Chapitre I. Du nécessaire recentrage de la responsabilité pénale sur sa traditionnelle fonction punitive
p. 629-681
Texte intégral
11709. En présence de pollutions majeures résultant du transport maritime, on ne saurait se satisfaire d’une réparation fut-elle intégrale. La responsabilité civile, autrefois regardée comme garante d’une certaine morale n’est plus nécessaire à la satisfaction du besoin de réparation. Réduite à une simple question de répartition d’une charge économique sur un plan collectif, la réparation ne saurait, dès lors, suffire à apaiser les victimes. Ces dernières ont un insatiable besoin de vérité. Or, la responsabilité pénale, de par sa forte connotation idéologique paraît particulièrement en mesure de satisfaire cette demande. Le droit pénal est tout entier dominé par le principe de culpabilité. En l’absence de faute, il ne saurait exister d’infraction. Pour des raisons d’efficacité, la société aurait tort de négliger systématiquement la culpabilité subjective des individus. La peine, en effet, a beaucoup plus de chance de porter si elle s’attaque aux racines même du mal plutôt qu’à des résultats extérieurs. Ce qui est important, c’est le sentiment de culpabilité et la crainte du châtiment. Le risque pénal menace ceux qui ont eu le pouvoir décisionnel dans la chaîne de sécurité. L’événement catastrophique témoigne le plus souvent d’un dysfonctionnement dans cette chaîne. Négligée en matière civile du fait de l’objectivation de la responsabilité, la faute devrait être au centre de toutes les préoccupations en matière pénale, car la peine est nécessairement subjective et individualisée. En ce sens le droit pénal devrait normalement se démarquer des tendances objectives du droit civil.
21710. Toutefois, force est d’admettre que la frontière entre droit pénal et droit civil peine à se stabiliser. Ceci est particulièrement patent en droit français où il existe un lien particulier entre responsabilité civile et responsabilité pénale. En effet, faculté est offerte à la victime d’une infraction pénale de porter son action en réparation à son choix soit devant le juge civil, soit devant le juge pénal. Cette possibilité de se constituer partie civile devant le tribunal répressif et d’obliger par là même le ministère public à déclencher les poursuites pénales est, en effet, ignorée par la plupart des autres systèmes juridiques. Peut-être faut-il y voir exprimer l’idée selon laquelle en France, plus qu’ailleurs on s’intéresserait davantage au pénal qu’au civil1. Il s’agirait là d’une tendance ancienne qui pourrait expliquer notamment que contrairement à ce qui s’est passé pour l’affaire de l’Amoco-Cadiz2ou qui aurait pu se passer pour l’Exxon Valdez aux États-Unis si une transaction n’était pas intervenue, l’affaire de l’Erika sera examinée non pas par une juridiction civile mais par une juridiction pénale3.
31711. Or, s’il est vrai que le droit pénal maritime français s’inspire beaucoup du droit international et, notamment, de la Convention MARPOL, il n’en reste pas moins un droit régalien, territorial. Dès lors, nos développements ne peuvent manquer de s’inscrire dans cette perspective nationale, quelque peu originale s’agissant d’un droit à vocation international très marqué. Plus encore, cette préférence française pour le droit pénal paraît devoir conditionner assez directement notre réflexion sur la sanction des comportements maritimes à risques par le droit pénal. Après avoir mis en évidence le risque de détournement de la sanction pénale à des fins curatives dans le droit français (section 1), il nous appartiendra de convaincre de la nécessité de recentrer la sanction pénale sur sa traditionnelle fonction punitive (section 2).
SECTION 1. LE RISQUE DE DÉTOURNEMENT DE LA SANCTION PÉNALE À DES FINS INDEMNITAIRES
41712. Alors même que le procès pénal à travers la mise en œuvre de l’action publique aurait pour principal objectif de sanctionner pénalement le coupable, les victimes ont la possibilité de saisir les juridictions répressives dans le cadre d’une action civile pour obtenir réparation des dommages en présence d’une infraction pénale4. Face à la faiblesse de l’offre d’indemnisation proposée par le dispositif conventionnel CLC/ FIPOL en cas de pollutions majeures, cette procédure d’indemnisation paraît toujours plus séduire les victimes.
51713. Ainsi dans l’affaire de l’Erika, une quarantaine d’associations de défense de l’environnement, le Conseil général de Vendée, les Conseils régionaux de Bretagne et des Pays de la Loire ainsi que plusieurs communes ont définitivement choisi d’affronter les présumés responsables par la voie judiciaire traditionnelle5. Ce qui incite les victimes à s’engager dans cette voie, c’est essentiellement l’espoir d’obtenir une meilleure indemnisation. L’action civile fut-elle exercée devant le juge pénal, apparaît en effet d’abord comme une action à vocation indemnitaire (§1). Nul doute que la constitution de partie civile, parce qu’elle met précisément en œuvre l’action civile, renforce ce statut au point peut-être de « doper » les velléités indemnitaires du juge pénal (§ 2)
§ 1. L’action civile devant le juge pénal, une action à vocation indemnitaire
61714. Cela ne saurait faire illusion. L’action civile bien qu’exercée devant un juge pénal a un caractère « essentiellement patrimonial »6 . Défendre l’idée selon laquelle l’action civile serait une action à vocation indemnitaire est loin d’être anodin. C’est en effet prendre partie dans la célèbre controverse qui opposait Boulan7 à Vouin8 au sujet de la nature de l’action civile. Tandis que le premier considérait que l’action civile présentait un « double visage », civil et pénal, le second ne lui en reconnaissait qu’un seul, le civil. Apporter son soutien à cette seconde thèse suppose de convaincre de ce que la réparation est l’objet essentiel de l’action civile (A) l’objectif de répression ne constituant dès lors qu’un objectif mineur (B).
71715. Si, au premier abord, l’évocation de ces querelles doctrinales apparaît quelque peu nous éloigner de notre sujet, nous montrerons que, bien au contraire, il n’en est rien, car elle participe d’une réflexion tout à fait indispensable sur la nature des fonctions confiées ou confisquées à la responsabilité pénale dans le cadre d’une action en justice engagée à l’occasion d’une pollution majeure résultant du transport maritime.
A. La réparation, objectif affiché de l’action civile
81716. Pour convaincre de ce que la réparation est l’objet essentiel de l’action civile, il n’est pas sans doute de meilleur moyen que de mettre en évidence les similitudes que présente cette action avec l’action en responsabilité délictuelle « classique » exercée devant les juridictions civiles. Celles-ci sont tout particulièrement patentes s’agissant tant des caractères (1) que des modalités de la réparation (2).
1. Des caractères de réparation identiques
91717. En premier lieu, l’action civile, malgré son origine pénale, confère à la réparation un caractère compensatoire. Pour que la peine puisse être comprise comme compensatrice, il est nécessaire que le mal subi donne lieu à une sanction du même genre et équivalente ou proportionnelle à celle-ci. Ainsi que le souligne, Madame M.-E. Roujou de Boubee9, il doit exister une certaine fongibilité entre l’avantage perdu et celui qui est alloué.
101718. L’équivalence est, en effet, inhérente à la compensation. Dans la perspective de la réparation, la compensation ne suppose pas nécessairement la considération du caractère volontaire et compris de l’acte dommageable. Il n’y aura plus réparation mais peine privée lorsqu’un dommage étant causé, l’indemnité à verser par l’auteur à la victime différera par le montant de celui du tort éprouvé. Cette possibilité d’infliger des dommages et intérêts punitifs consacrés par certains droits étrangers procèdent d’une confusion très nette entre la peine et la réparation.
111719. Seul, le dommage constitue le critère de la compensation, tant dans la responsabilité civile que dans l’action exercée devant les juridictions répressives. Dès lors, la faute ne saurait interférer dans les modalités de réparation. On s’expliquera dès lors qu’une très faible faute puisse entraîner une réparation importante, et qu’au contraire une faute d’une particulière gravité puisse donner lieu à une réparation infime. Cela est du reste logique, puisqu’il s’agit de réparer et non de punir.
121720. En second lieu, à l’instar de l’action en responsabilité délictuelle exercée devant les juridictions civiles, l’action civile confère à celui qui l’exerce la certitude d’obtenir une réparation intégrale. Le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage. L’action civile ne saurait se départir de ce principe : la totalité du préjudice causé par l’infraction doit être réparée. Conçue comme une action en réparation intégrale d’un préjudice, elle se distingue par conséquent très avantageusement des mécanismes d’assurance, ou même des fonds d’indemnisation. Le dommage constitue l’exacte mesure de la réparation intégrale. L’action civile, comme toute action en responsabilité, ne peut donc donner lieu ni à une réparation forfaitaire, ni à une réparation inférieure ou supérieure au préjudice. Bien plus encore que ses caractères, les modalités pratiques de l’action civile pourraient constituer des indicateurs particulièrement révélateurs de sa nature patrimoniale. Là encore, les juridictions répressives se seront calées sur les juridictions civiles.
2. Des modalités de réparation identiques
131721. S’il existe des divergences dans l’exécution de la réparation entre les chambres civiles et criminelles de la Cour de cassation, celles-ci ne sauraient remettre en cause le rattachement de l’action civile aux règles générales des actions en responsabilité. Car, si particularités il y a, elles sont dictées par le souci de rendre la réparation effective. S’agissant, en premier lieu, de la mise en œuvre de la réparation, une fois constatée l’étendue et la réalité du préjudice, le juge enjoint le responsable de le réparer. Lorsque le dommage ne peut être imputé à un seul responsable, car résultant de l’action combinée de plusieurs facteurs, le juge doit se prononcer sur la charge définitive incombant à chacun. La répartition de la charge de la réparation s’opère de manière similaire qu’il s’agisse de l’action civile ou d’autres actions en responsabilité n’ayant pas pour fondement une infraction pénale.
141722. La mise en œuvre de la réparation dans le cadre de l’action civile s’opère selon des principes identiques à ceux de la responsabilité civile. Qu’il s’agisse de réparation en nature ou par équivalent, la victime doit être replacée dans la situation la plus proche de celle qu’elle occupait avant la survenance du dommage. Ainsi, le contenu de la réparation dans le cadre de l’action civile n’est pas traité autrement que s’il s’agissait d’une action en responsabilité n’ayant pas sa cause dans une infraction pénale.
151723. Cette identité de traitement se retrouve également s’agissant de la charge de la réparation, c’est-à-dire non seulement au stade de l’obligation à la dette, lorsqu’il s’agit d’identifier les personnes susceptibles d’être actionnées par les victimes, mais encore au stade de la contribution à la dette puisque les co-débiteurs disposeront entre eux d’actions récursoires toutes les fois qu’ils auront payé une part plus importante que celle qui leur incombait.
161724. On notera toutefois que l’action récursoire des co-débiteurs ne relève pas directement de la notion d’action civile. La Cour de cassation a, en effet, affirmé que le partage de responsabilité entre co-responsables devait échapper à la compétence de la juridiction répressive10. L’action récursoire relève donc des juridictions civiles. Cette réserve mise à part, le régime de l’action récursoire est le même, que les responsables aient été poursuivis pénalement ou pas ; la part contributive de chacun étant déterminée en fonction de la gravité respective de ses fautes.
171725. S’agissant en second lieu de l’exécution de la réparation, droit civil et droit criminel paraissent conjuguer leurs efforts pour assurer l’exécution des réparations des dommages causés par des infractions. Les moyens d’exécution de la réparation pourtant souvent occultés dans l’étude de l’action civile constituent des indicateurs importants de la conception patrimoniale des modalités de la réparation.
181726. Cette évolution s’explique par l’émergence de nouveaux fondements de la politique criminelle qui accorde désormais une attention marquée à la situation des victimes d’infractions pénales. L’essentiel est désormais de faciliter l’indemnisation effective de la victime. C’est cette priorité dont rend compte l’adoption du délit d’organisation frauduleuse d’insolvabilité, issu de la loi du 8 juillet 1983 relative au renforcement de la protection des victimes d’infractions pénales.
191727. Toutefois, au stade de l’instruction, des mesures préventives sont déjà envisageables. Ainsi, à l’instar de ce qui s’est passé dans le cadre de l’affaire de l’Erika, le juge d’instruction peut ordonner au titre du contrôle judiciaire la fourniture d’un cautionnement11 destiné à garantir notamment le paiement de la réparation des dommages causés par les différentes infractions relevées. Dans de telles conditions, on s’expliquera que la présence de la sanction au sein de l’action civile puisse être discutée.
B. La sanction, objet discuté de l’action civile
201728. Doit-on reconnaître à l’action civile une double finalité ? A savoir celle de rechercher la satisfaction personnelle des victimes tout en se préoccupant de punir le responsable. Pour asseoir cette première thèse, ses défenseurs mettent en avant les particularités de l’exercice de l’action civile devant la juridiction répressive et le rôle prépondérant accordé à la victime au cours du procès pénal. Mais une seconde thèse est également défendable, celle qui consiste à voir dans l’action civile une action en réparation d’un genre particulier. Simplement évoquées en introduction, les deux thèses en présence doivent être maintenant développées de façon à faire ressortir l’objet de leur controverse à savoir le caractère vindicatif ou non de l’action civile (1). De cette confrontation critique devrait émerger l’idée selon laquelle le caractère vindicatif ne peut être reconnu qu’à la seule constitution de partie civile (2).
1. Le caractère controversé de l’objet vindicatif de l’action civile
211729. Discuter de l’objet vindicatif de l’action civile suppose de présenter les deux thèses en présence. De deux choses l’une, soit l’on admet l’inclusion d’un objet vindicatif dans une action civile à double visage, soit on entérine l’exclusion de l’objet vindicatif dans une action civile à visage unique.
221730. *Le premier terme de l’alternative, la conception dualiste, repose sur l’idée que l’action civile lorsqu’elle est exercée devant les juridictions répressives a une double nature juridique. Elle est la fois pénale et civile. Ce faisant, on admet donc, qu’en dépit de la présence du Ministère public, représentant de la société et en charge des poursuites, les victimes disposent de larges prérogatives pénales. Elles ont notamment la possibilité de solliciter des mesures d’instruction, de faire appel de certaines ordonnances du juge d’instruction ou même de former un pourvoi en cassation contre les arrêts des Chambres d’accusation. Cette connotation vindicative attachée à l’action civile pourrait même expliquer le développement des actions civiles des groupements à but non lucratif s’agissant d’infractions portant atteinte à des intérêts collectifs. Dès lors, on soupçonnerait presque lesdits groupements de vouloir s’ériger en procureur dans la poursuite des infractions au risque de menacer l’action publique. Au soutien de leur thèse, les défendeurs de la conception pénale de l’action civile soutiennent également que cette qualité ressort de l’application de la règle de la primauté du criminel sur le civil.
231731. *Le second terme de l’alternative repose lui sur l’exclusion de l’objet vindicatif dans une action civile à visage unique. Elle repose sur l’idée que l’action civile tend aussi bien devant les juridictions répressives que civiles à la réparation des dommages causés par une infraction, à l’exclusion de toute considération vindicative. Selon cette conception unitaire, l’action civile serait unique12. La participation de la victime à l’instance pénale ne suffirait pas à modifier la nature de ladite action. Au contraire, il faudrait voir dans le développement de la constitution de la partie civile une possible manifestation d’un dévoiement du concept d’action civile, sa seule finalité étant et devant rester patrimoniale.
241732. Il existe du reste des arguments textuels en faveur de l’objet patrimonial de l’action civile. Ainsi, jusqu’à l’entrée en vigueur du Code pénal issu de la loi de 1992, les règles applicables à l’action civile devant les juridictions pénales étaient celles des articles 1382 à 1386 du Code civil, soit le droit commun de la responsabilité civile délictuelle. Mais c’est sans doute dans le Code de procédure pénale que l’on trouve les indices les plus forts du caractère patrimonial de l’action civile. L’article 2 du Code de procédure pénale est sans doute la disposition la plus déterminante dans le rejet d’une conception dualiste de l’action civile, dans la mesure où cet article définit l’action civile comme « l’action en réparation d’un dommage causé par un crime, un délit ou une contravention ». A lire le Code, l’action civile ne serait donc qu’une action en réparation à l’exclusion de toute finalité pénale.
251733. Cette défense de la conception moniste de l’action civile, notamment par le Pr G. Viney, emporte des conséquences non négligeables quant à la qualité des rapports qu’entretiennent responsabilités civile et pénale. A travers elle, la question de l’autonomie du droit pénal paraît posée. Or, cette conception moniste si elle reflète l’évolution contemporaine de la jurisprudence n’est pas pleinement satisfaisante car elle tend sensiblement à occulter le caractère répressif de la participation de la victime au procès pénal. Dès lors, tout en restant dans le prolongement de cette conception, la solution aux fins de concilier ces deux thèses ne consisterait-elle pas à opérer une distinction entre l’action civile et la participation de la victime au procès pénal ? En d’autres termes, il s’agirait de reconnaître un caractère vindicatif à la seule constitution de partie civile.
2. Le caractère vindicatif de la constitution de partie civile
261734. L’idée selon laquelle il conviendrait de dissocier l’action civile de la mise en mouvement de l’action publique par la constitution de partie civile, pour ne reconnaître qu’à cette dernière un caractère vindicatif, est notamment défendue par le Pr G. Viney. Dès lors, seule cette initiative pourrait offrir à la fois, à celui qui la prend, non seulement la possibilité d’obtenir réparation du dommage causé par l’infraction, mais aussi celle de solliciter la punition de son auteur.
271735. La preuve la plus parfaite de ce que la constitution de partie civile puisse avoir un caractère vindicatif tient au fait que la jurisprudence pénale contemporaine reconnaît aux victimes le droit de déclencher l’action publique, indépendamment de toute considération indemnitaire en se constituant partie civile. Cette dualité qui s’exprime notamment par la possibilité de dissocier la finalité civile de la réparation de la finalité pénale de la répression est particulièrement mise en évidence lorsque la victime déjà indemnisée choisit de se constituer partie civile. La constitution de partie civile dans cette hypothèse révèle alors au mieux l’« aspect de revendication répressive »13 qui lui est attaché14.
281736. Cette distinction entre l’action civile et la participation de la victime au procès pénal résulte d’une évolution historique bien connue au terme de laquelle l’action civile s’est peu à peu dégagée de toute considération vindicative, aboutissant à la séparation de l’action publique et de l’action privée. Dans la mesure où il n’a jamais été question d’admettre que l’action civile comporte une finalité répressive devant les juridictions civiles, il convient alors de considérer que la finalité de l’action civile est la même, c’est-à-dire réparatrice, aussi bien devant les juridictions civiles que répressives, puisqu’il s’agit de la même action.
291737. Dès lors, il faut admettre que seule la constitution de partie civile puisse se recommander d’une conception duale, c’est-à-dire à la fois réparatrice et répressive. Cette distinction entre l’action civile et la constitution de partie civile est aussi révélée par l’appréciation qui est faite du dommage. Pour être réparable, le dommage doit être généralement certain, direct, et actuel. Or, pour que la demande de constitution de partie civile soit recevable devant une juridiction d’instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s’appuie permettent au juge d’admettre comme possible l’existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale15.
301738. La distinction entre l’action civile et la participation de la victime au procès pénal tend aujourd’hui à se généraliser. Pour les personnes physiques, il est patent de constater que la participation au déclenchement et au déroulement du procès pénal est souvent considérée comme une prérogative fondamentale qui s’inscrit fréquemment dans la perspective d’une fonction cathartique du procès pénal.
311739. Si la dissociation de la finalité civile de la réparation et de la finalité pénale de la répression s’est constamment précisée16, leur proximité dans le cadre de l’action civile du fait de la constitution de partie civile a sans cesse contribué à brouiller un peu plus les frontières17. Ainsi, le Pr B. Bouloc n’exclut pas l’idée d’un véritable dévoiement de l’action civile dans le cadre de la constitution de parties civiles des associations de protection de l’environnement en cas de rejets illicites d’hydrocarbures. En effet, ces associations réclament des sommes correspondant à l’étendue présumée de la nappe des hydrocarbures (1 ou 2 euros du m2) sans même fournir la preuve de la moindre dépense effectuée afin de remédier aux effets des rejets. Or il ne fait aucun doute que les principes en matière de responsabilité civile et d’action civile exercée contre les pollueurs sont ceux de l’article 2 du Code de procédure pénale et de l’article 1382 du Code civil. On doit réparer le préjudice subi directement par ceux qui ont été victimes personnellement de l’infraction et non un préjudice purement hypothétique. Tant et si bien que l’on peut aujourd’hui se demander si la constitution de partie civile n’a pas dopé les velléités indemnitaires du juge pénal.
