Représentation et représentativité dans l’Antiquité romaine tardive
p. 13-28
Texte intégral
1Montesquieu a présenté l’antiquité comme étrangère à toute idée de représentation, ce qui est largement exact1.
2Si l’on s’en tient à l’antiquité romaine tardive, on remarque que le terme repraesentatio est rare et qu’il n’a pas le sens que l’on donne aujourd’hui à la représentation en politique.
3Il signifie : être présent, comparaître2.
4Effectivement en matière de justice, même si Gaïus dans ses Institutes dit « Nemo alieno nomine agere potest »3 et qu’en conséquence la représentation en justice semble exclue, il n’en reste pas moins qu’elle était possible pour les personnes morales. C’est ce que dit Ulpien dans le livre 8 ad Edictum : « Si un municipe, de façon générale une personne morale, nomme un plaideur (actor) pour agir, il ne doit pas être considéré comme nommé par plusieurs et tenu de la sorte : en effet il est là pour la chose publique ou pour la personne morale, non pour chacun des membres »4. Mais justement Ulpien tient bien à écarter toute idée de représentation de personnes physiques à travers la personne morale.
5L’empereur n’est jamais vu comme l’élu de ses sujets, et encore moins comme leur représentant. Édouard Gibbon remarque dans l’Histoire du déclin et de la chute de l’Empire romain que les romains avaient conservé le souvenir de leur ancienne liberté. L’auteur définit cette liberté comme le pouvoir pour le peuple d’exercer l’autorité souveraine. Il le fait conformément à la liberté antique et non à la liberté moderne entendue avant tout comme respect des droits de l’individu5. Des discours ou l’histoire elle-même offrent des passages ou des événements dans lesquels le suffrage est présent.
6Deux panégyristes latins membres de l’école d’Autun, ont des développements opposés sur la question du vote. Mamertin remercie en 362 l’empereur Julien de l’avoir nommé consul. Il en profite pour se livrer à une critique particulièrement poussée du suffrage populaire. Il se félicite de ne pas avoir été élu, comme sous la République par les comices centuriates. Il dit qu’à cette époque la brigue a déshonoré le Champs de mars avec les turpitudes des courtiers électoraux. Il dénonce les supercheries électorales. Et il conclut ainsi : « En vérité, dans la foule désordonnée des ignorants il ne peut absolument pas y avoir quoi que ce soit de sage. Car les gens de bien sont rares et qu’est immense la multitude des coquins ». Et il ajoute que c’est la majorité qui confère la magistrature, donc les pires citoyens6.
7Dans le panégyrique de Théodose, prononcé par Pacatus en 389, on trouve en revanche une référence positive au suffrage7. Cette référence est d’autant plus intéressante qu’elle concerne l’empereur lui-même. Pacatus imagine que l’on organise une assemblée du monde pour choisir l’empereur. Il dit que le suffrage de tous les hommes, que le vote ait lieu par tribu ou par centurie, se porterait sur Théodose, paré de toutes les vertus. L’orateur semble établir un lien, même s’il est imaginaire, entre les sujets et leur empereur comme si les premiers approuvaient le choix du second. Il est cependant évident qu’il n’est pas dans son intention de faire de l’empereur un représentant de ses sujets car les assemblées romaines républicaines ne faisaient pas des magistrats des représentants des citoyens.
8Dans la réalité historique, à deux reprises en 363 et en 364, l’empereur a été choisi, non par l’ensemble de ses sujets, mais par de hauts responsables de l’État. Ammien Marcellin nous dit qu’après la mort de Julien, les chefs militaires choisirent d’abord Salutius, puis ce dernier s’étant récusé, ils élirent Jovien. Ce dernier disparut rapidement et à Nicée les chefs militaires et civils élirent à l’unanimité Valentinien8. Ces élections ne font pas de l’empereur le représentant de cette « nomenklatura ». L’élection n’est qu’un mode d’accession au pouvoir parmi d’autres.
9L’empereur s’identifie à la maîtrise du monde. Il ordonne le monde et cette mission anéantit toute idée qui le ferait agir au nom de ses sujets.
10Corneille illustre cette maîtrise du monde dans Cinna en prêtant à Auguste la phrase célèbre : « je suis maître de moi comme de l’univers, je le suis, je veux l’être »9. Les textes littéraires comme les textes juridiques de l’antiquité tardive ne cessent d’y faire référence. Aussi Eumène, dans le discours prononcé en 289 pour la restauration des écoles d’Autun, affirme à propos des empereurs : « leurs volontés… s’accompagnent d’une autorité semblable à celle du Père tout-puissant, dont un signe de tête confirme les promesses et ébranle le monde tout entier »10. La référence est aussi répétée dans l’Histoire Auguste, par exemple dans la vie d’Aurélien « Aurélien, le maître du monde après avoir apporté la paix à l’Orient, aux Gaules et au reste du monde11 ». De même l’Empereur Constance est présenté dans l’Exposition de tout le monde et de tous les peuples comme « le maître du monde et des terres »12. On relève pas moins de quatre fois le terme orbis dans la constitution promulguant le Code Théodosien en 43813. Lorsque l’Empire se réduit, notamment en Occident, l’empereur continue de se situer par rapport au monde, Majorien devenant empereur en 458 dit que les débuts de son règne doivent éclairer le monde14. Cette référence au monde est sans doute d’inspiration stoïcienne15, elle a pour effet d’éloigner encore un peu plus l’empereur de ses sujets qui sont seulement saisis comme un élément d’un univers qui les contient et les dépasse. La référence au genre humain se rencontre aussi, elle paraît cependant plus rare. L’empereur ne s’identifie pas au genre humain, mais agit pour son bien16. On peut voir dans le genre humain l’ensemble de ses sujets considéré comme toute l’humanité puisque l’empereur domine le monde.
11Dans ses rapports avec ses sujets l’empereur évoque principalement trois notions : la concorde, la justice et l’humanité. La concorde (l’union des cœurs) est peu utilisée dans les textes législatifs17. Elle est définie dans le panégyrique de Constantin prononcé par Nazarius en 320 comme « le fondement et la racine de la quiétude, la pépinière des biens des citoyens, la semence de la tranquillité publique et la source bienfaisante de la paix »18. La justice ne se confond pas avec le droit, elle se rapproche de l’équité19 . L’humanité est un terme propre aux romains qui n’existe pas en grec F. Schulz dit à son sujet qu’elle est l’expression de la dignité et de la grandeur propres à la personne humaine qui la place au dessus de toutes les autres créatures20. L’humanité est une référence fréquente dans les constitutions contenues dans le Code théodosien21. La rhétorique officielle peut bien évidemment être trompeuse et dissimuler un rapport brutal de domination.
