations. Il n’offre que peu d’indices à son lecteur pour lui permettre de donner un sens à son apparente schizophrénie politique. Comment, dans un même ouvrage, s’enthousiasmer pour l’Angleterre de Walpole et dans le même temps idéaliser le règne de Charlemagne ? L’histoire comparée seule pourra éclairer ce déchirement entre un modèle anglais contemporain et un modèle français produit d’un passé idéalisé (§ 2).
§ 1 -De la supériorité de la constitution anglaise sur les républiques anciennes
-La défense du principe monarchique : la distribution des pouvoirs dans le gouvernement d’un seul
42L’indéniable attirance de Montesquieu pour l’antique liberté républicaine trouve dans la moderne Angleterre quelques éléments de satisfaction. Par la singularité de sa noblesse, par son goût pour le commerce, par sa procédure criminelle, par la reconnaissance de la religion protestante qui lui confère "un esprit d’indépendance et de liberté"1464, cette nation a perdu plusieurs des traits propres au gouvernement monarchique. Il devient ainsi délicat de prétendre pouvoir l’inscrire dans la typologie des formes de gouvernement énoncée au Livre II. Si elle ne s’apparente pas au régime despotique, est-elle une monarchie ou une république ? Montesquieu n’hésite d’ailleurs pas à rapprocher les Anglais des peuple de l’Antiquité en affirmant qu’ils furent "les plus libres qui aient jamais été sur terre"1465. À Rome et à Lacédémone, comme dans l’Angleterre de George II, la liberté y est même "extrême"1466. Cet adjectif considéré de prime abord comme péjoratif sous la plume d’un auteur épris de modération, peut être interprété dans la perspective du clivage république-despotisme qui irradie L’Esprit des lois. La conjonction de la diversité et de l’émulation dans les sociétés républicaines s’oppose au mélange contre-nature d’atonie et de convulsion du gouvernement despotique. Au "silence"1467 des villes, à l’apathie et à l’immobilisme de la Perse rapportés par les récits de voyage de Chardin et de Tournefort, Montesquieu oppose les divisions, la frénésie -qu’elle soit civique ou commerciale- des Anglais. Comme dans son interprétation des divisions entre whigs et torys, il existe une fièvre inhérente à toute forme de gouvernement libre1468. À la terreur irrationnelle des peuples orientaux "timides, ignorants, abattus", puisque soumis à la férule étouffante d’un tyran, il préfère l’insoumission mêlée de civisme des Anglais qui ne rechignent pas à se charger des impôts les plus lourds pour conserver leur liberté1469.
43En dépit de cette tentation républicaine, envers d’un despotisme abhorré, il serait hasardeux de contester le visage authentiquement monarchiste de Montesquieu. D’un point de vue historique, il postule l’antériorité de cette forme de gouvernement, les républiques n’apparaissant que dans un second temps "par hasard et par la succession des siècles"1470. La construction du Livre XI permet de préciser cette hypothèse. À l’apologie de la constitution anglaise et du gouvernement "gothique", succèdent cinq chapitres destinés à préciser l’importance du principe monarchique. Montesquieu blâme à deux reprises les Grecs de n’avoir pas su imaginer "la distribution des pouvoirs dans le gouvernement d’un seul", reprochant au passage à Aristote l’omission de l’élément monarchique dans sa définition du régime idéal, la politeia1471. À l’inverse, dans les premiers temps de l’histoire de Rome, le gouvernement était "très bon" car "la constitution du gouvernement était monarchique, aristocratique et populaire ; et telle fut l’harmonie du pouvoir, qu’on ne vit ni jalousie, ni dispute, dans les premières années"1472.
44La démocratie et l’aristocratie, visages jumélaires mais non siamois de la république, ne sont pas pour Montesquieu des "états libres par nature"1473. Seule la monarchie a naturellement vocation à garantir la liberté et la sécurité du citoyen. À l’inverse des habitants des Provinces-Unies, qui, en renvoyant leur Stathouder, sont tombés sous le joug tyrannique des magistrats urbains, les Anglais ont su sagement conserver leur monarque : "S’il n’y avait pas de roi en Angleterre, les Anglais seraient moins libres"1474. Mais outre-Manche, l’autorité monarchique, élément essentiel au maintien de la liberté politique, s’avère être affaiblie, pour des raisons qui tiennent autant au génie naturel du peuple qu’à la nature de ses institutions. "Ce serait, selon Montesquieu, le destin de la puissance exécutrice d’être presque toujours inquiétée au dedans, et respectée au dehors"1475. L’effervescence caractéristique des gouvernements populaires n’en reste pas moins contenu dans un cadre monarchique. Rica s’était déjà extasié de ce mélange paradoxal de sagesse et d’insoumission qu’il croyait déceler dans les annales d’Albion "où l’on voit la liberté sortir sans cesse des feux de la discorde et de la sédition"1476.
45L’expérience cromwellienne n’en vient pas moins oblitérer l’analyse optimiste de Rica. Non sans une certaine provocation, Montesquieu voit dans cet épisode "un assez beau spectacle" pour instaurer une république démocratique. Dans ses Lettres persanes, il avait même rapporté sans plus de commentaire le régicide de Charles Ier, coupable de crime de lèse-majesté pour avoir fait "la guerre à ses sujets"1477. Cromwell, qui se voit comparé à César, à Louis XI, et au duc de Mayenne, trois figures peu fréquentables de l’histoire selon Montesquieu, est accusé du crime de régicide en des termes ambigus :
Le dernier crime le porta, semblable à ceux que vantent les fables, parut d’abord faire horreur à la Nature entière. Mais lui prit de sang-froid le gouvernement, jeta partout l’épouvante, fit succéder le respect à la haine et força les rois les plus superbes à couronner l’injure et à devenir ses alliés1478.
46Cette relative mansuétude pour l’épisode du Commonwealth doit être nuancée. Montesquieu n’avait guère de sympathie pour le gouvernement de Cromwell qui ne fut qu’une "tyrannie", celui de son fils s’apparentant à un mélange de tyrannie et d’anarchie1479. Cette tentative fut vouée à l’échec puisque l’esprit public des Anglais ne se rapprochait pas de la vertu, principe directif du gouvernement républicain. Le retour à la monarchie était alors inéluctable : "Après bien des mouvements, des chocs et de secousses, il fallut se reposer dans le gouvernement même qu’on avait voulu proscrire"1480. Seul le souvenir du Commonwealth peut expliquer la crainte de Montesquieu de voir la constitution prendre la forme d’un "gouvernement militaire" si l’armée dépendait du corps législatif. "L’armée méprisera toujours un sénat et respectera toujours ses officiers"1481. La monarchie reste un principe d’ordre et de stabilité, comme le montre sa sévère critique d’Harrington, qui "ne voyait que la république d’Angleterre, pendant qu’une foule d’écrivains trouvaient le désordre partout où ils ne voyaient point de couronne"1482.
47Derrière son attachement au gouvernement monarchique, où les trois pouvoirs seraient harmonieusement distribués, se dissimule la défense tout aussi catégorique d’une autre exigence, l’idéal nobiliaire. Dans la pensée de Montesquieu, la noblesse est à la fois consubstantielle au gouvernement monarchique, idée exprimée par son célèbre chiasme, "point de monarque, point de noblesse, point de noblesse, point de monarque"1483, en même temps qu’elle est une limite naturelle au pouvoir royal. À Rome, l’existence d’un "corps aristocratique puissant" évitait à la monarchie élective de se "changer en tyrannie ou en État populaire" et ce n’est qu’après l’expulsion des rois que les patriciens "devinrent une partie superflue" des institutions1484. Ce principe est aussi consacré dans la constitution anglaise par la Chambre des Lords, mais aussi de façon plus surprenante par les membres des Communes, qui, en définitive, s’avéreront être tout sauf le peuple.
-L’équivoque du gouvernement représentatif : une représentation aristocratique du peuple
48Dans l’économie de la constitution anglaise, la Chambre des Communes est sensée être l’élément démocratique, puisqu’elle représente le peuple. Sous la plume de Montesquieu, la représentation du peuple, tant dans son principe que dans sa mise en œuvre, semble pourtant prendre l’exact contre-pied de l’idéal démocratique. Les origines sociales du seigneur de La Brède ne pouvaient que renforcer les préjugés de l’époque envers un peuple considéré comme naturellement versatile et frondeur. Ainsi, sa réponse à la question "pourquoi les anciens n’avaient pas une idée bien claire de la monarchie", traduit l’assimilation du gouvernement représentatif à une réalité non pas démocratique, mais nobiliaire.
Les anciens ne connaissaient point le gouvernement fondé sur un corps de noblesse, et encore moins le gouvernement formé par les représentants d’une nation1485.
49Loin d’être un héritage de l’Antiquité, les assemblées représentatives sont apparues avec les invasions barbares qui submergèrent l’empire romain. Montesquieu reprend à son compte les conclusions de l’école historique "germaniste" exposées par Harrington, Sidney, Gordon et Rapin-Thoyras et préfère les conclusions de Boulainvilliers à celles trop absolutistes de Dubos sur l’histoire de France. S’inspirant comme ses prédécesseurs du De moribus Germanorum de Tacite, il explique la genèse de la représentation politique comme une réponse naturelle, spontanée, à la "dispersion" des populations barbares installées en Europe.
Quand [les conquérants] étaient en Germanie, toute la nation pouvait s’assembler. Lorsqu’ils furent dispersés dans la conquête, ils ne le purent plus. Il fallait pourtant que la nation délibérât sur ses affaires, comme elle avait fait avant la conquête : elle le fit par des représentants1486.
50D’un point de vue historique, la représentation nationale est consubstantielle aux monarchies européennes, mais les modalités de cette participation ont pris un tour différent des deux côtés de la Manche. En France, le peuple doit se contenter de la seule "liberté civile"1487 et non de la liberté politique, quand en Angleterre il participe au pouvoir législatif par la voix de ses représentants.
51Chez Montesquieu, la représentation des intérêts du peuple procède d’un déterminisme géographique puisqu’elle se fonde sur une théorie des dimensions : il est "impossible dans les grands États" de réunir le peuple en corps. Trop nombreux, le peuple ne pourrait participer directement aux affaires publiques. Loin de se limiter à ces considérations pratiques pour exclure le peuple de la délibération, il ajoute que, même dans les petits États, elle est sujette "à beaucoup d’inconvénients"1488. Par ses origines, l’idée de représentation porte en elle une équivoque que sa mise en œuvre viendra renforcer. Elle apparaît à la fois comme un gage de liberté politique et le moyen de désamorcer la charge menaçante sous-jacente à l’idée de "peuple" en évitant une excessive implication des citoyens dans les affaires publiques.
Il faut que les affaires aillent, et qu’elles aillent un certain mouvement, qui ne soit ni trop lent ni trop vite. Mais le peuple a toujours trop d’action, ou trop peu. Quelquefois, avec cent mille bras, il renverse tout ; quelquefois, avec cent mille pieds, il ne va que comme des insectes1489.
52L’affirmation selon laquelle "tout homme, à sa manière, prendrait part à l’administration de l’État"1490 pourrait laisser croire à l’ébauche d’une conception particulièrement moderne de la représentation, d’ailleurs bien éloignée de la réalité anglaise. La définition proposée par Montesquieu du corps électoral est cependant particulièrement hermétique : se voient refuser le droit de vote ceux qui "sont dans un tel état de bassesse"1491. Cette notion pourrait renvoyer à un critère censitaire comme c’était alors le cas en Angleterre, mais elle sous-entend en fait une aptitude, une disposition naturelle d’ordre psychologique. En effet, le critère positif ici invoqué n’est pas un degré de richesse ou le statut de propriétaire, mais le fait d’avoir une "âme libre" ou une "volonté propre"1492. Cette notion de "volonté propre", parfait exemple du labyrinthe conceptuel que peut prendre, sous certains aspects, la lecture de L’Esprit des lois, se rattache à la liberté philosophique du citoyen. Distincte de la liberté politique fondée sur la sûreté, la liberté philosophique se définit comme "l’exercice de sa volonté, ou du moins (…), dans l’opinion où l’on est que l’on exerce sa volonté"1493. En garantissant à tous les citoyens la liberté politique, mais en réservant à certains d’entre eux l’exercice de la liberté philosophique par l’attribution d’un droit de vote, l’Angleterre ne se rapproche pas pour autant du gouvernement démocratique, mais d’une aristocratie, car, selon une règle directement empruntée aux Anciens, il affirme que "le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie ; le suffrage par choix est celle de l’aristocratie"1494. Si le tirage au sort perd sa marque traditionnelle de signe de la puissance divine pour être une nouvelle exigence d’une république d’essence démocratique, le caractère aristocratique de l’élection est renforcé par la propension naturelle du peuple à "discerner le mérite", à connaître "le degré précis de la capacité des hommes"1495. Montesquieu reprend même les leçons de Cicéron pour se faire le défenseur d’un mode de scrutin non pas secret, mais public qui permet aux Grands d’éclairer les électeurs. Le peuple entendu strictement, ne fait ainsi que manifester sa "confiance"1496 en certaines personnes naturellement plus éclairées que lui. En permettant la sélection des meilleurs et des plus capables, grâce à la clairvoyance des gouvernés, l’élection des députés permet la reconstitution d’une aristocratie qui se rapproche d’un point de vue sociologique de celle de la Chambre haute, où siègent les personnes distinguées par "la naissance, les richesses ou les honneurs"1497.