§ 2. La constitution de partie civile, une initiative susceptible de stimuler les velléités indemnitaires du juge pénal
321740. Pour mettre en évidence l’idée selon laquelle la constitution de partie civile pourrait doper les velléités indemnitaires du juge pénal, il convient, dans un souci didactique, de rappeler les fonctions traditionnellement attribuées au droit pénal (A). Cette première approche doit nous amener à conclure que la fonction indemnitaire du droit pénal est pour l’heure nécessairement adventice. Pourtant, parce que la procédure d’indemnisation par voie de constitution de partie civile est de plus en plus empruntée, ne pourrait-elle pas à terme conditionner l’action publique au point de convaincre le juge pénal de se mettre toujours plus à l’écoute des préoccupations indemnitaires des victimes alors que l’on n’attendrait essentiellement de lui qu’il statue sur les responsabilités pénales stricto sensu ? En d’autres termes, ne doit-on, pas craindre que ces préoccupations indemnitaires soient à terme porteuses d’un risque de dénaturation pour le droit pénal (B). Si cela venait à se vérifier, il nous appartiendrait alors de formuler quelques propositions en vue de juguler ce risque de dénaturation (C).
A. Les fonctions traditionnelles du droit pénal
331741. Rappeler, même brièvement, les fonctions traditionnelles du droit pénal, la démarche apparaît essentielle à l’heure où une crise sans précédent ébranle l’édifice de la responsabilité dans son entier. Retrouver le sens des valeurs défendues par le droit pénal pour mieux s’attacher à en conserver l’essence, tel est ce qui motive nos développements. Au droit pénal, on prête essentiellement deux fonctions : la plus innée est certainement la fonction punitive (1), mais cette dernière en appelle une autre préventive ou protectrice (2).
1. La fonction punitive
341742. « La responsabilité pénale repose d’abord sur sa finalité : sanctionner qui se rend coupable non pas d’une simple erreur de comportement, mais d’une transgression des règles essentielles admises par la société »18. La fonction première du droit pénal est donc de réprimer celui qui, bien qu’averti de la sanction à laquelle il s’exposait, a transgressé la norme pénale. En ce sens, l’objectif recherché par le droit pénal se dissocie nettement de celui que poursuit le droit civil. Alors que la responsabilité civile tend à la réparation des dommages causés à une personne physique ou morale, la responsabilité pénale vise à défendre la société contre des actes plus ou moins graves susceptibles de troubler l’ordre public.
351743. La responsabilité pénale ne peut donc être envisagée sans la possibilité de la blâmer. Elle est subordonnée à la découverte d’une faute, tantôt de négligence ou d’imprudence, commise en principe personnellement par l’auteur de l’infraction. A l’exact opposé, la responsabilité civile, notamment par l’entremise de la théorie du risque et de la garantie, permet d’assurer une indemnisation aux victimes sans culpabiliser inutilement l’auteur des dommages. En effet, dans la responsabilité civile, l’élément fondamental devient le dommage, puisque la faute cesse d’être nécessaire à son engagement.
361744. L’esprit de cette fonction punitive du droit pénal est incarné par le déclenchement de l’action publique, laquelle vise précisément à établir les responsabilités pénales. Ainsi, dans l’affaire de l’Erika, trois jours après le naufrage du pétrolier, une information judiciaire a-t-elle été ouverte à la demande du Ministère public, par le juge d’instruction près du Tribunal de grande instance de Paris. Ce dernier a délivré au commandant de la Gendarmerie maritime de Paris une commission rogatoire internationale visant à déterminer les circonstances du naufrage. Cette procédure du moins si la culpabilité des mis en examen devait être établie se traduira par le prononcé de sanctions pénales. A la logique rétrospective de la sanction pénale qu’exprime la condamnation du délinquant, s’ajoute une logique préventive.
2. La fonction préventive
371745. Le simple fait pour le législateur d’ériger un comportement en infraction témoigne de sa volonté de conférer une protection particulièrement efficace à une valeur puisque quiconque s’aviserait de lui porter atteinte s’exposerait à une sanction pénale. Le droit pénal est donc foncièrement préventif. Ainsi que l’ont souligné les Prs Ph. Conte et P. Maistre du Chambon19, cette prévention s’exerce à un double niveau. En premier lieu, en direction du délinquant dans le cadre d’une prévention individuelle il s’agit alors de le détourner de toute tentation de récidive. En second lieu, dans le cadre d’une prévention collective, il s’agit de dissuader à plus grande échelle, par exemple les membres d’un groupe appartenant à une même profession.
381746. Toutefois, force est admettre que cette capacité dissuasive du droit pénal ne trouve à s’exprimer pleinement que lorsque les comportements qu’elle veut empêcher sont des comportements volontaires que l’homme peut choisir ou ne pas choisir. Ainsi un auteur20 a pu exprimer son scepticisme quant à la réelle valeur dissuasive du droit pénal en présence de situations accidentelles, comme le sont les catastrophes maritimes à l’origine des pollutions. Dans cette hypothèse, il conviendrait de quitter le champ pénal de la répression pour se placer sur le champ civil de la réparation.
391747. En tout état de cause, une politique de prévention, pour être véritablement efficace, doit se focaliser sur les comportements et non sur leurs éventuelles conséquences. Cette fonction normative apparaît du reste comme un trait caractéristique du droit pénal moderne21. Attaché à édicter des normes de comportement, appelé à compléter une réglementation toujours plus volumineuse, le droit pénal s’emploie à ne laisser aucun pan de l’activité économique hors de son emprise.
401748. Ainsi, l’examen des fonctions traditionnelles de la sanction pénale nous rappelle que la fonction curative n’est pas de celle que le droit pénal reconnaît comme telle. Or, manifestement, c’est cette fonction que souhaiteraient vouloir lui voir jouer de plus en plus les victimes de pollutions maritimes. Convient-il alors de reconnaître au droit pénal une fonction indemnitaire à part entière ? Rien n’est moins sûr. Si toute innovation n’est pas en soit une mauvaise chose, le droit est par nature une science évolutive soumise aux pressions sociales, elle l’est lorsqu’elle conduit à des dénaturations. Or, tel est le risque que fait planer sur le droit pénal le développement d’une fonction indemnitaire.
3. Les risques de dénaturation liés au développement d’une fonction indemnitaire
411749. On ne saurait, dans le cadre de cette thèse, retracer l’évolution des rapports entre responsabilité civile et responsabilité pénale22. Toutefois, alors même que l’on ne s’engagerait pas dans cette voie, force est de constater qu’il existe entre ces deux types de responsabilité des phénomènes d’interaction, d’interpénétration. L’examen des procédures engagées dans le cadre d’événements de pollutions majeures tel celui de l’Erika rend parfaitement compte de cela. Ainsi, la volonté de compenser l’insuffisante fonction normative de la responsabilité civile pourrait se traduire par une surpénalisation (1), tandis que le souci de faire jouer à la responsabilité pénale une fonction curative toujours plus prégnante conduirait à son objectivation (2).
1. Le risque de surpénalisation
421750. L’éviction de la faute rendue nécessaire par la généralisation de la responsabilité objective a entraîné une dilution extrême de la responsabilité individuelle. La responsabilité sans faute, parce qu’elle s’est traduite par un refoulement de la condition d’imputabilité, a anesthésié tout sentiment de responsabilité. Plus encore cette responsabilité sans responsable a contribué à désarticuler le droit23.
431751. Pourtant, les victimes ont fini par déchanter, considérant que le système qui leur était proposé était loin d’être probant. Ce sentiment de désamour s’est traduit par un recours plus massif, d’aucuns diront violent à la logique de responsabilité individuelle qu’incarne traditionnellement le droit pénal. Ce mouvement en faveur de ce qu’il faut bien appeler une « résurgence sociale de l’accusation »24 peut se comprendre, s’analyser. Quand bien même il masquerait un paradoxe que certains auteurs25 n’ont pas manqué de souligner « dans une société qui ne parle que de solidarité dans un souci de favoriser électivement une philosophie du risque »26, la recherche vindicative du responsable doit être considérée comme une tentative de « reculpabilisation » des véritables auteurs des dommages.
441752. Si l’on peut regretter cette dérive procédurale, qu’illustre parfaitement le phénomène de pénalisation des actions judiciaires en matière de pollution marine27, on ne saurait toutefois la réprouver eu égard à l’insuffisance ostensible des mécanismes indemnitaires. Car, quoiqu’on puisse en dire la « montée en puissance du droit pénal »28 constitue une réponse toute aussi concrète que logique aux lacunes de l’approche civiliste.
451753. Toutefois, peut-on raisonnablement penser que la dérive pénale29 constituera à terme une solution de rechange ? Rien n’est moins sûr. Ainsi que l’a justement souligné le Pr Ph. Delebecque30 à l’occasion d’une communication consacrée aux spécificités du droit pénal maritime, « le droit pénal est un droit d’appoint qu’il ne faudrait pas instrumentaliser ». Or précisément, le phénomène de pénalisation paraît particulièrement marqué en matière maritime, ou environnementale. La prolifération des réglementations sécuritaires et plus largement techniques tend à imposer toujours plus d’obligations de résultat offrant par là même toujours plus de prise à la théorie du risque en droit pénal31. Dans d’autres secteurs, on observe à l’exact opposé un mouvement de dépénalisation32. Ainsi paraît, se vérifier l’idée selon laquelle, en matière maritime, plus qu’ailleurs sans doute, la surpénalisation33 ne serait pas un mythe34 . Monsieur P. Simon35 va même jusqu’à considérer qu’il y aurait une maladie française dans le fait de vouloir pénaliser le droit alors que le pénal devrait se limiter à la pathologie du droit. Si les excès du recours au juge pénal peuvent dans ce contexte s’interpréter comme un appel à la gestion des comportements, ils pourraient aussi être justifiés par le souci des victimes de se procurer une meilleure indemnisation.
46La recherche d’un tel objectif pourrait alors expliquer le second risque qui menace la responsabilité pénale, à savoir celui d’objectivation.
2. Le risque d’objectivation
471754. L’intensification du recours au droit pénal à des fins indemnitaires en matière de pollution maritime, n’aurait pas lieu d’être si certaines concessions n’avaient pas été faites par le juge pénal, notamment s’agissant de l’appréciation de la faute pénale36. « On enseigne traditionnellement qu’il faut pour retenir la responsabilité pénale d’une personne non seulement que la conduite matérielle attribuée à celle-ci ait répondu à la définition d’un comportement interdit par la loi, mais aussi que cette personne ait adopté ce comportement librement et en connaissance de cause. Il est nécessaire en d’autres termes que l’auteur matériel de l’infraction puisse se voir reprocher sa conduite et en mesurer la portée »37.
481755. Dans une conception classique, la responsabilité pénale est intimement liée à l’idée de culpabilité subjective. De sorte que si la liberté venait à faire défaut chez l’agent, celui-ci n’ait pas à répondre pénalement des conséquences de ses actes, car précisément il n’aurait pas eu la liberté d’enfreindre la norme de comportement ? « La réprobation sociale ne pouvant être infligée que dans la mesure où le passage à l’acte fautif est le résultat du libre arbitre. Autrement dit uniquement dans la mesure où l’agent avait la capacité de comprendre et de vouloir et n’a pas été soumis à aucune pression destructrice de sa liberté d’action et de décision, éléments constitutifs de l’imputabilité »38.
491756. Or contre toute attente, la responsabilité pénale existerait de plus en plus souvent indépendamment de toute culpabilité subjective. Elle ne serait donc pas épargnée par le mouvement de socialisation dont on connaît l’ampleur en droit civil. Le déclin de l’élément moral de l’infraction qui ouvre la voie à une responsabilité pénale objective apparaît tout à fait patent dans la législation récente39. Le développement spectaculaire de la catégorie des infractions dites contraventionelles ou matérielles en témoigne. Certains auteurs n’hésitent plus à évoquer l’émergence d’une « responsabilité pénale pour risque40 » mettant en avant un phénomène de « démoralisation » du droit pénal.
501757. Ainsi les juges n’hésiteraient plus désormais à se prononcer en faveur d’une condamnation pénale de principe pour sauver les intérêts privés de la partie civile, alors même qu’il n’existerait aucune faute véritable41. Or, « renoncer au principe de la faute comme condition de l’entrée en jeu de la répression conduit à priver le droit pénal d’une fonction essentielle, celle d’inciter les citoyens à se conformer aux règles de conduite édictées par la loi ». Le même auteur de s’interroger sur ce que « deviendrait cet effet de prévention collective, si chacun savait désormais que ses efforts les plus scrupuleux pour obéir aux commandements légaux ne peuvent désormais le soustraire à la sanction répressive ? »42
511758. Ainsi que cela a été justement souligné, une telle politique conduit à une « dévalorisation de la peine »43. La responsabilité pénale doit rester subordonnée par essence à la faute, tantôt intentionnelle, tantôt de négligence ou d’imprudence, commise personnellement par l’auteur de l’infraction. Si la responsabilité objective a pu constituer un temps un progrès en droit civil, elle doit être considérée comme une source de danger en droit pénal où le dogme de la responsabilité personnelle doit être impérativement sauvegardé.
521759. Il n’appartient pas au juge pénal de s’intéresser davantage à la réparation qu’à la peine. Viendrait-il à le faire, on le soupçonnerait de se laisser influencer dans son jugement par des arrière-pensées indemnitaires. Ce risque de voir forcer « un petit peu les règles d’interprétation en vigueur en droit pénal pour pouvoir toucher celui que l’on veut atteindre »44 a été évoqué à l’occasion de l’affaire de l’Erika. Le risque de dénaturation du droit pénal en présence de pollutions majeures résultant du transport maritime est donc réel. Aussi nous faut-il tenter de formuler quelques propositions en vue de le juguler.
B. Propositions en vue de juguler le risque de dénaturation du droit pénal
531760. Il faut, nous semble-t-il, partir d’un constat. Nul doute que l’évolution qui a présidé aux destinées de l’action civile est allée vers une affirmation toujours plus prononcée de sa nature civile. Au-delà de l’évidence terminologique qui a conduit à cette analyse, force est de reconnaître que cette action a eu tendance à contaminer par ses préoccupations indemnitaires l’action publique dirigée par le même juge pénal au point de dénaturer l’essence punitive du droit pénal. Cette orientation n’a sans doute pas été pour déplaire aux victimes qui, financièrement assez solides, ont pu se permettre d’affronter les responsables par la voie judiciaire à l’occasion de procédures longues et coûteuses mais pourtant aussi salutaires pour qui a besoin de voir désigné un pénalement responsable. Toutefois, parce que la place de la victime dans l’instance pénale a souvent été simplement conditionnée par sa santé financière, plus que délibérément choisie, la solution ne saurait être jugée pleinement satisfaisante.
541761. La logique qui a sous-tendu jusqu’ici nos propositions est celle d’une toujours plus grande dissociation des questions de responsabilité et de réparation. Or, précisément, en confiant au seul Super-FIPOL la tâche d’indemniser intégralement les victimes, nous avons laissé le champ libre à la recherche des responsabilités stricto sensu. S’agissant des responsabilités civiles, nous le verrons, il apparaît logique qu’elles soient fixées par le biais d’actions récursoires exercées par le SUPER-FIPOL. On peut penser que, pour respecter un certain parallélisme des formes, les responsabilités pénales pourraient être recherchées selon un même schéma. Car, ainsi que cela a été justement remarqué, il n’y a aucune raison de laisser les pollueurs à l’abri de leur responsabilité pénale lorsque des infractions ont été constatées. Toutefois, on peut penser, à l’instar du Pr A. Vialard, que « la condamnation pénale, si elle est obtenue, établira presque automatiquement la faute inexcusable sans rien ajouter à l’indemnisation », celle-ci étant désormais déjà intégrale ».
551762. Ce n’est donc pas seulement, vers la suppression de la compétence des juges répressifs en matière de responsabilité civile que l’on s’oriente. Plus radicalement, il s’agit en présence de pollutions majeures résultant du transport maritime, de supprimer l’action civile. Il y va, pensons-nous, de l’intérêt d’une bonne administration de la justice, et plus largement d’un souci de clarification du contentieux. En tout état de cause, pareille solution doit contribuer à enfin restituer au juge pénal sa compétence première, à savoir le jugement des comportements attentatoires à la loi pénale. Pour révolutionnaires qu’elles puissent paraître, ces propositions apparaissent comme le fruit d’une lente mais irréversible évolution. Dès lors, plus que jamais, il devient nécessaire de recentrer la sanction pénale sur sa traditionnelle fonction punitive.
SECTION 2. DU SOUHAITABLE RECENTRAGE DE LA SANCTION PÉNALE SUR SA TRADITIONNELLE FONCTION PUNITIVE
561763. Cette nécessité de recentrer la sanction pénale sur sa traditionnelle fonction punitive appelle un certain nombre de remarques préliminaires. Il va de soi que le succès d’une telle démarche est conditionné par la volonté clairement manifestée par le juge de se réapproprier la mission de juger. Car, force est de constater, le contentieux de l’Erika le démontre que par trop, que ce professionnel de la justice, faute de connaissance précise sur une matière certes technique45, a parfois tendance à s’en remettre un peu trop à l’avis formulé par l’expert qu’il a nommé. Or, quoi qu’il s’en défende ce dernier n’hésite plus à raisonner en arbitre46. « Non qu’il prétende rendre en bonne et due forme des sentences arbitrales, mais en ce qu’il bâtit son rapport en y introduisant des raisonnements qui procèdent en réalité de l’opération de juger, et non de celle d’éclairer autrui pour lui permettre d’opportunément de juger »47 .
571764. En tout état de cause, la sanction pénale appelée actuellement aussi bien à punir qu’à réparer a perdu de sa superbe, et plus encore de son effet dissuasif. C’est en ce sens que l’idée d’opérer un recentrage sur sa traditionnelle fonction répressive se fait de plus en plus pressante. Ce mouvement salutaire paraît pouvoir être initié tant à partir du choix des infractions (sous-section 1), que de celui des pénalement responsables (sous-section 2).
SOUS-SECTION 1. LE RECENTRAGE PAR LE CHOIX DES INFRACTIONS
581765. L’infraction, présentée comme le symptôme d’une personnalité dangereuse, peut se définir comme l’action ou l’omission imputable à son auteur, prévue ou punie par la loi d’une sanction pénale. Parce que la normalisation des comportements des acteurs du transport maritime reste un objectif général de la politique répressive, il importe particulièrement de s’attacher à sanctionner tout type de délinquance. La recherche de la responsabilité pénale des acteurs du transport maritime à l’occasion d’une pollution maritime loin de se cantonner à la seule identification des infractions de pollution autrement dit aux règles pénales de l’environnement maritime, (§ 1), s’entend aussi de l’identification des infractions d’imprudence (§ 2).
§ 1. L’infraction de pollution, normalisation des comportements maritimes à l’égard de l’environnement marin
591766. La pollution des mers est de ces terrains particulièrement fertiles pour le droit de la responsabilité. C’est peut-être en son sein que l’on trouve le système le plus achevé en matière de responsabilité pénale des personnes privées pour atteinte à l’environnement. « La nécessité qui est la mère de l’invention »48 explique pour partie cela. Pour préserver cet incommensurable réservoir de richesses49 contre toute forme d’agression, le législateur maritime international se devait de se doter d’un arsenal juridique spécifique. La pièce maîtresse, mais non unique, de ce dispositif est incontestablement la Convention de Londres, du 2 novembre 1973 pour la prévention de la pollution par les navires, modifiée par un important Protocole du 17 février 197850, et communément appelée Convention MARPOL. Les manquements aux normes énoncées dans cette Convention ratifiée par la France sont pénalement sanctionnés par la Loi française n° 583-1983 du 5 juillet 198351, maintes fois modifiée. La Loi du 3 mai 199052 mérite une mention spéciale, puisque désormais l’infraction de pollution s’entend aussi de tout rejet accidentel de substances liquides nocives53.