12La représentation, même entendue comme une identification, est donc absente du pouvoir impérial qui ne parle, ni agit au nom de ses sujets mais le fait pour ses sujets. Cependant les sujets n’ont-ils pas à être représentés auprès du pouvoir impérial, ne serait-ce que pour faire en sorte que ce dernier connaisse leurs sentiments. Le danger est grand pour l’empereur d’être isolé et coupé de ses sujets, ce qui ne peut que les mécontenter, comme le dit l’auteur de l’Histoire Auguste dans la vie d’Aurélien : « L’empereur, retranché dans son palais, ignore ce qui se passe dans la réalité »22. Il lui faut donc des interlocuteurs auxquels il s’adresse en répondant à leurs attentes ou à leurs plaintes tout en leur demandant de contribuer au bon fonctionnement de l’Empire.
13À travers les constitutions ou les œuvres littéraires l’empereur considère ses sujets sous diverses appellations. Ces dernières peuvent être générales ou particulières. Il n’est pas certain que les appellations générales ne soient que des appellations anonymes à caractère incantatoire. Les secondes visent des groupes spécifiques, ces groupes existent-ils à travers les individus qui les composent ou à travers un corps dans lequel ces individus s’effacent ?
1 – LES INTERLOCUTEURS GÉNÉRIQUES DE L’EMPEREUR
14Les destinataires des constitutions impériales sont le plus souvent des hauts fonctionnaires chargés d’appliquer les ordres que leur donne l’empereur. Mais ce dernier ne reste pas sourd aux plaintes que lui adressent ses sujets, notamment à la suite des abus ou des prévarications des fonctionnaires. Il peut donc aussi les rendre destinataires de constitutions. Celles-ci ont un caractère général et prennent alors place parmi les édits dans la classification des constitutions.
15Les interlocuteurs génériques, destinataires des constitutions, sont toute la population ou la plus grande partie de la population, mais il n’y a pas de destinataires qui pourraient être considérés comme représentants de cette population.
16Quand les constitutions visent toute la population, elles sont adressées au peuple ou aux provinciaux, dans ce dernier cas la population de la capitale, ou des capitales, après la fondation de Constantinople, est exclue.
17Dans le Code théodosien sont répertoriés trente quatre constitutions ad populum. Dix sept, la moitié, sont l’œuvre de Constantin qui d’évidence affectionne ce rapport direct avec tous ses sujets. L’autre moitié concerne les successeurs de Constantin jusqu’en 415, date de la dernière constitution ad populum insérée au Code théodosien. Trois constitutions promulguées à des dates espacées illustrent ce rapport direct.
18La première est de 315, Constantin veut donner l’image d’un restaurateur du droit. Les justiciables s’appuyaient sur des réponses impériales à des questions juridiques (les rescrits) pour échapper à l’application du droit et introduisaient de la sorte une inégalité devant le droit. L’empereur ordonne d’en revenir au droit : « Les rescrits, quelle que soit la façon dont ils ont été obtenus, ne valent pas contre le droit. En effet les juges doivent davantage suivre ce que prescrivent les droits publics »23. Ce rétablissement de l’égalité devant le droit doit être porté à la connaissance de tous pour que tous veillent à son application.
19La seconde a pour auteurs Gratien, Valentinien et Théodose, elle est datée de 383. Comme la précédente, elle a pour objet l’égalité mais plus devant le droit, mais devant l’impôt puisqu’elle porte sur l’annulation des exemptions fiscales, y compris celles dont bénéficiait la maison impériale. Elle est ainsi rédigée : « Personne ne doit posséder quelque chose d’exempt ; que si une telle chose a été accordée à notre maison, que ce soit annulé ; les répartitions des cens, que le consentement des provinces, nos réponses, les devoirs des censeurs et des répartiteurs, l’autorité des juges ont approuvées… demeurent par une éternité ferme… »24. Il est significatif que le consentement des provinces soit placé avant toutes les autres décisions, y compris les réponses impériales. Cependant la formule est elliptique et l’on ne sait pas ce qu’elle recouvre.
20La troisième constitution est de 415, c’est la dernière du Code théodosien adressée ad populum. Son esprit est proche des précédentes. Il s’agit de protéger les sujets contre les abus des puissants. Honorius et Théodose II annulent les ventes, donations et transactions extorquées par les puissants25. Cette décision est une bonne nouvelle pour le petit peuple. Sous l’appellation peuple le pouvoir impérial s’adresse principalement à ceux qui n’appartiennent pas aux classes privilégiées même s’il n’emploie pas le terme plus adéquat de plèbe dont les occurrences sont assez nombreuses dans le Code théodosien. La visée paraît sociale et non politique.
21Le second interlocuteur générique est l’ensemble des provinciaux. Dix neuf constitutions sont répertoriées dans le Code théodosien comme ayant pour destinataires tous les provinciaux. L’analyse de trois constitutions peut éclairer sur les intentions recherchées par leurs auteurs en s’adressant directement à l’ensemble des provinciaux.
22Après l’élimination de Licinius, en 325 Constantin annule ses actes et ceux de ses juges mais veut éviter que cette annulation profite à ceux qui ont agi volontairement dans un cadre illégitime26. C’est une mesure d’épuration qui mérite d’être connue de tous et qui met l’accent sur la victoire de Constantin.
23En 331 il dicte une constitution pour faire cesser la corruption des fonctionnaires provinciaux en matière de justice27. Le ton est particulièrement véhément et l’empereur promet d’emblée une répression terrible : « qu’à l’instant même les mains des fonctionnaires s’arrêtent, qu’elles s’arrêtent, dis-je, que si avertis, elles ne s’arrêtaient pas, elles seraient tranchées par les glaives ». Il demande aux gouverneurs provinciaux d’être impitoyables : « que l’activité zélée du gouverneur soit toujours en éveil… Si les fonctionnaires estimaient devoir demander quelque chose… que la sévérité tranche les têtes et les cous de ces criminels ». Mais Constantin lance aussi un appel direct aux provinciaux : « Si les gouverneurs couvraient ces agissements, nous donnons à tous la possibilité de se plaindre auprès des comtes des provinces, ou des préfets du prétoire et à plus forte raison, s’ils se trouvaient près de nous, instruits sur de tels brigandages nous déciderions les supplices ». Constantin pour mettre fin aux agissements de ses fonctionnaires malhonnêtes s’appuie directement sur ses sujets dont il n’hésite pas à faire des interlocuteurs immédiats.
24Au début de leur règne Valentinien et Valens s’adressent à tous les provinciaux pour leur faire connaître des mesures particulièrement bienveillantes dont sont bénéficiaires les vétérans28. Les empereurs accordent à ceux qui veulent une patrie, là où ils le voudront, des biens vacants et leurs fournissent les moyens de les mettre en culture en leur donnant une ou deux paires de bœufs et des semences. Il seront exemptés de l’impôt foncier de façon perpétuelle. Les instructions sont données en ce sens à tous les gouverneurs. Ces mesures prennent place dans un dispositif destiné à revigorer certaines provinces économiquement affaiblies. Si les provinciaux dans leur ensemble sont destinataires de ce texte, c’est que d’une part toutes les provinces sont concernées puisque les vétérans ont le choix de leur établissement et que d’autre part la mesure risque de bouleverser l’économie de chaque province et introduit une inégalité que le pouvoir impérial tient à expliquer à tous ses sujets.