53Le choix des députés ne signifie pas que le peuple puisse prendre part aux affaires publiques. Bien au contraire, les Anglais ont su, en consacrant le principe de la représentation, éviter "un grand vice" des républiques antiques : le droit du peuple de "prendre des résolutions actives ; chose dont il est entièrement incapable". L’ingérence du peuple est réduite à un degré minimal, le choix, comme l’illustre le rejet du mandat impératif. Cet interdit n’est pas fondé sur la volonté de parvenir à une représentation de la communauté nationale, puisque Montesquieu affirme au contraire que les députés seraient "plus l’expression de la voix de la nation" en recevant de leurs commettants des instructions précises auxquelles ils seraient soumis, au risque d’être révoqués s’ils ne les suivaient pas1498. La représentation s’inscrit bien plus dans une lecture aristocratique de la procédure électorale anglaise, légitimée par de simples considérations pratiques (le "caprice" d’un député pouvant interrompre la délibération) et par le souci d’assurer l’indépendance optimale des gouvernants. Le peuple ne peut alors donner des instructions à ses députés. "Le corps représentant, explique-t-il, ne doit pas être choisi non plus pour prendre quelque résolution active ; chose qui ne serait pas bien : mais pour faire des lois". Pour étayer son argumentation, le parlementaire bordelais n’hésite pas à détourner la pensée de Sidney. De l’illustre républicain condamné à l’échafaud, il retient l’idée selon laquelle les députés ne doivent, à l’inverse de la pratique consacrée dans les Provinces-Unies, mais aussi dans le cadre des États généraux du royaume de France, "rendre compte à ceux qui les ont commis"1499. La fréquence des élections ne vise pas à assurer une participation régulière du peuple aux affaires publiques, mais constitue l’unique remède au risque de voir les membres de la chambre basse gagnés par la corruption. Sans des élections régulières, permettant à chacun de reporter ses espoirs sur un parlement nouvellement élu, le peuple "deviendrait furieux", voie vers l’anarchie, ou à l’inverse, serait gagné par "l’indolence", premier symptôme d’un gouvernement despotique1500.
54Inscrire la pensée de Montesquieu dans l’émergence d’une conception moderne de la représentation de nature démocratique paraît ainsi fort hasardeux, fondée sur la seule affirmation selon laquelle "il faut que le peuple fasse, par ses représentants, tout ce qu’il ne peut pas faire par lui-même"1501. Les thèses du magistrat bordelais sont ici autrement plus subtiles et plus équivoques. Mécanisme aristocratique de sélection des élites naturelles, la représentation vise en fait plus à éloigner qu’à intégrer le peuple dans la sphère du gouvernement. L’idée de médiation prime sur celle de participation. "C’est le grand avantage qu’aurait ce gouvernement sur les démocraties anciennes, dans lesquelles le peuple avait une puissance immédiate"1502. Ce n’est peut-être pas tant dans la défense des privilèges des pairs qu’il convient de rechercher, comme le faisait Althusser, la lecture aristocratique de l’Angleterre, mais plus dans le processus de désignation des députés aux Communes. Pétri de méfiance et condescendance envers le peuple, Montesquieu a cru découvrir dans les institutions anglaises la réponse au danger inhérent à toute participation populaire aux affaires publiques.
§ 2 -De la supériorité de la constitution anglaise sur les monarchies modernes ?
55Au risque de caricaturer des travaux souvent plus nuancés, deux lectures de Montesquieu s’affrontent. Refusant d’apporter une importance excessive aux deux derniers livres de l’ouvrage, certains commentateurs de L’Esprit des lois brossent un portrait "tout anglais" du magistrat bordelais, qui aurait découvert sur l’autre rive de la Manche "La Réponse" à son angoisse du despotisme1503. En partant de l’affirmation selon laquelle le gouvernement gothique est "la meilleure espèce de gouvernement que les hommes aient pu imaginer"1504, d’autres ont opté pour un Montesquieu aristocrate et libéral, engoncé dans une nostalgie aux accents "réactionnaires" d’un ordre féodal révolu, pour qui l’Angleterre n’est qu’une réponse extrême, et donc au bout du compte pernicieuse, à son idéal d’un gouvernement tempéré1505. Chercher le gouvernement idéal sous la plume de Montesquieu a cependant toutes les chances de demeurer vaine, ou du moins de se heurter à des obstacles incommensurables, notamment à cause de l’architecture déroutante de l’ouvrage. Ces deux lectures contradictoires peuvent cependant être conciliées par le recours à ce que l’on a pu justement appeler un versant "continental" et un versant "insulaire" d’un même modèle politique originaire1506. Ainsi se trouvent réconciliées les deux lectures de Montesquieu, l’une insistant sur le panégyriste de la monarchie républicaine anglaise, l’autre sur le défenseur des privilèges nobiliaires. La schizophrénie qui semble caractériser Montesquieu, légitimée par une opportune invocation de ses théories relativistes, aura alors peut-être vécue. Au terme d’un processus historique différent, les deux structures politico-sociales de la France et de l’Angleterre ont chacune multiplié à leur façon les digues, les écueils sur lesquels le pouvoir trébuche sans cesse sur le pouvoir sans jamais écraser le citoyen.
-France et Angleterre : les deux versants d’un même modèle politique
56Historiquement, les deux monarchies ont une même origine, le monde germain, dans lequel Montesquieu puise plusieurs éléments constitutifs de la liberté politique. Avec son sens habituel de la métaphore, il qualifie les nations du nord de "fabrique des instruments qui brisèrent les fers forgés au midi"1507. En abattant l’empire romain devenu despotique, les tribus barbares ont introduit en Europe une forme jusqu’alors inconnue de gouvernement, celle d’une monarchie limitée par une assemblée. Qu’elle soit saxonne ou franque, la liberté n’est pas apparue sur les rives de la Méditerranée, mais dans les forêts de Germanie. L’extrait du Livre XI ( !) de La Germanie de Tacite permet de décrire à la fois le gouvernement des Francs libérés du joug romain et la genèse de la liberté anglaise1508.
57Montesquieu fait preuve d’une extraordinaire constance dans l’exposé de ses principes de gouvernement. En 1721, il avait déjà défendu la thèse de l’origine germanique de la liberté politique. Après avoir mis un terme à "la cruelle oppression" des Romains, les peuples du nord fondèrent des royaumes où l’autorité monarchique était limitée par "les assemblées de la nation"1509. Dès les origines, le pouvoir royal était, selon le témoignage concordant de Tacite et de César, "très limité", puisque l’élaboration de la loi comme le vote de l’impôt se faisaient de concert avec les grands1510. Ce principe posé, Montesquieu n’a pas entrepris une histoire comparée des nations française et anglaise, surtout dans la période cruciale qui suit l’accession de Hugues Capet sur le trône de France, comme celle de Guillaume le Conquérant en Angleterre1511. Il préfère envisager l’histoire de la féodalité dans une perspective européenne, où la spécificité des règles de successions féodales permettrait d’expliquer celles qui président à la dévolution de la couronne. En France, l’exclusion des femmes fut ainsi consacrée quand l’Angleterre reprit à son compte le droit normand pour adopter une règle inverse1512. L’une de ses Pensées offre une clé de compréhension de cette période essentielle pour l’évolution de ces deux nations :
J’avais observé que, par rapport aux lois féodales et anciennes lois d’Angleterre, il ne me serait pas difficile de les entendre, non plus que celles de toutes les autres nations, parce que, toutes les lois de l’Europe étant gothiques, elles avaient toutes la même origine et étaient toutes de même nature ; qu’au contraire les lois et la jurisprudence modernes étaient difficiles à entendre, parce que le temps et les circonstances des choses avaient changé et modifié la loi gothique dans le pays1513.
58À la fin du Moyen Age, les deux nations ont suivi des chemins séparés, le long desquels les institutions, mais aussi l’esprit des deux peuples, ont évolué dans des directions opposées. De l’histoire anglaise, Montesquieu ne conserve qu’une épure en évoquant "ce beau système (…) trouvé dans les bois" de Germanie1514. Il sait opportunément éviter un compte rendu forcément périlleux des relations troublées entre le roi et le Parlement. La diffusion de l’esprit de commerce, l’abolition des juridictions seigneuriales et plus largement des corps intermédiaires ont détruit la structure féodale de la société pour lui donner une nouvelle physionomie. Dans le royaume de France, les "corps intermédiaires", comme les cours souveraines, les juridictions seigneuriales, les institutions urbaines et les cours ecclésiastiques, ont constitué un rempart solide, mais sans cesse menacé, face à l’affirmation d’un pouvoir royal centralisateur1515.
59Cette description comparative de l’histoire des institutions anglaises et françaises pourrait laisser croire que la dynamique du changement fut plus poussée de l’autre côté de la Manche. Pourtant, l’opinion inverse doit être partiellement retenue, et derrière son apparente "modernité", l’Angleterre peut se prévaloir d’avoir su faire primer une dynamique de la conservation sur celle de la corruption d’une forme originelle de gouvernement. Rica se désole que les Français aient abandonné leurs "lois anciennes, faites par leurs premiers rois dans les assemblées de la nation", au profit du droit romain, qui, avec le droit canon, accable "également le juge et la justice"1516. À l’inverse, les Anglais offrent un exemple éclatant d’esprit de conservation, notamment par leur procédure criminelle héritée de l’époque médiévale1517. D’autres réalités juridiques confirment cette hypothèse. À propos de la division du royaume en comtés et en centaines, entreprise par Clotaire et Childebert au vième siècle, Montesquieu précise que "pareille police s’exerce encore aujourd’hui en Angleterre"1518. De même, la règle successorale de l’ultimogéniture alors toujours en vigueur dans certaines régions de l’Angleterre, serait un lointain souvenir des Germains, peuple de pasteurs et de chasseurs, et non de paysans. Ne cultivant pas la terre, les fils aînés laissaient logiquement au cadet la garde la maison paternelle1519. Mais c’est surtout le maintien du gouvernement représentatif qui fait de l’Angleterre le conservatoire des antiques libertés germaniques.
60Il reste alors à s’interroger sur le silence déroutant à propos des assemblées représentatives tombées en désuétude en France, et pourtant constitutives de la liberté des nations germaniques comme de l’Angleterre hanovrienne. Dans L’Esprit des lois, Montesquieu ne s’émeut guère de la disparition des États généraux, seule institution qui aurait pu s’apparenter aux plaids mérovingiens ou carolingiens. La convocation de ces assemblées était depuis les monarchomaques protestants une revendication fréquente chez les nostalgiques des libertés germaniques. Seules les compétences fiscales des assemblées des pays d’États sont rapportées en des termes élogieux1520. Dans la forme idéale de gouvernement que la France a pu connaître avant l’arrivée des Valois sur le trône, Montesquieu ne reconnaît au peuple non la liberté politique, mais la seule "liberté civile" obtenue par les lettres d’affranchissement1521. Le pourtant sage Usbek ne fait-il pas preuve d’une éclairante omission en affirmant : "Il y a en France trois sortes d’états : l’Église, l’Épée et la Robe"1522 ? Sous les deux premières dynasties, la participation de la nation était assurée, mais ne signifiait pas que le peuple eût part au gouvernement. Seuls le roi, la noblesse et le clergé "avaient dans leurs mains la puissance de l’État"1523. Sans doute marqué par la lecture des histoires d’Angleterre, il convoque même, par inadvertance ou par provocation, un vocabulaire propre aux institutions anglaises : "Sous les deux premières races, on assembla souvent la nation, c’est-à-dire les seigneurs et les évêques : il n’était point encore question des communes"1524. À l’indéniable méfiance, déjà évoquée, vis-à-vis du peuple, s’ajoute chez l’ancien président à mortier au parlement de Bordeaux une conception particulière de l’histoire qui peut être précisée par l’un des reproches fait à l’abbé Dubos :
Transporter dans les siècles reculés toutes les idées du siècle où l’on vit, c’est des sources de l’erreur celle qui est la plus féconde1525.