601767. L’infraction en général, de pollution en particulier suppose l’existence d’une faute pénale, c’est-à-dire une attitude psychologique moralement répréhensible. L’agent pénal doit avoir eu sinon la volonté de commettre l’acte interdit, au moins conscience de ce qu’il était interdit. Sans la preuve de cette culpabilité, sa responsabilité pénale ne peut être retenue car l’élément moral de l’infraction ferait défaut. Toutefois, trop stricte en présence de pollutions marines accidentelles, cette exigence aurait pu priver la répression de tout effet. Pour contourner cette difficulté, deux voies exactement opposées s’offraient : soit l’incrimination gagnait à viser le comportement sans se préoccuper du résultat, soit elle visait le résultat sans s’attacher au comportement54. Ces deux hypothèses correspondent très exactement aux deux sortes de fautes susceptibles de consommer un délit, à savoir le dol et l’imprudence.
611768. Ces considérations devaient motiver l’adoption par la Convention MARPOL de deux séries de normes. Les premières tendant à prévenir la pollution des mers en créant des « infractions-obstacles »(A), les secondes s’employant à réprimer les actes de pollution effective au moyen d’infractions-résultats »(B). Dans une hypothèse comme dans l’autre, il s’agira de s’interroger sur l’apport desdites infractions à la fonction normative des sanctions pénales.
A. L’apport des « infractions-obstacles » de pollution à la normalisation des comportements
621769. Ainsi que l’observe le Pr J.-H Robert « quoique certains comportements surnommés délits-papiers ne constituent pas un péril physique pour l’environnement, ils sont considérés comme le signe avant-coureur d’une dangerosité potentielle chez l’assujetti »55. Or, précisément dans ces hypothèses de « mise en danger abstraite » de l’environnement56, la présence d’infraction « de nature à décourager les contrevenants »57 de commettre une pollution, aussi dites d’infractions-obstacles pourrait s’avérer particulièrement déterminante dans la prévention des pollutions maritimes accidentelles. Avant même d’en envisager l’application en matière maritime (1), il convient de s’attacher à définir la notion d’infraction-obstacle (2).
1. Définition de la notion d’« infraction-obstacle »
631770. Dans un but de prophylaxie sociale, certains comportements qui n’engendrent pas en eux-mêmes de troubles pour l’ordre social, sont érigés en infractions dites d’obstacles parce qu’ils sont dangereux et constituent les signes avant-coureurs d’une criminalité58. Cette catégorie d’infractions vise plus particulièrement à sanctionner les imprudences, négligences et inobservations des règles de sécurité. Ces infractions sont dites d’obstacles car leur répression est censée dissuader la commission d’une autre infraction, qui elle serait source de dommages. Dès lors, ces infractions se singularisent par leur position.
641771. Elles se situent, en effet, en amont du dommage. Dans une « civilisation du risque »59 où il s’agit de prévenir toujours plus les situations accidentogènes, ces infractions-obstacles revêtent un intérêt indéniable. Aussi sont-elles créées à l’envi au fur et à mesure que se développent les réglementations sécuritaires. La prévention des accidents s’opère par une accumulation de procédures et de précautions pesantes et coûteuses. Ces dernières ne bénéficient en aucun cas directement aux chefs d’entreprises. Pour les préposés, elles représentent une entrave, car les règles de sécurité précisément visent à recadrer leurs activités.
651772. Aussi, dans un pareil contexte, l’effet dissuasif de la sanction pénale peut s’avérer particulièrement déterminant. Ceci se vérifie d’autant plus que dans des disciplines réputées techniques comme le droit de l’environnement, l’incrimination-obstacle est considérée comme une infraction intentionnelle. La Cour de cassation a, en effet, considéré que « la seule constatation de la violation en connaissance de cause d’une prescription légale ou réglementaire implique de son auteur l’intention coupable exigée par l’article L. 121-3 du Code pénal »60.
661773. Ce qui signifie, par exemple, que la négligence à s’informer de l’état de la réglementation est assimilée à la volonté de se dispenser de son observation. Dans un contexte de foisonnement normatif, la hiérarchie morale entre dol et imprudence n’est pas aussi tranchée que dans la doctrine classique, de sorte que la négligence est presque autant stigmatisée que l’intention. Eu égard à l’intérêt de ces infractions obstacles en terme de prévention, on ne saurait s’étonner de ce que le législateur y ait eu massivement recours en présence d’un risque de pollution maritime.
2. Application de l’« infraction- obstacle » en matière de pollution marine
671774. Aux fins de renforcer la sécurité maritime en général, environnementale en particulier, le législateur maritime international a prévu une première série de normes dont la finalité première est de prévenir la pollution. Tout manquement à ces règles est sanctionné par le législateur français. A cette fin, un certain nombre d’infractions-obstacles spécifiques ont été créées. La répression intervient à titre préventif pour atteindre certains comportements dangereux qui pourraient, s’ils persistaient, entraîner une pollution effective de la mer61.
681775. Parce que la mer est un milieu par lui même dangereux, dans lequel des « accidents de mer »62 peuvent conduire à des rejets de substances polluantes ou nocives, l’incrimination des délits obstacles peut conduire à un renforcement de la sécurité maritime. En ce sens, on peut dire de l’infractionobstacle qu’elle peut contribuer très directement à prévenir les pollutions accidentelles. Ainsi, peut être sanctionné le capitaine de tout navire qui aurait enfreint dans les eaux territoriales ou intérieures françaises les règles de circulation maritime édictées en application de la Convention de Londres du 20 octobre 1972 en vue de prévenir les abordages en mer et relatives aux dispositifs de séparation de trafic63. La responsabilité pénale est mise en jeu sans même qu’un accident ne soit encore survenu. Une simple violation des règlements suffit64.
691776. S’inscrivant dans une logique similaire, la Convention MARPOL pose un certain nombre de règles techniques, relatives à la conception, à l’équipement et à l’exploitation des navires transportant des hydrocarbures, et des substances nocives, en vue d’éviter ou de réduire les déversements accidentels en cas d’abordage, d’échouement ou d’échouage. La loi française du 26 février 199665 a permis d’introduire dans la loi du 5 juillet 1983 un nouvel article 7-2 punissant l’omission d’adresser à l’État côtier le plus proche « un compte-rendu aussi détaillé que possible des circonstances dans lesquelles est intervenu l’événement de mer pouvant entraîner ou ayant entraîné la perte de tout ou partie de marchandises dangereuses en colis au sens de la Convention SOLAS »66. Toutefois, parce que le risque zéro est une chimère, les infractions-obstacles ne sauraient suffire en elles-mêmes, elles doivent être utilement complétées par des infractions-résultat de pollution.
B. L’apport de l’« infraction-résultat » de pollution à la normalisation des comportements
701777. Pour pouvoir incriminer le résultat nocif, en l’occurrence la pollution, sans même s’attacher au comportement du délinquant, le législateur a traditionnellement recours à des infractions-résultats. La bonne ou mauvaise foi du délinquant est alors indifférente. Les faits parlent d’eux mêmes. Si cette façon d’appréhender les choses se conçoit s’agissant des contraventions pour lesquels aucun élément moral n’est requis, la solution pourrait indisposer s’agissant des délits, car, en définitive, force est d’admettre que les infractions-résultats tendent alors à instituer une responsabilité pénale pour risque67.
711778. Ainsi que cela a été justement observé, tandis que les infractions-obstacles sont relativement abondantes en matière d’atteintes portées au milieu, celles de résultat sont plus rares68. Les origines de l’incrimination de pollution accidentelle sont controversées, car la Convention MARPOL du 2 novembre 1973 ne vise pas explicitement les rejets accidentels. Une majeure partie de la doctrine et de la jurisprudence s’accorde toutefois pour considérer que les deux formes de pollution sont visées par ce texte69. Pour étayer cette affirmation, elle fait valoir un certain nombre d’arguments. En premier lieu, elle constate que dans le préambule de ladite convention, les États contractants font connaître leur intention de réduire au maximum les rejets accidentels. En second lieu, la définition du rejet que donne l’article 2 de la Convention doit s’entendre de tout déversement quelqu’en soit la cause. Celui-ci peut donc trouver son origine dans un écoulement, une évacuation, un épanchement ou une fuite.
721779. La minorité, s’exprimant notamment par la voix du Pr P. Bonassies70, considère pour sa part que la Convention MARPOL ne vise que les rejets volontaires. De surcroît, elle paraît admettre, et ce même dans les zones protégées, des rejets volontaires importants dans deux cas exceptionnels. Le premier est celui du rejet effectué par un navire pour assurer sa propre sécurité, celle d’un autre navire, ou la sauvegarde des vies humaines en mer71. Le second concerne le rejet provenant d’une avarie au navire ou à ses équipements. Dans cette seconde hypothèse, le propriétaire ou le capitaine ne doit pas avoir agi soit volontairement, soit témérairement et avec conscience qu’un dommage résulterait probablement de son comportement, étant entendu que toutes les précautions raisonnables doivent avoir été prises après l’avarie ou la découverte du rejet pour empêcher le rejet ou le réduire.
731780. Dès lors, le Pr P. Bonassies, de conclure que, dans la Convention MARPOL, sauf faute volontaire ou inexcusable, les rejets involontaires, conséquences d’un accident ou du dysfonctionnement d’un matériel, ne sont pas sanctionnés. Il n’en va pas de même en droit interne. En effet, en 1979, aux lendemains de l’émoi causé par le naufrage de l’Amoco-Cadiz, le législateur français72 a créé un délit de pollution involontaire de la mer par les hydrocarbures. S’agissant, en premier lieu, de l’élément matériel, le rejet doit avoir été entraîné par un accident de mer qui a été « provoqué » ou qui n’a pas été « maîtrisé », ou « évité ».L’accident ayant entraîné un rejet doit être, précise l’article 4 bis, « un accident de mer au sens des stipulations de la Convention de Bruxelles du 29 novembre 197973, c’est-à-dire au terme de l’article II de cette convention , un abordage, échouement ou un autre incident de navigation ou un autre événement survenu à bord ou à l’extérieur du navire qui aurait pour conséquence des dommages matériels dont pourrait être victime un navire ou sa cargaison ». Le spectre de l’accident est donc infiniment large. Loin de se limiter à l’abordage ou à l’échouement, pourra constituer un accident de mer, un naufrage, la rupture d’un joint de canalisation ou de la barre, un incendie ou une explosion survenus à bord ou à proximité du navire.
741781. Il convient toutefois, soulignons-le que l’accident ait été provoqué, ou n’ait pas été maîtrisé ni évité, par le capitaine, voire une autre personne. Dans de telles conditions, ces actes matériels de commission ou d’omission sont nécessairement entendus dans un sens très large. Le législateur se montre donc nécessairement peu exigeant s’agissant de l’élément matériel. On peut par conséquent imaginer que l’acte ayant provoqué l’accident puisse consister en une manœuvre du capitaine du remorqueur, ou dans le fait pour l’armateur d’avoir donné au capitaine des directives contraignantes quant à la route à suivre. Il peut encore s’agir d’un défaut de maîtrise si la propagation d’un incident mineur n’a pas été empêchée. Le défaut d’entretien du navire, ou de révision du moteur, l’absence de dispositifs modernes de sécurité sont autant d’éléments de nature à expliquer que l’accident de mer n’ait pas pu être évité.
751782. Toutefois, et cela constitue du reste une spécificité du droit pénal des pollutions maritimes, pour que de tels actes puissent être incriminés, il faut que, du point de vue de l’élément moral du délit, ils aient été accomplis par inobservation des lois et règlements, imprudence, ou négligence. Ainsi en est-il en présence d’une fausse manœuvre, d’un excès de vitesse du navire dans une passe délicate, de l’emprunt d’une route périlleuse, d’un appel tardif des secours, d’une erreur dans l’appréciation de la gravité d’une avarie, voire d’un mauvais choix des membres de l’équipage par l’armateur. Il n’en demeure pas moins que, dans ce type de circonstances, le juge conserve la possibilité de se déterminer au vu des circonstances. Cette liberté d’appréciation se rétrécit toutefois considérablement lorsque l’acte qui a causé l’accident constitue également une violation à une loi ou un règlement.
761783. Or, en exigeant un tel élément moral, le législateur érige le délit de pollution accidentelle des eaux non pas tant en une infraction matérielle, mais davantage en une classique infraction d’imprudence ou de négligence. On notera qu’en subordonnant la sanction des pollutions à la présence d’un « accident maritime fautif », la loi pourrait apparaître plus laxiste que la Convention MARPOL qui se contente, elle, d’une définition matérielle de l’infraction. Toutefois, il ne s’agit en définitive que d’une apparence. En effet, force est de constater que l’article 8 de la loi du 5 juillet 1983, maintes fois modifié et finalement intégré dans l’article L. 218-22 du Code de l’environnement, est toujours allé dans le sens d’une aggravation des peines.
771784. Entièrement refondu par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité74, cet article 8 traduit la volonté du législateur de stigmatiser toujours plus les conduites à risque pour l’environnement. Loin de se contenter d’un durcissement de peines, le législateur français fait désormais référence à l’article 121-3 du Code pénal relatif aux infractions d’imprudence. Il introduit également le principe de plusieurs niveaux de gravité tel le dommage irréversible à l’environnement ou d’une particulière gravité. Toutefois, force est d’admettre que ce souci louable de vouloir sanctionner toujours plus les « voyous des mers » n’est pas à l’abri de toute critique. L’introduction de ce « nuancier » dans l’appréciation des comportements pourrait en définitive obliger le juge à recourir à un expert. Que faut-il entendre en effet par « dommages irréversibles à l’environnement » ? La notion de dommages irréversibles à l’environnement, notion floue s’il en est, prête d’emblée le flanc à la critique. Elle risque de conduire à des batailles d’experts75.
78Il n'en reste pas moins que la normalisation des comportements des acteurs du transport maritime peut aussi être recherchée à travers les infractions d’imprudence.
79La communauté européenne est également intervenue pour compléter et renforcer la Convention MARPOL. Forte du constat que les différentes règles communautaires relatives au contrôle de l’Etat du port ne sauraient suffire à elles seules, elle a procédé à une harmonisation des sanctions applicables aux infractions de pollution76. Le champ d’application de la directive est délibérément large. Cette dernière vise les pollutions maritimes quelle que soit leur nature, intentionnelles ou accidentelles, occasionnées par tout type de navire et de pavillon, qu’elles aient été commises dans les eaux territoriales, internationales, voire dans la zone économique exclusive d’un état-membre. La directive concerne aussi bien les navires dans les ports communautaires que les navires en simple transit devant les côtes européennes.
80La décision-cadre afférente impose quant à elle aux Etats-membres de prendre les mesures nécessaires pour garantir que ces infractions seront effectivement passibles de sanctions pénales proportionnées et dissuasives. Il pourra s’agir de peines d’amende77 ou de prison, étant précisé que s’agissant de ces dernières conformément à la Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer, elles ne pourront être infligées dans le cas d’infractions commises par des navires étrangers hors des eaux territoriales.
§ 2. Les infractions d’imprudence, normalisation des comportements à l’égard des personnes menacées par l’environnement maritime
811785. S’il existe de multiples fondements pour incriminer les atteintes portées à la personne, force est d’admettre que certains ont tout naturellement trouvé un terrain de prédilection en matière maritime. Lorsqu’un pétrolier ou un chimiquier menace de sombrer, bien avant les populations littorales, c’est l’équipage dudit navire qui doit faire face au milieu marin ou plus encore au péril de la mer. Les pertes écologiques, médiatiques à souhait, ne doivent pas conduire à minorer les pertes humaines assurément moins télégéniques.
821786. Quand bien même l’infraction d’abstention volontaire de provoquer les mesures de combattre un sinistre aurait été retenue à l’occasion de l’affaire de l’Erika notamment78, la « redoutable pertinence préventive du délit de mise en danger de la vie d’autrui »79 tend à lui ravir la vedette. En effet, ce délit est devenu en quelques années seulement la figure de proue d’une politique criminelle soucieuse de faire de la lutte contre la criminalité d’imprudence son cheval de bataille (A). Dès lors, on ne peut manquer de s’interroger sur la pertinence de la loi du 20 juillet 2002 (B) sur les délits non intentionnels qui tend à assouplir cette politique répressive. Bien que de portée générale, cette loi paraît particulièrement concerner les atteintes à la personne, comme en témoigne la référence aux fautes exposant autrui à un risque d’une particulière gravité. Elle pourrait avoir une incidence quant à l’appréciation des délits de pollution80.
A. La pertinence de l’infraction de mise en danger d’autrui
831787. La mise en danger d’autrui, infraction préventive, vise à sanctionner une indifférence soutenue à l’égard de la valeur sociale de sécurité. Plus précisément, la sécurité qu’il s’agit d’assurer est celle des personnes. Si la question des valeurs à sauvegarder a fait débat81, seules, en définitive, les atteintes à l’intégrité physique ont été reconnues dignes de protection. En atteste l’incrimination retenue. Ce qui est en effet punissable à travers l’infraction de mise en danger, c’est le « fait d’exposer autrui à un risque immédiat de mort ou de blessure de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement »82. Se trouvent donc écartés les risques causés aux biens, fussent-ils environnementaux. Il n’existe pas, et cela mérite d’être souligné, d’incrimination spéciale de « mise en danger de l’environnement »83. Ce délit pourrait toutefois trouver à s’appliquer en matière environnementale. Ainsi notamment, dans des hypothèses où l’environnement marin lui-même victime d’une agression ou simplement d’un risque, menacerait à son tour des personnes.
841788. En effet, « si l’incrimination de mise en danger délibérée de la vie d’autrui n’est pas insusceptible de s’appliquer à de graves violations de la réglementation environnementale, il n’en demeure pas moins qu’à l’égard des atteintes au milieu naturel dépourvues de conséquences pour la santé humaine, ou du moins de conséquences immédiates décelables, les réflexions sur l’imprudence consciente à l’égard du milieu sont restées pour l’instant sans postérité »84. Aussi, dans une hypothèse de pollutions majeures résultant du transport maritime, bien plus que les populations littorales, cette incrimination paraît concerner au premier chef les équipages de navires menaçant de sombrer85.
851789. En ce sens, on peut dire de l’infraction de mise en danger, qu’elle contribue à repositionner le péril de mer et la menace qu’il fait planer sur les hommes au centre des préoccupations. Trop accaparé par les atteintes subies par le milieu naturel, on en viendrait presque à oublier que les catastrophes environnementales peuvent aussi être de véritables drames humains. Or, parce que protéger les hommes qui évoluent dans le milieu marin, c’est aussi protéger l’environnement marin, on s’expliquera que cette incrimination à forte valeur normative ait pu être immédiatement retenue dans le cadre du contentieux de l’Erika. Il y aurait là les stigmates d’une objectivation du droit pénal car il s’agit de frapper non seulement les intentions coupables mais encore les attitudes d’indifférence face au risque que l’on fait courir à autrui86.
861790. Relativement récente, car introduite par le Nouveau Code pénal, cette nouvelle incrimination témoigne d’une démarche d’anticipation, particulièrement bienvenue dans un contexte de catastrophe. Pour en mesurer les enjeux en termes de normalisation des comportements, il convient de revenir sur les conditions de cette incrimination. Celles-ci paraissent pouvoir s’ordonner autour de deux notions pivots, l’anormalité du comportement d’une part (1), l’exposition à un risque87 d’autre part (2). Or, précisément à travers elles, ce sont deux conduites particulièrement répréhensibles que le législateur entend stigmatiser par référence à une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi pour le premier, en désolidarisant la faute du dommage s’agissant du second.
1. La stigmatisation de l’anormalité du comportement par la référence à une obligation particulière de sécurité ou de prudence
871791. Se comporte anormalement celui qui viole de façon manifestement délibérée une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement. Par cette référence explicite, la faute pénale de mise en danger se distingue donc radicalement de la faute civile d’imprudence et de négligence énoncée à l’article 1383 du Code civil88. Si l’obligation de prudence s’entend de l’obligation d’avoir une attitude réfléchie quant aux conséquences de ses actes, celle de sécurité89 de ne pas porter atteinte à la vie ou à l’intégrité des personnes90, on ne saurait toutefois retenir une acception générique de ces termes.