25Une autre appellation générique est elle aussi significative. Elle est utilisée par Valentinien et Valens, en 37029. Il s’agit de la paysannerie (rusticitas). La constitution la concernant ne lui est cependant pas adressée. C’est le Sénat qui en est destinataire. Les deux frères empereurs veulent protéger la paysannerie « innocente et tranquille » de la corruption des fonctionnaires à l’occasion de procès dans le cadre desquels les actes sont vendus. Mais la démarche diffère sensiblement de celle de Constantin en 331, Valentinien et Valens se gardent bien de lancer un appel direct à la paysannerie. Ils la cantonnent dans un rôle passif et demandent aux sénateurs de veiller à ce qu’elle ne soit pas victime des abus dénoncés. Ce qui nous interroge sur la place dans la rhétorique impériale de ces appellations génériques : peuple, provinciaux ou paysannerie.
26Les appellations génériques ne doivent en aucune façon faire croire que le pouvoir impérial aurait maintenu, même de façon fictive, un corps civique avec lequel il dialoguerait. Ce corps civique, à la base de la cité antique, n’existe plus. Il n’y a pas d’entité qui serait le peuple ou le corps des provinciaux ou la paysannerie. Le pouvoir impérial qui a la maîtrise du monde ne peut rester sourd aux plaintes exprimant le mécontentement de ses sujets. Il manifeste sa volonté d’alléger leurs souffrances et d’empêcher ses fonctionnaires de les aggraver par la corruption. Les fonctionnaires agissent au nom de l’empereur et nuisent de la sorte à son image.
27La crainte de la fureur populaire reste présente mais elle n’est jamais mise en rapport avec le pouvoir impérial. Deux textes sur ce point retiennent l’attention et concernent des villes où le peuple avait une réputation de grande indocilité.
28L’anonyme de l’Exposition de tout le monde et de tous les peuples décrit longuement Alexandrie au milieu du ivème siècle. On y trouve, nous dit-il, les meilleurs philosophes et savants du monde. On y mange excellemment et Alexandrie exporte du papier dans tout l’Empire. Mais pour l’anonyme, Alexandrie a une autre particularité : « Tu trouveras que c’est une ville qui impose ses volontés aux gouverneurs ; seul le peuple d’Alexandrie se meut facilement en révolte : en effet les gouverneurs entrent dans cette ville avec crainte et tremblement, redoutant la justice du peuple ; chez eux en effet on ne tarde pas à jeter du feu et des pierres sur les juges qui ont fauté »30. Alexandrie est une ville agitée, propice aux désordres de nature politique et religieuse. Elle est pour l’auteur une exception puisque seul son peuple se met en révolte aussi facilement, elle ne se soulève pas contre l’empereur lui-même, cependant son peuple impose ses volontés à ceux qui sont chargés d’appliquer ses ordres, les gouverneurs et il va même plus loin puisqu’il lui substitue sa propre justice. Comment le fait-il ? Par la violence de rue, par l’émeute. Ce peuple est le petit peuple qu’on appellera plus tard la populace31 qui n’a pas beaucoup d’autres moyens de se faire entendre. Il n’a pas grand chose de commun avec le demos de la cité grecque, peuple politiquement organisé. Ce petit peuple peut donc être sporadiquement un acteur politique direct qui anihile non seulement toute idée de représentation, mais aussi toute idée de délégation ou de légation. Quand l’empereur dans ses constitutions s’adresse au peuple, ce n’est pas à ce peuple de la rue qu’il s’adresse, il prend pour interlocuteur un peuple abstrait mais s’il le fait c’est sans doute pour montrer aussi qu’il n’est pas coupé du peuple de la rue.
29Un événement mentionné par Ammien Marcellin, événement contemporain de l’Anonyme puisqu’il date du règne de Constance, n’est également pas dépourvu d’intérêt pour comprendre cette irruption du petit peuple dans la vie publique32. Le César Gallus, le demi-frère de Julien, se trouvait à Antioche en 354, la foule, la plèbe d’Antioche, dit Ammien, redoute la famine – Gallus ne fait pas, ce que pourtant habituellement les princes font : faire venir des provinces voisines les vivres nécessaires. Il dit à la foule qu’il lui procurerait des aliments mais que le gouverneur, qui se tient à ses côtés, ne veut pas. Ammien écrit que : « Ces mots augmentèrent l’audace des classes inférieures » qui mirent le feu à la maison d’Eubule, un notable local, et qui comme si le gouverneur leur avait été livré par une décision impériale, le tuèrent avec d’atroces mutilations. À la suite de ces troubles l’empereur Constance envoie un nouveau préfet du prétoire que Gallus fait punir33. Ce dernier convoqué par Constance fut expéditivement jugé et décapité. Ce que raconte Ammien met en scène le petit peuple dont la motivation paraît seulement alimentaire, mais le pouvoir impérial incarné ici par Gallus désigne comme responsables les instances intermédiaires le séparant du petit peuple. Gallus est présenté, vraisemblablement à juste titre, comme un prince faible et cruel, finalement sanctionné et éliminé par l’empereur. Cependant de façon caricaturale il exprime une attitude latente du pouvoir impérial qui transparaît dans les constitutions : désigner au peuple les hauts fonctionnaires, ceux aussi qui ont des postes moins élevés, et les élites municipales comme responsables du mauvais fonctionnement de l’Empire pour conserver une image de l’empereur au-dessus de tout soupçon. La grande différence est que Gallus le fait concrètement avec le petit peuple physiquement présent.
30Cette volonté de s’adresser directement au peuple, à tous ses sujets, n’est donc en rien une réminiscence d’un pouvoir appuyé sur le peuple tel qu’il a pu exister dans le cadre de la cité antique. Elle s’apparente à un procédé de gouvernement, et révèle aussi un pouvoir impérial tirant sa légitimité de lui-même et par essence étranger à toute idée de représentation.
2 – LES INTERLOCUTEURS SPÉCIFIQUES DE L’EMPEREUR
31L’empereur s’adresse aussi à des groupes particuliers ou spécifiques. Il le fait sur des critères géographiques ou sur des critères tenant aux compétence de ceux auxquels il s’adresse. Considère-t-il tous les membres d’un groupe comme identiques ou considère-t-il que certains membres sont plus représentatifs de ce groupe que d’autres ?
32Les groupes particuliers ou spécifiques relevant des critères géographiques sont d’abord les provinciaux d’un région précise. Trois cas de figure peuvent alors se présenter parmi les destinataires des constitutions impériales.