61Plus inquiet pour l’avenir que nostalgique d’un passé idyllique, Montesquieu regrette moins les assemblées d’états en sommeil depuis plus d’un siècle, qu’il ne s’évertue à défendre les privilèges menacés des Parlements. La monarchie se différencie du despotisme notamment par l’existence de lois fondamentales et d’un "dépôt des lois" confié aux cours souveraines1526. Au fil de ses œuvres, Montesquieu reprend certains des arguments de l’idéologie parlementaire développée par La Roche-Flavin ou Guillaume de Lamoignon, premier président au Parlement de Paris1527, mais peut-être plus encore par Domat, dont il fut un lecteur attentif1528. À l’inverse, le cardinal de Richelieu, praticien honni de la raison d’État, est voué aux gémonies pour avoir voulu "évite[er] les épines des compagnies". Et Montesquieu d’accabler l’auteur du Testament politique par cette formule assassine : "Quand cet homme n’aurait pas eu le despotisme dans le cœur, il l’aurait eu dans la tête"1529.
62Toute l’œuvre du magistrat bordelais est marquée par cette défense sibylline des prérogatives des cours souveraines. Dès 1721, par la voix de Rica, il s’offusque avec une amère ironie, de voir le Parlement de Paris exilé "dans une petite ville qu’on appelle Pontoise", où a été enregistrée une ordonnance qui "déshonore" autant le Parlement exilé que le Conseil du Roi1530. Même si le prince a "la souveraine puissance"1531 dans un gouvernement monarchique, les cours souveraines occupent une place centrale dans la description proposée par Montesquieu de la constitution française. La synthèse peut en être trouvée dans cette formule en apparence obscure, mais qui donne sens à la structure du gouvernement monarchique : "Dans le gouvernement monarchique, le pouvoir s’applique moins immédiatement [que dans le despotisme] ; le monarque, en le donnant, le tempère. Il fait une telle distribution de son autorité, qu’il n’en donne jamais une partie, qu’il n’en retienne une plus grande"1532.
63Les cours souveraines sont alors définies selon une formule lourde de signification comme "le principal appui de la monarchie et le fondement de toute autorité légitime"1533, qui ne doivent pas se contenter d’enregistrer avec docilité les ordonnances royales. À l’hypocrisie inconséquente du courtisan qui idéalise la réalité politique du royaume dans le seul but de gagner les faveurs du Prince, Montesquieu oppose le "pesant fardeau de la vérité" que le magistrat doit porter à la connaissance de ce dernier. Par leurs remontrances, les parlementaires expriment "les gémissements et les larmes [du peuple] dont elles sont dépositaires"1534. La noblesse de robe se voit donc attribuer la qualité de porte-parole naturel du peuple sans pour autant le représenter juridiquement. À l’inverse du Conseil du roi, seuls les parlements peuvent prétendre avoir "à un assez haut degré la confiance du peuple". N’est-ce pas la même expression que l’on retrouve pour l’Angleterre où le "corps législatif [a] la confiance du peuple"1535 ? Une même fonction est ainsi remplie par les députés anglais et les magistrats français, mais selon des mécanismes juridiques différents. La lecture de la "table analytique et alphabétique" rédigée par Montesquieu et son fils suscite encore plus le trouble. L’entrée "parlement", où il n’est question que des cours souveraines, renvoie à celle de "corps législatif", qui ne cite elle que le chapitre sur la constitution anglaise1536.
64L’origine de cette mission impartie aux parlements s’explique historiquement par l’avilissement progressif de la noblesse d’épée. Au temps de Saint Louis, cette dernière n’était plus en mesure de remplir ses attributions, notamment en matière judiciaire, car elle était devenue incapable de maîtriser un droit devenu plus technique avec la redécouverte du droit romain1537. À cette cause exogène s’ajoute "l’ignorance naturelle à la noblesse, son inattention et son mépris pour le gouvernement civil", accusations d’une rare sévérité sous la plume d’un aristocrate qui revendiquait trois cents ans de noblesse1538. Depuis le xiiième siècle, le Parlement s’est élevé au rang de médiateur, de corps "intermédiaire" entre un peuple naturellement impétueux et un prince porté vers le despotisme, dont les membres, personnes sages et éclairées, permettent que les "guerres civiles" ne deviennent pas des "révolutions"1539. Les cours souveraines sont ainsi les garantes d’un ordre politique envisagé par Montesquieu comme instable. Selon une interprétation controuvée de la réalité institutionnelle, elles se voient attribuer l’obligation "d’éclairer [le peuple] dans les temps difficiles", voire de "le ramener à l’obéissance"1540.
65Pour mener à bien cette fonction, elles assurent le "dépôt des lois", c’est-à-dire la publicité des ordonnances, mais surtout le rappel des lois que le monarque viendrait à "oublier"1541. Le contraste devient alors saisissant entre la valorisation du rôle du parlementaire, qu’il soit juge ou quasi-législateur, paré de toutes les vertus (sagesse, prudence, modération), et l’absence de toute précision sur celui du roi. Fonder l’ordre monarchique sur les seules qualités du prince ou de ses ministres relève de l’illusion, puisque, contrairement à l’opinion avancée par le cardinal de Richelieu, seul un "ange" pourrait avoir "tant d’attention, tant de lumières, tant de fermeté, tant de connaissances"1542. Aussi, les "lumières" du prince nécessaires à l’exercice de sa fonction ne pourront procéder que de la seule intervention des parlementaires, thèse explicite au travers de cette interrogation :
Que serait devenue la plus belle monarchie du monde, si les magistrats, par leurs lenteurs, par leurs plaintes, par leurs prières, n’avaient arrêté le cours des vertus même de ses rois, lorsque ces monarques, ne consultant que leur grande âme, auraient voulu récompenser sans mesure des services rendus avec un courage et une fidélité aussi sans mesure1543 ?
66Les vicissitudes de l’histoire ont permis au génie particulier de chacune de ces deux nations de s’épanouir dans un cadre institutionnel singulier, mais non antithétique. Deux formes de liberté ont été consacrées : en Angleterre, une liberté "extrême", et en France, "la gloire", d’où il résulte un "esprit de liberté" pouvant contribuer "autant au bonheur que la liberté même"1544. La liberté apparaît cependant précaire dans ces deux nations, précarité similaire, mais inversée. Dans le face à face inquiétant entre le peuple et le roi, l’autorité du premier doit être jugulée en Angleterre, quand c’est celle du second qui se fait menaçante en France. Aussi la Chambre des Pairs, protectrice des intérêts du roi, comme les corps intermédiaires, à commencer par les parlements, protecteurs des libertés du peuple, peuvent seuls garantir le maintien de cet équilibre forcement instable. Dès lors, il ne reste plus qu’une question, celle du devenir de la liberté, qu’elle soit parée de ses atours "français" ou "anglais", pour tenter de lever quelques unes des inconnues de l’insoluble équation politique proposée par Montesquieu.
-Le devenir de la liberté en France et Angleterre
67Conscient de l’irrémédiable mutabilitalité des choses humaines, Montesquieu propose un critère précis d’évaluation du changement historique, celui de la conformité du "principe" à la forme de gouvernement.
Un État peut changer de deux manières ; ou parce que sa constitution se corrige, ou parce que sa constitution se corrompt. S’il a conservé ses principes, et que la constitution change, c’est qu’elle se corrige : s’il a perdu ses principes, quand la constitution vient à changer, c’est qu’elle se corrompt1545.
68La même menace pèse sur les deux monarchies, celle de la corruption du "principe" de gouvernement, même si elle n’y prendra pas le même visage. En France, la structure socio-politique est hiérarchisée, inégalitaire, reposant sur une éthique de la distinction dont le ressort est l’honneur1546. Toutes les atteintes à ce principe seront autant d’étapes vers le despotisme. Le droit des successions est ainsi au service de cette nécessaire inégalité sociale, dont les exemples les plus flagrants sont l’attachement aux substitutions nobiliaires et au retrait lignagier1547. À l’uniformité et à l’égalité propre au despotisme, la monarchie se distingue par l’existence de rangs dans une société d’ordres. Aussi est-ce par l’avilissement de la noblesse que se manifesteront les premiers symptômes de la corruption. Le despotisme attribué à Louis XIV procède autant d’une mise au pas des parlements que de l’asservissement du second ordre, prisonnier sur la scène de Versailles pour y composer l’indigne rôle de courtisan1548. Une de ses Pensées résume de façon admirable cet état de fait : "Une monarchie corrompue, ce n’est pas un État ; c’est une cour"1549.
69Tout autre est la menace qui pèse sur l’Angleterre au sortir de la période féodale. L’abolition des corps intermédiaires avait déjà illustré la fragilité de la liberté des Anglais, qui aurait pu devenir "un des peuples les esclaves de la terre" s’il n’avait su conserver ses libertés aux dépens du monarque1550. Montesquieu conclut sa description de la constitution anglaise sur une note pessimiste ajoutée en 1743 :
Comme toutes les choses humaines ont une fin, l’État dont nous parlons perdra sa liberté, il périra. Rome, Lacédémone et Carthage ont bien péri. Il périra lorsque la puissance législative sera plus corrompue que l’exécutrice1551.
70Contrairement à une accusation souvent portée contre l’aveuglement de Montesquieu dans son tableau de la vie politique anglaise, il n’a pas minoré les germes destructeurs de la corruption que ses contemporains n’avaient de cesse de fustiger. Au cours de son séjour en Angleterre, il avait pris conscience, notamment par les diatribes lancées par Bolingbroke contre Walpole, de la généralisation de ces pratiques vénales : "Les Anglais ne sont plus dignes de leur liberté. Ils la vendent au roi ; et si le roi la leur redonnait, ils la lui vendraient encore"1552. Le ton est moins amer dans L’Esprit des lois, puisque la fréquence des élections -critique indirecte du Septennial Act ?- constitue le remède naturel à une corruption du corps législatif, qui n’est plus désormais que "potentielle". De même, il est frappant de voir que la distribution des charges par le monarque, source indéniable de corruption, n’est pas contestée, puisqu’elle lui permet de s’attacher des partisans1553. Dans la mesure où il présente la structure institutionnelle de cette nation comme le "miroir" de la liberté, il ne peut cependant que minorer les failles de son idéal. Peut-être le droit reconnu au roi de pouvoir distribuer des places et des honneurs est-il l’arme ultime, plus efficace que la faculté d’empêcher, pour contenir les prétentions abusives du Parlement ?
71Dans une longue lettre adressée à William Domville en 1749, donc postérieure à la publication de L’Esprit des lois, Montesquieu a laissé un précieux témoignage sur son interprétation du devenir de la liberté anglaise, qui vient préciser les principales conclusions de son maître-ouvrage1554. S’il est certain que la nature du document, où priment les règles de politesse et de retenue propre à toute relation épistolaire, doit inciter à la prudence, il est possible d’en retenir deux lectures des mécanismes de la corruption, l’un plus technique sur les pratiques électorales, l’autre sur les menaces que ferait peser la prospérité sur les mœurs de la nation dans une époque où "l’esprit du commerce domine tout"1555. Sur le premier point, Montesquieu fait preuve d’une relative sérénité, et rassure son correspondant en ces termes :
Le peuple a plus de vertus que ceux qui le représentent. (…) Il y a tant de moyens de faire fortune dans votre gouvernement, par le gouvernement qu’il semble que vous ayez voulu corrompre et vos magistrats, et vos représentants. Il n’en est pas de même du corps entier du peuple, et je crois y avoir remarqué un certain esprit de liberté qui s’allume toujours et n’est pas prêt à s’éteindre1556.
72La corruption, la brigue et le clientélisme ne pourront à eux seuls emporter le régime anglais dans les abîmes du despotisme. Le salut de l’Angleterre reposerait en fait sur cette classe moyenne, composée de commerçants et d’artisans, que Montesquieu appelle les "gens médiocres", "l’état moyen" de la nation qui "aime encore sa liberté et ses lois"1557. L’expression "gens médiocres", employée à deux reprises dans cette lettre, n’a pas ici le sens péjoratif qu’elle a aujourd’hui, ou qu’elle aurait pu avoir chez un notable bordelais de haute extraction. Bien au contraire, Montesquieu semble ici directement s’inspirer de la Politique d’Aristote pour la définir en des termes particulièrement élogieux :
La médiocrité est une vertu de tous les états : car comme elle n’est proprement qu’une économie sage et réglée de la condition présente, elle peut non seulement mettre des douceurs dans la vie des moindres particuliers, mais encore faire la félicité des rois1558.
73Dans le texte de 1733 qui deviendra le chapitre six, c’était à la noblesse qu’était impartie la fonction de point nodal dans l’équilibre institutionnel, par son rôle de puissance réglante entre le roi et le peuple. Treize années plus tard, l’importance du peuple se trouve singulièrement réévaluée.