881792. En effet, cette obligation est qualifiée de particulière par le législateur. Loin de se contenter d’une méconnaissance abstraite des normes de comportements, ce dernier n’entend sanctionner que ceux qui ne se seront pas conformés à un modèle de conduite circonstancié. Celui-ci doit, en effet, se déduire de la lecture d’une loi ou d’un règlement. La notion de règlements contrairement à ce qui est admis en matière de délits involontaires, doit s’entendre au sens constitutionnel du terme. En effet, on ne saurait assimiler aux règlements des décisions qui n’auraient pas été prises par l’autorité réglementaire au sens de la Constitution91. Ne pourrait donc constituer le délit de l’article 223-1 du Code pénal la violation des obligations imposées par une simple circulaire, ou par des règles professionnelles ou déontologiques non approuvées par l’autorité réglementaire ou encore par le règlement intérieur d’une entreprise92.
891793. Lorsque c’est la vie de l’équipage qui est mise en danger, nul doute que les obligations violées sont celles prescrites par les Conventions internationales et transposées dans l’ordre interne. Lorsqu’un pétrolier menace de sombrer, celles-ci intéressent particulièrement l’organisation des secours. Mais on pourrait imaginer que l’incrimination de mise en danger puisse être fondée sur des violations de la réglementation relative aux conditions de vie ou de travail à bord des navires, ou encore celle relative au transport de marchandises dangereuses.
901794. Il n’en reste pas moins que, seule une violation manifestement délibérée est susceptible de permettre au juge de rentrer en voie de condamnation. En d’autres termes, cela signifie que l’agent doit s’être représenté l’infraction comme possible et n’avoir rien fait pour l’éviter. On ne saurait par conséquent sanctionner par le canal de l’article 223-1 du Code pénal une simple indifférence. Le mépris à l’égard de la valeur sociale que constitue la sécurité doit s’analyser comme l’expression d’une véritable volonté. L’agent doit avoir agi en toute connaissance de cause. La connaissance se rapporte nécessairement à l’obligation de sécurité, mais doit-elle être étendue au danger ? Dans l’affirmative, doit-on ou non considérer que la conformité du comportement reproché avec le modèle de conduite idéal crée une présomption de mise en danger ?
911795. L’enjeu est alors double. Le premier a, bien évidemment, trait à la charge de la preuve. Présomption d’innocence oblige, il appartient au Ministère public d’établir l’existence d’un danger réel résultant de l’inobservation de l’obligation, à défaut de quoi le prévenu devrait être relaxé. Ou est-ce au prévenu, le caractère illicite de son comportement impliquant l’allégation d’une mise en danger, de démontrer, qu’il n’en était rien ? D’un strict point de vue juridique, la charge devrait incomber au Ministère public. Le second enjeu a trait à l’appréciation de la connaissance du danger. Celle-ci s’apprécie in abstracto. En effet, il s’agit plus de rechercher si l’agent aurait dû avoir conscience du danger que de se demander s’il a pu croire en son existence93. En effet, ce que cherche à stigmatiser le législateur, outre l’anormalité du comportement, c’est l’exposition d’autrui à un risque. D’un point de vue juridique, cette initiative se traduit par une désolidarisation de la faute de mise en danger et du résultat dommageable.
2. La stigmatisation de l’exposition d’autrui à un risque par la désolidarisation de la faute et du résultat dommageable
921796. D’emblée, il convient de noter que la nature du risque est conçue de manière restrictive par le législateur. Il ne peut s’agir que d’un péril physique, et à condition encore qu’il soit d’une particulière gravité : risque de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente. Cette apparente précision pourrait toutefois être à l’origine d’une illusion d’optique, car le législateur ne fournit aucune indication, aucun paramètre susceptible d’assister le juge dans sa mesure du risque. Toutefois, on peut penser qu’en matière maritime, le risque et son intensité n’offrent que peu de place au doute. Le risque de mer que doit affronter l’équipage l’expose naturellement à celui de mort, fut-il minime94. Une quelconque acceptation des risques de la part des personnes qui sont exposées peut-elle faire obstacle à la constitution de l’infraction ? La réponse à cette question est assurément négative, car l’incrimination est également établie dans un intérêt public. Dès lors, un armateur ne saurait s’affranchir de la loi en prétextant que ses salariés, en, l’occurrence des marins, ont accepté le risque.
931797. Il est de l’essence du droit pénal tant d’éviter que de briser un processus criminel. Son intervention se réclame du souci d’éviter la production d’un dommage jugé socialement inacceptable. Plus encore, « le résultat social est la raison d’être de l’intervention du droit pénal »95. « L’élément dominant des préoccupations de la législation répressive étant le trouble social provoqué par certains agissements »96, la loi incrimine certaines conduites en vue de prévenir le préjudice social qui peut en résulter. A l’exact opposé, le droit civil se focalise sur la réparation du préjudice subi par la victime, quitte pour assouvir cet objectif, nous l’avons vu, à abandonner la faute. Autrement dit, il s’agit dans cette hypothèse de valoriser le résultat dommageable.
941798. Le droit pénal, quant à lui, considère que le danger constitué par la simple exposition à un risque est déjà en lui-même une forme d’agression dirigée contre un bien juridique. Et cela quand bien même cette agression n’aurait pas encore dégénéré en lésion, celle-ci pouvant du reste demeurer à l’état de virtualité. La nouvelle faute de mise en danger existe donc en dehors de toute lésion. A la différence du droit civil, la faute n’est pas révélée par le résultat dommageable, mais par le comportement qui est susceptible ou non de conduire à lui. Autrement dit, c’est le fait dangereux et non la lésion elle-même qui constitue le support matériel de la faute de mise en danger. Cette infraction correspond donc au dol éventuel97.
951799. L’agent aurait dû prévoir les éventuelles répercussions dommageables de son activité. Il aurait dû prendre les précautions qui auraient évité la réalisation du dommage. S’il ne l’a pas fait, son comportement doit être considéré comme fautif. Toutefois, s’il a délibérément violé les normes, sacrifiant ainsi à la sécurité d’autrui, l’infraction se classe au rang des infractions non intentionnelles, car si les conséquences dommageables ont été envisagées ou auraient dû normalement l’être, elles n’ont pas été nécessairement souhaitées98.
961800. Mais, parce que le législateur pénal a entendu désolidariser la faute de mise en danger du résultat dommageable, cela signifie qu’en l’absence de ce dernier, un jugement doit nécessairement être porté sur sa possibilité, car le risque ne doit pas être simplement hypothétique, il doit être certain et actuel. L’immédiateté du danger fait partie intégrante de l’incrimination de mise en danger. Elle doit correspondre à une situation précise.
971801. Or, précisément parce que cette incrimination permet de sanctionner des comportements dangereux avant même que leurs conséquences dommageables ne soient apparues99, les conduites à risque se trouvent d’autant mieux stigmatisées. La responsabilisation ne saurait trouver meilleur vecteur. On s’expliquera, dès lors, que l’incrimination de mise en danger ait pu être présentée comme une « défense avancée »100 par rapport à la lésion. Ce disant, l’idée selon laquelle le droit répressif doit être conçu « non seulement comme un régulateur de valeurs sociales, mais aussi comme une organisation de combat »101 se trouve réaffirmée. Toutefois, et cela seul l’examen de la pratique judiciaire permet de le révéler en l’absence de résultat dommageable, l’application de cette infraction repose sur les seules épaules des autorités poursuivantes102.
981802. En retenant cette incrimination, le juge d’instruction saisi du dossier de l’Erika entend donc rappeler qu’au delà des phénomènes de pollution, le naufrage d’un pétrolier met en péril la vie de son équipage ; et que de toute évidence, faire montre de négligence dans l’entretien du navire, ou même dans l’organisation des secours est passible de sanctions, en l’absence de tout résultat dommageable. Le caractère rétributif de la peine lui assure donc un rôle préventif non seulement à l’égard de l’individu qui en fait l’objet, mais aussi à l’égard de tous ceux qui seraient tentés à l’avenir de violer la norme protégée.
991803. Le législateur paraît toujours plus convaincu de la nécessité d’orienter sa politique répressive dans le sens d’une prévention accrue. Mais parce que affinement ne signifie pas nécessairement accroissement à tout va de la répression, la loi française du 10 juillet 2000 sur les délits non intentionnels pourrait, par sa pertinence, consacrer une nouvelle étape dans cette lutte effrénée contre l’imprudence.
B. La pertinence de la loi française du 10 juillet 2000 sur les délits non intentionnels
1001804. La loi du 10 juillet 2000 a été originellement conçue pour libérer les élus locaux de la menace de sanctions pénales en cas de survenance d’accidents corporels dans la sphère d’activité de la collectivité qu’ils contrôlent ou dirigent. Toutefois, parce qu’il était inconcevable d’en réserver le bénéfice à quelques privilégiés fussent-ils élus du peuple, il a été jugé plus politiquement correct d’en élargir la portée.
1011805. De ce fait, ainsi qu’a pu le souligner le Pr P. BONASSIES, ce texte a fini par avoir une portée générale. Concernant particulièrement les atteintes à la personne, comme en témoigne la référence aux fautes exposant autrui à un risque d’une particulière gravité, ce texte a aussi vocation à s’appliquer en cas de réalisation du dommage. Et la Chambre criminelle de la Cour de cassation103 a déjà pu considérer que celui-ci pouvait prendre la forme d’une pollution, fluviale, en l’occurrence. Dès lors, rien ne paraît s’opposer à ce que, cette loi puisse également trouver à s’appliquer en présence d’un risque ou d’une pollution maritime en cas de menaces ou d’atteintes portées aux populations littorales ou plus encore à l’équipage dont le navire menace de sombrer.
1021806. Mais l’intérêt qu’il pourrait y avoir à aborder cette loi française dans le cadre de notre recherche pourrait dépasser le cadre strict des phénomènes de pollutions maritimes si l’on en croit les deux grandes orientations qu’a entendu lui donner le législateur. Il s’agirait, en effet, non seulement de dépénaliser les faits non intentionnels (1), mais encore de dissocier la faute pénale non intentionnelle de la faute civile d’imprudence ou de négligence (2).
1. La dépénalisation des faits non intentionnels
1031807. L’excès de répression dont rend compte la multiplication des incriminations notamment en cas de manquement aux règles du droit de l’environnement est souvent dénoncé. Aussi le législateur paraît toujours plus vouloir s’engager dans la voie de la dépénalisation. La suppression des incriminations spécifiques104 qui sanctionnent telles ou telles prescriptions légales particulières paraît être une initiative utile à cette fin, d’autres voies plus radicales sont encore envisageables à cette fin. Ainsi le législateur dans le cadre de la loi du 10 juillet 2000 a-t-il entrepris de réécrire, dans un sens plus restrictif, la définition générale des délits non intentionnels figurant à l’article 121-3 du code pénal ; ce faisant il procède à une refonte de la matrice de la culpabilité pénale.
1041808. Il s’oppose en effet désormais à ce qu’un juge pénal puisse condamner pénalement toute personne physique qui aurait causé un dommage sur la base d’une simple inattention ou maladresse aussi légère soit-elle. Autrement dit, lorsque la personne physique poursuivie n’a pas causé directement le dommage, le juge pénal doit, pour justifier l’application d’une peine, relever soit une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité que l’auteur ne pouvait ignorer. En d’autres termes, cela signifie que la faute simple ne suffira plus à entraîner leur condamnation. Aux fautes lourdes, inexcusables et intentionnelles du droit civil, le droit pénal ajoute une nouvelle catégorie : la faute caractérisée. On peut penser que cette nouvelle catégorie recouvre les fautes d’une gravité intermédiaire entre la faute simple et la faute lourde. En tout état de cause, plus le risque auquel sera exposé la victime sera important, plus il sera facile de caractériser cette faute105.
1051809. Cette loi pourrait consacrer un paradoxe, car ainsi que cela a été souligné le législateur, pour modifier la définition de cette catégorie d’infractions non intentionnelles, serait conduit à réintroduire la notion d’intention106. Dès lors les exigences supplémentaires de gravité et de conscience de pouvoir nuire ou de violation délibérée de la loi pourraient restreindre considérablement leur application. La notion même de délit involontaire risquerait ainsi d’être vidée de sa substance.
1061810. Cette loi interpelle aussi par l’usage qu’elle fait de la notion de causalité indirecte pour départager les cas dans lesquels les personnes physiques répondent pénalement de leur faute la plus légère et ceux dans lesquels elles ne répondent que d’une faute « délibérée » ou « caractérisée ». En effet, ainsi que le constate le Pr G Viney107, ce critère tiré de la causalité instaure une confusion entre culpabilité et causalité, alors que ces notions sont a priori totalement différentes.
1071811. L’allègement de la répression doit bénéficier aux seules personnes physiques qui n’agissent pas elles-mêmes, mais sont investies d’une autorité qui les expose à répondre du fait d’autrui. La disposition ne fait donc pas preuve d’indulgence à l’égard de ceux qui n’ont pas agi personnellement, mais qui ont failli dans le contrôle qu’ils devaient exercer sur autrui. Dès lors, plus que de consacrer un allègement de la répression, il convient de se demander si ce texte ne va pas davantage conduire à un simple déplacement de responsabilité108. Cette impression semble devoir être corroborée par un revirement récemment opéré par la Chambre criminelle de la Cour de cassation. En effet rompant avec la jurisprudence antérieure, la Cour suprême a considéré qu’une personne morale pouvait être condamnée pénalement pour une imprudence ou une négligence commise par une personne physique ayant agi pour son compte, alors même que cette dernière ne pourrait l’être, sa faute n’étant ni « délibérée », ni « caractérisée » au sens du nouvel alinéa 4 de l’article 121-3 du Code pénal109.
1081812. Plutôt que de sanctionner un lampiste, cette loi pourrait permettre de stigmatiser un défaut d’organisation ou de fonctionnement110 ; le risque de voir condamné un lampiste serait donc plus rare. Cette loi pourrait aussi avoir des répercussions sur la responsabilité civile dans la mesure où elle consacre la dissociation de la faute pénale non intentionnelle de la faute civile d’imprudence ou de négligence.
2. La dissociation de la faute pénale non intentionnelle et de la faute civile d’imprudence ou de négligence
1091813. En subordonnant la condamnation pénale du prévenu à la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement d’une part, ou à la commission d’une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer d’autre part, le législateur, par la loi 10 juillet 2000, entend sonner le glas de l’identité de la faute civile et de la faute pénale en matière d’imprudence. En effet, la définition de cette faute pénale ne supporte désormais plus aucune comparaison avec la faute civile d’imprudence. La faute civile décrite, par l’article 1383 du Code civil vise toute espèce de négligence ou d’imprudence quelle qu’elle soit.
1101814. Si la seule lecture de l’alinéa 4 de l’article 121-3 du Code pénal emportant définition de la faute pénale exigible aurait pu à notre sens, à elle seule, rendre compte de la volonté du législateur de mettre un terme au principe d’identité des fautes civile et pénale d’imprudence posé par la Cour de cassation en 1912111, force est de constater que le législateur a entrepris de convaincre de ses intentions jusqu’aux plus sceptiques. En effet, il a pris soin d’introduire dans le Code de procédure pénale un nouvel article 4-1 qui dispose que « l’absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l’article 121-3 du Code pénal ne fait pas obstacle à l’exercice d’une action devant la juridiction civile afin d’obtenir réparation d’un dommage sur le fondement de l’article 1383 du code civil, si l’existence de cette faute civile est établie ». Or précisément si le juge civil peut désormais constater l’existence d’une faute civile d’imprudence ou de négligence lorsque le juge pénal a constaté l’absence de faute pénale non intentionnelle112, c’est précisément parce que les deux types de fautes ont cessé d’être identiques.
1111815. Nul doute que cette désolidarisation était déjà en gestation. Devenue purement objective après les arrêts rendus par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation en 1984113, la faute civile se distinguait plus que jamais de la faute pénale non intentionnelle qui elle, ne s’était jamais départie de son élément psychologique114. Il n’en reste pas moins que c’est à cette loi du 10 juillet 2000 que revient le mérite d’avoir consacré cette désunion. Ce qui n’est pas rien lorsqu’on prend la peine de se souvenir que cette mésalliance était vigoureusement dénoncée par la doctrine115.
1121816. Ainsi que l’explique de façon synthétique le Pr P. Jourdain, admettre le principe d’identité conduisait à placer « le juge pénal devant une alternative délicate : soit il relaxait l’auteur d’un dommage parce qu’il estimait que la faute pénale n’était pas suffisamment caractérisée, mais il risquait, ce faisant, de tenir en échec l’action civile et de faire par conséquent obstacle à l’indemnisation de la victime ; soit il condamnait l’auteur au pénal afin de pouvoir indemniser la victime, mais il risquait alors d’élargir la faute pénale en retenant ce qu’on a nommé des poussières de faute. Le risque étant alors d’étendre du même coup à l’excès le champ de la répression »116.
1131817. Plus encore, ce principe paraît consacrer une sur-pénalisation du droit des accidents corporels. En effet, les fautes les plus légères étaient de nature à entraîner une condamnation pénale. Or, à l’évidence, et cela a été souligné avec une particulière insistance par le Pr A. Tunc117, on peut tout à la fois être un bon père de famille et commettre une erreur. La meilleure raison en est que la perfection ne saurait être de ce monde.
1141818. En ce sens, selon le Pr G.Viney, cette loi qui ne porte nullement atteinte au principe de la primauté du criminel sur le civil, pourrait marquer une étape importante dans l’évolution du droit civil118. Elle pourrait de ce fait avoir une incidence sur l’appréciation de la responsabilité pénale des principaux intervenants du transport maritime à l’occasion d’une pollution majeure, étant précisé que le recentrage du droit pénal sur sa fonction répressive pourrait aussi passer par le choix des pénalement responsables.
SOUS-SECTION 2. LE RECENTRAGE PAR LE CHOIX DES PÉNALEMENT RESPONSABLES
1151819. Plutôt que de frapper fort, il convient de frapper juste119. Cette injonction ne va pas sans rappeler une possible dérive de la sanction pénale. Appelée à dissuader les comportements anti-sociaux, la sanction pour produire l’effet recherché doit impérativement atteindre celui qui est susceptible d’empêcher le dommage. Ne le ferait-elle pas, elle serait prononcée en pure perte. Or manifestement ce cas, loin d’être d’école, a incité le législateur à engager une réflexion sur la pertinence de son choix s’agissant du destinataire de la sanction.
1161820. Cette réflexion prend tout son sens en présence d’une catastrophe écologique majeure. Cet événement met, en effet, en présence tant des personnes physiques que des personnes morales. Dès lors, la mission du juge pénal consiste à répartir la charge de la responsabilité pénale entre ces deux catégories de personnes. Or, il apparaît, et cela devra être démontré, qu’un retour vers une meilleure fonction normative et donc punitive du droit pénal pourrait passer par une responsabilité plus étendue des personnes morales impliquées dans des pollutions majeures (§1), la responsabilité des personnes physiques devant, quant à elle, être toujours plus cantonnée dans de justes limites (§2). Reste que les infractions aux règles pénales en matière maritime, comme ailleurs, ne visent toujours qu’une catégorie précise de personnes. Le champ d’application des infractions d’imprudence ou de pollution ne peut pas être a priori élargi puisque les infractions pénales même spéciales, sont d’interprétation stricte. Aussi pour contrecarrer cette étroitesse, une initiative judiciaire récente paraît avoir été prise en vue d’étendre le cercle des pénalement responsables à l’occasion d’une pollution maritime. Il s’agirait de rendre responsable non pas en tant qu’auteurs mais en tant que complices certains autres acteurs du transport maritime au premier chef desquels l’affréteur et la société de classification (§3).