33La constitution peut être adressée aux provinciaux d’une province, ainsi ceux de Bithynie, de la proconsulaire d’Afrique ou ceux des provinces de l’Afrique ou de l’Illyrie34. Dans ce cas on retrouve de façon plus réduite la même volonté impériale d’atteindre toute la population que celle déjà constatée pour toutes les provinces. Ainsi en 365 Valentinien et Valens s’adressent aux africains : « Nous poursuivons les ennemis du genre humain par l’équité voulue, nous ordonnons que les délateurs découverts soient punis par le glaive »35. Ces termes rappellent ceux rencontrés dans des constitutions à portée générale dans lesquelles l’empereur agit pour toute l’humanité.
34D’autres constitutions ont pour destinataires les notables et les provinciaux. L’empereur dans ce cas vise bien toute la population provinciale mais en mettant l’accent sur la catégorie la plus influente. Ainsi en 412 ou 413, à la suite de la révolte d’Heraclianus (dit l’ennemi public), l’empereur Honorius tient à rassurer ses sujets d’Afrique en précisant clairement la spectre de la répression, Héracliamus et ses satellites, pour éviter qu’une crainte généralisée s’installe parmi eux. On ne peut voir dans les notables (honorati) des éléments représentatifs de la population ou ses représentants, puisque tous les provinciaux africains sont aussi destinataires de la constitution36. Il en est de même quand l’empereur s’adresse aux notables et aux propriétaires comme s’il désirait atteindre ceux qui détiennent le pouvoir d’influence et le pouvoir économique, il ne faudrait pas cependant y déceler une volonté de les considérer comme des intermédiaires entre le pouvoir impérial et le reste de la population car cette constitution d’Honorius qui porte sur une remise d’arriérés de l’impôt foncier semble concerner directement les destinataires37.
35Enfin l’empereur s’est aussi adressé aux assemblées provinciales (concilia provinciae). L’origine de ces assemblées remonte aux monarchies héllénistiques, elles ont été étendues à l’Occident par le pouvoir impérial. Au Haut-Empire leurs membres étaient élus, au Bas-Empire ce sont, semble-t-il, des notables.
36Le culte impérial a été confié à ces assemblées et à leur président, le sacerdos ou l’archereus. Les constitutions qui leurs sont adressées datent du règne de Constantin. La première de 329 a pour destinataire l’assemblée de la province d’Afrique et concerne la procédure d’appel38, la seconde datée de 332a pour destinataire l’assemblée de Byzacène et porte sur une question de droit privé relative à un esclave institué héritier39. La troisième de 337 de nouveau adressée à l’assemblé de la province d’Afrique contient une immunité fiscale pour les sacerdotes et les flamines perpétuels40. On peut remarquer que les trois constitutions se rapportent à des provinces d’Afrique et qu’il n’y en a plus après 337, date de la fin du règne de Constantin. Il ne faudrait pas en conclure que seules les provinces d’Afrique ont eu des assemblées et qu’elles ont disparu en 337 en même temps que s’étiole le culte impérial. En effet d’autres constitutions traitent des assemblées provinciales à des dates plus tardives et en partie pour des régions autres que l’Afrique. On ne peut même pas y voir la marque d’un style de gouvernement propre à Constantin qui aurait voulu, comme il aimait le faire, s’adresser directement à ses sujets en passant au-dessus de son administration. Il semble seulement répondre par des rescrits à des questions que des assemblées lui ont posées. Les trois constitutions constantiniennes ne sont pas suffisantes pour savoir si les membres de ces assemblées étaient représentants ou représentatifs de leurs provinces. En revanche un chapitre du livre XII du Code théodosien contient sur ce point de précieux renseignements41.
37L’étude de ce chapitre ne permet pas de savoir comment sont désignés les membres des assemblées provinciales, ils viennent à l’assemblée au nom des cités et appartiennent au groupe des curiales. On peut donc affirmer que ces assemblées sont des assemblées de notables locaux se réunissant dans le cadre de la province ou plus exceptionnellement dans celui du diocèse, circonscription groupant plusieurs provinces42.
38Elles se tiennent habituellement dans la capitale de la province, mais ce n’est pas obligatoire. Les cités peuvent s’entendre sur un autre lieu, la ville la plus fréquentée ou la plus opulente de la province43. Elles ont pour objet d’exprimer les désirs des provinciaux et d’émettre en conséquence des vœux ou de formuler des demandes (petitiones). À plusieurs reprises le pouvoir impérial manifeste sa compassion pour ses sujets provinciaux harassés ou épuisés qu’il désire écouter44. Deux constitutions précisent que l’assemblée doit se tenir dans un lieu public, un édifice public ou dans une partie du forum45. Les modalités des délibérations restent imprécises. Il n’y a qu’un seul collège, les dignitaires ne formant pas un collège particulier au sein de l’assemblée même si leurs opinions sont recueillies dans des conditions dues à leur rang. Ils peuvent l’émettre chez eux et la transmettre à l’assemblée pour ne pas paraître dans un lieu public46, il peuvent venir à l’assemblée et siéger à une place conforme à leur dignité47. Enfin ils peuvent faire connaître leurs opinions par des procurateurs (qui siègent en leurs lieu et place)48. Ils ne constituent donc pas un ordre ou un collège distinct, même si comme le dit l’empereur, ils ne doivent pas apparaître publiquement confondus avec la « plèbe », « plèbe » tout de même composée de notables49.
39Les délibérations sont-elles finalisées par un vote ? Il est fait mention d’un choix approprié50, mais on peut hésiter si ce choix est acquis par consensus ou s’il est acquis par un vote majoritaire. Une seule constitution fait clairement référence à la majorité, c’est une constitution de Théodore de 392. Elle précise qu’une autorité solennelle rende ferme ce que l’assentiment de la majeure partie aura approuvé51. Ce qui importe, ce n’est pas tant le caractère formel d’un vote, mais que les délibérations ne soient pas confisquées par un petit nombre et le pouvoir impérial recommande le concours ou l’assentiment de tous52, ce qui peut amener de longs débats pour arriver à une position commune.