74L’autre point essentiel de l’analyse de Montesquieu est son refus d’envisager l’avenir de l’Angleterre à travers le prisme de la république romaine finissante, emportée par la corruption de ses mœurs. Le référent romain dans la lecture du devenir de la liberté anglaise, déjà utilisé par Le Blanc ou d’Argenson, était depuis 1688 omniprésent dans les débats politiques de l’autre côté de la Manche1559. Face à l’inquiétante domination d’une oligarchie corrompue, les Old Whigs ou commonwealthmen comme Trenchard et Gordon, et les Country Tories réunis autour de Bolingbroke, se retrouvaient pour fustiger les dérives d’une Angleterre rongée par le commerce et la corruption. Pétris par leur éducation et leur culture des auteurs anciens, ils puisaient dans l’histoire romaine des enseignements directement applicables à l’Angleterre hanovrienne. Les Annales de Tacite, les Histoires florentines et les Discours sur la première décade de Tite-Live de Machiavel sur la vertu civique connaissaient alors un vif succès. L’idéal d’un gouvernement agraire et vertueux constituait la seule réponse à la généralisation de ces vices1560. L’Angleterre n’allait-elle pas connaître le même destin que la glorieuse République romaine emportée par la "tyrannie" de Jules César et de ses successeurs, pour n’avoir pas su réformer les maux qui la gangrenaient ? Les Hanovre et leurs ministres prévaricateurs, n’offraient-il pas un nouveau visage, aux traits plus fins mais tout aussi pernicieux que ceux de Jacques II, de la tyrannie en portant atteinte à l’indépendance du Parlement par leur système de corruption ?
75Tout en reprenant le paradigme romain, Montesquieu réfute son assimilation à la moderne Angleterre, en insistant sur la singularité de ses sources de richesse, qui l’empêche de voir que sa "constitution soit renversée". À Rome, la richesse procédait d’une extension de son territoire. La Ville, pour assurer ses revenus, devait multiplier les pillages et les tributs sur les populations intégrées à l’Empire, entraînant une plus grande disparité entre les plus riches et les plus pauvres. Les causes de la prospérité en Angleterre divergent radicalement, car la richesse est la conséquence du commerce et de l’industrie. "Ces sources, affirme Montesquieu, sont de telle nature que celui qui y puise ne peut s’enrichir sans enrichir les autres"1561. Alors que l’Empire ne faisait que creuser les disparités entre classes sociales, source de rivalités et de désordres, les structures de l’économie anglaise permettent de concilier le maintien d’une certaine homogénéité entre les classes sociales avec la passion des individus à s’enrichir. Le temps n’est plus à la vertu héroïque du chevalier, à l’idéal élevé du noble. Dans une société non plus terrienne, mais commerçante, le crédit devient un gage de liberté, dont l’emprunt est la traduction fiduciaire d’une relation de confiance entre gouvernants et gouvernés.
Pour conserver sa liberté, elle emprunterait de ses sujets ; et ses sujets, qui verraient que son crédit serait perdu si elle était conquise, auraient un nouveau motif de faire des efforts pour défendre sa liberté1562.
76Lorsque la première édition de L’Esprit des lois sortira des presses de Genève en décembre 1748, l’année du Traité d’Aix-la-Chapelle, les premières réactions sur la description de la constitution anglaise oscilleront entre un enthousiasme difficilement contenu et quelques remarques mesquines, comme celle du marquis de La Breille accusant Montesquieu d’avoir flatté les Anglais dans le seul but de pas froisser les acheteurs anglais de son vin du château de La Brède1563. Sans encore envisager la réception de son chef-d’œuvre, il est possible de décliner l’apport de la description de la constitution anglaise à la réflexion politique et juridique en filant une métaphore linguistique. Montesquieu aurait alors imposé à son temps un lexique, une grammaire et une langue.
77-Un lexique. Un propos de l’avertissement, relatif à la nature morale et/ou politique de la "vertu", pourrait être repris et appliqué à l’ouvrage de Montesquieu dans son entier, mais plus particulièrement aux pages anglaises :
J’ai eu des idées nouvelles : il a bien fallu trouver de nouveaux mots ou donner aux anciens de nouvelles acceptions1564.
78Le concept de "constitution" peut servir d’exemple aux nombreux glissements sémantiques permis par la pensée de Montesquieu. Fine mécanique qui permet de limiter un pouvoir par essence dangereux, la constitution s’apparente à une "chaîne" qui traduit des rapports de pouvoirs, une tension, un équilibre politique et social auquel il convient de se soumettre au risque de la casser1565. De la "constitution de l’État (ou du gouvernement)", entendue comme ce qui est, comme le constat d’un ordre politique naturellement établi, s’opère une subtile transition, jamais rigoureusement fondée, vers la "constitution" entendue comme ce qui doit être, c’est-à-dire une juste distribution des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. En faisant de la constitution la condition de la liberté politique, Montesquieu a donné à ce concept une acception "favorable", une charge positive qu’il avait déjà dans la pensée grecque à travers le terme de politeia1566. D’autres termes vont connaître une étonnante postérité comme ceux de "corps intermédiaires" ou de "sûreté". Les termes de puissance "exécutrice" et "législative" et celui de "pouvoir de juger" étaient déjà connus dans la langue française1567. C’est cependant par la lecture de L’Esprit des lois qu’ils connaîtront une postérité chez les publicistes et philosophes de la seconde moitié du siècle. Sans anticiper sur les réflexions à venir, il suffit de relire les pages que consacre Moreau dans Les devoirs du prince, pour être frappé de la prégnance de la terminologie de Montesquieu. L’historiographe de Louis XVI, qui dédie son ouvrage au Dauphin, reprend la terminologie du chapitre six pour décrire en des termes parfaitement orthodoxes les trois branches de l’autorité monarchique, sans jamais évoquer les institutions anglaises.
Un royaume est toujours heureux lorsque celui qui le gouverne est juste dans sa législation, juste dans son administration, juste dans l’exercice de sa juridiction suprême1568.
79-Une grammaire. La terminologie utilisée dans les chapitres anglais n’est pas neutre. Elle est au service d’une grammaire, dans le sens étymologique de grammatokê qui signifie en grec l’art d’écrire et de lire les grammata, les lettres. De même que les mots obéissent à une logique propre établie par une grammaire, les pouvoirs doivent être distribués selon des règles particulières. Le constat d’une confusion des trois pouvoirs sera le signe du despotisme. À propos des monarchies de son temps, Montesquieu note :
Les trois pouvoirs n’y sont point distribués et fondus sur le modèle de la constitution dont nous avons parlé [l’Angleterre]. Ils ont chacun une distribution particulière, selon laquelle ils approchent plus moins de la liberté politique ; et s’ils n’en approchaient pas, la monarchie dégénérerait en despotisme1569.
80Des institutions anglaises, Montesquieu a ainsi su puiser un art de connaître le degré de liberté de toute forme de gouvernement. La conclusion du Livre onze est alors explicite : "Je voudrais rechercher, dans tous les gouvernements que nous connaissons, quelle est la distribution des trois pouvoirs et calculer par-là les degrés de liberté dont chacun d’eux peut jouir"1570.
81-Une langue. Du cosmopolitisme des Lumières, dont Montesquieu est l’une des figures emblématiques, est née l’aspiration de voir se développer l’enseignement des langues vivantes, Faiguet allant même jusqu’à proposer dans l’article "Études" de l’Encyclopédie de substituer dans les collèges l’apprentissage de la langue anglaise à celle du grec, jugé moins utile et trop difficile1571. Tel n’était sûrement pas le dessein de Montesquieu, mais il est certain qu’il a imposé à ses contemporains une autre "langue anglaise", cette fois au sens figuré.
82Les Lumières seront cependant polyglottes. À côté de la langue "germanique", que Montesquieu a également contribué à diffuser, la pensée jusnaturaliste laïcisée de Burlamaqui ou de Vattel, le contractualisme d’un Rousseau, comme l’apologie du despotisme éclairé, seront autant d’autres langues politiques qui, dans cette tour de Babel que représente la pensée politique des Lumières, nourriront une contestation de plus en plus pressante des assises traditionnelles de la monarchie française. Mais si l’anglais fut une langue bien vivante dans la seconde moitié du siècle, les sujets de Louis XV comme de Louis XVI voulaient-ils vraiment voir disparaître celle de Bodin et de Molière ?
Notes de bas de page
1344 EDL, i, 1, p. 233.
1345 Pensée 198 (1940), t. II, p. 1039-1040.
1346 La démarche épistémologique de Montesquieu a fait l’objet des analyses les plus contradictoires, même si l’hypothèse d’une pensée dominée par la philosophie spéculative de Descartes (implicitement critiqué dans les Lettres persanes, xcvii, t. I, p. 274-275), défendue au début du siècle par Lanson, est aujourd’hui abandonnée. Elle oscillerait entre une "physique sociale" positiviste d’essence newtonnienne au service de la conservation d’un ordre féodal (L. Althusser, Montesquieu. La politique et l’histoire, Paris, PUF, 1964, p. 9 et s.) et une "philosophie expérimentale", qui dans l’ordre des fins débouche sur le constat d’une "universelle légalité" (S. Goyard-Fabre, Montesquieu…, op. cit., p. 83).
1347 A de très rares occasions, Montesquieu recourt à une image biologique, comme par exemple à propos de l’esprit de parti en Angleterre. S’il s’éteignait, "l’État serait comme un homme abattu par la maladie" (EDL, xix, 27, p. 575).
1348 Le vocabulaire de la physique hante sa réflexion politique, comme lorsqu’il affirme : "la mécanique a bien ses frottements, qui souvent changent ou arrêtent les effets de la théorie : la politique a aussi les siens" (EDL, xvii, 8, p. 530). Les termes "machine", "ressort", "chaîne", "mouvement", "mécanique", "frottement" sont omniprésents. Sa célèbre distinction entre la nature des gouvernements et leur principe s’intègre dans cette perspective. Le second est ce qui fait mouvoir la structure des premiers (EDL, iii, 1, p. 250), comme par exemple l’honneur dans la monarchie : "Vous diriez qu’il en est comme du système de l’univers, où il y a une force qui éloigne sans cesse du centre tous les corps, et une force de pesanteur qui les y ramène. L’honneur fait mouvoir toutes les parties du corps politique ; il les lie par son action même ; et il se trouve que chacun va au bien commun, croyant aller à ses intérêts particuliers" (iii, 7, p. 275). Le principe "tend tous les ressorts" du gouvernement, qui engendre une dynamique assimilée aux "mouvements physiques [où] l’action est toujours suivie d’une réaction" (v, 1, p. 273). Il applique cette idée au gouvernement monarchique où "la politique fait faire de grandes choses avec le moins de vertu qu’elle peut ; comme dans les plus belles machines, l’art emploie aussi peu de mouvements, de forces et de roues qu’il est possible" (iii, 5, p. 255). Dans une lettre à un parlementaire resté inconnu, Montesquieu affirme : "L’État est une grande machine dont vous n’êtes qu’un ressort" (lettre du 9 juillet 1753, Correspondance, t. II, p. 477). Ce vocabulaire utilisé pour l’étude des phénomènes politiques demeure en partie valable pour celle de la nature humaine. La propension au suicide chez les Anglais s’explique par "un défaut de filtration du suc nerveux : la machine, dont les forces motrices se trouvent à tout moment sans action, est lasse d’elle-même" (xiv, 12, p. 486). Plus généralement, il définit les règles qui président à l’ordre du monde comme "un rapport constamment établi", ajoutant : "entre un corps mû et un autre corps mû, c’est suivant les rapports de la masse et de la vitesse que tous les mouvements sont reçus, augmentés, diminués, perdus ; chaque diversité est uniformité, chaque changement est constance" (EDL, i, 1, p. 233).
1349 Pensée 676 (720), t. I, p. 1179. Voir également Lettres persanes, cxxviii, t. I, p. 320-321. Mais il n’a pas totalement renoncé à l’utilisation de la méthode géométrique, comme par exemple à propos des moyens d’assurer la sécurité d’un État : "Il est reçu en géométrie que, plus les corps ont d’étendue, plus leur circonférence est relativement petite. Cette pratique, de dévaster les frontières, est donc plus tolérable dans les grands États [despotiques], que dans les médiocres" (EDL, ix, 4, p. 372).
1350 Pensée 1918 (941), t. I, p. 1461.
1351 "Je disais : “La nature a donné la quadrature aux mauvais géomètres pour faire les délices de la vie”" (Pensée 679 (1022), t. I, p. 1182). Sur ce point, voir B. Binoche, Introduction …, op. cit., p. 17.
1352 Pensée 2266 (1865), t. I, p. 1312.
1353 EDL, i, 1, p. 232 et 234.
1354 EDL, i, 1, p. 233. Usbek définit la justice comme "un rapport de convenance" qui ne dépend pas des "conventions humaines" (Lettres persanes, lxxxiii, t. I, p. 256).