§ 1. Pour une responsabilité pénale plus étendue des personnes morales impliquées dans des pollutions majeures
1171821. Le contentieux qui se développe à l’occasion d’une pollution maritime majeure ne le rappelle que trop : derrière chaque catastrophe écologique, il y a souvent une multinationale. Les progrès réalisés en matière de sciences des organisations ont permis d’apprécier combien leur fonctionnement est autonome et comment il se détache de l’agrégation du fonctionnement individuel de chacun de ses membres. On a pu maintenir l’illusion pendant un certain temps que les multinationales étaient maîtrisées par un directeur ou un président qui en assumait la totale responsabilité. Toutefois cette conception paraît dépassée à l’heure où certaines d’entre elles atteignent un tel gigantisme et ont cessé d’avoir une dimension humaine120. Leur autonomie de fonctionnement aidant, la diversité des secteurs dans lesquels elles sont amenées à intervenir faisant, il devient plus que jamais indispensable de tenter de les responsabiliser, reposeraient-elles sur des organisations tentaculaires121.
1181822. Jusqu’à l’entrée en vigueur du Nouveau Code pénal le 1er mars 1994, les personnes morales étaient considérées comme pénalement irresponsables122, fussent-elles reconnues depuis longtemps civilement responsables. Présentée comme la plus remarquable des innovations introduites par le Code pénal, la responsabilité pénale des personnes morales a été consacrée par le Nouveau Code pénal de 1992 dans son article 121-2. Ce dernier dispose que les « personnes morales, à l’exception de l’État, sont responsables pénalement, dans les cas prévus par la loi et les règlements, des infractions commises pour leur compte, par leurs organes ou leur représentant ». Ainsi qu’a pu le souligner le Pr G. Viney, les auteurs du nouveau Code pénal se sont efforcés de mettre en œuvre une véritable personnalisation, en cherchant à atteindre très concrètement les intérêts de la personne morale délinquante123.
1191823. Toutefois, force est d’admettre que, même ainsi officialisée, la responsabilité pénale des personnes morales n’était pas pleine et entière. Alors que le législateur avait choisi de consacrer le principe de généralité s’agissant des personnes morales, il avait opté pour la spécialisation s’agissant des infractions ; le domaine d’application de cette responsabilité s’en trouvait donc réduit d’autant.
1201824. Si la décision d’introduire le principe de spécialité dans la mise en cause des personnes morales traduisait à elle seule la volonté du législateur de cantonner la responsabilité des personnes morales, celle de le supprimer suffit à témoigner de son intention de l’élargir (A). Quelles sont désormais les conditions de mise en œuvre de la responsabilité pénale ? (B) Quelle peut être l’incidence de la responsabilité pénale des personnes morales sur les personnes physiques dans notre domaine d’étude (C) ? autant de questions sur lesquelles il convient de se prononcer pour apprécier la responsabilité pénale des personnes morales impliquées dans une catastrophe pétrolière.
A. De l’incidence du principe de spécialité et de sa disparition
1211825. Redoutant sans doute de donner d’emblée la portée la plus large qui soit à un principe totalement nouveau dans notre droit, le législateur n’avait pas prévu que la responsabilité pénale serait générale et concernerait l’ensemble des infractions. Concrètement, en optant pour le principe de spécialisation, le législateur décidait que la responsabilité pénale des personnes morales ne pourrait être retenue que « dans les cas prévus par la loi ou les règlements ». En d’autres termes, la responsabilité pénale de la personne morale devait avoir été spécialement prévue par un texte.
1221826. S’agissant d’abord des infractions relatives aux atteintes aux personnes, le nouveau code pénal prévoit qu’une personne morale peut être déclarée pénalement responsable au titre de l’infraction de mise en danger124, ou de l’infraction d’entrave aux mesures d’assistance et omission de porter secours125. S’agissant ensuite de l’infraction de pollution prévue à l’article de L. 218-22 du Code de l’environnement, nul doute que le législateur a entendu consacrer la concernant le principe d’une responsabilité de la personne morale. On ne saurait s’étonner de cela car tous les armateurs au commerce sont des personnes morales126. La loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement127 et la loi128 du 26 février 1996 relative aux transports prévoient expressément la possibilité de retenir la responsabilité pénale des personnes morales en cas d’atteinte à l’environnement marin129.
1231827. Ainsi, par exemple, l’article 5 de la loi du 26 février 1996 prévoit expressément que des personnes morales peuvent être reconnues pénalement responsables en cas d’infractions aux dispositions des Conventions internationales sur la vie et l’habitabilité à bord des navires et sur la prévention de la pollution, ou lorsqu’elles auront fait circuler des navires dépourvus de titre de sécurité ou de certificat de prévention de pollution130. La responsabilité de la personne morale propriétaire exploitante pourra être également retenue lorsqu’un accident en mer survenu à un navire transportant des matières dangereuses131 n’aura pas été signalé, ou lorsque les mesures nécessaires pour éviter une pollution des eaux territoriales n’auront pas été prises132.
1241828. Cette possibilité de rendre responsables les personnes morales en vertu des articles 131-38 et 131-39 du Code pénal en présence d’atteintes au milieu marin figure désormais expressément à l’article L. 118-25 du Code de l’environnement. Une amende égale au sextuple de celle susceptible d’être appliquée à une personne physique peut frapper la personne morale.
1251829. Ainsi, l’armateur personne morale pourrait encourir une amende de 1 800 000 euros en cas de pollutions involontaires résultant de sa faute personnelle mais aussi de la faute de l’un de ses capitaines ou d’un autre de ses préposés. On l’aura compris, le principe de spécialité en ce qu’il obligeait le législateur à réagir au coup par coup133, c’est-à-dire « infraction par infraction »134 introduisait une certaine forme de rigidité dans la répression des infractions commises par les personnes morales.
1261830. Cela suffirait presque à prendre l’exacte mesure de l’enjeu présenté par sa suppression. En cessant de subordonner la responsabilité des personnes morales aux cas prévus par la loi ou le règlement135, le législateur entreprend en 2004136 d’ouvrir plus largement les voies de la mise en cause pénale des personnes morales. Car force est admettre qu’en dehors du Code pénal, il existait peu d’infractions susceptibles d’engager la responsabilité pénale des personnes morales par rapport à ce que cela aurait pu être. Cette carence était particulièrement criante en matière de droit pénal du travail137. Désormais, les personnes morales seront susceptibles d’engager leur responsabilité pénale pour absolument tous les délits et crimes aux conditions fixées par le législateur.
B. Les conditions de mise en cause de la responsabilité pénale des personnes morales
1271831. En disposant que les personnes morales sont responsables pénalement des « infractions commises pour leur compte, par leurs organes ou représentants », l’article 121-2 énonce implicitement les conditions de fond de leur responsabilité. Celles-ci paraissent au nombre de trois. La responsabilité des personnes morales suppose d’abord l’intervention d’une personne physique (1), ensuite qu’une infraction soit commise par un organe ou un représentant (2), enfin que ce dernier ait agi pour le compte de la personne morale (3).
1. L’intervention d’une personne physique
1281832. S’il ne fait plus de doute aujourd’hui pour quiconque que les personnes morales constituent une entité juridique, dotée d’une volonté collective, capable de commettre une faute tout autant qu’une volonté individuelle138, leur responsabilité n’en reste pas moins une responsabilité « indirecte » ou encore « par ricochet ». La responsabilité pénale des personnes morales ne peut se concevoir en effet sans l’intervention d’une personne physique. S’agissant de l’infraction de pollution, laquelle constituera ici notre fil rouge, cela peut s’expliquer aisément. Des actes matériels d’exécution ne peuvent être imputés directement à un être désincarné. Ainsi, la faute dans la navigation est nécessairement le fait d’une personne physique, en l’occurrence le capitaine.
1291833. A l’évidence, dire d’une personne morale qu’elle est pénalement responsable ne saurait signifier qu’elle a commis l’infraction en personne. Cela a une conséquence très pratique. Les éléments constitutifs de l’infraction, tant matériels qu’intellectuels doivent être caractérisés non pas à l’encontre de la personne morale, mais bien à l’encontre de la personne physique. Dès lors, le juge pénal n’a pas à se demander si la personne morale a voulu l’infraction. Il doit rechercher dans un premier temps si une infraction a été commise par une ou plusieurs personnes physiques et examiner ensuite si les circonstances dans lesquelles cette infraction a été commise permettent de l’imputer à la personne morale en application de l’article 121-2 du Code pénal.
2. Une infraction commise par un organe ou un représentant de la personne morale
1301834. Quand bien même elle est subordonnée à la commission d’une infraction par un organe ou un représentant de la personne morale, la responsabilité pénale des personnes morales est personnelle. Elle est toutefois indirecte, mais pas au sens où l’entend le droit civil dans le cadre de la responsabilité du fait d’autrui139. La raison à cela tient au fait que la responsabilité pénale est gouvernée par le principe de la responsabilité personnelle selon lequel nul n’est responsable pénalement que de son propre fait. Ce principe vaut tant pour les personnes physiques que morales. Aussi, aux fins de ne pas transgresser ce principe, le législateur a prévu de n’engager la responsabilité des personnes morales que par leurs organes ou représentants chargés d’exprimer leur volonté.
1311835. La notion d’organe désigne les personnes physiques que la loi ou les statuts chargent de l’administration ou de la direction de la personne morale. Sont donc concernées aussi bien les assemblées délibérantes que les exécutifs. La notion de représentant n’a pas de consistance juridique. Elle ne saurait toutefois se confondre avec celle de dirigeant. Sans doute s’agit-il alors d’une personne investie d’une mission de représentation soit par la justice, soit par un organe de la personne morale, comme par exemple un directeur salarié.
1321836. Quid dans le cas particulier de la délégation ? La Cour de cassation s’est prononcée sur cette question. Elle a décidé que le salarié titulaire d’une délégation de pouvoirs en matière d’hygiène et de sécurité est un représentant de la personne morale au sens de l’article 121-2 du Code pénal140. Dès lors, en cas d’atteinte involontaire à la vie ou à l’intégrité physique trouvant sa cause dans un manquement aux règles qu’il était tenu de faire respecter en vertu de sa délégation, il engage la responsabilité de la personne morale.
1331837. En d’autres termes, cela signifie que la délégation de pouvoir implique la délégation de la représentation au sens de l’article 121-2. Ainsi, lorsqu’elle est valable, une délégation dégage la responsabilité pénale de l’organe, personne physique, qui l’a consentie, conformément à la jurisprudence classique, mais elle n’exonère pas la personne morale car elle opère un simple transfert de la représentation. La solution retenue par la Cour de cassation multiplie donc les cas dans lesquels la responsabilité pénale des personnes morales, pourra être engagée. Elle est aussi de nature à faciliter la mise en œuvre de cette responsabilité dans la mesure où elle permet en certains cas d’imputer l’infraction à la personne morale sans qu’il soit besoin d’identifier la personne physique fautive141. Cette impression de renforcement de la répression des personnes morales est confortée par la loi du 10 juillet 2000, puisque désormais une personne morale peut être jugée pénalement responsable d’une infraction non intentionnelle commise par une personne physique qui n’en est pas responsable pénalement. Reste que l’infraction doit avoir été commise pour le compte de la personne morale.
3. Une infraction commise pour le compte de la personne morale
1341838. Il est clair que n’engage pas la responsabilité pénale d’une personne morale le représentant qui a agi dans l’exercice ou à l’occasion de ses fonctions, mais pour son compte propre et dans son seul intérêt personnel, voire même au préjudice de la personne morale. La doctrine s’accorde à considérer qu’il suffit que l’infraction ait été commise par la personne physique à l’occasion de l’activité destinée à assurer l’organisation et le fonctionnement de la personne morale142.
1351839. On notera que le principe de la responsabilité personnelle n’impose pas l’existence d’une faute distincte de la personne morale. C’est ce qui ressort clairement d’un arrêt de la Chambre criminelle. « Dans les cas prévus par la loi, la faute pénale de l’organe ou du représentant suffit lorsqu’elle est commise pour le compte de la personne morale, à engager la responsabilité pénale de celle-ci sans que doive être établie une faute distincte à la charge de la personne morale »143.
1361840. Les infractions de pollution sont quasi systématiquement imputables à la personne morale. Car ce sont bien souvent des considérations financières, comme le souci de réaliser des économies substantielles, qui sont à l’origine de catastrophes. Ainsi, les investissements de type sécuritaire n’auront pas été réalisés par l’armateur, personne morale. Ainsi la doctrine isole l’auteur matériel de l’auteur moral144. Ce dernier intervient en amont dans la chaîne des causalités ayant abouti aux dommages145. Il n’en demeure pas moins que, le plus souvent, la responsabilité pénale des personnes morales a une incidence directe sur celle des personnes physiques.
C. L’incidence de la responsabilité pénale des personnes morales sur celles des personnes physiques
1371841. Si le principe qui prévaut en la matière est celui du cumul de la responsabilité des personnes morales avec celle des personnes physiques (1), certains tempéraments doivent toutefois lui être apportés (2).
1. Le principe du cumul de responsabilité
1381842. Le troisième alinéa de l’article 121-2 prévoit expressément la règle du cumul entre la responsabilité des personnes morales et celle des personnes physiques en disposant que « la responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits ». Cette règle du cumul est justifiée à plusieurs égards.
1391843. En premier lieu, d’un strict point de vue juridique, le cumul allait de soi puisque souvent la responsabilité pénale des personnes morales présuppose la responsabilité préexistante d’une personne physique ayant commis l’infraction pour le compte du groupement. En second lieu, il s’agissait d’éviter que la responsabilité pénale des groupements constitue un écran pour masquer les responsabilités personnelles146. Car « en droit de l’environnement plus qu’ailleurs, la certitude de la punition correspond à une nécessité d’intérêt général »147. Aussi des tempéraments ont-ils été apportés au principe du cumul de responsabilité
2. Les tempéraments au principe
1401844. Nul doute que l’un des objectifs recherchés par le législateur à travers la responsabilité pénale de la personne morale était de limiter celle des personnes physiques. Pratiquement, dans l’hypothèse où un accident apparaîtrait comme la conséquence d’un défaut d’organisation de l’entreprise imputable à des décisions collectives successives, seule la responsabilité de la personne morale pourrait être retenue.
1411845. A cet égard, la circulaire du 5 avril 1995 commentant la loi Barnier, relative au renforcement de la protection de l’environnement et qui étend la responsabilité pénale des personnes morales à certains délits de pollution, propose de distinguer les faits qui relèvent principalement d’une gestion défectueuse de la personne morale de ceux qui traduisent une véritable faute personnelle du dirigeant.
1421846. D’une manière générale, et en schématisant on peut considérer la responsabilité pénale de la seule personne morale, à l’exclusion de celle de la personne physique. Elle peut être retenue pour les infractions d’imprudence, en cas de dilution de la faute au sein de la personne morale, cette faute n’étant constituée qu’en raison des comportements physiques sans pouvoir être entièrement caractérisée sur la tête d’une seule d’entre elles. Certains auteurs ont évoqué l’idée de dilution verticale de la faute lorsque cette dernière résulte de comportements de plusieurs personnes au sein d’une hiérarchie, avec une succession de délégations de pouvoirs et de subdélégations. En revanche, lorsque celle-ci résulte de la décision d’un organe collégial, sans pouvoir être imputée à tel ou tel membre de cet organe, on parle de dilution horizontale.
1431847. Enfin, la loi du 10 juillet 2000 doit être ici aussi mentionnée. Cette loi a limité la responsabilité pénale des personnes ayant indirectement causé un dommage du fait de leur imprudence. Cette responsabilité suppose la commission d’une faute qualifiée comme celle de mise en danger ou une imprudence caractérisée, plus grave que la simple faute d’imprudence. Cette exigence ne vaut pas toutefois pour les personnes morales qui demeurent pénalement responsables même en cas de faute simple. Hormis l’hypothèse où la personne physique aurait elle aussi commis une faute qualifiée, il n’y a donc pas cumul. Seule la personne morale peut être condamnée. Le Pr G. Viney y voit l’amorce d’une possible « réorientation de la répression »148.
1441848. Il appartiendra donc au juge de se déterminer dans l’affaire de l’Erika sur le point de savoir si le principe du cumul doit ou non s’appliquer. Il n’en demeure pas moins que, d’ores et déjà, la formule consacrée par Josserand « je n’ai jamais déjeuné avec une personne morale », et complétée par le Pr Soyer qui a fait observer que cette dernière avait cent fois réglé l’addition149 pourrait ne pas laisser le juge indifférent.
1451849. A l’occasion d’une catastrophe, le nombre de poursuites engagées est souvent impressionnant. Toutefois, cette tendance à vouloir impliquer dans une procédure pénale tous ceux qui, de près ou de loin, ont pu jouer un rôle dans la survenance de l’accident ne satisfait ni la justice qui doit y consacrer beaucoup de temps et de moyens, ni les victimes car, en voulant ratisser large, on en est parfois réduit à prononcer des décisions de relaxe ou des peines de principes ; ce qui n’est pas sans irriter ceux qui étaient dans l’attente de décisions impartiales et non de circonstances150. Par conséquent, cette nouvelle responsabilité pénale des personnes morales devrait entraîner la disparition de la présomption de responsabilité pénale pesant en fait sur les dirigeants à propos d’infractions dont ils ignorent parfois l’existence, ou du moins réduire le champ trop vaste de la responsabilité pénale du chef d’entreprise pour des faits commis par d’autres. Toutefois, s’il entend cantonner la responsabilité des personnes physiques dans ses justes limites, le législateur n’a pas pour autant renoncé à trouver dans la sanction pénale la traduction privilégiée d’une responsabilisation des acteurs sociaux.
§ 2. Le cantonnement de la responsabilité des personnes physiques dans ses justes limites
1461850. Une personne physique ne devrait avoir à rendre plus de compte devant la justice qu’elle n’a de responsabilité juridique à assumer151. Si cela paraît aller de soi en théorie, la pratique pourrait être tout autre. La vindicte populaire ne saurait se contenter de rapports dénonçant le fonctionnement de pratiques professionnelles ou de systèmes d’organisation. Il lui faut souvent des « êtres de chair et de sang » sur lesquels elle puisse canaliser sa rancoeur. En ce sens, la reconnaissance de la responsabilité pénale des personnes morales ne saurait représenter une panacée. Est-ce alors à dire que les victimes pourraient se satisfaire de la condamnation d’un responsable que tout paraît désigner ? Rien n’est moins sûr. Quand bien même le syndrome rampant du lampiste l’y inviterait, l’opinion publique paraît désormais résolue à porter un regard plus circonspect sur la réalité des choses.
1471851. C’est dans pareille direction que semble vouloir s’engager le législateur. Loin de considérer que la responsabilité des personnes morales puisse se traduire par une irresponsabilité des membres de l’organisation, il paraît désormais s’employer à établir la responsabilité de chacun d’entre eux. Nul doute que les récentes dispositions législatives sur les délits non intentionnels d’imprudence, bien que générales, puissent profiter aux personnes physiques susceptibles de voir leur responsabilité mise en cause dans des événements de mer générateurs de pollution. D’elles, on peut espérer un cantonnement de la responsabilité des personnes physiques dans de justes limites.
1481852. Parce que l’on ne saurait passer en revue l’ensemble des catégories de personnes physiques susceptibles d’être reconnues pénalement responsables152 à l’occasion d’une pollution majeure, il nous est apparu plus intéressant de nous pencher sur deux catégories d’entre elles parmi les plus représentatives, à savoir les dirigeants sociaux (A) et les capitaines (B).
A. La stricte responsabilité pénale des dirigeants sociaux153
1491853. Bien que l’article 121-1 du nouveau Code pénal rappelle le principe de la personnalité des peines, la jurisprudence n’hésite pas à reconnaître la responsabilité pénale du dirigeant même en l’absence d’indication expresse du texte d’incrimination. Cette initiative trouve sa justification dans le devoir de surveillance et de commandement dont est investi le dirigeant. Tout manquement à l’égard de telles obligations doit dès lors être assimilé à une faute. Le plus souvent, cette faute révèlera une mauvaise organisation de la structure sociétaire.
1501854. Ainsi paraît se justifier la décision du juge d’instruction saisi de l’affaire de l’Erika de mettre en examen le responsable du service « Trading shipping »154 de l’affréteur TOTAL, ou du responsable de la classification au sein de la Société de classification italienne RINA. Ces mises en examen des principaux responsables, personnes physiques, constituent en outre une application du principe de cumul de responsabilités des personnes morales et des personnes physiques.