40Les résultats des délibérations s’appellent postulata, mandata, decreta ou desideria. Ce sont des demandes ou des vœux dont le destinataire est l’empereur. Les constitutions ajoutent que les gouverneurs des provinces n’en sont pas destinataires et qu’ils ne doivent pas faire obstacle à leur transmission à l’empereur53. Les vicaires qui se trouvent à la tête des diocèses sont dans la même situation. Le rôle du préfet du prétoire est plus ambigu54. Bien que territorialisé depuis la réforme administrative diocletiano-constantinienne, il est associé au gouvernement central. Le préfet reçoit généralement les demandes et les vœux émanant des assemblées provinciales, pour les remettre à l’empereur mais il peut aussi effectuer un filtrage55. Il appartient seulement à l’empereur de donner une suite à ces demandes et à ces vœux. Le contact est direct entre lui et ses sujets. Les assemblées provinciales désignent des députés (legati) chargés de présenter ces demandes et ces vœux. Les modalités de la désignation ne sont pas explicites, est-ce par vote ou par consensus ? Les constitutions ne le disent pas ; le verbe éligere, parfois utilisé, signifie aussi bien élire que choisir. Chaque cité n’a pas à envoyer son député, même quand elle désire faire connaître à l’empereur des vœux particuliers ; le nombre des députés serait alors trop élevé et l’assemblée provinciale n’aurait plus grand sens. Une constitution nous apprend que dans le cas où les cités ont des vœux propres, l’assemblée désigne trois députés pour les apporter à la cour impériale même si la province compte de nombreuses cités56. Il en est de même pour les assemblées de diocèse invitées à désigner un ou deux députés et non un par province, cependant c’est seulement une invitation et chaque province peut désigner un député pour apporter les demandes et les vœux de l’assemblée du diocèse57. Les députés doivent présenter ce qui a été délibéré sans aucune possibilité de modification. Cette disposition est arrêtée par Constantin et elle est répétée tout au long de la période58. Les résultats des délibérations doivent rester tels qu’ils ont été adoptés. En 364 Valentinien et Valens ajoutent même une modalité technique pour bien s’en assurer. Cette modalité vaut peut-être seulement pour l’Égypte. Les résultats sont inscrits dans des lettres qui sont scellées59, et qui ne doivent absolument pas êtres ouvertes avant d’être communiquées à l’empereur. Les députés n’ont pas de marge de manœuvre par rapport à leurs mandants. Ils ont ce qu’on a appelé par la suite un mandat impératif. Une constitution oblige même les députés à produire des mandata démontrant qu’ils sont bien envoyés par l’assemblée provinciale, règle aussi valable pour les députés d’autres entités. Le mandatum est en droit romain la mission de remplacer une personne dans une affaire60.
41L’examen des constitutions relatives aux assemblées provinciales est donc plein d’intérêt. Ces assemblées ne concernent pas seulement l’Afrique mais tout l’Empire. Leurs membres semblent des notables des curies des diverses cités composant une province, ils ne seraient pas élus. Leurs délibérations ne sont pas exécutoires mais purement consultatives, une fois adoptés elles ne sont plus susceptibles de variation. Elles choisissent des députés pour présenter leurs demandes ou leurs vœux. Sur cette base, on peut conclure que les assemblées composées de notables sont considérées comme représentatives par le pouvoir impérial qui perçoit en elles l’écho de la population provinciale, et les assimile à plusieurs reprises à tous les sujets de la province61. Bien évidemment on peut mettre en doute que ce soit vrai. Les membres des curies n’ont pas les mêmes intérêts et les mêmes revendications que les petits paysans ou le petit peuple des villes. Mais le pouvoir impérial, qui ne veut pas être l’otage de son administration, y trouve son compte en en faisant des interlocuteurs représentatifs. Les députés (legati) sont choisis par les assemblées provinciales pour porter leurs revendications à la cour impériale, il reçoivent même mandat pour le faire mais ils sont étroitement tenus par les délibérations de ces assemblées. Ils se substituent à elles pour les présenter et non pour être leurs porte-paroles. Peut-on alors les qualifier de représentants ? Certainement pas au sens moderne acquis par ce terme, le mandat représentatif s’opposant au mandat impératif. Il n’en reste pas moins que l’on est en présence d’une députation venant à l’appui d’un système consultatif.
42Rome et Alexandrie ont pu aussi bénéficier de députés. Ainsi en 382 Sévère, préfet de la ville de Rome, est destinataire d’une constitution lui rappelant que la faculté de nommer (ordinare) des députés est libre pour permettre d’apporter les vœux62. De même en 416, l’empereur rappelle que si la ville d’Alexandrie envoie une délégation, tous les curiales doivent se réunir et leurs délibérations pour avoir force probante sont insinuées par le préfet augustal, justement pour éviter des modifications63.
43Les assemblées provinciales par leur composition montrent que les curies restent dans l’antiquité tardive la base de toute l’organisation administrative, voire socio-administrative. Les cités sont donc identifiées à un groupe d’hommes qui forment un ordo doté de la personnalité morale. À leur tête on trouve des dirigeants appelés principales, decemprimi ou bouleutes. Les responsables de certaines tâches sont spécialement élus, ainsi les percepteurs et les receveurs d’après une constitution de 386 adressée au préfet du prétoire d’Orient64. Une constitution adressée au préfet des Gaules en 409 ou 412 évoque ceux qui sont élus (ou choisis) par le consentement de la curie65.
44Bien évidemment l’empereur en exigeant le choix de certains membres de la curie pour accomplir des tâches spécifiques ne se fait pas le chantre d’une quelconque démocratie. Il veut de la sorte dégager des responsables, avec le consentement de la curie, qui subissent la répression appropriée en cas de dysfonctionnement.
45D’autres groupes organisés en corps sont, à l’instar des curies, contraints de désigner des responsables.
46Certaines professions forment des corporations particulièrement surveillées par le pouvoir impérial : les producteurs de pourpre (pour la pourpre impériale), les murileguli, les boulangers (pistores), les suarii (marchands de porcs) pour des raisons d’approvisionnement, les naviculaires chargés du transport maritime, les bateliers (caudicarii), les conducteurs de bêtes de somme, (catabolenses) etc…Ainsi en 412 Honorius ordonne que les bateliers élisent, par consensus de tout le corps, un des patrons pour éviter les fraudes des bateliers et les vols des mesureurs des ports. Mais il indique la raison de cette élection, il s’agit d’éviter que le préfet de l’annone (chargé de l’approvisionnement) porte une atteinte corporelle aux trois premiers patrons du corps66. Le même Honorius dans une constitution de 419, ordonne que les éleveurs soient joints aux suarii dans le même corps et il ajoute, de façon significative pour rassurer les principales du corps habituellement visés par la répression « qu’aucune crainte d’injure corporelle ne doit se produire car nous ordonnons que les trois principales de ce corps reçoivent la comitiva du troisième ordre »67. La « démocratie » corporative dégage des responsables sur lesquels le pouvoir impérial fait pression pour que le corps accomplisse correctement les tâches qui lui sont confiées.
47On retrouve la même façon de faire pour ce qui est de l’administration. Deux systèmes coexistent, l’un hiérarchique où le fonctionnaire est un individu, l’autre corporatif dans lequel les fonctionnaires groupés en corps sont responsables collectivement avec des primates à la tête du corps. Le haut fonctionnaire, préfet du prétoire, gouverneur… ne reste en place que temporairement, son administration elle demeure. Son bureau, l’officium est organisé en corps avec responsabilité collective, responsabilité collective dont les primates ont plus particulièrement la charge68.
48Peut-on voir dans cette volonté du pouvoir impérial de responsabiliser les corps et ceux qui en sont les chefs (ou qui ont été élus pour assumer certaines tâches) un recours à la représentation ? Ce recours ne concerne pas le pouvoir politique mais serait destiné à assurer le bon fonctionnement de l’État, et dans une certaine mesure de la société.