1355 EDL, xix, 14, p. 565. Dans le Livre xxvi, Montesquieu précise les divers ordres de lois, depuis la loi naturelle jusqu’à la loi domestique. Dans la mesure où le droit ne se réduit pas chez Montesquieu à un système de normes positives, il paraît excessif d’affirmer que ce dernier transpose "dans la sphère du droit la mécanique newtonienne" (M. Troper, "Charles Eisenmann contre le mythe de la séparation des pouvoirs", Cahiers de philosophie politique, 2-3, 1984-1985, p. 77).
1356 Pensée 1906 (460), t. I, p. 1458.
1357 EDL, xi, 3, p. 3. Comparez avec Digeste (I, 5, 4) : "La liberté est la faculté naturelle de faire tout ce que l’on veut, à moins que l’action en question ne soit interdite par la force physique ou par la loi".
1358 EDL, xi, 4, p. 395.
1359 EDL, ii, 4, p. 248.
1360 Voir B. Binoche, Montesquieu, op. cit., p. 260.
1361 Considérations, t. II, p. 214.
1362 EDL, v, 14, p. 297.
1363 La société naît d’un consentement mutuel, dont il est possible de s’exclure par le moyen le plus radical, le suicide (Lettres persanes, lxxvi, p. 246), mais les réflexions autour de ce pacte d’association sont forcément stériles, tournées en dérision par la voix d’Usbek : "Je n’ai jamais ouï parler du droit public qu’on ait commencé par rechercher soigneusement qu’elle est l’origine des sociétés, ce qui me paraît ridicule" (xciv, p. 269). D’ailleurs la fable des Troglodytes n’intègre ni l’hypothèse d’un état de nature, ni celle d’un contrat de gouvernement. A la fin de sa vie, Montesquieu est plus nuancé que ses "Persans", notamment dans sa Défense de l’Esprit des lois (t. II, p. 1311), où il reprend à son compte les préceptes des "écrivains du droit naturel", qui permettent de supposer que l’homme est "tombé des nues, laissé à lui-même et sans éducation avant l’établissement des sociétés".
1364 EDL, xxvi, 15, p. 767-768. Contre Hobbes, il affirme : "Le peuple a autorisé le prince sous condition ; il l’a établi sous une convention" (Pensée 601 (204), t. I, p. 1127).
1365 Lettres persanes, civ, t. I, p. 284.
1366 EDL, xi, 2, p. 394.
1367 Il parle à son propos d’une "loi obscure qui ne fut jamais" (EDL, xxx, 11, p. 892). Mais la réciprocité des obligations est évoquée quelques chapitres plus loin. "La monarchie des Francs était déjà fondée ; le règlement de leur établissement était fait, les droits réciproques des personnes et des diverses nations qui vivaient dans la monarchie, étaient convenus" (xxx, 24, p. 929).
1368 "Les uns ont pris [le mot liberté] pour la facilité de déposer celui à qui ils avaient donné un pouvoir tyrannique ; les autres, pour la faculté d’élire celui à qui ils devaient obéir" (EDL, xi, 2, p. 394). Dans une perspective historique, Montesquieu limite la portée d’une monarchie élective défendue par certains publicistes anti-absolutistes. Sous la dynastie mérovingienne, "le titre de roi était héréditaire" (xxxi, 16, p. 965). Sous la dynastie carolingienne, les grands se voyaient reconnaître un "droit d’exclure" plutôt qu’un "droit d’élire" un membre de la famille régnante (xxxi, 17, p. 967) et l’accession d’Hugues Capet ne fut possible que par l’intervention des évêques dont l’esprit de corps "les mit en état de faire eux seuls des révolutions dans la nation et de déposer sous des prétextes mêmes inouïs" (Pensée 595 (1302), t. I, p. 1096). Pour un contre-exemple de l’insurrection employée en Crète comme une réponse légitime à l’abus de pouvoir d’un magistrat, voir EDL, viii, 11, p. 358.
1369 Il ne retient pas le seul critère traditionnel du nombre des gouvernants ("un", "plusieurs", "tous"), dans l’élaboration de sa typologie des régimes (république, aristocratique ou démocratique -monarchie- despotisme), donnant ainsi au despotisme une visibilité qu’il n’avait pas jusque là. Sur ce point, voir C. Larrère, "Les typologies des gouvernements chez Montesquieu", Études sur le xviiième siècle, Université de Clermont II, 1979, p. 87-103.
1370 Pensée 631 (884), t. I, p. 1151.
1371 Voir notre essai de typologie dans "les ambiguïtés du concept de constitution au xviiième siècle : l’exemple de Montesquieu", Actes du xiième Colloque de l’AFHIP, Aix-en-Provence, PUAM, 1998, p. 370-375.
1372 Pensée 238 (1744), t. II, p. 1049.
1373 EDL, iv, 8, p. 270.
1374 Ce "beau système" (EDL, xi, 6, p. 407).
1375 J. Brethe de La Gressaye, "Montesquieu, fondateur du droit public moderne", Mélanges en l’honneur de M. Stassinopoulos, Paris, LGDJ, 1974, p. 347-362.
1376 EDL, xi, 6, p. 396.
1377 EDL, xi, 6, p. 397.
1378 Aristote, Politique, VI, 14, 1 et 2.
1379 S’inspirant d’Aristote, Grotius propose une définition confuse des attributs du pouvoir civil en distinguant les "affaires générales" -faire la loi, qu’elle soit civile ou religieuse -des "affaires particulières", qui sont ou "directement publiques" (droit de faire la guerre, de signer des traités, de lever des impôts) ou "privées, mais considérées en tant qu’elles ont quelque rapport au bien public" (la "science de juger") (Le droit de la guerre et de la paix, op. cit., Liv. I, chap. III, § 6, p. 120). La typologie de Pufendorf des "parties potentielles" de la souveraineté est plus précise, comprenant le "pouvoir législatif", le "pouvoir coactif" pour l’application des peines, le "pouvoir judiciaire" consistant à trancher les litiges entre particuliers, le "pouvoir de faire la guerre et la paix" et enfin celui d’établir les magistratures. Mais la conclusion du juriste d’Heidelberg est à l’opposé de celle de Montesquieu. Un gouvernement régulier ne pourra se maintenir que par la concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul : "L’État n’ayant qu’un corps, il ne faut qu’un esprit pour le gouverner, c’est-à-dire une seule personne ou une seule assemblée" (Le droit de la nature, op. cit., t. II, Liv. VII, chap. iv, §1-14, p. 258 sq).
1380 Locke, Second traité, op. cit., XII, §143-146. L’opinion avancée au début du siècle par J. Dedieu (op. cit., p. 171), selon laquelle Montesquieu utilisa "avec une diligente attention" le Second Traité a été depuis longtemps abandonnée. Les conclusions de J.-J. Grandpré-Molière, qui exclut formellement que Montesquieu se soit inspiré de Locke procèdent à l’inverse d’une méthode positiviste excessive (La théorie de la constitution anglaise chez Montesquieu, P. U. de Leyde, 1972, p. 273-274). Il pourrait avoir eu connaissance des théories politiques de Locke par l’intermédiaire de Ramsay, lors de ses conversations à Londres avec Pierre Coste, traducteur de l’Essai sur l’entendement humain, ou à la simple lecture des notes des traductions de Pufendorf par Barbeyrac. Si la prudence s’impose, il est possible de suivre l’affirmation de P. Vernière qui insiste sur la différence entre la "doctrine de la défiance" fondée sur le contractualisme de Locke et la "philosophie du concert" du magistrat bordelais (Montesquieu et L’Esprit des lois ou la raison impure, Paris, SEDES, 1977, p. 73).
1381 Voir Bolingbroke, Crafstman, 219, 12 sept. 1730, cité par R. Shackleton, "Montesquieu, Bolingbroke and the Separation of Powers", French Studies, 3, 1949, p. 34.
1382 De la lecture du Craftsman, Montesquieu avait retenu la forte propension des Anglais à la corruption (Spicilège, t. II, p. 1357 et 1359).
1383 R. Shackleton, Montesquieu, op. cit., p. 285 ; le chapitre 27 du Livre XIX ayant été lui rédigé en 1746-1747. Sur les débats complexes autour de la rédaction de L’Esprit des lois, voir J.-J. Granpré-Molière La théorie de la constitution anglaise, passim et surtout les conclusions plus nuancées de L. Landi, L’Inghilterra e il pensiero politico di Montesquieu, op. cit., p. 158 et 169-171. La publication en cours des œuvres complètes par la Société Montesquieu devrait clarifier ces questions.
1384 EDL, xi, 5, p. 396.
1385 EDL, xi, 6, p. 407.
1386 M. Verpeaux, "Quelle “constitution anglaise”… ?", op. cit., p. 308.
1387 À propos de la France, il note : "Les trois pouvoirs n’y sont point distribués et fondus sur le modèle de la constitution dont nous avons parlé" (EDL, xi, 7, p. 408).
1388 Cité par J. Brethe de La Gressaye, L’Esprit des lois, op. cit., t. II, p. 330.
1389 EDL, xi, 5, p. 396.
1390 EDL, xi, 6, p. 397; xi, 15, p. 417; xi, 19, p. 428.
1391 Voir notamment, "L’Esprit des lois et la séparation des pouvoirs", Mélanges Carré de Malberg, Paris, 1933 [reproduit dans les Cahiers de philosophie politique, 2-3, 1984, p. 3-34].
1392 EDL, xi, 4, p. 395.
1393 "Où en seraient l’Espagne et le Portugal depuis la perte de leurs lois sans ce pouvoir [du clergé] qui arrête seul la puissance arbitraire ?" (EDL, ii, 4, p. 248, nous soulignons).
1394 EDL, xi, 1, p. 393, nous soulignons. A l’inverse, M. Troper considère la constitution anglaise comme "la description la plus classique d’un gouvernement mixte avec balance des pouvoirs législatifs" (La séparation des pouvoirs et l’histoire constitutionnelle française, Paris, L.G.D.J, 1980, p. 127), hypothèse qui semble ainsi trop restrictive.
1395 EDL, xii, 1, p. 431.
1396 EDL, xi, 18, p. 425. Cette idée générale se retrouve dans la critique de la république de Venise où l’aristocratie concentre les trois pouvoirs. "Le même corps de magistrature a, comme exécuteur des lois, toute la puissance qu’il s’est donné comme législateur. Il peut ravager l’État par ses volontés générales [liberté par rapport à la constitution], et, comme il a encore la puissance de juger, il peut détruire chaque citoyen par ses volontés particulières [liberté par rapport au citoyen]" (xi, 6, p. 398).
1397 EDL, xi, 5, p. 396.
1398 Pensée 631 (884), t. I, p. 1151 et EDL, xii, 2, p. 431.
1399 EDL, xi, 6, p. 397.
1400 S. Rials, "Charles Eisenmann, historien des idées politiques ou théoricien de l’État", in La pensée de Charles Eisenmann, Economica-PUAM, 1986, p. 116.
1401 EDL, xi, 11, p. 411. Il n’est pas possible de suivre la démarche d’Eisenmann (op. cit., p. 21-22) qui ne s’attarde guère sur la fonction de juger au motif que "le véritable et même l’unique problème politique" de Montesquieu est "la situation respective du Parlement et du Gouvernement", opinion souvent reprise chez les commentateurs de la pensée constitutionnelle de celui qui était magistrat de profession ! Voir à l’inverse G. Bacot qui considère la séparation du pouvoir judiciaire comme "la condition la plus essentielle" de la liberté politique ("L’Esprit des lois, la séparation des pouvoirs et Charles Eisenmann", RDP, 1995, p. 654 sq) et les réflexions stimulantes de G. Timsit ("M. le Maudit. Relire Montesquieu", Mélanges Chapus, Paris, Montchrestien, 1992, p. 624).
1402 EDL, xi, 6, p. 397.
1403 "Il n’y a point encore de liberté, si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice" (EDL, x, 6, p. 397).
1404 Ibid. Ce principe est constamment affirmé. Ainsi, "dans les États despotiques, le prince peut juger lui-même. Il ne le peut dans les monarchies : la constitution serait détruite" (vi, 5, p. 314).
1405 EDL, xxx, 20, p. 920 et xxx, 22, p. 923.
1406 EDL, xxx, 18, p. 910.
1407 EDL, vi, 5, p. 314. À l’inverse des empereurs romains, "les rois d’Europe, législateurs et non pas exécuteurs de la loi, princes et non pas juges" n’ont que le droit de grâce (Considérations, t. II, p. 156). Par le ministère public, le roi peut engager des poursuites, mais il ne doit cependant pas juger, car il serait alors "le juge et la partie" (EDL, vi, 5, p. 314).