1511855. La loi du 10 juillet 2000155 sur les délits non intentionnels, en introduisant un alinéa 4 dans l’article 121-3 du nouveau Code Pénal, pourrait bien bouleverser le sort réservé à ces personnes. Cette loi n’intéressant que les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage mais qui ont « créée ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter » subordonne en effet désormais leur condamnation pénale à la présence d’une faute délibérée ou caractérisée.
1521856. L’objectif affiché par conséquent par les auteurs de cette loi est de faire profiter de l’allègement de la répression les seules personnes physiques qui n’agissent pas elles mêmes, mais qui sont investies d’une autorité qui les expose à répondre du fait d’autrui, en d’autres termes essentiellement les décideurs. Le Pr G. Viney note toutefois que la définition donnée par le texte de la causalité indirecte est très particulière. Il ne s’agit pas en effet d’une causalité distendue entre la faute initiale et ses conséquences ultérieures, mais d’une imputabilité lointaine ou douteuse à la personne poursuivie. Autrement dit, il s’agit de faire preuve d’indulgence seulement à l’égard de ceux qui n’ont pas agi personnellement, mais qui ont failli dans le contrôle qu’il devait exercer sur autrui.
1531857. Pour pouvoir se prévaloir de la notion de causalité indirecte, les dirigeants personnes physiques devront démontrer que bien, qu’ayant agi personnellement, leur activité n’a pas immédiatement produit le dommage, une autre cause s’étant interposée entre l’une et l’autre. L’existence d’une faute délibérée ou caractérisée pour justifier la condamnation pénale est limitée aux décideurs personnes physiques, c’est-à-dire pratiquement aux dirigeants. Elle ne saurait concerner les agents d’exécution156. La chambre criminelle de la Cour de cassation a admis que la loi nouvelle oblige à remettre en cause les condamnations prononcées avant son entrée en vigueur contre les chefs de service.
1541858. Par ailleurs, réalisant un revirement par rapport à sa jurisprudence antérieure, elle a décidé qu’une personne morale pouvait désormais être condamnée pénalement pour une imprudence ou une négligence commise par une personne physique ayant agi pour son compte, alors même que cette personne ne pourrait l’être, sa faute n’étant ni « délibérée, ni caractérisée au sens du nouvel alinéa 4 de l’article 121-3 du Code pénal157.
1551859. Ces dispositions favorables bénéficieront-elles aux dirigeants mis en examen dans l’affaire de l’Erika ? Seul le juge le dira. Nul doute que la position qu’il adoptera aura valeur de symbole, car susceptible de révéler une possible volonté de réorientation en matière de politique répressive. D’ores et déjà, on peut s’interroger sur la marge de manœuvre offerte à un dirigeant de société au sein d’une multinationale. Peut-on raisonnablement retenir la responsabilité d’un homme qui est réduit à appliquer à la lettre une politique implicitement dictée par les actionnaires. Le sort réservé au capitaine par le juge pénal invite à des réflexions identiques. Ne convient-il pas de retenir une conception stricte de la responsabilité pénale du capitaine.
B. La stricte responsabilité pénale du capitaine
1561860. Il n’existe pas en matière pénale de véritable responsabilité pour fait d’autrui. Cette exclusion est parfaitement cohérente. Car si la responsabilité du fait d’autrui ignore la faute, la responsabilité pénale demeure exclusivement fondée sur cette notion. Or précisément, la reconnaissance d’une responsabilité pénale du fait d’autrui pourrait revenir à consacrer une responsabilité établie sur le risque.
1571861. Aussi en matière pénale et disciplinaire, le capitaine, préposé de l’armateur est-il personnellement exposé à des poursuites au titre des infractions qu’il pourrait avoir commises158. Parmi les infractions proprement maritimes, on retiendra spécialement les manquements aux règles de la navigation destinées à assurer la sécurité en mer159, dont la sanction est aggravée au cas où il s’en est suivi un abordage, un échouement ou une avarie grave pour le navire160. S’agissant des infractions de droit commun, il est soumis comme toute personne aux règles du Code pénal et des lois qui l’ont complété. Ainsi sa responsabilité pénale peut être recherchée sur le fondement de l’infraction de mise en danger prévue à l’article 223-1 du nouveau code pénal.
1581862. Toutefois, lorsqu’on évoque la responsabilité pénale des capitaines des navires, c’est surtout la législation en matière de répression de la pollution qui interpelle. En effet, tandis que le capitaine paraît bénéficier d’une certaine clémence de la part du législateur, le Pr P. Bonassies n’hésitant pas à évoquer un allègement général de sa responsabilité, l’arsenal répressif en matière d’infraction de pollution n’a cessé de se durcir en direction du capitaine161.
1591863. Le phénomène mérite explication. La loi française de 1983 présente cette particularité de prévoir dans un même texte la répression des rejets délibérés et des rejets accidentels d’hydrocarbures. Au terme de l’article 8, devenu l’article 218-22 du Code de l’environnement, est en effet puni de peines égales à la moitié de celles qui sont prévues pour les rejets volontaires, tout capitaine qui, par imprudence, négligence ou inobservation des lois et règlements a provoqué un accident de mer. Or, précisément, tout durcissement de la législation en matière de pollution délibérée, c’est-à-dire opérationnelle, a immanquablement des répercussions sur la répression des pollutions accidentelles. Cette législation s’applique même aux navires étrangers et à leur capitaine, car elle vise des faits survenant dans les eaux sous souveraineté française.
1601864. La formulation de l’article de L. 218-22 du Code de l’environnement paraît particulièrement lourde de conséquences pour le responsable désigné, à savoir le capitaine. En effet, en énonçant que toute pollution involontaire résultant d’une négligence est punissable en la personne du capitaine, on peut penser que la responsabilité de ce dernier sera retenue alors même que cette pollution résulterait d’une faute d’un de ses subordonnés.
1611865. Si la législation française s’oppose à ce que des peines privatives de liberté soient prononcées à l’encontre des capitaines de nationalité étrangère, les ressortissants français ne sauraient bénéficier d’une telle faveur. Du reste, il n’est désormais plus rare que des capitaines soient jetés en prison, sans même que l’on puisse trouver à cela une explication d’origine géographique ou politique162, et cela même en présence de fait de pollution. Une telle peine a été prononcée à l’encontre de deux capitaines de pétroliers dont les navires s’étaient abordés à l’extérieur du port de Singapour en 1998 avec un résultat désastreux pour l’environnement marin. Une telle décision n’a pas manqué d’être commentée dans les milieux maritimes. Plus encore, elle a ouvert la voie à une réflexion plus profonde sur la responsabilité du capitaine pour faits de pollution.
1621866. Que la responsabilité des capitaines soit engagée pour manquement aux règlements pour éviter les abordages est juridiquement logique. Qu’il faille retenir à leur encontre des charges criminelles est plus contestable surtout lorsqu’elles sont assorties de peines privatives de liberté. Une telle sanction ne devrait jouer aucun effet dissuasif sur les capitaines. Dès lors se justifie-t-elle encore ?
1631867. Pour répondre à cette question, il faut sans doute partir d’un constat. En ce qu’il prévoit le cumul de la responsabilité du capitaine et de l’armateur personne morale, le dispositif répressif applicable en matière de pollution se refuse à laisser seul le capitaine à la barre du tribunal lorsqu’une erreur a été commise. En l’occurrence, dans l’affaire de l’Erika, l’armateur est à ses côtés. Reste que l’accroissement de la responsabilité pénale du capitaine s’inscrit de plus en plus en faux avec l’érosion de son autorité traditionnelle
1641868. Le capitaine, jadis seul maître à bord après Dieu, est de fait de moins en moins isolé grâce à une amélioration constante des moyens de télécommunication. Relié à la terre, il subit désormais ses pressions. Maintenir les horaires, accoster à l’heure prévue, foncer dans le mauvais temps ou par visibilité réduite sont autant d’injonctions désormais susceptibles de lui parvenir. Ses ressources à bord, en terme de cadres sûrs, d’officiers parfaitement qualifiés, sur lesquels il peut se reposer sont souvent amoindries. Il est constamment tenu au téléphone par les affréteurs163 et les dirigeants qui n’ont aucune idée des conditions de vie à bord. Ces contraintes sont particulièrement lourdes en période de crise où il convient d’agir au plus vite. Chacun se souvient du temps précieux perdu par le capitaine de l’Amoco Cadiz resté en communication téléphonique avec son armateur pour mener les tractations nécessaires à la conclusion du contrat d’assistance.
1651869. Or, il convient de l’admettre, pour l’heure, cette réalité du monde maritime moderne ne trouve aucune grâce aux yeux du législateur, puisque le capitaine continue de porter un lourd fardeau en termes de responsabilité. Or, puisque les capitaines ne devraient avoir d’autres choix que de voir toujours plus remise en cause leur autorité, parce qu’il y a fort à parier que les pressions n’iront pas en diminuant, toute initiative législative propre à rendre au capitaine l’exacte mesure de sa responsabilité devrait être encouragée. De l’avis de la doctrine qui s’est exprimée notamment par la voix du Pr P. Bonassies « l’alourdissement de la responsabilité pénale pourrait trouver une compensation dans la législation pénale récente que nous avons déjà évoquée à propos des dirigeants à savoir l’article 121-3 modifié par les lois du 13 mai 1996164 et du 10 juillet 2000.
1661870. Le premier de ces textes prévoit qu’il n’y a délit d’imprudence punissable « que si l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales, compte tenu le cas échéant, de la nature de ses missions, de ses compétences et des pouvoirs qu’il disposait ». Ainsi que le note à juste titre le Pr P. Bonassies, la responsabilité du capitaine ne devrait plus pouvoir être retenue lorsqu’il aura confié la conduite de son navire à un officier compétent.
1671871. La loi du 10 juillet 2000 pourrait aussi contribuer à adoucir le sort du capitaine. En effet cette loi exonère de toute responsabilité les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage. Or précisément s’agissant d’une pollution maritime, l’idée d’une causalité indirecte du capitaine ne paraît faire aucun doute. Quelle qu’ait été la diligence du capitaine de l’Erika, et des autres, aucun n’est encore parvenu à combattre les effets de lourds paquets de mer sur la structure d’un navire ancien rapiécé de toutes parts165. Ainsi il conviendrait de reconnaître que, si erreur il peut y avoir, elle n’est pas le seul facteur explicatif. Solidité de la construction, qualité des réparations en cale sèche et stricte adhésion aux normes par les sociétés de classification sont autant de facteurs à prendre en compte avant de se prononcer sur une condamnation pénale du capitaine. Ainsi pourrait-on espérer cantonner la responsabilité du capitaine dans ses justes limites. Or, manifestement, en améliorant la corrélation entre la punition et les réelles responsabilités ou obligations personnelles du capitaine, on pourrait restituer à la sanction un réel pouvoir de dissuasion, le capitaine n’étant déclaré pénalement responsable qu’en cas de faute caractérisée comme par exemple la conduite d’un navire sous l’emprise de l’alcool.
§ 3. Vers une extension des pénalement responsables : le recours à la complicité
1681872. Les pénalement responsables au titre de la loi française de 1983 sont expressément désignés par la loi. Parce qu’ils ne sont pas désignés comme tels, on ne saurait rechercher sur ce fondement une quelconque responsabilité des propriétaires de cargaisons ou des sociétés de classification. Dès lors à défaut de pouvoir les déclarer pénalement responsables de façon directe, ne pourrait-on pas envisager de les tenir responsables au titre d’une complicité avec celui ou ceux que la loi désigne comme tel. Nous n’en sommes en ce domaine pour l’heure qu’au stade de l’expérimentation. En effet, dans l’affaire de l’Erika, la société Total, personne morale, et certains de ses dirigeants, la société de classification italienne RINA ont été mis en examen des chefs de complicité de mise en danger, et de pollution. L’action engagée pourrait-elle conduire à leur condamnation sur ce fondement ? La question est assurément délicate, nous ne prétendons pas y répondre faute de connaissance précise des éléments du dossier. Il n’en reste pas moins possible de formuler quelques observations. Nul doute que pour se prononcer sur une éventuelle qualité de complice de ces acteurs du transport maritime (A), il conviendra d’abord de s’attacher à vérifier que les conditions de la complicité punissable sont effectivement remplies (B).
A. Les conditions de la complicité punissable
1691873. Outre l’auteur matériel de l’infraction, le Code pénal considère comme délinquant et le punit comme un auteur celui qui n’a été que complice. La complicité n’est punissable au sens de l’article 121-7 du Code pénal que si trois éléments sont réunis. En premier lieu, puisque l’acte du complice emprunte la criminalité de l’acte de l’auteur principal, il doit exister un fait principal punissable. Celui-ci constitue l’élément légal. Le fait principal, en l’occurrence ici celui de pollution, ou d’imprudence tombe sous le coup de la loi pénale et constitue une infraction.
1701874. En second lieu, et c’est la seconde condition de la répression de la complicité, la complicité suppose un acte de participation. Il s’agit de l’élément matériel. Les actes de complicité énoncés à l’article 121-7 du nouveau code pénal sont tous des actes positifs, des actes de commission. En d’autres termes cela signifie que celui qui a été le simple spectateur d’une infraction et ne l’a pas empêchée ne peut être considéré comme complice166. De même la simple connaissance d’un acte délictueux ne constitue pas à elle seule, un acte de complicité punissable, car il faut toujours une activité matérielle favorisant l’action. On ne saurait donc être complice par abstention. Reste que l’auteur d’une abstention peu parfois être poursuivi en cas d’omission de porter secours à une personne en péril167.
1711875. La loi retient comme acte de complicité à l’infraction, la fourniture d’instructions168. Il ne doit pas s’agir de simples et vagues renseignements, mais d’indications précises que le juge doit décrire, de nature à rendre possible ou à faciliter l’exécution d’un crime et d’un délit et données en connaissance de cause en sachant qu’elles devraient servir à la réalisation de ce crime ou de ce délit. Peut aussi être considérée comme acte de complicité antérieur à l’infraction, toute aide ou toute assistance fournit à l’auteur. A côté de l’aide ou de l’assistance, dans la préparation de l’infraction, le Code pénal retient aussi comme acte de complicité, concomitant cette fois à la commission de l’infraction, l’aide et l’assistance au moment de l’exécution matérielle du crime et du délit. La jurisprudence a parfois admis que ces aides et assistances avaient pu consister en une collusion avec l’auteur169.
1721876. Troisième et dernière condition de la répression de la complicité, elle constitue en quelque sorte l’élément moral de l’incrimination de complicité. Pour que le complice soit punissable il faut qu’il ait participé en connaissance de cause à l’infraction principale, qu’il ait su qu’il s’associait à un crime ou à un délit déterminé. Il faut l’intention de contribuer à un acte délictueux consommé ou tenté par autrui. L’exigence d’une intention criminelle personnelle au complice résulte de l’article 121-7 du Code pénal qui vise la provocation à l’infraction et les instructions données pour commettre l’infraction170, et l’aide et l’assistance prêtées sciemment171.
1731877. L’intention requise chez le complice est tout à fait distincte de l’intention criminelle ou de la faute pénale de l’auteur principal. Le plus souvent l’intention résulte d’une entente préalable avec celui-ci mais parfois l’entente n’a lieu qu’au moment de la commission de l’infraction. En tout cas il faut que le complice et l’auteur principal aient agi ensemble et de concert en vue d’obtenir le résultat délictueux. Il s’en suit que l’auteur d’une faute d’imprudence ne peut pas être poursuivi comme complice, même si cette imprudence ou cette négligence constitue une faute au point de vue civil et engage sa responsabilité civile. Mais dans le cas où l’infraction commise par l’auteur principal est une infraction involontaire, la faute pénale commise par un tiers ne peut-elle pas être retenue à son encontre et le rendre punissable au titre de la complicité ? La complicité existe-elle dans les délits d’imprudence ?
1741878. Contrairement à une partie de la doctrine pour qui dans ses infractions il ne peut y avoir de complices mais seulement des coauteurs car la complicité suppose chez le complice une intention délictueuse, la jurisprudence admet parfois que la complicité s’applique à tous les délits même non intentionnels172. La conscience chez le complice de participer à une infraction doit être concomitante à la fourniture des instructions ou la prestation de l’aide ou de l’assistance. La Cour de cassation exige que la connaissance ait existé chez le complice au moment où il a, soit fourni les instructions et les moyens pour commettre l’infraction, soit prêté aide et assistance.
1751879. Puisque la complicité ne peut être réprimée que s’il existe une intention personnelle du complice, c’est au Ministère public qu’il appartient de rapporter la preuve que le complice savait effectivement et au moment même où il a agi, que l’aide et l’assistance qu’il prêtait, allait servir à l’infraction. De toute façon lorsqu’il retient la culpabilité d’un complice, le juge doit toujours préciser qu’il a constaté l’intention criminelle et indiquer dans les motifs de sa décision sur quoi repose sa conviction. C’est cette procédure que devrait suivre le juge s’il décidait de retenir la qualité de complice de certains acteurs du transport maritime autres que ceux pénalement désignés.
B. L’éventuelle qualité de complice de certains acteurs du transport maritime autres que ceux pénalement désignés
1761880. Alors que le contentieux de l’Amoco-Cadiz a été traité aux États-Unis devant une juridiction civile, celui de l’Erika le sera en France par une juridiction pénale. La responsabilité pénale a ses exigences au nombre desquelles figure, en tout premier lieu, le principe de la légalité des délits et des peines. Or, parce qu’il apparaît de plus en plus que l’appréhension du contentieux de la pollution gagnerait à s’appréhender dans une sphère dépassant la stricte responsabilité pénale de l’armateur et de son capitaine, les initiatives se multiplient pour tenter de dépasser ce cadre devenu désormais trop étroit compte tenu de la mutation de la politique des groupes pétroliers au cours des deux dernières décennies. En effet, aux fins de se délester de toutes les responsabilités afférentes à la gestion du navire, les grands groupes pétroliers ont entrepris de se séparer de leur flotte pour faire tarir à la source le risque de responsabilité qu’elles auraient pu supporter en qualité de transporteur.
1771881. Fortes de ce constat, les instances européennes ont paru vouloir élargir le cercle des pénalement responsables par le biais de la directive 2005/35/ CE du Parlement européen et du Conseil européen du 6 juillet 2005 relative à la pollution causée par les navires et à l’introduction de sanctions en cas d’infraction. En effet l’article 6 de cette directive précise que la responsabilité pénale de toute personne, c’est-à-dire non seulement du propriétaire du navire, mais également du propriétaire de la cargaison, de la société de classification ou de toute personne impliquée dans des rejets illicites d’hydrocarbures pourra être retenue en cas de négligence grave ayant conduit aux faits de pollutions.
1781882. Une décision-cadre173 du Conseil en date du 21 juin 2005 a entrepris de définir les modalités des sanctions prévues par la directive dans le but notamment de décourager le « juridiction shopping ». L’article 3 de cette décision-cadre intitulé « complicité et incitation » prévoit la possibilité pour chaque État membre de prendre conformément au droit national, les mesures nécessaires pour le fait d’inciter à commettre une infraction de pollution ou de s’en rendre complice soit punissable.
1791883. Or, précisément c’est notamment du chef de complicité de pollution que la société de classification et le Groupe Total propriétaire de la cargaison ont été mis en examen dans le cadre de la procédure pénale visant à déterminer les éventuelles responsabilités de la pollution causée par le pétrolier Erika. Il ne s’agit pas là bien évidemment ici de tenter de faire le procès de l’Erika avant l’heure. Tout au plus s’agit-il ici de formuler quelques observations en confrontant les conditions de la complicité punissable avec les quelques éléments dont nous disposons s’agissant de cette espèce.
1801884. En premier lieu, s’agissant de l’organisme de contrôle174, pourrait-on envisager que les juges répressifs se fondent sur une quelconque différence entre l’état du navire et les inscriptions sur le certificat pour conclure à une exécution négligente de sa mission par l’expert et par là-même déduire de cette négligence une éventuelle complicité par aide ou assistance avec l’armateur. Retenir ce raisonnement conduirait à déduire d’une simple négligence la connaissance de la réalisation éventuelle d’une infraction et surtout l’intention de participer même passivement à la réalisation de l’infraction, ce qui ne paraît guère concevable. Il faudrait pour retenir la complicité de l’expert que celui-ci bien que considérant le navire comme étant en état d’infraction par rapport aux Conventions puisse émettre sciemment un certificat qui maintiendrait le navire dans cet état et donc aiderait et assisterait175 l’armateur. Or, à l’évidence il paraît difficile de déduire la volonté de se rendre complice d’une infraction d’une simple négligence. Dès lors l’interprétation stricte des textes pourrait conduire à ne pas retenir la responsabilité pénale de la société de classification du chef de complicité de pollution avec l’armateur.