49Cette responsabilité, qui n’exclut pas la responsabilité personnelle, se décline sur deux modes : une responsabilité à caractère réel, garantie par les biens assignés au corps, ou possédés par lui, une responsabilité atteignant les chefs du corps ou les personnes spécialement désignées par lui, pouvant entraîner une sévère répression allant de l’amende au châtiment physique, qu’il s’agisse, comme cela a été vu, des premiers ou d’autres personnes désignées de la curie, de la corporation professionnelle ou du corps comprenant les fonctionnaires d’un bureau.
50Le pouvoir impérial considère bien ces éléments comme représentatifs de toute la personne morale, il les a même suscités sur la base de la solidarité du corps. Cette façon de faire s’apparente à une prise d’otages.
51Ces éléments représentatifs sont généralement élus par tout le corps, ou du moins choisis par le pouvoir impérial mais avec le consentement du corps.
52Cette façon de faire se perfectionne au cours du ivème siècle s’érigeant progressivement en système. Est-elle le seul produit de la nécessité ou se rattache-t-elle à une idée ou à un ensemble d’idées ?
53Les conditions historiques ont certainement joué un rôle déterminant. Pour empêcher le délitement de l’Empire, encore immense mais terriblement fragile, ce système donnait de la cohésion contrainte à la base. Mais la seule nécessité est-elle suffisante pour expliquer le phénomène ?
54L’antiquité tardive est par hypothèse une époque de transition dans laquelle les idées anciennes évoluent, mutent et en définitive se transforment. Cette solidarité contrainte ne s’inscrit-elle pas dans une tradition holiste perpétuée jusqu’au Bas-Empire ? Même s’il n’y a plus de référence au demos, ou à un corps civique, la cité antique ne subsiste-t-elle pas, déformée et diaphane, dans les curies mais aussi étendue à d’autres corps ? La volonté du pouvoir impérial de dégager des éléments représentatifs d’un groupe social ou socio-administratif dans le but de le contraindre n’est pas qu’une intervention extérieure contraire à l’esprit institutionnel du groupe. L’idée de cité imprègne toujours la fin de l’antiquité, elle demeure un parangon de l’organisation humaine, le signe révélateur de la civilisation face au monde barbare. Le pouvoir impérial instrumentalise ce modèle en tirant avantage de la solidarité entre les membres et de la responsabilité des dirigeants, mais s’il peut le faire c’est que ce modèle demeure comme une récurrence. Mais cette récurrence se transforme, elle ne reste pas inerte sous la pression de conditions nouvelles. Elle n’est plus en rapport avec le pouvoir politique, la personne morale qu’elle continue de constituer n’a plus de sens que dans un vaste ensemble dont elle est une composante limitée et contrainte. Sous elle perce un nouveau concept, celui de la participation corporative et de la représentation qui peut lui être jointe. Une constitution impériale de 386 se termine ainsi « que le consentement de tous génère ce qui est profitable à tous »69. Cette formule n’est pas très différente du principe médiéval dégagé par le droit canonique « ce qui concerne tous doit être débattu par tous »70. La représentativité de certains éléments du corps recherchée par le pouvoir impérial est bien éloignée de l’idée de représentation, mais il n’est pas incongru d’y voir un prémice de cette représentation.
55Dans l’antiquité tardive, le pouvoir impérial, coupé de la population par l’immensité de l’Empire et la lourdeur de son administration, est en quête d’interlocuteurs parmi ses sujets. Les proclamations générales qu’il leur adresse ont sans doute peu d’effet, il préfère des interlocuteurs particuliers ou spécifiques, soit pour mieux entendre les plaintes et les revendications, soit pour mieux s’assurer du fonctionnement de certains corps. Dans ces rapports avec les interlocuteurs, apparaît l’idée de représentativité instrumentalisée par le pouvoir impérial. Cette idée n’est pas totalement étrangère à la représentation, comme ne l’est pas non plus la députation émanant des assemblées provinciales ou de différents corps. Montesquieu ne s’est pas trompé dans son jugement sur l’absence de la représentation dans l’antiquité, mais ce jugement est un peu incomplet pour l’antiquité tardive.
Notes de bas de page
1 Montesquieu, Esprit des lois, XI, 8 « Les anciens ne connaissaient point le gouvernement fondé sur un corps de noblesse, et encore moins le gouvernement fondé sur un corps législatif formé par les représentants d’une nation ».
2 On trouve dans le Code Théodosien deux occurrences du terme repraesentatio. La première, 6, 35, 2, (27 juillet 319) est insérée dans une constitution de Constantin, il s’agit de présenter des chevaux de façon solennelle, ce qui ne présente pas d’intérêt pour le sujet. En revanche, la seconde, 10, 4, 3 insérée dans une constitution de Valentinien et de Valens (4 avril 370 ou 373), et concerne la comparution en justice, le texte précise que dans une affaire criminelle le comptable, les colons ou les locataires doivent comparaître en personne, alors que dans une affaire civile le défenseur de la maison impériale doit être présent « In negotio criminali per rationalem colonos vel conductores privatae rei nostroe, quorum reproesentatio, poscitur exhibendos esse sinceritas tua cognoscat, in civili vero causa defensorem domus nostre adesse debere ».
3 Gaïus, Inst. IV, 82 ; Ulpien, dit la même chose, lib. 14, ad Edictum, D, 50, 17, 123, pr. « Nemo alieno nomine lege agere potest ».
4 D. 3, 4, 2 : « Si municipes, vel aliqua universitas ad agendum det actorem, non erit dicendum, quasi pluribus datum sic haberi : hic enim pro republica vel universitate intervenit, non pro singulis ».
5 Edward Gibbon, Histoire du déclin et de la chute de l’Empire romain, (trad. M.-F. Guizot), réed. R. Laffont, Paris, 1983, vol. 1, p. 240 p. 53, p. 60.
6 Panégyriques latins, XI, 19, Les belles lettres, Paris, 1955, vol. 3, p. 32 « Nec sane potest in confusa imperitorum multidine quicquam esse perpensu. Nam cum boni rari sïnt, improborum vulgus immensum… intellegitur eum suffragüs populi magistratum capere quem plures, id est, quem peiores probarunt ».
7 Panégyriques latino, XII, 3 (édition citée, volume 3, p. 73-74) : « Nonne is omnium suffragis hominum tributim centuriatimque legetur… ?
8 Ammien Marcellin, XXX, 5, 1-2 : « collecti duces exercitus… super creando principe consultabant », XXVI, 5 : « Valentinianus, nulla discordante sententia, numinis adspiratione caelestis electus est ».
9 Corneille, Cinna, Acte V.
10 Panégyriques latins, V, 15 (édition citée, volume 1, p. 133) : « …voluntates summi Patris sequatur auctoritas cuius nutum promissionem confirmantis totius mundi tremor sentit… ».
11 SHA, Aurélien, XXXII, 4 (éd. Robert Laffont, Paris, 1994, p. 1004-1005) : « Princeps igitur totius orbis Aurélismus pacatis oriente, Gallis atque undique terris ».