1408 Ibid.
1409 Dans un premier temps, les consuls succédèrent aux rois dans la fonction de juger, ce qui était un pouvoir "exorbitant". Ils se virent donc dépouiller de cette fonction en matière civile, sauf pour les "affaires extraordinaires" (EDL, xi, 18, p. 421), comme en matière criminelle, notamment par la lex Valeriae Horatiae qui laissait au citoyen une voie d’appel devant les comices centuriates pour "toutes les ordonnances des consuls qui mettaient en péril [sa] vie" (vi, 11, p. 320 et xi, 18, p. 423-424).
1410 EDL, ii, 4, p. 247-248.
1411 Ibid. À l’inverse des monarchies, où la vénalité "rend les ordres de l’État plus permanents", elle est proscrite dans les États despotiques, puisqu’il faut que "les sujets soient placés ou déplacés dans un instant par le prince" (v, 19, p. 305).
1412 EDL, xi, 6, p. 398. Sous Henri VIII, cette procédure permettait de faire "mourir tous les pairs qu’on voulut" (xii, 22, p. 452). De même, Louis XIII put ainsi juger en 1639 Bernard de Nogaret, duc de La Valette (vi, 5, p. 314) puis en 1642, Henri d’Effiat, marquis de Cinq-Mars (xii, 8, p. 439). Ces exemples confirment l’attachement de Montesquieu à son rang puisqu’ils ne concernent que des membres de la haute-noblesse. Plus largement, le Conseil d’État privé et le Conseil des finances lui apparaissent comme de dangereuses menaces à la règle de l’indépendance de la justice (EDL, vi, 6, p. 314).
1413 EDL, vi, 1, p. 307. Il note : "Les lois sont les yeux du prince ; il voit par elles ce qu’il ne pourrait pas voir sans elles. Veut-il faire la fonction des tribunaux ? Il travaille non pas pour lui, mais pour ses séducteurs contre lui" (vi, 5, p. 315).
1414 Discours de rentrée du Parlement de Bordeaux, 1725, O.C., t. I, p. 44-52, citation p. 47 et 52.
1415 EDL, xi, 6, p. 404. Si la sûreté exige la soumission du juge à la loi (voir supra Tit. I, chap. 2, sect. 2, §3), elle est en contradiction avec le système du judge-made-law. D’ailleurs Montesquieu avait écrit plus justement : "Remarquez que dans ces cours, on juge primo par la loi féodale (…) et par les coutumes d’Angleterre formées sur les jugements qui ont précédé. Il est inutile de dire que l’on se règle aussi sur les actes du Parlement ; mais cette source n’est pas considérable" (Pensée 1963 (1664), t. I, p. 1479).
1416 EDL, xi, 6, p. 398. Il y a, à l’inverse, "deux pouvoirs visibles : la puissance législative et l’exécutrice" (xix, 27, p. 575). Cette affirmation bien éloignée de la réalité du système judiciaire anglais où existaient des tribunaux permanents et des juges "professionnels", ces derniers présidant aux débats lors des assises. De plus, les fonctions exécutive et judiciaire n’étaient pas séparées. Par exemple, entre 1757 et 1765, Lord Mansfield était à la fois Lord Chief Justice au King’s Bench et membre du Cabinet.
1417 "Des trois puissances dont nous avons parlé, celle de juger est, en quelque sorte, nulle. Il n’est reste que deux : et comme elles ont besoin d’une puissance réglante (…)" (EDL, xi, 6, p. 401, nous soulignons).
1418 EDL, xi, 6, p. 404. Il s’agit d’exceptions au principe de droit commun d’après lequel "la puissance législative ne peut pas juger" (ibid.).
1419 EDL, xi, 6, p. 398.
1420 EDL, xi, 6, p. 401. Il ne faut pas qu’un pair "tombe entre les mains de gens portés à lui faire violence"(ibid., p. 398). A Rome, la même règle fut reconnue pour protéger les patriciens (xi, 18, p. 423).
1421 La chambre haute peut "modérer la loi en faveur de la loi même, en prononçant moins rigoureusement qu’elle" (EDL, xi, 6, p. 405). Montesquieu semble ici confondre la qualité de cour suprême du royaume reconnue à la Chambre des Lords (Final Court of Appel) et la distinction entre les juridictions de common law et les juridictions d’equity.
1422 EDL, xi, 6, p. 404. En effet, la procédure permettait la poursuite d’un ministre entendu comme officier de la Couronne lié au roi par un trust, la constitution traditionnelle ignorant la fonction ministérielle (D. Baranger, Parlementarisme des origines, op. cit., p. 266).
1423 Montesquieu, EDL, xi, 6, p. 404.
1424 EDL, xii, 19, p. 448. Il introduit dans le système anglais une conception française de la preuve "légale", en supposant, comme il le dit lui-même, la nécessité de réunir "deux témoins pour convaincre un accusé (…). Or, si un homme présumé coupable de haut crime avait trouvé moyen d’écarter les témoins de façon qu’il fut impossible de le faire condamner par la loi, on introduit contre lui un bill particulier d’atteinder" (Pensée 1965 (1665), t. I, p. 1480).
1425 EDL, xii, 19, p. 448-449. Voir sur ce point D. L. Keir, Constitutional History, op. cit., p. 67 et 99.
1426 Art. 1, chap. V, Titre III de la Constitution de 1791.
1427 EDL, xi, 6, p. 399.
1428 Ibid.
1429 Montesquieu considère "la puissance législative" comme "le premier attribut de la souveraineté" (Réponses et explications données à la Faculté de Théologie, t. II, p. 1192).
1430 EDL, xi, 16, p. 419, en référence à deux magistratures, respectivement les censeurs et le dictateur.
1431 EDL, xi, 11, p. 411. Il oppose d’ailleurs le despotisme, "où la loi n’est que la volonté du souverain", au gouvernement modéré dans lequel "la loi est partout sage, elle est partout connue" (v, 17, p. 300).
1432 EDL, ii, 4, p. 247.
1433 Voir infra, section II, § 2.
1434 EDL, xi, 6, p. 402.
1435 "A présent le pouvoir illimité est dans le parlement et dans le roi, et la puissance exécutrice dans le roi, dont le pouvoir est borné" (Notes sur l’Angleterre, OC, t. I, p. 884).
1436 Sur l’ordre social anglais, voir supra, Titre I, chap I, section 2.
1437 EDL, xi, 6, p. 401. "La puissance ne peut jamais être également partagée entre le roi et le peuple" (Lettres persanes, cii, p. 281). En France aussi, la noblesse héréditaire sert de "lien" entre le roi et le peuple (v, 9, p. 288).
1438 EDL, viii, 9, p. 356.
1439 L’opinion inverse est avancée par Eisenmann (op. cit., p. 154), et reprise par Aron, qui affirme : "L’idée essentielle de Montesquieu n’est pas la séparation des pouvoirs, au sens juridique du terme, mais ce qu’on pourrait appeler l’équilibre des puissances sociales" (Les étapes de la pensée sociologique, Paris, Gallimard, 1967, p. 40). Il convient de rappeler que, selon Montesquieu, Henri VIII et Cromwell avaient aboli les corps intermédiaires. Il apparaît ainsi difficile de considérer les quelques deux cents pairs siégeant dans la Chambre haute comme une "puissance" sociale. Dans le même sens, les partis qui divisent l’Angleterre hanovrienne ne sont pas définis, comme à Rome, selon un critère social (patriciens-plébéiens), mais selon un critère strictement politique (partisans de la puissance législative-partisans de la puissance exécutive) (EDL, xix, 27, p. 575). A ces arguments, il convient d’ajouter avec G. Bacot (op. cit., p. 624-625), que l’idée de loi positive chez Montesquieu ne peut se rattacher à celle de compromis entre des puissances sociales antagonistes, puisque la loi est définie dans le Livre I comme un cas particulier "où s’applique cette raison humaine".
1440 Voir D. Baranger, qui précise que, selon la doctrine orthodoxe de l’equipoise, les Lords sont "en mesure de jouer leur rôle de fléau, de mécanisme équilibrant dans le régime" (Naissance du parlementarisme, op. cit., p. 202).
1441 EDL, xi, 6, p. 405 et p. 401. L’idée de corruption pourrait ici s’entendre comme la faculté reconnue au roi de créer des pairies afin de gagner la majorité dans la Chambre, mais Montesquieu n’en fait jamais mention.
1442 EDL, xii, 19, p. 448, note e. Il consigne le mécanisme du "comité" dans la procédure législative permettant soit la constitution de "comités particuliers" pour les affaires particulières, soit un "grand comité" (Pensée 1964 (1664), t. I, p. 1479-1480).
1443 "J’appelle faculté de statuer, le droit d’ordonner par soi-même, ou de corriger ce qui a été empêché par un autre. J’appelle faculté d’empêcher, le droit de rendre nulle une résolution prise par quelque autre ; ce qui était la puissance des tribuns à Rome. Et quoique que celui qui a la faculté d’empêcher puisse avoir aussi le droit d’approuver, pour lors cette approbation n’est autre chose qu’une déclaration qu’il ne fait point d’usage de sa faculté d’empêcher et dérive de cette faculté" (EDL, xi, 6, p. 401).
1444 EDL, xi, 6, p. 405. A Rome, présidait la même logique institutionnelle puisque les tribuns pouvaient "à tous les instants, arrêter les entreprises des patriciens" (xi, 14, p. 416). Contra M. Troper, qui refuse toute différence entre les termes "statuer" et "empêcher", le second signifiant "le pouvoir législatif entier", le "droit à déterminer le contenu de la loi" (La séparation des pouvoirs …, op. cit., p. 28).
1445 EDL, xi, 6, p. 402.
1446 EDL, xi, 6, 403 et 402.
1447 EDL, xi, 6, p. 406.
1448 On ne peut qu’être frappé par l’expression ici employée : la personne du monarque "doit être sacrée", et non "est sacrée" (EDL, xi, 6, p. 403). Voir également les sarcasmes de Rica sur le pouvoir thaumaturgique, quand le Persan évoque "le grand magicien" (Lettres persanes, p. 166).
1449 EDL, xi, 6, p. 404. "Comme celui qui exécute ne peut exécuter mal, sans avoir des conseillers méchants et qui haïssent les lois comme ministres (…), ceux-ci peuvent être condamnés et punis" (xi, 6, p. 403). En se référant aux droits du peuple, Montesquieu donne à cette procédure une teinte démocratique.
1450 EDL, xi, 6, p. 400. Les ministres sont "souvent obligés de justifier de leur conduite devant un conseil populaire" (xix, 27, p. 579).
1451 C. Larrère, v° "Montesquieu", in Dictionnaire de philosophie politique, op. cit., p. 404.
1452 EDL, xi, 6, p. 405. Il écrit à propos du gouvernement gothique : "La liberté civile du peuple, les prérogatives de la noblesse et du clergé, la puissance des rois se trouvèrent dans un tel concert, que je ne crois pas qu’il y ait eu sur la terre de gouvernement si bien tempéré" (xi, 8, p. 409). L’hypothèse formulée selon laquelle Montesquieu transpose les règles physiques du mouvement dans la sphère institutionnelle se trouve confirmée. "Quand un corps est une fois en mouvement, il ne cesse jamais de se mouvoir, car il ne peut perdre de son mouvement que par communication et en partageant toujours ; mais s’il partage toujours, il en reste donc toujours pour lui. Un corps, qui en rencontre un autre, lui communique de son mouvement comme s’ils ne faisaient qu’un même corps, mais il en garde toujours à proportion autant qu’il en communique. Donc il restera toujours en mouvement, et cela est bien naturel, car, s’il était une fois en repos, il serait impossible qu’il se mût autrement que par l’action d’une cause infinie, puisqu’il y a une distance infinie du repos au mouvement" (Spicilège (224), t. II, p. 1287).
1453 Correspondance, op. cit., t. II, p. 477.
1454 EDL, xi, 6, p. 405.
1455 Selon l’article 6 du Bill of Rights, "the raising and keeping a standing army within the kingdom in time of peace, unless it be with the consent of parliament is against law". Cette règle fut très vite contournée, lorsque Lord Somers proposa de maintenir une armée sur pied après la signature du Traité de Ryswick en 1697. L’accession des Hanovre sur le trône a relancé le débat sur la "standing army". Outre l’invocation de la menace jacobite pour maintenir une armée sur pied, la Navy dut combattre notamment dans la mer Baltique en 1726, où les intérêts de l’Electorat de Hanovre primaient sur ceux de la couronne d’Angleterre. Sur ce point, voir M. Belissa, "Droit des gens …", op. cit., p. 230-232.
1456 Il avait ainsi assisté en janvier 1730 à une séance du Parlement, où William Shippen (Montesquieu écrivant "Chipin") contesta la volonté du ministère d’augmenter les effectifs de l’armée (Notes sur l’Angleterre, OC, t. I, p. 879). A "un corps de troupes permanent" où les soldats seraient issus "des plus viles parties de la nation", Montesquieu préfère pour l’Angleterre l’hypothèse d’une milice sur le modèle romain, où "le guerrier reste toujours citoyen, ou même magistrat" (EDL, xi, 6, p. 406 et v, 19, p. 304). Il reprend ainsi les arguments avancés par John Trenchard ou Thomas Gordon, deux whigs républicains. Voir P. Carrive, La pensée politique anglaise, op. cit., p. 123-147.