1811885. Quid maintenant d’une éventuelle complicité de Total dans le cadre de l’affaire de l’Erika ? On le sait le groupe pétrolier a été mis en examen du chef de complicité de mise en danger de pollution. Tout d’abord, on peut observer qu’une mise en examen du chef de complicité n’était envisageable s’agissant d’un évènement de mer accidentel que pour autant que le Groupe pétrolier ait été informé de ce qui se passait. Il semblerait qu’il l’ait été. Le capitaine indien de l’Erika a, en effet, déclaré au journal Fairplay176 être rentré en contact avec le major pétrolier Total pour lui signaler les cassures dont était victime son navire177. On peut imaginer qu’une telle initiative ait été commandée par l’insertion d’une clause contractuelle de la charte-partie, qu’elle ait donc été dictée par des considérations purement commerciales. Force est toutefois d’admettre qu’elle pourrait ne pas être totalement neutre au moment de l’examen des responsabilités s’ il était avéré que le groupe une fois averti des difficultés rencontrées par le navire transportant sa cargaison avait donné quelques injonctions au capitaine sur la conduite à tenir. Ce risque de responsabilité a été suffisamment jugé sérieux pour qu’après les retentissantes affaires de l’Amoco-Cadiz, les grands groupes pétroliers s’abstiennent de contraindre leurs capitaines à en référer à la direction de la société mère ou à une autorité quelconque de la société propriétaire du navire de crainte qu’elles puissent être tentées de donner des injonctions sur la conduite à tenir en cas d’accident178. Or en l’espèce, pour pouvoir retenir pénalement responsable du chef de complicité de pollution ou de mise en danger le Groupe pétrolier, il faudrait pratiquement établir que les initiatives qu’il a prises conduisent à lui attribuer la qualité de gestionnaire de fait de la crise et de maître d’œuvre de l’organisation de l’assistance à apporter au navire et à son équipage.
1821886. S’agissant de l’infraction de pollution, il s’agirait d’établir qu’une fois informé et ayant clairement manifesté sa volonté de prendre en main la gestion de la crise, le Groupe n’aura pas pris les mesures qui s’imposaient pour éviter le sinistre, et ce par imprudence, négligence ou inobservation des lois et règlements dont la convention MARPOL et le Code ISM. S’agissant de l’infraction de mise en danger, il s’agirait d’établir que le Groupe n’a pas fait montre d’une diligence suffisante dans l’organisation des secours. Si on ne saurait être déclaré complice par abstention, l’auteur d’une abstention peu parfois être poursuivi en cas d’omission de porter secours à une personne en péril179, c’est ce qui expliquerait que le Groupe pétrolier ait été mis en examen du chef d’abstention volontaire de prendre ou de provoquer des mesures permettant de combattre un sinistre.
1831887. Si nous venons d’évoquer là une première forme de complicité qui s’apparenterait à la complicité par instruction, le groupe Total aurait donné des instructions utiles à la conduite de l’infraction, une seconde forme de complicité doit être évoquée, celle par aide ou assistance. Peut-on considérer que le Groupe pétrolier a facilité la préparation ou la consommation de la pollution en ayant recours à un navire dont il aurait pu ou dû connaître l’état défectueux. Encore faudrait-il établir pour que sa responsabilité soit retenue sur ce chef établir qu’il devait avoir connaissance de l’infraction envisagée, mais encore qu’il avait la volonté de s’y associer...
1841888. En l’absence de connaissance des éléments du dossier que le juge aura en sa possession pour se prononcer dans cette affaire nous ne pouvons que formuler des observations très générales. Reste qu’on le pressent déjà dans le cadre d’une mise en examen du chef de complicité, l’élément de l’infraction qui sera appelé à jouer un rôle capital sera l’élément moral. Il faut l’intention de contribuer à un acte délictueux consommé ou tenté par autrui. Cet élément de l’infraction existe-t-il ? Pourra-t-on considérer que Total aura donné des instructions, voire aura apporté son aide et prêter sciemment son assistance au sens de l’article 121-7 du Code pénal pour commettre l’infraction de pollution ou de mise en danger ?
1851889. La justice pénale a ses exigences, sans doute plus sévères que celles de la justice civile quand bien même elle poursuivrait avec elle un objectif commun en présence d’une pollution maritime, à savoir la réparation des dommages que n’aura pas permis un régime conventionnel. Reste que la voie pénale pourrait apparaître autrement plus scabreuse que la voie civile, sauf au juge à se livrer à un forçage des textes. Pourtant, il apparaît déjà, qu’à travers la mise en examen du Groupe Total, c’est la singularité du droit pénal économique par rapport au droit pénal classique qui est mise en exergue. Quand le droit pénal s’attache à sanctionner des fautes moralement répréhensibles, le droit pénal économique, dont le principe de responsabilité pénale des personnes morales constitue désormais le bras armé, s’emploie davantage à obtenir le respect des réglementations notamment des dispositions en matière de sécurité, ou de protection de l’environnement. Et nul doute que si une condamnation pénale devrait être prononcée à l’encontre de Total, l’entreprise devrait être incitée à davantage contrôler les modalités du transport et la qualité du transport. Nul doute encore qu’en matière économique, le droit pénal est plus instrumentalisé qu’ailleurs, la répression de plus en plus objective. Ce sont là des considérations qui pourraient finalement inciter le juge à rentrer en voie de condamnation180 contre un groupe pétrolier qui aurait échappé à toute sanction boursière181.
CONCLUSION DU CHAPITRE I
1861890. Faut-il craindre une contamination du droit pénal par le droit civil en présence de pollutions majeures résultant du transport maritime en droit français ? Nous avons montré que ce risque était loin d’être hypothétique, car le droit français présente cette particularité d’offrir à la victime de se constituer partie civile devant le juge pénal pour obtenir réparation d’un dommage causé par une infraction. Dès lors, les préoccupations indemnitaires ne peuvent manquer de conditionner la décision du juge rendant ainsi la sanction pénale peut-être moins efficiente. Ces développements, certes souvent théoriques, sont pourtant riches d’enseignements pour notre étude. Car eux seuls, peuvent convaincre de la nécessité de recentrer la responsabilité pénale sur sa traditionnelle fonction punitive. Cette entreprise repose avant tout sur des choix mieux ciblés. Ceux-ci intéressent au premier chef les infractions, lesquelles doivent contribuer à protéger autant le milieu marin que les personnes menacées par lui. Ils concernent encore le choix des pénalement responsables. Nous pensons, et le législateur paraît du reste s’orienter en ce sens qu’en matière de répression de pollutions maritimes, il convient d’étendre toujours la responsabilité pénale des personnes morales, celle des personnes physiques devant, quant à elle être cantonnée dans de justes limites. Ces observations valent au premier chef pour l’armateur et le capitaine du navire. Reste, on le pressent déjà que ce ne sont pas tant ces pénalement responsables là qui devraient être au cœur du procès de l’Erika…
1871891. Et cela devrait déjà suffire à notre sens à montrer que si le droit pénal tente d’apporter une réponse aux lacunes de l’approche civiliste en se focalisant sur la recherche des responsabilités individuelles, il ne saurait représenter une alternative satisfaisante182. Car ce serait entrer dans les voies d’une pénalisation excessive de la société que de confier à la seule responsabilité pénale le soin d’assurer la répression des comportements dommageables. Ce pourrait être, là, une leçon de l’Erika.
1881892. Dès lors « un des moyens pour éviter une dérive du droit pénal, serait de sauvegarder une responsabilité civile forte, capable d’assumer une fonction élargie »183. Il convient de l’admettre « en ne se préoccupant que de réparation, la responsabilité sans faute a amputé le droit civil d’une mission essentielle : la régulation des comportements »184. Dès lors, et en toute logique il convient de s’attacher à redéployer la responsabilité civile dans son irréductible fonction punitive.
Notes de bas de page
1 SIMON (P.), La pénalisation du droit est-elle efficace en matière de pollution maritime ?, DMF 2004, p. 166
2 On notera que dans cette affaire, le contentieux civil, c’est-à-dire essentiellement tout ce qui touche aux responsabilités, au droit de limitation, à la fixation du montant de la réparation avait été confié aux juridictions américaines ; les juridictions françaises n’ayant eu à connaître que les plaintes pénales contre les deux capitaines (Amoco Cadiz+remorqueur) V. en ce sens SIMON (P.), La pénalisation du droit est-elle efficace en matière de pollution marine ?, précit., p. 166.
3 Le procès de l’Erika aura lieu du 12 février au 13 juin 2007 devant la 11ème chambre du tribunal correctionnel de Paris, présidé par Jean-baptiste Parlos.
4 STEFANI (G.), LEVASSEUR (G.), et BOULOC (B.), Procédure pénale, Dalloz, coll. « Précis » 19ème éd. 2004, n° 161 et suiv. pp 1146 et s.
5 NDENDE (M.), Regards sur les procédures d’indemnisation des victimes de la catastrophe de l’Erika, précit.,
6 Sur cette question, nous renvoyons à l’analyse de M Ph. BONFILS, L’action civile, Essai sur la nature juridique d’une institution, préface S. Cimamonti, PUAM, 2000.
7 BOULAN (F.), Le double visage de l’action civile exercée devant la juridiction répressive, JCP 1973, n° 2563.
8 VOUIN (R.), L’unique action civile, D. 1973, Chron., 265.
9 ROUJOU DE BOUBEE (M.-E.), Essai sur la notion de réparation, précit., p. 268.
10 Cass. Crim., 18 juin 1990, Bull. crim., n° 197 ; V° aussi Cass. crim. 12 février 1985, 12 février 1985 : Bull. crim. n° 68.
11 La mise en examen du groupe Total-Fina a été assortie d’un cautionnement de 7,62 millions d’euros (soit environ. 50 millions de francs)
12 V. en ces sens VOUIN (R.), L’unique action civile, précit.,
13 LAMBERT-FAIVRE (Y.), L’éthique de la responsabilité, précit., spéc. p. 20
14 En effet l’article 418 alinéa 3 du Code de procédure pénale dispose que la partie civile peut à l’appui de sa constitution, demander des dommages et intérêts correspondant au préjudice qui lui a été causé. En précisant que la demande en dommages et intérêts n’est qu’une possibilité à l’occasion d’une constitution de partie civile, le législateur entend souligner que la victime dispose de deux prérogatives distinctes.
15 V. en ce sens not. Cass. crim., 16 juin 1998, JCP 1998, IV, n° 3129.
16 LAMBERT- FAIVRE (Y.), L’éthique de la responsabilité, précit., spéc. p. 20
17 V. en ce sens BOULOC (B.), Rejets d’hydrocarbures : réflexion sur la « preuve » de l’infraction et les « dommages et intérêts », DMF 2005, p. 195, spéc. p. 203.
18 DEMICHEL (A.), Le droit pénal en marche arrière, D. 1995, p. 213
19 CONTE (Ph.) et MAISTRE DU CHAMBON (P.), Droit pénal général, Armand Colin,6ème éd., 2002, n° 447.
20 SIMON (P.), La pénalisation du droit est-elle efficace en matière de pollution maritime ?, DMF 2004, p. 166.
21 V. en ce sens BRUNET (A.), Infractions matérielles et responsabilité pénale de l’entreprise, LPA, 1996, n° 149, p. 27
22 Nous renvoyons sur cette question à l’analyse minutieuse du Professeur G. VINEY, Traité de droit civil, sous la direction de J. GHESTIN, Introduction à la responsabilité civile, op. cit. n° 68 et s.
23 V. en sens, SALAS, (D.), La criminalisation de la responsabilité, in De quoi sommes -nous responsables ?, op. cit..p. 90
24 V. en ce sens CADIET (L.), Sur les faits et les méfaits de la réparation, précit, p. 506.
25 V. en ce sens RICOEUR (P.), Le concept de responsabilité, Essai d’analyse sémantique, in Le Juste, ed. Esprit, 1995, p. 59
26 V. aussi sur ce point, SCHNEIDER (A.), Réparation et répression : histoire d’une transformation des besoins par la notion de risque, LPA n° 1999, n° 123, p. 13.
27 REMOND-GOUILLOUD (M.), note sous TGI de Brest, 18 novembre 2003, Navire CMA CGM Voltaire, DMF 2004, p. 115-127, spéc. p. 127.
28 SCHNEIDER (A.), Réparation et répression : histoire d’une transformation des besoins par la notion de risque, LPA du 29 juin 1999-n° 123, p. 13.
29 V. en ce sens MICHEL (A.), Le droit pénal en marche arrière, D. 1995, Chro., p. 213
30 La répression des pollutions marines : aspects juridiques et opérationnels, Colloque organisé par le Tribunal de Grande Instance du Havre, les 5 et 6 juin 2003, Recension LE MONNIER de GOUVILLE (A.), DMF 2003, p. 672, spéc. p. 677
31 LEGROS (J.), L’élément moral dans les infractions, Sirey, 1952
32 V. en ce sens CALAIS- AULOY (M.-T.), La dépénalisation du droit des affaires, D. 1988, Chro. p. 35
33 SAINT-JOURS (Y.), De la garantie des victimes d’accidents corporels par les générateurs des risques, D. 1999, p. 211.
34 CARTIER (M.-E), La nouvelle définition des délits non intentionnels par la loi du 10 juillet 2000, Introduction, Rev. sc. crim. (4), oct.-déc. 2001, p. 725, spéc. p. 729.
35 SIMON (P.), La pénalisation du droit est-elle efficace en matière de pollution marine ?, DMF 2004, p. 166.
36 Sur cette notion V. PUECH (M.), Scolies sur la faute pénale, Droits, 5, 1987, p. 77.
37 SLIM (H.) Objectivation de la responsabilité pénale, in Lamy responsabilité sous la direction de D. MAZEAUD, n° 150-25.
38 PUECH ( M.), Scolies sur la faute pénale, précit., p. 78.
39 V. en ce sens LEGAL (A.) La responsabilité sans faute, in. La Chambre criminelle et sa jurisprudence, Recueil d’études en hommage à M. Patin, p. 131ets
40 V. MERLE (R.) et VITU (A.), Traité de droit criminel, Droit pénal général, Cujas, n° 498, 533, 545.
41 V. en sens RUSSO (C.), De l’assurance de responsabilité à l’assurance directe, Contribution à l’étude d’une mutation de la couverture des risques, Collect. » Nouvelle bibliothèque des thèses. Dalloz 2001,spéc.p 277.
42 LEGAL (A.), La responsabilité sans faute, in la chambre criminelle et sa jurisprudence, Recueil d’études en hommage à la mémoire de M. PATIN, 1963, p132.
43 PIROVANO (A.), Faute civile et faute pénale, essai de contribution à l’étude des rapports entre la faute des articles 1382-1383 du code civil et la faute des articles 319-320 du Code pénal, LGDJ 1966, Préf. P. BONASSIES, V. surtout les passages de la thèse consacrés aux dangers d’une responsabilité pénale objective n° 106-109., pp 111-115
44 VIALARD (A.), Faut-il réformer le régime d’indemnisation des dommages de pollution par hydrocarbures ?, précit., spéc. p. 445.
45 Une solution de simple bon sens consisterait à former et à spécialiser les magistrats, V. en ce sens CANIVET (G.) et GUIHAL (D.), Protection de l’environnement par le droit pénal : l’exigence de formation et de spécialisation des magistrats, D. 2004, Chro. p. 2728
46 HANNEQUART (Y.), L’expertise et le procès en responsabilité, Mél. R. O. Dalcq ; Ed. Larcier.
47 Sur la question de l’expertise dans le cadre de l’Erika et plus encore sur sa validité, V. BOULOC (B.), note sous Navire Erika, Cour de Cassation (ch. crim.), 9 juillet 2003, DMF février 2004, p. 128.
48 PLATON, La République, II
49 V. en ce sens BUCHET (C.), Une autre histoire des océans et de l’homme, Ed. Robert Laffont, 2004.
50 Le Protocole de 1978 élargit le champ du Protocole en l’étendant aux substances polluantes. BONASSIES (P.), La responsabilité pénale de l’armateur et des préposés pour pollution en droit français, Rev. Scap.2002, p. 128
51 Loi n° 83-581 du 5 juillet 1983, On notera que les dispositions de la loi de 1983 périodiquement modifiées ont été intégrées dans les articles L. 218-20 à 218-31 du Code de l’Environnement
52 Pour un commentaire de cette loi V. HUET (J.), L’infraction de rejet d’hydrocarbure en mer, RJE 1991, p. 1 et s.
53 Tandis que la loi du 5 juillet 1983 réprimait la pollution des mers par les hydrocarbures, celle du 31 mai 1990 réprime la pollution des navires.
54 REMOND- GOUILLOUD (M.), Du droit de détruire, op. cit., p. 274
55 ROBERT (J.-H.), Revue internationale de droit pénal, vol. 65, 1995, p. 955.
56 FAURE (M.), Vers un nouveau modèle de protection de l’environnement par le droit pénal, Revue européenne du droit de l’Environnement 1/2005, p. 3, spéc. p. 9
57 article 4 de la Convention MARPOL, cité par JEANSON (Ph.), Rejets polluants des navires : nouvelles disposition répressives, Droit de l’environnement, n° 93- novembre 2001, p. 249
58 V° Infraction, Lexique des termes juridiques,.
59 BECK (U.), La société du risque, sur la voie d’une autre modernité, Alto Aubier, 2001
60 GUIHAL (D.), Droit répressif de l’environnement, 2ème éd. 2000, p. 601. L’auteur ne précise pas la date de l’arrêt.
61 HUET (A.), Le droit pénal international de la pollution marine, in Droit de l’environnement marin, développements récents, précit, p. 334.
62 Au sens de l’article 2 la Convention internationale sur l’intervention en haute mer en cas d’accident entraînant ou pouvant entraîner une pollution par les hydrocarbures du 29 novembre 1969. « L’expression accident de mer s’entend d’un abordage, échouement ou autre incident de navigation ou autre événement survenu à bord ou à l’extérieur du navire qui aurait pour conséquences soit des dommages matériels, soit une menace immédiate de dommages matériels, dont pourrait être victime un navire ou sa cargaison ».
63 Les peines sont édictées par le Code disciplinaire de la Marine marchande.
64 V. en ce sens RODIERE (R.), Traité général de droit maritime. Evénement de mer, précit., pp 76-77. Cette responsabilité pénale est engagée sur le fondement de l’article 80 du Code disciplinaire et pénal de la Marine marchande.
65 V. en ce sens LEOST (R.), Les dispositions répressives des lois du 2 février 1995 et du 26 février 1996 relatives à la protection du milieu marin, DMF, 1997, p. 81, spéc. p. 82 et s.
66 Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (Safety of life at sea ou SOLAS)
67 V. en ce sens REMOND-GOUILLOUD (M.). Du droit de détruire, op. cit. p. 274.
68 ARHAB (F.), Le préjudice écologique, précit., p. 696
69 V. en ce sens HUET (A.), Le droit pénal international de la pollution marine, op. cit p. 341.
70 V. en ce sens BONASSIES (P.), La responsabilité pénale de l’armateur et ses préposés pour pollution en droit français, Rev. Scap. 2002, p. 128, spéc. p. 129.
71 règle 11 a
72 HUET (A.), Le délit de pollution involontaire de la mer par les hydrocarbures, Loi n° 79-5 du 2 janvier 1979, RJE. 1-1979, p. 4.
73 intitulé Convention internationale sur l’intervention en haute-mer en cas d’accident entraînant ou pouvant entraîner une pollution par les hydrocarbures, JCP 1975, III 43 096.
