Conclusion du titre II
p. 747-748
Texte intégral
12083. Si la sanction des comportements maritimes à risque devient plus que jamais un impératif face à la recrudescence des catastrophes environnementales d’origine maritime, « le transfert à la responsabilité pénale de toute la politique de sanction des fautes pourrait conduire à un gonflement démesuré de notre droit répressif, difficilement compatible avec les caractères fondamentaux que nous lui avons toujours reconnus »1 prévient le Pr Y. Flour.
22084. Sans doute a-t-on pu défendre l’idée qu’à la différence du droit pénal qui vise à « punir le coupable », « le droit civil lui tend à assurer la réparation du préjudice causé »2, en d’autres termes qu’il n’existerait que des « sanctions réparatrices »3. Il n’en demeure pas moins, ainsi qu’a pu le démontrer Starck, que « le droit civil tout entier baigne dans cette atmosphère pénale »4. Au titre des traits saillants de l’évolution du droit pénal, il convient de souligner que celui-ci tend à accorder une place de plus en plus importante à l’idée de pure restitution dans l’intérêt bien compris des victimes. L’acte criminel ne créerait de dette que vis-à-vis de la victime et non plus tant de la société. La victime n’en conserve pas moins « un intérêt moral d’essence vindicative et de caractère pénal à se constituer partie civile »5.
32085. Ainsi fonctions punitive et réparatrice de la responsabilité seraient-elles de plus en plus intimement liées. Aussi, les victimes d’infractions seraient toujours plus tentées de porter leur action devant une juridiction répressive, séduites, par un moindre coût, la rapidité de l’instruction et une plus grande facilité car dans ce cadre c’est au Ministère public qu’il appartient de démontrer que les éléments constitutifs de la responsabilité sont réunis. Toutefois la voie pénale ne saurait s’envisager sans le respect du principe de la légalité des délits et des peines. En l’occurrence, il apparaît déjà que pour engager la responsabilité de l’affréteur, mener une action au civil apparaît moins scabreux que de la mener au pénal. Aussi dans de telles circonstances, il importe plus que jamais de reconsidérer la fonction punitive de la responsabilité non pas tant à des fins indemnitaires, si l’on décidait de confier au fonds la mission d’indemniser à première demande mais à des fins répressives. Les potentialités répressives du droit civil existent, nous avons montré très concrètement comment elles s’exercent déjà. Ainsi « Responsabiliser c’est tout autant la fonction du droit civil que celle du droit pénal »6.
42086. Cette capacité de la responsabilité civile à jouer aux côtés de la responsabilité pénale une fonction punitive devrait toujours être plus démontrée. Ainsi que le souligne le Pr F. Pollaud-Dulian7, il existe un rapport entre le mouvement de dépénalisation du droit des affaires et le regain d’intérêt pour la faute dans la responsabilité civile. A partir du moment où le législateur abandonne la régulation pénale de certaines activités, la fonction de sanction, de peine privée et de moralisation des comportements, se déporte tout naturellement dans le champ de la responsabilité civile. Ce mouvement devrait se faire ressentir dans des domaines comme celui de la sécurité maritime, ou de l’environnement en général, marin en particulier où la répression est souvent ineffective8. Cela tient à plusieurs facteurs, et notamment au foisonnement de textes épars, à la multiplication d’incriminations spéciales, à la présence de sanctions hétérogènes et peu dissuasives. Mais encore aussi parfois, et cela assez paradoxalement, à l’absence d’incriminations formelles, de comportements a priori répréhensibles, mais pourtant impunis. Enfin, on peut penser que l’interposition d’une tierce personne, en l’occurrence d’un Fonds faisant écran entre la victime et l’auteur potentiel du dommage pourrait contribuer à opérer une dissociation plus nette entre les territoires respectifs de la responsabilité civile et de la responsabilité pénale.
Notes de bas de page
1 FLOUR (Y.), Faute et responsabilité civile : déclin ou renaissance ?, Droits-5, 1987, p. 42.
2 V. not. COLIN et CAPITANT, Traité élémentaire de droit civil, t. III, n° 2364 cité par STARCK ( B), Essai d’une théorie générale de la responsabilité civile considérée en sa double fonction de peine privée, p. 369
3 OST (F.) et VAN DE KERCHOVE (M.), Le présent, horizon paradoxal des sanctions réparatrices, in Philosophie du droit et droit économique Mélanges en l’honneur de G. FARJAT, éd. Frison-Roche, 1999, p. 479, spéc. p. 583.
4 STARCK (B), Essai d’une théorie générale de la responsabilité civile considérée en sa double fonction de peine privée,précit., p. 369
5 MERLE (R). La distinction entre le droit de se constituer partie civile et le droit d’obtenir réparation du dommage causé par l’infraction (consolidation, mise au point ou fluctuation ? ) in Droit pénal contemporain, Mélanges en l’honneur d’André Vitu, Paris, Cujas 1989, p. 389.
6 COLLART DUTILLEUL (F.), Regards sur les actions en responsabilité civile à la lumière de la vache folle, Revue de droit rural, n° 252 avril 1997 p. 226.
7 POLLAUD-DULIAN (F.), De quelques avatars de l’action en responsabilité civile dans le droit des affaires, RTD com. 1997, p. 349, spéc. p. 355.
8 Nous renvoyons sur ce point à l’ étude du Professeur Ph. CONTE, « Effectivité », « inefficacité », « sous-effectivité », « surefficacité »... : variations pour droit pénal, Mél. Pierre CATALA, Le droit privé à la fin du xxème siècle, Litec, 2001, p. 125, spéc. p. 131. L’auteur observe que « le droit pénal est la source de sa propre ineffectivité ».
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