1457 EDL, xi, 6, p. 406.
1458 EDL, xix, 27, p. 576.
1459 EDL, xi, 19, p. 428, terme repris dans sa description de la Rome de l’époque étrusque (xi, 12, p. 412).
1460 EDL, Préface, p. 230.
1461 Lettres persanes, cii, p. 323.
1462 EDL, xix, v, p. 559.
1463 EDL, xi, 20, p. 430.0
1464 EDL, xxiv, 5, p. 718. En 1749, il écrivait que le gouvernement anglais "tient du républicain et s’éloigne de la monarchie" (Pensée 1963 (1645), t. I, p. 1478), quand quelques années plus tôt, il avait écrit que l’Angleterre "incline plus vers la monarchie" (Pensée 238 (1744), t. II, p. 1049).
1465 EDL, xii, 19, p. 449.
1466 EDL, xi, 6, p. et xi, 19, p. 429, sachant que cette liberté "extrême" s’applique dans les régimes antiques aux seuls hommes libres.
1467 EDL, v, 14, p. 294.
1468 Voir sur ce point supra, titre I, chapitre 2, section 1, § 2.
1469 EDL , v, 14, p. 292 et xix, 27, p. 577. Pour une interprétation stimulante du républicanisme de Montesquieu, qui permet de nuancer l’analyse traditionnelle d’un gouvernement républicain embaumé par le poids des siècles, voir C. Spector, "L’Esprit des lois de Montesquieu. Entre libéralisme et humanisme civique", Revue Montesquieu, 2, 1998, p. 139-161.
1470 Lettres persanes, cxxxi, t. I, p. 327.
1471 EDL, xi, 9, p. 410 et xi, 11, p. 411, où Montesquieu critique "cette sorte de constitution" appelée "police" rapportée dans le chapitre 8 du Livre 3 de la Politique.
1472 EDL, xi, 12, p. 412.
1473 EDL, xi, 4, p. 395.
1474 Pensée 1674 (655), t. I, p. 1402.
1475 EDL, xix, 27, p. 579.
1476 Lettres persanes, cxxxvi, t. I, p. 336.
1477 EDL, iii, 3, p. 252 et Lettres persanes, civ, t. I, p. 285.
1478 Réflexions sur le caractère de quelques princes et sur quelques événements de leur vie (OC, t. I, p. 525).
1479 Pensée 1667 (372), t. I, p. 1400.
1480 EDL, iii, 3, p. 252. Voir aussi Pensée 1795 (918), t. I, p. 1430.
1481 EDL, xi, 6, p. 406. Voir J. Brethe de La Gressaye, EDL, op. cit., t. II, p. 349, n. 62.
1482 EDL, xxix, 19, p. 882.
1483 EDL, ii, 4, p. 247.
1484 EDL, xi, 13, p. 414.
1485 EDL, xi, 8, p. 408.
1486 EDL, xi, 8, p. 409. Montesquieu avait d’ailleurs connaissance de l’Histoire d’Angleterre de Rapin-Thoyras. (EDL, xii, 19, cité par J. Brethe de La Gressaye, op. cit., t. II, p. 378, n. 55).
1487 EDL, xi, 8, p. 409.
1488 EDL, xi, 6, p. 399. Voir également sa méfiance à l’encontre du "bas peuple" qui, même dans un gouvernement populaire, ne doit jamais avoir d’influence sur le gouvernement (xv, 18, p. 506). Dans les petits États, la division du corps électoral permet de remédier à ces inconvénients, comme le fit Servius Tullius à Rome ou Solon à Athènes. A travers son analyse des réformes de Solon, Montesquieu illustre son immense talent pour plier une réalité à ses principes politiques. Chacune des classes avait le droit d’élire les juges, mais seules les trois premières pouvaient désigner les magistrats. Se trouvent ainsi conciliés le jugement par le peuple et la nécessaire limitation de la participation du peuple aux affaires publiques (ii, 2, p. 242).
1489 EDL, ii, 2, p. 241.
1490 EDL, xix, 27, p. 582.
1491 EDL, xi, 6, p. 399.
1492 EDL, p. 399 et 400. L’expression "volonté propre" se retrouve à deux reprises dans l’autre chapitre anglais (xix, 27, p. 575 et 580).
1493 EDL, xii, 2, p. 431. A l’inverse, la liberté politique est "cette tranquillité d’esprit qui provient de l’opinion que chacun a de sa sûreté" (xii, 1, p. 430). Il ne faut cependant pas confondre la distinction liberté philosophique-liberté politique avec une autre définition de la liberté : "La liberté pure est plutôt un état philosophique qu’un état civil" (Pensée 1798 (943), t. I, p. 1430).
1494 EDL, ii, 2, p. 242.
1495 EDL, ii, 2, p. 241 et xi, 6, p. 400. "Le peuple est admirable pour choisir ceux à qui il doit confier quelque partie de son autorité" (ii, 2, p. 240). De là découle la nécessité que les députés ne soient pas "tirés en général du corps de la nation", mais "dans chaque lieu principal", où ils sont forcément mieux connus du peuple (xi, 6, p. 400).
1496 EDL, xix, 27, p. 576.
1497 EDL, xi, 6, p. 401.
1498 EDL, xi, 6, p. 400.
1499 Ibid. La théorie de la représentation de Sidney, plus subtile, est exactement à l’inverse de ce que pourrait laisser croire Montesquieu. Contre Filmer, ce dernier affirme que les députés sont "obligés de rendre compte de leur conduite à leur principaux" ou encore que le député "ne peut avoir d’autre pouvoir que celui qui est conféré par ses principaux", invoquant même l’attitude de Bodin aux États généraux de 1576 (Discours sur le gouvernement, op. cit., t. III, p. 328-329 et 410). Mais l’erreur de Montesquieu vient du fait que Sidney développe sa théorie de la représentation dans une perspective "anglaise", animée par la volonté de limiter la prérogative royale. Le publiciste anglais s’attache en effet à démontrer que la légitimité des Communes ne procède pas de la volonté du Prince, exprimée par les "lettres circulaires" envoyées lors des élections aux comtés et aux bourgs, mais d’une souveraineté populaire déléguée. "Le pouvoir législatif que [la Chambre des Communes] exerce réside essentiellement et originairement en la personne du peuple, et c’est de ce peuple que les députés ou les représentants tiennent toute l’autorité qu’ils ont" (p. 405). Quant à la différence de pouvoir reconnue aux députés dans les Provinces-Unies et en Angleterre, reprise par Montesquieu, elle ne procède pas de la nature de la représentation, mais de leur forme spécifique de gouvernement. La première est une confédération de républiques souveraines, dont les représentants aux États généraux ne traitent que les affaires prévues par l’acte d’union de ces républiques. Si une question non prévue par cet acte survient, les députés de chacune de ces républiques se doivent de consulter leurs commettants. Toute autre est la situation du royaume d’Angleterre, où "chaque comté n’a pas en soi le pouvoir souverain, mais est membre de ce grand corps qui comprend toute la nation" (p. 408). Les députés expriment alors les vœux de leurs représentants, notamment pour avoir "plus de poids" dans les délibérations, sans être obligés d’en rendre compte. Si le député n’a pas suivi l’opinion de ses commettants, la sanction sera sa non-réélection, ce que Montesquieu n’a évidemment pas précisé. Sidney conclut sa démonstration en des termes explicites : "Pour peu de sens commun que l’on ait, on voit clairement que la liberté de ceux qui agissent en personne et la liberté de ceux qui agissent par députés est exactement la même, et qu’on ne peut faire aucun changement dans la manière d’exercer l’autorité souveraine que de leur consentement" (p. 409).
1500 EDL, xi, 6, p. 402.
1501 EDL, xi, 6, p. 399. Dans une démocratie, le peuple "qui a la souveraine puissance doit faire par lui-même tout ce qu’il peut bien faire" (ii, 2, p. 240). Comme P. Vernière (op. cit., p. 71), S. Goyard-Fabre considère Montesquieu comme "partisan du suffrage universel", cette dernière ajoutant qu’il serait favorable au "scrutin d’arrondissement avant la lettre" (Montesquieu…, op. cit., p. 187 et 214).
1502 EDL, xix, 27, p. 576. L. Althusser en vient à refuser de distinguer les modèles anglais et français qui seraient tous deux l’expression d’un même "parti pris" nobiliaire (Montesquieu, op. cit., p. 120). Il convient de préciser la singularité de la noblesse dans chacune des deux nations. En France, c’est le corps intermédiaire "le plus naturel" (EDL, ii, 4, p. 247) quand en Angleterre, ce n’est qu’une puissance réglante entre le roi et le peuple depuis la disparition des corps intermédiaires.
1503 J. Dedieu, Montesquieu, op. cit., p. 328-331. Selon P. T. Manicas ("Montesquieu and the Eighteenth Century Vision of State", History of Political Thought, 2, 1981, p. 314-347), l’Angleterre serait une heureuse "anomalie", seule réponse acceptable face à la menace du despotisme inhérent à tout gouvernement monarchique. Similaire est l’opinion de L. Landi pour qui l’Angleterre apparaît comme "une phase ultérieure de l’évolution de l’État moderne" (Montesquieu, op. cit., p. 620, nous traduisons).
1504 EDL, xi, 9, p. 409.
1505 Selon E. Carcassonne, la constitution anglaise n’est qu’un "chef d’œuvre en son genre, non un modèle universel", pour une nation où règne une liberté "plus théorique qu’effective", même s’il ajoute plus loin que "la France a les éléments d’une liberté analogue à celle de l’Angleterre" (Montesquieu et le problème de la constitution française au xviiième siècle, Paris, PUF, 1927, p. 73 et 86), opinion qui se retrouve de façon plus nuancée chez H. A. Ellis ("Montesquieu’s Modern Politics : The Spirit of the Laws and the Problem of Modern Monarchy in Old Regime France", History of Political Thought, 10, 1989, p. 668-700). Comme P. Vernière qui opposait deux mythes, "le Paradis politique" anglais et "l’Enfer" du despotisme oriental (Montesquieu, op. cit., p. 108), B. Binoche considère la constitution anglaise et la Turquie comme un même exemple de gouvernement "extrême", à mi-chemin desquelles se rencontrent les monarchies continentales (Introduction, op. cit., p. 268).
1506 Distinction empruntée à la très fine étude de A. Postigliola, "En relisant le chapitre sur la constitution d’Angleterre", Cahiers de philosophie politique et juridique, 1985, 7, p. 7-29.
1507 EDL, xvii, 5, p. 528.
1508 "De minoribus rebus principes consultant, de majoribus omnes ; ita tamen ut ea quoque, quorum penes plebem arbitrium est apud, principes quoque pertractentur" (EDL, xi, 6, note e, p. 407 et la traduction proposée par Montesquieu, EDL, xviii, 30, p. 555). Ce même texte était déjà invoqué dans l’Archeion (1590 ?) du grand juriste élisabéthain William Lambarde, pour légitimer l’ancienneté du Parlement (G. Burgess, The Politics of the Ancient Constitution, op. cit., p. 60).
1509 Lettres persanes, cxxxi, t. I, p. 329.
1510 EDL, xviii, 30, p. 554-555. Les références aux assemblées de la nation sous les deux premières races sont multiples. Voir par exemple EDL, xxviii, 9, p. 803 ; xxviii, 18, p. 816 ; xxx, 25, p. 933 ; xxxi, 4, p. 946 ; xxxi, 11, p. 959.
1511 Tels les compagnons d’Enée retrouvant une terre familière, Montesquieu conclut son ouvrage par ces mots "Italiam, Italiam… Je finis le traité des fiefs où la plupart des auteurs l’ont commencé" (EDL, xxxi, 34, p. 995).
1512 EDL, xxxi, 33, p. 992.
1513 Pensée 1963 (1664), t. I, p. 1479.
1514 EDL, xi, 6, p. 407.
1515 Ainsi, vouloir unifier les coutumes serait une "chose inconsidérée" (EDL, xxviii, 37, p. 851). Plus généralement, voir E. Carcassonne, Montesquieu, op. cit., p. 76 sq.
1516 Lettres persanes, c, t. I, p. 279.
1517 Pensée 593 (1184), t. I, p. 1086. Sur ce point, voir supra, titre I, chapitre 1, section 2.
1518 EDL, xxx, 17, p. 908.
1519 EDL, xviii, 21, p. 543. Cette règle de l’ultimogéniture (borough English ou bourg anglais) a prévalu dans certaines coutumes jusqu’en 1926 (J. H. Baker, An Introduction, op. cit., p. 304).