12 Expositio totius mundi et gentium, XXVIII, Ed. du Cerf, (Sources chrétiennes), Paris, 1966, p. 160.
13 C. Th. Gesta Senatus Romani de Theodosiano publicando.
14 Nov. Maj., II (10 mars 458) « Ut primum mundö sacri principatus nostri rudimenta fulserunt… ».
15 Voir sur l’influence stoïcienne dans l’antiquité tardive, Marc Pena, Le stoïcisme et l’Empire romain, PUAM, 1990, p. 215 et s.
16 Ainsi une constitution d’Anthemius de 468, Nov. Anthem, I, « Humano genere et fluctuantibus rebus mortalium… ». Une constitution de Marcien de 450, Nov. Marc., 1, identifie le genre humain à l’ensemble des sujets de l’empereur « Curae nobis et utilitati humani generis providere… ut universi, qui sub nostro imperio vivunt… libero otio et securitate potiantur ».
17 Une seule occurrence dans le Code théodosien, constitution de 409 d’Honorius et Théodose, 12, 14, 1.
18 Panégyriques latins, X, 10, éd. citée, vol. II, p. 174 « … omnes concordiae commoditates : illam esse fundamentum ac radicem otü, bonorum civilium seminarium, quietis publicae segetem et almam pacis altricem ».
19 Une étude comparative de l’utilisation des trois termes dans les textes législatifs de l’antiquité tardive serait nécessaire. Les termes iustitia et aequitas paraissent largement équivalents dans une constitution de Constantin de 325, C. Th. 11, 39, 1 « tamen nos aequitate et institia moti iubemus ».
20 Fritz Schulz, Principiem des römischen Rechts, Munich, 1934, trad. Italienne, Principii del diritto romano, Florence, 1956, p. 164.
21 Trente occurrences se rencontrent dans le Code théodosien.
22 Op. cit. XLIII, 4, p. 1017 « Imperator, qui domi clausus est, versa non novit ».
23 Ch. Th. 1, 2, 2 (29 août 315) : « Contra ius rescribta non valeant, quocumque modo fuerint inpetrata. Quod enim publica iura perscribunt, magis sequi iudices debent ».
24 C. Th. 13, 10, 8 (5 mars 383) : « Nemo aliquid immune possideat ; sit inritum, si quid domus nostrae tale concessimus, exaequationes censorum, quas consensus provinciarum, quas nostra responsa, quas censorum peraequatorum officia, quas auctoritas… indicum… inconcussa aeternitate permaneant ».
25 Ch. Th. 3, 1, 9 : CI 2, 19, 2 (17 février 415) : « Venditiones, donationes transactiones, quae per potentiam estortae sunt, praecipimus infirmari ».
26 Ch. Th. 15, 14, 2 (14 février 325) : « Tyranni (Licinius) et iudicum eïus gestis infirmatis nemo per calumniam velit quod sponte ipse fecerit evertere nec quod legitime gestum est ».
27 Ch. Th. 1, 16, 7 (1er novembre 331 : « Cessent iam nunc rapaces officialum manus, cessent, inquam, num moniti cessaverint, gladis praecidentur… Semper invigilet industria praesidalis, ne quicquam a praedictis generibus hominum de litigatore sumatur. Qui si de civilibus causis quid quam putaverint esse poscendum, aderit armata censura, quas neferiorum capita cervicesque detruncet… qui si dissimulaverint, super eodem conquerendi vocum omnibus aperimus apud comites provinciarum, aut apud praefectos proetorio, si magis fuerint invicino, ut his referentibus edicti super talibus latrocinüs suppliciis proferamus ».
On peut aussi citer une constitution de 386, dans un style moins emporté, adressée aux provinciaux qui traite de la corruption (C. Th. 9, 27, 6, CI 9, 27, 4 – 22 juin 386).
28 Ch. Th. 7, 20, 8 (17 novembre 364) : Omnibus benemeritis veteranis quam volunt patriam damus et immunitatem perpetuam pollicemur Habeant ex vacantibus sive ex diversis, ubi elegerint, agros et ae lege habeant… Super quibus ad conpetentes iudices scribta congrua destinata sunt ».
29 C. Th. 1, 29, 5 (10 août 370) -CI 1, 55, 3 : « Utili ratione prospectum est, ut innocens et quieta rusticitas peculiaris patrocinii beneficio fruatur, ne forensis iurgi fraudibus fatigata… Hoc fieri dignitas non patitur senatoris… »
30 op. cit., XXXVII, éd. citée, p. 174 : « Iam et civitatem iudicibus bene regentem invenies ; in contemptum se « facile movet » solus populus Alexandriae : iudices enim in illa civitate cum timore et tremore intrant, populi iustitiam timentis ; ad cos enim ignis et lapidum emissio ad peccantes iudices non tardat ».
31 Terme apparu en français au xivème siècle, emprunté à l’italien popolaccio.
32 Ammien Marcellin, XIV, 7, 5-6 : « Auxerunt haec vulgi sordidioris audaciam ».
33 Paul Petit, Histoire générale de l’Empire romain, éd. Seuil 1970, p. 603.
34 C. Th. 8, 4, 3 ; 10, 7, 1 ;10, 20, 1 ; 12, 1, 5 (21 juillet 317) -C. Th. 11, 5, 2, (21 mai 337) ; 9, 34, 5 (18 juin338) - C. Th. 11, 7, 4 (18 mai 327) ; C. Th. 8, 4, 2, (10 mai 315) ; C. Th. 12, 5, 2 (21 mai 337) ; 9, 34, 5 (8 juin 338) ; 10, 10, 10 (4 février 365) ; 13, 6, 6 (7 avril 372 - C. Th. 11, 28, 9 (9 avril 414).
35 C. Th. 10, 10, 10 (4 février 365) : « In tantum humani generis inimicos arbitra aequitate persequimur, ut delatores pronuntiatos puniri gladio iusserimus ».
36 C. Th. 9, 40, 21 (5 juillet 412 ou 413).
37 C. Th. 11, 28, 5 (25 novembre 409 ou 410) adressée aux honorati et possessores per Africam.
38 C. Th. 11, 30, 15 (29 juillet 329).
39 C. Th. 2, 19, 3 (27 juillet 332).
40 C. Th. 12, 5, 2 (21 mai 337).
41 C. Th. 12, 12 : « De legatis et decretis legationum ». « Des députés et des décisions des légations ». Qu’il me plaise de rendre hommage et de célebrer le souvenir de mon ami Tadeuz Kotula, « Les assemblées provinciales dans l’Afrique romaine sous le Bas-Empire », Wroclaw, 1965 (en polonais avec un résumé en français).
42 C. Th. 12, 12, 9 (10 mai 382) : « Sive integra dioecesis in commune consuluerit », « soit le diocèse dans son ensemble délibérer en commun ».
43 C. Th. 12, 12, 12 – CI 10, 65, 5 (28 juillet 392) : « Ad provinciale concilium in una frequentiore totius provinciae urbe cunctos volumus convenire… » « Nous voulons que tous se réunissent dans la ville la plus fréquentée de toute la province pour l’assemblée provinciale… ; C. Th. 12, 12, 13 (10 septembre 392) : « ita ut ipse conventus in una opulentiore totius provinciale urbe… celebretur… » « de sorte que la dite assemblée se tienne dans la ville la plus opulente de toute la province… ».