74 Loi n° 204 - 2004 publiée au JORF du 11 mars 2004, p. 4567.
75 ODIER (F.), Les infractions en matière de pollution, La Revue maritime n° 469, Juillet 2004, p. 12
76 Directive 35/2005 du 7 septembre 2005 du Parlement européen et du Conseil relative à la pollution causée par les navires et à l’introduction de sanction, notamment pénales, en cas d’infraction de pollution, JOUE L 25/11 du 30 septembre 2005, complétée par une décision-cadre 2005/667/JAI du Conseil du 12 juillet 2005 visant à renforcer le cadre pénal pour la répression de la pollution causée par les navires, JOUE L 255 du 30 septembre 2005, p. 11.
77 De 150 000 à 300 000 euros et jusqu’à 750 000 à 1 500 000 euros pour les plus graves.
78 Ce chef d’inculpation a été retenu contre le propriétaire de l’Erika et son shipmanager, ainsi que contre deux militaires et un civil de la Préfecture de Brest
79 LIENHARD (Cl.), STEINLE-FEUERBACH (M.-F.), Eléments de prévention du risque de catastrophe et d’accidents collectifs, Dalloz Affaires, n° 132, jeudi 1 er octobre 1998, pp 1514-1516.
80 V. en ce sens BERTELLA-GEOFFROY (M.-O.), L’ineffectivité du droit pénal dans les domaines de la sécurité sanitaire et des atteintes à l’environnement, le point de vue d’un praticien, Environnement, Ed. Juris-Classeur, novembre 2002, p. 9.
81 Cette question a fait l’objet de débats au sein de la Commission de révision du Code pénal. Le document de base en la matière était le rapport rédigé par le professeur VITU, V. en ce sens DUMONT (J.), Risques causés à autrui, Juris- classeur, Droit pénal, art. 223-1 et 223-2., spéc. p. 4
82 Art. 223-1 du Code pénal.
83 Anonyme, Vers le délit de mise en danger de l’environnement. Presse Environnement n° 229, jeudi 7 juin 1990 p. 3.
84 GUIHAL (D.), Droit répressif de l’environnement, préf. J-H ROBERT Economica, 2ème édition, 2000, p. 599
85 Nous n’aborderons donc pas dans le cadre de ces développements une autre question qui n’en demeure pas moins essentielle, à savoir celle de la responsabilité pénale de l’armateur vis à vis de la protection des marins. Nous renvoyons donc à l’étude très complète consacrée à ce thème par le Professeur P. CHAUMETTE, La responsabilité pénale de l’armateur vis à vis de la protection des marins, ADMA 2003, p. 185. L’auteur constate que « l’autonomie du droit pénal du travail maritime a vécu », spéc. p. 189.
86 LABRUSSE-RIOU (C.) Entre mal commis et mal subi : les oscillations du droit, in La responsabilité la condition de notre humanité, Autrement 1994, p. 94, spéc. p. 106.
87 Nous reprenons ici un découpage suggéré par le Professeur PUECH (M.), in. De la mise en danger d’autrui, D. 1994, chron. p. 153
88 Pour une approche comparative des fautes civiles et pénales de négligence, V. PIROVANO (A.), Faute civile et faute pénale, (essai de contribution à l’étude des rapports entre la faute des articles 1383 du Code civil et la faute des articles 319-320 du Code civil), LGDJ, 1966.
89 Certains auteurs tendent à rapprocher le concept de sécurité de celui de sûreté. V. en ce sens RADE (C.), Réflexions sur les fondements de la responsabilité civile 2- Les voies de la réforme : la promotion du droit à la sûreté, D. 1999, p. 323.
90 V. en ce sens PUECH (M.), De la mise en danger d’autrui, D. 1994, chron. p. 153, spéc. p. 153.
91 V. La Chancellerie paraît partager cette analyse. Cf. en ce sens la circulaire générale de mai 1993 présentant les dispositions du nouveau Code pénal, citée par DUMONT (J.), Risques causés à autrui, précit, spéc. p. 5
92 ibidem..
93 en d’autres termes, il l’a envisagé comme une simple possibilité.
94 On notera qu’en matière de transport maritime, l’incrimination de mise en danger de la vie d’autrui peut s’appliquer en direction des passagers. V. en ce sens CA Rennes, 26 septembre 1996, JCP 1997, II, n° 22902 note CHEVALIER (Y.), Cass. crim., 11 février 1998, JCP 1998, II, n° 1086, note COCHE (A.) Dans cette espèce, l’incrimination de mise en danger avait été retenue contre le capitaine d’un navire assurant les liaisons Belle-Ile- Quiberon. Par temps beau et calme, il avait embarqué 712 passagers au lieu des 600 autorisés, soit une surcharge de 20 %.
95 CHABAS (F.), Responsabilité civile et responsabilité pénale, éd. Montchrestien, 1975, p. 34
96 VERDIER (J.-M.), La réparation du dommage matériel en droit pénal, in quelques aspects de l’autonomie du droit pénal, 1956, p. 352.
97 CEDRAS ( J.), Le dol éventuel, aux limites de l’intention, D. 1995, chro, p. 18.
98 DESPORTES (F.) ET LE GUENNEC (F.), Le Nouveau droit pénal, Droit pénal général, op. cit n° 492.
99 Fondation nationale Entreprise et performance, Mission 1994, Responsabilité individuelle, garanties collectives, précit., spéc. p. 145 et suiv.
100 PHILLIPOT (Ph.), Les infractions de prévention Thèse Nancy II, 1977, spéc. p. 149
101 PHILLIPOT (Ph.), Les infractions de prévention, op. cit. spéc.p. 141.
102 BERTELLA-GEOFFROY (M.-O.), L’ineffectivité du droit pénal dans les domaines de la sécurité sanitaire et des atteintes à l’environnement. Le point de vue d’un praticien, Environnement, précit., p. 8-10.
103 Chambre criminelle, 15 mai 2001, Bulletin 2001, n° 123
104 VINEY (G.), Traité de droit civil, sous la direction de J. GHESTIN, Introduction à la responsabilité civile spéc. p. 765
105 V. en ce sens BORE (L.), Action publique et action civile, Juris- Clas. Procédure pénale, art. 4 à 5-1, 2001 p. 13
106 BERTELLA-GEOFFROY (O.), L’ineffectivité du droit pénal dans les domaines de la sécurité sanitaire et des atteintes à l’environnement. Le point de vue d’un praticien, Environnement, Edition du Juris-Classeur, pp 8-10.
107 Conclusion du COLLOQUE organisé par le Centre de recherche en droit privé de l’Université de Paris I, 1 er février 2001, La nouvelle définition des délits non intentionnels par la loi du 10 juillet 2000, Actes publiés in Rev. sc. crim. ( 4), oct.-déc. 2001.
108 V. not. G. VINEY, Conclusion du Colloque précit., op. cit. p. 766.
109 V. Crim. 24 oct. 2000, Bull. crim. n° 308, JCP 2001. II. 10535, note DAURY-FAVEAU (M.)
110 V. ce sens MAYER (D.), L’influence du droit pénal sur l’organisation de la sécurité dans l’entreprise, D. 1998, p. 256, V. spéc., p. 258. L’auteur s’interroge sur le rôle dissuasif que peut avoir une condamnation sur la personne morale. Il parvient à la conclusion suivante : L’effet recherché dépend de la motivation de la condamnation. « Si le tribunal condamne la personne morale de façon automatique, sans chercher à déterminer ni le fait de la personne physique ni le profit de la personne morale, il est évident que la décision est insusceptible de comporter le moindre aspect didactique. A l’opposé, si les tribunaux refusent de faire de la responsabilité de la personne morale le résultat automatique de celle des dirigeants et recherchent une défaillance dans la structure ou la politique de la personne morale elle-même, il apparaîtra vite que c’est une organisation défectueuse qui vaut à la personne sa condamnation en cas d’accident. Ainsi conclut l’auteur la possibilité de condamner la personne morale elle-même serait incitative de la recherche d’une organisation correcte en son sein.
111 Cass. civ, 18 déc. 1912, V. D. S. 1915. 1. 17 note MOREL.
112 Le Professeur G. VINEY considère que l’abrogation du principe d’identité des fautes civile et pénale ne devrait pas remettre en cause l’interdiction faite au juge civil de refuser d’admettre l’existence de la faute civile lorsque la faute pénale a été reconnue par le juge pénal.
113 Ces arrêts ont été abondamment commentés par la doctrine. On se reportera notamment aux références suivantes, JCP 1984. II. 20255, note JEAN DE LA BATIE (N.), 20256 note P. JOURDAIN (P.), D. 1984, p. 525 note CHABAS (F.), RTD civ. 1984, p. 508, obs. HUET. (J.)
114 art. 122-1 du Code pénal.
115 Le sujet, tant il était polémique a motivé l’écriture de nombreuses thèses V. not. PIROVANO (A.), Faute civile et faute pénale, LGDJ, 1966, V. encore. DORSNER-DOLIVET( A.), Contribution à la restauration de la faute, condition des responsabilités civile et pénale dans l’homicide et les blessures par imprudence : à propos de la chirurgie, préf. P. RAYNAUD, LGDJ, 1986 ; V. enfin FORTIS (E.), L’élément légal dans les infractions d’imprudence portant atteinte à l’intégrité corporelle, Thèse Paris II, 1989.
116 Les conséquences de la loi du 10 juillet 2000, Rev. sc. crim. (4), oct.-déc. 2001, pp 748
117 V. les développements de TUNC (A.), sur le caractère inévitable des erreurs in La responsabilité civile, op. cit, n° 149 et s.
118 VINEY (G.), Conclusion du COLLOQUE organisé par le Centre de recherche en droit privé de l’Université de Paris I, 1 er février 2001, La nouvelle définition des délits non intentionnels par la loi du 10 juillet 2000, précit., spéc. p. 764.
119 REMOND-GOUILLOUD (M.), Du droit de détruire, op. cit p. 276.
120 FNEP, Responsabilité individuelle, Garanties collectives, op. cit p. 54.
121 V. en ce sens HEINE (G.) Marine (oil) pollution: prevention and protection by criminal law – International perspectives, corporate and/or individual criminal liability in Michael G. FAURE and James HU (eds) Prevention and compensation of marine pollution damage. Recent developments in Europe, China and the US, Kluwer law international, 2006 p. 41, spéc. p. 51.
122 V. not. Crim. 8 mars 1883, DP, 1884, 1, p. 428. Selon une formule fréquemment utilisée par la Cour de cassation « L’amende est une peine et toute peine est personnelle. Sauf exception, prévue par la loi ; elle ne peut donc être prononcée contre un être moral, lequel ne peut encourir qu’une responsabilité civile », cité par DESPORTES (F.), et LE GUHENNEC (F.), Le nouveau droit pénal, Tome 1, Droit pénal général, précit., n° 569.
123 VINEY (G.), Conclusions, la responsabilité pénale des personnes morales, Rev. soc. 1993, p. 381 et s.
124 Art. 223-2 du NCP.
125 Art. 223-7-1, L. 12 juin 2001.
126 BONASSIES (P.), La responsabilité pénale de l’armateur et ses préposés pour pollution en droit français, Rev. Scap. 2002, pp 128-132
127 LEOST (R.), Les dispositions répressives des lois du 2 février 1995 et du 26 février 1996 relatives à la protection du milieu marin, DMF 567, Janvier 1997, pp 81-92.
128 articles 5 et 8
129 On notera qu’une loi du 16 décembre 1992 dite d’adaptation du Code pénal avait délaissé le dispositif répressif des lois spéciales de la mer.
130 Art. 7
131 Art. 7. 2
132 Art. 3 de la loi du 5 juillet 1983.
133 SORDINO (M.-C.), La disparition du principe de spécialité de la responsabilité pénale des personnes morales : une fin espérée...adoptée dans la plus grande discrétion, Gaz. Pal. 2004, n° 10 au 11 septembre, pp 13-16.
134 par DESPORTES (F.), et LE GUNEHEC (F.) Le nouveau droit pénal, Tome 1, Droit pénal général op. cit n° 598-5
135 V. par exemple en matière d’environnement, LEPAGE-JESSUA (C.), La responsabilité pénale des personnes morales en matière d’environnement, LPA 1993, n° 153, p. 4.
136 Art. 54 de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, dite Perben II. V. STOLOWY (N.) La disparition du principe de spécialité dans la mise en cause pénale des personnes morales. Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, dite Perben II, JCP,I, pp 995-999.
137 Sur cette question Cf.. COERET (A.), FORTIS (E.), Droit pénal du travail, Litec,1998
138 PUECH (M.) Scolies sur la faute pénale, précit., p. 78
139 V. DESPORTES (F.) et LE GUNEHEC (F.), Le nouveau droit pénal, Tome 1, Droit pénal général op. cit, n° 600 B.
140 Crim. 230 mai 2000, Bull. Joly, 2001, § 11, obs. MASCALA (C.)
141 Crim. 1 er déc. 1998, RSC, 1999, p. 337, obs. GIUDICELLI-DELAGE.
142 MARON (A.), ROBERT (J.-H.), Cent personnes morales pénalement condamnées, Dr. Pén, 1998, chro. n° 28
143 Crim. 26 juin 2001, B., n° 161, Dr. pén. 2002, com. n° 8. Certains auteurs soutenaient que la responsabilité pénale des personnes morales devait être subordonnée, non seulement à la commission d’une infraction pour leur compte par un organe ou un représentant, mais également à l’existence d’une faute distincte leur étant propre, ayant permis ou favorisé la commission de l’infraction par le dirigeant. Ce comportement fautif serait caractérisé chaque fois que l’organisation défectueuse aura joué un rôle dans la commission de l’infraction. Cette analyse a parfois été accueillie par certaines juridictions du fond, V. not. T. corr. Versailles 18 déc. 1995, JCP, 1996,II, 22640, note ROBERT (J.-H.)
144 sur cette notion V. POUYANNE (J.), L’auteur moral de l’infraction, Préface Ph. CONTE, PUAM, 2003.
145 V. Le nouveau droit pénal, Tome 1, Droit pénal général op. cit n° 512
146 V. en ce sens COUTURIER (G.) Répartition des responsabilités entre personnes morales et personnes physiques, Ouvrage collectif, Dalloz, 1993, p. 307.
147 BAYUE (M.), L’incidence de la réforme en droit de l’environnement, LPA, 1993, n° 120, p. 43
148 VINEY (G.) Conclusion, op. cit Rev. sc. Crim. (4), oct-déc. 2001, p. 767
149 Droit pénal et procédure pénale, éd. LGDJ, 14ème éd., 458
150 FNEP, Responsabilité individuelle, Garanties collectives, op. cit p. 54.
151 V. en ce sens COFFY de BOISDEFFRE (M.-J.), L’évolution de la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation quant à la détermination des personnes responsables dans l’entreprise, LPA, 9 nov. 1999, p. 10.
152 On observera que les auxiliaires du navire : pilotes, remorqueurs, lamaneurs, s’ils jouent un rôle important en pratique, n’interviendront que sous la direction (juridique) du capitaine, donc leur responsabilité pénale pour fait de pollution semble peu probable
153 Pour une approche globale de cette question, nous renvoyons à l’ouvrage de Messieurs J- P ANTONA, P. COLIN, et F. LENGLART, La responsabilité pénale des cadres et des dirigeants dans le monde des affaires, Dalloz, 1996.
154 On notera toutefois que ce dirigeant est mis en examen du chef de complicité de mise en danger et de pollution
155 COMMARET (N.), La responsabilité pénale des décideurs en matière de délits non intentionnels depuis la loi du 10 juillet 2000, Gaz. Pal. 2004, n° 10 au 11 septembre, p. 3-12.
156 VINEY (G.), Conclusion, op. cit Rev. sc. Crim. (4), oct-déc. 2001, p. 767
157 V. Crim. 24 oct. 2000, Bull. crim. n° 308, JCP 2001, 10535, note DAURY-FAUVEAU (M.)
158 VEAUX (D.) et VEAUX-FOURNERIE (P.), Capitaine, J. Class. commercial, fasc. 1155, 1998
159 C. disc. pén. mar. march. art. 80
160 C. disc. pén. mar. march. art. 81
161 Pour une analyse critique de ce phénomène v. O. LAGUNJU, G. ANTHONY, Criminalization of seafarers for accidental discharge of oil: is there justification in international law for criminal sanction for negligent or accidental pollution of the sea? JMLC, vol. 37, n° 2, april 2006, 219.
162 Ainsi on pouvait lire que des capitaines avaient été condamnés à des peines d’emprisonnement ces dernières années en Grêce, France, Pays Bas Russie, États-Unis, Vénézuela pour leur faute. Sources BIMCO Weekly news du 22/ 07/ 98.
163 Le capitaine indien de l’Erika K. Mathur a déclaré au journal Fairplay du 10. 08. 2000 être rentré en contact avec le major pétrolier Total Fina pour lui signaler les cassures dont était victime son navire. Des extraits de cet interview ont été publiés dans le journal de l’AFCAN de décembre 2001, p. 6. E. DU PONTAVICE note qu’après les retentissantes affaires de l’Amoco-Cadiz, les grands groupes pétroliers s’abstiennent de contraindre leurs capitaines à en référer à la direction de la société mère ou à une autorité quelconque de la société propriétaire du navire sur la conduite à tenir en cas d’accident in L’apport du procès de l’Amoco- Cadiz, précit., p. 281
164 Pour un commentaire de cette loi, V. RUET (C.), Commentaire de la loi n° 96-393 du 13 mai 1993 relative à la responsabilité pénale pour des faits d’imprudence ou de négligence, RSC 1998, p. 30
165 On notera que selon les rapports détaillés d’inspection disponibles sur le navire Erika, sa citerne avait été considérablement réparée en cale sèche l’année précédant le naufrage.
166 V. en ce sens Crim. 15 janv. 1948, S., 1949 1-1-81, note LEGAL ; Cass. Ass. pl. 20 janv. 1964., JCP 1965-II-13.983, note BOUZAT (H.)
167 art. 223-6 C.P.
168 art. 121-7, al. 1 . C.P
169 V. DECOQ (A), JCP 1983-I-3124.
170 al. 2
171 al.1 er
172 à propos d’un homicide par imprudence, Chambéry, 8 mars 1956, JCP 1956-II-9.224, note VOUIN (R.)
173 Conseil de l’Union européenne, Décision-cadre du Conseil visant à renforcer le cadre pénal pour la répression de la pollution causée par les navires, dossier inter-institutionnel 2003/0088 (CNS), DROIPEN 30, MAR 93, ENV 265, OC 389, Bruxelles le 21 juin 2005.
174 Sur cette question, V. FERRER (M.), La responsabilité des sociétés de classification, précit., n° 919.
175 Sur cette question, V. DECOCQ (A.), Inaction, abstention, et complicité part aide ou assistance, JCP, 1983, ed. G, I, chron., n. ° 5.
176 Ces propos ont été publiés dans l’édition du 10 août 2000.
177 Des extraits de cet interview ont été publiés dans le journal de l’AFCAN de décembre 2001, p. 6
178 DU PONTAVICE (E.), L’apport du procès de l’Amoco- Cadiz, précit., p. 281
179 art. 223-6 C.P.
180 FRISON-ROCHE (M.-A.), La mise en examen de Total-Fina dans l’affaire de L’Erika un exemple de répression économique, Le Monde 15 janvier 2002, p. 25.
181 PIOTET (J.-P.), Risque et réputation : l’entreprise sous le regard des autres risques, Risques n° 46, juin 2001, p. 47.
182 ENGEL (L.), Réguler les comportements, in De quoi sommes nous responsables ?, Textes réunis et présentés par FERENCZI (T.) Editions Le Monde 1997 pp 80-99.
183 RUSSO (C.), De l’assurance de responsabilité à l’assurance directe, Contribution à l’étude d’une mutation de la couverture des risques, op. cit p. 273.
184 ENGEL (L.), Réguler les comportements, in De quoi sommes nous responsables ?, Textes réunis et présentés par T. Ferenczi Editions Le Monde 1997 pp 80-99.
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La responsabilité civile à l’épreuve des pollutions majeures résultant du transport maritime
Tome I et II
Karine Le Couviour
2007
L’unification du droit maritime
Contribution à la construction d’un ordre juridique maritime
Massimiliano Rimaboschi
2006
Le droit maritime dans tous ses états
Hommage méditerranéen à Pierre Bonassies, Philippe Delebecque et Christian Scapel
Mustapha El Khayat (dir.)
2016