1520 EDL, xiii, 12, p. 467. En 1716, il avait adressé à Philippe d’Orléans un mémoire suggérant de supprimer la capitation et le dixième, pour les remplacer par une taxe frappant tous les sujets, qui serait répartie et recouvrée, non par les intendants, mais en établissant "les États dans toutes les provinces" sur le modèle des assemblées d’État d’Artois (Mémoire sur les dettes de l’État, t. I, p. 66-71).
1521 EDL, xi, 8, p. 409. Jamais mentionnées dans L’Esprit des lois, les assemblées des trois ordres n’en ont pas moins suscité quelques réflexions dans des notes restées manuscrites. Ainsi le gouvernement gothique aurait subsisté si, selon le modèle du Corps germanique, "on eût joint à l’assemblée des Pairs, qui répond à celle des Electeurs, une assemblée de seigneurs et une assemblée des députés des villes" (Pensée 595 (1302), t. I, p. 1098). Voir aussi les Remarques sur l’Histoire du comte de Boulainvilliers (Pensée 593 (1184), t. I, p. 1087).
1522 Lettres persanes, xliv, p. 191.
1523 EDL, xxx, 21, p. 972.
1524 EDL, xxviii, 9, p. 803. Les "communes" pourraient évoquer les institutions urbaines médiévales du nord du royaume, mais il n’emploie jamais ce terme à cette occasion, préférant celui de "villes".
1525 EDL, xxx, 14, p. 902.
1526 EDL, ii, 4, p. 249. En faisant des Parlements un "dépôt des lois", l’auteur reprend à son compte des prétentions déjà anciennes. Sur ce point, voir M.-F. Renoux-Zagamé, "Répondre de l’obéissance. La conscience du juge dans la doctrine judiciaire à l’aube des Temps modernes", dans La conscience du juge, op. cit., p. 155-193. Est ainsi citée une Harangue devant le roi de 1655 affirmant que le Parlement est "le trosne légitime de votre autorité, le dépôt sacré des Loix fondamentales du Royaume" (p. 185).
1527 Les Treze Livres des parlemens de France (Bordeaux, 1617) de Bernard de La Roche-Flavin sont cités deux fois (EDL, xxviii, 34, p. 845 et xxviii, 39, p. 855). Sur ce conseiller au Parlement de Toulouse, voir J. Krynen, "À propos des Treze Livres des Parlements de France", J. Poumarède et J. Thomas (dir.), Les Parlements de Province. Pouvoirs, justice et société du xvème au xviiième siècle, Toulouse, FRAMESPA, 1996, p. 691-705.
1528 Aux analyses de S. Goyard-Fabre (Montesquieu, op. cit., p. 70 sq), on préférera celles de M.-F. Renoux-Zagamé, "Domat : du jugement de Dieu à l’esprit des lois", Le débat, 7, 1993, notamment sur la "théocratie judiciaire" (p. 58 sq).
1529 EDL, v, 10, p. 289.
1530 Lettres persanes, cxl, p. 340, allusion à la déclaration royale de juillet 1720 exilant le Parlement de Paris à Pontoise. À l’inverse, il s’était réjouit de voir le Régent "restituer" le droit de remontrances cinq années auparavant (xcii, p. 268).
1531 EDL, iii, 2, p. 251. S’il est certain que Montesquieu refuse de faire de la monarchie une "oligarchie parlementaire", il n’est possible de minorer, comme le fait E. Carcassonne, la prégnance de l’idéologie parlementaire (Montesquieu…, op. cit., p. 80), et il est réducteur de considérer avec F. Olivier-Martin que la doctrine de Montesquieu exposée dans le chapitre 2 du livre IV est "conforme à la tradition monarchique" (Les Parlements, op. cit., p. 32).
1532 EDL, v, 16, p. 299.
1533 Lettres persanes, xcii, t. I, p. 268.
1534 EDL, cxli, p. 341. Par l’exercice de cette prérogative, "les rois sont comme l’océan, dont l’impétuosité est souvent arrêtée, quelquefois par des herbes, quelquefois par des cailloux" (Pensée 1961 (908), t. I, p. 1477).
1535 EDL, ii, 4, p. 249 et xix, 27, p. 576. Voir également EDL, v, 19, p. 304, où les magistrats civils ont "la confiance du peuple".
1536 EDL, Index, v° "Parlement" p. 1724 ("voyez corps législatif") et v° "corps législatif", p. 1627 ("Quand, pendant combien de temps, par qui doit être assemblé, prorogé et renvoyé, dans un État libre").
1537 EDL, xxviii, 43, p. 861-862. En faisant référence à la sédentatisation de la Cour du Roi en sa fonction de juger, l’auteur rejette de façon implicite la généalogie franque des cours souveraines développée par l’idéologie parlementaire depuis le xvième siècle. De même, il ne retient pas l’assimilation du parlement au sénat romain. Il suggère un autre parallèle, plus surprenant, avec le tribun de la plèbe. "“La force du peuple qui n’a point de chef, est plus terrible. Un chef sent qu’il roule sur lui, il y pense ; mais le peuple, dans son impétuosité, ne connaît point de péril où il se jette”. On peut appliquer cette réflexion [de Cicéron] à un État despotique, qui est un peuple sans tribuns ; et à une monarchie, où le peuple a, en quelque façon, des tribuns" (v, 11, p. 290), dans un chapitre intitulé "De l’excellence de la monarchie" ! La référence à ce magistrat romain serait alors subtile. Les tribuns, dit Montesquieu, "n’empêchaient pas seulement les injures particulières, mais aussi les générales" (xi, 14, p. 416). Ce magistrat pouvait par sa prohibitio arrêter une décision ["remontrances" ?] comme faire appel de certaines sentences des consuls par son pouvoir d’intercessio ["pouvoir de juger" ?] (M. Humbert, Institutions politiques et sociales de l’Antiquité, 5ème éd., Paris, Dalloz, 1994, p. 200).
1538 EDL, ii, 5, p. 249.
1539 EDL, v, 11, p. 291. Ne faut-il pas voir dans cette formulation de l’opposition entre "guerres civiles" et "révolutions" un parallèle entre la Fronde parlementaire et la première révolution anglaise ? Afin d’atténuer la hardiesse de son propos, Montesquieu avait fait rajouter au cours de l’impression de son ouvrage le mot "dépendant" à l’expression "pouvoirs intermédiaires, subordonnés, et dépendants" (J. Brethe de La Gressaye, op. cit., t. I, p. 246).
1540 EDL, ii, 4, p. 249. Il ajoute plus loin : "Les gens qui ont de la sagesse et de l’autorité s’entremettent ; on prend des tempéraments, on s’arrange, on se corrige ; les lois reprennent leur vigueur et se font écouter" (v, 11, p. 291).
1541 EDL, ii, 4, p. 249.
1542 EDL, v, 11, p. 291.
1543 EDL, v, 10, p. 290.
1544 EDL, xi, 7, p. 408.
1545 EDL, xi, 13, p. 414.
1546 EDL, iii, 7, p. 257.
1547 Les substitutions, les retraits lignagiers, et les majorats sont autant de "moyens inventés pour perpétuer la grandeur des familles dans les États monarchiques" (EDL, v, 8, p. 287).
1548 EDL, viii, 6, p. 355.
1549 Pensée 1422 (1851), t. I, p. 1441.
1550 EDL, ii, 4, p. 248.
1551 EDL, xi, 6, p. 407. Sur la datation de ce passage, voir R. Shackleton, Montesquieu, op. cit., p. 293.
1552 Notes sur l’Angleterre, t. I, p. 880. Il avait consigné une interprétation originale du vote du Last Determinations Act (2 Geo. II, c. 24) en 1729, qui prévoyait l’obligation faite à tous les électeurs et les officiers électoraux de prêter le serment de n’avoir tiré aucun bénéfice ou reçu quelque somme d’argent. A chaque session, un bill contre la corruption voté par les Communes était toujours rejeté devant la chambre haute. Afin d’éviter l’avanie suscitée par ce rejet, les pairs décidèrent de le voter en augmentant les peines prévues, espérant que les députés n’oseraient ratifier une loi aussi répressive. Mais les Communes, sentant le piège, furent contraintes de le voter, et le monarque obligé de le ratifier. Montesquieu donne à cet acte une portée que dans les faits, il n’aura pas. "Depuis ce temps, la cour a perdu, dans les nouvelles élections qui ont été faites, plusieurs membres, lesquels ont été choisis parmi les gros propriétaires des fonds de terres ; et il sera difficile de faire un nouveau parlement au gré de la cour ; de façon que l’on voit que le plus corrompu des parlements est celui qui a le mieux assuré la liberté publique" (p. 881).
1553 EDL, xi, 6, p. 402 et xix, 27, p. 575.
1554 Selon les mots de Montesquieu, Domville, admirateur enthousiaste de L’Esprit des lois, lui avait demandé son opinion sur "la durée du gouvernement, et de prédire quelles pourront être les suites de sa corruption" (A Monsieur Domville, Pensée 1960 (1883), t. I, p. 1447-1450). Sur ce texte, voir la très fine analyse de L. Landi, Montesquieu…, op. cit., p. 294-332.
1555 Pensée 1228 (810), t. I, p. 1306.
1556 Pensée 1960 (1883), t. I, p. 1448.
1557 Ibid.
1558 Pensée 1135 (1387), t. I, p. 1290. Il rattache cette qualité à l’État républicain : "Une république où les lois auront formé beaucoup de gens médiocres, composée de gens sages, se gouvernera sagement" (v, 3, p. 275). Sur cette idée chez Aristote, voir S. Vergnières, Ethique et politique chez Aristote, Paris, PUF, 1995, qui écrit notamment : "Le juste milieu [chez Aristote] n’est pas celui de l’excellence, mais celui de la médiocrité, suffisant pour conserver l’équilibre de la cité" (p. 265).
1559 Parmi une abondante littérature, voir J. W. A. Gunn, Beyond Liberty and Property, op. cit., p. 7-42.
1560 Voir J. G. A. Pocock, Le moment machiavélien(1975), Paris, PUF, 1997, p. 327 sq.
1561 Pensée 1960 (1883), t. I, p. 1450. Montesquieu, familier des armateurs de Bordeaux, fait aussi de l’Angleterre le principal bénéficiaire du nouvel "esprit de commerce" de l’Europe. Tout en reconnaissant au commerce ses vertus pacificatrices dans l’ordre international et d’adoucir des mœurs (EDL, xx, 2, p. 585-586), Montesquieu n’est pas moins partagé entre une forme de nostalgie aux connotations aristocratiques pour l’héroïsme et la solidarité et l’acceptation quelque peu fataliste d’une époque où "on calcule tout" (Pensée 1228 (810), OC, t. I, p. 1307).
1562 EDL, xix, 27, p. 578. Voir sur ce point les analyses de J. G. A. Pocock, Vertu, commerce et histoire, op. cit., p. 129-130, 145-147.
1563 Correspondance de Montesquieu, t. II, p. 204.
1564 EDL, Avertissement, p. 127 (ajoutée dans l’édition de 1749).
1565 A Rome, "les chevaliers ne furent plus de cet ordre moyen qui unissait le peuple au sénat ; et la chaîne de la constitution fut rompue" (EDL, xi, 18, p. 427).
1566 E. Tillet, "Les ambiguïtés du concept de constitution…", op. cit., p. 396-397.
1567 D’après F. Mackensie, "pouvoir législatif" serait apparu dans la traduction de l’Eikonoklastes de Milton en 1652, "pouvoir exécutif", dans celle de l’Angliae notitia de Chamberlayne en 1672 (Les relations de la France et de l’Angleterre d’après le vocabulaire, op. cit., p. 77 et 82).
1568 J.-N. Moreau, Les devoirs du Prince, Versailles, 1775, p. 95. Après avoir abordé le pouvoir législatif (chap. 8), l’administration de la loi (chap. 9) et le pouvoir judiciaire (chap. 10), il conclut : "J’ai parcouru avec vous les trois fonctions essentielles à son action. Législateur pour conduire, administration pour contenir, juridiction pour punir et réparer" (p. 179-180).
1569 EDL, xi, 7, p. 408.
1570 EDL, xi, 20, p. 430.
1571 Encyclopédie, v° "Études", t. XIII, p. 311.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La modernité du concept de nation au XVIIIe siècle (1715-1789)
Apports des thèses parlementaires et des idées politiques du temps
Ahmed Slimani
2004
Les avocats à Marseille : praticiens du droit et acteurs politiques
xviiie et xixe siècles
Ugo Bellagamba
2001
Henri de Boulainvilliers
L’anti-absolutisme aristocratique légitimé par l’histoire
Olivier Tholozan
1999
Homo Civilis. Tome I et II
Contribution à l’histoire du Code civil français (1804-1965)
Jean-François Niort
2004