44 Ainsi, C. Th. 12, 12, 9 (10 mai 380) : « licere volumus oppressis defere quae perferunt.. » « Nous voulons permettre aux opprimés (à ceux qui sont épuisés) d’apporter ce qu’ils supportent… ».
45 C. Th. 12, 12, 12, : CI 10, 65, 5 (pour partie seulement) et 13.
46 C. Th. 12, 12, 12, : CI 10, 65, 5 : « unde honestum esse censemus de singulis quae tractanda erunt intra domos suas eos consuli… », « … d’où nous pensons honnête que s’ils doivent délibérer au sujet de ces choses en discussion, qu’ils le fassent dans leurs maisons ».
47 C. Th. 12, 12, 13 : « Pro suo loco at que ordine suvata reverentia dignitatis « avec la révérence due à la dignité par sa place et son rang ».
48 Idem : « procuratoribus destinatis sententiae suae promere voluntatem », « exprimer la volonté de son opinion par des procurateurs appropriés ».
49 C. Th. 12,12, 12 : CI 10, 65, 5 : « ut nec plebi mixta dignitas inclinatur », « afin que la dignité ne soit pas abaissée en étant mêlée à la plèbe » ; C. Th. 12, 12, 19 : « emeritos honor a plebe secernit », « l’honneur a séparé les émerites de la plèbe ».
50 C. Th. 12, 12, 1 (1 août 355) : « congruente arbitrio ».
51 C. Th. 12, 12, 12 : CI 10, 65, 5 : « quod maioris partis probarit adsensus ».
52 C. Th. 12, 12, 13 « cum adsensu omnium », mais aussi « ad quam omnium passit esse concursus, ne quid dispositio paucorum digat », « que le concours de tous à l’assemblée puisse être, afin que le choix de quelques uns ne l’emporte pas ». Cette dernière phrase est un peu ambiguë, s’agit-il de la participation ou du vote ?
53 C. Th. 12, 12, 3 (30 mai 364); C. Th. 12, 12, 9 (10 mai 380); C. Th. 12, 12, 12: CI 10, 65, 5 (28 juillet 312).
54 Ainsi C. Th. 12, 12, 10 (5 novembre 386), les débats ont lieu, semble-t-il, dans l’auditorium du préfet du prétoire.
55 C. Th. 12, 12, 4 (7 septembre 364), constitution dans laquelle le préfet opère un filtrage, C. Th. 12, 12, 10 ; C. Th. 12, 12, 12, constitution dans lauqelle le préfet du prétoire est destinataire des délibérations à charge pour lui de les transmettre pour approbation et décision à l’empereur ; C. Th. 12, 12, 14 (18 septembre 408).
56 C. Th. 12, 12, 7 (27 juillet 380) : « sed tractata habitoque conventu tres e provincia, qui petitiones abvehant, deliguntur ».
57 C. Th. 12, 12, 9 (10 mai 382), La constitution met aussi à la disposition des députés la poste publique (cursus publicus) pour se déplacer.
58 C. Th. 12, 12, 4: « Iuxta legem divi Constantini ».
59 C. Th. 12, 12, 5 (28 décembre 364): « obsignari eorum tabulas oportet, ut ad mansuetudi nem nostram fides earum… ». Les tablettes comportant quatre ou six faces, seules deux faces recouvertes de cire recevaient l’écriture interne, les autres faces n’étaient pas scellées et comportaient les écritures externes.
60 C. Th. 12, 12, 11 (15 février 386), cette constitution vaut aussi pour les députés d’une cité ou d’un corps quelconque : « si quis vel civitatis vel provinciae vel corporis alicuius ita prosequi desideria voluerit, ut non omnia mandata litterarum, decretorum auctoritate demonstrat, inauditus ac sine effectu remeare protinus iubeatur », « Si quelqu’un ou d’une cité ou d’une province ou de quelque corps veut faire suivre des vœux, s’il ne démontre pas tous les mandats par l’autorité des lettres ou des délibérations, qu’il lui soit ordonné de retourner immédiatement non écouté et sans effet ». Le mandat est en droit privé romain un contrat consensu ne nécessitant aucune formalité, il peut se faire par correspondance.
61 Ainsi C. Th. 12, 12, 3; 12, 12, 7; 12, 12, 9.
62 C. Th. 12, 12, 8 (25 mars 382). Valerius Severus réglementa la mendicité à Rome cf. A. Chastagnol, La préfecture urbaine à Rome sous le Bas-Empire, PUF, Paris, 1960, p. 276.
63 C. Th. 12, 12, 15 (5 octobre 416) : CI 10, 65, 6, la version justinienne est plus complète pour partie.
64 C. Th. 12, 6, 20 (27 octobre 386) : « Exactores et susceptores in celeberrimo coetu curiae consensu et iudicio omnium sub actorum testificatione firmentur provinciarumque rectoribus eorum nomina innotescant », « les percepteurs et les receveurs par le consentement et le jugement de tous en assemblée solennelle de la curie seront confirmés sous le témoignage des actes et leurs noms seront portés à la connaissance des gouverneurs des provinces ».
65 C. Th. 12,1, 171 (7 décembre 409 ou 412) : « Sane quoniam principalem locum et gubernacula urbium probatos administrare ipsa magnitudo deposcit ; sive ordinis praeindicio consensu curiae eligendos esse censemus, qui contemplatione actum omnium possint respondere iudicio », « Puisqu’évidemment la même grandeur réclame que des personnes approuvées se tiennent au principal au gouvernail des villes, nous ordonnons que soient élues (ou choisies) sous préjudice pour l’ordre par consensus de la curie celles qui en considération de tous les actes pourront répondre à ce jugement ».
66 C. Th. 14, 4, 9 (26 décembre 417) : « ad excludendos patronorum caudicariorum fraudes et portuensium furta mensorum unus a patronis totius consensu corporis eligatur… » « Pour exclure les fraudes des patrons bateliers et les vols des mesureurs des Ports, un des patrons sera élu (ou choisi) par consensus de tout le corps… ».
67 C. Th. 14, 4, 10 (19 juillet 419).
68 C. Bruschi, « Les officiales provinciaux au Bas-Empire romain », Thèse, 1975 Aix-en-Provence, p. 254 et p. 401 et s.
69 C. Th. 5, 14, 30 : CI 11, 59, 7 (25 octobre 386) : « ut consensu omnium fiat quod omnibus profuturum est ».
70 « Quod omnes tangit, ab omnibus tractari et approbari debet », Y.-M.J. Congar, « Quod omnes tangit », RHD 1958, avril-juin, p. 210-258. L’auteur ne cite pas la constitution de 386, mais fait remonter la règle à une loi de Justinien sur la tutela (CI, 7, 10, 1, 23) de 531.
Auteur
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille III
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